1. La part de l’intelligence
p. 159-184
Texte intégral
1On voudrait rappeler ici, en guise d'entrée en matière, un paradoxe mis en lumière par les (rares) historiens du néo-thomisme. Ce mouvement d'idées, observent-ils, est né parmi les catholiques au sein du courant traditionaliste. Or, on ne dit pas assez combien cette naissance est singulière : durant toute la première moitié du siècle, le traditionalisme s'était fait remarquer, en effet, par un anti-rationalisme farouche, enraciné dans l'hostilité à une Révolution qui avait fermé les églises et massacré les prêtres pour diviniser la Raison. Comment l'aversion pour la raison peut-elle conduire à saint Thomas ? Comment le dédain pour l'aristotélo-thomisme à peu près unanime dans la première moitié du siècle1 cède-t-il le pas à la vénération ? Louis Foucher a très intelligemment éclairé cette mutation, contemporaine du moment où le coup d'État du 2 décembre exaspère le goût de l'ordre2. C'est, explique-t-il, parce qu’ils jugent que le traditionalisme de la première génération romantique a trop concédé au rationalisme que le père Ventura et ses amis vont demander au Moyen Âge une référence philosophique : au Moyen Âge, c'est-à-dire à l'âge d’or du Christianisme, à "ces temps pleins de splendeur et de magnificence", avait dit naguère Novalis, où, "avec raison le Souverain Pontife de l’Église, en sa haute sagesse, s'opposait à l’impudence d'un développement exclusif des facultés humaines aux dépens de l'esprit mystique, comme aux intempestives et dangereuses découvertes de la science"3. "Oportet quod naturalis ratio subserviat fidei"4, "il convient que la raison naturelle soit soumise à la foi", avait écrit le docteur angélique ; on crut pouvoir en conclure que le thomisme était un fidéisme5. Puis on se trouva pris au piège : en s'annexant le thomisme, observe l'historien, le traditionalisme s'est trouvé conduit à renoncer "sans le vouloir et sans le savoir"6 à son exigence anti-rationaliste - preuve, s’il en fallait, que les textes ne sont pas tout à fait aussi dociles qu'on veut bien le dire, et qu’ils exercent malgré tout des contraintes sur ceux qui prétendent les utiliser.
2Bien entendu Claudel vient trop tard, et a lu saint Thomas de trop près, pour pouvoir être soupçonné d'avoir commis la même erreur que Ventura. Il n'en demeure pas moins que le paradoxe de ces ennemis de la raison changés en apologistes des Sommes n'est pas sans rapport avec celui de ce redoutable argumentateur, qui fait à Animus une place considérable dans sa réflexion sur la poésie, sans craindre pour autant, s’il le faut, de scandaliser la raison, ni de mettre (par exemple) dans la bouche d'Ysé des propos de nature à effaroucher le plus conciliant des rationalistes :
Com-prendre ! Écoutez-le ? Il ne faut pas comprendre, mon pauvre monsieur ! Il faut perdre connaissance7.
3Ajoutons que si la critique actuelle -qui semble trop souvent tenir pour acquis que le poétique est au rationnel ce que l'eau est au feu ou le blanc au noir- ne se soucie plus trop de ce débat, à quelques brillantes exceptions près8, il n'en allait pas de même au début du siècle, où les commentateurs faisaient grand cas de l'aversion réelle ou supposée de l'auteur des Odes pour les démarches de l'intelligence. Il n'est pas sans intérêt d'observer par exemple que l’opposition entre "raison mathématique" (ou "signification abstraite" ou "procédé analytique") et imagination fait le fond des deux articles que Jacques Rivière a consacrés à Claudel9 ; et qu'au même moment un Pierre Lasserre (qui pour sectaire qu'il ait pu être, et pour vieilli qu'il nous paraisse, n'était pas l'imbécile que sa victime voudrait nous faire croire) axe son attaque sur "l'incompatibilité essentielle de l'intelligence"10 et de la poésie selon Claudel, alors même que l'éloge de la vertu d'intelligence est, à l'encontre du discours déjà dominant sur la poésie, l’un des traits récurrents de la poétique claudélienne.
1. Éloge de l'intelligence
4C’est un éloge sans ambiguïté de l'intelligence en poésie, qu'enregistre Jacques Rivière, au cours d'une conversation de novembre 1909. Éloge qui a bien conscience de s’inscrire (déjà) à contre-courant :
Abaissement de notre temps à cause du décri de l'intelligence Le triomphe de la sensation amène les petites poésies, et la mauvaise peinture.
5Et il ajoute, songeant bien sûr, à cette date, aux psychologues de la fin du siècle et à Gourmont plutôt qu'à Freud :
L'inconscient, le subliminal sont trop à la mode11.
6Laissons pour l'instant la question du subliminal, dont Claudel n'a pas méconnu les droits autant que ce mouvement d'humeur pourrait le laisser supposer. Il est plus utile, peut-être, de relever l'opposition ici mise en place entre intelligence et sensation. C’est une opposition que l'on peut retrouver ailleurs, sous une forme à peine différente : dans une lettre à Pottecher de 1896, qui ne définit les premiers poèmes en prose de Connaissance de l'Est comme des "impressions" que pour se reprendre aussitôt, "je veux dire des impressions « réfléchies » sur la Chine"12 ; ou encore, bien des années plus tard, dans les entretiens avec Frédéric Lefèvre : "Ce n'est pas un recueil d'impressions mais d'explications"13.
7L’impression nue, la sensation seule, ne suffisent pas : Claudel se méfie de ce qu'elles ont de trop étroitement, de trop arbitrairement individuel, et aussi, dit-il à Rivière, de "passif" et d'"amorphe". Seul l'esprit "introduit la mesure qui arrête et qui organise"14 ; seul l'esprit est capable d'inscrire l'impression dans un ensemble de pensée ; seul l'esprit compose. L’esthète anglais Walter Pater avait déjà développé le même point de vue dans son fameux Essai sur le style (1888)15 en attirant l'attention sur la nécessité de l'intelligence (mind) dans le style, et en posant, plus de trente ans avant la parabole d'Animus et d'Anima, la double polarité stylistique de l'âme et de l'intelligence. Disciple de Mallarmé (qui a rencontré Pater à Oxford en 1894 - mais ils ne se sont pas dit un mot, le professeur au lycée Condorcet ne se sentant, paraît-il, pas assez sûr de son anglais), lié à Schwob qui s’est inspiré des Portraits imaginaires de Pater pour composer ses propres Vies imaginaires, il serait vraiment singulier que Claudel n'ait rien su de cet Anglais-là16.
8Quoi qu'il en soit, il faut qu'Animus soit de la partie ; il faut, par exemple, non pas seulement colorier des images de Chine, raconter telle excursion touristique dans Changhaï, mais encore trouver "la raison qui si complètement distingue de tous souvenirs la ville où nous cheminons"17 ; il faut, en d'autres termes, trouver le passage qui conduit de l'impression particulière à l'idée générale, surtout ne pas "laisser à elle-même" la sensation, mais l'inscrire dans une syntaxe, dans la cohérence globale d'une doctrine18.
9Que les poèmes de Claudel soient le lieu d'une réflexion philosophique ou théologique, il s'est au demeurant trouvé des philosophes (Jean Wahl, Maurice Merleau-Ponty, Maurice de Gandillac...) pour le dire, et pour convenir que sa poésie est en effet, comme lui-même l'avait indiqué, "toute mêlée d’idées philosophiques"19, en sorte qu'on pourrait songer à utiliser le volume des Œuvres poétiques de la Pléiade pour mettre en question la discontinuité entre discours poétique et discours spéculatif. Du moins n'est-il pas difficile de montrer que le livre multiplie les intersections entre ces deux régimes discursifs, entre poésie et philosophie, entre métaphores et syllogismes.
10Les Mémoires improvisés font remonter le goût de la logique à la lecture de saint Thomas, lors du premier séjour en Chine : "Je commençais à ce moment-là à prendre plaisir à la logique"20. Il suffit de lire Connaissance de l'Est ou l'Art poétique pour constater que ce ne sont pas là des paroles en l'air : le raisonnement, la déduction, le discours argumentatif, tiennent dans ces livres une place considérable. Soucieux, en tant que thomiste, de ne pas abandonner l'instrument rationnel aux mains des ennemis de la foi, Claudel semble également vouloir réagir contre la partition -d'essence positiviste- entre le cognitif et l'émotif : partition qui revient à restreindre le domaine du poétique à l'affectif, au subjectif et à eux seuls, et à remettre le discours cognitif entre les mains des gens sérieux - savants, philosophes, voire théologiens. De là la présence, dans les livres de Claudel que je viens de citer, de fragments de discours qui s'écartent délibérément, et de façon souvent provocante, de ce qu'on s'est accoutumé à regarder comme le poétique, pour se modeler sur le discours logique et scientifique ; de là ces définitions, ces propositions en forme d'axiome, d'équation, ou de théorème qui donnent à ces proses le ton impérieux dont tant de lecteurs ont été frappés. "L'humeur démonstrative" écrit (par deux fois) Baudelaire, "repousse les diamants et les fleurs de la Muse ; elle est donc absolument l'inverse de l'humeur poétique"21. Il semble bien que sur ce point Claudel ait parfois, et non sans succès, tenté de démentir l'auteur de Fusées - dont l'assertion du reste ne visait probablement que le vers, et non pas le poème en prose22.
11L'Art poétique s'offre ici comme un exemple presque trop commode. Peut-on seulement décider du genre auquel ressortit cet étrange objet ? Claudel parle à son propos d'"étude purement intellectuelle"23 ; mais il l'appelle aussi poème (poème hors-normes, convenons-en) et c'est pour cette raison, notamment, que Stanislas Fumet l'a inséré dans le volume des Œuvres poétiques de la Pléiade, non toutefois sans ressentir le besoin de s'en expliquer dans l'introduction24. Certes, Connaissance du temps tranche sans ambiguïté en faveur de la métaphore, donnée comme l'organe de l'Ars poetica mundi. Néanmoins, c'est une métaphore qui entend préserver une position symétrique par rapport au syllogisme : sa fonction n'est nullement de déconstruire le Logos, ni de faire partir des pétards dans les jupes de la Raison, à la façon surréaliste. Elle veut être l'instrument non d’un alogisme, mais d'une nouvelle Logique, qui au demeurant n'a point été conçue pour renverser l'ancienne et pour la supplanter, mais au contraire pour la compléter, de la même façon, dit l’auteur, que la syntaxe, qui enseigne l'art d'assembler les mots, complète "la première partie de la grammaire"25, qui détermine leur nature.
12Encore doit-on préciser que Claudel ne se contente pas de raisonner : tout se passe comme s'il s'était soucié d’afficher sa rationalité, comme s'il avait choisi, dans Connaissance de l'Est, et encore dans l'Art poétique, d'accroître délibérément la visibilité des connecteurs logiques que tant de ses confrères s'emploient au contraire à effacer, ou tout au moins à estomper J'ai tenté de montrer ailleurs que si d’autres se soucient d'alléger la phrase, lui travaille plutôt à l'épaissir, préférant systématiquement la solidité du que à la fluidité du où lorsqu'ils sont en concurrence, multipliant les ne... pas... si... que, en sorte que l'on se sent tenté de comparer l'armature logique de ses phrases au "système de crampons et de tirants et de poutres enfoncées dans la pierre" qui soutient au-dessus du vide sa "Maison suspendue"26. Les choses sont au point qu'il semble légitime de se demander si le poète Claudel n'a pas aperçu dans tout ce matériel logique et déductif, toutes ces conjonctions, ces subordonnants, ces pesants attelages verbaux, un matériau d'autant plus séduisant qu'il avait été plus longtemps négligé (sinon rebuté) par des poètes dédaigneux de tous ces grappins disgracieux. Non pas par tous toutefois, et il est opportun de se souvenir ici du jugement porté, dans "La catastrophe d'Igitur", sur la phrase, et même sur la grammaire, de Mallarmé :
L'adverbe et la conjonction, ces figures du discours (comme on dit une figure de ballet) qui donnent à la phrase son attitude et son articulation, jouent un grand rôle dans l'expression de ce génie si curieusement syntactique27.
13Et ailleurs, il évoque avec gourmandise certain poème qui se serait appelé "Si tu..."28, dont Mallarmé avait le projet, et qu'il est en effet possible, estime Claudel, de concevoir. Paraphrasant "La catastrophe d'Igitur", on pourrait dire que dans Connaissance de l'Est ou dans l'Art poétique, les articulations logiques ne sont pas seulement des instruments au service d'un raisonnement, mais des figures du ballet discursif, dont l'auteur exploite hardiment les virtualités esthétiques, en substituant à l'impondérable si mallarméen des tournures mieux en accord avec sa propre densité. Ainsi cette sentence du "Fleuve" :
Chaque goutte est le calcul fugace, l'expression à raison toujours croissante de la pente circonférencielle, et, d'une aire donnée ayant trouvé le point le plus bas, un courant se forme, qui d'un poids plus lourd fuit vers le centre plus profond d'un cercle plus élargi29.
14qu'il cite dans les Mémoires en ajoutant : "Il me semble qu'il y a toute l'explication d'un immense phénomène fluvial là-dedans"30. Qu’on s'accorde ou non avec lui sur la valeur explicative de cette proposition, on ne peut guère éviter, en tout cas, lorsqu'on lit des théorèmes de ce genre, ou d'autres analogues dans l'Art poétique :
Il n'est constance que de la forme. À la forme constante, pour la maintenir une opération constante31.
15on ne peut guère éviter de se souvenir des considérants qui accompagnent, dans les Positions et Propositions, l'éloge des "cohortes alexandrines" de Corneille, Racine ou Molière : "Équation (...). Balance (...). La proposition après un suspens est exactement couverte par sa symétrique. Une série d'articles comme le Code"32. Non moins que le vers classique (qui est encore, à peu de choses près, celui de Mallarmé) la phrase de Connaissance de l'Est ou de l'Art poétique témoigne de "l'aptitude latine à frapper des adages", de ce "besoin de nécessité" dans lequel Claudel se plaisait à reconnaître l'une des particularités du caractère français ; et l'on pourrait sans difficulté appliquer à ces proses bien des jugements contenus dans les Positions : horreur du hasard, besoin d'absolu, "autorité immobile", art de serrer les mots "entre des coins si durs que la ligne acquiert l'immobilité définitive et infrangible d'une inscription, lisible pour l’éternité"33.
16Après Connaissance et l'Art poétique, aucune œuvre ne s’avancera plus aussi loin dans cette direction. Mais si le goût des instruments logiques devient moins ostensible (ou moins ostentatoire ?) Claudel ne renonce pas pour autant à son ambition spéculative, et quoi que puisse dire cette Muse qui est aussi la grâce, il ne répudie point la rationalité. Les Odes nourrissent elles aussi l'ambition avouée d’être une poésie philosophique. En 1908, Claudel écrit à Rivière, à propos de la dernière d'entre elles, qu'il y reprend et développe "la doctrine" de ses deux traités et sa "théorie" de la parole, en sorte qu'on se prend à songer à la définition qu'un poète qu'il n’aimait point trop -il s'agit d’Alfred de Vigny- donnait de sa propre entreprise : présentation d'une pensée philosophique sous une forme épique ou dramatique34 ; ou, plus généralement, on pense à ce "lyrisme du moi pensant" dont parle Paul Bénichou, "cet élargissement du moi affectif, devenu porte-parole de l'homme devant sa condition", et dans lequel l'historien croit discerner "le vrai caractère distinctif du lyrisme romantique"35.
17Beaucoup plus tard, dans les Mémoires, Claudel insistera sur la résolution qui était alors la sienne de "ne pas borner [sa] poésie à un rôle décoratif, mais à un rôle substantiel, réel, de tâcher de voir les choses telles qu'elles sont dans leurs rapports philosophiques les unes avec les autres"36. C'est dire que là encore, même si l'appareillage logique n’est plus si apparent qu'au temps de l'Art poétique (et pourtant, y a-t-il en ces années-là tant de poètes qui usent aussi libéralement du car corrigé par le mais, des d'une part... d'autre part, du non seulement... mais, du c'est ainsi que, des quoi que et des si... que37 ?) la part du spéculatif, de l'argumentatif, du didactique même, tous étroitement unis aux détonations lyriques, est considérable. Il est bien vrai que la Muse clame qu'elle n'est "pas accessible à la raison", et sermonne vertement le poète pédestre ("O sot, au lieu de raisonner profite de cette heure d'or !"38) ; mais on ne saurait oublier la résistance obstinée de l'interlocuteur, et son cri final, dans l'épode : "Va-t'en !". C'est dire que cet anti-rationalisme n’est rien moins qu'irraisonné. Il s'énonce au sein d’un poème très fermement et très clairement articulé, à la façon d'un drame, sans doute, mais aussi bien sur le modèle rhétorique et logique de la disputatio : on oserait presque dire qu'il n'y manque que les sed contra.
18Ce point mérite d’autant plus d’être souligné que Jacques Rivière, en lisant les Odes justement, avait été frappé par l'absence de "fil logique"39 ; et Lasserre, quelque temps plus tard, s'est saisi de cette remarque pour instruire le procès de Claudel, coupable d'écrire de la poésie allemande, c'est-à-dire incompatible avec l'intelligence. Bien sûr, l'ancien auditeur des Mardis a appris de Mallarmé à "remplacer par l'ingénuité du papier les transitions"40 en sorte que souvent il laisse le soin au lecteur de résoudre les énigmes de la discontinuité. Pourtant, cette discontinuité, et cette absence de "fil", qui ont pu déconcerter certains lecteurs vers 1910, nous frappent beaucoup moins aujourd'hui. Est-ce parce que, venant plus tard, nous en avons vu bien d'autres ? Parce qu'après Dada, le surréalisme, le zaoum et Denis Roche, la poésie claudélienne nous semble forcément moins étrangère à la raison qu'elle ne le semblait aux contemporains de la grande guerre ? Rivière, paraphrasant l'Art poétique, insiste sur le rôle déterminant de la métaphore, définie comme "l'opération qui résulte de la seule existence conjointe et simultanée de deux choses différentes"41. Sans doute ; mais nous observons aujourd'hui que ces métaphores sont souvent -beaucoup plus souvent que chez les symbolistes- des comparaisons. Or la rhétorique contemporaine, si elle ne met pas en cause la parenté de ces deux figures, aptes à rompre l’une et l’autre l’isotopie du contexte, a attiré notre attention sur ce qui les distingue. Dans la comparaison, écrit par exemple Paul Ricœur en commentant Michel Le Guem, "aucun transfert de signification n'a lieu ; tous les mots gardent leur sens et les représentations elles-mêmes restent distinctes", à l'inverse de ce qui se produit dans le cas de la métaphore. Si le rapport analogique est bien le ressort commun aux deux figures, il est moins intellectualisé dans la dernière nommée ; il est par contre, écrit encore Ricœur, "un instrument logique dans la comparaison"42.
19Au demeurant, il semble difficilement contestable que l'intention didactique, et parfois (et de plus en plus, et de plus en plus ouvertement) apologétique, qui habite l’œuvre poétique, peut difficilement s'accommoder d'un renoncement total aux instruments rationnels indispensables à l'argumentation. Des recueils comme La Messe là-bas ou Feuilles de Saints ou encore Visages radieux adoptent volontiers la forme de la méditation, à la croisée de l'oraison, de la réflexion philosophique et du journal d'une âme. Mais, à l'inverse de ce qui se passe dans l’Art poétique ou même dans la plupart des Odes, ou plus tard dans les Cent phrases, on ne peut décidément pas oublier en les lisant qu'ils sont, comme le saint Pierre des Hymnes "attaché[s] au travers des vérités éternelles"43. On dirait, en reprenant le mot de Jacques Rivière qui laisse deviner la réticence sous l'éloge, "c'est la canicule de la Vérité"44. Ces livres s'adossent très -trop- visiblement non pas seulement à une foi, mais à un corps de doctrine, à un dogme constitué, dont ils citent volontiers les articles, au point d'adopter fréquemment l’apparence du commentaire. Les "il est écrit que", les "nous lisons"45 ne sont rien moins que rares. Dans L'Architecte, long poème que Claudel rédige à Rio en mémoire de son beau-père Sainte-Marie Perrin qui vient de mourir, on lit par exemple ceci :
Père vous souriez, sachant, comme la théologie nous l'expose.
Que le ciel, c’est du monde de l'effet passer au monde de la Cause. [...]
Comme nous participons au Père, nous serons associés à sa Volonté créatrice ;
Nous saurons comme il s'y prend, l'ayant fait, pour maintenir ce vaste édifice46
20Claudel ne cherche pas à dissimuler la spéculation théologique dans le poème, à la naturaliser, à en estomper l'étrangeté, et si j'ose dire l'exotisme : il l'insère au contraire avec ses formules, son vocabulaire propre, et sa syntaxe latine ("l'ayant fait") dans ces longs vers monotones auxquels les clausules lourdement soulignées par la rime plate ou par l'assonance, donnent quelque chose d'une psalmodie, ou d’une litanie teintée de mélancolie.
21Est-il besoin de souligner combien Claudel ici s'éloigne de Mallarmé ? J'entends non pas seulement par son militantisme catholique, mais aussi par la distance qu'il prend avec une esthétique refusant "comme brutale une pensée exacte"47, par cette façon d'exposer en pleine lumière une armature (ou une armure ?) intellectuelle que l'auteur d'Igitur recommandait au contraire de dissimuler avec soin48, par la part qu'il fait à la didacticité, là où Mallarmé, soucieux de préserver la "pureté” de la parole poétique, laissait dédaigneusement tomber : "Narrer, enseigner, même décrire, cela va"49.
22Il est probable que les recueils que l'on vient d'évoquer ne sont pas les meilleurs de Claudel. Et nous ne sommes pas loin d'éprouver devant eux ce que leur auteur (dans Feuilles de Saints, justement) disait ressentir à la lecture de la vie des saints : "Ce n'est pas que [...] çà et là nous ne soyons sincèrement touchés, / Mais avouons que l'effet général est irritant et plus ou moins désagréable"50. On peut observer toutefois que la liberté avec laquelle Claudel use de l'instrument poétique est directement proportionnelle à la rigidité dogmatique dont il témoigne. La parole poétique ne se soucie plus ici d'une hypothétique pureté qu'il conviendrait de défendre. Un poème consacré à sainte Geneviève peut s'ouvrir par une plaisanterie sur le mariage des vieux garçons51 ; un autre dédié à sainte Odile peut s'achever sur un médiocre calembour à propos du "barbare Euticon, dont le nom est si ridicule"52. Claudel ne s'interdit rien, aucun ton, aucun type de discours : ni le descriptif, ni le narratif, ni moins encore le didactique (le poème s'achève volontiers sur une formule qui ramasse un enseignement, sur l'espoir d'un prochain savoir, quand ce n’est pas sur les propos de la Sagesse en personne53.) En faisant remonter le sacré dans le ciel, il se donne le moyen de désacraliser la parole poétique, qui retrouve son rang modestement humain. Elle y gagne une certaine forme de liberté.
2. Critique de l'intelligence
23On ne peut pourtant s'en tenir là. Lorsqu'on parle de didactisme, on ne peut pas ne pas se souvenir de la maxime zen que Claudel aimait à citer, et selon laquelle les seules choses qui méritent d'être apprises sont celles qui ne peuvent s'enseigner. Lorsqu'on parle de raison, on ne peut éviter de penser que, même congédiée, la Muse reste la Muse : ses propos ne sauraient être nuls et non avenus. Tout "théologien" qu'il était, Claudel ne s’est pas interdit de rappeler que Dieu "se rit de nos lumières et de notre industrie", ni même d'indiquer que le Christ s'est fait connaître par des signes -miracles, mais aussi paraboles- qui sont, écrit-il, "un scandale contre la raison"54. Quant à sa poétique, elle se refuse à définir le poème (avec Valéry) comme une fête de l'intellect, et adopte fréquemment à l'égard de l’intelligence des positions singulièrement plus critiques ou plus réservées que les considérations qui précèdent ne pouvaient le laisser prévoir. On connaît la parabole fameuse dans laquelle il brocarde la balourdise d'Animus, et que Dominique Millet-Gérard a savamment et longuement commentée ; citons encore cette page qui définit le drame "un rêve dirigé" (mais l'analogie entre le sommeil et l'activité poétique est récurrente sous cette plume55,) ou cette autre qui sur le mode léger (Le stylo56) évoque l'état de semi-conscience dans lequel l'écrivain se trouve lorsqu’il écrit. En 1909, Claudel décrétait devant Rivière que l'intelligence "est ce qu'il y a d'essentiel dans l'homme", qu'un "homme complet doit sentir la domination de son esprit sur tout son être"57 ; en 1925, il assure dans les Positions, qu'elle n’est nécessaire qu'en seconde ligne ; il ne lui reconnaît plus (en poésie) qu'une fonction critique : "Elle critique ce que tu fais". Partant, elle "n'est pas plus la vertu fondamentale pour un poète que la prudence pour un militaire"58.
24Le choix du comparant n'est pas insignifiant : l'intelligence a en effet quelque chose à voir avec la prudence (ou encore avec la probité59,) et il se pourrait qu’un poète ait besoin d'imprudence (et parfois peut-être d'improbité, ou du moins de rouerie ?). C'est en tout cas ce que suggère la façon dont Claudel s'approprie le vénérable motif du furor poeticus, auquel les romantiques avaient déjà rendu d'éclatantes couleurs60. On connaît les paroles du poète au début de la quatrième Ode :
Si le vigneron n'entre pas impunément dans la cuve.
Croirez-vous que je sois puissant à fouler ma grande vendange de paroles.
Sans que les fumées m'en montent au cerveau !61
25à quoi fait écho, dans la Cantate à trois voix, le "Cantique de la Vigne" :
Ah, s'il veut continuer à faire le juge,
Ah, s'il tient à conserver son petit jugement et sa raison et ne pas se livrer au feu qui de tous côtés en lui craque et part en flammes et en étincelles.
Faisant chaleur et lumière de tout.
Alors il ne fallait pas planter au coin le plus chéri de soleil entre les pierres brûlantes, continuant le soleil par maintes racines profondes et acharnées,
La vigne62
26Ce motif du feu dans lequel il faut se jeter, ce vouloir-être-consumé, circule à travers l’œuvre entière : on le retrouverait dans Connaissance de l'Est ("Ardeur"), ou plus tard dans Sainte Thérèse, et encore dans le Soulier. Il convient aussi bien au mystique qu’au poète, qui l'un et l'autre sont sommés de se "livr[er] au dieu"63, de s'abandonner à cet "enthousiasme" que Claudel définit, dans le texte tardif qui porte ce titre, comme l'aptitude de l'âme humaine à prendre feu. Voici du coup le poétique tiré bien loin du discours terrestre et un rien pataud de la trop prudente raison, mis hors d'atteinte des timides et des précautionneux, qui craindraient de lâcher le garde-fou de l'entendement, de prendre le risque de la grâce. Le poème n'a de valeur -et c'est là le sens principal du motif de l'inspiration- que pour autant qu'il est solidaire d'une épreuve existentielle violente : "car c'est toi-même que je demande", dit la Muse, qui menace de conduire le poète jusqu'au hoquet de l'agonie64.
27Il est vrai -Claudel en a parfois convenu- que toutes les Muses ne se ressemblent pas ; et il est allé jusqu'à distinguer (dans les Mémoires improvisés, par exemple) entre deux catégories, deux classes, dit-il, d'écrivains : ceux qui se développent, et ceux qui se fabriquent ; ceux qui, comme lui-même -revoilà l'organicisme- croissent naturellement à la façon du gland qui devient chêne ; et ceux qui, consciemment, délibérément, comme Horace ou comme Valéry, "se fabriquent pour ainsi dire du dehors par le travail de la lime et du marteau", par un "travail de main-d'œuvre appliqué du dehors"65. C'est le genitum contre le factum, l'organisme contre l’objet manufacturé, la vie contre l'industrie, la nature contre l'artifice, l’instinct contre l’intellect.
28Faut-il le dire ? Claudel ne fait pas mystère de ses préférences, et il s’est fréquemment servi de cette distinction pour accabler certains de ses ennemis (tout particulièrement Flaubert). Certes, l’exemple de Valéry semble l’avoir incité à modérer l’antipathie qu’il éprouve pour l’autre "classe". Il va même jusqu'à manifester une certaine compréhension pour le mot de l'auteur de Charmes selon lequel "l'enthousiasme n'est pas un état d’esprit d'écrivain" : cela veut dire, explique-t-il, qu’il convient "que les mouvements violents de la passion ne viennent pas troubler cet état suspendu de sensibilité délicate qui est indispensable [à l'écrivain]"66. Mais enfin ces concessions demeurent marginales, et ne l'empêchent pas de conclure quelques lignes plus bas : "C’est une erreur de croire que quoi que ce soit puisse naître d'esprit et d'encre par une industrie extérieure"67.
29C'est le même scepticisme à l'égard de l'industrie extérieure que signalait déjà, un quart de siècle plus tôt, la formule fameuse de Jules ou l’Homme-aux-deux-cravates : "Les poèmes se font à peu près comme les canons. On prend un trou et on met quelque chose autour". Cette comparaison, à la fois bouffonne et énigmatique, nécessite une explication. Celle de Jules est la suivante :
Jules : Cela veut dire je suppose que le poème serait moins une construction ligne à ligne et brique à brique et une matière à coups de marteau que le résultat d'un effondrement intérieur dont une série d'expéditions ensuite auraient pour objet de déterminer les contours68.
30"Effondrement intérieur"... La locution (elle peut faire songer à la définition de la poésie qu’avait proposée Éluard, en prenant lui aussi le contre-pied de Valéry : une débâcle de l'intellect) surprend chez un auteur qui ne passe pas pour un adepte de l'écriture du désastre.
31Assurément, il faut voir dans ce séisme intérieur un avatar de l'épreuve existentielle que la flamme, ou l'ivresse, désignent dans d'autres textes, et à laquelle, dit Claudel, le poète ne peut se refuser sous peine de se condamner à la confection d'œufs en bois ou de ronds de serviette : après la métaphore du feu, voici celle de l'inondation, qui ne lui est pas moins familière. De plus, le lecteur des textes que j'ai cités un peu plus haut reconnaît sans difficulté, dans cette construction et cette matière à coups de marteau avec quoi il convient de ne pas confondre le poème, le "travail de main-d’œuvre"69 dont il a été question ci-dessus et même l'instrument (le marteau70) qui sert, dans les Mémoires, d'attribut à l'autre classe de poètes. Il reconnaît encore l'opposition entre un travail "appliqué du dehors et un procès qui part du centre.
32Ce centre, toutefois, est ici un trou. La métaphore organiciste manque : sous l'influence probable de la pensée taoïste (Jules a été composé au Japon, il est daté de Chuzenji) c'est un vide qui se trouve à la place du germe. Un vide, ou bien encore, à proprement parler, une âme. Il n'est pas inutile de se souvenir ici du sens technique et mécanique de ce vocable spirituel71 : c'est le moyen, en effet, de faire apparaître la solidarité que la poétique de Jules entretient avec la formule aristotélicienne que Claudel aime à citer et que nous avons déjà rencontrée : l'âme est la forme du corps.
33Cette sentence, je l'ai dit plus haut, signifie selon lui que l'âme est la première, que bien loin d'être un produit du corps, une sorte de sécrétion organique, comme le voudraient les Taine, les Vogt et les Cabanis, c'est elle qui fait le corps. Ce que suggère le dialogue, vingt-six ans après le poème Sur la Cervelle, c'est qu'il en va des poèmes comme des corps : là aussi, c'est l’âme qui est première. Les mots -qui tiennent ici le rôle du corps, de la matière- ne produisent pas plus l'œuvre que le corps ne sécrète une âme, "ce ne sont pas les mots qui créent l'Iliade, c’est l'Iliade qui crée les mots ou les choisit"72.
34Claudel, on ne s'en étonnera pas, ne pense pas (comme Nelson Goodman) qu'un singe dactylographe qui coucherait fortuitement sur le papier le texte de La Chartreuse de Parme ou de l'Enéide aurait produit la même œuvre que Stendhal ou Virgile73. La formule de Jules, qu’on cite souvent, est donc la formule d'une poétique anti-matérialiste et anti-nominaliste, en parfaite cohérence avec la philosophie de Claudel, et que la métaphore du canon (sans parler du ton de plaisanterie) exonère de la fadeur qu'on aurait été en droit de craindre si Jules nous avait platement invité à considérer la prééminence de l'âme en poésie. Mais elle n'est pas seulement cela.
35Elle ne se borne pas à dire que l’âme (l'âme, non l'intellect ; Anima, non pas Animus ; un principe vital, non la faculté raisonnante) est le principe producteur du poème. Disant cela, elle dit aussi que le texte a un centre, et que ce centre est un immatériel. L'acier, les mots, la matière, font le cercle autour d'un vide essentiel. De même qu'aux dires de certains peintres (et de certains esthéticiens) l'ambition de la peinture est de donner à voir des "hiéroglyphes de l'invisible" selon le mot de Michel Henry74, de se constituer sous nos yeux comme "le cénotaphe d'une apparition"75, le poème ne peut ni ne veut rien faire d'autre que circonscrire un ineffable, envelopper de mots ce qui se refuse au langage, signifier cela qui ne peut pas être nommé.
3. Pourquoi des figures ?
36Quelques-uns, sans doute, s'étonneront. L’indicible, vraiment ? Chez Claudel ? Chez ce dogmatique, ce lecteur de Thomas d'Aquin, ce poète auquel certains lecteurs, y compris parmi ses admirateurs et ses coreligionnaires, ont précisément reproché de "donner le sentiment d’une sorte de mainmise de la parole sur l'ineffable"76 ? N'est-il pas au contraire de ceux qui croient à la possession par le verbe ? Peut-on nier qu’à maintes reprises il se soit flatté de savoir enfermer la vérité dans des mots, la coucher noir sur blanc, l'immobiliser dans des sentences pour s'en saisir et la communiquer ?
J'ai trouvé le secret ; je sais parler ; si je veux je saurai vous dire cela que chaque chose veut dire77.
37Et quelques années plus tôt :
Certes, je le vois, et c'est en vain que l'herbe partout le dissimule, j'ai pénétré ce mystère78.
38Quelle place ici pour l'ineffable ? Or de pareils cris de victoire, qui contrastent si vigoureusement avec la parole modeste ou malheureuse de la plupart des modernes, et le soupçon qu'ils entretiennent à l'égard du langage, ne sont pas seulement fréquents. Ils sont encore argumentés. Voyez par exemple cette lettre (elle date de mars 1895) où il remercie Mallarmé pour l'envoi de La Musique et les Lettres, tout en lui annonçant son prochain départ pour la Chine. En dépit des applaudissements qu'il donne alors aux thèses de son correspondant, complimenté pour avoir fixé sa limite à la musique, on doute que celui-ci ait reconnu ses propres conceptions dans les propos infiniment moins ondoyants et nuancés de son disciple. Quand le maître, tout en marquant les divergences, préserve les similitudes, la conformité, écrit-il, entre les deux arts, quand il convient que leur ambition est la même, invite même à oublier "la vieille distinction entre la Musique et les Lettres"79 pour ne plus voir en elles que deux faces, deux modes, deux manifestations alternatives de l'Idée, Claudel, lui, accuse brutalement les différences. On le voit, non sans surprise, s'en prendre à la musique, "cette folle qui ne sait ce qu'elle dit", afin de mieux célébrer le Poète qui "affirme et explique là où l'autre va comme quelqu'un qui cherche, criant" - le Poète qui, écrit-il encore, "possède, sa prérogative étant de donner à toutes choses un nom"80. Voilà une confiance qu'on chercherait en vain dans la conférence de Mallarmé, beaucoup moins soucieux des choses (il mentionne de l'"ennui à l'égard des choses si elles s'établissaient solides et prépondérantes81), " et qui d'autre part définit la poésie non seulement comme un jeu, mais encore comme une "supercherie" - supercherie vénérée, il est vrai, mais supercherie tout de même. Il est vrai que l’acte par lequel le poète se saisit de "la notion d'un objet" est par lui défini comme "l'égal de créer" ; mais il précise : "la notion d’un objet, échappant, qui fait défaut"82. Nous sommes loin de cette possession par le verbe que se flatte d'atteindre son jeune disciple.
39C'est le même propos et le même désir qu'on retrouve, une douzaine d'années plus tard -le disciple a pris de l'âge, il touche à la quarantaine- dans l'Art poétique qui, sans même se soucier de reprendre la distinction romantique et mallarméenne entre les deux états de la parole, énonce crûment que "les mots sont les signes dont nous nous servons pour appeler les choses" et que celui qui parle ou écrit "devient maître avec le mot de l'objet qu'il représente"83. Composé au même moment, le Magnificat n’est pas moins net :
Que le bruit se fasse voix et que la voix en moi se fasse parole !
Parmi tout l'univers qui bégaie, laissez-moi préparer mon cœur comme quelqu'un qui sait ce qu'il a à dire,
Parce que cette profonde exultation de la Créature n'est pas vaine, ni ce secret que gardent les Myriades célestes en une exacte vigile ;
Que ma parole soit équivalente à leur silence ! [...]
Mais que je trouve seulement la parole juste84
40On peut comprendre, à lire ces déclarations magnifiques (à tous les sens de l’épithète) que certains aient accusé Claudel de méconnaître la dimension apophatique de l’expérience religieuse. Ne lit-on pas ailleurs dans le même recueil que le poète s'est "substitué à la Nature pour dire ce qu'elle pense" ? Ne prétend-il pas "posséder" "de chaque chose le nom"85 ? Et ce nom n'est pas un fortuit assemblage de lettres ou de phonèmes : ce n'est rien moins que le "vrai nom", celui que la cinquième Ode nomme "le nom intelligible"86, qui appelle l'objet dans son principe et sa substance...
41Comme nous voici loin, décidément, de Mallarmé ! Chez l’auteur de Crise de vers, la nécessité du discours poétique procédait de l'imperfection du langage, de ce défaut des langues qu'il s'agissait, on s'en souvient, de "rémunérer". Si le vers est nécessaire, c'est précisément parce que les choses ne répondent pas à leurs noms, parce que "le mot propre n'existe pas", comme le répètent à l'envi les symbolistes87. On le sait bien : le timbre du mot jour est obscur, comme est clair celui du mot nuit ; "perversité", dit Mallarmé, qui ne laisse d'autre issue que d'inventer ce mot nouveau, total, et enfin adéquat, qu’est le vers88.
42Il en va tout autrement chez Claudel. Si averti qu'il soit d'ailleurs des faiblesses du cratylisme, et des objections qu'il soulève, il ne veut pas douter que les langues soient bien faites. Les mots ressemblent à leurs choses, le mot nuit ne souffre d'aucun excès de clarté (le u est une sombre vallée, le point sur l'i est une étoile), le mot locomotive est un dessin pour les enfants, le jambage du l lui fait un panache et ses trois o sont comme des roues faites pour aller sur un rail89. Quant au reste, "les mots sont les signes dont nous nous servons pour appeler les choses", ça n’est pas plus difficile que cela. "Une fleur, la voici"90. Il ne subsiste ici plus rien des exquises complications mallarméennes, de "l'oubli où ma voix relègue aucun contour", et de "l'absente de tous bouquets"91. Le mot est la formule de l'objet, et par lui j'en deviens le maître. Quoi de plus simple ? Lorsqu'on lit les protestations du polémiste jurant sur le tard (en 1949) qu'il n'est pas de ces misérables qui confondent le mot et le Verbe (la "formule douée d’un pouvoir magique ou incantatoire"92) on a beau jeu de recopier dans la marge les phrases de l'Art poétique qui témoignent précisément du contraire. À la fin de sa vie encore, dans ses entretiens avec Amrouche, il confond délibérément substantif et substance, et présente comme équivalents sa résolution "d'arriver au substantif" et son désir "d'arriver à la substance"93. Non, décidément, Claudel n’est pas absolument indemne de cet excès de confiance dans le mot où il lui a plu quelquefois de dénoncer l'empreinte et l'influence du Malin94. Seulement ce n’est là qu’une des faces -ou un des moments- de sa pensée.
43On doit prendre garde, lorsqu'on lit Claudel, au fait que la présentation volontiers dialogique de sa poétique (dans les Odes comme plus tard dans le volume de Conversations) rend particulièrement périlleux l'exercice de la paraphrase, et singulièrement délicat l'usage des citations. Il l'est d'autant plus que le ton volontiers véhément des interlocuteurs est en partie trompeur : il indique sans doute la force des convictions de l'auteur, mais résulte aussi du besoin qu'éprouve ce dramaturge-né de donner de l'intensité -c'est-à-dire de l'intérêt- au dialogue. Et si l'on se mêle de transcrire ces débats sur le terne registre de l'exposé didactique, il est nécessaire de rendre aux théories développées par les protagonistes leur statut de propositions, sans perdre de vue que la vérité ne loge pas (ou rarement) dans les propos de tel ou tel, et que la pensée de Claudel, à supposer qu'elle soit localisable, ne se situe nulle part ailleurs que dans la rivalité, dans la tension qui naît entre les assertions rivales.
44Aux orgueilleux morceaux des Odes que l'on a recopiés plus haut, il faudrait au moins adjoindre ces vers où il est question du "sens pur ineffablement contemplé", ineffablement, je souligne, "dont mon art", dit le poète, "est de faire une ombre misérable avec des lettres et des mots"95. Une ombre misérable... Le triomphalisme claudélien n'est décidément pas aussi continu qu'on le prétend. Mais plus encore qu'à ces fragments, qui relativisent la croyance sans lui interdire de revenir, il convient de prendre garde à une certaine roublardise, ou duplicité de Claudel, qui fait que le désir de "la parole juste" ne l'empêche pas -et c'est heureux !- de savoir tirer tout le profit possible du mot qui "parfois/Vient à la place du vrai"96, et qu'on met là, écrit-il, tout simplement "parce qu'il paraît faire bien"97. Il convient de prendre garde encore au pragmatisme qui est le sien. Aucune poétique ne lui fera perdre de vue qu'il existe plusieurs sortes de révélation :
La première est comme si on ôtait le voile de devant une statue, et la seconde est comme un rai de soleil dans une chambre obscure, qui détermine différentes zones de visibilité98.
45Ses écrits des années vingt ou trente le montrent particulièrement sensible à cette seconde forme de révélation, et à "l'inconvénient de se placer en face d'une chose pour l’exprimer"99. Non qu'il ait renoncé à sa théorie du mot juste, que l'on reconnaît par exemple (mais compliquée, sophistiquée par des emprunts à Mallarmé100) dans la lettre qu'il adresse à l’abbé Bremond en 1927, au moment de la querelle de la poésie pure ; mais, paradoxalement, cette théorie ne le dissuade pas de réserver la meilleure place à l'expression indirecte, à ce qu'il nommait dès ses premières années de Chine "le soin de taire"101. Serait-il finalement possible que le mot propre n'existe pas ? C’est le moment en tout cas où il note dans le Journal :
Dans le dictionnaire aussi aucun mot ne répond exactement à ce qu'il signifie. C'est un signe et non pas une réduction102.
46C'est là ce que va confirmer sa réflexion sur la figure.
47Si les spéculations de Claudel sur le mot ont donné lieu à de multiples commentaires, on s'est moins attaché à ses réflexions sur la figure. Or l'un des traits qui distingue à ses yeux le discours de la poésie, c'est la présence des figures ; c'est si bien sa spécificité que le ou les discours que Claudel lui oppose, le discours scientifique, bien sûr, mais plus généralement le discours de l’entendement, tend à être le discours du propre, un discours dans lequel la figure n'occupe plus la place centrale.
48De tout ce qu'il a écrit sur ce sujet, le texte le plus important -le plus riche et le plus complet- est probablement le traité consacré en 1937 au Sens figuré de l'Écriture. Cet essai, rédigé pour servir de préface au commentaire du Livre de Ruth par Tardif de Moidrey, n'est pas uniquement, comme son titre peut le laisser supposer, une machine de guerre dirigée contre l'exégèse littéraliste ("la terreur littéraliste", dira le Journal de 1942103) qui s'incarne notamment dans la personne du père Lagrange104 ; ce n'est pas seulement un plaidoyer en faveur de la lecture figurative du texte biblique, "inventée" jadis par Origène et dont se réclame encore, seize siècles plus tard, cet abbé Tardif (1828-1879), ami de Léon Bloy et d'Ernest Hello, et fervent du pèlerinage à La Salette. En cherchant à justifier le commentaire traditionnel, et donc en expliquant pourquoi l'Écriture use "presque uniquement de la figure sous toutes ses formes"105, Claudel se trouve en effet conduit à dresser un inventaire des arguments qui plaident en faveur du discours figuratif contre celui qui ne l'est pas, et qu'il identifie à la fois au discours spéculatif et à un discours apertis verbis. "La figure sous toutes ses formes" a-t-il dit ; mais quand il précise : "comparaison, métaphore, allégorie, symbole, parabole, allusion, suggestion" -et il ne met pas de points de suspension après cet ultime substantif- on s'avise qu'il ne retient que des figures analogiques. Dieu ne pratique pas l'hypallage ou la synecdoque ; le chiasme et le zeugma ne lui sont de rien. Il use, dirait Gérard Genette, d'une rhétorique restreinte.
49Ce que Claudel nomme figure, ce n'est pas "un tour de mots ou de pensées qui anime et orne le discours", comme l'enseignait jadis César Chesneau Du Marsais106. Bien sûr, l'image participe d'un art de convaincre, d'une rhétorique de la persuasion. Elle présente un avantage du point de vue de l’expressivité ; le discours figuré gagne en vigueur, en puissance émotive. La figure "consolide" l'idée, dit le traité sur l'Écriture, "par quelque chose d'extérieur et de sensible"107. Néanmoins, elle est beaucoup plus qu'un ornement : c'est essentiellement une énigme analogique. Le discours figuré est un discours chiffré, en sorte que répondre à la question : pourquoi des figures ?, c'est se demander pourquoi parler par énigmes, pourquoi parler symboliquement plutôt qu'ouvertement. D'un côté, suggère l'essai sur l’Écriture, il y aurait le discours de l'intelligence, discours sans énigme, explication directe, qui croit (naïvement ?) que la vérité peut être énoncée sans détour, couchée noir sur blanc et emprisonnée dans les mots ; c'est le domaine du syllogisme, du raisonnement, de l'hypothèse scientifique, ou encore de ce que Claudel, citant l'Aréopagite, appelle la theologia argumentativa. De l'autre, voici le discours par figures, discours du cœur, qui préfère la parabole aux hypothèses et choisit de disposer des signes plutôt que tenter des explications : c'est le discours de la Bible, celui de la poésie, de la symbolica theologia.
50On le voit : si l'intelligence, à nouveau, passe au second plan, ce n'est plus pour des raisons d'ordre chronologique, parce qu'intervenant après une inventio accomplie dans la transe, elle serait chargée seulement d’une révision critique ; c'est parce que la stratégie discursive qu'elle gouverne ou qu'elle préconise est moins apte que l'autre à dire le réel.
51Il faut se souvenir ici de l'objection élevée dans l'Art poétique contre les lois scientifiques brandies par les positivistes : Claudel, suivant en cela l'épistémologie des années 1900, ne voulait alors y voir que "des instruments de critique, des plans de simplification, des moyens d'assimilation intellectuelle"108. Or ce n'est pas seulement l'hypothèse des physiciens qui tombe sous le coup de cette critique : c'est tout le discours conceptuel. La nature ne se conforme pas plus à nos raisonnements ni à nos syllogismes (ces syllogismes qui semblent être pour lui comme pour Aristote le raisonnement dans son essence) qu'elle ne se conforme aux lois par lesquelles les positivistes pensent naïvement l'arraisonner. Le discours de l'entendement prétend atteindre la vérité sans médiation, se refermer sur elle et la posséder. Or cette prétention, cette sorte d'hubris intellectuelle, le conduit seulement à perdre de vue que la réalité excède les capacités du langage. Au contraire, le discours par figures sait qu'il n'est permis à l'homme de voir que "par énigmes, et comme dans un miroir". Il est significatif, à cet égard, que Claudel récuse l'exigence renardienne d'exactitude appliquée à l'image, parce qu'elle se paie d'une réduction : un à-peu-près doué d'envergure ("une image est toujours forcément un à-peu-près", écrit-il109) vaut mieux qu'une précision avare ; une "approximation exquise" -pour citer l'expression par laquelle ce dogmatique amateur de définitions caractérise la supériorité de l'architecture japonaise sur la grecque110- ne pâtit nullement, au contraire, de sa nature approximative. Parlant de ses miracles et de ses paraboles, Jésus déclare, dans la préface au livre de Tardif, qu'elles sont "non pas un moyen de Le posséder mais de Le suivre, de suivre ce qui passant par le milieu de vous s'en va plus loin"111. Le discours par figures ne prétend pas se refermer sur la vérité, et ce renoncement lui permet de la désigner efficacement, de l'indiquer au moyen d'un signe emprunté "comme par référence à un dictionnaire" au monde physique qui nous entoure112.
52Un signe ; un signe, précise encore la préface, à partir duquel on "nous laisse le soin d'inférer"113. N'est-ce pas là précisément ce que d'autres appelaient : un symbole ?
Notes de bas de page
1 À de rares exceptions près, dont celle, notable, de Joseph de Maistre.
2 Voir son livre cité plus haut ; celui de P. Thibault : Savoir et Pouvoir. Philosophie thomiste et Politique cléricale au XIXe siècle, confirme ses analyses.
3 La Chrétienté ou l'Europe, in Œuvres, Paris, Gallimard, 1975, p. 307-308.
4 Somme théologique, la pars, q. 1, a. 8.
5 Charles de Rémusat publia un article dans la Revue des deux Mondes du 1er mars 1853 pour dire son étonnement.
6 Foucher, op. cit. p. 262.
7 Partage de Midi, Th. I, 1159.
8 Particulièrement celle de D. Millet-Gérard, dans Anima et la Sagesse.
9 Voir les deux articles Paul Claudel, poète chrétien et Les Œuvres lyriques de Claudel" (1910) repris dans Études.
10 Les Chapelles littéraires, p. 66.
11 Corr. PC-JR, p. 146. Dans La Culture des Idées, qu'on réimprime justement en 1909, Gourmont se réfère à divers travaux de psychologues contemporains, citant notamment Ribot (L'Imagination créatrice, 1900) et le philosophe Eduard von Hartmann (Philosophie de l'inconscient, 1869). Voir notamment le chapitre intitulé "La création subconsciente".
12 CPC I, p. 104.
13 Une Heure avec..., p. 156.
14 Corr. PC-JR, p. 146.
15 in Appreciations.
16 Sur Pater, voir D. Millet-Gérard, Anima et la Sagesse, p. 739 sq ; et aussi Germain d'Hangest, Walter Pater.
17 "Villes", in Connaissance de l'Est.
18 Lasserre, lui, parle de son habitude "d'entremêler de la plus indiscernable façon les impressions les plus accidentellement individuelles et les idées les plus générales", op. cit. p. 26.
19 MI, 197.
20 MI, 154.
21 O.C., II, p. 113 ("Théophile Gautier") et p. 333 ("Études sur Poe").
22 Voir sur ce point ses observations sur l’emploi du raisonnement et du "ton raisonneur" dans la nouvelle ("Notes nouvelles sur E. Poe", in O. C., II, 329-330) - observations qui, selon C. Pichois, sont aussi valables pour le poème en prose.
23 MI. 195.
24 O. Po. xiii.
25 O. Po. 143.
26 in Connaissance de l'Est. Sur ces questions voir Le Défini et l’Inépuisable, p. 14 et suiv.
27 O. Pr. 509.
28 Positions…, O. Pr. 15.
29 O. Po. 61.
30 MI, 161.
31 O. Po. 174.
32 Positions..., O. Pr. 10.
33 Ibid., p. 9.
34 Il s'agit de Vigny, dans la préface des Poèmes antiques et modernes.
35 Selon Mallarmé, 1995, p. 385.
36 MI, 194-95.
37 Voir par exemple O. Po. 265 et 288.
38 O. Po. 268.
39 "Les Œuvres lyriques de Claudel", in Études, p. 103.
40 Bibliographie du recueil Divagations, in Mallarmé, O.C., p. 1576.
41 A. P., p. 143.
42 La Métaphore vive, p. 236-7.
43 O. Po. 412.
44 "Les Œuvres lyriques de Claudel", Etudes, p. 105.
45 Voir par exemple, in O. Po., l'Ode jubilaire, p. 686, Sainte Thérèse, p. 626.
46 O. Po. 620.
47 Variations sur un Sujet, O.C., p. 365.
48 Voir la lettre citée in Charles Morice : Du Sens religieux de la Poésie, p. 13.
49 Ibid., p. 368.
50 "Sainte Thérèse", O. Po. 626.
51 O. Po. 633.
52 O. Po. 441.
53 Voir La Muraille intérieure de Tokyo (651), Jacques Rivière (690-1), l'Ode jubilaire (689).
54 Du Sens figuré de l'Écriture, O. C., XXI, p. 50.
55 La page en question figure dans Positions..., O. Pr. 53. Sur le sommeil, voir la thèse de Pierre Brunei, volume V, p. 163, qui mentionne notamment la première tentative dramatique de Claudel : L'Endormie ; et aussi Espiau de la Maëstre : Le Rêve dans la Pensée et l'Œuvre de Claudel, Archives des Lettres Modernes, Minard, 1973.
56 Intégré dans Ossements, O. Pr. 969.
57 Corn PC-JR, p. 146.
58 O. Pr. 4.
59 Selon ce que suggère une note sarcastique des Positions, O Pr. 4.
60 P. Brunei dans sa thèse (op. cit. vol. V, p 105 sq.) signale à ce propos le rôle possible d'Emerson, dans les livres duquel Claudel a pu retrouver l'assimilation du poète et du prophète, également chère à Carlyle.
61 O. Po. 264.
62 O. Po. 345.
63 O. Po. 264.
64 O. Po. 275. Voir à ce sujet Anne Henry : Proust romancier, p. 32 et suiv., qui rapporte à l'influence de Schelling le succès du motif de l'inspiration dans la génération de Proust, et cite des textes de ce philosophe.
65 MI, 239.
66 O. Pr. 1395.
67 Ibid.
68 O. Pr. 848.
69 MI, 239.
70 Voir aussi Les Muses, où les lettres sont curieusement comparées à des clous : "O mon âme ! le poème n'est point fait de ces lettres que je plante comme des clous, mais du blanc qui reste sur le papier", O. Po. 224.
71 Le jeu de mots se trouve sous la plume de Claudel ("Quelques Réflexions sur l'Allemagne", O. Pr. 1383).
72 Positions..., O. Pr. 3.
73 Voir sur ce point G. Genette, L'Œuvre de l'Art, p. 31. L'hypothèse des singes dactylographes réécrivant par hasard un chef-d'œuvre de la littérature, voire l'ensemble des ouvrages de la Bibliothèque nationale, figure déjà dans le livre que le mathématicien Émile Borel à consacré au hasard (Le Hasard, Paris, Alcan, 1914). La thèse de Claudel est déjà formulée en J. I, 477 (printemps 1920) ; voir aussi "L'Automate créateur", O.C., XVIII, 323.
74 Michel Henry, à propos de Kandinsky, cité in Alain Bonfand : L'Expérience esthétique à l'épreuve de la Phénoménologie, p. 114.
75 Ibid., p. 10.
76 Fr. Varillon, dans sa préface au Journal, p. XLV. Point de vue opposé dans A. Espiau de la Maëstre, qui parle de "la théologie apophatique qu'il [Claudel] a constamment professée" (P.C. bibliste et ses prophètes, p. 69).
77 O. Po. 231.
78 "Le Fleuve", in Connaissance de l'Est. Voir un autre exemple dans le même recueil : "L'entrée d'Alexandre à Jérusalem est comparable à l'énormité de ma constatation" ("Le Promeneur").
79 La Musique et les Lettres, O.C., p. 648-9.
80 CPC I, 44. Voir le commentaire que donne de cette lettre D. Millet-Gérard dans sa thèse, p. 740 et suiv.
81 La Musique..., p. 647.
82 Ibid.
83 O. Po. 178.
84 O. Po. 251.
85 Les Muses, O. Po. 229-30.
86 O. Po. 280.
87 Ch. Morice : Du Sens religieux de la Poésie, p. 13. Morice écrit : "Dieu, c'est le mot propre. En réalité le mot propre n'existe pas - le mot propre c'est-à-dire le ternie quelconque qui correspondrait d'une manière adéquate avec l’idée que nous voulons exprimer". On peut du reste se souvenir que Lasserre, commentant le dialogue de Lala et Lambert dans La Ville ("Vous m'aimez / Soit ! Voilà l'étiquette mise") s'indignait en ces termes : "Le mot propre ! Une étiquette !" in Les Chapelles littéraires, p. 53.
88 Variations sur un Sujet, O.C., p. 364.
89 Voir "Idéogrammes occidentaux", in Positions..., O. Pr. 83, 88.
90 Art poétique, O. Po. 178.
91 Variations sur un Sujet, O.C., p. 368.
92 O. Pr. 66. Voir aussi L'Évangile d'Isaïe, O.C., XXIV, 293.
93 MI, 194.
94 Voir sur ce point D. Millet-Gérard, Anima et la Sagesse, p. 769 sq., qui invite à voir dans cet excès de confiance une marque de la Décadence.
95 Quatrième Ode, O. Po. 272.
96 Quatrième Ode, O. Po. 265.
97 Lettre à Pottecher du 26 février 1897, CPC I, p. 105.
98 Du Sens figuré de l'Écriture, op. cit. p. 41.
99 J. I, 738.
100 Lorsque Claudel, dans la lettre de 1927, parle du "mot complet", "le mot par excellence, qui est racine et clef" et qui "donne à notre esprit la parfaite intelligence" de la chose (O. Pr. 48), on songe naturellement au mot total de Mallarmé "neuf, étranger à la langue, et comme incantatoire" (O.C., p. 368) : on y songe d'autant plus que la même lettre, quelques lignes plus haut, a repris la distinction mallarméenne bien connue entre les deux états de la parole. Mais le rapprochement est problématique : le mot total mallarméen est l'autre nom du vers ; cette synonymie ne vaut pas pour le "mot complet" de Claudel (qui n'use pas, ou peu, du vers régulier). Il semble bien, en fait, que le "mot complet" ne diffère en rien de celui qu'on trouve dans le dictionnaire ; il reçoit son épithète pour autant qu'il signifie au lieu de désigner. En d'autres termes, c'est l'usage poétique du langage qui donne sa complétude au mot, asservi dans l'usage courant à l'utilité. "Ce sont les mots de tous les jours et ce ne sont pas les mêmes". Voir également sur cette lettre le commentaire de D. Millet-Gérard, Anima et la Sagesse, p. 769-770.
101 "Çà et là", in Connaissance de l'Est, O. Po. 86.
102 J. I, 699 (décembre 1925).
103 J. II, 429.
104 Fondateur de l'École biblique de Jérusalem en 1890, puis de la Revue biblique deux ans plus tard.
105 Du Sens figuré de l'Écriture, O.C., XXI, p. 48.
106 Cité dans Robert, art. "Figure".
107 Op. cit. p. 53.
108 Art poétique, O. Po. 132.
109 J. I, 699 (décembre 1925).
110 in "Le Poète et le Shamisen", O. Pr. 831.
111 Op. cit. p. 50 ; c’est Claudel qui souligne.
112 J. I, 699 (déc. 1925). Rappelons la note de Baudelaire (dans un texte qui ne fut publié qu'en 1938 par J. Crépet, "Puisque réalisme il y a") : "Ce monde-ci, dictionnaire hiéroglyphique" (O.C., II, p. 57).
113 Du Sens figuré..., op. cit. p. 49.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Michelet, à la recherche de l’identité de la France
De la fusion nationale au conflit des traditions
Aurélien Aramini
2013
Fantastique et événement
Étude comparée des œuvres de Jules Verne et Howard P. Lovercraft
Florent Montaclair
1997
L’inspiration scripturaire dans le théâtre et la poésie de Paul Claudel
Les œuvres de la maturité
Jacques Houriez
1998