9. Les ruptures de trajectoires familiales
Causes et conséquences au sein des TPE de l’Arc jurassien
p. 169-190
Texte intégral
1On entend par « rupture de trajectoire familiale » tout événement ou situation affectant provisoirement ou durablement une famille en modifiant irréversiblement les relations entre ses membres, conduisant ainsi à des modifications de « trajectoires », c’est-à-dire à une réorientation nécessaire des projets d’avenir. Ainsi, on intègre dans cette notion les accidents invalidants, les maladies chroniques et handicapantes, les décès prématurés, qu’ils soient accidentels, liés à la maladie ou au suicide, les désaccords et disputes importants conduisant à des ruptures de relations entre ascendants, descendants ou au sein de la fratrie et bien évidemment les divorces ou séparations de couples conduisant à des départs de la maison familiale, à une gestion négociée de la garde des enfants et/ou à des arbitrages parfois conflictuels sur le plan économique et patrimonial. Il s’agit donc d’un large panel de situations où se côtoient des événements graves et imprévisibles (accidentels) et des choix de vie lentement élaborés.
2Dans une entreprise de plus de 20 salariés, où chacun jouit d’un statut, d’un salaire, d’une protection sociale et d’une formation diplômée, les aléas de la vie de famille du patron n’ont, en principe, que peu d’impact sur l’entreprise car l’organisation du travail et les niveaux de compétences/expériences permettent, en principe, à cette dernière de fonctionner sans dépendre des compétences individuelles exclusives. Mais dans une très petite entreprise, lorsqu’il n’y a qu’un ou deux salariés ou, cas le plus fréquent, aucun salarié mais un apport de main-d’œuvre familiale, c’est toute la structure économique de l’entreprise qui repose sur la stabilité de la cellule familiale et la bonne santé de ses membres. Un accident invalidant ou une longue maladie peuvent être fatals aux très petites entreprises qui ne peuvent, du fait de la spécificité de leur activité, jouir d’un intérimaire ou d’un recrutement ponctuel. Une séparation au sein d’un couple ou une dispute entre deux frères associés ne laissent bien souvent aucun autre choix que d’interrompre l’activité, tant la compétitivité de l’entreprise repose sur la complémentarité des deux parties. Comment poursuivre après une rupture (un décès ou un divorce) qui fait partir un individu et avec lui tout un savoir-faire qui n’a pas eu le temps d’être transmis ?
3On l’aura compris, les ruptures de trajectoire familiale affectent très fortement, voire irréversiblement, les TPE ; alors même que ces dernières regroupent aujourd’hui plus de 90 % des établissements de l’Arc jurassien1. Pourtant, dans la majorité des études portant sur la gestion du risque en entreprise, la dimension familiale n’est que rarement considérée alors même que cette dernière est fortement présente dans les PME2 et que la transmission réussie de l’entreprise constitue un enjeu majeur3. Se focalisant sur les dimensions objectivables de l’entreprise – chiffre d’affaires, productivité, nombre de salariés, conjoncture économique, protection sociale, aide de l’État, etc. – les études portant sur les TPE ne mesurent que rarement l’importance que représente le réseau familial dans la santé économique de l’entreprise4. Ainsi, ces études ne considèrent jamais les ruptures familiales comme des facteurs de risque économique alors même que, bien souvent, dans les TPE, une part non négligeable de la force de travail est fournie par des membres de la famille (pas toujours rémunérés) et que, donc, la plus ou moins grande fragilité de la cellule familiale peut devenir un facteur de risque économique.
4Négligés par les analyses macroéconomiques, les risques inhérents aux ruptures de trajectoire familiale le sont bien souvent aussi par celles et ceux qui élaborent en famille un projet professionnel. En effet, quand on interroge les petits entrepreneurs sur les conséquences pour eux d’une éventuelle rupture de trajectoire familiale, ils/elles répondent souvent, tout simplement : « Oh, on évite de trop y penser ! » C’est donc bien un des enjeux de cette recherche-action que de parvenir à mettre en évidence, aux yeux de ceux qui sont censés prévenir les risques comme aux yeux de ceux qui sont en attente de conseil, l’importance de comprendre (et de réfléchir sur) ce qu’implique (ou peut impliquer), pour chacun(e), l’organisation familiale du travail.
I. Méthode et échantillonnage
5Cet article s’inscrit dans une recherche en cours, basée sur la réalisation d’une série d’entretiens qualitatifs, en Franche-Comté et en Suisse romande5, menés au sein des très petites entreprises (TPE) des communes rurales. Les entretiens ont été réalisés, selon les cas, avec des entrepreneur(e) s seul(e) s ou en présence de leurs conjoint(e) s et/ou collaborateur(e) s/associé(e) s. Se laissant guider par les situations rencontrées, au hasard d’un corpus progressivement recadré, les chercheurs se sont montrés attentifs à travailler sur des situations chaque fois singulières, sans se limiter à un certain type de ruptures ou se recentrer sur certains corps de métier. Dans une démarche itérative fondée sur les rencontres, les opportunités, les conseils et l’interconnaissance, les enquêteurs ont ainsi pu documenter des histoires de vie, certes diverses, mais où le métissage extrêmement complexe entre le travail et la famille, souvent présent depuis plusieurs générations d’entrepreneur(e) s, constituait le socle même à partir duquel l’entreprise familiale pouvait espérer s’inscrire dans la durée.
6Le canevas d’entretien utilisé était centré sur les statuts au sein de l’entreprise, l’organisation du travail et la répartition des tâches, la gestion des espaces et la gestion du temps, la participation des membres de la famille élargie à l’économie de l’entreprise, la gestion (effective ou prévue) de la transmission patrimoniale. En arrière-plan, tous ces domaines qui permettent de mieux caractériser les petites entreprises familiales (cf. l’article de Maylis Sposito dans le présent ouvrage), sont traversés par deux dimensions au centre de cette enquête : la gestion genrée des tâches productives et reproductives et les ruptures de trajectoire familiale. En effet, une attention toute particulière fut consacrée à la répartition des rôles entre les hommes et les femmes, du fait justement que l’entreprise familiale implique très fréquemment le couple, les enfants, les parents et/ou les frères et sœurs. Dans les entreprises rencontrées, en particulier lorsqu’il s’agit d’une entreprise familiale depuis plusieurs générations, la répartition des rôles semble bien souvent renvoyer à des représentations de la masculinité et de la féminité attribuant plutôt aux hommes les tâches productives (physique) et de responsabilité et aux femmes les tâches plus minutieuses, de présentation et de valorisation des produits, de gestion administrative de l’entreprise et d’entretien des locaux ; en supplément généralement d’une prise en charge par les femmes des tâches reproductives : préparation des repas, entretien de la maison, éducation des enfants (Brousse, 1999). On peut, sans peine, caractériser les petites entreprises familiales par leur manière particulière de mobiliser un important réseau d’entraide au sein de la famille élargie pour permettre à l’entreprise de conserver une certaine rentabilité tout en demeurant un lieu où le travail et la vie de famille se superposent constamment. Ce modèle fait ainsi de l’entreprise familiale un patrimoine commun et sécurisant car si, bien souvent, un seul des enfants hérite de l’entreprise, tous ceux qui continuent d’œuvrer bénévolement pour la bonne santé financière de l’entreprise familiale peuvent bénéficier d’un grand nombre d’avantages (logement gratuit, lieu de repli, denrée, soutien financier, etc.). Or c’est justement quand survient une rupture de trajectoire familiale que ce fragile équilibre se trouve menacé, soit parce qu’un des membres de l’entreprise n’est plus en mesure, physiquement, de jouer son rôle et doit être remplacé par une personne extérieure à la famille, soit parce qu’une ou plusieurs personnes de la famille élargie remettent en cause la logique patrimoniale et exigent un partage plus égalitaire des biens. L’enquête se focalise donc sur l’entretien biographique et tente de rendre compte de l’implication des logiques patrimoniales pour celles et ceux qui se trouvent, parfois brusquement, en situation de rupture.
II. Des histoires de rupture
7L’ensemble des personnes interviewées dans le cadre de cette enquête n’est pas directement concerné par des situations de rupture de trajectoire familiale. En Franche-Comté comme en Suisse voisine, nous avons eu l’occasion de rencontrer des petits entrepreneurs – agriculteurs, artisans, commerçants – qui n’ont pour un certain nombre d’entre eux encore jamais connu de situation accidentelle ou de séparation venant perturber la vie de leur petite entreprise. Chez Joël, un boucher de 61 ans du canton du Jura ou chez Julie (44 ans), patronne d’un café-restaurant de Haute-Saône, la situation familiale nous est présentée comme particulièrement stable. Julie, qui a repris une affaire familiale, travaille avec son conjoint, qui a d’abord aidé bénévolement sa compagne après son travail à l’usine avant d’être embauché par cette dernière. Même si Julie a perdu ses parents récemment et doit donc poursuivre son activité sans leur aide, il s’agit là d’une situation ordinaire qui ne semble pas perturber le mode d’organisation de cette petite entreprise. Joël, qui a perdu son père il y a déjà quelques années, peut compter sur son épouse qui s’est investie à plein-temps (sans statut) dans l’entreprise (magasin), sur sa mère qui, malgré son grand âge, travaille chaque jour à la boucherie et sur ses frères et sœurs qui viennent régulièrement l’aider chaque fois que la situation l’exige. Si cette logique d’entraide familiale est un bienfait pour l’entreprise, elle est ici envisagée comme un supplément dont on pourrait éventuellement se passer (mais qui exigerait alors sans aucun doute un surplus de temps de travail pour l’entrepreneur doublé d’une perte économique non négligeable).
Joël : « C’est la difficulté d’une entreprise comme la nôtre, si quelqu’un tombe invalide ou malade, une longue période, c’est très difficile de trouver un remplaçant donc ici, on aurait la chance qu’il y aurait le frangin mais si ma femme tombe malade ou comme ça, je serais obligé de faire la partie vente, magasin et garder le frangin pour qu’il fasse derrière mais c’est vrai que c’est un problème »6.
8Sans s’étendre ici sur la situation de petits entrepreneurs comme Joël ou Julie, on notera cependant qu’il s’agit, pour leur cas, de situations « classiques » ou « ordinaires », c’est-à-dire d’entreprises familiales qui, tout en ayant évolué avec le temps, sont demeurées plus ou moins proches du modèle d’organisation du travail (et de répartition genrée des tâches) privilégié par la génération précédente dont ils ont hérité.
9Les situations sont nettement plus complexes à analyser lorsque survient la rupture de trajectoire familiale. Jean (46 ans), fromager dans le Jura bernois, est aujourd’hui à la tête d’une petite entreprise déjà solide et vient récemment d’investir de grosses sommes pour se développer (diversification de la production et développement du circuit de diffusion). Or, si on retrace son histoire, on découvre qu’il s’était destiné à reprendre la fromagerie familiale dans un autre village, mais que c’est la rupture (désaccord sur la reprise et dispute) avec son père qui l’a conduit à changer ses plans, à investir ses propres économies et à donner ainsi à sa carrière professionnelle une toute nouvelle orientation. Jeanne, 26 ans, salariée agricole dans le GAEC7 de son mari et du cousin de ce dernier, raconte les tensions qu’elle et son mari ont vécues récemment au sein de la société. Mésentente, refus de donner à Jeanne un statut dans le GAEC, difficultés économiques, etc., ont ainsi eu raison du groupement et le couple se préparait, au moment de l’entretien, à quitter l’entreprise pour refonder en 2015 un GAEC en couple sur l’exploitation des parents de Jeanne, bientôt à la retraite. Sabine (44 ans), aujourd’hui infirmière dans le canton de Vaud, tenait un café-restaurant en France il y a quelques années. Ayant tout quitté pour permettre à son mari d’accomplir son rêve, Sabine s’est vite retrouvée sans statut à œuvrer du matin au soir pour faire (sur) vivre avec son époux un café-restaurant de campagne où la présence envahissante de quelques « piliers de bars » perturbait de plus en plus l’intimité familiale. Inquiète pour ses jeunes enfants qui grandissaient dans cette ambiance et soucieuse de retrouver avec son mari une vie de couple plus intime, Sabine choisira la menace de la rupture et sommera son mari de changer de profession, afin de ne pas mettre leur couple en péril. Martine, 59 ans, assistante sociale à temps partiel, gérait la partie administrative et comptable de l’entreprise de menuiserie (Haute-Saône) de son mari (aujourd’hui fermée après dépôt de bilan). Elle a vécu avec son mari et leur associé des temps difficiles sur le plan économique, alors même que son mari avait créé cette entreprise suite à son propre licenciement d’une entreprise de menuiserie. La faillite de ce projet personnel et les conséquences économiques de cette situation (notamment l’absence de droit au chômage et à toute forme d’indemnité) auront fortement ébranlé l’équilibre familial, l’époux de Martine ayant successivement envisagé le divorce et le suicide. Marc, un boulanger de 51 ans du Jura Bernois, est divorcé depuis 2010. Pour lui, qui a grandi dans l’ambiance d’une boulangerie familiale où toutes les générations participaient à la vie de l’entreprise, c’est son épouse qui n’a pas su comprendre cette logique familiale et qui, ne sachant pas trouver sa place dans l’économie de l’entreprise, s’en est elle-même progressivement exclue pour, finalement, demander le divorce pour refaire sa vie. Dans ce cas, les conséquences de cette rupture sont peu perceptibles au niveau de l’entreprise et de ceux qui en dépendent. Marc, ses parents (retraités « actifs »), son beau-frère (salarié de l’entreprise) et sa sœur (qui « donne des coups de main ») n’ont pas vu leur capital économique s’affaiblir avec le divorce de Marc. L’épouse de ce dernier, par contre, sans emploi et sans formation reconnue en Suisse8, se retrouve dès lors dans une situation de totale dépendance vis-à-vis de Marc qui l’aide à payer le loyer de l’appartement dans lequel elle élève leurs enfants. Charles (55 ans), entrepreneur de travaux forestiers dans le Jura français, est divorcé depuis 2011. Or la situation économique de l’entreprise était particulièrement fragile depuis 2009. Cette séparation et le partage des biens qui en a découlé ont fortement affecté Charles (tentative de suicide). Grâce à l’aide de sa famille (soutien financier, participation occasionnelle à l’activité), il a pu progressivement rétablir la situation économique de son entreprise même si cette dernière demeure encore aujourd’hui dans une situation particulièrement précaire.
10Nous venons d’évoquer six cas présentant des ruptures de trajectoire familiale. Trois d’entre eux nous sont racontés par des hommes (Jean, Marc et Charles) et trois par des femmes (Jeanne, Sabine, Martine). Deux d’entre elles, néanmoins, sont des conjointes de chef d’entreprise sans statut malgré leur participation régulière à l’économie de l’entreprise, en plus de la gestion souvent exclusive des tâches dites reproductives (ménage, repas, enfants). Les ruptures de trajectoires familiales (effectives ou envisagées), se présentent soit comme des conséquences du rythme de vie et des soucis qu’induit une petite entreprise (comme Sabine, Martine ou Marc), soit comme des événements (causes) inattendus qui auront alors des répercussions sur l’entreprise elle-même (comme Jeanne, Charles ou Jean). Ces situations mettent donc en évidence deux dimensions centrales pour traiter des ruptures de trajectoire familiale dans les TPE.
III. Les ruptures de trajectoire familiale, causes et conséquences
11La première dimension – la confusion des espaces-temps – renvoie à ce thème maintes fois évoqué par nos informateurs d’un entremêlement indémêlable du travail et de la famille, situations tantôt plaisantes et recherchées, tantôt pesantes et conflictuelles. Cette première dimension pose ainsi la question des ruptures de trajectoire familiale comme conséquence possible du mode d’organisation même des petites entreprises familiales. La seconde dimension – les ruptures réorientatrices – pose la question de la fragilité des TPE face à toute modification importante du réseau familial sur lequel leur économie repose. Lorsqu’une petite entreprise maintient son niveau de rentabilité grâce à la mobilisation, parfois très importante, d’une main-d’œuvre familiale bénévole, tout événement susceptible de fragiliser les liens familiaux peut se répercuter sur l’entreprise de manière irréversible et, parfois, la condamner. Dans ce cas, donc, les ruptures de trajectoire familiale peuvent être envisagées comme des événements – des causes – pouvant avoir d’importantes conséquences sur l’avenir de l’entreprise familiale.
1. La confusion des espaces-temps
12Dans de nombreux cas du corpus de l’enquête, le foyer et l’entreprise sont juxtaposés, voire même en partie confondus. Chez Marc (boulanger), par exemple, tout comme chez Joël (boucher), l’entreprise est au rez-de-chaussée d’une habitation qui regroupe plusieurs logements occupés par des membres de la famille élargie. Ce fut la même chose pour Sabine pour qui, à l’époque, la maison familiale et le restaurant ne faisaient plus qu’un. Cette manière de vivre dans l’entreprise (ou de travailler chez soi) était la plupart du temps déjà adoptée par la génération précédente. Elle permettrait, pour un grand nombre de nos interlocuteurs, une gestion plus souple du temps et surtout une complémentarité des tâches productives et reproductives, utile en particulier pour l’éducation des enfants, la préparation des repas, etc.9 L’existence d’un bâtiment qui assume à la fois le statut d’entreprise et de « maison familiale » favorise donc l’imbrication des tâches productives et reproductives. Il en est ainsi, par exemple, d’une coiffeuse de notre corpus qui a installé son salon de coiffure dans une pièce attenante à son habitation (communiquant par une simple porte avec le reste de l’habitation). Cette dernière insiste justement sur les possibilités que cela lui apporte de pouvoir brièvement, entre deux clients(es), franchir la porte pour vérifier que tout se passe bien avec la personne qui garde ses enfants10. Bien évidemment, cette juxtaposition (voire cette confusion) de l’espace de travail et de l’espace de vie peut varier selon les corps de métier. Elle est plus présente chez les agriculteurs, dans les cafés-restaurants ou les commerces de proximité que chez les ébénistes, les garagistes ou les petits entrepreneurs du bâtiment11. Néanmoins, même au sein des TPE qui se caractérisent par un travail essentiellement extérieur avec déplacement, une partie non négligeable de l’activité est effectuée au domicile (en particulier la partie administrative et comptable de l’activité)12. Et c’est là encore ce mélange des espaces qui, tantôt poserait problème, tantôt faciliterait l’« harmonie » du foyer.
Jean : « C’est une immense merde, c’est là que je voulais en venir. Là vous avez du bol, on est mardi après midi et la boutique est fermée et c’est le seul après-midi de la semaine, à part le dimanche, où il y a pas d’activité. Autrement les activités commencent à la maison à 5h15, moi j’ai la chambre à coucher dessus donc… les gamins dorment aussi dessus. 5h15. Y a un arrêt si tout va bien entre une heure et deux et après ça finit à 7h30 le soir. […] Entre le magasin, préparer la marchandise, récolter le lait, les paysans qui viennent… Bon l’avantage c’est que je peux me lever 5 minutes avant d’aller sur la place de travail et pis je saute en bas du lit, pis je suis au travail. Mais par contre, avec les activités, avec tout ce mouvement, on sait exactement où on en est avec les processus et quand ça joue pas, on saute aussi direct pour aller voir ce qu’il y a. C’est un des avantages mais autrement on est pas toujours tranquille, dans la maison y a des vibrations, du bruit, […] ».
Jean : « […] par contre, ce que je ne regrette pas, et c’est pour ça que c’est pas toute la vérité de dire que j’ai pas vu grandir les gamins, j’ai un avantage… inestimable et impayable, c’est de pouvoir bosser dans la boite et de ce fait, chaque fois que les gamins sortent ou rentrent on [Jean et son épouse] est là, et y a pas le départ du père le matin à 5 ou 6 heures quand tout le monde est encore couché ou juste en train de se lever et puis il revient une fois que tout le monde est… endormi parce qu’il a encore X kilomètres à faire pour revenir de son travail. Donc l’un dans l’autre, j’ose dire que ça me va bien ».
13Ce type de double affirmation (ici deux extraits de l’interview de Jean) est récurrent. Cela témoigne de la difficulté pour les personnes interviewées de qualifier clairement cette dimension qui est au cœur de la vie des petits artisans. Le fait de « ne pas compter ses heures » ou d’être « toujours au travail » est souvent évoqué comme l’un des aspects les plus difficile de la vie de l’entrepreneur(e)13. L’improbabilité même de pouvoir songer à prendre des vacances et le fait d’être toujours, du matin au soir, les week-ends ou les jours fériés, contraint de travailler pour assurer les délais sont des plaintes qui vont de paire avec leur insistance pour s’affirmer comme plus autonomes, plus souples dans leur organisation, plus libres de faire les choix qui leur paraissent les plus appropriés pour leur foyer.
Jeanne : « Donc pour prendre l’exemple de l’hiver, je me lève à 6h donc Clément est encore au lit. Il dort jusqu’à 8h15 donc ça me permet de faire le boulot, ça me laisse suffisamment de temps au boulot. Je descends avec le baby phone, donc effectivement on est pas loin de la ferme donc ça capte, donc c’est ça l’intérêt c’est de ne pas le réveiller à 6h pour l’emmener chez une nounou et pis pas le voir avant 7h le soir quoi. […] Tout ça pour dire qu’on trouve ça important d’avoir la ferme à côté de la maison parce que… ben, pour qu’il puisse rester au lit du temps qu’on fait le boulot ».
14Il existe donc bien une tension constitutive du fonctionnement même des petites entreprises familiales, en lien avec cet entremêlement caractéristique des espaces et des temps. Si, comme le dit Julie, cette articulation « se fait naturellement », la variation incontrôlable des temps dits « de travail » et la confusion des espaces affectent fortement le quotidien, au point que certains de nos informateurs finissent par ressentir une impression d’isolement ou de désocialisation.
Roberte : « L’autre jour j’ai été me promener dans la montagne quand j’ai fermé ici, et je me disais : ’Mon Dieu, j’ai oublié tout ça ! Moi qui aime la nature et tout, mais je fais plus rien’ ».
Giulia : « [L] a question est que nous sommes en train de nous déshumaniser. Je ne vois pas de perspective saine. C’est-à-dire, une chose pareille t’amène à la folie. Tu commences à travailler en février… [elle marque une petite pause, puis reprend lentement]. Tu commences à travailler en février, jusqu’à décembre, sans une heure de libre. Cela signifie qu’on [elle et son mari] ne cause plus de rien ».
Julie : « C’est une vie à part j’ai l’impression, par rapport à la vie de famille, rien que la vie de famille, on est invité quelque part, on est toujours en retard parce qu’il y avait du monde, parce que… on ne peut pas aller à tel endroit parce que c’est un peu loin et puis il faut que le bar tourne et puis… il y a des choses de la vie où l’on a perdu un peu de famille à cause de ça, parce qu’on ne se fait plus inviter parce qu’on est toujours en retard, on arrive trop tard ou on ne peut pas y aller, on a l’impression qu’on est que nous avec notre fille… C’est ça le problème ».
15Ainsi, quand cette intrusion est devenue trop fréquente, quand l’immersion du travail au sein de la famille (et inversement) est dès lors partie prenante des moindres espaces-temps du quotidien, se pose alors la question du seuil de tolérance des membres du foyer. Les entretiens font en effet apparaître à quel point cette question est affaire de discernement, de sensibilité ou de priorité14. Dans certaines situations, cette contrainte semble avoir été acceptée par tous. C’est le cas de Francine et Hugo, un couple d’artisans d’art qui, récemment, a choisi de vivre dans une caravane stationnée sur le parking de leur entreprise, pour réduire leur niveau de vie, diminuer les trajets et s’habituer ainsi à vivre dans leur atelier. Mais chez Sabine, qui tenait un café-restaurant avec son mari, cette superposition des lieux et des temps était devenue insupportable pour elle (et ses enfants), alors même que son mari continuait de vivre cette situation comme partie prenante (ordinaire) de son activité.
Sabine : « J’me souviens toujours de Charlotte [sa fille], c’est un peu ça qu’a poussé mon mari a arrêter, c’est que le soir on mangeait toujours avec lui devant, alors qu’il y avait les clients si tu veux. Au café directement, pour pas le laisser et c’est vrai que t’avais les clients qui s’asseyaient à table et t’avais Charlotte qui disait : ’J’en peux plus, j’en ai marre, pourquoi ils viennent toujours regarder ce qu’il y a dans mon assiette. Ils puent l’alcool, j’en ai marre !’ Donc c’est vrai que là… tu te poses des questions, tu réfléchis, tu te dis : ’C’est vrai, une famille avec un travail et une vie professionnelle plus adéquate, et ben ils mangent tranquilles chez eux, personne vient les enquiquiner’. Toutes les deux minutes : ’Viens mettre une tournée ! Fais ci, fais ça !’ […] ».
Enquêteur : À cette période, ton mari et toi aviez la même manière de percevoir ces difficultés pour les enfants de vivre au café ?
Sabine : « Non, pas la même. Pas du tout la même. Moi, c’est beaucoup plus la maman qui pense au bien-être de ses enfants pis qui se dit : ’Oui, c’est vrai, c’est un peu barbant !’. Et lui, plutôt le professionnel : ’Elles ont qu’a s’habituer !’ […] Y a toujours eu un décalage. Quand on en discutait il me disait toujours : ’T’as qu’à manger derrière avec les filles et moi je mange pas’. Et moi : ’Nan, la vie de famille… Faut essayer de trouver le juste milieu !’. Donc c’est vrai qu’y avait un décalage sur ça. […] Tant qu’on était que les deux, tu te posais pas de question mais après quand t’as des enfants, ça s’ajoute à ta vie de famille, faut tout réadapter, tout réajuster et c’est assez difficile ».
16La confusion des espaces-temps – si elle peut parfois être valorisée et même recherchée par certains artisans passionnés15 – demeure donc l’un des principaux sujets de tension, en particulier quand naissent les premiers enfants et que, du même coup, les tâches domestiques s’accentuent. Ce sont en effet principalement les femmes de notre corpus qui abordent fréquemment ce thème de la pesanteur du travail sur le quotidien, en raison bien évidemment du fait que, dans la majorité des situations rencontrées, les tâches reproductives semblent revenir « naturellement » aux femmes alors même que ces dernières demeurent plus souvent que les hommes fortement impliquées dans l’entreprise sans y avoir de statut officiel (Amiotte-Suchet et Poretti, 2014). Tout se passe ainsi comme si la confusion des espaces-temps, de même que la mobilisation de la main-d’œuvre familiale, constituaient des pratiques essentielles (voire inévitables) à la stabilité économique des petites entreprises familiales. Très souvent héritées des générations précédentes, ces pratiques sont d’abord perçues comme les principaux ingrédients d’une gestion harmonieuse de la vie de famille et de l’activité professionnelle. Ainsi, certains informateurs mobilisent fréquemment le récit de leur propre enfance pour défendre ce modèle d’organisation en insistant sur les bienfaits de ces confusions.
Marc : « […] parce que moi, en tant que gamin, j’ai jamais ressenti ça avec mes parents […]. Ils étaient tout le temps disponibles, j’avais tout le temps mon père à la maison. Je rentrais de l’école, mon père était là. On venait, quand il avait fini là, je me rappelle, on tirait la table et on faisait du ping-pong sur la table de boulangerie. On a toujours joué avec les gamins, mes copains ils venaient on jouait à la boulangerie. On courait autour de la table, on faisait du foot là, ou l’hiver on avait une table de ping-pong là. Moi j’ai toujours vécu là avec mes parents, j’ai jamais attendu le soir que mon père rentre du boulot. Et pis, c’est un peu comme ça que j’imaginais ma vie de famille. Et c’est aussi un peu comme ça que ça s’est passé, parce que mes gamins ils étaient aussi toujours là, ils ont grandi là, et c’est encore comme ça, même s’ils habitent une bonne partie du temps chez leur maman, elles viennent avec les copines. […] Donc mes parents travaillent beaucoup, énormément, mais ils étaient tout le temps là, j’étais tout le temps avec mes parents. On descendait et avant d’aller à l’école, on déjeunait sur la table avec les employés ».
17Or, c’est pourtant bien cette confusion, ici décrite par Marc comme sereine harmonie, qui fut à l’origine, selon lui, de son divorce. C’est bien cette confusion que Sabine, citée plus haut, a progressivement ressentie comme invivable. C’est aussi cette confusion que la fille de Francine et Hugo, venu s’investir dans l’entreprise familiale, ne pouvait « plus supporter ». Et c’est toujours de cette confusion dont nous parlent Jeanne, Giulia, Julie pour nous interpeller sur le fait que, si certaines adaptations (ou arrangements) sont sans aucun doute nécessaires pour faire vivre une petite entreprise familiale, l’augmentation en parallèle des tâches reproductives (notamment avec l’arrivée des enfants en bas âge) peut vite devenir difficile à gérer pour les femmes.
Sabine : « Très hard [rires] ! Je sais pas comment j’ai tenu, franchement, quand j’y repense, c’était hard ».
Enquêteur : « Oui, c’est tout à fait mon questionnement de comprendre comment on fait vivre une petite entreprise familiale en milieu rural ».
Sabine : « Comment tu fais tourner une entreprise quand t’as un bébé ? C’est que quand c’est l’heure du biberon elle se retrouve sur la table en plein service du midi, tu lui donnes un coup son biberon, tu vas servir les gens, elle a lâché son biberon, tu lui redonnes son biberon… ».
Enquêteur : « T’as vécu ça ? ».
Sabine : « Ouais, on a vécu ça. C’était réglé, t’étais sûr qu’au moment du plat du jour, t’avais le biberon. T’es obligé de t’adapter ».
18Et quand le seuil d’« insupportabilité » est déjà largement atteint, si la situation économique de l’entreprise ne vient pas compenser ces « sacrifices », les tensions entre les personnes impliquées tendent à s’accentuer, sur fond de sentiment d’injustice ou d’inégalité.
Jeanne : « Pis y a aussi que c’est très familial le GAEC là. Donc au fil des jours ça s’est envenimé. Faut dire qu’on passe jour et nuit ensemble, parce qu’il y a deux frères, donc mon beau-frère et son frère et Mathieu c’est le cousin quoi. […] C’est tout des petites choses comme ça qui font que oui certes dans un GAEC quand c’est familial, il faut que les choses soit clairement définit et que les choses soit égales pour toutes quoi. Ça là-dessus… et ici c’est pas du tout le cas et c’est ça qui nous fait fuir aussi quoi ».
19Ainsi donc, la confusion des espaces-temps est tout aussi indispensable que potentiellement conflictuelle. Elle est donc pour les TPE tout autant une force qu’une faiblesse. Elle limite le recours à des tiers (notamment pour la garde des enfants), facilite la fluidité entre tâches productives et tâches reproductives, permet de contrôler en permanence ce qui se passe dans l’entreprise et ce qui se passe au foyer et accroît le temps de vie commune. Mais tous ces avantages, en particulier s’ils ne suffisent pas à garantir une sécurité économique pour l’ensemble du foyer, se transforment vite en contraintes étouffantes pour ceux et celles qui doivent assumer un rôle important au sein des deux sphères (professionnelle et domestique) sans toujours bénéficier d’une véritable contrepartie (ou reconnaissance) pour leur implication (en particulier les femmes).
2. Les ruptures réorientatrices
20Il paraît clair que les petits entrepreneurs en milieu rural, pour diverses raisons sans aucun doute, ne sont pas toujours les plus attachés à protéger leur foyer des risques économiques inhérents à une entreprise et, inversement, à protéger leur entreprise des risques sociaux inhérents à la vie de famille. Fréquemment, durant nos entretiens, les personnes interviewées semblaient peu informées des particularités de chacune des formes juridiques d’entreprise. Dans plusieurs situations, le statut d’entreprise individuelle, plutôt qu’un choix délibéré, semblât s’inscrire dans la continuité d’une reprise familiale. De même, le choix d’un régime matrimonial ne semblait pas toujours avoir été l’objet d’une réflexion quant à sa compatibilité avec les risques d’une petite entreprise individuelle. En effet, dans notre corpus, ils sont encore nombreux à avoir opté pour les avantages fiscaux et l’autonomie de l’entreprise individuelle sans avoir jugé utile de repenser un régime matrimonial par défaut qui fait peser les risques économiques de l’entreprise sur l’ensemble du couple. Pourtant, le statut de société est accessible sous plusieurs formes (SARL, EURL, SAS) et peut permettre, en lien avec un régime matrimonial de séparation de biens, de préserver le foyer des risques inhérents à la vie d’une petite entreprise (faillite, accident, etc.). Il est ici difficile de généraliser à l’ensemble du corpus. Ces informations doivent être croisées avec d’autres paramètres comme le genre et l’âge de l’entrepreneur(e), son corps de métier, son niveau de formation, la date de création de l’entreprise, la chronologie entre création de l’entreprise et mise en ménage, la présence d’enfants au sein du couple, le statut d’héritier, la conjoncture économique au moment de la création de l’entreprise, etc.
21Quoi qu’il en soit, les ruptures de trajectoire familiale fragilisent souvent fortement les TPE pour, dans certains cas, ne laisser d’autre choix que d’interrompre l’activité (ce qui en retour fragilise la famille). Cette dimension est perceptible chez Sabine, puisque cette dernière, menaçant son mari de le quitter, contraint en quelque sorte ce dernier à vendre le café-restaurant. Ainsi, le couple est préservé, mais la vente de l’entreprise ne suffira guère à combler les sommes importantes investies par le couple durant plusieurs années pour ouvrir ce café16. Si Sabine et son mari ont changé de vie et déclarent avoir retrouvé aujourd’hui un rythme plus adapté à la vie de famille, ils ont aussi énormément perdu sur le plan économique, outre un sentiment d’échec qui semble encore saillant aujourd’hui. Dans le cas de Jeanne, les désaccords (puis les conflits) qu’elle et son mari auront avec le cousin de son mari et la sœur de Jeanne au sein du GAEC seront irréversibles. Jeanne, qui avait au départ renoncé à hériter de la ferme de ses parents pour suivre son mari dans ce GAEC, se retrouve donc contrainte de réinvestir un nouveau projet. Chez Charles, entrepreneur forestier, ce sont les difficultés financières liées à son divorce qui auront raison de son patrimoine. D’abord contraint de vendre sa maison puis de louer un mobile-home, Charles devra solliciter l’aide de ses parents et celle de son oncle pour ne pas devoir remettre son entreprise (mais cette dernière demeure encore aujourd’hui dans une situation très précaire).
22Ainsi, ceux et celles qui ont traversé des situations de ruptures de trajectoire familiale ont dû, pour la plupart, réorienter leurs projets professionnels. Jean, pourtant à la tête d’une fromagerie en bonne santé financière, n’échappe pas à la règle. Le conflit qui l’opposa, plus jeune, à son père, le poussa à réenvisager ses projets pour emprunter sa mise de départ et lancer sa propre affaire (donc sans apport familial). Il est bien évidemment impossible de prédire ce qu’aurait dû être l’avenir de Jean, mais il semble bien que cette rupture, dans son histoire, ait joué le rôle de déclencheur d’un projet individuel chez un homme qui se prédestinait à reprendre une affaire familiale.
23Tout semble en somme être question d’équilibre. Dans ces histoires de transmission d’entreprise familiale, des rôles sont très tôt assignés, pour les uns et les autres, les hommes et les femmes, les maris et les épouses, les parents et les enfants. La socialisation des jeunes qui « baignent » dans l’ambiance de l’entreprise familiale dès leur plus jeune âge est une assignation de rôles (et de genre), de compétences, de droits et de devoirs. Elle fonctionne sur des logiques de mimétisme et d’identification croisée (Zarca, 1988). Elle génère des espoirs, des envies, des attentes… mais aussi des déceptions, des regrets, des conflits. Alors, quand survient un événement qui ne permet plus à ce qui avait été « prévu » de s’accomplir, qu’il s’agisse d’une dispute, d’un divorce, d’un accident ou d’un décès prématuré, les rôles doivent être redistribués. Lorsque survient l’imprévu, l’univers des possibles s’entrouvre (Bensa et Fassin, 2002)17. Jean n’avait jamais pensé à acheter sa propre fromagerie. La rupture avec son père semble ainsi lui offrir l’occasion d’être un autre.
Jean : « Donc en 95, quand ça a été mis en soumission ici […]. Il [son père] avait déjà une porcherie, donc il engraissait en parallèle de la production fromagère des porcs et je lui avais dit : ’Écoute, toi tu t’occupes des porcs et moi de la fromagerie et on règle ça comme ça !’. Parce que j’aurais développé la fromagerie, j’avais déjà mes idées. Et il voulait rien savoir, donc j’ai commencé à soumissionner pour partir de la maison ».
Enquêteur : « Pourquoi il voulait rien savoir ? »
Jean : « Il était pas prêt, parce que lui comme moi, et c’est pour ça que j’ai commencé avec rien, mais lui encore avec moins, il a tout créé et fait lui-même, de ses propres forces, et pour finir ça devient un peu un défi, pour moi c’était devenu un défi. Pour pouvoir avoir le nom… Ne pas dire que j’étais devenu une flemme ou un parvenu. […] Il voulait pas arrêter, parce qu’il était pas prêt. […] Mais moi à 55 faudra aussi que je regarde pour remettre. Et le jour où il a eu 65, moi j’ai repris la fromagerie en bas, de par les paysans, et lui voulait toujours pas arrêter. […] Pour répondre, le développement s’est fait complètement en parallèle parce que jusqu’en 2006, j’étais complètement déconnecté de mes parents, de la fromagerie de XXX. J’avais rien à voir, j’avais juste mes parents là, pis ils étaient fromagers comme mon collègue du village d’à côté et ça s’arrête là. Donc c’était ça quoi ».
24Jeanne, salariée agricole à temps partiel, avait renoncé à revendiquer un statut de coexploitant au sein du GAEC. Le conflit entre son mari et son cousin va lui donner l’occasion, avec son mari, de créer un GAEC dans lequel elle espère avoir cette fois-ci sa place en tant que cheffe d’entreprise. Dans ces situations, la rupture de trajectoire est réorientatrice, refondatrice de projet (sans pour autant remettre ici en cause le modèle d’organisation familial du travail).
25Mais il en est tout autrement pour d’autres, comme Charles par exemple, pour qui la rupture familiale est synonyme d’appauvrissement économique, de fragilisation de l’entreprise et de dépression personnelle. Reste à savoir pour qui les ruptures de trajectoires familiales sont les plus fragilisantes. Pour les entrepreneurs ou pour ceux (ou plus souvent celles) qui vivent à leur côté sans statut de salarié tout en ayant investi leur temps (et parfois leurs économies) dans l’entreprise ? Les entretiens qui nous permettent d’entrevoir des ruptures de trajectoire familiale ne permettent pas aisément d’entendre les deux parties pour pouvoir saisir l’ensemble des éléments à prendre en considération. Dans le cas de Marc, dont l’ex-épouse est d’origine étrangère et n’a pas de diplômes reconnus pour intégrer le marché du travail, on imagine aisément ce que peuvent être les conséquences de la rupture. Mais dans son cas, comme dans d’autres, nous n’avons que quelques bribes pour saisir toute la complexité d’une situation qui évolue dans le temps et peut fortement varier en fonction d’un large panel de paramètres comme l’âge des enfants (degré d’autonomie), les statuts au sein de l’entreprise, le niveau de formation, la situation économique de l’entreprise, etc., et surtout la situation de chacun vis-à-vis de l’héritage.
Conclusion
26Les TPE familiales se caractérisent par leur dimension patrimoniale ; c’est-à-dire par une participation importante (et perçue comme « naturelle ») des membres de la famille à l’économie de l’entreprise, par une organisation des tâches fréquemment articulées sur des logiques de genre, par une confusion volontaire des espaces et des temps dans la gestion des tâches productives et reproductives18 et par l’enjeu qu’y constitue la transmission des savoirs et des biens (ce que j’ai reçu, je dois savoir le transmettre). Ces caractéristiques ont déjà été relevées par les études qui portent sur le monde agricole, l’entreprise agricole étant en effet un modèle d’organisation où l’imbrication des sphères professionnelle et familiale est encore la règle (Barthez, 1982 ; Droz et al., 2012 et 2014) et où domine une division genrée des tâches (Rieu, 2004). Elles reposent sur un système de parenté (système à maison) qui privilégie l’un des enfants (le successeur) au détriment des autres, afin de permettre la préservation du patrimoine familial (Jacques-Jouvenot, 1997).
27Comme nous l’avons montré dans cet article, les TPE (ici en milieu rural) fondent en partie leur stabilité économique sur une organisation conjugale du travail, tout en mobilisant parfois (mais de manière plus ponctuelle) les enfants ou la famille élargie. S’ils sont nombreux à nous raconter comment, lorsqu’ils étaient enfants, ils participaient pleinement à l’économie de l’entreprise familiale dès leur retour de l’école, aucun d’eux, aujourd’hui, ne mobilise ses enfants au quotidien. De même, le recours à l’aide des frères et sœurs semble bien plus ponctuel, voire plus contractuel. Reste, par contre, la participation souvent active des parents lorsqu’il y a transmission de l’entreprise, afin d’assurer la transition (mais sans doute aussi parce que la reprise constitue toujours, pour le transmetteur, un passage difficile que l’on préfère étaler). Ces évolutions vers un modèle plus conjugal doivent bien évidemment être reliées aux transformations plus larges qui touchent nos sociétés (place des femmes, statut de l’enfant, etc.) et le monde du travail (besoin d’épanouissement, volonté d’être autonome, indépendant, etc.). Mais la permanence d’une division genrée des tâches productives et reproductives dans les entreprises familiales montre également que ces évolutions s’effectuent au sein d’un ensemble de représentations de la masculinité et de la féminité qui perdure et performe les modèles d’organisation du travail. Comme le note Fenneke Reysoo (dans le présent ouvrage), les femmes chef d’entreprise sont dès le départ très attentives (et très attachées) à leur indépendance et n’ont que très rarement recours à l’aide même ponctuel de leur mari. Or, les hommes, en particulier ceux qui héritent d’une petite entreprise familiale, considèrent très vite comme « naturel » et « légitime » de pouvoir bénéficier d’une aide (parfois substantielle) de leur épouse dans la gestion de l’entreprise.
28Nous nous sommes principalement focalisés sur des ruptures de trajectoire familiale fondées sur des mésententes (disputes, séparation) et non sur des incidents touchant à la santé de membres de la famille (accident, maladie, décès, etc.). Si ces ruptures peuvent être interdépendantes (une séparation peut entraîner des problèmes de santé, de dépression, etc. et inversement), il apparaît évident que les premières (les mésententes) affectent plus fortement la stabilité de l’organisation familiale parce qu’elles sont perçues comme évitables et, donc, se posent généralement en termes de responsabilité, de « bonne volonté », de (in) justice et d’exigence de réciprocité au regard de l’héritage.
29Comme nous l’avons indiqué en introduction, les TPE représentent 90 % des établissements de l’Arc jurassien et, très souvent, elles développent une organisation familiale du travail. Que l’on puisse de l’extérieur, et à partir de critères issus de nos référents démocratiques, considérer que ce modèle d’organisation est particulièrement inéquitable pour les femmes et les non-héritiers, est une chose. Il n’en demeure pas moins que c’est bien sûr ce modèle que repose un nombre non négligeable de TPE, et cela depuis des générations. L’accroissement des situations de ruptures de trajectoire familial (notamment avec l’augmentation des divorces) met bien souvent ces TPE familiales dans des situations économiques difficiles. C’est une évidence. Mais peut-on pour autant affirmer que ce modèle d’organisation familiale est devenu, aujourd’hui, source de tension ? Ne l’était-il pas déjà auparavant et, dans le même temps, n’a-t-il pas toujours été un facteur de stabilisation en permettant aux impératifs du travail et à ceux de la famille de se conjuguer ? Dans les TPE non familiales, les impératifs professionnels de deux conjoints, parallèles au partage des tâches domestiques, ne sont-ils pas eux aussi source de tension ? Si l’organisation familiale du travail fait peser sur le couple certains types de tensions, l’indépendance professionnelle des deux conjoints (plus fréquemment associée avec une revendication d’égalité dans le partage des tâches) en fait peser d’autres. S’il existe à l’évidence des logiques de domination masculine (Bourdieu, 1998), elles prennent place au sein d’un modèle patrimonial qui, en attribuant une valeur symbolique à l’entreprise (bien de famille, héritage légué par les générations précédentes, etc.), fait endosser à chaque membre de la cellule familiale une part de responsabilité quant à l’avenir de l’entreprise, ce qui limite sans aucun doute efficacement, encore aujourd’hui, les aspirations à l’égalité statutaire et les envies d’indépendance.
Bibliographie
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Bibliographie
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10.4000/terrain.1888 :Bensa Alban et Fassin Éric, 2002, « Les sciences sociales face à l’événement », Terrain, n° 38, p. 5-20.
10.3406/arss.1990.2947 :Bourdieu Pierre, 1998, La domination masculine, Paris, Seuil.
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10.3917/cdge.037.0115 :Rieu Annie, 2004. « Agriculture et rapports sociaux de sexe », Cahiers du Genre, n° 2, p. 115-130.
10.1051/978-2-7598-1765-8 :Terrier Médulline, Madelrieux Sophie et Dedieu Benoît, 2014, « Entre maintien et transformation du caractère familial des exploitations agricoles. Le cas des exploitations laitières des Alpes du Nord », in Gasselin Pierre et al. (dir.), L’agriculture en famille : travailler, réinventer, transmettre, Les Ulis, EDP Sciences/INRA-SAD, p. 145-164.
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10.2307/3321907 :Zarca Bernard, 1988, « Identité de métier et identité artisanale », Revue Française de Sociologie, vol. XXIX, n° 2, p. 247-273.
Notes de bas de page
1 Les données, fournies par l’Observatoire statistique transfrontalier de l’Arc jurassien (OSTAJ), dans des documents intitulés « Portraits de territoires », mettent en évidence que pour l’ensemble de l’Arc jurassien, les établissements de moins de 10 salariés représentent 90,5 % du total des établissements recensés, ce taux s’élevant à 93 % pour la Franche-Comté et à 87 % pour l’Arc jurassien suisse ([En ligne] http://www.ostaj.org/atlas-cartographique/portraits-de-territoires.html). Bien évidemment, cette proportion très élevée des TPE n’est pas proportionnelle au nombre d’emplois concernés. Les données statistiques de l’Office fédéral de la Statistique (OFS) montrent en effet que les TPE ne regroupaient, en 2003-2004, que 31 % des emplois sur l’ensemble du territoire helvétique (OFS, 2003-2004).
2 « Dans un peu plus des deux tiers des PME, la direction opérationnelle est contrôlée à plus de 50 % par la famille, et dans 54 % des PME, la direction stratégique se compose majoritairement de membres de la famille » (Crédit Suisse, 2013, p. 25).
3 Ces petits établissements ne sont pas toujours aisés à transmettre. Une étude du Crédit Suisse met ainsi en évidence que chaque année, un quart des entreprises suisses sont à transmettre. Or, si les entreprises créées il y a moins de cinq années ont à peine 50 % de chance de durer, celles qui ont été transmises voient, en Suisse, leur chance de succès dépasser la barre des 90 % (Crédit Suisse, 2013).
4 Lors de son intervention à la journée d’étude « Le Travail dans les très petites entreprises (TPE/TPI) », organisée à l’Université Lyon 2, le 17 décembre 2013, Joël Maligne, évoquant les « spécificités des TPE impactant les conditions de travail », mentionna la taille de l’entreprise, son mode de pilotage, l’organisation polyvalente des activités, la relation au territoire. À aucun moment la dimension « familiale » d’un très grand nombre de TPE ne fut évoquée pour décrire les spécificités des conditions de travail et les risques éventuels qu’elles font peser sur l’entreprise.
5 Le projet « Ruptures TPE » est financé par les fonds européens Interreg (IV-A). Il est donc de fait transfrontalier et porte sur l’Arc jurassien (c’est-à-dire la Franche-Comté et les cantons de Vaud, Neuchâtel, Jura et Jura bernois). Il est piloté par le Laboratoire de sociologie et d’anthropologie (LASA) de l’Université de Franche-Comté et par l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève.
6 Pour Joël, si lui ou sa femme n’était plus en mesure, un jour, de réaliser sa part du travail (décès ou invalidité totale), alors à terme, il faudrait mettre la boucherie en vente ou en gestion.
7 En France, on désigne par l’acronyme GAEC les « groupements agricoles d’exploitation en commun ». Créé par la loi du 8 août 1962, le GAEC est une société civile agricole de personnes permettant à des agriculteurs de s’associer pour la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial ([En ligne] http://agriculture.gouv.fr/gaec). Il ne pouvait pas être constitué par deux époux ou personnes vivant maritalement ou pacsés avant la loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010.
8 L’ex-épouse de Marc est originaire des pays de l’Est. Elle a une formation d’informaticienne mais ses diplômes ne sont pas reconnus sur le territoire helvétique.
9 La question de savoir si cette gestion plus souple du temps constitue ou non un « avantage » renvoie à une perspective de genre. En effet, cette souplesse a pour conséquence d’alourdir la charge de travail qui pèse sur les femmes puisque ce sont la plupart du temps elles qui jonglent constamment entre tâches productives et tâches reproductives.
10 Elle envisage d’ailleurs, quand ses enfants seront plus âgés, de pouvoir les laisser seuls le mercredi puisqu’elle travaillera dans son salon, à quelques mètres de l’habitation.
11 Voir notamment Barthez (1982) pour l’agriculture ou Triby (2004) pour l’hôtellerie-restauration.
12 Activité très fréquemment déléguée par les entrepreneurs aux femmes de la famille (épouse, sœur, fille).
13 Les travailleurs indépendants, en Suisse, travailleraient en moyenne 50 heures par semaine (Baumgartner, 2006).
14 Giulia exprime très bien durant l’entretien ce sentiment de confusion qui touche ici sa propre relation avec ses enfants : « Mais ce n’est pas la vie de famille, c’est-à-dire, s’agit-il de ’vie de famille’ lorsque tu travailles avec tes enfants ? La vie de famille est la vie de famille, le travail est autre chose, parce que quand elles sont ici, elles ne sont pas ’filles’, elles sont ’employées’ ».
15 On retrouve ici, dans le discours de Marc, cette référence à la passion pour justifier de sa capacité à accepter toutes les contraintes du métier : « Alors notre réflexion, ma réflexion elle est comme ça : Aujourd’hui j’ai appris boulanger, si je voulais compter les heures de travail que je fais, j’aurais fait une autre profession. Donc dans le côté de la balance heure de travail on est plutôt en négatif. Si on regarde ce qu’on gagne comme boulanger, comme les agriculteurs d’ailleurs par rapport aux heures qu’on fait, j’aurais aussi changé de profession, là on est toujours dans le négatif de la balance. Alors, qu’est-ce qu’il y a dans le positif ? C’est quand même tout mon héritage, tout le sentimental, toute la passion qu’il y a là-dedans, parce qu’on y a mis tellement d’énergie, moi je suis un passionné, donc à l’avenir je pense que gagner beaucoup d’argent sur mon entreprise, ça m’intéresse moyennement. Je passe beaucoup d’heures, j’ai envie de faire… J’ai besoin de faire ce que j’ai envie ».
16 Sabine, notamment, a investi ses cotisations retraites (2e pilier en Suisse) pour aider son mari à acquérir le fonds de commerce.
17 « Le changement de rythme qu’impose l’événement marque une nouvelle temporalité, qui altère les rapports au passé et à l’avenir. À partir de cette coupure, le champ de la mémoire et celui du possible sont rouverts par référence à de nouveaux principes d’intelligibilité » (Bensa et Fassin, 2002, p. 9). Voir aussi Grossetti (2004).
18 Dans leurs travaux, Sophie Madelrieux et Médulline Terrier mettent en évidence l’articulation entre transmission et perméabilité des sphères domestique et professionnelle, qui spécifie le caractère familial des exploitations agricoles (Terrier et al., 2014).
Auteur
Collaborateur scientifique à l’Institut de hautes Études internationales et du Développement (IHEID) de Genève ainsi que responsable de recherche à l’Institut de sciences sociales des religions contemporaines (ISSRC) de l’Université de Lausanne. Il mène actuellement une recherche sur « Les enjeux socio-économiques des situations de ruptures de trajectoire familiale dans les très petites entreprises rurales de l’Arc jurassien » (programme Interreg). Par ailleurs, il participe à une enquête de terrain financée par le Fonds national de la recherche en Suisse (FNS) qui porte sur la transformation des couvents de religieuses en structure de soins.
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