4. Inégalités de genre dans les très petites entreprises familiales : regard croisé Nord-Sud
p. 67-84
Texte intégral
1Les études conduites dans le champ du « genre et développement » sur le micro-entrepreneuriat des femmes dans les pays des Suds se trouvent à la base de mon regard sur les inégalités de genre au sein des très petites entreprises familiales en milieu rural de l’Arc jurassien franco-suisse. Mes propos sont construits autour de l’hypothèse qu’il est plus difficile pour les femmes qui se lancent dans le micro-entrepreneuriat de réussir à accumuler du capital, mais qu’elles perdent moins lors d’une rupture familiale. Le pendant de cette hypothèse est que la réussite des hommes chefs d’entreprise familiale est grandement garantie par le dividende patriarcal1. Cet avantage semble cependant se retourner contre eux en situation de rupture familiale.
2La valence différentielle entre le masculin et le féminin (Héritier, 1996) dans toute société, fait que les femmes n’ont pas les mêmes chances de créer une micro-entreprise ou de réussir en affaires que les hommes. La hiérarchisation symbolique entre le masculin et le féminin structure en effet les possibilités d’accès à et de contrôle sur les ressources nécessaires pour réussir en entrepreneuriat, telles que le capital, les informations, ou un réseau social. Ces asymétries ont été largement analysées dans le champ appliqué des études « genre et développement » traitant du micro-entrepreneuriat dans les pays des Suds (Froehle, 1994 ; MacEwen, 1979 ; Kabeer, 1997 ; Nelson, 1979 ; Ypeij, 2003, 2012). Sans avoir été étudiées en détail, ces inégalités de genre semblent également se rencontrer dans l’Arc jurassien franco-suisse.
3Il est frappant que ces inégalités n’ont pas été problématisées par la socioanthropologie des professions. Celle-ci a plutôt abordé la spécificité de l’organisation du travail au sein des très petites entreprises familiales en mettant au jour l’imbrication des sphères professionnelle et familiale. Cet enchevêtrement est représenté comme spécifique de ces entreprises en comparaison avec le travail salarié où les temps sociaux sont séparés, c’est-à-dire que les activités professionnelles n’interfèrent en principe pas avec la vie familiale. Des logiques sociales spécifiques président au bon fonctionnement des entreprises familiales, notamment la logique patrimoniale, le principe de complémentarité fonctionnelle et la construction sociale des rôles genrés (Droz, Miéville-Ott et Reysoo, 2014). Si les études sur les entreprises familiales ont souligné la dimension patrimoniale et l’injonction à la transmission intergénérationnelle (Daumas, 2012 ; Jacques-Jouvenot et Vieille Marchiset, 2012 ; Sposito, dans cet ouvrage ; Amiotte-Suchet, dans cet ouvrage), dans cet article j’explore comment la logique de genre influe sur la bonne marche des micro-entreprises. En m’inspirant des travaux conduits sur le micro-entrepreneuriat dans les pays des Suds, l’hypothèse que les entreprises familiales gérées par un homme ou par une femme ne présentent pas le même degré de vulnérabilité ou de risque a émergé.
4Pour vérifier cette hypothèse dans le contexte de notre recherche sur « Les trajectoires de ruptures familiales dans les très petites entreprises de l’Arc jurassien franco-suisse », je présente d’abord les inégalités des chances entre femmes et hommes dans le secteur du micro-entrepreneuriat dans quelques pays du Sud. Je m’inspire des études qui ont analysé le pouvoir structurant du genre dans la réussite en affaires et dans l’accumulation du capital. Par la suite, je comparerai le fonctionnement des hiérarchisations de genre et des représentations de la féminité et de la masculinité présentées dans les études sur le micro-entrepreneuriat dans ces pays avec nos données empiriques (préliminaires) recueillies dans l’Arc jurassien franco-suisse. En dernier lieu, je discuterai les conséquences divergentes dans les entreprises familiales gérées par un homme ou par une femme face à une rupture familiale.
5Mon propos contribuera au débat scientifique sur le fonctionnement des entreprises familiales. Il en ressort que le modèle de l’enchevêtrement des sphères productive et domestique a pour référence l’entreprise familiale gérée par un mari qui peut compter doublement sur son épouse : en tant que main-d’œuvre familiale non salariée et en tant que responsable des tâches reproductives (ménagères, éducatives et de soins). L’analyse de la réussite en affaires des femmes entrepreneures montre qu’elles ne peuvent pas compter « naturellement » sur cet apport de leur mari. L’absence des maris en tant que main-d’œuvre non salariée et leur timide participation dans la sphère domestique est liée aux constructions de genre. Les deux figures hégémoniques de l’homme gagne-pain et de la femme « mère avant tout » constituent un sérieux obstacle à la réussite des femmes en affaires, mais en même temps surexposent les entreprises familiales gérées par un mari aux risques en cas de rupture familiale.
I. Asymétries structurelles et symboliques dans le micro-entrepreneuriat
1. Entrer en affaires
6Les études sur les femmes et le micro-entrepreneuriat dans les pays des Suds montrent que les hiérarchisations de genre et les représentations de la féminité et de la masculinité structurent l’entrée et la réussite en affaires (Kabeer, 1997 ; MacEwen, 1979, Nelson, 1979 ; Ypeij, 2003). L’entrée en affaires, que ce soit dans le secteur formel ou informel, dépend d’un nombre de facteurs qui sont structurés par les valences différentielles du masculin et du féminin. Cela se reflète dans les biais sexo-spécifiques des formations et des compétences, de l’accès au capital et au marché et de la possibilité de disposer de la main-d’œuvre familiale. Dans beaucoup de pays, les femmes passent moins d’années en formation et ont des trajectoires scolaires et des filières spécifiques (Droz, Miéville-Ott et Reysoo, 2014). Aussi stéréotypé que cela puisse paraître : les hommes se retrouvent majoritairement dans les filières techniques et les femmes dans les filières de l’éducation et de la santé. Cette structuration des formations détermine les choix professionnels et la possibilité de se mettre à son compte. S’ajoute à cette inégalité structurelle, l’exclusion de facto des femmes du capital global (argent, propriété immobilière, moyens de production ou crédit). Ce moindre accès au capital fait qu’il leur est plus difficile de faire de l’épargne ou de s’engager dans des relations de crédit : deux éléments cruciaux pour se lancer dans l’entrepreneuriat2. En outre, et nous y reviendrons, comparées aux hommes, elles ont culturellement moins accès à la main-d’œuvre familiale non salariée. Ainsi, les prescripts3 de genre, légitimés parfois par le droit matrimonial, font qu’il est considéré comme naturel qu’une épouse donne des coups de main gratuits à son mari, alors que le cas contraire est beaucoup plus rare, voire impensable4.
7La motivation pour créer une petite entreprise est également structurée par le genre (Landour, 2014 ; Miéville-Ott et Reysoo, 2013). Pour les hommes, entrer en affaires fait dès un jeune âge, partie d’un projet professionnel afin de se projeter dans l’avenir dans le rôle de pourvoyeur de famille. Le choix des études en est influencé. Dans le cadre de leur formation professionnelle, ils obtiennent souvent une expérience en tant que stagiaire ou apprentis. Ces expériences leur donnent l’occasion de se constituer un solide réseau d’interconnaissances, qui est une ressource mobilisable au moment où ils se lancent dans une activité indépendante. Nous observons donc que les trajectoires des jeunes hommes sont, dès un jeune âge, régies par les attentes sociales construites autour du rôle masculin de gagne-pain.
8La trajectoire des femmes est souvent très différente. Bien que d’immenses efforts se soient déployés dans de nombreux pays pour intégrer les femmes dans les formations professionnelles, celles-ci demeurent marquées par les attentes sociales et les propres aspirations des femmes à devenir épouse et mère. Il semble rare, et les études conduites dans les pays des Suds le confirment, que des femmes non-mariées se mettent à leur compte ou créent une entreprise avant le mariage5. Une fois mariées, elles semblent avoir un plus large éventail de motivations pour se lancer dans le micro-entrepreneuriat. Certaines y sont poussées par la nécessité de compléter un revenu masculin insuffisant, voire absent. D’autres visent à générer des revenus d’appoint pour permettre à la famille de s’offrir des extras, tels les moyens de transport (bicyclettes, motos), les objets technologiques modernes (télévisions, téléphones portables) ou encore la scolarisation des enfants et les dépenses de santé. De plus, et ceci s’observe plutôt dans la classe moyenne, les femmes créent des micro-entreprises par envie de s’accomplir personnellement (MacEwen, 1979) ou par un projet de valorisation identitaire (Landour, 2014). Pour d’autres, il s’agit d’un choix permettant de concilier travail et tâches éducatives et domestiques à l’arrivée d’un enfant. En dernier lieu, dans un monde où la pérennité des mariages est incertaine et les divorces sont en augmentation, l’émergence de la catégorie cheffes de famille fait que des femmes seules subviennent de plus en plus souvent aux besoins de leur ménage.
9Pour entrer en affaires les hommes et les femmes rencontrent donc des entraves structurelles et les prescripts de genre dissemblables pour réaliser leurs projets professionnels. Les études sur le micro-entrepreneuriat et le genre montrent toutes qu’il est plus difficiles pour les femmes de se mettre à leur compte ou de créer une entreprise individuelle et d’accumuler du capital.
2. Accumuler du capital
10Si s’installer comme indépendant ou créer une micro-entreprise présente des obstacles différenciés selon le genre, réussir en affaires est également dépendant du statut et de la position que l’on a au sein d’un ménage ou de la communauté. Dans son ethnographie détaillée du micro-entrepreneuriat des femmes à Lima (Pérou), Ypeij (2003) décrit minutieusement les entraves à l’accumulation du capital. Dans les quartiers pauvres de Lima, les femmes qui se lancent dans le micro-entrepreneuriat sont motivées par le désir d’améliorer la situation économique de leur famille. De façon subtile, et non sans ruses, elles composent avec des inégalités et des hiérarchisations de genre. Ce faisant, elles se heurtent plus d’une fois aux représentations dominantes de la féminité (stéréotypes, prescripts, normes et valeurs). Leur socialisation primaire les a préparées à être une « bonne » épouse et une mère « qui se sacrifie » (abnegada). Par conséquent, conduire leurs affaires les contraint à porter attention à leur réputation tant du côté professionnel que dans la sphère privée de la famille. Transgresser les rôles traditionnellement assignés au genre féminin va à l’encontre des attentes sociales et va de pair avec des coûts objectifs et subjectifs (Kergoat, Guichard-Claudic et Vilbrot, 2008). Elles s’exposent alors aux récriminations, aux railleries et parfois même aux stigmatisations. Il n’est donc pas rare qu’elles choisissent de s’investir dans une niche où elles mettent à profit les dispositions féminines acquises lors de leur socialisation de femme : elles développent des activités telles que la restauration, la couture, la coiffure ou autres services à la personne.
11Ypeij (2003) nous montre comment les femmes « jouent » avec les prescripts de genre en les actualisant pour se créer des marges de manœuvre. C’est ainsi que les femmes mariées font des choix leur permettant de combiner production, service ou vente avec la garde des enfants (éducation, care) et les tâches domestiques (ménage, cuisine). Cependant, ce choix restreint leur mobilité spatiale et leur disponibilité temporelle, ce qui limite leur accès au marché. Ce moindre accès au marché influence leur capacité à maximiser les marges bénéficiaires. Ce qui est au départ un choix stratégique pour combiner un métier avec la vie familiale, s’avère être un chemin qui mène vers des exclusions structurelles. Non seulement leur accès au marché est marqué par le genre, mais elles rencontrent également des restrictions inhérentes aux relations avec une clientèle de proximité. En effet, vendre des produits ou des services dans un environnement proche dans les quartiers pauvres de Lima implique une clientèle avec un pouvoir d’achat peu élevé. En outre, l’échange économique ne sera pas purement commercial, car les réseaux de voisinage sont également des arrangements sociaux de solidarité. On est loin ici du schéma de l’homme économique rationnel.
12Il en va différemment pour les hommes dans ces quartiers de Lima. Les prescripts de genre au Pérou structurent les aspirations des hommes à devenir le gagne-pain d’une famille. Dans ce contexte, se mettre à son compte et devenir indépendant, est vécu par les hommes comme une amélioration de leur statut social. Ils peuvent mobiliser des réseaux sociaux sur de plus longues distances et accéder à des marchés hors des quartiers où ils habitent. Ils peuvent s’absenter plus souvent et plus longtemps de la maison, car ils sont exemptés des activités et des responsabilités domestiques. Et vu que le rayon d’action des épouses reste proche du domicile, celles-ci surveilleront l’affaire du mari en son absence, par exemple accueillir des clients. Le cas contraire est extrêmement rare (Froehle, 1994 ; Kabeer, 1997 ; Ypeij, 2003)6.
The location of the production in the home makes it easier for male producers to claim the labour of their wives. It is considered completely normal and even regarded favourably that a wife helps her husband in his production activities as a non-paid family worker. In this way, she lives up to the image of the perfect wife (Ypeij, 2003, p. 6/mon accentuation).
13Ces avantages liés à la construction culturelle du genre masculin ne concernent pas seulement la mobilité spatiale et la liberté temporelle. Il est courant, et tenu pour évident, que les maris accèdent aux coups de main gratuits de leurs épouses. Dans son étude sur le Venezuela, Froehle (1994) montre que 90 % des épouses qui travaillent dans l’entreprise de leur mari le font de façon non rémunérée, tandis qu’aucun homme qui travaille dans l’entreprise de l’épouse le fait gratuitement. Tout au contraire, 90 % des maris qui travaillent avec leurs épouses sont copropriétaires (ibid., p. 25). Les hommes entrepreneurs peuvent donc compter sur la main-d’œuvre gratuite de leur épouse. Tandis que les épouses cheffes d’entreprises semblent souhaiter donner un statut à leur mari sur l’entreprise, probablement afin de ne pas leur faire de l’ombre. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que les épouses qui se lancent dans le micro-entrepreneuriat le font souvent par défaut afin de combler le déficit du revenu du mari gagne-pain (Ypeij, 2003). Les prescripts de genre construits autour de la figure de l’homme gagne-pain créent donc des asymétries structurelles dans la réussite en affaires à l’avantage des maris.
14Un dernier aspect de l’avantage offert aux hommes par les prescripts de genre est le contrôle de l’argent. L’analyse des flux d’argent au sein des couples, et le transfert de l’argent de l’entreprise vers la famille sont un excellent analyseur des rapports de pouvoir (Henchoz, dans cet ouvrage). Au Pérou, les maris contrôlent le cash flow du ménage (Ypeij, 2003). S’ils doivent faire des dépenses du côté de leur entreprise, ils le feront en soutirant de l’argent du circuit du ménage, se créant ainsi des marges financières à leur gré. Les épouses, si elles contrôlent déjà leurs revenus, semblent plutôt dépenser l’argent pour les besoins du ménage (nourriture, vêtements, écolage, etc.). Les rapports de pouvoir au sein des ménages et le contrôle sur l’argent sont l’aboutissement de négociations complexes qui varient selon la reconnaissance de l’apport économique des épouses (Kabeer, 1997). Par exemple, l’autorité légitime du mari sur son épouse est mise à mal lorsque la dépendance financière de cette dernière par rapport au premier s’amenuise.
15Les études sur le micro-entrepreneuriat et le genre dans les pays des Suds convergent pour souligner qu’il est plus difficile pour les femmes cheffes de micro-entreprise d’accumuler du capital et de réussir en affaires. Se conformant à la division sexuelle des tâches, elles choisissent des activités qui leur permettent de combiner production et vie familiale. Opérant dans un espace de voisinage et dans des réseaux sociaux de proximité, elles doivent aussi veiller à leur réputation de « bonne » épouse et mère. Un moindre accès au marché les empêche de maximiser leurs marges bénéficiaires. De plus, en l’absence de marges bénéficiaires et sans avoir le statut de propriétaire, il leur est difficile d’accéder au crédit. À y regarder de près une telle situation n’est guère réjouissante car le niveau de vie ne tend pas à s’améliorer malgré cet investissement en temps et en énergie. Une caractéristique de ces quartiers pauvres est que les femmes s’organisent en collectifs (de cuisine ou de crèches) pour se libérer des tâches domestiques. La collectivisation de ces tâches chronophages assignées au genre féminin, permet ainsi de libérer du temps pour s’investir dans les affaires (Ypeij, 2012). Leur mobilisation collective est donc une stratégie effective de circonvenir certains obstacles liés aux prescripts de genre. Qu’en est-il de la création et de la réussite des femmes entrepreneures dans l’Arc jurassien franco-suisse ?
II. Les très petites entreprises familiales de l’Arc jurassien franco-suisse
1. Inégalités de genre dans les très petites entreprises et les exploitations agricoles
16Dans les études socioanthropologiques sur l’organisation du travail au sein des très petites entreprises familiales ou des exploitations agricoles, la thématique centrale concerne souvent l’imbrication des sphères professionnelle et familiale et la division sexuelle du travail. Aux hommes, le département de l’extérieur, c’est-à-dire la sphère productive, et aux femmes, le département de l’intérieur, de la famille. L’imbroglio se construit généralement autour de la figure largement prépondérante du mari chef d’entreprise assisté par son épouse (la plupart du temps sans statut professionnel)7, par des employés et par des associés. Il est très rare que les analyses portent sur le modèle d’une épouse cheffe d’entreprise et sur ses relations de travail avec son mari ou ses collatéraux. Par exemple, une étude récente sur les « mompreneures » en France ne mentionne pas l’apport des maris dans l’entreprise de leur épouse (Landour, 2014). Ce même silence s’observe sur le site Web des « mompreneures » suisses8.
17Dans un grand nombre de sociétés où la réputation sociale du mari dépend de ses capacités à pourvoir aux besoins d’une famille, une « femme au foyer » est le symbole de réussite sociale. Même en milieu agricole, cette construction de la masculinité semble avoir gagné en valeur au moment de la mécanisation de l’agriculture (Miéville-Ott, communication du 8 mars 2014). La réussite de l’entrepreneur agricole est liée à ses capacités d’investissement en machines et dans la technologie moderne. Affranchir son épouse des travaux sur la ferme est devenu, il y a 20 ans, un symbole de l’homme accompli. C’est dans ce cadre-ci qu’il faut comprendre les résistances de certains maris aux initiatives de leurs épouses à créer une filière autonome de production sur la ferme (élevage de poule, agritourisme, etc.) ou leurs choix d’aller travailler à l’extérieur. Quelle que soit la motivation d’une épouse de s’autonomiser économiquement (par nécessité ou par choix), le mari résiste ouvertement ou de façon plus subtile à perdre son statut symbolique lié au rôle de gagne-pain principal, notamment quand la situation économique de l’exploitation le permet.
18Non seulement les hommes n’apprécient pas de perdre leurs privilèges, mais le prescript du genre masculin les exempte également de s’engager dans les tâches ménagères et éducatives (Henchoz et Wernli, 2010, p. 248). Le revers de la médaille est que les épouses choisiront, dès la naissance du premier enfant, de se rabattre sur la sphère familiale. L’enquête Budget-Temps menée parmi des paysannes suisses (Rossier et Reissig, 2014) fait clairement ressortir que l’emploi du temps des paysannes sur l’exploitation fluctue avec les phases du cycle de vie familiale. Après l’arrivée des enfants, elles s’adonneront plus aux tâches d’éducation, de ménage, et du care. Cette adaptabilité des épouses semble emblématique des choix de couples dans la société suisse plus large (Henchoz et Wernli, 2010). Bien que les études sur les entreprises familiales parlent souvent de l’imbrication de la vie professionnelle et familiale, une analyse plus fine montrerait que cela vaut surtout pour le modèle du mari chef d’entreprise dont l’épouse donne des coups de main. Notre recherche sur les paysannes en Suisse laisse transparaître que les époux ont généralement une mobilité spatiale et une liberté temporelle plus grandes, et ne s’engagent guère dans la sphère domestique. Ces conditions leur permettent de dédier plus de temps à leurs affaires (« toujours au travail », « ne pas compter ses heures »).
19Cette configuration familiale, fait que la valeur économique de l’apport des épouses reste généralement invisible. Cet apport manque de reconnaissance par l’absence de statut professionnel, et est peu valorisé car exécuté dans des espaces-temps interstitiels (en amont ou en aval des grands travaux, le soir, etc.). Dans de telles configurations, les maris laisseraient les tâches « secondaires », mais nécessaires à leurs épouses (i. e. paperasses, nettoyage) [Nicourt et Girault, 2006]. Le statut secondaire de ces tâches ne devient un enjeu qu’au moment où elles commencent à poser problème, par exemple lorsque la charge de travail de l’épouse devient extrême, ou lorsqu’elle s’épuise. C’est alors que le couple devra chercher des solutions alternatives, soit par l’engagement d’une professionnelle du côté de l’entreprise (administratrice, comptable, nettoyeuse, vendeuse, etc.), soit du côté du ménage (femme de ménage, fille au pair, appareils électroménagers, etc.) [cf. Poretti, 2014].
20Les rapports d’interdépendance sont très différents lorsque l’entreprise familiale est dirigée par une femme. Il est rare, pour ne pas dire inexistant, qu’un mari donne des coups de main gratuits à son épouse et s’occupe le reste du temps de l’éducation des enfants et du ménage9. L’organisation du travail dans les entreprises gérées par des femmes nécessite donc une analyse plus fine. L’enquête suisse sur la population active (ESPA, 2012) nous montre que 70 % des femmes installées comme indépendantes en Suisse le sont à temps partiel (Bergmann et al., 2014, p. 15). Ce choix semble cohérent avec leur souhait de pouvoir concilier leur rôle de mère et leurs aspirations à l’épanouissement personnel. En 2011, un certain nombre de ces femmes entrepreneures ont fondé l’Association suisse des « mampreneurs » : un groupe d’entraide de femmes qui combinent à la fois « leur regard bienveillant de mère avec un œil affûté d’entrepreneur » (Kuunders, 2013). La flexibilité y est considérée comme le plus grand avantage de l’entrepreneuriat au féminin. Sur leur site internet, elles se profilent comme « mamans » et entrepreneures. Il n’est nulle part question d’un apport de la main-d’œuvre du mari. En revanche, dans une étude sur les « mompreneures » en France, Landour (2014) montre que la plupart de ces épouses-mères peuvent s’adonner à leur activité entrepreneuriale grâce à la solidarité de couple. Cette dernière se réfère au fait que le revenu du mari permet de couvrir les frais de bases du ménage. Très peu des entreprises des mompreneures rencontrées permettent de sortir un salaire.
21De plus, les dispositifs légaux et institutionnels ne sont pas basés sur une référence au modèle de l’épouse-entrepreneure. Certains dispositifs peuvent mener à des discriminations de genre comme le montre l’exemple suivant. Une coiffeuse vaudoise (cheffe d’une famille monoparentale), dont le salon de coiffure se situe à 25 km de son domicile, a choisi de scolariser ses deux enfants dans le village où se trouve son établissement. La loi sur l’éducation exige toutefois que les enfants soient scolarisés dans un périmètre proche du lieu de résidence. La coiffeuse ne pouvant combiner son travail indépendant avec la scolarisation de ses enfants près de son domicile s’est vue contrainte de fermer son salon, principale source de revenu (20 Minutes, avril 2014 ; Poretti, communication personnelle). La loi sur la scolarisation des enfants est ainsi fondée sur l’image de la mère au foyer capable de conduire ses enfants à l’école près de son domicile. Cette situation est d’autant plus contraignante en milieu rural suisse où l’absence d’infrastructures d’accueil pour la très petite enfance restreint les choix professionnels et la réussite en affaires de l’épouse-mère.
2. Enchevêtrement familial ou dividende patriarcal ?
22Au fondement de notre recherche sur « les ruptures de trajectoire familiale dans l’Arc jurassien franco-suisse » se trouve l’idée que la vie économique des zones rurales est basée sur le dynamisme et la santé des très petites entreprises familiales (artisans, commerçants, restaurateurs et agriculteurs)10. Ces entreprises participent à l’occupation décentralisée du territoire et au maintien d’un tissu socio-économique dynamique. Dès lors, le destin d’une zone rurale et l’essor de ses très petites entreprises familiales sont profondément liés. La logique de fonctionnement des entreprises familiales étant spécifique, les ruptures familiales affectent souvent leurs chances de survie (Droz, dans cet ouvrage).
23Quelles en sont les spécificités ? Dans les années 1960, en milieu agricole français, l’épouse autant que le fils repreneur étaient catégorisées sous la dénomination « aide familiale » qui n’avait pas de statut reconnu. Il a fallu des revendications pour la reconnaissance de statut par les « fils repreneurs » pour que la catégorie d’« aide familiale » disparaisse en France en faveur de statuts formels. Or, les épouses tardèrent à revendiquer un statut formel. En effet, la création des GAEC (dès 1962) permettait d’abord une association reconnue entre père et fils, mais pas encore entre époux et épouse (il fallait attendre 2010 pour que cela soit possible). En 1985, la création des EARL rend possible l’association uniquement entre époux et épouse. C’est enfin en 1999, qu’en France, apparaît le statut de conjointe collaboratrice. Or, ce statut n’existe pas en Suisse, et la très grande majorité des épouses d’agriculteurs qui travaillent (partiellement) sur l’exploitation n’ont jusqu’à ce jour ni statut professionnel ni juridique (Miéville-Ott, communication du 8 mars 2014 ; Droz, Miéville-Ott et Reysoo, 2014). L’entreprise dite familiale semble donc prospérer grâce à une contribution gratuite et non visible des épouses, parfois des grands-parents à la retraite ou des enfants.
24Prendre le genre comme catégorie d’analyse, nous a incités à aborder le champ des entreprises familiales en y incluant les entreprises créées et gérées par des épouses, afin d’appréhender la généralisabilité des logiques sociales qui président au fonctionnement des entreprises familiales gérées par des maris et leur vulnérabilité face aux ruptures.
25En France, selon l’INSEE (2006), les femmes constituent 30 % des créateurs/repreneurs de très petites entreprises (Sposito, dans cet ouvrage). Comment s’organisent-elles dans un contexte où les maris ne semblent pas être disposés à donner des coups de main gratuits ou à devenir le bras droit salarié de leur épouse ? Il semble qu’une femme mariée qui dirige une affaire en son nom propre a généralement un mari qui s’absente pour exercer sa profession loin de la maison. Elle se voit donc face à la double contrainte de conduire ses affaires tout en les combinant avec les activités éducatives et domestiques. Face à ces asymétries, nous sommes amenés à conclure qu’il est moins question d’une imbrication des sphères professionnelle et familiale lorsque l’entreprise est dirigée par une épouse. L’épithète « familial » dans le langage conventionnel en sociologie des professions cache en fait des rapports de genre inégaux liés au dividende patriarcal. Qu’est-ce que cela nous enseigne sur les vulnérabilités face aux ruptures familiales ?
III. Vulnérabilités différentielles face aux ruptures familiales
26Le regard croisé entre les études de « genre et développement » sur les femmes et le micro-entrepreneuriat dans les pays des Suds et notre recherche sur les très petites entreprises familiales face aux ruptures, a permis de souligner les asymétries de genre. Les études sur les femmes microentrepreneures dans les pays des Suds montrent comment les femmes doivent composer avec des contraintes liées aux représentations de la féminité et de la masculinité. Pour des raisons structurelles et symboliques les femmes qui se lancent dans l’entrepreneuriat ont moins de chances d’accumuler du capital que les hommes. Cette asymétrie est due au fait que les hommes jouissent d’avantages structurels et symbolique, ou du dividende patriarcal, qui les autorise à compter sur la contribution gratuite de leur épouse du côté de l’entreprise et ont la garantie que leurs enfants sont élevés, que les repas sont servis et que le ménage est fait puisque cela est symboliquement le domaine de la femme. La productivité des hommes dans les très petites entreprises est étroitement liée à une disposition de temps quasi illimitée pour s’investir dans leur affaire. Le pendant de cette situation est que les épouses, dans leur double rôle de mère et de ménagère, ne disposent que d’un temps partiel au moment de se lancer dans l’entrepreneuriat. Alors que les hommes interviewés dans notre recherche sur les très petites entreprises expriment souvent l’idée de « ne pas compter ses heures », les femmes nous parlent de « chaque minute qui est comptée ». Dans un tel contexte, on peut se demander si les conséquences d’une rupture familiale sont les mêmes pour une femme ou pour un homme chef d’une petite entreprise familiale. Dans cet article, j’affirme que les asymétries de genre exposent l’un ou l’autre configuration entrepreneuriale à des risques bien dissemblables.
27L’homme chef d’entreprise semble pouvoir compter sur – et donc être plus dépendant – du travail non rémunéré de son épouse. En revanche, il est plus rare qu’une épouse cheffe d’entreprise puisse compter sur le travail non rémunéré de son mari ; et dans la plupart des configurations, c’est elle qui assume les tâches domestiques. En cas de rupture familiale, le mari dont l’épouse disparaît11 perd à la fois de la main-d’œuvre et la prise en charge des tâches domestiques. Le cas contraire, c’est-à-dire une rupture familiale menant au départ ou à la disparition du mari, n’affectera pas le volume de travail, ni le bon fonctionnement du ménage. Suite à une rupture familiale dans le milieu des très petites entreprises, il semble que l’épouse perd moins et se sent moins perdue.
28En termes d’organisation du travail, si l’épouse disparaît, le mari devra la remplacer – théoriquement – par du personnel salarié. Cela affectera la comptabilité de l’entreprise, car les coûts de production augmenteront. En outre, les activités dans la sphère reproductive ne seront plus, ou plus aussi bien exécutées. L’homme entrepreneur se verra devant les options suivantes : engager une femme de ménage, s’adonner lui-même au ménage en diminuant son temps investi dans la partie productive de l’entreprise, faire appel à sa mère, à une sœur ou à une fille.
29Au vu de ce qui précède, l’entreprise dirigée par une femme sera moins prétéritée si le mari venait à « disparaître ». Du côté du ménage, les activités ne seront pas redéfinies et repartagées, car le mari ne s’y investit pas (Henchoz et Wernli, 2010). Du côté de l’entreprise, rien ne changera profondément, car le mari n’y collabore guère ou pas. S’il est salarié de son épouse (pratique extrêmement rare), elle pourra le remplacer par une autre unité de main-d’œuvre, sans qu’en théorie la santé économique de l’entreprise n’en soit affectée (Poretti, 2014).
30On pourra objecter que la fragilité de l’entreprise dirigée par une épouse dépend in fine aussi d’autres facteurs liés aux hiérarchisations de genre. D’une part, nous avons vu que les épouses indépendantes travaillent majoritairement à temps partiel dans l’idée de pouvoir concilier vie professionnelle et familiale. Leur mari travaille à l’extérieur et a le rôle de gagne-pain principal. La « disparition » de ce revenu principal représente un recul économique vital pour l’épouse qui devra subvenir à ses besoins par les revenus d’une entreprise menée à temps partiel et souvent sur le principe de la solidarité de couple (Landour, 2014). D’autre part, l’autonomie de l’épouse et de son entreprise dépendra des relations de propriété. Est-ce que l’épouse cheffe d’entreprise est propriétaire des locaux où se trouve son affaire ? Sinon, devra-t-elle les quitter ? Ces questions nécessiteront des recherches plus détaillées.
Conclusions
31S’il est vrai que notre société est construite selon une conception binaire séparant et hiérarchisant le masculin et le féminin, et que cette binarité induise une socialisation différentielle des garçons et des filles, l’on pourra en conclure que l’organisation sociale, que ce soit l’école, le marché du travail, ou la famille expriment ces valences différentielles du masculin et du féminin. Basé sur ces prémisses, nous avons étudié les chances de réussite des hommes et des femmes qui se lancent dans les affaires et les conséquences spécifiques des ruptures de trajectoire familiale.
32Cette contribution, inspirée par des études menées dans les pays des Suds a rappelé que la sociologie des professions se réfère à un enchevêtrement des sphères professionnelle et familiale où un homme chef d’entreprise a accès à une main-d’œuvre familiale non salariée féminine. Les prescripts de genre font que les hommes peuvent légitimement se soustraire aux activités de la sphère domestique et donc optimiser leur implication dans l’entreprise familiale. Ce modèle n’est cependant pas symétrique et les femmes qui dirigent des entreprises n’ont pas le même accès à la main-d’œuvre familiale masculine, ni ne disposent de temps illimité pour s’adonner à leurs affaires. D’un côté, les prescripts de genre font qu’elles ne peuvent ni accéder à la force de travail de leur mari, ni délaisser les tâches domestiques.
33Des mécanismes similaires s’observent dans l’Arc jurassien franco-suisse. Il semble qu’il n’est question d’entreprise familiale que lorsque l’homme a le statut de chef et que son épouse l’aide de façon bénévole. La double « naturalisation » de l’apport de son épouse, aussi bien du côté de l’entreprise que du côté du ménage et tenue pour évidente12. En revanche, lorsque l’épouse est cheffe d’entreprise, les interdépendances, les logiques de complémentarité et de genre y sont fondamentalement différentes. Les hommes chefs d’une entreprise familiale ont ainsi structurellement et symboliquement plus de chances de réussir en affaires que les femmes. Cependant, ce dividende patriarcal se tourne contre eux ; en effet, en situation de rupture, l’invisible apport de l’épouse dans les sphères productive et familiale se révèle dans toute sa splendeur. Continuer de gérer une entreprise familiale sans cet apport peut mettre en péril sa pérennité.
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Notes de bas de page
1 L’épithète « patriarcal » se réfère à un système social où les hommes sont privilégiés par rapport aux femmes dans toutes les sphères de la vie sociale. Cette position privilégiée des hommes induit des avantages structurels dans les secteurs aussi divers que la formation, l’accès au marché du travail et à la propriété (Welzer-Lang, 2000). Ces privilèges et avantages sont généralement légitimés par des dispositifs symboliques, institutionnels et légaux et sont captés par la notion de dividende patriarcal.
2 Lors d’un entretien avec la Chambre des Métiers et de l’Artisanat du Doubs, nous apprenons que certains banquiers peuvent émettre des réticences pour prêter de l’argent aux femmes qui veulent se mettre à leur compte. Accompagnées par la Délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE), un fonds de garantie à l’initiative des femmes (FGIF) a été créé. Ce fond assure une caution si la femme n’en a pas trouvé ailleurs et pour gagner en crédibilité face aux banquiers qui se montrent réticents.
3 La notion de prescript réfère aux règles et lois, écrites ou non, aux conventions et aux stéréotypes qui structurent le social et assignent une valence culturelle aux pratiques.
4 Par exemple, selon le droit du mariage suisse (1988), « mari et femme contribuent, chacun selon ses facultés, à l’entretien convenable de la famille ».
5 En revanche, les femmes non mariées dans les pays des Suds sont massivement employées comme ouvrières dans les manufactures orientées sur l’exportation. C’est de plus en plus un passage obligé pour subvenir aux besoins de leur famille d’origine ou pour se constituer un trousseau de mariage (Reysoo, 2005).
6 Le mari d’une cheffe d’exploitation agricole suisse ne voudrait aucunement que son revenu gagné à l’extérieur sert à subventionner les activités agricoles de son épouse. Il est pourtant très courant que les épouses de chefs d’exploitations agricoles en Suisse travaillent à l’extérieur pour assurer un revenu complémentaire souvent indispensable à l’économie du foyer (Droz, Miéville-Ott et Reysoo, 2014).
7 Ceci vaut pour le milieu agricole suisse que nous venons d’étudier (Projet PNR60, AgriGenre) et pour les très petites entreprises familiales de type héréditaire (Projet Interreg IV, en cours)
8 Association Mampreneurs, [En ligne] www.mampreneurs.ch [consulté le 25 mai 2014]. Il existe des associations similaires en France, au Belgique, et au Canada.
9 Il est à noter que nous n’avons rencontré aucune entreprise familiale de ce type, ni dans notre recherche sur les configurations familiales dans l’agriculture suisse (AgriGenre/ PNR60 ; ni dans la recherche Interreg IV en cours sur les ruptures familiales dans les très petites entreprises de l’Arc jurassien franco-suisse).
10 Pour l’ensemble du territoire jurassien, les établissements de moins de 10 salariés représentent 90,5 % de l’ensemble des établissements recensés, cette proportion s’élevant à 93 % pour la Franche-Comté et à 87 % pour l’Arc jurassien Suisse. En Franche-Comté, ceci équivaut à 77 132 établissements dénombrés en 2009. Notons toutefois que ce sont les entreprises sans salariés qui présentent le pourcentage le plus conséquent sur ce territoire, pourcentage compris entre 57,5 % et 66 % respectivement pour les deux régions. Les statistiques ne permettent pas de désagréger ces données par sexe (voir Amiotte-Suchet dans cet ouvrage).
11 Cette disparition recouvre des cas de figure aussi divers que le départ après un divorce, un décès ou l’impossibilité de continuer à donner des coups de main en cas d’accident ou de maladie.
12 Amiotte-Suchet (communication du 6 février 2014) parle de l’entreprise familiale comme un « produit fondé sur l’inégalité statutaire, l’entraide et la solidarité familiale, la volonté de la préservation et de la valorisation des biens issus de l’histoire familiale et la hiérarchisation des rôles fondée sur l’idée de prédispositions genrées ». Il oublie de faire le lien entre cette inégalité statutaire et l’exposition aux risques différenciés au moment d’une rupture dans une très petite entreprise gérée par un homme ou une femme.
Auteur
Anthropologue d’origine néerlandaise, spécialiste des questions de « genre et développement », elle enseigne à l’Institut de hautes Études internationales et du Développement (IHEID), Genève. Elle dirige également le programme doctoral « Études Genre » de la Conférence universitaire de la Suisse occidentale (CUSO). Ses recherches ont porté sur différentes thématiques, telles « Genre et
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