1. Essai introductif
Machines et socialismes à l’ère industrielle1
p. 7-53
Texte intégral
1Dans la première moitié du XIXe siècle, les débats sur le changement technique commencent à circuler dans de nombreux espaces sociaux et culturels : parmi les ouvriers et les fabricants bien sûr, mais aussi chez les artistes, les écrivains, les économistes comme les philosophes. Les transformations à l’œuvre dans le monde matériel provoquent d’abondants débats pour fixer le sens de ces bouleversements et comprendre le rôle et l’impact des techniques dans la société. Les socialistes, comme les économistes libéraux et les représentants des « sciences morales et politiques », ne cessent d’interroger les origines et les effets de ces transformations. Comme Adolphe Blanqui, le successeur de Jean-Baptiste Say au Conservatoire des arts et métiers après 1830, beaucoup soulignent les dangers et les incertitudes qui accompagnent ces mutations : « Aucun siècle n’a vu s’accomplir en aussi peu de temps de telles révolutions économiques, et il n’est pas surprenant que des métamorphoses aussi inusitées aient déconcerté tous les systèmes », constate-t-il. Les producteurs « étaient loin de prévoir que les machines leur apporteraient tant de puissance et tant de soucis », ni que le « paupérisme » revêtirait des formes si terrifiantes avec les « métiers mécaniques » développant une immense « puissance de travail »2.
2Dans l’Europe du XIXe siècle, l’allégorie de la machine se diffuse en nourrissant à la fois de multiples espoirs et d’innombrables inquiétudes face à l’horreur suscitée par l’avènement d’un monde mécanisé3. Elle accompagne également la montée en puissance du mythe moderne de Prométhée qui émerge dans la littérature romantique4. Prométhée, le titan de la mythologie antique qui déroba le feu pour le confier aux hommes, devient autour de 1830 l’emblème ambivalent du siècle du progrès et de ses réalisations techniques. Dès 1818, la britannique Mary Shelley intitulait son célèbre roman Frankenstein ou le Prométhée moderne ; elle y décrivait un savant enfermé dans son laboratoire, obsédé par l’idée de repousser la mort et concevant, à partir de morceaux de cadavres, un monstre terrifiant, une « effroyable barbarie » qui finit par échapper à son créateur. Sans le vouloir, demande l’auteur, la science ne risque-t-elle pas de donner naissance à « une race de démons [qui] se propagerait sur le monde et, tout en semant la terreur, mettrait l’existence du genre humain en péril » ? L’adjectif « prométhéen » est attesté dans la langue française en 1837, il se répand ensuite dans la littérature parallèlement à l’idée de progrès pour décrire le goût de l’exploit et du dépassement, la foi dans la grandeur humaine et dans ses réalisations. Dès les premières retranscriptions antiques du mythe chez Hésiode et Eschyle s’étaient pourtant imposées des divergences d’interprétations entre un Prométhée accusé de tous les maux dont souffrent l’humanité et un Prométhée sauveur des hommes. Cette tension subsiste au XIXe siècle et travaille sans cesse les analyses socialistes de l’industrie et des techniques, accusées à la fois d’accroître le paupérisme et l’exploitation tout en inaugurant un progrès riche de potentialités. C’est cette tension fondamentale qui traverse le monde socialiste, comme elle travaille le catholicisme5 ou le champ littéraire de la première moitié du XIXe siècle, que nous souhaitons explorer dans cet ouvrage. La conception prométhéenne du progrès fondé sur l’idéal d’émancipation par la connaissance et la domination technique de la nature a modelé la modernité et accompagné les premières formulations de l’idéal socialiste. Dans les années 1840, Proudhon identifiait la société moderne à cette figure de Prométhée, celui qui « dérobe le feu au ciel » et « invente les premiers arts ». Marx lui répondait en moquant « ce Prométhée de M. Proudhon », « un drôle de personnage, aussi faible en logique qu’en économie politique », il « ne fait que nous enseigner la division du travail, l’application des machines, l’exploitation des forces naturelles et du pouvoir scientifique, multipliant les forces productives des hommes et donnant un excédent comparé à ce que produit le travail isolé, ce nouveau Prométhée n’a que le malheur de venir trop tard ». En dépit de leurs divergences d’interprétation, Marx et Proudhon identifient Prométhée aux nouvelles capacités de l’agir technique industriel, et le socialisme aux multiples théories cherchant à dompter ces mutations pour le plus grand bonheur des hommes6.
3Au sein de l’historiographie, les transformations techniques et leurs relations avec l’industrialisation ont suscité de nombreux débats. L’ancienne vision optimiste du « Prométhée libérée » identifiant le progrès technique à l’émancipation économique7, comme l’ancien déterminisme associant la « révolution industrielle » au machinisme, ont laissé la place à des approches plus complexes qui insistent sur le rôle des marchés et de la consommation, ou sur le caractère graduel du processus et la diversité des trajectoires8. L’industrialisation du XIXe siècle n’est plus conçue comme un chemin linéaire et nécessaire qui verrait le passage triomphal d’une société agraire sans machine à une société technicienne prométhéenne. Elle s’apparente plutôt à « un arbre à plusieurs branches » (branching tree) marqué par divers chemins possibles en matière de choix techniques et d’organisation du travail. Charles Sabel et Jonathan Zeitlin notamment ont insisté sur la persistance – à côté de la production de masse qui recourt à des machines spécialisées et à du travail déqualifié en vue de produire des biens standardisés – d’une production « flexible » mobilisant un travail qualifié et des machines artisanales souples, celles-ci aidant à perfectionner les savoir-faire en donnant la possibilité d’appliquer les savoirs de l’artisan à la fabrication de produits toujours plus variés9.
4La nébuleuse des penseurs socialistes naît à cette époque. Ces derniers sont confrontés, comme leurs contemporains, à la prolifération des nouveaux objets techniques. Soucieux d’élaborer une science de la société capable de faire advenir un monde émancipé, plus « harmonieux » ou plus égalitaire10, ils imaginent un nouveau langage pour penser le monde industriel naissant et ses réalisations techniques. Ils formulent diverses solutions à la question sociale et tentent de dépasser ce qu’ils perçoivent comme les apories des analyses des économistes libéraux en imaginant des dispositifs originaux pour réguler les transformations en cours. Ce livre entend explorer quelques-uns des liens qui se sont tissés au cours du XIXe siècle entre le projet émancipateur du socialisme et les transformations matérielles et techniques qui accompagnent l’industrialisation. Il tente aussi de tracer les linéaments de ce qu’ont été les technologies socialistes, de cerner leurs singularités, et ainsi d’explorer l’originalité de trajectoires oubliées et rendues invisibles. Ce projet invite ainsi à décaler les regards habituels pour tenter d’écrire une autre histoire des socialismes du XIXe siècle, à l’écart des téléologies et des chapelles, en étant attentif aux circulations et échanges incessants qui relient ces auteurs et pensées foisonnantes aux mutations de leur époque. En dépit de leur diversité, les nombreux auteurs réunis sous l’étiquette du « socialisme » ont tous été confrontés aux enjeux qui accompagnent la mécanisation et l’avènement de nouveaux systèmes techniques. S’ils les ont parfois rejetés, ils ont le plus souvent cherché à les utiliser au service de leur projet réformateur, ils ont aussi tenté de les civiliser en imaginant des moyens pour soumettre la fabrication des objets et des produits industriels à des fins désirables pour tous plutôt qu’au seul impératif du profit. À travers leurs théories et leurs pratiques, les premiers penseurs et expérimentateurs socialistes ont tenté de domestiquer Prométhée. L’enjeu est donc d’explorer la diversité des relations qui se sont nouées entre l’avènement du socialisme, pensé à la fois comme un nouveau langage mais aussi comme un univers de pratiques et d’expériences, et le monde des objets, des machines et des techniques au XIXe siècle.
I. Les impensés de l’historiographie française
5L’association des termes « technologies » et « socialismes » pourra paraître étonnante ou étrange tant les travaux consacrés à cette question demeurent peu nombreux en regard de la vaste littérature dédiée à l’histoire des gauches et des socialismes comme à celle des techniques au XIXe siècle. Les pensées et les pratiques technologiques des milieux socialistes s’apparentent bien souvent à un impensé de l’historiographie11. Aux lendemains de la seconde guerre mondiale pourtant, alors que la modernisation des dites « Trente Glorieuses » s’accélérait, l’économiste Karl Polanyi invitait déjà à rapprocher ces deux termes en notant que « la conception socialiste est née avec l’acceptation enthousiaste de la machine au nom du progrès »12. Dans « La machine et la découverte de la société (1957) », Polanyi affirmait que « l’étoffe de la société était invisible avant qu’elle ne soit révélée par son contact avec les machines », il suggérait que les mutations techniques du début de l’ère industrielle modifiaient la « physionomie de l’humanité » et ouvraient « un nouveau chapitre de la philosophie sociale » :
Les prétendus Utopistes se sont résignés à la révolution technique et étaient optimistes quant à la possibilité d’un ajustement social. Owen lui-même a inventé une série de méthodes et de procédés pour tenter d’éviter la brutalisation des travailleurs, leur dégradation par des salaires de misère… ainsi que la réduction des exigences et des qualifications personnelles résultant du travail routinier. Fourier pensait que la machine marquerait l’entrée dans une ère de miracles scientifiques.
6Le théoricien de la « grande transformation », analyste célèbre de l’avènement d’un marché autorégulateur au seuil du XIXe siècle, s’intéresse alors abondamment aux techniques auxquelles il consacre de nombreux textes. Depuis cette époque pourtant, peu de travaux ont pris cette idée au sérieux, peu de recherches ont tenté de penser ensemble l’histoire des techniques, des discours technologiques et celle des socialismes.
7Quelques années auparavant, dans son « Exposé de 1939 » Walter Benjamin insistait lui aussi sur les liens subtils et ambivalents qui relient l’apparition de l’« utopie » et celle des machines : « La plus intime impulsion donnée à l’utopie fouriériste, il faut la voir dans l’apparition des machines » écrivait-il alors. Pour Benjamin, l’une des forces et des grandeurs de Fourier résidait dans sa capacité à penser la dialectique des deux techniques : l’une qui asservirait la nature à son projet prométhéen, l’autre qui trouverait les ressources pour instaurer un « jeu harmonien » entre la nature et la technique :
Un des traits les plus remarquables de l’utopie fouriériste c’est que l’idée de l’exploitation de la nature par l’homme, si répandue à l’époque postérieure, lui est étrangère. La technique se présente bien plutôt pour Fourier comme l’étincelle qui met le feu aux poudres de la nature13.
8Ces réflexions sur les liens qui relient l’avènement des socialismes et celui des machines, comme l’exploration de la pluralité des définitions et modes d’appréhension socialiste des techniques, sont restées peu explorées, particulièrement en France. Il existe en effet une riche tradition historiographique sur le sujet outre-Manche et aux États-Unis. À la suite de Maxine Berg, qui a étudié l’importance des débats sur les machines dans la construction de l’économie politique anglaise, ou Gregory Claeys qui s’est intéressé à la pensée technologique d’Owen et aux utopies techniques d’Etzler. Christine MacLeod a scruté de son côté la pensée politique radicale de l’innovation technique dans l’Angleterre victorienne14. En France, l’abondante littérature consacrée aux socialismes dits « utopiques » ou « romantiques » s’est peu intéressée à cet aspect de la question15. C’est d’abord la figure de Marx qui a retenu l’attention, et de très nombreux travaux ont exploré les ambivalences de la pensée technologique marxienne16. La première moitié du XIXe siècle a ainsi longtemps été abordée uniquement à travers le filtre de Marx et les œillères d’un socialisme dit « scientifique » rejetant les mouvements et auteurs antérieurs comme « utopiques ». On sait à quel point ces catégories sont trompeuses, oublieuses de l’historicité des mouvements et des idées antérieures au grand bouleversement politique de 184817.
9Même si la pensée de Marx est capitale et exerce effectivement une influence considérable dans la compréhension du phénomène technique à l’époque contemporaine, les socialismes du XIXe siècle ne sauraient s’y réduire et l’enjeu sera davantage ici de retrouver la pluralité des positions et des discours. Pour Marx, le développement poussé de l’industrie et du machinisme représente la condition préalable à la révolution, l’étape nécessaire avant l’abolition de l’esclavage des prolétaires. Avant même la publication du Manifeste du parti communiste au début de l’année 1848, voici comment Marx décrit, dans le « Projet de profession de foi de la Ligne des communistes » de juin 1847, la stratégie pour réaliser « la communauté des biens » : il faudra d’abord compter « sur la masse des forces de production et des moyens de subsistance engendrés par le développement de l’industrie, de l’agriculture, du commerce et de la colonisation et sur la possibilité qui existe de leur accroissement à l’infini grâce au machinisme et aux découvertes de la chimie »18. Dans Le Capital comme dans de nombreux textes, Marx propose un examen précis des « machines », du « développement de la production mécanique » et de leurs effets sur les travailleurs. Il utilise le mot Maschinerie, traduction allemande de l’anglais machinery, utilisé par les économistes et technologues britanniques, comme Andrew Ure et Charles Babbage qu’il avait lu. Dans la première traduction en français du Capital par Joseph Roy, entre 1872 et 1875, le mot est traduit par « machinisme » qui possède – comme l’a souligné François Vatin – une connotation morale ; les traductions plus récentes lui préfèrent le terme « machinerie », plus neutre et technique19. Keith Tribe montre très bien comment sa lecture d’Ure et sa polémique contre Proudhon dans les années 1840 « sensibilis [èrent] Marx à l’importance de la production à l’aide de machines ». Sa fascination pour les machines automatiques comme son identification de l’époque capitaliste au « règne de la machine » trouve ici sa source.
10Mais Marx montre aussi comment, dans le capitalisme industriel, le travail est aliéné et détourné de son but. Cette situation est le résultat de l’assimilation du travail à une marchandise, modèle promu par « la phalange des économistes bourgeois » qui défendent la « théorie de la compensation ». Celle-ci affirme que les transformations techniques provoquent un déversement du capital, puis de la main-d’œuvre, vers de nouvelles activités. Mais pour Marx, il s’agit là d’une fable de « l’optimisme économiste » qui ne correspond pas aux « faits réels ». La réalité est que « les ouvriers que la machine remplace sont rejetés de l’atelier sur le marché du travail où ils viennent augmenter les forces déjà disponibles pour l’exploitation capitaliste ». L’argumentation des économistes ne tient pas compte des « premières victimes [qui] pâtissent et périssent pendant la période de transition »20. Pour Marx, « là où la marche conquérante de la machine progresse lentement, elle afflige de la misère chronique les rangs ouvriers forcés de lui faire concurrence ; là où elle est rapide, la misère devient aiguë et fait des ravages terribles »21. Marx a par ailleurs accordé une attention particulière à la façon dont la grande industrie élabore un système de machines inédit qui « brise toute résistance » des ouvriers en les intégrant « au grand automate ». Ce système des machines devient même « la forme objective enfin trouvée de la puissance du capital »22. Récemment, John Bellamy Foster a par ailleurs tenté de faire ressurgir un Marx « écologiste », ou du moins – puisque Marx et Engels n’utilisent pas ce mot inventé en 1866 seulement – comme profondément attentif aux échanges entre les humains et la nature et à la façon dont le nouvel agir technique de l’ère industrielle menace de les perturber23. Dans les années 1850, en prenant connaissance des travaux de chimie de Liebig, Marx aurait découvert que l’agriculture mécanisée a tendance à gaspiller l’énergie et les matières premières non renouvelables. Dans un discours de 1856 intitulé « Les révolutions de 1848 et le prolétariat », il constate ainsi que :
De nos jours, chaque chose paraît grosse de son contraire. Nous voyons que les machines douées du merveilleux pouvoir de réduire le travail humain et de le rendre fécond le font dépérir et s’exténuer. Les sources de richesse nouvellement découvertes se changent, par un étrange sortilège, en sources de détresse. Il semble que les triomphes de la technique s’achètent au prix de la déchéance morale. À mesure que l’humanité maîtrise la nature, l’homme semble devenir l’esclave de ses pareils ou de sa propre infamie24.
11Loin d’être isolées ou même fondatrices, ces analyses marxiennes participent d’une intense circulation de discours et de débats. À l’écart de la tradition tendant à considérer les courants socialistes d’avant 1848 comme des discours incertains et balbutiants, des brouillons destinés à être corrigés et affinés par « le socialisme scientifique », ou par les sciences sociales de la fin du XIXe siècle, l’enjeu sera ici d’interroger le foisonnement, l’originalité de ces pensées et de ces pratiques en lien avec les mutations des savoirs et des transformations sociales, politiques et économiques qui accompagnent l’ère industrielle naissante.
II. Technologie et socialisme : genèse d’un nouveau langage
12Il faut insister sur la complexité sémantique des mots technologie, technique et socialisme, sur la plasticité et le flou de ces notions, mais aussi sur les liens qui les unissent. Quelles relations entretiennent-elles au regard de leur condition d’apparition et comment ces langages se sont-ils articulés et nourris ? Comme l’a montré récemment John Tresh dans la continuité d’une riche tradition d’analyse littéraire et philosophique, le thème de la machine devient central dans le paysage intellectuel de la première moitié du XIXe siècle, mais sa définition reste ambiguë et incertaine25. De nombreux travaux ont souligné combien l’idée de machine et la fascination pour les automates mécaniques traversent la culture occidentale, nourrissant la tension incessante entre utopie et dystopie. Si les pensées socialistes de la machine s’inscrivent dans cette tradition plus ample, elles s’en séparent néanmoins car la signification des automates mécaniques change avec l’industrialisation : alors qu’ils servaient auparavant à produire du spectaculaire ou à démontrer la richesse et le pouvoir des puissants, les automates du début de l’industrialisation visent davantage à accentuer l’accumulation des marchandises en modifiant les conditions du travail des hommes26. Aux lendemains de la Révolution et de l’épisode napoléonien, une nouvelle image de la science et des techniques s’élabore en lien avec les recompositions politiques, la redéfinition des savoirs et des théories de la nature. Loin de rejeter le monde mécanique, beaucoup tentent alors de définir les caractéristiques d’une « machine romantique » – alternative à celle des ingénieurs et des économistes – dont ils pensent qu’elle pourra réenchanter le monde, produire un ordre plus démocratique, voire forger du rêve27. Cette « conception romantique » des machines et de l’innovation entretient des liens étroits avec les nouveaux régimes d’historicité en cours d’élaboration, et les divers groupes socialistes participent pleinement de cette réflexion sur les contours de la « machine romantique ».
13Mais qu’est ce que la technique et à quoi renvoie la notion de machine ? Au début du XIXe siècle, ces notions demeurent confuses. L’invention et la réparation des machines relèvent toujours de l’art imprégné d’empirisme des gens de métiers, modelé par les compétences et les rationalités des mondes artisanaux. Dans la première moitié du XIXe siècle les notions de « machine », de « technologie » et de « technique » évoluent rapidement, elles se transforment parallèlement à celles de travail et de force, redéfinies dans le champ scientifique alors que la nature est de plus en plus appréhendée comme « intrinsèquement productive et laborieuse, [comme] une nature moteur »28. Avant le XIXe siècle, il n’y avait pas réellement de représentation unitaire des activités productives, le mot « technique » lui-même demeurait absent des dictionnaires et des écrits29. Ce que nous nommons aujourd’hui « la technique » n’existait pas. Il n’y avait qu’un ensemble d’arts et métiers difficiles à regrouper sous une même catégorie, en dépit des tentatives initiées dès 1754 en Angleterre par la Society of Arts et du désir de reconnaissance d’un nombre croissant d’inventeurs30.
14L’âge du machinisme industriel inaugure une vision nouvelle des artefacts. Avec l’avènement de l’industrialisme et d’une société fondée sur la production mécanisée et ses représentations culturelles, l’invention acquiert en effet une valeur inédite et ceux qui l’introduisent deviennent peu à peu, à côté des savants et des entrepreneurs, des héros largement célébrés. Le mot « technique » et ses dérivés apparaissent alors en français comme dans les autres langues européennes. Issue du latin technicus et du grec technè, la technique désigne d’abord l’art et « l’habileté à faire quelque chose », mais ce n’est qu’au XIXe siècle qu’apparaissent les significations contemporaines identifiant la technique à l’activité productive, à la fabrication d’objets et à la manipulation de l’environnement. En Français le substantif féminin « la technique » désignant les procédés employés dans la réalisation d’une œuvre n’est d’ailleurs attesté qu’en 184231. Progressivement, et parallèlement à l’institutionnalisation de l’économie politique et des sciences de l’ingénieur, de nombreux savants et mécaniciens tentent alors d’élaborer des théories des machines, c’est-à-dire des approches analytiques de leur fonctionnement, en vue de standardiser leur fabrication et accroître leur nombre32.
15Le mot « technologie » apparaît quant à lui en Allemagne en 1772 lorsque Johann Beckmann commence à l’enseigner à Göttingen. La « technologie » donne lieu à des publications comme l’Oekonomisch-technologische Enzyklopädie de J.G. Krunitz, commencée en 1773 et achevée en 1858. Initialement, la « technologie » désigne la science des activités humaines, elle peut être descriptive, analytique ou, de plus en plus, théorique lorsqu’elle tente d’identifier les principes généraux de l’action33. Dans le cadre de l’encyclopédisme des Lumières elle est « la science qui enseigne le traitement des produits naturels ou la connaissance des métiers » comme l’écrit Beckmann en 1777, elle repose sur l’observation des pratiques et vise à former des administrateurs éclairés. Avant de désigner – comme aujourd’hui – l’ensemble des techniques existant à un moment donné, la technologie était d’abord conçue comme la science des opérations artisanales. Liliane Hilaire-Perez a bien montré qu’il existait au XVIIIe siècle une « technologie des Lumières » singulière, immergée dans l’économie marchande, soumise à d’autres fins que celles qui s’imposent avec les technologies industrielles du XIXe siècle. Cette technologie artisanale transforme profondément les modes de production, elle « promeut l’adaptation aux besoins comme socle de la valeur d’usage des produits et les capacités à diviser, composer, agencer des dispositifs de toutes natures (pièces, gestes, sensations) en séquences, en montages et en systèmes »34. Elle se distingue des sciences du génie issues de la Renaissance, comme du machinisme du XIXe siècle. Cette technologie des Lumières a été promue par les acteurs économiques eux-mêmes, ceux qui animent l’essor des marchés, qu’ils soient commerçants, marchands-fabricants, artisans opérateurs ou manufacturiers. Cette tradition technologique oubliée ne se réduit pas à l’efficacité industrielle, ni au « machinisme », mais relève d’une « autre compréhension technologique, fondée sur l’appréciation qualitative, si ce n’est esthétique et hédonique de la finalité des objets »35. Cette autre compréhension de la technologie fondée sur les compétences et l’ingéniosité des mondes artisanaux émane des actes de la pratique, elle ne se théorise ni ne se dit et fut largement incomprise par les élites intellectuelles. On la retrouve pourtant dans certains écrits d’artisans radicaux comme dans ceux de Hodgskin en Angleterre, qui défend une théorie de l’invention collective, insérée dans le monde des métiers et des praticiens, contre la figure naissante de l’inventeur solitaire et héroïque36.
16Le mot « technologie » se répand après 1820 en France et dans l’espace anglo-américain en changeant peu à peu de signification. La technologie recouvre donc une grande diversité de significations et demeure traversée d’incertitude : entre théorie de la pratique, mise en forme des savoir-faire, technologies du social, et ensemble des objets et produits mis au point par le capitalisme. La technologie désigne aussi une discipline spécifique, « contemporaine de la transformation de la société artisanale et manufacturière en société industrielle moderne », elle « commence au moment où l’homme et la machine échangent leurs fonctions »37. La technologie entendue comme science autonome échoue pourtant à s’institutionnaliser et le terme même de technologie se transforme au milieu du XIXe siècle : il s’éclipse de la langue française et ne subsiste en anglais que pour désigner l’ensemble des techniques disponibles à un moment donné. Au milieu du XIXe siècle, écrivent encore Guillerme et Sebestick, on assiste à « une évanescence et à une dispersion du discours technologique. La multiplication saturante de ses produits provoque son éclatement en savoirs techniques spécialisés et parcellaires ». La technologie conçue comme une branche autonome du savoir laisse alors la place au triomphe des « sciences appliquées » et des sciences de l’ingénieur38. Au moment même où l’innovation technique s’éloigne du monde des arts et métiers pour se rapprocher des sciences physiques et chimiques, « à quoi bon désormais ces milliers de volumes de descriptions de techniques obsolètes, ou vouées à le devenir bientôt ? […] C’est désormais des sciences, et des sciences seules, que l’époque attend les progrès de son industrie »39.
17Les écrits des socialistes sont contemporains de ces mutations et de la multiplication des écrits des technologues, qu’ils lisent et discutent. On peut dès lors s’interroger sur le rôle que les théoriciens socialistes ont pu jouer dans les reconfigurations des manières de penser les techniques, alors que la technologie générale s’efface au profit de la technologie spéciale et des sciences appliquées. Les théories socialistes ont-elles maintenu une pensée technologique générale, soucieuse de comprendre les savoir faire artisanaux en articulant de façon originale l’émancipation sociale et l’efficacité productive ? Les socialistes et les radicaux qui se présentaient comme les porte-paroles des classes dominées ont-ils défendu la validité des savoirs opératoires des praticiens ou ont-ils accompagné leurs disqualifications savantes ? Quelle était leur propre compréhension du geste, de la qualité du travail dans les ateliers ? Furent-ils, comme le suggère Jean-Claude Beaune, d’« authentiques penseurs de la technique appliquée à la société » ? Leur originalité vient-elle de leur méfiance à l’égard du primat de l’économie au profit de la quête « d’une organisation combinatoire et collective du travail qui restaure le sens de celui-ci, son sens humain et collectif » contre sa détérioration dans la société bourgeoise40 ? Ces hypothèses méritent d’être creusées. Comment les penseurs socialistes se sont-ils inscrits dans les nombreux débats sur le changement technique et l’industrie qui travaillent l’économie politique, les sciences des ingénieurs et la littérature de l’époque ? En France, Pierre-Joseph Christian, Charles Dupin, Claude-Lucien Bergery ou Léon Lalanne tentent alors de comprendre les principes fondamentaux du fonctionnement des machines. S’éloignant des savoirs artisanaux anciens, leurs recherches s’articulent de plus en plus autour du problème de la mécanisation et visent à convaincre les industriels et les administrateurs de ses bienfaits. En 1840, l’ingénieur Léon Lalanne définit ainsi la « technologie » comme la « science des procédés par lesquels l’homme agit sur les forces et sur les matières premières fournies par la nature organique et inorganique, pour approprier ces forces et ces matières à ses besoins ou à ses jouissances »41. La technologie devient dès lors la science qui enseigne la meilleure façon de s’approprier les ressources de la nature pour le bien-être des hommes. La technologie de la première moitié du XIXe siècle correspond à un moment de tâtonnements, de controverses et de réflexions incessantes sur la place et le rôle des techniques dans la société.
18Comme le mot « technologie », le mot socialisme apparaît entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XIXe siècle. Comme lui, ses frontières demeurent longtemps poreuses et incertaines. Le néologisme socialisme émerge d’abord en Italie (socialismo) dans la seconde moitié du XVIIIe siècle dans le cadre des polémiques opposant les théologiens aux philosophes soucieux de faire prévaloir le social sur le spirituel. En français, c’est l’abbé Sieyès qui l’aurait forgé pour décrire ce qu’il appelle aussi « l’art social », ou la « science de la société », c’est-à-dire les moyens par lesquels le législateur tente de répondre aux besoins de la population, mais il l’aurait ensuite abandonné42. Ce n’est qu’après 1820 que le mot commence à se répandre réellement dans diverses langues, entrant progressivement dans le langage courant et prenant sa signification contemporaine de doctrine opposée à l’individualisme, visant à résoudre la question sociale par l’association ou la communauté. Le terme est introduit et diffusé aux lendemains de 1830, notamment par Pierre Leroux qui l’emploie dans un sens critique en 1834 dans un article de la Revue encyclopédique intitulé « De l’individualisme et du socialisme ». Pendant longtemps, le mot est rarement employé dans un sens positif, il ne s’impose dans le langage politique et n’est réellement approprié par les acteurs qu’en 1848 lorsque s’engage la répression contre toutes les tendances radicales et démocratiques.
19La première moitié du XIXe siècle voit donc l’invention conjointe de l’idiome socialiste et la reconfiguration profonde du langage technologique. Les deux phénomènes ne sont pas seulement contemporains, ils entretiennent des relations étroites qu’il s’agit d’interroger. Les projets socialistes de transformation de la société sont étroitement liés aux nouvelles conceptions du travail, de la technique et de la nature ; ce sont elles qui permettent de penser les transformations du social. Les socialismes de la première moitié du XIXe siècle naissent de la double expérience des révolutions politiques et industrielles, ils visent à domestiquer ces transformations en élaborant des modes d’organisation inédits de la société et de la production. Les nouvelles capacités d’action technique qui se développent à l’ère des « révolutions industrielles » constituent le terreau sur lequel s’épanouit le projet historique du socialisme. Saint-Simon (1760- 1825) est ainsi l’un des premiers à considérer l’industrie comme l’enjeu central du monde en devenir, à faire des sciences et techniques des forces décisives de transformation du monde43. Alors que la foi dans le « progrès » justifie de plus en plus le projet émancipateur du socialisme, le nouvel appareillage technique et machinique semble offrir de son côté les moyens de réaliser ce « progrès continu », ou cette « perfectibilité », que la plupart des auteurs et militants socialistes recherchent alors de façon frénétique44. Pour le socialisme dans ses diverses variantes, il faut substituer à l’exploitation de l’homme par l’homme l’« exploitation savante, réglée, fraternelle du globe, dirigée par le pouvoir scientifique », comme l’affirme en 1825 Le Producteur, le premier journal des saint-simoniens.
III. Ravages et apories des machines dans la civilisation capitaliste
20Au XIXe siècle la question de l’utopie, d’un ailleurs imaginaire, est étroitement liée aux possibilités ouvertes par les techniques et les « sciences libératrices »45. Pourtant, le regard socialiste sur les machines est fondamentalement ambivalent et traversé de tensions. Si le mot machine revient fréquemment dans les écrits socialistes, il convient néanmoins de cerner les définitions qu’ils en donnent, d’être attentif aux termes qu’ils utilisent pour caractériser leurs effets, leur fonctionnement, les impasses qu’elles produisent comme les espérances qu’elles suscitent. Les discours socialistes ne s’inscrivent pas uniquement dans une célébration enthousiaste des machines et de leurs rôles, ils relèvent plus souvent d’un regard prudent et inquiet. Ils tentent de trouver les modalités d’une domestication du gigantisme technique, de formuler une théorie de l’invention démocratique et émancipatrice contre l’exploitation et les ravages produits par les machines dans la civilisation capitaliste et industrialiste. Leur ambition est de dompter ce Prométhée qui les fascine et les inspire. Pour beaucoup d’auteurs socialistes, la critique de la machine devient un moyen de contester la société existante, disharmonique, inégalitaire, tout en élargissant la base des militants et des adhérents en faisant entrevoir un usage émancipé des nouveaux procédés de l’industrie. L’idée de machine et ses usages sont inséparables des stratégies propagandistes et des conflits sociopolitiques qui traversent ces mouvements.
21Les socialismes naissent en effet dans une époque inquiète. Face aux ouvriers contestant au quotidien les changements des méthodes productives, ou s’ameutant parfois à l’annonce de l’installation d’une mécanique, les écrits socialistes ne cessent d’interroger les effets sociaux de la mécanisation46. Dans une petite brochure populaire publiée en 1832, le saint-simonien Alexis Petit – disciple d’Enfantin – répond par exemple aux « beaux parleurs, qui passent pour des savants » en louant les machines ; il constate que dans l’état présent de la société, « la concurrence et les machines auront une influence directement funeste sur le sort de l’ouvrier ». « Faudra-t-il donc toujours que l’emploi des machines fasse mourir de misère et de faim une partie de la population », demande-t-il47 ? Dans les années 1840, les militants icariens ou phalanstériens interviennent d’ailleurs dans les conflits qui opposent la main-d’œuvre et certains patrons. En 1846, pour résoudre le problème coûteux du triage des laines, un industriel d’Elbeuf importe une « trieuse » mécanique. Quelques jours seulement après sa mise en service, une vaste émeute éclate dans la ville. Selon les rumeurs répandues dans les ateliers, les nouvelles machines devaient remplacer les ouvrières. Un rassemblement dégénère rapidement et des pierres sont jetées contre l’usine aux cris d’« à bas la mécanique ! », des barricades sont élevées et pendant plusieurs jours les ouvriers entretiennent une agitation quasi insurrectionnelle. Seules l’arrivée de la troupe et l’arrestation d’une centaine de personnes mettent fin aux troubles.
22Ces événements ont un grand impact et acquièrent rapidement une dimension nationale. En réponse au Moniteur industriel, défenseur des intérêts industriels, qui accuse l’école fouriériste d’entretenir la violence ouvrière contre les nouveaux procédés techniques48, l’organe phalanstérien La Démocratie pacifique assure au contraire que « loin de condamner les machines, la théorie sociétaire voit en elles le salut matériel et la rédemption de l’homme ».
Nous sommes d’accord avec les économistes sur les avantages industriels des machines, ajoute le journal. La dissidence ne commence que sur l’appréciation des résultats sociaux de leur multiplication, et sur la conduite à tenir pendant la transition.
23Selon le journal phalanstérien, les machines sont un danger pour les ouvriers, comme le libre-échange l’est pour les maîtres, c’est pourquoi « il convient de faire à l’égard des travailleurs menacés de chômage par l’introduction de nouvelles machines […] ce que fait l’État envers les maîtres menacés d’un pareil danger par la liberté commerciale »49. Pour résorber la misère générée par les machines, l’organe fouriériste suggère que l’État intervienne par des taxes et des droits payés par les utilisateurs des nouveaux procédés. Ainsi, la compétition entre le travail à la main et celui des mécaniques sera-t-elle équilibrée.
24Si le socialisme entretient de nombreux liens avec les écrits des économistes et des technologues avec lesquels ils débattent, leurs discours sont également imprégnés des récits « romantiques » pourfendant la machine mortifère et implacable. Dans la première moitié du XIXe siècle, le machinisme impressionne et fait parfois l’objet d’une vive condamnation morale. Alors même qu’elles restent encore peu nombreuses en France – il n’y avait pas plus de 200 machines à vapeur installées en 1815 – Stend-hal voit déjà dans cette technique la nouvelle « reine du monde », le signe du passage « entre le siècle qui finit en 1789 et celui qui commença vers 1815 »50. Le publiciste Pierre-Édouard Lemontey, ancien constitutionnel modéré en 1789 avant d’émigrer en Suisse en 1793, élabore de son côté un langage neuf à l’époque pour décrire l’avènement de « l’ouvrier-machine » – expression qui revient fréquemment sous sa plume –, dont il annonce qu’il sera « timide et sédentaire », « prodigieusement ignorant, crédule et superstitieux »51. Il s’en prend à « la division du travail et l’emploi des machines qui en est la suite », car ils « opèrent une prodigieuse diminution de main-d’œuvre ». Or, demande-t-il, « que deviendront ces bras innombrables que le talent d’un mécanicien aura désoccupés ? ». Contrairement aux affirmations des économistes, l’embauche permise par la « construction des machines » et l’accroissement de la consommation ne permettra pas de compenser le manque. D’ailleurs, ajoute-t-il encore, « voyez l’Angleterre : ses travaux sont immenses […] nulle part la débauche, le suicide et le gibet, ne font une plus grande consommation d’hommes »52. Les analyses de Lemontey inaugurent une critique morale du machinisme récurrente dans la première moitié du XIXe siècle et qui irrigue les discours socialistes53. Michelet, qui découvre le gigantisme de l’industrie britannique lors d’un voyage en 1834, met également en scène l’ambivalence des machines. Il invente d’ailleurs le mot « machinisme » auquel il donne d’emblée une signification morale puisqu’il l’utilise pour condamner le système industriel à l’anglaise et les nouveaux rapports sociaux qu’il produit. Dans Le Peuple (1846), il consacre tout un chapitre à décrire la « servitude de l’ouvrier dépendant des machines ». Impressionné par les « êtres d’acier » qui asservissent « l’être de sang et de chair », il est persuadé néanmoins que l’on continuera de préférer aux « fabrications uniformes des machines les produits variés qui portent l’empreinte de la personnalité humaine »54. Si la machine est indéniablement un « puissant agent du progrès démocratique » en « mettant à la portée des plus pauvres une foule d’objets d’utilité », elle a aussi son revers terrible : elle crée un « misérable petit peuple d’hommes-machines qui vivent à moitié [et] qui n’engendrent que pour la mort ».
25Toute une littérature de la « fin du monde » par la technologie commence également à naître au milieu du XIXe siècle55. Citons Émile Souvestre, qui était d’abord destiné à l’École polytechnique comme son père, avant de se tourner vers la littérature et de devenir proche de la mouvance saint-simonienne républicaine de Leroux, Charton ou Reynaud. Dans les années 1830 il s’en éloigne et s’intéresse à l’éducation populaire, à la question de l’association, et à la défense de sa Bretagne natale. Dans son roman Le Monde tel qu’il sera, publié en 1846, il raconte les aventures de son jeune héros Maurice qui, après avoir abandonné la foi dans le « progrès indéfini du genre humain » se retrouve transporté en l’an 3000 par un personnage étrange – John Progrès – qui apparaît mystérieusement sur « une locomotive volante ». Il découvre alors un monde intégralement transformé par les techniques, où les hommes se déplacent en sous-marin ou en fiacre volant. Mais dans ce monde automatisé domine l’exploitation, dans les usines des « mammouths de cuivre et d’acier » s’agitent frénétiquement et le jeune héros observe « d’un regard attristé ces victimes de la mécanique perfectionnée »56.
26Les radicaux et les socialistes appartiennent à cet espace discursif. S’ils se distinguent des traditionalistes, des économistes ultras ou des imprécateurs catholiques57, ils dénoncent également avec force les impasses et les misères produites par le développement des technologies. En Angleterre, les critiques tories ont d’ailleurs directement influencé certains aspects de la pensée de Robert Owen, considéré comme le père du socialisme outre-Manche, comme celle des radicaux politiques de l’époque du chartisme (1838-1848). Mais là où les tories dénoncent la machine comme une cause de disparition de l’ancien ordre social et de ses artisans qualifiés, les radicaux y voient surtout un instrument supplémentaire d’exploitation. Après la Révolution française, la question des machines recoupe des clivages politiques complexes : en Grande-Bretagne notamment les radicaux se rallient, à la suite des libéraux, à la défense des machines car la société industrielle moderne laissait espérer la fin du pouvoir aristocratique et de son État militarofiscal. À l’inverse, les conservateurs, romantiques et visionnaires comme Southey, Malthus et, d’une certaine manière, Robert Owen, mettent en garde contre les perturbations introduites par la grande industrie mécanisée58. Chez Robert Owen et ses premiers disciples on trouve en effet des discours très ambivalents à l’égard de la mécanisation, perçue à la fois comme « poison et remède ». Mais à la différence des réformateurs comme Thomas Spence qui optent pour l’idéal d’un retour à la terre dans une perspective agrarienne, Owen s’efforce de réconcilier le progrès technique et l’harmonie sociale, notamment au moyen de ses « villages de coopération » (Ophélie Siméon)59. Comme les discours et pratiques des hygiénistes qui accompagnent et justifient l’industrialisation en minimisant les risques sanitaires et l’ampleur des nuisances produites par les nouvelles méthodes mécaniques, le discours socialiste offre une « habile propédeutique du progrès » dans les milieux ouvriers et artisanaux. L’hygiénisme d’avant 1850 crée en effet les conditions de l’acceptation de l’industrie malgré ses dangers, et le Conseil de salubrité de Paris soutient davantage les industriels et leurs technologies polluantes qu’il ne sert d’organe de contrôle et de régulation des risques60. Or, alors que beaucoup de socialistes étaient médecins, ils partageaient souvent ces représentations du risque technique et des nuisances comme des effets secondaires inévitables de la nécessaire modernisation industrielle.
27En France, la description des ravages des machines employées dans la grande industrie capitaliste se retrouve pourtant régulièrement – selon de fines nuances qu’il faut tenter de restituer – dans les écrits des penseurs relevant de ce socialisme « romantique »61. Les premiers théoriciens et expérimentateurs socialistes ont souvent conscience des ambivalences des machines dans le système capitaliste et libéral. Dans les années 1830, nombreux sont les auteurs à exprimer leurs doutes sur les trajectoires en cours. Si l’imaginaire technicien et industrialiste triomphe dans la pensée saint-simonienne qui cherche à libérer les forces productives, Charles Fourier (1772-1837) semble interpréter le machinisme et ses effets d’une façon plus ambivalente. Fourier ne partage pas les points de vue saint-simoniens sur les bienfaits et l’émancipation permis par l’industrialisation62. Dans sa brochure polémique contre les saint-simoniens, comme dans bien d’autres textes, il condamne la libre concurrence et le règne du commerce qui produisent des biens inutiles et des denrées falsifiées :
pain vicié par de nouveaux procédés vénéneux, d’invention des chimistes… vin composé de cent sortes de drogues ; eau de vie d’esprit dédoublé, et malfaisante63.
28L’auteur du Nouveau monde industriel et sociétaire n’accorde d’ailleurs aucun rôle aux machines dans son projet utopique. Le phalanstère est d’abord un univers rural et Fourier semble se méfier des procédés techniques, des « abus de l’industrie » comme des « illusions de l’industrialisme »64. Comme l’a montré notamment Jonathan Beecher, Fourier ne pense pas qu’une production accrue améliore nécessairement la vie65. Dans sa société harmonieuse, les machines sont d’ailleurs en nombre limité, le travail industriel n’est que le « complément » de l’agriculture. Fourier pense que le Phalanstère devra être implanté dans un univers rural, et les nombreux exemples de groupes de travail qu’il cite dans ses ouvrages renvoient généralement au monde agricole. Pour lui l’émancipation passe davantage par la découverte des lois des passions permettant de réaliser le travail attrayant que par le gigantisme industriel et la mécanisation poussée.
29Même s’il nie avoir voulu bannir les machines de sa communauté idéale66, il concentre sa critique sur les vices du capitalisme commercial plutôt que sur les méfaits de la grande industrie mécanisée, à laquelle il accorde finalement peu d’attention. D’ailleurs, en Harmonie, la perfection des produits et des objets n’est pas le résultat d’un puissant appareillage industriel et mécanique mais le produit d’une composition harmonieuse des passions. Fourier écrit avant 1830 dans une France qui reste rurale et artisanale, sa pensée est associée à l’univers préindustriel de la petite fabrique lyonnaise où il a passé sa jeunesse. En 1822, il rédige un texte intitulé De la détérioration matérielle de la planète dans lequel il observe les dérèglements du climat et diagnostique le « déclin de la santé du globe » sous l’effet de l’anarchie de la civilisation et de l’aspect disharmonique de ses instruments67. Son dernier livre publié en 1835-1836 dénonce encore La fausse industrie morcelée, répugnante, mensongère et l’antidote, l’industrie naturelle combinée, attrayante, véridique, donnant quadruple produit et perfection extrême en toutes qualités. Pour Fourier, commente René Schérer, l’industrialisation n’est qu’une illusion : « il ne s’agit pas seulement de tempérer l’accaparement des richesses par quelques-uns au nom d’une justice égalitaire », il s’agit fondamentalement de montrer que « les accapareurs de richesses sont, en définitive, des dupes, que leurs biens sont médiocres et leurs jouissances restreintes relativement à ce que leur promet l’ordre sociétaire harmonique »68. Pour Fourier, la « voiture à vapeur » et le « bateau à vapeur qui rivalisent en vélocité avec les hirondelles et les saumons » ne sont que des « prodiges prématurés » car « ils ne conduisent pas au but qui est d’augmenter, en proportion régulière, le bien-être des diverses classes ». L’industrie comme le progrès technique sont des illusions qu’il s’agit de démasquer. La presse fouriériste s’inquiète d’ailleurs parfois de « l’immense révolution opérée par la machine à vapeur » :
N’y a-t-il pas lieu de redouter l’accroissement de plus en plus rapide des machines à feu, de ces monstres de fer dont la voracité menace d’engloutir tout le combustible du globe69.
30Parmi les premiers socialistes, nombreux sont ceux qui perçoivent les effets pervers, les dangers et les illusions derrière le déferlement des techniques industrielles. Louis Blanc par exemple ne cesse de dénoncer les machines qui chassent les ouvriers de leur atelier, ils voient en elles des « armes meurtrières » aux mains des industriels, tout comme les chemins de fer sont décrits comme une « calamité » :
Dans le monde industriel où nous vivons, toute découverte de la science est une calamité, d’abord parce que les machines suppriment les ouvriers qui ont besoin de travailler pour vivre, ensuite parce qu’elles sont autant d’armes meurtrières fournies à l’industriel qui a le droit et la faculté de les employer, contre tous ceux qui n’ont pas cette faculté ou ce droit. Qui dit machine nouvelle, dans le système de concurrence, dit monopole ; nous l’avons démontré. Or, dans le système d’association et de solidarité, plus de brevets d’invention, plus d’exploitation exclusive. L’inventeur serait récompensé par l’État, et sa découverte mise à l’instant même au service de tous. Ainsi, ce qui est aujourd’hui un moyen d’extermination deviendrait l’instrument du progrès universel ; ce qui réduit l’ouvrier à la faim, au désespoir, et le pousse à la révolte, ne servirait plus qu’à rendre sa tâche moins lourde, et à lui procurer assez de loisir pour exercer son intelligence ; en un mot, ce qui permet la tyrannie aiderait au triomphe de la fraternité70.
31Le socialisme naissant cherche en permanence à redéfinir le phénomène technique, à le domestiquer et l’acclimater pour en supprimer les effets néfastes et dangereux. Dans sa description des classes laborieuses de Manchester, Engels accorde lui aussi une grande attention aux machines dont il juge de façon très critique les effets pour la Grande-Bretagne. Toute l’histoire récente de l’industrie anglaise « nous montre comment les travailleurs manuels ont été délogés successivement par les machines de toutes leurs positions » constate-t-il71. À la suite des enquêteurs sociaux, comme le Français Eugène Buret, et dans la continuité des analyses du radicalisme populaire, il décrit les effets de la mécanisation – le chômage, la pression sur les salaires, la multiplication des accidents – tout en montrant comment les machines inaugurent une expérience inédite d’où surgira la classe ouvrière. À la même époque, Proudhon dénonce aussi la misère de son temps et déplore les effets du changement technique qui avilit le travail et dégrade le travailleur « en le faisant déchoir du rang d’artisan à celui de manœuvre »72. Loin de s’enthousiasmer pour le machinisme naissant il explore ses « antinomies » et ambivalences : « Les machines nous promettaient un surcroît de richesse ; elles nous ont tenu parole, mais en nous dotant du même coup d’un surcroît de misères. Elles nous promettaient la liberté ; je vais prouver qu’elles nous ont apporté l’esclavage » en instaurant le salariat. Pour Proudhon en effet, « le salariat est issu en droite ligne de l’emploi des machines ». Dans le même temps, Proudhon affirme pourtant la vision optimiste de l’accroissement du bien-être général qu’on doit à terme attendre des machines. Pour lui, la machine est « le symbole de la liberté humaine, l’insigne de notre domination sur la nature, l’attribut de notre puissance, l’expression de notre droit, l’emblème de notre personnalité »73.
32Au même moment, le communiste néobabouviste Théodore Dezamy, déplore les ravages du machinisme tout en proclamant lui aussi sa foi dans la toute-puissance de la science :
par une immense perturbation des lois de la nature, les plus sublimes découvertes de la science (les machines) sont de véritables fléaux pour le plus grand nombre, et viennent briser mille existences pour chaque heureux qu’elles doivent faire, semblables à ces conquêtes guerrières qui veulent des victimes et des chants de deuil !74.
33Après 1840, les diverses tendances du socialisme se retrouvent de plus en plus dans la condamnation des rapports sociaux d’exploitation du capitalisme tout en exaltant le rôle possible des machines pour reconstruire un nouvel ordre social et politique. Joseph Benoit décrit ainsi les effets positifs produits par la mécanique Jacquard à Lyon :
cette simple machine changea presque subitement les habitudes et le caractère des ouvriers, et en fit des hommes pensant et raisonnant, agissant et discutant leurs intérêts d’abord, et les intérêts généraux ensuite75.
34Si les premiers socialistes ont fréquemment dénoncé les effets avilissants et dégradants des machines de leur temps, et repoussé la technologie bourgeoise comme un instrument de renforcement des inégalités et même, parfois, comme un danger pour l’intégrité physique du monde, ils ont tous également exalté le progrès futur à attendre des machines.
IV. L’« âge d’or est devant nous » : le socialisme ou le progrès par les techniques
35S’ils dénoncent les apories des trajectoires technologiques du capitalisme et ses ravages, les socialistes voient aussi de plus en plus dans les progrès des techniques des outils pour construire l’avenir. Pour eux, les nouveaux systèmes techniques qui naissent avec la « révolution industrielle » offrent des ressources indispensables et inépuisables pour reconstruire la société76. Mais comment les socialistes se différencient-ils des théories libérales auxquels ils ne cessent de s’opposer ? S’en distinguent-ils réellement ? En quoi leur technologie – au sens de discours sur les techniques – se différencie-t-elle de la science des ingénieurs et de l’économie politique libérale ? Pendant longtemps les frontières demeurent en effet très floues et poreuses entre économistes libéraux, représentants des sciences morales, penseurs républicains ou radicaux et socialistes. Les différences se creusent peu à peu après 1820, elles s’affirment avec force lors des crises sociales et politiques du milieu du XIXe siècle. Ces divergences apparaissent notamment dans les outils et moyens proposés pour civiliser les changements techniques et industriels. Selon les tendances, les apories des machines pourront être résolues par la transformation des formes de la propriété, par la promotion de l’association ou par l’édiction de nouvelles règles de fonctionnement du champ politique.
36Pour les républicains français, comme pour les chartistes anglais des années 1840, c’est d’abord la démocratisation des institutions qui permettra de civiliser le changement technique. Le suffrage universel masculin est alors doté d’une forte dimension utopique. Activement réclamé dans les années 1840, et proclamé en France le 2 mars 1848, aux lendemains de la révolution et alors que la crise économique et sociale traverse le continent européen, le droit de vote pour tous les hommes adultes doit à la fois faire advenir l’unité sociale, désamorcer les conflits, et résoudre les dysfonctionnements de l’économie77. Avec la reconnaissance de la souveraineté populaire, pense-t-on, les machines cesseront d’être une menace pour devenir un instrument révolutionnaire et démocratique. Pour le journal républicain La Réforme, par exemple, ceux qui se laisseraient « entraîner à l’holocauste des machines se tromperaient sur leur véritable ennemi »78. La technique industrielle n’est pas responsable de la misère, l’ennemi des ouvriers « c’est le gouvernement féodal-industriel qui, pour fonder son empire sur la servitude de la faim, avilissait la main-d’œuvre et refusait aux travailleurs et le crédit et l’association ». Le suffrage universel doit supprimer les vices du système industriel et faire des machines des instruments d’émancipation :
Les machines sont une puissance éminemment révolutionnaire et démocratique. Au lieu de l’écraser, comme sous le règne de l’industrie féodale, elles doivent affranchir le peuple. La machine, pour les sociétés, c’est la multiplication des pains. Or, puisque le peuple a conquis sa souveraineté, puisque les lois sociales et politiques seront son œuvre, le peuple commettrait un acte de folie contre lui-même en brisant la machine, son instrument et son serviteur79.
37Les premières générations de penseurs républicains et socialistes se reconnaissent presque tous dans le précepte de Saint-Simon :
l’âge d’or, qu’une aveugle tradition a placé jusqu’ici dans le passé, est devant nous80.
38L’œuvre foisonnante de Saint-Simon s’inscrit dans la continuité de l’encyclopédisme des Lumières et vise à substituer « l’administration des choses au gouvernement des hommes » afin de sortir de la révolution en instaurant une société mieux ordonnée grâce à l’industrie et à l’association de toutes les « capacités ». Saint-Simon représente une étape essentielle dans la genèse du « socialisme » sous la Restauration car il réprouve l’individualisme libéral et tente d’offrir du travail à tous en imaginant l’organisation de l’économie et des producteurs. Saint-Simon cherche le moyen d’instaurer le bien-être généralisé, mais son projet à la fois industrialiste et scientiste s’adresse moins aux ouvriers qu’aux élites bourgeoises81. Chez Saint Simon la définition de l’industrie reste floue, mais en annonçant que la « France est devenue une grande manufacture », il semble ouvrir une voie nouvelle à la pensée utopique. Autour de 1830, regroupés sous la houlette de Saint-Amand Bazard et Enfantin, ses héritiers reprennent et popularisent les principaux éléments de son apologie de l’industrie. Comme l’ont montré beaucoup de spécialistes, il y a chez ces auteurs, et en dépit de leurs différences et conflits, comme une apologie jubilatoire des facultés productives de l’homme. Le nouvel appareillage technique semble offrir les moyens de réaliser ce « progrès continu » ou cette « perfectibilité » que de nombreux auteurs recherchaient alors de façon frénétique82. Pour les saint-simoniens comme pour nombre d’auteurs socialistes, la machine semble permettre de substituer à l’esclavage et à l’exploitation de l’homme, l’exploitation de la nature – considérée comme infinie – au service des hommes. Pour Enfantin par exemple, chef de file des saint-simoniens autour de 1830, le progrès technique et industriel – « tout par la vapeur et par l’électricité » – permet d’opérer la vaste révolution sociale qui aboutira à l’émancipation de « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ». Pierre Musso a d’ailleurs fait du « saint-simonisme » moins « un ’socialisme utopique’ selon la vulgate marxienne, qu’un ’technologisme utopique’ »83. Même si cette « utopie technologique », développée notamment par Michel Chevalier, et cet horizon d’une maîtrise prométhéenne de la nature, ne sont pas partagés par tous les utopistes et réformateurs sociaux de l’époque, elle tend à s’étendre.
39Pour ceux qui sont peu à peu réunis sous l’étiquette socialiste, c’est toutefois moins par les réformes politiques et la reconnaissance de la souveraineté populaire que par l’association, la coopération et la communauté, que la domestication des machines et l’atténuation de leurs dangers deviendront possibles. L’association des travailleurs ou l’abolition de la propriété privée doivent transformer les techniques néfastes en bienfaits pour tous. Proudhon voit ainsi la solution à la « question technique » dans un autre usage social du machinisme, dans la promotion des associations et de la coopération ouvrière. Les radicaux et les socialistes imaginent de nombreuses modalités de domestication et de régulation des techniques. Les problèmes posés par leur déferlement devaient être réglés soit par l’État, soit par la coopération ouvrière et les associations. Comment ces penseurs ont-ils décrit le nouveau milieu technique de la société industrielle, quels mécanismes ont-ils imaginé pour le mettre au service de l’émancipation de la classe laborieuse ? Il y a dans ce domaine une profusion de positions que les contributions réunies dans ce volume aspirent à éclairer.
40Au cours de la première moitié du XIXe siècle, les socialismes contribuent à acclimater l’idée selon laquelle l’industrie et le travail sont une dimension essentielle de l’histoire humaine. À côté de l’essor industriel, toute une série d’autres dimensions du développement technique viennent alimenter la réflexion utopique (le chemin de fer, le télégraphe, le rôle des ingénieurs dans la société). Les techniques de transports et de communication ont particulièrement fasciné ces auteurs. Dans son système de la Méditerranée, Michel Chevalier y voyait des outils de transformation non seulement économique mais aussi morale et politique :
L’introduction, sur une grande échelle, des chemins de fer sur les continents, et des bateaux à vapeur sur les mers, sera une révolution non seulement industrielle, mais politique. Par leur moyen, et à l’aide de quelques autres découvertes modernes, telles que le télégraphe, il deviendra facile de gouverner la majeure partie des continents qui bordent la Méditerranée avec la même unité, la même instantanéité qui subsiste aujourd’hui en France84.
41Dans le mouvement fouriériste85, l’intérêt pour les machines et les innovations techniques acquiert une importance croissante après la mort du maître en 1837. Les disciples qui se regroupent dans l’école sociétaire font alors le tri dans les écrits de Fourier pour les expurger de ses aspects jugés les plus étranges ou excentriques. Victor Considerant notamment, un ingénieur polytechnicien très marqué par les écrits saint-simoniens, tente de retraduire l’idiome fouriériste dans un langage susceptible de séduire ses contemporains86. Il y parvient d’ailleurs largement en élargissant progressivement les bases du mouvement. Parmi les évolutions opérées il y a notamment l’intérêt croissant pour les machines et le rôle des techniques dans les transformations de la société. Dès 1833, le médecin et philanthrope nantais Ange Guépin, proposait dans un petit ouvrage de vulgarisation des idées fouriéristes une analyse de la place « des machines dans le système sociétaire ». Contre des ouvriers nantais qui avaient détruit des machines en 1830, il affirme que « si les ouvriers et leurs chefs d’industrie étaient associés, les machines, loin de nuire à personne, seraient au contraire très utiles à tous ». D’ailleurs, pour lui, seules les machines, utilisées « dans le système sociétaire », « permettront de produire suffisamment pour les besoins et le bien-être de la grande famille humaine »87. Victor Considerant conçoit quant à lui le phalanstère comme un centre d’activité technique avancé. Dès 1836 il rend d’ailleurs compte avec enthousiasme du Traité sur l’économie des machines et des manufactures de Charles Babbage dans La Phalange88.
42Cette fascination croissante pour le nouvel agir technique industriel apparaît aussi dans les comptes rendus des travaux de l’académie des sciences comme dans l’importance croissante accordée aux débats sur les techniques. Dans les écrits de Considerant, la métaphore mécanique acquiert peu à peu un rôle central dans la description du fonctionnement de la future société et les phalanstériens se pensent de plus en plus comme des « ingénieurs sociaux » qui doivent révéler au monde « la supériorité du Nouveau mécanisme sur les Systèmes en usage »89. Si l’ingénieur socialiste Considerant exalte les technologies, il conteste en même temps les analyses qu’en donnent les économistes libéraux :
Je voudrais que l’on découvrît demain un procédé pour faire de l’Économie politique à la vapeur, – ce qui certes est loin d’être impossible, – et nous verrions si ces ânes savants qui vivent de leurs livres et de leurs cours d’Économisme, ne modifieraient pas leur opinion sur le bonheur dont sont favorisés les ouvriers à la création des machines !90.
43À la fin des années 1840, lorsque Considerant propose une description détaillée du phalanstère, les machines semblent définitivement avoir envahi l’imaginaire sociétaire. Le Phalanstère est désormais pensé comme un « centre d’activités industrielles ’avancées’ », où « tout est prévu, pourvu, organisé et combiné, l’homme y gouverne en maître l’eau, l’air, la chaleur et la lumière »91. Partout les « mécaniques abrégeant l’ouvrage » se sont répandues. Même les repas et la cuisine deviennent des activités mécanisées :
les tables et les buffets, chargés dans ces salles basses, pris et élevés, aux heures des repas, par des machines sont apportés tout servis dans les salles de banquets92.
44Désormais, « les moteurs et les grandes machines y déploient leurs forces, broient, assouplissent ou transforment les matières premières sous leurs organes métalliques, et exécutent pour le compte de la Phalange mille opérations merveilleuses »93. Cette importance nouvelle accordée au développement technique est à relier aux transformations industrielles qui marquent la monarchie de Juillet, mais aussi aux mutations internes du mouvement fouriériste. Les années 1830 sont en effet une phase d’accélération de l’industrialisation et du changement technique : la popularisation de l’expression « révolution industrielle », l’émergence parallèle du chemin de fer, du télégraphe électrique ou de la machine à vapeur amènent les contemporains à accorder une attention nouvelle aux prouesses de la technique.
45Au milieu du XIXe siècle, « la question de machines » a été progressivement résolue en atténuant les doutes et contestations initiales. En 1848, peu après la résurgence des troubles parmi les imprimeurs parisiens, l’ancien saint-simonien Michel Chevalier, devenu l’un des chantres de l’industrie et du libéralisme, affirme que « sans les machines qu’ils détestent, les ouvriers ne seraient pas des hommes libres, ils seraient des esclaves »94. Pour Louis Blanc, le théoricien de « l’organisation du travail », les malheurs qui accompagnent le machinisme sont provisoires, avec l’organisation rationnelle du travail, la réforme des brevets, la mise en place des « ateliers sociaux » contrôlés par l’État, les anciens procédés néfastes serviront le bien être de tous. Si les machines peuvent être dangereuses dans le système libéral et bourgeois de concurrence généralisée, elles deviendront au contraire des conquêtes « merveilleuses » dans la future société socialiste95. La pensée technologique est au cœur des distorsions incessantes entre le présent et l’avenir qui travaillent les socialismes. Louis Blanc se distingue fortement des courants antérieurs par sa confiance en l’État et en une « sainte concurrence » régulée par en haut. Il pense que les ateliers sociaux permettront d’augmenter de façon infinie les progrès techniques, qu’ils permettront d’améliorer la qualité de la production, jusqu’à concurrencer et même supplanter les entreprises privées.
46Ce type de descriptions se généralise sous la plume des penseurs socialistes, en dépit de leurs innombrables conflits et nuances. Comme le rappelle Joost Mertens dans ce volume, l’Icarie du communiste Étienne Cabet est peinte comme un univers intégralement mécanisé. Étienne Cabet, avocat républicain converti au communisme à la fin des années 1830, ne cesse d’exalter le potentiel émancipateur et révolutionnaire des techniques dans ses écrits des années 1840 :
Sous la bienfaisante direction de la Communauté, personne ne voit avec effroi l’invention de nouvelles machines, parce que ces machines ne peuvent nuire à personne ; tout le monde en désire au contraire, tout le monde exerce son intelligence pour en découvrir […]. Le but de la Communauté est même de trouver des machines à l’infini, de faire exécuter tous les travaux par des machines, et de réserver à l’homme le noble rôle d’un être, créateur spirituel et commandeur de machines96.
47La force de l’imaginaire icarien des techniques, ce qui explique aussi sa popularité dans le monde ouvrier, réside dans sa capacité à traduire le machinisme dans le langage de l’autonomie artisanale et la rhétorique des religiosités populaires97. Selon Cabet, en Icarie ce sont les ouvriers eux-mêmes qui deviennent « inventeurs » et « directeurs » de machines98. Cabet suggère par ailleurs un changement des règles de la propriété du capital propre à séduire les travailleurs de son époque. Dans la République icarienne, c’est la collectivité qui est propriétaire des moyens de production. Loin de supprimer l’artisan indépendant, Cabet affirme que c’est la machine qui permet de restaurer l’autonomie artisanale. En faisant des ouvriers des « directeurs » de machines, le système communiste détruit les relations hiérarchiques incarnées par la figure de l’ingénieur et reconstitue l’autonomie de l’artisan menacée par la concentration croissante du capital. La force du discours icarien et son efficacité propagandiste viennent de sa capacité à animer la machine en la dotant d’attributs quasi magiques. En isolant la mécanisation de ses effets socioéconomiques perçus au sein des ateliers pour en faire le postulat d’une nouvelle religion de la fraternité, Cabet rend possible la réconciliation des rationalités ouvrières avec le nouvel univers mécanique.
48Ludovic Frobert montre de son côté comment Constantin Pecqueur (1801-1887), un ancien saint-simonien qui joue un rôle important dans la Commission du Luxembourg de 1848, voit dans les machines l’instrument privilégié de l’avènement d’un monde non assujetti à la rareté. Pecqueur théorise la socialisation du sol et des instruments de production et la formation d’une association universelle qui doit aboutir à la « République de Dieu », fondée sur l’exploitation du globe au profit de tous. Pour lui, « sans le progrès dans les améliorations matérielles, il ne peut exister de progrès dans la liberté individuelle et sociale ». Certes, chacun sait que « la substitution de ces grands leviers de l’ordre brut au travail des classes ouvrières entraîne de graves inconvénients », mais ces derniers seront provisoires et ils pourront être compensés par « l’indemnité et le soulagement », car « le temps est venu où l’opinion publique doit investir les pouvoirs représentatifs […] pour diminuer les inconvénients de cette substitution des machines aux bras »99. La force de ces discours réside dans leur capacité à domestiquer les technologies industrielles naissantes pour les mettre au service du plus grand nombre. Pour Pecqueur, « sans les machines, l’homme est impuissant et la société impossible » ; s’il reconnaît l’ampleur de la « perturbation produite par les machines », cela « ne leur ôte pas leur caractère social : aux hommes de s’entendre »100. Pour les théoriciens du socialisme moderne, les techniques sont neutres et leurs effets néfastes doivent disparaître avec le développement des associations, l’intervention de l’État et la mise en place de sages régulations.
V. Innovations, innovateurs et techniciens socialistes
49Au-delà des discours et des théories en compétition, on sait par ailleurs que les socialistes de la première moitié du XIXe siècle furent des expérimentateurs et des hommes pratiques, s’adressant sans cesse au monde des ouvriers et des artisans comme aux institutions savantes, mettant parfois la main à la pâte pour soutenir des projets techniques et encourager des innovations. Depuis Jules Prudhommeaux au tout début du XXe siècle jusqu’aux publications de l’Association d’études fouriéristes101, en passant par les ouvrages d’Henri Desroche sur les « fouriérismes pratiqués »102, la question des expérimentations socialistes, de leurs échecs comme de leurs impacts, a été un champ d’étude privilégié de l’historiographie. Les doctrines socialistes ont sans cesse été modelées par les débats qui agitent la société, et ce « réel de l’utopie » se retrouve dans le domaine des sciences et techniques comme dans celui des coopératives de consommation ou des expérimentations communautaires103. S’ils défendent des trajectoires technologiques alternatives, s’ils s’intéressent aux débats qui ont lieu dans les sphères savantes et industrielles, ils expérimentent aussi de multiples formes de réformes sociales, d’expériences coopératives pour tenter de modifier l’usage des outils et des machines. Ce livre entend évaluer aussi la part de ces réalisations, leurs relations avec les discours, les liens comme les décalages entre les théories et les pratiques.
50Il convient tout d’abord de rappeler que beaucoup de ces premiers socialistes furent aussi ingénieurs, techniciens, ouvriers, beaucoup ont inventé des dispositifs techniques, tenté d’expérimenter des nouveaux procédés, mis en débat les technologies de leur époque. On le sait pour les saint-simoniens dont beaucoup furent ingénieurs d’État, François Gallice a tenté d’évaluer leur nombre et de comprendre les origines de cet engagement autour de 1830104. Penser le rapport des socialistes aux techniques c’est donc réfléchir à leur identité, à la sociologie des militants comme aux publics auxquels ils s’adressaient. Le mouvement fouriériste qui se structure peu à peu dans les années 1830 donne ainsi une grande place aux techniciens et aux ingénieurs : l’industriel modernisateur Théodore Croutelle à Reims ; le chimiste Jean-Augustin Barral, l’ingénieur des Ponts et Chaussées Krantz, qui construit le palais de l’exposition de 1867, ou encore des vulgarisateurs comme Victor Meunier, appartiennent tous à un moment où à un autre à la mouvance fouriériste comme le rappelle Bernard Desmars dans sa contribution sur les inventeurs disciples de Fourier. Victor Considerant lui-même s’est toujours passionné pour les expérimentations technologiques, allant jusqu’à s’impliquer personnellement dans des entreprises visant à « l’essai expérimental » de nouveaux procédés, comme cette « machine propre à fabriquer des fers à cheval » qu’il a contribué à fonder en 1837 pour soutenir un inventeur nommé Tardieu105.
51Le cas de John A. Etzler, dont les inventions et les écrits ont été abondamment commentés en Europe et en Amérique du Nord, offre sans doute l’exemple de l’inventeur socialiste le plus célèbre de cette époque106. Immigrant allemand installé aux États-Unis et fortement influencé par les doctrines de Fourier, il publie un livre en 1833 où il annonce l’avènement du « Paradis à la portée de tous les hommes, sans travail et au moyen des forces de la nature et des machines »107. Il voyait l’Amérique comme un nouvel Éden où l’homme, être rationnel, pourrait construire librement, grâce aux machines, une société pacifiée et heureuse, loin de l’Europe monarchique et autoritaire. Déposant lui-même de nombreux brevets pour des techniques qui devaient alléger les souffrances des classes laborieuses, il imagine ainsi un « automaton », engin propulsé par la force motrice des vagues et des vents, qui devait offrir une énergie propre et facile d’accès – mais qui coule dans les eaux de la Tamise lorsqu’il est expérimenté en 1841108 ! Les phalanstériens français rendent compte des expériences de « l’ingénieux mécanicien » et décrivent avec éloge le navire qu’il a imaginé pour « profiter de toute la force du vent », allant jusqu’à écrire « que ce modèle de vaisseau, sous le rapport de la rapidité, de l’économie et de la sécurité, l’emportera sur les bateaux à vapeur : peut-être est-il destiné à les remplacer un jour »109.
52Cet intérêt pour les trajectoires alternatives et les techniciens incompris ou malheureux se retrouve dans de nombreux écrits socialistes avant 1848, il conduit parfois les militants à prendre part aux controverses technologiques. Comme leurs contemporains, ils sont particulièrement intéressés par les technologies de transport et de communication, comme le montrent ici Georges Ribeill et Thomas Bouchet à propos du chemin de fer et du télégraphe. Le cas des controverses ferroviaires à la fin des années 1830 est bien connu, même si la participation des socialistes à ces débats a peu retenu l’attention. Alors que le trafic commence à croître, que les premières lignes pour voyageurs sont ouvertes et que de vastes capitaux sont investis, le choix de la technologie ferroviaire demeure discuté. Le philosophe et scientifique polonais Josef Hoëné-Wronski (1776- 1853) dénonce par exemple ce qu’il nomme la « barbarie ferroviaire » et propose divers modèles de locomotions alternatives. Pour lui, le système de « simple rotation des roues », caractéristique des chemins de fer n’est qu’un « prétendu progrès de la civilisation moderne [qui nous ramène en fait] au temps barbare des gigantesques voies des Romains »110. Par les énormes capitaux qu’ils nécessitent, les chemins de fer empêchent les autres trajectoires alors que tant d’argent pourrait servir « bien plus utilement, à la construction des canaux, de ces œuvres vraiment caractéristiques de la civilisation moderne ». La presse fouriériste diffuse cette opinion. Considerant émet aussi des doutes à l’égard de l’engouement du public pour les chemins de fer111, il critique les vastes capitaux engloutis dans le ferroviaire aux dépens de l’agriculture et d’autres investissements plus utiles, il s’en prend à ceux qui s’enthousiasment sans retenue pour le train, avant de se convertir lui-même aux bienfaits du nouveau système prudemment placé sous le contrôle de l’État.
53En France, où le télégraphe aérien Chappe avait été développé précocement, des débats s’engagent également lorsque surgit le nouveau système de télégraphie électrique. Comme pour les chemins de fer, les phalanstériens insistent sur les dangers et les problèmes du nouveau système technique, notamment la multiplication des guerres ou les risques de détournement. Auguste Colin évoque aussi les tensions internationales qui ne manqueront pas de surgir avec le développement des lignes télégraphiques :
Comment mettre une chose si délicate à l’abri des atteintes de la malveillance, lorsque, par le fait même de la forme de nos Sociétés, il y a toujours dans leur sein tant d’intérêts et de passions qui sont constamment en lutte les uns contre les autres ?112.
54Ces dangers « ne seraient plus guère à redouter du moment que, grâce à l’Association universelle, ni les uns ni les autres n’auraient intérêt à intercepter les communications »113. Seule l’association universelle sur le modèle phalanstérien peut transformer cette technique en instrument pacifique. La participation aux débats techniques permet aux fouriéristes de promouvoir leur doctrine en la présentant comme la seule manière de domestiquer et d’introduire de façon harmonieuse les découvertes de la science.
55Ces analyses socialistes visant à dompter Prométhée contribuent à construire la thèse du mésusage des systèmes techniques, c’est-à-dire l’idée selon laquelle les techniques seraient neutres et qu’il conviendrait simplement de mettre en place les bons mécanismes institutionnels et juridiques permettant de les réguler. Pour Considerant, la science sociale fouriériste offre d’ailleurs les outils adéquats pour juguler les risques technologiques. Face aux menaces qui accompagnent les progrès mécaniques, il propose par exemple la mise en place d’un « Ministère du progrès industriel et des améliorations sociales » qui aurait pour fonction de « donner à la Société la Garantie du PROGRÈS en le régularisant ». Alors que le fouriérisme était initialement un univers de petites communautés productives autogérées en réseau, Considerant fait de plus en plus de l’appareil administratif et politique de l’État le principal levier de la transformation sociale. Cette idée d’un ministère du Progrès témoigne de la nouvelle valorisation dont bénéficient désormais l’État et la Politique au cours des années 1840 au sein de l’école sociétaire114. Ce ministère comporterait deux divisions : la première, dédiée aux « progrès industriels », serait chargée de l’examen, de l’expérimentation et de la publication des découvertes, inventions et perfectionnements dans l’industrie. La seconde concernerait le progrès social, elle devrait recenser, mettre en discussion et encourager l’expérimentation des réformes sociales les plus utiles115. Ce ministère des découvertes était déjà présent chez Fourier, mais alors que chez le maître elle devait servir à valider ses projets de transformations sociales, elle devient aussi, chez Considerant, un instrument de régulation des transformations techniques et industrielles. Ce type d’instance d’arbitrage participe à l’invention d’une sorte d’ingénierie sociale chargée d’anticiper les effets des découvertes de l’industrie ; la science sociale fouriériste telle qu’elle est pensée par Considerant s’inscrit parfaitement dans le triomphe progressif de la figure de l’expert chargé de dire le vrai contre l’opinion de plus en plus repoussée comme ignorante116.
VI. Mises en pratique et pluralité des expérimentations
56S’ils encouragent les inventeurs et débâtent parfois des projets techniques, les militants socialistes manipulent aussi les machines et les outils et interrogent leurs usages. Il faudrait explorer de plus près comment les patrons philanthropes, séduits par les discours socialistes, ont tenté de les adapter dans leurs ateliers. Ophélie Siméon montre ainsi, dans le cas de l’expérience de New Lamarck, combien Owen était attentif à l’organisation technique des ateliers et comment il tenta d’atténuer les risques en sécurisant le travail au quotidien. À côté des industriels, d’autres – plus nombreux – étaient ouvriers et artisans. Comme l’a bien montré Jacques Rancière, la ligne de partage demeurait parfois floue à l’époque entre les intellectuels et les militants populaires117. Les travailleurs des années 1840 adaptent progressivement leurs discours à l’économie politique socialiste dans laquelle la machine doit devenir bénéfique à tous :
nous regardons les machines comme un grand progrès pour l’humanité ; nous les croyons appelées à régénérer le monde, mais à la condition d’être exploitées au profit de tous et non de quelques-uns, écrivent ainsi des travailleurs dans un périodique éphémère en 1844. Elles doivent appartenir aux ouvriers, entre les mains intelligentes desquels ce seront des outils plus productifs qu’entre les mains des seuls capitalistes. Pour cela, nous l’avons dit, il faut recourir à l’association118.
57La mention des « mains intelligentes » des prolétaires doit être notée, elle révèle combien l’espoir d’approprier les techniques aux savoirs pratiques des artisans demeurait grand à l’époque. Il faut donc explorer la pluralité des pratiques et des expériences, interroger aussi les usages socialistes des outils, des objets, réfléchir au rôle qu’occupe la matérialité des pratiques dans les expérimentations sociales.
58Face à l’accusation d’utopie et d’irréalisme proférée par leurs opposants, les socialistes se font un devoir de montrer l’efficacité pratique de leurs doctrines. Dans les expérimentations fouriéristes des années 1840, les outils techniques semblent de plus en plus nettement intégrés. Dans une lithographie d’un phalanstère publié en 1847, et qui sert de couverture à ce livre, on voit ainsi un bateau à moteur, de grandes usines actionnées par la vapeur avec leurs cheminées qui fument, même si tout cela reste inséré dans un environnement champêtre119. Le phalanstère est une pensée de l’espace, il doit témoigner « de l’union des âmes et des cœurs », mais il est aussi un monde de techniques et d’agencements matériels originaux tentant de réconcilier l’industrie et la nature, la productivité du travail et l’émancipation des ouvriers. Avec les descriptions du phalanstère de la fin des années 1840, il s’agit de donner à voir le réel de la société harmonieuse en décrivant les moindres détails de l’agencement matériel de la future communauté. Dans son texte de propagande fouriériste écrit peu avant la révolution de Février 1848, l’ouvrier teinturier Mathieu Briancourt décrit en détail le quotidien d’un Phalanstère :
Ici, comme partout, ajouta notre guide en parcourant avec nous le Séristère, les machines font à peu près toute la portion fatigante de la besogne : la machine fournit la force, l’homme l’intelligence et sa tâche se borne, dans l’industrie manufacturière, à surveiller, à diriger, à ajuster. Vous ne devez donc pas être surpris de voir plusieurs dames enrôlées parmi nos tourneurs et nos scieurs de long, dont les métiers si pénibles autrefois étaient abandonnés aux esclaves. Si vous voyez divers systèmes de machines appliqués à des opérations identiques, c’est afin d’entretenir l’émulation parmi les travailleurs dont chaque groupe donne la préférence à une machine différente de celles dont se servent les groupes rivaux120.
59La description du fonctionnement des machines et des techniques dans les sociétés utopiques participe pleinement des stratégies propagandistes visant à convaincre les hésitants et séduire les lecteurs. Pour le militant fouriériste François Villegardelle, par exemple, montrer le fonctionnement des machines devient le meilleur moyen de prouver la supériorité du principe d’association sur les logiques de concurrences. Grâce à la revalorisation de l’échelle communale et à « l’établissement d’ateliers agricoles-industriels », « les progrès les plus désirables s’accompliraient sans douleurs » :
Parce qu’au lieu d’être une arme entre les mains d’un seul, les machines possédées par la société donnent des bénéfices réversibles sur tous ses membres. Aujourd’hui l’invention d’une mécanique, utile pourtant, est un sujet d’effroi pour les malheureux ouvriers, qui souffrent pendant le temps nécessaire à un nouvel apprentissage. Il est donc impossible de servir la masse sans porter un coup mortel à l’industrie de quelques-uns, tandis que dans l’association, tous désirent les progrès industriels parce que tous en profitent121.
60Les exemples à explorer sont potentiellement innombrables en France, aux États-Unis comme dans le monde colonial. Les essais phalanstériens les mieux connus et les plus cités sont ceux de Condé-sur-Vesgre et de Cîteaux en France, de Réunion au Texas, ou encore de l’Union agricole d’Afrique de Saint-Denis-du-Sig créée en Algérie en 1846122. Ces expériences et beaucoup d’autres initiées par les militants fouriéristes dont Bernard Desmars a récemment retracé la trajectoire et l’action réformatrice dans de nombreux domaines, pourraient être pensées à partir de leurs enjeux proprement techniques123. Lors de l’expérience précoce de Condé-sur-Vesgre initiée en 1833 du vivant de Fourier, des disciples s’installent sur un domaine de 500 ha en friche à 75 km de Paris. La colonie emploie jusqu’à 60 ouvriers agricoles, un corps de ferme avec des salles communes, des logements et des ateliers sont édifiés, mais il y a peu d’essais techniques innovants, les outils utilisés restent simples et l’expérience échoue dès 1834 faute de capitaux. Cette expérience, comme celle de Citeaux dans la première moitié des années 1840, montre le décalage entre les discours et imaginaires technologiques et les pratiques réelles souvent très en retrait124.
61Aux États-Unis, Carl J. Guarneri a montré comment les communautés fouriéristes ont tenté de réconcilier l’idéal pastoral et l’imaginaire technologique, « la machine et le jardin » pour reprendre la formule de Léo Marx. Les fouriéristes nord américains comme Brisbane et John Allen ont été séduits par les projets d’Etzler et Brisbane lui-même a inventé de nombreux appareils futuristes qu’il a tenté d’appliquer pour favoriser la création d’établissements agricoles modernisés. À cet égard, écrit Guarneri, « le capitalisme industriel et les premiers socialismes partageaient un même idéal modernisateur »125. En France, le cas de Godin et de son familistère a sans doute le plus retenu l’attention, même si les liens de ce dernier avec le socialisme sont ambigus et très lâches. Si Godin est fouriériste, s’il est hostile au libéralisme, il devient aussi un industriel important qui s’efforce de réconcilier l’harmonie fouriériste et l’efficacité économique, l’innovation technologique, la qualité des produits et la reconnaissance des savoir-faire ouvriers. Il s’empare des analogies fouriéristes pour les traduire en objets matériels, la « gastrosophie » transmuée en poêles illustre magnifiquement ce projet d’une technologie alternative d’inspiration fouriériste126. Godin s’implante à Guise en 1846 pour fabriquer des appareils domestiques en fonte pour le chauffage et la cuisson. Rapidement l’usine rencontre le succès et devient gigantesque, passant de 30 à 1 500 ouvriers entre 1846 et 1887 et s’étendant à cette date sur 45 200 m2. L’usine est équipée des derniers procédés, elle comporte des machines à vapeur totalisant une puissance de 250 chevaux-vapeur et recourt à une mécanisation poussée. Dans le même temps, Godin ne cesse de diversifier et d’améliorer la qualité des produits et de faire appel à l’ingéniosité de sa main-d’œuvre, au moyen d’incitation financière127.
62Aux États-Unis comme en Europe et dans les autres territoires d’expérimentations, la quasi-totalité des communautés utopistes du XIXe siècle sont des entreprises à dominante agricole. L’essentiel des travaux concerne d’abord la mise en valeur des champs, l’aménagement des pâturages ou l’exploitation des forêts. Si les activités industrielles dépassent rarement le stade artisanal, la question des techniques n’est toutefois jamais absente. Après 1848, certaines expériences s’efforcent d’ailleurs d’introduire les derniers perfectionnements. Au début de la colonisation de la Réunion au Texas, en 1855, les fouriéristes restés en France font ainsi directement appel au génie inventif des phalanstériens :
Nous attachons une importance aussi sérieuse à tout ce qui pourra rendre les ateliers des industries de première nécessité le plus productifs possibles, aux machines et aux instruments d’agriculture, aux plantes, semences, graines qu’il convient d’emporter d’Europe128.
63Dans les Icaries expérimentées aux États-Unis la question de l’usage des machines et de l’organisation de la production se pose également, mais là plus qu’ailleurs les décalages sont grands entre les appels prométhéens de Cabet à développer les « machines à l’infini » et la réalité du terrain. Entre 1848 et 1860, entre 1 000 et 1 500 icariens se rendent aux États-Unis pour tenter de réaliser la communauté idéale129. Dans sa « Constitution icarienne », Cabet répète que « les machines [devront être] multipliées sans borne, pour aider et garantir le travailleur, même pour le remplacer, de manière que l’homme puisse un jour n’être qu’un créateur et un directeur de machines » (art. 66). Il prévoit une organisation du travail où les ouvriers « forment une armée pacifique, dirigée par des chefs élus », le travail devient une « fonction publique » et les « machines sont essentiellement utiles » puisqu’elles « travaillent pour tous sans nuire à personne ». Mais dans la pratique la situation est très différente130. Dans les communautés de Nauvoo, dans l’Illinois, le travail agricole reste ainsi essentiellement manuel en raison du manque de capitaux et de l’abondance de bras, même si dès 1851 les Icariens acquièrent aussi une machine à battre, puis une autre pour faucher ainsi qu’une machine à laver le linge en 1852131. À côté des productions agricoles, diverses activités artisanales sont implantées comme des scieries, des distilleries, des boulangeries, etc. Une machine à vapeur est acquise également, mais cette quête de modernité technique grève durablement les finances de la communauté et contribue au final à affaiblir l’expérience.
64Dans cet ouvrage il sera donc question d’idées et de choses, de théories et de pratiques, d’utopies et d’expérimentations. En suivant les relations que les auteurs et mouvements réformateurs à l’origine du socialisme moderne ont entretenues avec la question des techniques, l’enjeu sera d’explorer la genèse des utopies technologiques contemporaines, et les liens étroits qui se sont tissés entre réforme sociale et changement technique. Comme le souligne Liliane Hilaire-Perez dans la postface, il s’agit aussi d’explorer comment les socialistes ont cherché à « sauver l’objet technique » en le redéfinissant hors du cadre capitaliste et libéral. Alors que le machinisme industriel du XIXe siècle ne cesse de susciter des interprétations ambivalentes, les techniques sont peu à peu intégrées dans le grand récit du progrès et de la modernité132. Dès le début du XIXe siècle se sont donc forgées des technopolitiques, c’est-à-dire des entrelacements originaux entre les discours et imaginaires politiques et les choix techniques, qui ont façonné durablement le champ des possibles. Mais l’ambivalence et les efforts de définition de ce que recouvre la technique ne sont pas propres aux décennies centrales du XIXe siècle, elle subsiste à la fin du siècle lorsque le socialisme moderne s’invente sous la houlette du marxisme dans des structures partisanes et des organisations politiques de masse133. À travers les écrits des premiers socialistes qui se pensaient eux-mêmes comme des théoriciens de la science sociale, il s’agit donc aussi d’explorer les racines des réflexions sur les techniques et les modalités de prise en charge des objets techniques par les sciences sociales naissantes. La réflexion sur les techniques n’est pas une invention du XXe siècle, elle trouve ses racines dans les premiers jalons de la science sociale des années 1830-1840.
65Si les organisations socialistes qui s’institutionnalisent à la fin du siècle, comme les syndicats du XXe siècle, partagent la foi dans la capacité de la technique à produire le progrès social, les ambivalences et interrogations subsistent pourtant dans les marges134. Au début du XXe siècle par exemple, alors que le mouvement ouvrier et socialiste s’est largement rallié au modèle productiviste ; alors que Lénine affirme bien haut que « le socialisme est impossible sans la technique du grand capitalisme, conçue d’après le dernier mot de la science la plus moderne »135, le petit groupe des anarchistes naturiens prône au contraire le retour à la nature comme seul moyen de réaliser les promesses égalitaires du socialisme. Des auteurs libertaires comme Henri Zisly affirment ainsi que « le dieu machine trouve en nous des adversaires féroces. Nous déclarons bien haut que le machinisme ne donnera pas à l’homme le bonheur »136. Dans les années 1930, alors que le capitalisme et son appareillage technique entrent dans une nouvelle phase de crise, George Orwell tente de son côté de concilier son « aversion pour le ’progrès’ et la civilisation machiniste » avec son socialisme. Dans la filiation d’Aldous Huxley ou de William Morris, il décrit la crise vécue par la classe ouvrière et les raisons de son opposition au machinisme. Dans Le Quai de Wigan (1937) il constate qu’au XIXe siècle, la « protestation s’appuyait en général sur l’argument, assez peu consistant, que l’industrialisme présentait dans les premières phases de son développement un visage cruel et repoussant », mais seule « l’époque de la mécanisation triomphante, permet d’éprouver réellement la pente naturelle de la machine, qui consiste à rendre impossible toute vie humaine authentique »137. Dans le monde socialiste dont il rêve, les machines ne devraient être utilisées qu’avec prudence et l’idéal ne saurait être celui d’un « monde ordonné, efficace ».
66La question des techniques n’a cessé de travailler les traditions intellectuelles émancipatrices, et la dialectique de la célébration et de la critique structure toujours les débats. Dans les années 1970, alors que l’ancien cadrage modernisateur entrait en crise au profit de nouvelles interrogations, notamment écologiques, Ivan Illich affirmait par exemple que « l’idéal proposé par la tradition socialiste ne se traduira dans la réalité que si l’on inverse les institutions régnantes et si l’on substitue à l’outillage industriel des outils conviviaux »138. Comme au milieu du XIXe siècle, la question lancinante demeure celle des stratégies de domestication d’un changement technique qui semble de plus en plus autonome et incontrôlable, selon le diagnostic formulé par Jacques Ellul, qui entretenait lui-même des liens complexes avec la tradition socialiste. Dans ses cours sur l’histoire du marxisme professé dans les années 1960 il affirmait ainsi avoir « repris un certain espoir à l’égard du socialisme » à l’occasion de l’expérience Tchécoslovaque et du printemps de Prague de 1968 qu’il décrivait ainsi : « une réponse marxiste aux problèmes d’une société technicienne »139. Par la suite toutefois le désenchantement gagne de nouveau la critique ellulienne. Dans les années 1980, alors que des socialistes arrivent au pouvoir en accompagnant l’idéal du gigantisme technicien, Ellul considère le socialisme non plus comme un simple moyen de domestiquer le « système technicien » mais comme l’antithèse même de ce système : le choix n’est plus comme l’affirmait Engels entre « le socialisme et la barbarie [mais] entre le socialisme et la société technicisée. Le capitalisme peut déboucher sur cette société technicienne qui va barrer définitivement la route au socialisme »140. À la même époque, des auteurs comme André Gorz et Cornelius Castoriadis – très influencés par les débats sur l’autogestion – exprimaient également des interrogations et des doutes sur les trajectoires technoscientifiques en cours. Castoriadis notamment invitait à « tracer la limite » au développement infini des sciences et des techniques. Il proposait de rompre avec l’imaginaire technologique dominant :
une révolution qui ne s’attaquerait pas immédiatement à la question du changement conscient de la technique pour la modifier et permettre aux hommes, comme individus, comme groupes, comme collectivités de travail, d’accéder à la domination du processus productif, une telle révolution marcherait à sa mort à courte échéance141.
67À l’heure des « révolutions numériques » célébrées comme des outils essentiels pour repenser le capitalisme et les rapports sociaux, les questions qui animaient les premières générations socialistes explorées dans ce livre restent plus que jamais les nôtres.
Notes de bas de page
1 Cet « essai introductif », sans doute trop long, vise à circonscrire les contours d’un sujet peu exploré. Il a bénéficié des remarques et suggestions de Thomas Bouchet, Thomas Le Roux, Liliane Hilaire-Perez que je remercie chaleureusement.
2 Blanqui Adolphe, 1860 [1re éd. 1837-1838], Histoire de l’économie politique en Europe depuis les anciens jusqu’à nos jours, Paris, Guillaumin, tome 2, p. 167 et 170 ; cf. Démier Francis, 2006, « Adolphe Blanqui : la leçon anglaise d’un économiste libéral français », in Aprile Sylvie et Bensimon Fabrice (dir.), La France et l’Angleterre au XIXe siècle : échanges, représentations, comparaisons, Paris, Créaphis, p. 50-67.
3 Sur les débats qui accompagnent la mécanisation depuis le début du XIXe siècle, je me permets de renvoyer à Jarrige François, 2014, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte.
4 Trousson Raymond, 1964 (2e éd. augmentée 1976 ; 3e éd. 2001), Le thème de Prométhée dans la littérature européenne, Genève, Droz, 2 vol. ; Radix Élise, 2006, L’Homme-prométhée vainqueur au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan.
5 Lagrée Michel, 2000, La Bénédiction de Prométhée. Religion et technologie (XIXe-XXe siècle), Paris, Fayard.
6 Proudhon Pierre-Joseph, 1846, Système des contradictions économiques, ou Philosophie de la misère, Paris, Guillaumin, tome 1, p. 56 ; Marx Karl, 1847, Misère de la Philosophie. Réponse à la Philosophie de la Misère de M. Proudhon, Paris, Bruxelles, p. 86.
7 Landes David S., 1975 (trad. fr.) [1969], L’Europe technicienne, ou Le Prométhée libéré. Résolution technique et libre essor industriel en Europe occidentale de 1750 à nos jours, Paris, Gallimard.
8 Berg Maxine et Bruland Kristine, 1997, Technological Revolutions in Europe 1760-1860, Cheltenham, Edward Elgar ; Verley Patrick, 1997, La révolution industrielle, Paris, Gallimard.
9 Sabel Charles et Zeitlin Jonathan, 1985, « Historical Alternatives to Mass production : Politics, markets and Technology in Nineteenth century Industrialization », Past and Present, n° 108, p. 133-176 ; Sabel Charles et Piore Michael J., 1989 (trad. fr.) [1984], Les chemins de la prospérité. De la production de masse à la spécialisation souple, Paris, Hachette ; Sabel Charles et Zeitlin Jonathan, 1997, « Stories, strategies, structures : rethinking historical alternatives to mass production », in Sabel Charles et Zeitlin Jonathan (éds), World of Possibilities, Cambridge, CUP, p. 1-33.
10 Rappelons que les positions de ces premiers socialistes sur la question de l’égalité varient beaucoup, ni le saint-simonisme ni le fouriérisme ne recherchent l’égalité sociale, ils cherchent davantage à harmoniser les différences de fortune qu’à les faire disparaître.
11 Voir par exemple la synthèse récente de Julliard Jacques, 2012, Les gauches françaises, 1762-2012. Histoire, politique et imaginaire, Paris, Flammarion.
12 Polanyi Karl, 2002, « La machine et la découverte de la société (1957) », in Polanyi Karl, Essais, Paris, Le Seuil, chap. 41, p. 550.
13 Benjamin Walter, 2006, « L’exposé de 1939 », in Benjamin Walter, Paris, Capitale du XIXe siècle, Paris, Allia ; voir les commentaires d’Abensour Miguel, 2000, L’utopie de Thomas More à Walter Benjamin, Paris, Sens et Tonka, p. 176-177.
14 Berg Maxine, 1982, The Machinery Question and the Making of Political Economy 1815-1848, Cambridge, CUP ; Macleod Christine, 2007, Heroes of Invention. Technology, Liberalism and British Identity (1750-1914), Cambridge, Cambridge University Press.
15 Même s’il existe des exceptions comme Antoine Picon, spécialiste des ingénieurs et des saint-simoniens, auteur de la notice « Technique », in Bouchet Thomas, Picon Antoine, Riot-Sarcey Michèle (dir.), 2002, Dictionnaire des utopies, Paris, Hachette.
16 Cf. notamment Axelos Kostas, 1961, Marx, penseur de la technique, Paris, Éd. de Minuit ; Fallot Jean, 1966, Marx et le machinisme, Paris, Cujas ; MacKenzie Donald, 1984 (juillet), « Marx and the Machine », Technology and Culture, vol. 25, n° 3., p. 473-502 ; Adler Paul S., 1990, « Marx, Machines, and Skill », Technology and Culture, vol. 31, n° 4, p. 780-812.
17 Voir récemment Brémand Nathalie (éd.), 2014, « Pour en finir avec le socialisme ’utopique’ », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 124 ; Bouchet Thomas, Bourdeau Vincent, Castleton Edward, Frobert Laurent, Jarrige François (dir.), 2015, Quand les socialistes inventaient l’avenir. Presse, théories et expériences (1825-1860), Paris, La Découverte.
18 Cité par Dardot Pierre et Laval Christian, 2012, Marx, prénom : Karl, Paris, Gallimard, p. 626.
19 Pour une discussion de ces enjeux de traduction cf. Vatin François, 2004, « Machinisme », Bulletin de la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme, n° 27, p. 56-69.
20 Marx Karl, 1963, Le Capital (Livre premier), in Marx Karl, Œuvres, Paris, Gallimard, t. I, p. 970-971.
21 Ibid., p. 966.
22 Cité par Dardot Pierre et Laval Christian, Marx, op. cit., p. 578.
23 Bellamy Foster John, 2011, Marx écologiste, Paris, Amsterdam ; 2000, Marx’s Ecology, Materialism and Nature, New York, Montly Review Press.
24 Cité par Bellamy Foster John, 2011, ibid., p. 128.
25 Tresch John, 2012, The Romantic Machine. Utopian Science and Technology after Napoleon, Chicago, The University of Chicago Press.
26 Voir par exemple Kunz Westerhoff Dominique et Atallah Marc (dir.), 2011, L’homme-machine et ses avatars. Entre science, philosophie et littérature (XVII-XXIe siècles), Paris, Vrin ; Kang Minsoo, 2011, Sublime Dreams of Living Machines : The Automaton in the European Imagination, Harvard, Harvard University Press.
27 Tresch John, 2012, The Romantic Machine, op. cit.
28 Sur l’évolution du concept de travail : Vatin François, 2008, Le travail et ses valeurs, Paris, Albin Michel ; et sur « l’invention de la nature laborieuse » au XIXe siècle : Blay Michel, 2013, Dieu, La nature et l’homme. L’originalité de l’Occident, Paris, Armand Colin, chap. 1, p. 90.
29 Voir par exemple l’analyse des usages et significations du mot « technique » chez Kant par Ferrari Jean, 2003, « Kant et la technique », in Chabot Pascal et Hottois Gilbert (éds), Les philosophes et la technique, Paris, Vrin, p. 83-94.
30 Hilaire-Perez Liliane, 2000, L’invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2e partie « Le sacre de l’inventeur ».
31 Selon Rey Alain (dir.), 1998, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, t. 3, p. 3772.
32 Daumas Maurice (dir.), 1996 [1968], Histoire générale des techniques, 3. L’expansion du machinisme, 1725-1860, Paris, PUF, p. 92-93.
33 Voir Guillerme Jacques et Sebestik Jan, 1968, « Les commencements de la technologie », Thalès, t. 12 (année 1966), Paris, PUF, p. 1-72, rééd. en 2007 dans Documents pour l’histoire des techniques, n° 14, p. 50-121.
34 Hilaire-Perez Liliane, 2013, La pièce et le geste. Artisans, marchands et savoir technique à Londres au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, notamment l’introduction : « La rationalité technologique entre économie industrielle et économie du produit » ; voir aussi Carnino Guillaume, 2010, « Les transformations de la technologie : du discours sur les techniques à la ’technoscience’ », Romantisme. Revue du XIXe siècle, n° 150, p. 75-84.
35 Hilaire-Perez Liliane, 2013, La pièce et le geste, op. cit., p. 23.
36 Cf. par exemple Hodgskin Thomas, 2007, Labour defended against the claims of capital [1825], cité dans MacLeod Christine, Heroes of Invention, op. cit., p. 165.
37 Guillerme Jacques et Sebestik Jan, 1968, « Les commencements de la technologie », art. cit., p. 119.
38 Mertens Joost, 2011 (2e semestre), « Le déclin de la technologie générale : Léon Lalanne et l’ascendance de la science des machines », Documents pour l’histoire des techniques, n° 20, [En ligne] URL : < http://dht.revues.org/1749 >.
39 Sigaut François, 1987, « Haudricourt et la technologie », in Haudricourt André-Georges, La technologie, science humaine. Recherches d’histoire et d’ethnologie des techniques, Paris, Maison des sciences de l’homme, p. 23-24.
40 Beaune Jean-Claude, 1980, La technologie introuvable. Recherche sur la définition et l’unité de la technologie à partir de quelques modèles du XVIIIe et XIXe siècles, Paris, Vrin, p. 162-163.
41 Lalanne Léon, 1840, Essai philosophique sur la technologie, Paris, Bourgogne et Martinet, p. 7. L’article « Technologie » rédigé par Lalanne, et qui contribue à populariser le mot en français, est d’ailleurs publié en 1841 dans le tome VIII de L’Encyclopédie nouvelle dirigée par Pierre Leroux et Jean Reynaud.
42 Guilhaumou Jacques, Branca-Rosoff Sonia, 1998, « De ’société’ à ’socialisme’ : l’invention néologique et son contexte discursif. Essai de colinguisme appliqué », Langage et société, vol. 83, n° 83-84, p. 39-77.
43 La première édition critique intégrale des œuvres de Saint-Simon a été publiée aux PUF en 2012, la pensée de Saint-Simon et le saint-simonisme ont suscité de multiples travaux et publications, voir : RÉgnier Philippe (dir.), 2002, Études saint-simoniennes, Lyon, Presses universitaires de Lyon ; Picon Antoine, 2002, Les saint-simoniens. Raison, imaginaire et utopie, Paris, Belin ; Musso Pierre, 2006, La religion du monde industriel : analyse de la pensée de Saint-Simon, La Tour d’Aigues, Éd. de l’Aube.
44 Cf. par exemple Rasmussen Anne, 2005, « La gauche et le progrès », in Becker Jean-Jacques et Candar Gilles (dir.), Histoire des gauches en France, vol. 1. L’héritage du XIXe siècle, Paris, La Découverte, p. 351.
45 Paquot Thierry, 2007, Utopies et utopistes, Paris, La Découverte, 2007.
46 Jarrige François, 2009, Au temps des tueuses de bras. Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle, Rennes, PUR, p. 296-305.
47 Petit Alexis, 1831, Religion saint-simonienne. La concurrence – les machines et les ouvriers – les associations, Paris, Everat.
48 Le Moniteur industriel, dimanche 31 mai 1846.
49 « Les machines et les ouvriers », La Démocratie pacifique, mercredi 3 juin 1846 ; et « Les douanes et les machines », La Démocratie pacifique, vendredi 19 juin 1846 ; sur les positions de la « gauche radicale et socialiste » à l’égard du protectionnisme : Todd David, 2008, L’identité économique de la France. Libre-échange et protectionnisme (1814-1851), Paris, Grasset, p. 381-394.
50 Cité par Laforgue Pierre, 2003, « Machinisme et industrialisme, ou romantisme, modernité et mélancolie », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 103, p. 63-92.
51 Lemontey Pierre-Édouard, 1816, « Influence morale de la division du travail » [1801], in Lemontey Pierre-Édouard, Raison folie. Petit cours de morale mis à la portée des vieux enfants, Paris, Deterville, p. 180.
52 Ibid., p. 183 et 185.
53 Cohen David K., 1966, « Lemontey : An early critic of industrialism », French Historical Studies, vol. IV, n° 3, p. 290-314 ; Frobert Ludovic, 2001 (novembre-décembre), « Pierre-Édouard Lemontey et la critique de la division du travail », Économies et Sociétés, p. 1735- 1757 ; Vatin François, 2006, « Pierre-Édouard Lemontey, l’invention de la sociologie du travail et la question salariale », Revue du MAUSS, vol. 1, n° 27, p. 398-420.
54 Michelet Jules, 1974 [1846], Le Peuple, Pari, Flammarion, p. 98 ; cf. Viallaneix Paul, 1979, « Michelet, machines, machinisme », Romantisme, n° 23, p. 3-15.
55 Depuis les années 1960, une tradition d’analyse des représentations littéraires des techniques s’est développée dans le sillage des travaux de Léo Marx, Herbert L. Sussman ou Raymond Trousson : Sussman Herbert L., 1968, Victorians and the Machine : the literary response to technology, Cambridge (Mass.), Harvard University Press ; Trousson Raymond, 1964, Le thème de Prométhée dans la littérature européenne, Genève, Droz, 2 vol. ; ces recherches montrent que « contrairement à ce que l’on prétend souvent, [la littérature] a toujours été vigilante au progrès technique » : Krzywkowski Isabelle, 2010, Machines à écrire : littérature et technologies du XIXe au XXIe siècle, Grenoble, Ellug, p. 12.
56 Souvestre Émile, 1846, Le monde tel qu’il sera, Paris, W. Coquebert.
57 Lagrée Michel, 1999, La Bénédiction de Prométhée. Religion et technologie, Paris, Fayard, p. 34 sq.
58 Stedman Jones Gareth, 2007 [2004], La Fin de la pauvreté ? Un débat historique, Paris, Ere, p. 103.
59 Berg Maxine, The Machinery Question, op. cit., chap. 12 Radicals ; Claeys Grégory, 1987, Machinery, Money and the Millenium. From Moral Economy to Socialism, 1815-1860, Cambridge, Polity Press, chap. 2 Robert Owen. The machinery Problem and the Shift from Employment to Justice, p. 34-67.
60 Cf. Le Roux Thomas, 2011, Le laboratoire des pollutions industrielles. Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel ; Corbin Alain, 1991, « L’opinion et la politique face aux nuisances industrielles dans la ville préhaussmannienne », in Corbin Alain, Le temps, le désir et l’horreur. Essais sur le XIXe siècle, Paris, Flammarion, p. 194 ; Fressoz Jean-Baptiste, 2012, L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, Paris, Le Seuil.
61 Si tous les auteurs socialistes n’appartiennent pas à la nébuleuse romantique analysée par Michael Löwy et Robert Sayre, des auteurs comme Charles Fourier ou Pierre Leroux y participent indéniablement, leur critique de la civilisation bourgeoise, industrielle et capitaliste, et de ses machines, se fait au nom de l’humanité souffrante davantage qu’au nom d’une classe ou du matérialisme historique, cf. Löwy Michael et Sayre Robert, 1992, Révolte et Mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité, Paris, Payot.
62 Fourier Charles, 1831, Pièges et charlatanisme des deux sectes Saint-Simon et Owen, Paris, Bossange.
63 Ibid., p. 42.
64 Fourier Charles, 2001 [1829], Le Nouveau monde industriel et sociétaire, Paris, Presses du réel, p. 64.
65 Beecher Jonathan, 1993, Fourier. Le visionnaire et son monde, Paris, Fayard, p. 306-307.
66 « En critiquant l’industrie civilisée écrit-il ainsi, je suis loin de me rallier à l’avis des idiots qui voudraient détruire les fabriques », cf. Fourier Charles, 1847, De l’anarchie industrielle et scientifique, Paris, À la librairie phalanstérienne, p. 22 [cet ouvrage publié à titre posthume par les disciples de Fourier est le brouillon d’une préface à son livre Le nouveau monde industriel, sans doute rédigé en 1827].
67 Il s’agit de notes préparatoires pour le « Traité de l’association domestique agricole », publiées dans La Phalange en 1847 et rééditées par Schérer René, 2001, L’écosophie de Charles Fourier, Paris, Anthropos.
68 Riviale Philippe, 1996, Fourier et la civilisation marchande. Égarement du libéralisme, Paris, L’Harmattan, p. 8-9, préface de René Schérer.
69 La Phalange, 6 septembre 1840.
70 Blanc Louis, 1850 (nouvelle éd.), Organisation du travail : Association universelle : Ouvriers, Chefs-d’ateliers, Paris, Au bureau du Nouveau Monde, p. 80.
71 Engels Friedrich, 1960 [1844], La situation des classes laborieuses en Angleterre, Paris, Éditions sociales ; selon M. Berg, Engels réunit les trois traditions critiques du machinisme des tories, des radicaux et des réformateurs sociaux, cf. Berg Maxine, The Machinery Question, op. cit., p. 321.
72 Proudhon Pierre-Joseph, 1851, Système des contradictions économiques ou philosophie de la misère, Paris, Garnier, 2e éd., tome I, chap. 4. Deuxième époque – les Machines, p. 172 ; cf. Hauptmann Pierre, 1982, Pierre-Joseph Proudhon : sa vie et sa pensée, 1809-1849, Paris Beauschesne, part 1, p. 773.
73 Proudhon Pierre-Joseph, Système des contradictions économiques, op. cit., p. 155
74 Cf. Dezamy Théodore, 1842, Code de la Communauté, Paris, Prévost/Rouannet, p. iv.
75 Benoit Joseph, 1855, Souvenirs de la République de 1848, Genève, Impri. Duchamp, p. 14, cité par Maillard Alain, 1999, La communauté des égaux. Le communisme néo-babouviste dans la France des années 1840, Paris, Kimé.
76 Tresch John, The Romantic Machine, op. cit., Part 3 Engineers of Artificial Paradises.
77 Rosanvallon Pierre, 1992, Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France, Paris, Gallimard, p. 284 sq.
78 La Réforme, 26 février 1848.
79 Ibid.
80 Épigraphe aux « Opinions littéraires, philosophiques et industrielles », projet d’ouvrage de 1825.
81 Démier Francis, 2012, La France de la Restauration (1814-1830). L’impossible retour du passé, Paris, Gallimard, p. 562-568.
82 Rasmussen Anne, 2005, « La gauche et le progrès », in Becker Jean-Jacques et Candar Gilles (dir.), Histoire des gauches en France, vol. 1. L’héritage du XIXe siècle, Paris, La Découverte, p. 351.
83 Musso Pierre, 2000, « La ’science politique’ de Saint-Simon contre l’utopie », Quaderni. n° 42, p. 75-93.
84 Chevalier Michel, 1832, Politique industrielle. Système de la Méditerranée, Paris, Imprimerie d’Éverat, p. 153.
85 Dit aussi sociétaire ou phalanstérien, plusieurs dénominations sont en concurrence selon le point de vue qu’on adopte ; cf. la thèse de Mercklé Pierre, 2001, Le socialisme, l’utopie ou la science ? La « science sociale » de Charles Fourier et les expérimentations sociales de l’École sociétaire au XIXe siècle, Thèse de doctorat de sociologie, Lyon, Université Lyon 2.
86 Beecher Jonathan, 2012, Victor Considerant, grandeur et misère du socialisme romantique, Dijon, Les presses du réel, p. 193.
87 Guépin Ange, 1833, Traité d’économie sociale, Paris, s. n., p. 25.
88 Considerant Victor, 1837 (1er avril), « Traité des machines de Charles Babbage », La Phalange. Journal de la Science sociale, n° 27, p. 857 sq.
89 Considerant Victor, 1841, Base de la politique positive. Manifeste de l’école sociétaire fondée par Fourier, Paris, Bureaux de la phalange, p. 55-56.
90 Considerant Victor, 1851 [1re éd. 1838], Destinée sociale, Paris, Librairie phalanstérienne, t. 1, p. 262-264.
91 Considerant Victor, 1848, Description du phalanstère et considérations sociales sur l’architectonique, Paris, Librairie sociétaire.
92 Ibid., p. 67-69.
93 Ibid., p. 57.
94 Chevalier Michel, 1848, Lettres sur l’organisation du travail ou études sur les principales causes de la misère et sur les moyens proposés pour y remédier, Paris, Capelle, p. 119-120, les liens entre le développement des machines et la question de l’esclavage mériteraient d’être explorés : dans les colonies britanniques comme en France et aux États-Unis, alors que les révoltes d’esclaves s’étaient multipliées, l’idée que les machines allaient rendre l’esclavage inutile fait son chemin et contribue à les légitimer dans les milieux réformateurs et socialistes. Après les abolitions de l’esclavage, en 1833 en Grande-Bretagne, en 1848 en France, en 1865 aux États-Unis, le thème des êtres inanimés remplaçant les êtres animés s’impose comme un lieu commun.
95 Blanc Louis, 1848, Organisation du travail, 5e édition, Paris, Bureau de la société de l’industrie fraternelle, cf. Démier Francis, 2005, « Louis Blanc face à l’économie de marché », in Démier Francis (dir.), Louis Blanc. Un socialiste en République, Paris, Créaphis, p. 135.
96 Cabet Étienne, 1844, L’ouvrier, ses misères actuelles, leur cause et leur remède, son futur bonheur dans la communauté, moyens de l’établir, Paris, s. n., p. 34-35, cf. Jarrige François, 2006, « ’Des machines à l’infini’. Le communisme icarien et l’imaginaire utopique des techniques (1830-1848) », Hypothèses 2005, p. 199-208.
97 Sewell William H., 1983, Gens de métier et révolution. Le langage du travail de l’ancien régime à 1848 (trad. fr.), Paris, Aubier.
98 Cabet Étienne, 1840, Comment je suis communiste, Paris, Bourgogne et Martinet, p. 10. Dans ses Douze lettres d’un communiste à un réformiste sur la Communauté, Paris, s. n., 1842, p. 45-46, Cabet prévoit qu’en Icarie, « l’homme, rendu à toute sa dignité, ne soit plus qu’une intelligence directrice de machines ». Entre 1840 et 1844, Cabet publie 56 brochures destinées au lectorat populaire, voir Fourn François, 2003, « Les brochures socialistes et communistes en France entre 1840 et 1844 », Cahiers d’Histoire, n° 90-91, p. 69-83.
99 Pecqueur Constantin, 1841, Des améliorations matérielles dans leurs rapports avec la liberté, Paris, Gosselin, chap. IX Les Machines, p. 126, 135
100 Pecqueur Constantin, 1839, Économie sociale : Des intérêts du commerce de l’industrie et de l’agriculture, et de la civilisation en général sous l’influence des applications de la vapeur, Paris, Desessart, vol. 1, chap. 1 Les machines.
101 Créée en 1988 et très dynamique depuis : < http://www.charlesfourier.fr/index.php >.
102 Desroche Henri, 1975, La société festive : du fouriérisme écrit aux fouriérismes pratiqués, Paris, Le Seuil.
103 Riot-Sarcey Michèle, 1998, Le réel de l’utopie. Essai sur le politique au XIXe siècle, Paris, Albin Michel.
104 Gallice François, 1994, « Les ingénieurs saint-simoniens : le mariage de l’utopie et de la raison ? », Recherches contemporaines, n° 2, p. 5-25.
105 École normale supérieure (Paris), Archives Considerant, 13/6/1 : « Société provisoire pour l’exploitation industrielle d’une machine propre à fabriquer des fers à cheval fondée entre MM. Chambellan, Daly, Chapelain, Considerant et Bixio, commanditaire et M. Tardieu, inventeur, dans le but de prendre un brevet d’invention et de faire l’essai en grand de ladite machine ».
106 Armytage W. H. G., 1955, « Technology and Utopianism : J. A. Etzler in England in 1840-44 », Annals of Science, n° xi, p. 19-36 ; Claeys Gregory, 1986 (avril), « John Adolphus Etzler, Technological Utopianism, and British Socialism : The Tropical Emigration Society’s Venezuelan Mission and Its Social Context, 1833-1848 », The English Historical Review, vol. 101, n° 399, p. 358 ; Stoll Steven, 2008, The Great Delusion : a mad inventor, death in the tropics, and the utopian origins of economic growth, New York, Hill and Wang.
107 Etzler John A., 1833, The Paradise within the Reach of all Men without Labor, by Powers of Nature and Machinery. An Address to all Intelligent Men, in two parts, Pittsburg, Etzler and Reinhold.
108 L’anecdote est racontée dans ses mémoires par James E. Smith, l’un des rédacteurs du London Phalanx, le journal des fouriéristes londoniens.
109 Cf. « Invention de M. Etzler », La Phalange, 17 septembre 1841.
110 Voir notamment Wronski Hoëné, 1838, Pétition aux deux Chambres législatives de France, sur la barbarie des chemins de fer et sur la réforme scientifique de la locomotion, Paris, Didot l’aîné.
111 Considerant Victor, 1838, Déraison et dangers de l’engouement pour les chemins en fer : avis à l’opinion et aux capitaux, Paris, Bureau de la Phalange, p. 11-12.
112 Colin Auguste, 1842 (dimanche 20 mars), « Les grandes lignes télégraphiques », La Phalange, 3e série, tome 5, n° 54.
113 « Télégraphe électrique », La Phalange, 3 juin 1842, tome 5, n° 66, p. 1083.
114 Considerant Victor, 1842, Bases de la politique positive : manifeste de l’École sociétaire fondée par Fourier, Paris, Bureaux de la Phalange.
115 Voir Rignol Loic, 2003, Les hiéroglyphes de la Nature : Science de l’homme et Science sociale dans la pensée socialiste en France, 1830-1851, Thèse d’histoire, Paris, Université Paris 8, p. 459-460 ; Mercklé Pierre, 2006, « De la ’Police des Découvertes’ de Fourier au ’Ministère de l’Expérience’ de Considerant : l’utopie sociétaire aux sources de l’ingénierie sociale et de l’expertise ? », Australian Journal of French Studies, vol. xliii, n° 3.
116 Sur ce fossé qui se creuse au milieu du XIXe siècle voir Bensaude-Vincent Bernadette, 2003, La Science contre l’opinion. Histoire d’un divorce, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil.
117 Rancière Jacques, 1981, La nuit des prolétaires, Paris, Fayard.
118 « Des machines », L’Écho des ouvriers, Publication destinée à l’exposition des besoins des travailleurs et à l’insertion de leurs réclamations, n° 2, juillet 1844, p. 39-43.
119 « Vue générale d’un phalanstère. Village français organisé d’après la théorie sociétaire de Ch. Fourier 1847 » Lithographie. Bibliothèque nationale de France, reproduit dans le numéro des Cahiers Charles Fourier intitulé « Représenter le phalanstère », n° 24, 2013, p. 108-109.
120 Briancourt Mathieu, 1848, Visite au Phalanstère, Paris, Librairie phalanstérienne, p. 127- 128.
121 Villegardelle François, 1848 [1844], Accord des intérêts dans l’association et besoin des communes, Paris, Capelle, p. 99-100.
122 Desmars Bernard, 2005 (décembre), « L’Union agricole d’Afrique. Projet phalanstérien, œuvre philanthropique ou entreprise capitaliste ? », Cahiers Charles Fourier, n° 16, p. 39- 50.
123 Desmars Bernard, 2010, Militants de l’utopie ? Les fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle, Dijon, Presses du Réel.
124 Voet Thomas, 2001, La Colonie phalanstérienne de Cîteaux, 1841-1846, Dijon, EUD.
125 Guarneri Carl J., 1994, The Utopian Alternative : Fourierism in Nineteenth Century America, Ithaca, Cornell University Press, p. 125.
126 Baridon Laurent, 2013, « L’irreprésentable organicité du Phalanstère », Cahiers Charles Fourier, n° 24, p. 34.
127 Lallement Michel, 2009, Le travail de l’utopie. Godin et le familistère de Guise, Paris, Les Belles Lettres, p. 329 sq.
128 Bulletin de la Société de colonisation européo-américaine au Texas, 1855, n° 2.
129 Cf. Cordillot Michel, 2013, Utopistes et exilés du Nouveau Monde. Des Français aux États-Unis de 1848 à la Commune, Paris, Vendémiaire.
130 Cabet Étienne, 1856, Colonie icarienne aux États-Unis d’Amérique : sa constitution, ses lois, sa situation matérielle et morale après le premier semestre 1855, Paris, chez l’auteur, p. 58.
131 Prudhommeaux Jules, 1906, Histoire de la communauté icarienne, 3 février 1848, 22 octobre 1898, Paris, Impr. coopérative La Laborieuse, p. 106.
132 Fureix Emmanuel et Jarrige François, 2015, La modernité désenchantée. Relire l’histoire du XIXe siècle français, Paris, La Découverte.
133 Jarrige François, [à paraître], « The IWMA, workers and the machinery question (1864- 1874) », in Bensimon Fabrice, Deluermoz Quentin et Moisand Jeanne (éds), « Arise Ye Wretched of the Earth ». The First International in global perspective, Brill.
134 Concernant le discours syndical sur les techniques après 1945 et l’originalité des « technopolitiques » qui s’élaborent à l’ère nucléaire, cf. Hecht Gabrielle, 2014, Le rayonnement de la France. Énergie nucléaire et identité nationale après la seconde guerre mondiale, Paris, Amsterdam, chap. 3.
135 Lénine Vladimir, « Sur l’infantilisme ’de gauche’ et les idées petites-bourgeoises », publié dans La Pravda en mai 1918 ; nombreuses rééditions : < https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1918/05/vil19180505.htm >.
136 Beylie Henri, Zisly Henry, 1901, La conception libertaire naturienne. Exposé du naturisme, Paris, chez l’auteur (HZ) ; cf. Baubérot Arnaud, 2004, Histoire du naturisme. Le mythe du retour à la nature, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 184-185.
137 Orwell George, 1982, Le Quai de Wigan, Paris, Ivréa, p. 215.
138 Illich Ivan, 1973, La convivialité, Paris, Le Seuil, p. 26.
139 Ellul Jacques (édité et annoté par Hourcade Michel, Jézéquel Jean-Pierre, Paul Gérard), 2007, Les successeurs de Marx. Cours professé à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, Paris, La Table Ronde.
140 Ellul Jacques, 2013, Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?, Paris, La Table ronde, p. 215 ; voir Latouche Serge, 1995, La mégamachine. Raison technoscientifique, raison économique et mythe du progrès. Essais à la mémoire de Jacques Ellul, Paris, La Découverte.
141 Castoriadis Cornelius, 1999, « Marx aujourd’hui », in Castoriadis Cornelius, Les carrefours du labyrinthe II, Domaines de l’homme [1986], Paris, Seuil, p. 97 ; voir aussi Castoriadis Cornelius, 1979, Le contenu du socialisme, Paris, UGE 10/18.
Auteur
Historien, maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Franche-Comté. Il est membre du Centre Georges Chevrier (UMR 7366). Ses travaux portent sur l’histoire des mondes populaires, des conflits sociaux et des pensées socialistes, il s’intéresse plus généralement à l’histoire sociale du déferlement technique et aux transformations environnementales de l’époque contemporaine. Il a notamment publié Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences (Paris, La Découverte, 2014) ; et avec Emmanuel FUREIX, La modernité désenchantée. Relire l’histoire du XIXe siècle (Paris, La Découverte, 2015) ; il a par ailleurs codirigé les ouvrages collectifs Quand les socialistes inventaient l’avenir. Presse, théories et expériences (Paris, La Découverte, 2015) et La Gamelle et l’outil. Manger au travail du XVIIIe siècle à nos jours (Nancy, L’Arbre bleu, 2016).
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