Avant-propos
p. 7-8
Texte intégral
1Nos lecteurs seront sans doute étonnés de trouver dans ce volume des textes regroupés selon deux perspectives opposées. Les premiers – présentés à la Sorbonne le 9 février 1998 – relèvent d’une totale liberté dans le choix des sujets ; les seconds – proposés lors de la Journée Julien Green du 14 novembre 1998 : « Plongée dans l’univers de Léviathan » – obligeaient à une réflexion sur une seule œuvre de Julien Green. Ce rapprochement permet de mettre en lumière, s’il en est encore besoin, que l’importance de l’œuvre greenienne ne tient pas seulement à son ampleur et à sa variété, mais à la possibilité d’explorer chacun des textes qui la constituent avec passion et avec profit.
2Si, dans la première partie du recueil, l’étude de l’intertextualité dans Varouna permet de saisir sur le vif le travail de l’imagination du romancier sur les données de la tradition ; si celle de la peinture de la misère humaine dans Léviathan et de la quête de Tailleurs dans Frère François, témoigne de la profondeur de l’émotion de Julien Green devant le pathétique de la condition humaine, le plus grand nombre des articles enrichissent leurs enquêtes de la multiplicité des œuvres et des genres abordés par l’écrivain. Ainsi peuvent se manifester en plénitude la richesse des effets et la subtilité du symbolisme attachés à la fenêtre, au silence ou au « noir », cette négation de la couleur qui colore si intensément les visions greeniennes. Rapprocher les romans offre aussi l’avantage de découvrir dans leurs constantes et leurs variations, soit un motif aussi essentiel chez Green que le jeu subtil et cruel de l’attirance entre deux êtres, soit une technique aussi récurrente que celle du portrait, ouvert à la fois sur la réalité et sur le mystère des personnages.
3Il est d’autre part intéressant de noter que la diversité des sujets s’accompagne d’une mystérieuse impression d’unité. Le secret de celle-ci ne serait-il pas dans l’audace d’une œuvre qui, saisie par l’un ou l’autre de ses aspects, dit toujours, grâce à des mises en scènes implacables, le plus grave de tous les conflits : celui de l’humain et de l’inhumain ? C’est l’auteur – et ses hantises – qui unifie son œuvre comme le montre si nettement dans cette première partie l’étude comparée de l’écriture des romans et de l’autobiographie, vouées toutes deux à nous introduire dans le mystère fascinant et redoutable des êtres et des choses.
4C’est précisément cette présence presque intolérable du mystère dans les vies les plus banales que sondent tous les articles réunis dans la seconde partie. Si noir est le roman de Léviathan qu’il invite à retrouver les sources d’un imaginaire si flamboyant et inquiétant : Nerval, Baudelaire et avec eux tous les artistes dont le génie s’est nourri d’une mélancolie inguérissable ; mais aussi le roman gothique anglo-saxon dont Green fut un lecteur passionné dès son adolescence. Au service de cet univers où les visions sont autant de cauchemars se lient réalisme halluciné et richesse du symbolisme, que l’on retrouve dans tous les motifs dont use l’imagination du romancier : l’espace comme prison et désert ; le corps dans sa misère et sa beauté ; le monstre, sorti de la Bible et de chacun des personnages. Si l’on descend dans le détail du texte, l’analyse des caractères cinématographiques de l’écriture permet de saisir au plus près la poétique visionnaire de l’écrivain et de la confronter fructueusement à l’imaginaire du cinéma des années vingt et trente. Enfin, Léviathan est l’un des romans de Green qui met le mieux en relief l’ironie de son créateur, trop souvent inaperçue. Entre le conte cruel et la tragi-comédie, cette œuvre manifeste à la fois l’acharnement du romancier contre ses personnages, mais aussi la vraie et pitoyable souffrance qui les traverse et les empêche d’être de purs grotesques.
5Nous espérons que nos lecteurs nourriront de cette double approche leur intérêt pour l’œuvre de Julien Green.
Auteur
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