Les archives privées Raspail
p. 249-253
Texte intégral
I. Fonds Raspail de la bibliothèque Inguimbertine
1Le fonds d’archives de Carpentras est le plus important concernant François-Vincent Raspail1. Il représente un ensemble de « cinq mètres linéaires d’archives privées »2 sans compter les ouvrages, journaux, revues, almanachs, imprimés de la main du chimiste républicain. Il faudrait aussi mentionner les peintures, gravures, bustes, sculptures pour lesquels il a servi de modèle ainsi que les objets qui lui ont appartenu (lunette astronomique, microscope, nécessaire portatif de médecine, squelette de fœtus, etc.) À ces œuvres et instruments scientifiques, on peut mentionner une série de petits objets relatifs à Raspail, notamment des médailles et médaillons à son effigie.
2Ce fonds s’est constitué en deux temps. Tout d’abord, 12 cartons, contenant principalement des poèmes de jeunesse, ont été donnés à la ville natale de Raspail après la mort de son homme illustre par Mme Xavier Raspail3, veuve du dernier fils de François-Vincent Raspail (ms 994, ms 1248, ms 2068, ms 2072, ms 2119, ms 2120, ms 2191 et mss 2405-2409). Puis, il faut attendre le 5 septembre 1972, pour que le fonds s’enrichisse considérablement, avec le legs de Mme Fernande-Jeanne Louise Burette, veuve du docteur Jacques Raspail, à savoir 90 liasses très épaisses (ms 2677 à ms 2767). Le legs a été effectué en application des dernières volontés de son mari, par les soins de sa légataire universelle, Denise Burette, sa nièce, épouse de Robert Millet, habitant Paris. Les documents se trouvaient à Caen. Jacques Raspail était l’arrière-petit-fils de François-Vincent Raspail, le petit-fils d’Émile Raspail et le fils du docteur Julien Raspail. Le fonds Raspail poursuit jusqu’à aujourd’hui son enrichissement. En 2015, la bibliothèque Inguimbertine, par l’intermédiaire de son conservateur actuel, M. Jean-François Delmas, a acquis, lors d’une vente aux enchères, des lettres inédites de la famille Raspail (lettre de Benjamin Raspail au rédacteur en chef de L’Opinion nationale traitant de l’occupation des Prussiens à Arcueil, le 10 octobre 1870 ; lettre de Benjamin Raspail au rédacteur d’un journal à propos de l’occupation de la propriété Raspail à Arcueil par la 5e compagnie du 2e bataillon de l’Ain, le 16 novembre 1870 ; lettre de Camille Raspail et des docteurs Duprès et Veyne au rédacteur en chef d’un journal, dont le nom n’est pas mentionné, à propos de l’état de santé de François-Vincent Raspail le 31 janvier [s. d.] ; lettre de François-Vincent Raspail au rédacteur en chef du quotidien Le Réveil au sujet des attaques du journal Le Siècle envers sa personne, le 5 juin 1869).
3La caractéristique de ce fonds est d’être composée principalement par des échanges épistolaires – actifs et passifs – de François-Vincent Raspail. Les correspondances politiques ne proviennent pas, pour la majorité, des figures républicaines les plus connues mais de républicains, plus ou moins oubliés dans la mémoire collective (le capitaine Théophile Gaillard-Kersausie, le représentant du peuple du Puy-de-Dôme en 1848 Toussaint Bravard, le docteur Veyne, etc.). Il est alors possible d’étudier des aspects politiques du xixe siècle : la franc-maçonnerie, la Société des amis du peuple, la Société des droits de l’homme, le quotidien des détenus politiques à Paris et à Doullens (Somme) de la monarchie de Juillet jusqu’au Second Empire ou encore le fonctionnement de journaux républicains comme Le Réformateur en 1834-1845 ou L’Ami du peuple en 1848. D’autres dossiers donnent des renseignements sur la vie politique à l’échelle régionale ou locale : la Société lyonnaise coopérative pour le développement de l’enseignement libre et laïque, les élections législatives à Lyon et Marseille pour François-Vincent Raspail et municipales, pour son fils Émile, à Arcueil en 1878, 1881 et 1882. Les écrits manuscrits ne se cantonnent pas au cercle des thuriféraires de l’utopie républicaine. Raspail communique également avec ses contradicteurs politiques comme les ministres orléanistes François Guizot, Adolphe Thiers, Montalivet, Hippolithe Royer-Collard et même avec le roi Louis-Philippe.
4La source épistolaire permet aussi de comprendre les réseaux scientifiques du médecin sans diplôme via les recommandations et ordonnances médicales, les sollicitations des partisans de sa méthode médicale à base de camphre, qui vont du simple ouvrier à l’aristocrate éclairé comme Neil de Breauté, ou bien encore via les joutes verbales avec les savants de l’Académie des sciences et de la faculté de médecine, en particulier l’astronome François Arago et le doyen Mathieu Orfila. Aussi, les correspondances révèlent les polémiques diverses et variées auxquelles le chimiste républicain a pris part : les conflits éditoriaux avec Louis Hachette, les querelles d’expertise médico-légale lors de l’affaire Lafarge – trois cartons s’y rapportent –, ou encore les débats passionnés autour de la dorure et du charbon de Paris.
5Enfin, dépouiller le fonds carpentrassien donne un aperçu de la vie privée de François-Vincent Raspail : ses relations familiales – sa mère Marie Laty, son épouse Adélaïde Troussot, ses enfants Benjamin, Camille, Émile, Xavier, Marie-Appoline ou encore son neveu Eugène et son petit-fils Julien qui a énormément écrit sur son grand-père et qui est un des premiers à avoir donné une structure cohérente à ce fonds d’archives –, amicales – les anciens camarades d’école, les compagnons de route des sociétés d’action politique, les confidentes comme la poétesse Marceline Desbordes-Valmore –, et, pour terminer, ses centres d’intérêt variés et éclectiques allant de la météorologie à la biographie de l’astronome Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande – qui équivaut à trois liasses – en passant par la toxicologie, la géologie, la physiologie, la botanique, la zoologie ou encore l’entomologie.
II. Fonds Raspail des archives départementales du Val-de-Marne
6L’autre fonds important relatif à la famille Raspail est conservé à Créteil, aux archives départementales du Val-de-Marne. Pourquoi le choix de ce département ? Comme le rappelle Alain Nafilyan, Carpentras est la ville natale du chimiste tandis qu’Arcueil correspond à sa ville d’adoption4. Après ses neuf années d’exil en Belgique, François-Vincent Raspail vient s’installer, en 1862, dans une vaste demeure achetée par ses quatre fils à Arcueil, centre urbain où sont produits les médicaments de la méthode Raspail depuis 1857. La grande différence entre le fonds provençal et le fonds parisien, c’est que le second revêt une connotation familiale dans la mesure où il ne se limite pas à la personne du patriarche républicain. Deux composantes lui donnent sa cohérence : les papiers François-Vincent Raspail et les papiers Benjamin Raspail. En ce qui concerne le père, le fonds de Créteil est moins riche en manuscrits que celui de Carpentras, pour autant, il est loin d’être dépourvu d’intérêt.
7Les papiers de François-Vincent Raspail ont été regroupés dans les liasses 69 J 1 à 69 J 2365. La correspondance expédiée et reçue correspond aux deux premiers cartons. Elle est intéressante car elle apporte des informations précieuses sur les membres de la famille Raspail, les partisans du système médical et les soutiens politiques de la Restauration jusqu’à la Troisième République. À l’exception des deux premières liasses, la numérotation du classement des archives suit la chronologie de la vie de François-Vincent Raspail : les affaires judiciaires sous la monarchie de Juillet (69 J 3-69 J 5), les activités politiques sous la Seconde République (69 J 6-69 J 9), l’exil en Belgique (69 J 10), les activités parlementaires à la fin du Second Empire (69 J 11-19) et les activités politiques et judiciaires sous la Troisième République (69 J 20-25). Les liasses 69 J 26 et 69 J 27 sortent de cette logique puisqu’elles sont dédiées aux journaux dont Raspail est le rédacteur (Le Réformateur en 1834-1835 et L’Ami du peuple en 1848). Il faut souligner, dans cette vingtaine de cartons, les nombreuses coupures de presse politique et satirique qui font la singularité du fonds de Créteil. Par ailleurs, toute une collection de brochures et de journaux couvrant les années 1835-1899 (69 J 1391 à 69 J 1448) a été constituée par la famille Raspail.
8À partir de la liasse 69 J 27, ce sont les activités scientifiques de l’auteur du Nouveau système de chimie organique qui sont à l’honneur : les notes, expériences, discussions scientifiques et les cahiers d’observation météorologique. Et surtout, on constate une impressionnante collection de manuscrits des livres scientifiques de François-Vincent Raspail (69 J 45-69 J 90). Enfin, les œuvres imprimées – politiques, scientifiques et médicales – du chimiste républicain, avec leurs annotations, leurs rééditions et leurs traductions, occupent la plus grande partie de ce fonds (69 J 91-69 J 236).
9À côté des livres dont François-Vincent Raspail est l’auteur, il faut noter ceux qui font partie de la bibliothèque Raspail, bibliothèque de 748 ouvrages, conservée, toujours, aux archives départementales du Val-de-Marne. Inventoriée de façon thématique, elle reflète le caractère « touche-à-tout » qui s’est transmis de génération en génération. Cela va de la philosophie à la médecine en passant par l’histoire, la géographie et bien évidemment la politique. Des auteurs les plus obscurs aux écrivains et hommes politiques les plus célèbres (Victor Hugo, Alfred Naquet), la bibliothèque permet de saisir, tel un miroir, les lectures du clan Raspail. Clan Raspail car la bibliothèque est composée des livres du père et de ses fils.
10Il est ainsi complexe de distinguer exactement les propriétaires des différents ouvrages, à l’exception de ceux qui contiennent une dédicace de l’auteur à François-Vincent Raspail (Histoire des jésuites et Moines, fantômes et démons d’Hippolyte Magen ; Faculté de droit de Paris de Pierre-Auguste Martin-Delarivière ; Jérôme Lalande et la Bresse au xviiie siècle de Jarrin ; Amour, patrie et liberté. Poème national de Joseph Démoulin ; Antigone. Tragédie en trois actes, imitée de Sophocle d’Eugène Magne, etc.).
III. Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle de Paris
11La liasse ms 2388 de la bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle de Paris correspond à la correspondance scientifique de F.-V. Raspail. On peut lire des lettres reçues et classées dans l’ordre alphabétique, écrites principalement par l’élite savante du xixe siècle : François Arago, Gilbert Breschet, Gay-Lussac, Geoffroy-Saint-Hilaire, entre autres. À travers ces échanges épistolaires, on s’aperçoit que François-Vincent Raspail a réussi, dès les premières années de la Restauration, à s’insérer dans le milieu scientifique, en présentant, tout d’abord, ses travaux aux membres de l’Académie des sciences, puis, dans un second temps, en se métamorphosant en pourfendeur des mandarins parisiens. Il est à signaler que, même si cette correspondance a un contenu, avant tout scientifique, la politique n’y est, cependant, pas complètement absente. Par exemple, en 1848, le docteur Edmond Langlebert fait part à la fois de ses désaccords au sujet de la méthode médicale Raspail et de son adhésion aux idées républicaines formulées par le chimiste. Ces lettres proviennent de l’achat effectué par la direction des Archives de France auprès du libraire Charavay, le 24 mai 1961. Le muséum a été le destinataire de la correspondance scientifique6.
IV. Archives nationales de France
12La correspondance de François-Vincent Raspail avec les personnalités républicaines les plus célèbres, à l’échelle nationale, est conservée dans deux liasses des Archives nationales de France (250 AP 1-2). Ce sont, pour la majorité, des figures que Raspail a rencontrées dans les années 1830, dans le cadre des sociétés d’action politique : Étienne Arago, Armand Barbès, Marcel Barthe, Louis-Auguste Blanqui, Henri Bonias, Étienne Cabet, Godefroy Cavaignac, Armand Carrel, Charles Delescluze, Gervais de Caen, La Fayette, Charles Teste, Anthony Thouret, Ulysse Trélat, etc. Les liasses sont classées dans l’ordre alphabétique comme celles du muséum. Elles ont été très probablement séparées du lot de lettres acheté par les Archives nationales en 1961.
V. Archives de la ville de Paris
13Aux archives de la ville de Paris, un dossier de 21 pièces a trait à la famille Raspail (7 AZ 200). À l’exception d’une proclamation de François-Vincent Raspail aux « citoyens électeurs du Rhône », le 22 septembre 1848, les autres pièces sont des lettres entre le docteur François-Auguste Veyne (1812-1875) et la famille Raspail (François-Vincent, Benjamin, Camille et Émile) de 1843 jusqu’à 1873. Veyne a participé, comme François-Vincent Raspail, à la révolution de 1848 mais il est surtout un des plus grands admirateurs de sa méthode médicale. Sans doute, cette correspondance a été léguée par les descendants du docteur Veyne.
VI. Bibliothèque historique de la ville de Paris
14Sont conservés, dans de nombreux volumes à reliure rouge, des papiers divers au sujet des quarante-huitards, dont François-Vincent Raspail. Ces papiers, pour la plupart, ont été légués à la bibliothèque historique de la ville de Paris par un érudit, M. Chassin. Manifestes, professions de foi, proclamations retracent les péripéties de Raspail en 1848. Toutefois, à côté des événements de la Seconde République, on remarque le compte rendu du duel Raspail-Cauchois-Lemaire en 1834 ou encore les réactions, mots de soutien à la famille Raspail au moment du décès de François-Vincent (on notera au passage les condoléances de Victor Hugo aux fils Raspail, une des seules archives connues à ce jour montrant un lien entre les deux républicains).
Notes de bas de page
1 Voir Delmas Jean-François, 2008, L’Inguimbertine. La maison des muses, Paris, N. Chaudun.
2 Suppléments aux trois volumes du catalogue général des manuscrits, Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine, 2010, p. 50. Supplément réalisé à partir du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, t. lviii, premier supplément de Carpentras, BnF, 1971 et de l’inventaire du fonds publié par Henri Dubled, ancien conservateur de la bibliothèque Inguimbertine, dans la revue Rencontres, n° 115, 1977.
3 Catalogue général des manuscrits des bibliothèques…, op. cit., p. 48.
4 Nafilyan Alain, 1995, « Le fonds Raspail des archives départementales du Val-de-Marne », in Teysseire Daniel, Berche Claude et Nafilyan Alain, La médecine du peuple de Tissot à Raspail (1750-1850), Créteil, Conseil général du Val-de-Marne, p. 104.
5 Berche Claire et Nafilyan Alain, 1994, Les archives Raspail. Répertoire numérique de la sous-série 69 J, Créteil, Conseil général du Val-de-Marne, p. 4.
6 Berche Claire et Nafilyan Alain, 1994, Les archives Raspail…, op. cit., p. 10.
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