9. Les lunettes de M. Raspail. Les Almanachs de l’Ami du peuple, 1849-1850
p. 205-217
Texte intégral
1La littérature secondaire consacrée à François-Vincent Raspail est assez mince au regard de l’éclat laissé par son nom dans la mémoire républicaine française. Ses quelques biographes ont le plus souvent choisi de mettre en lumière l’extraordinaire biographie du personnage : dans les années 1820, un savant autodidacte, chimiste et physiologiste, pionnier méconnu de la théorie cellulaire, happé par les barricades de 1830 ; puis devenant l’un des principaux ténors et martyr républicain sous la monarchie de Juillet, prisonnier à Sainte-Pélagie et la Force et auteur des retentissantes Lettres sur les prisons de Paris, impulsant et pratiquant autour de 1840, la médecine du peuple ; puis trublion du printemps 1848, à nouveau emprisonné après l’émeute du 15 mai et pourtant, encore incarcéré, candidat socialiste à la présidentielle de décembre, condamné à l’exil en 1853 par Napoléon le Petit, revenant finalement à la vie politique en 1869 ; et une nouvelle fois emprisonné cinq ans plus tard, à 80 ans, par le parti de l’ordre moral, pour apologie de la Commune, mais assurant enfin quelques mois plus tard, la présidence de la séance d’ouverture de l’Assemblée nationale en tant que doyen des représentants.
2Mais les mêmes biographes de Raspail soulignent tout autant le caractère plutôt indécis d’une pensée, oscillant selon eux entre le libéralisme et le socialisme, manquant de fermeté et de relief, répétitive, et pourtant dispersée aux quatre vents, parfois peu à même ou peu encline à saisir la brûlante question sociale, celle de la propriété et du travail. Bref, héros sur le terrain de l’action, Raspail serait sur le chapitre de la pensée, un exemple presque caricatural de l’innocuité d’un socialisme utopique rêvé par les vieilles barbes républicaines de 1848. Comment ne pas juger, en effet, avec perplexité voire une pointe de condescendance, les mots en exergue de la première livraison en 1845 de son Manuel annuaire de la santé : « Aux riches dans l’intérêt du pauvre. À ceux qui sont heureux, dans l’intérêt de ceux qui souffrent »4 ?
3Cette faiblesse doctrinale de Raspail mérite toutefois d’être interrogée. Sa réflexion s’est constamment développée dans le périmètre d’un triangle dont les trois sommets furent, la république, le socialisme et l’utopie. Alors, si Lamartine le décrivait comme un « communiste de sentiment plus que de subversion »5, il est nécessaire de donner plutôt ici crédit à Friedrich Engels. Celui-ci, peu amène, pour dire le moins, vis-à-vis des socialistes français, expliquait à l’automne 1848, que Raspail n’était pas pour le peuple de Paris le candidat d’un énième « parti socialiste », mais le porteur de la « révolution sociale »6. Il est cependant indispensable de préciser en quel sens Raspail pouvait penser de façon féconde le changement social, ou, dans ses termes, plutôt que révolution, une « réforme sociale » radicale solidarisant riches et pauvres, bienheureux et souffrants.
4Afin de tenter d’approfondir cette doctrine, plusieurs pistes s’offrent. L’une des plus évidente conduit à l’étude du grand journal républicain que publie Raspail en 1834-1835 : Le Réformateur. C’est en effet dans ce quotidien que pour la première fois, il expose dans sa globalité une réflexion nourrie alors par ses recherches scientifiques sur la cellule et la vie, que viennent compléter des articles économiques, politiques, sociaux, culturels. Une seconde piste conduirait à reconstituer la doctrine à travers l’étude de ses travaux spécialisés et de montrer comment par hybridations et croisements, les thèmes passent en se métamorphosant et en s’étoffant de la chimie, à la physiologie, à la médecine, à la science économique, aux sciences politiques et juridiques, à l’agronomie, à la météorologie, etc. Il faudrait visiter un vaste corpus, les éditions successives, voire les traductions en allemand, en italien, en anglais de : Nouveau système de chimie organique (1833), Nouveau système de physiologie végétale et de botanique (1837), Histoire naturelle de la santé et de la maladie (1843), mais aussi travailler sur l’importante littérature d’éducation populaire qui accompagne ces ouvrages savants : Cours élémentaire d’agriculture et d’économie rurale à l’usage des écoles primaires (1832) ; plus tard, Le Fermier vétérinaire (1854), le Manuel annuaire de la santé, publié à partir de 1845 ; la Revue élémentaire de médecine et pharmacie domestique (1847-1849) ; la Revue complémentaire des sciences appliquées à la médecine et à la pharmacie, à l’agriculture, aux arts et à l’industrie (1854-1860).
5Nous suivrons dans cet article une autre piste encore, celle des almanachs. Nous laisserons de côté l’Almanach et calendrier météorologique qu’il publie entre 1865 et 1878. Et nous nous focaliserons sur les deux parutions en 1849 et 1850 de l’Almanach de l’Ami du peuple qui porte respectivement comme sous-titre, La lunette du donjon de Vincennes, et La lunette de Doullens. L’hypothèse de cet article est que le support inattendu de l’almanach permet justement, et de façon privilégiée, de saisir l’originalité de la pensée de Raspail. Cette saisie, cette compréhension nécessite la mobilisation de deux outils « modernes ». Celle d’émancipation plébéienne empruntée à Jacques Rancière – « l’émancipation est la puissance en acte de l’égalité des êtres intellectuels »7 – et celle de « science populaire », proposée par Bernadette Bensaude-Vincent, « science populaire » soigneusement distinguée du processus classique de vulgarisation8. Le projet de Raspail s’analyse alors comme une théorie générale de l’émancipation dans laquelle ses manuels, cours, revues élémentaires et finalement almanachs font fonction d’invitation pour tous à se familiariser et à participer à l’élaboration d’une vaste science populaire couvrant l’ensemble des champs du savoir et constituant la base de la république.
6Nous rappellerons quelques reliefs saillants de la biographie de Raspail jusqu’à 1851 (I) avant de justifier le choix des almanachs comme objet d’observations (II), de relever les spécificités des almanachs Raspail (III) afin de mieux mettre en lumière ce qui en constitue la colonne vertébrale, une théorie générale de l’émancipation (IV).
I. Raspail en 1848
7En 1848, Raspail a 54 ans et déjà un itinéraire biographique étonnant. Il vivra la Seconde République sur un tempo similaire. Seuls quelques reliefs peuvent être rappelés ici.
8Le 24 février 1848, il revendique avoir été celui qui aurait amené à l’Hôtel de Ville, le peuple de Paris à faire cesser les atermoiements du Gouvernement provisoire et à proclamer immédiatement la République. Le fait est loin d’être vérifié, de nombreux historiens ne font pas mention de l’épisode et il est probable que Raspail ne fut que l’un des acteurs de l’événement. Mais Karl Marx note par exemple :
Au nom du prolétariat parisien, Raspail ordonna au Gouvernement provisoire de proclamer la République, déclarant que si cet ordre du peuple n’était pas exécuté dans les deux heures, il reviendrait à la tête de 200000 hommes9.
9Quelques jours plus tard, il lance son journal L’Ami du peuple et, comme Barbès ou Blanqui, ouvre un club du même nom qui connaît une très forte notoriété et affluence. Il les conçoit comme des écoles de science et de philosophie bien plus que comme des arènes destinées à discours, débats et diatribes. Écoutons-le ici : « J’avais pour auditeurs mes malades guéris, mes disciples dévoués, mes vieux compagnons dans l’œuvre de s’instruire, de faire le bien et de souffrir »10. S’il prêche la modération, il se montre aussi extrêmement critique vis-à-vis du Gouvernement provisoire qu’il suspecte d’escamoter la révolution, comme les libéraux avaient su escamoter la révolution de 1830.
10Le 15 mai, il se trouve placé à la tête de la foule qui déferle sur l’Assemblée à l’occasion des manifestations en faveur de la Pologne. Il est arrêté et incarcéré au donjon de Vincennes. Il sera jugé l’année suivante par la Haute Cour de Bourges, condamné à 6 ans de prison, et transféré à la citadelle de Doullens.
11Dès avril 1848, Raspail avait été candidat à la Constituante, première élection au suffrage universel en France. Il est battu à Paris (avec 52 000 voix) et à Lyon (de peu, avec 40 000 voix). Mais il se présente à nouveau aux élections législatives partielles, en septembre 1848 et il est élu (avec 67 000 voix) en troisième position. Il ne peut siéger, étant en prison. Mais le peuple de Paris, en souvenir de Juin, le désigne comme son candidat, plutôt que Ledru-Rollin à la présidentielle de décembre 1848. Il obtiendra 37 000 voix. Dernier épisode, au printemps 1849 alors qu’il est désormais incarcéré dans des conditions très dures à Doullens, les Lyonnais font élire son fils Benjamin à la législative ; il siégera à la Nouvelle Montagne parmi les députés rouges de Lyon (Benoit, Greppo, Doutre) jusqu’en décembre 1848.
12Le 8 mars 1853, l’épouse de Raspail décède, selon lui empoisonnée, très probablement épuisée. En pleine période d’intense répression en ce début d’Empire, près de 100 000 Parisiens accompagnent son enterrement, alors que Raspail est maintenu en prison à Doullens. Le régime décide de l’éloigner et l’expulse vers la Belgique.
II. Histoire d’almanachs
13C’est durant la période révolutionnaire que les almanachs ont fait leur mue en devenant de puissants véhicules d’apprentissage politique de la république. Ils resurgissent véritablement en 1840 après que le mouvement républicain ait subi plusieurs défaites dans la rue, en 1832, 1834 et 183911. Gauche et droite républicaine considèrent l’almanach comme le moyen privilégié d’éduquer le peuple, alors que se discute incessamment la question électorale. À une droite républicaine héritière des feuillants et des girondins, centrée sur le seul élargissement du cens et esquivant les questions sociales, s’oppose une gauche que renouvellent les almanachs icariens, communistes et fouriéristes et où se trouve mis en avant un ensemble de thématiques croisant les héritages montagnards et sans-culottes.
14Le mouvement de publication d’almanachs s’accélère nettement en 1848. Soixante et onze almanachs vont paraître sous la Seconde République, avec une forte dominante démocrate socialiste. Les titres font en majorité circuler désormais les termes classiques de « républicains », « république », « peuple » mais en les mariant à de nouveaux termes : « association », « ouvrier », « socialiste ». L’almanach occupe donc une place cardinale dans la diffusion de la république. Peu coûteux, accessible, attractif, l’almanach, c’est « le livre de la bibliothèque du peuple », le « pain de la pensée »12. À partir de mai 1849, les républicains font bloc, ne se divisent plus sur l’héritage de 1789 ou 1793. Ces républicains s’unissent dans une Nouvelle Montagne préparant les élections de 1852. Les almanachs républicains diffusent alors les mêmes thèmes sous la bannière générale de la réforme sociale : suffrage universel, impôt progressif, droit à la propriété, instruction publique, droit au travail, association ouvrière et égalité sociale.
15C’est dans ce contexte que vont paraître, en 1849 et 1850, les deux almanachs de L’Ami du peuple. De format et de coût (50 centimes) réduits, l’almanach Raspail se place à nouveau sous la tutelle de Jean-Paul Marat, fait immédiatement l’éloge du calendrier républicain (ainsi que du système décimal), rappelle que longtemps l’almanach a été « l’unique encyclopédie du pauvre en France » et signale l’importance politique cruciale désormais de ce type de petits livres pour l’ouvrier :
[L]e progrès s’est emparé enfin de cette veine de propagande ; et l’almanach est devenu le véhicule de l’initiation aux théories de l’avenir. Le socialiste, en les rédigeant, doit avoir en vue d’en faire des catéchismes de la loi nouvelle qui doit conquérir le monde13.
III. Le citoyen contre les pouvoirs
16Les almanachs Raspail s’inscrivent donc dans un mouvement d’ensemble de la propagande républicaine. Ils rendent toutefois un son particulier qui permet de discerner le point de vue doctrinal original de l’auteur. Un passage de l’almanach de 1849 résume sa doctrine :
La république ne saurait donc exister qu’à la condition de renverser tous les pouvoirs existants et de ne leur en substituer aucun autre. Car tout pouvoir est une usurpation des droits de tout le monde ; c’est un mensonge14.
17Ses petits livres se présentent comme des livres de conciliation, d’union, de concorde, alors même que leur auteur écrit de derrière les barreaux de sa prison. L’édition de 1849 s’ouvre sur une lettre à ses électeurs qui l’ont envoyé à la Chambre où il ne peut siéger. Il écrit que, « leur représentant » est bâillonné, censuré et qu’alors, « les idées qu’il aurait émises du haut de la tribune démocratique, il les dissémine à travers ses barreaux »15. Similairement, Raspail clôt son almanach de 1850 en reproduisant la lettre aux abonnés de sa Revue élémentaire de médecine et de pharmacie annonçant la suspension (2 août 1849) : « Les mailles de mes barreaux se rétrécissent de plus en plus, afin de laisser passer moins de choses au crible de mes sympathies et de mes souffrances »16. Les almanachs s’écrivent à partir d’un poste d’observation précis. Raspail se présente en observateur savant, recensant, glanant, récoltant et qui, dans ses recherches en chimie et physiologie a réhabilité (contre Auguste Comte par exemple) le rôle du microscope, observation à l’échelle microscopique, et qui bientôt va tourner ses instruments d’observations vers le ciel, le temps et la météo, échelle macroscopique. Mais ici, les lunettes de Vincennes et Doullens, spécifient une autre position d’observateur, une autre échelle, celle de la souffrance sociale17.
18Il s’agit d’abord d’une chronique de la souffrance comme expérience partagée par ceux qui sont dominés, opprimés, qui subissent l’inégalité et la séparation. Les deux almanachs fournissent des détails précis des conditions d’incarcérations de Raspail et de ses compagnons à Vincennes puis à Doullens. Dans La Lunette de Doullens, il signale la succession des brimades, surveillances, harcèlements, luttes qui rythment son quotidien. On lui a supprimé les moyens de lire et d’écrire : « Qui sait si bientôt ils ne m’enlèveront pas même le droit de penser ! ». Il résiste, lutte contre les différentes « tortures morales » et ne craint que trois choses : « Les ténèbres, l’insomnie et le poison »18. Mais cette souffrance et cette peine personnelle (la famille séparée, dispersée), ne sont au final qu’un précipité d’un phénomène général, d’une expérience partagée. Dans les almanachs, cette souffrance est signalée par les statistiques de mortalité19, par des courts dialogues dans lesquels les sorts du prolétaire dont la femme et les enfants meurent de faim20, ou de la fille perdue sont mis en scène. Enfin par la longue description de l’agonie d’Hartel, homme exemplaire, républicain du peuple, président du Club de Bercy en 1848 dont il évoque la « martyrologie » et précise qu’un « immense sanglot fut l’oraison funèbre de cet homme »21.
19Cette souffrance constante et affectant la majorité est-elle une donnée naturelle ? La réponse que donne Raspail dans toute son œuvre et qu’il diffuse dans ses almanachs est négative. La maladie et la souffrance ne sont pas la norme pour le corps humain. Il le dit et le répète dans ses ouvrages de médecine : « La santé est notre état normal »22. Mais de même, cette souffrance n’est pas une donnée naturelle du corps social. Malthus « était un calculateur et non un savant »23, note Raspail. Contre la vulgate malthusienne et son expression dans l’économie politique libérale de 1848, il estime, sur la base de ses travaux agronomiques constamment rappelés dans les almanachs, que l’abondance est à portée de main24.
20Quelle est alors l’origine de cette souffrance généralisée qui affecte les corps et la société ? Il est dans l’introduction d’un élément pathogène. Sur le plan médical, cet élément pathogène a été repéré tôt : les parasites contre lesquels agissent camphre et aloès. Dans les almanachs, le sujet est rappelé à travers la menace de choléra, « épidémie nomade », le choléra qui, depuis la grande épidémie de 1832 constitue l’envers funeste et macabre des nouveaux liens qui solidarisent les hommes dans les sociétés industrielles modernes. Un choléra auquel doit venir faire obstacle l’initiation aux règles élémentaires de l’hygiène et de la médecine préventive. Pour la société, l’élément pathogène est le pouvoir que traduit Raspail par un terme générique, qui va devenir omniprésent dans son œuvre, le jésuitisme. Le pouvoir sans cesse renaissant s’introduit dans le corps social et créé de l’inégalité, de la dissymétrie, de l’antagonisme. Il produit du chaos là où devrait régner naturellement l’harmonie. Dans les almanachs, une typologie des pouvoirs est constamment rappelée : celui du soldat, celui du prêtre, celui du commerçant. Lorsqu’il rédige ses almanachs, Raspail signale deux indices du degré de corruption de la société de 1848 par les pouvoirs. Premier indice, la vulnérabilité des républicains du Gouvernement provisoire qui ont faibli, capitulé et finalement trahis. Second indice, le fait que cette corruption par le pouvoir affecte des fonctions sociales dont la finalité est à l’opposé même de l’antagonisme et de la souffrance : l’avocat, et le médecin qui devraient dans une société normale concilier et soigner se font, dans une société corrompue, les agents de la conflictualité et de la souffrance.
21« Le socialisme, c’est l’Évangile. Y croyez-vous ? », porte en exergue l’almanach de 1849. Le socialisme constitue un retour à la normale, qui est santé du corps humain et du corps social, il faut « s’organiser pacifiquement », écrit Raspail. Si santé et harmonie constituent la norme, il serait désastreux de rechercher une solution au hiatus présent en empruntant les armes mêmes du pouvoir, de l’anormalité ; à savoir, la séparation en classes, la volonté de hiérarchiser et d’éradiquer, l’installation du conflit et de la désorganisation au cœur même du corps social. C’est d’ailleurs probablement le pouvoir lui-même qui provoque et précipite les insurrections, en 1834 et 1849 par exemple à Lyon, « occultes machinations », pour mieux réprimer et incarcérer les vrais républicains. « Il s’agit de reconstituer la société tout entière ; ne commençons pas par abattre », exhorte Raspail. Face au ressentiment présent que sont venus sanctionner tout un ensemble de faits contraires, résultats négatifs aux élections de 1848, journée de Mai et surtout de Juin, Raspail oppose la gestion de sa propre souffrance non pas par la révolte, non pas par la résignation mais par une invitation à l’émancipation. De ce petit livre mis « à la portée de toutes les intelligences », il a, écrit-il, « voulu en faire l’abc du socialisme, plutôt que son apocalypse »25.
IV. Théorie générale de l’émancipation
22L’usage des catégories classiques de libéralisme/socialisme ne permet pas véritablement de comprendre la base doctrinale de Raspail. Ce qu’il développe, en effet, c’est une théorie générale de l’émancipation qui se décline à trois niveaux : à celui de l’individu, à celui de la famille (mais cet aspect est moins théorisé, surtout dans les almanachs et renvoie plus nettement à l’histoire intime de la famille Raspail), enfin à celui de la société.
1. Émancipation individuelle
23Trois expériences structurent la conception raspaillienne de l’émancipation individuelle.
24La première est une expérience personnelle qu’il ne cesse de rappeler dans ses œuvres, et notamment celle à destination du peuple : celle d’un apprentissage autodidacte qui l’a amené à ses principales découvertes en chimie, physiologie, médecine. Un apprentissage témoignant d’une volonté à l’œuvre, plus que d’une intelligence exceptionnelle. La leçon porte sur cette volonté de s’émanciper, et l’un des chapitres principaux de la leçon de choses sociales, de courage, que donne Raspail à son public est son long combat, constamment mis en récit, contre les académies, les corps constitués, les tribunaux.
25La seconde expérience est proprement scientifique. La chimie et la physiologie de Raspail procèdent de l’unité cellulaire : « Donnez-moi une vésicule dans le sein de laquelle puissent s’élaborer et s’infiltrer à mon gré d’autres vésicules, et je vous rendrai le monde organisé ». Et son travail s’inscrit alors dans le grand chantier du transformisme, de Buffon, à Lamarck, à Geoffroy Saint-Hilaire. Le développement vital est analysé comme une combinaison de ces vésicules élémentaires, combinaison orientée par un processus de développement et dont les échanges plus ou moins instructifs avec le milieu permettent, pour chaque espèce, de prévoir le stade d’avancement dans le règne du vivant. L’homme, l’individu est alors l’aboutissement, le règne le plus évolué du vivant, et notamment en raison de son « intelligence ». La chimie de Raspail culmine dans une psychophysiologie. L’intelligence individuelle marque un progrès décisif en matière d’adaptation entre le vivant et son milieu. Et, finalement, Raspail présente une conception « laïque » de l’intelligence, soulignant la « compétence », et récusant la littérature montante sur les « capacités », présente aussi bien chez un idéologue du régime, François Guizot, que chez les saint-simoniens :
[L]e siècle des anoblissements intellectuels est passé ; et comme chaque profession est une application de notre intelligence à un objet spécial, et que l’intelligence humaine ne s’applique pas de plusieurs manières plus ou moins nobles, qu’elle s’applique exactement ou inexactement, légèrement ou avec persévérance, il s’ensuit que le plus ou le moins de mérite du résultat dépend, non de l’objet, mais de l’exactitude de l’application. Que m’importe que ce soit une feuille de carton ou une feuille de cuir, ou une feuille de cuivre que vous proposiez à l’élaboration de mon imagination ; le talent seul que je mettrai à exécuter mon œuvre me fera sortir de la foule, et non la matière sur laquelle j’aurai opéré26.
26La troisième expérience capitale sur laquelle Raspail fonde sa conception de l’émancipation individuelle, est celle du médecin : non seulement auteur de l’Histoire naturelle de la santé et de la maladie, mais praticien qui a vu affluer les malades dans son dispensaire de Montsouris, puis rue des Cultures Sainte-Catherine dans le Marais et qui maintient une large correspondance dans toute la France, dans toutes les classes, avec les nouveaux adeptes et eux-mêmes praticiens de la méthode Raspail. En 1847, sa Revue élémentaire de médecine et de pharmacie porte en exergue un mot de Sénèque : « la vérité est accessible à tous ». Il est de la compétence de tous d’accéder aux vérités de la médecine : « La science s’humanise, se vulgarise ; elle rejette ses vieux oripeaux pour revêtir l’habit de tout le monde » et son « but est que chacun devienne son propre médecin et son pharmacien ».
27C’est la notion de compétence, opposée à celle de capacité qui fait l’originalité du point de vue de Raspail sur le chapitre de l’émancipation individuelle. La compétence comme manifestation d’une l’intelligence fabricatrice, artisanale, aménageant et administrant son milieu. Une compétence, comme propriété également partagée par tous les hommes qui manifestent la volonté de la cultiver.
2. Émancipation sociale
28Chez Raspail, l’individu est à l’aboutissement du règne du vivant. Mais il n’est pas l’unité élémentaire du social. Le passage de l’émancipation individuelle à l’émancipation sociale fait intervenir une nouvelle propriété : « La propension qui domine chez l’homme même non civilisé, c’est la sociabilité »27. L’intelligence individuelle, en tant que capacité d’adaptation, se réalise pleinement chez l’homme grâce à la sociabilité :
Au nombre de ces besoins impérieux, il faut ranger la vertu, qui n’est que la sociabilité libre de toute entrave. Le vice n’est qu’une anomalie provenant de l’altération ou de la vicieuse conformation d’un organe, ou bien que le résultat de la lutte pénible et continuelle de nos intérêts sociaux. La première espèce réclame des soins et de la pitié, la seconde appelle une réforme sociale complète28.
29La fraternité n’est alors que l’expression pleine de cette sociabilité que permet un environnement social organisé, réformé, adapté : la république. Dans son almanach, Raspail écrit ainsi, « soyez tous bons les uns envers les autres, et n’ayez plus besoin de mentir et de vous tromper réciproquement ; et dès lors, qui que vous soyez, même en dépit de vous, je vous proclame républicain ».
30Où se réalise toutefois cette sociabilité sous sa forme la plus élémentaire ? Quelle est, en d’autres termes, l’unité élémentaire du social ? Raspail, comme pour la prolifération cellulaire dans le cadre du vivant, met en avant, pour le social, une prolifération par le bas29. Et l’unité de base est chez lui la commune :
[L’]atome de la République, c’est la commune ; la commune, c’est la République prise à l’une de ses dernières subdivisions ; à elle seule, elle est toute une République, pouvant fonctionner, au besoin, même étant isolée, aussi bien qu’à l’aide de toutes ses congénères30.
31Le social atteint alors ses règnes les plus élevés par composition, de la commune au canton, au département, à la République, enfin au Congrès européen et à l’humanité.
32Comment toutefois se développe au sein de la commune cette sociabilité ? Pour Raspail, il faut développer une logique d’administration et non de gouvernement : « La République n’est pas une organisation, c’est une administration ». L’administration consiste en une initiation et un apprentissage en commun de la « libre discussion »31, de la délibération et du jugement appliqués aux affaires publiques et que fait culminer le principe d’élection. Au niveau de la commune toutes les questions politiques relèvent de cette logique d’administration qui est à la mesure des compétences de tous : « Il ne faut que du simple bon sens pour administrer ». Naturellement le thème sert à Raspail à critiquer les événements de 1848 et l’évolution funeste de la Seconde République. La Seconde République, désormais aux mains des « républicains phillipistes et carlistes » qui l’ont emprisonné, singe désormais la monarchie. Or, la monarchie conduit, d’une part, à un gaspillage généralisé des ressources ; d’autre part, à placer l’antagonisme au cœur des relations sociales. Gouvernement d’un seul, dupliquant cette forme d’autisme politique à tous les niveaux de son gouvernement (et non administration), limitant et verticalisant enfin toutes les formes d’échanges et de discussions ; bref, entravant la sociabilité, la monarchie constitue donc « un contre sens, une anomalie morale ». Là encore, le recours à des arguments empruntés à sa chimie et à sa physiologie a souvent permis à Raspail d’illustrer son propos par des saillies qui aident aujourd’hui à comprendre la férocité des gouvernements de Juillet à son égard :
Il est certain que l’hérédité donne le plus souvent lieu à ces lacunes généalogiques que tout autre principe gouvernemental. Car pour alimenter la légitimité, les individus de race royale ont grand soin de ne s’unir qu’à du sang royal, et de se soustraire à la féconde puissance du croisement des races, crainte de dégénérer de la noblesse de leur origine ; ce qui fait qu’on voit l’arbre généalogique s’abâtardir peu à peu, faute de se régénérer par la greffe, en sorte qu’à la longue les rejetons n’ont plus mines d’homme et pas même mine de roi32.
33Se méfiant de la reconstitution de tout germe royaliste33 au sein de la république, Raspail se prononce donc contre l’établissement d’une nouvelle constitution (qui est un contrat) et également contre la présidence. Il faut explique-t-il une déclaration et non une constitution : « toute constitution est un contresens, en face d’une volonté unique qui est la volonté générale, en face de la volonté reconquise par le peuple ». Il faut donc une simple déclaration, amendable et révisable. Car la Constitution cache de fait une reconstitution des pouvoirs à partir du sommet : « Les grands amateurs de constitution gardent toujours une arrière-pensée de monarchie dont l’x algébrique est le pouvoir exécutif » (la « royauté de la présidence »). Le président, s’il n’est pas un simple « commis », devient un « embarras » : « La force du président, c’est la faiblesse de la République ». Une présidence autoritaire et forte devient ainsi le symptôme d’une société autorisant la reconstitution et la croissance des pouvoirs et donc des antagonismes. Par contraste, en république, il ne doit y avoir que des « différends » conciliables « par le vote et le suffrage ». Et la vraie république doit également combattre ces pouvoirs à tous les niveaux : justice et prison doivent être remplacées par des jurys populaires et des écoles d’amélioration34 ; l’armée casernée doit disparaître et laisser place aux milices citoyennes et à la Garde nationale35 ; la médecine et la pharmacie doivent être organisées comme des magistratures, soumises à l’élection et à l’évaluation des pairs.
34La logique de l’administration doit enfin toucher le domaine de l’économie. Il faut définir une économie sociale base de la réforme, i. e. de la transformation sociale. En ce sens, l’économie sociale subsume l’action collective. En 1834, dans le prospectus du Réformateur, Raspail écrivait déjà : « La politique, pour nous, ne sera que l’économie sociale dans ses généralités et dans ses applications journalières »36. Deux missions s’imposent à cette économie sociale, l’une endogène, l’autre exogène. Endogène : il faut s’assurer de la santé de l’organisme social en éradiquant son parasite, le pouvoir. Or désormais, le lieu du pouvoir a changé : « La République de 48 a, pour ennemis plus âpres à la curée, les prêtres, agioteurs, exploitants du producteur ». Raspail détaille ainsi toute une typologie des pouvoirs économiques, stigmatise en priorité le commerçant (« Mercure cumulait la double dignité de dieu des marchands et des voleurs »), et fait culminer sa critique par une analyse de la relation de crédit (asymétrique), de la bourse et de l’agiotage : il estime qu’il faut pacifiquement passer d’une logique des pouvoirs à une logique de l’administration. Et pour cela, appliquer la forme républicaine dans le cadre prioritaire de la commune et sur le terrain de l’économie. Toutefois, à la différence de ses collègues socialistes de la Commission du Luxembourg, Louis Blanc, Constantin Pecqueur, François Vidal, Raspail ne mise pas sur les ateliers sociaux pour penser et réaliser cette transition. Sa réflexion se déplace et il peut s’exclamer : « La terre ! Économistes, tout est là ». Il insiste donc sur l’urgence à organiser cette coopération agricole dans le cadre de la commune37. Et il complète sa réflexion en estimant qu’au niveau supérieur, celui de la république (association de communes), la mise en place d’un impôt (progressif) et l’organisation de grands travaux d’aménagement38 complètent cette coopération39. On retrouve ici à la fois le versant agronomique de son œuvre, et le relent rousseauiste de sa pensée. Mais à ce point culmine également le transformisme de Raspail. L’intelligence sociale de l’humanité marque désormais le moment où un organisme est capable non seulement de s’adapter par instruction à son milieu, mais devient aussi capable de l’administrer ou de l’aménager. Ici se définit la mission exogène de l’économie sociale. S’il insiste tant sur la coopération dans la commune, plutôt que sur une organisation différente du travail industriel par les ateliers sociaux, c’est qu’il estime à portée de mains associées, la création d’un milieu nourricier ; et que la réalisation techniquement et institutionnellement possible d’un milieu nourricier, abondant, solde en grande partie la question des pouvoirs, de la conflictualité, de la souffrance sociale.
V. Conclusion
35La vision de Raspail gravite autour d’une conception artisanale de l’intelligence aboutissant à la notion de compétence : « La capacité utile et indispensable de l’homme de métier ». À la différence de la capacité, intrinsèquement inégalitaire, la compétence charrie une conception égalitaire qui se manifeste sur deux plans : toutes les compétences, à parts égales, participent à la vaste coopération sociale permettant l’aménagement du milieu naturel ; et toutes les compétences, dispersées dans les champs des savoirs, des métiers, des pratiques, ont les mêmes titres à participer à l’administration politique de la république, l’aménagement du milieu social. Les compétences sont plurielles, mais elles ne peuvent être hiérarchisées, et le lieu où elles discutent, jugent, se concilient, est celui de l’administration. Dans cet ensemble, l’inégalité est proscrite, et ce n’est que l’absence de volonté qui peut être sanctionnée. Le pari de la République est alors d’empêcher toute reconstitution des pouvoirs et des inégalités qui réintroduisent la conflictualité et l’antagonisme dans le corps social. Et l’un des moyens privilégiés de cette lutte est d’éveiller les compétences, de les cultiver incessamment, de leur permettre de croître librement et finalement de s’exprimer continûment dans le cadre de la communication sociale. Comme le souligne l’une des boutades de l’almanach de 1849 : « République ! C’est la chose publique administrée par l’opinion publique, sous les yeux du public, et par les soins de ceux que l’opinion publique a élus ». Contre le diagnostic capacitaire qui prétend réguler depuis 1830 l’accès aux fonctions économiques, politiques, culturelles, fournir un fondement objectif aux inégalités et à la répartition de la propriété (contribution/rétribution), borner objectivement, raisonnablement, les prétentions de la république, et qui s’estime conforté par l’échec de juin 1848, Raspail par ses cours et revues élémentaires, manuels et almanachs rappelle au contraire qu’il faut toujours plus de républiques à la république.
Notes de bas de page
4 Raspail François-Vincent, 1845, Manuel annuaire de la santé ou Médecine et pharmacie domestiques, Bruxelles, chez tous les libraires, p. 1.
5 Lamartine Alphonse, 1858, Œuvres complètes, t. 39, vol. 3 Mémoires politiques, Paris, chez l’auteur, p. 137.
6 Marx Karl et Engels Friedrich, 1848 (décembre), « La classe ouvrière et l’élection présidentielle », La Nouvelle Gazette Rhénane [en ligne], URL : <https://www.marxists.org/>.
7 Rancière Jacques, 1985, « Savoirs hérétiques et émancipation du pauvre », in Borreil Jean, Les sauvages dans la cité : autoémancipation du peuple et instruction des prolétaires au xixe siècle, Seyssel, Champ Vallon, p. 34-53 ; Id., 2003, « La scène révolutionnaire et l’ouvrier émancipé 1830-1848 », Tumultes, vol. 20, n° 1, p. 49-72. « L’émancipation est la puissance en acte de l’égalité des êtres intellectuels », une puissance que révèlent, à l’échelle individuelle puis, par initiation, à l’échelle sociale, l’instruction et l’association, une puissance que devinent alors bien sûr les prolétaires les plus éclairés, mais aussi les socialistes les moins imbus de l’idée capacitaire.
8 Bensaude-Vincent Bernadette, 1993, « Un public pour la science : L’essor de la vulgarisation au xixe siècle », Réseaux, vol. 11, n° 58, p. 47-66 ; Id., 2010, « Splendeur et décadence de la vulgarisation scientifique », Questions de communication, n° 17, p. 19-32. La vulgarisation, explique-t-elle, n’est pas un processus naturel dû au progrès des sciences et à un inéluctable creusement entre une minorité de producteurs de sciences, les savants, et les consommateurs profanes, masse ignorante, public crédule. La vulgarisation, dans ce contexte ne peut être que transport et translation du haut vers le bas, opération qui en raison d’un progrès constant devient de plus en plus difficile à réaliser. La mise en contexte historique que propose Bensaude-Vincent permet toutefois de réviser cette idée. Au xixe siècle, alors que le terme apparaît et que le processus de vulgarisation s’accélère par la mise en place d’une littérature vantant progrès et autres merveilles de la science, une alternative existe, rivale plutôt que servante, avec la « science populaire ». Cette science populaire maintient une exigence de rigueur dans la transmission des savoirs tout en défendant l’importance cruciale d’une participation et d’une pratique éclairée des amateurs. Selon Bensaude-Vincent, le maintien de cette science rivale s’opposant à la spécialisation scientifique ainsi qu’à la tendance du monde savant à revendiquer son autonomie vis-à-vis de la société commune serait particulièrement notable en France dès le premier xixe siècle et alors même que le centralisme scientifique représenté par l’Académie des sciences poussait à l’essor de la vulgarisation.
9 Marx Karl, 1968 [1850], Les luttes des classes en France (1848-1850), Paris, Éditions sociales, p. 17.
10 Blanc Louis, 1880, Histoire de la révolution de 1848, t. 1, Paris, Flammarion, p. 300.
11 Gosselin Ronald, 1992, Les almanachs républicains. Traditions révolutionnaires et cultures des classes populaires de Paris (1840-1851), Paris, L’Harmattan.
12 L’Almanach du peuple, 1849, cité par Gosselin Ronald, 1992, Les almanachs républicains…, op. cit., p. 34.
13 Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 5.
14 Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 150.
15 Ibid., p. 3.
16 Raspail François-Vincent, 1850, La Lunette de Doullens. Almanach démocratique et progressif de l’Ami du Peuple pour 1850, Paris, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, p. 134.
17 Raspail propose ainsi à ses lecteurs une chronique de son emprisonnement. Mentionnant son arrivée à Vincennes il écrit : « Les prisonniers furent jetés dans des cachots vides de lits, de chaises et de tables ; le citoyen Barbès n’avait d’autres paillasses que les boulets et obus qui pavaient le sol, plus un peu de litière qu’il put ramasser avec les mains. Le citoyen Raspail resta deux heures obligés de dormir debout, la main appuyée sur la muraille et la tête contre la main, faute de quoi il aurait été obligé de dormir par terre ; trois heures après on lui jeta un semblant de paillasse, le plus vieux monument du donjon, sur laquelle il coucha trois nuits, sans drap, sans couverture, en présence d’un baquet immonde, d’une gamelle de haricot, d’un pain de munition et d’une cruche d’eau », plus loin, il poursuit, « dix jours de suite, il est resté, sans sortir, dans le cachot, long de 7 pieds et large de 5, qui est incrusté dans l’épaisseur du mur nord des deuxième et troisième étages », Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 26.
18 Le ton devient plus dramatique encore dans le second almanach, et l’arrivée à Doullens : « la prison politique n’est qu’un moyen de vengeance entre les mains du parti qui est parvenu au pouvoir. On y humilie ceux qu’on désespère de corrompre, et l’on y torture à coup d’épingles ceux qu’on désespère d’humilier […] Une condamnation à la prison est une condamnation aux caprices ou à la malveillance de la geôle », Raspail François-Vincent, 1850, La Lunette de Doullens…, op. cit., p. 126 et 133. Sur Doullens, voir également, Raspail Camille François, 1850, Lettre de Camille Raspail au rédacteur du journal Le Pouvoir, démentant les accusations portées contre notre père par un certain Huber, Paris, Schneider.
19 Raspail évoque les statistiques de mortalité à Paris et dans les grandes villes, les chiffres désastreux des hôpitaux, « tristes chiffres » dus « à l’incurie et aux traitements homicides dont les pauvres sont les victimes dévouées » (Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 42).
20 « Travailler beaucoup, gagner fort peu et se nourrir mal, tel était le lot des producteurs prolétaires, sous l’empire des lois du privilège » (ibid., p. 3).
21 Raspail François-Vincent, 1850, La Lunette de Doullens…, op. cit., p. 120.
22 Raspail François-Vincent, 1843, Histoire naturelle de la santé et de la maladie, Paris, Levavasseur, p. 22.
23 Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 39.
24 « Qu’avons-nous à craindre de l’augmentation progressive de la population, si nous savons entrer dans la voie de l’amélioration des terres labourables » (ibid., p. 36).
25 Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes..., op. cit., p. 4.
26 « Ainsi, lorsqu’il s’agit de recueillir des suffrages, c’est la compétence et non la hiérarchie des professions qu’ont doit envisager. C’est la compétence, voilà le mot » (Le Réformateur, 19 décembre 1834, reproduit dans Raspail François-Vincent, 1872, Réformes sociales, Paris, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, p. 216). Comment déterminer les administrateurs ? « La discussion publique discernera mieux que vous, et les compétences s’apprécient mieux face-à-face » (ibid.).
27 Raspail François-Vincent, 1833, Nouveau système de chimie organique, fondé sur des méthodes nouvelles d’observation, Paris, Baillière, p. 229.
28 Ibid., p. 549.
29 « La République organise par le bas… Procédant comme la nature, elle sait qu’un tout ne tient ses propriétés que des parties dont il se compose ; elle s’occupe donc d’abord de grouper les parties avec harmonie et symétrie, afin d’en faire un tout homogène et compact. De même qu’un cristal, en sa forme, ne diffère que par la grosseur de ses parties intégrantes, et qu’on a beau le diviser et le subdiviser, on obtient toujours des portions de cristal taillées sur le modèle du cristal lui-même ; de même, le gouvernement républicain doit pouvoir se retrouver, avec toutes ses propriétés et ses moyens d’action, dans la plus petite de ses parcelles et dans ses derniers atomes », (Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 52).
30 Ibid.
31 « Affermir la République », explique Raspail, consiste à étendre incessamment le « droit de libre-discussion » (Raspail François-Vincent, 1850, La Lunette de Doullens…, op. cit., p. 100).
32 Le Réformateur, 23 décembre 1834, reproduit dans Raspail François-Vincent, 1872, Réformes sociales, op. cit., p. 225-226.
33 Après le printemps 1849 et l’écrasement de la république romaine, la critique de Raspail porte également sur l’Église catholique : « Que dirait le Christ, le crucifié par les Césars, s’il se voyait représenté par les insignes des Césars même… Le christianisme ne refleurira que quand la papauté temporelle refleurira » (Raspail François-Vincent, 1850, La Lunette de Doullens…, op. cit., p. 111 et 116).
34 Comment assurer le « cortège séculaire de Thémis » ? « En confiant à l’arbitrage de vos pairs le soin de mettre fin à toutes vos querelles. Vous obtiendrez ainsi une justice intelligente, prompte et gratuite, mais surtout, conciliante » (Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 79). Il évoque également une justice plus efficace et plus équitable « par la simplification gratuite et conciliatrice de l’arbitrage, en tout et pour tout » (ibid., p. 105).
35 Le soldat a bien le droit de vote, « mais dans tout le reste, il n’est pas encore citoyen ; car il n’a ni jury pour le juger, ni droit d’élire ses chefs, ni droit au travail et à l’instruction » (ibid., p. 78). Il faut que la caserne « devienne une école d’arts et métiers » (ibid., p. 90). Par contraste, Raspail fait l’éloge de la Garde nationale, « défense de la patrie confiée à ses propres citoyens », « force armée de la liberté », « sentinelle dans la cité » (ibid., p. 71 et 72).
36 Le Réformateur, 8 octobre 1834.
37 De là, également, la supériorité du calendrier républicain, « agenda agricole et domestique » (Raspail François-Vincent, 1849, La Lunette du donjon de Vincennes…, op. cit., p. 17).
38 Une république doit proscrire le recours à l’emprunt. En revanche, l’impôt sert « à rendre à la communauté les produits qu’elle distribue ; c’est un fonds commun destiné à fournir les instruments de travail. L’impôt est le prix du louage et sert à l’entretien ; c’est un prêt à usure que chacun fait à l’État » (ibid., p. 61) puis, plus loin, « l’impôt légitime ne doit être la part qui revient à l’État sur l’extrême superflu des citoyens qui le composent. Si l’impôt frappait le nécessaire, ce serait une expropriation. Chaque citoyen prélève, sur le produit de son travail, une petite part pour rémunérer les employés de son choix, qui sont commis à ses écritures, à sa garde ou à sa défense. Quant à la part qu’il prélève pour enrichir la patrie de routes, de canaux, de monuments utiles et d’instruments communs de travail, c’est moins un impôt qu’un placement, et le placement le plus productif du monde » (ibid., p. 64).
39 Évoquant le déficit scandaleux de qualité et fertilité des terres, Raspail explique, « c’est à la commune, gouvernement local, à le diriger vers cette voie nouvelle de prospérité publique et privée ; c’est à l’État, gouvernement central des communes, à combiner l’emploi des ressources que lui donne l’impôt, pour établir en France un réseau d’irrigation qui ne laisse pas la plus petite parcelle de terrain exposée à la sécheresse » (ibid., p. 91).
Auteur
Directeur de recherche CNRS (UMR Triangle/ENS-Lyon). Il a récemment publié avec George J. Sheridan, Le Solitaire du ravin. Pierre Charnier (1795-1857), prud’homme tisseur et canut (Lyon, ENS Éditions, 2014) ; coordonné avec Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton et François Jarrige, le volume Quand les socialistes inventaient l’avenir (1825-1852) [Paris, La Découverte, 2015] ; et, dans la série Archives de l’imaginaire social », coordonné avec Clément Coste et Marie Lauricella, De la République de Constantin Pecqueur (1801-1887) [Besançon, PUFC, 2016].
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