5. Contre les poisons industriels. La voix dissonante de Raspail
p. 131-155
Texte intégral
Grands enfants, qui jouez ainsi sous toutes les formes et sans la moindre précaution avec les merveilles des arts et de la science, vous ne vous doutiez pas sans doute que c’était la mort que vous semiez pour être récoltée par les générations futures ; vous le savez maintenant. Ayez donc recours aux vrais principes de l’économie sociale ; elle seule est capable de concilier l’intérêt de nos jouissances avec celui de la santé de tous. Alors que le progrès indéfini de l’humanité est sur le point d’abolir la guerre, qu’il commence par abolir le poison ; et alors que, sur les ailes de la vapeur, toutes les industries tendent à se donner la main, que désormais elles n’aient plus besoin de gants pour le faire1.
1À l’heure où les imaginaires républicains contemporains sont considérablement brouillés et reconfigurés, l’œuvre et le rôle de François-Vincent Raspail (1794-1878), figure titulaire inespérée de la Troisième République, méritent d’être reconsidérés. De nouvelles approches sont nécessaires pour cerner les multiples facettes du personnage, dont la portée ne peut plus obéir aux vieilles classifications, mais au contraire contribuer à relire le siècle sans les apories du progrès et le récit d’étapes obligées vers la démocratie parlementaire2. Parmi toutes les dimensions de son œuvre, on connaît assez bien ses engagements politiques et scientifiques, incluant son action comme « médecin des pauvres », hors des sentiers battus de la médecine officielle, mais son positionnement face aux maladies et aux effets délétères du régime industriel instauré à son époque, a été jusqu’à présent insuffisamment analysé, quoiqu’esquissé3. Or, Raspail parvient à l’âge adulte précisément au moment de l’acclimatation industrielle, un ordre puissant imprégné de discipline, de mécaniques et de rationalité académique et économique, qui véhicule l’idéologie d’un progrès que seules les institutions seraient en droit de promouvoir et de canaliser. Politiquement, c’est contre cet ensemble de valeurs que se positionne Raspail. Mais qu’en est-il sur le fond des aspects reliant sociétés, santé et environnement ? Est-il un des « premiers écologistes […] dénonçant la pollution industrielle », comme l’annonce en quatrième de couverture la dernière biographie disponible en français de l’illustre homme4 ? Loin d’épuiser la question, l’ouvrage ne donne que quelques éléments de réponse, se concentrant essentiellement sur la personnalité de Raspail, les vicissitudes de sa vie, et surtout ses combats politiques. Or, pour constituer une généalogie d’une éventuelle pensée écologique, pour inscrire des préoccupations médicales et naturelles au sein d’espaces sociaux et économiques qui devraient lui être subordonnées, ainsi que pour lier pensée politique et industrialisation, continuer l’enquête semble un enjeu qui dépasse le cadre d’une simple biographie : elle doit permettre de réaffirmer la possibilité d’une pensée politique transcendant le paradigme d’un progrès proclamé indépassable par les pouvoirs en place et de questionner la validité de l’avènement d’une société propre et débarrassée de ses miasmes, grâce à la « bataille de l’hygiène »5.
2Dans quelle mesure Raspail lutte-t-il contre les pollutions industrielles ? Est-il possible de mesurer l’importance que cela prend dans sa vie et ses engagements, la réception et les critiques de ses diagnostics ? Cet article vise tout d’abord à préciser comment s’inscrit son antiacadémisme dans le cadre de l’hygiène publique et industrielle. Il souhaite ensuite voir quelle méthodologie et quelles théories il mobilise pour dénoncer certains aspects du monde industriel, et notamment ses effets néfastes. Il éclaire enfin comment son approche toxicologique l’amène à des solutions en décalage avec la doxa de son temps.
I. La cucurbite stomacale contre l’académie des hygiénistes
1. Contre l’hygiénisme officiel
3Raspail ne se serait certainement pas qualifié d’hygiéniste. Toute son œuvre témoigne du mépris qu’il porte à cette communauté, groupe officiel assermenté par le pouvoir, propre à légitimer les voies et décisions de celui-ci, et l’art de gouverner par la biopolitique, dont Michel Foucault a décrit les logiques. Lorsque Raspail commence à pratiquer la médecine, à réfléchir aux causes des pathologies et à en lier certaines au nouveau système industriel, et même dès 1833, lorsqu’il publie son Nouveau système de chimie organique, il se différencie assez vite des méthodes employées par les chimistes et médecins qui occupent les fonctions officielles auprès des pouvoirs publics pour définir ce que doit être l’hygiène publique. Dans les années 1830, la communauté des hygiénistes vient de se structurer en France autour des Annales d’hygiène publique et de médecine légale (AHPML). Cette revue acquiert, par le prestige de ses membres et sa régularité, une influence considérable en Europe pendant plusieurs décennies, faisant de la France son poste avancé avant que la discipline ne s’internationalise6. Sur le plan opérationnel, l’hygiène publique est aux mains des conseils de salubrité, placés auprès des préfets. Le premier a été créé à Paris en 1802, puis sur son modèle à Nantes, Lyon, Marseille, Lille, Strasbourg, Troyes, Bordeaux, Rouen et Toulouse entre 1817 et 1832. Avec entre autres Alexandre Parent-Duchâtelet, Louis-René Villermé, Étienne Pariset, Jean-Pierre Darcet et Nicolas Deyeux, et au total la moitié des membres des AHPML, celui de Paris domine véritablement l’architecture de l’hygiène publique en France. En 1848, chaque département est doté d’un conseil d’hygiène publique, auprès du préfet, mais celui de Paris continue d’avoir la prééminence sur la communauté7.
4La volonté vulgarisatrice de Raspail n’est pas une simplification de la science officielle pour les masses, mais s’inscrit dans l’enseignement d’une « autre » science8. Sa démarche est clairement visible lorsqu’il analyse ce que nous nommerions les différents aspects des pollutions ou de la santé publique, dont il rédige un premier système d’analyse dans son Histoire naturelle de la santé en 1843. Ainsi, dans l’étude des gaz délétères, il note l’incertitude de la science officielle à définir la qualité de l’air « à cause de l’imperfection de [ses] méthodes d’analyse »9, quoique les hygiénistes ne cessent d’évaluer de leur autorité savante si l’air environnant peut être salubre ou non. Être son propre médecin implique d’être à l’écoute de son corps et une attention aux pratiques naturelles sanctionnées par l’expérience commune. Raspail raille régulièrement les expérimentations hasardeuses promues par les hygiénistes qui dérivent des transformations industrielles. C’est ainsi qu’il critique la nourriture de laboratoire, par exemple les plats à base de gélatine d’os selon la méthode de Darcet10. Cet aliment à destination des soupes populaires, promu par la philanthropie parisienne, était en fait un sous-produit de l’industrie des os et de la gélatine extraite à l’aide de l’acide chlorhydrique, dont Darcet avait acquis le brevet en marge de ses fabriques de produits chimiques. Sa qualité nutritive est alors très débattue, elle occupe l’Académie des sciences pendant plus d’une décennie11. Plus généralement, il conteste toutes les manipulations alimentaires artificielles qui ont pu être faites dans une optique de science appliquée au développement économique, telle la farine de pomme de terre, que les pharmaciens Parmentier et Cadet de Vaux avaient expérimentée dans les années 1780. Cadet de Vaux était alors l’inspecteur général de la salubrité de Paris, un poste qui préfigurait le Conseil de salubrité, et Parmentier devint le premier président de ce Conseil en 1802. Raspail oppose la « nourriture naturelle » à la « vanité de notre alchimie économique » qui répand avec cette « nourriture de laboratoire » la maladie des « artificielles digestions »12. Les aliments industriels véhiculent la mort, ainsi celle des vaches, due à « la substitution des marcs de nos féculeries, de nos sucreries et de nos distilleries, à la nourriture habituelle de ces animaux »13. De cet écho lointain au scandale des farines animales répond, dans l’ordre des dénonciations contre l’ordre industrialo-scientifique, celui des pesticides, lorsqu’il s’emporte contre les insecticides et les produits chimiques industriels utilisés dans l’agriculture, qui heurtent les savoirs et usages locaux et anciens :
Je ne crois pas qu’un seul de mes lecteurs pense maintenant que le chaulage à l’arsenic, au cuivre, et je dirai même à la chaux, soit aussi inoffensif qu’on a cherché à l’établir sur des expériences de laboratoire […]. On voit que les anciens n’avaient pas fait de la maladie une entité dont la cause échappe à nos sens. Ils ne désignaient pas tous les ennemis des semailles ; mais les ravages dont ils voulaient préserver les grains, ils les attribuaient bien à des causes animées, d’un calibre fort appréciable, et qu’ils avaient pu maintes fois surprendre sur le fait14.
5Comme pour d’autres aspects, ses diatribes contre la science officielle se placent souvent sous l’angle de la rivalité personnelle avec des rapports académiques. Au début des années 1830, dans L’Agronome, il propose par exemple un système de vidange propre à confectionner un engrais afin de préserver les habitants et surtout les vidangeurs des gaz des fosses d’aisance. Or, dit-il, « l’ordre fut-il donné à un faiseur officiel, aujourd’hui membre de l’Institut, d’exploiter l’idée pour son propre compte, et surtout en s’en disant l’inventeur ». Qualifié de « sosie officiel » par Raspail pour avoir imité ses préconisations, ce faiseur de projet académicien ne prend toutefois pas toutes les précautions recommandées, et plusieurs ouvriers auraient succombé à ses expériences, faute d’évacuation des gaz ammoniacaux. Il conclut : « la chimie officielle avait alors plus d’une de ces sortes d’hallucinations »15. Sa confrontation directe avec les hygiénistes se produit en fait lors de procédures judiciaires au cours desquelles il est appelé à jouer un rôle d’expert des parties. C’est le cas contre Mathieu Orfila lors du procès Lafarge, où il se confronte à l’arsenic comme poison16, et c’est également le cas lors du litige sur les brevets de dorure sur métaux, où il combat les expertises de Joseph Pelletier, Henry Gaultier de Claubry et Anselme Payen, tous trois membres éminents du Conseil de salubrité17. Mais l’accusation peut aussi être indirecte, c’est ainsi qu’il critique Pelletier, au sujet du sulfate de quinine, une combinaison de quinine et d’acide sulfurique, inventée et fabriquée par ce pharmacien à la quête des principes actifs, et qu’il substitue au quinquina pour lutter contre le paludisme. Ce produit artificiel, approuvé par l’Académie des sciences, n’a pas les faveurs de Raspail :
[U]ne théorie académique fit préférer au quinquina cette combinaison d’un des éléments forts affaiblis de cette écorce, et où une récompense de dix mille francs fut, pour deux fabricants privilégiés, le germe d’une fortune millionnaire, au grand détriment de la santé des malades des hôpitaux. […] L’emploi du sulfate de quinine n’est rien moins, en définitive, qu’un empoisonnement caustique par l’acide sulfurique18.
6Après plusieurs essais thérapeutiques sur quelques différentes dizaines de malades, le sulfate de quinine montre néanmoins son efficacité, il devient l’allié, avec les armes à feu, de la colonisation sous les tropiques19. Quant au procès sur la dorure, cela le familiarise avec Darcet (d’Arcet) qui, au sein du Conseil de salubrité, s’est spécialisé dans l’expertise sur les métaux. Une occasion qui permet encore à Raspail d’opposer démarches « scientifiques » et démarche personnelle plus à l’écoute des faits et gestes. En effet, il dénigre, sa soi-disant invention du tam-tam, en fait empruntée au savoir-faire pris sur un ouvrier. Selon son récit, Darcet étudie « savamment, chimiquement, en pesant, analysant » différents tam-tams, mais sans succès. Ce n’est que par inadvertance que voyant « un de ses ouvriers tremper dans l’eau froide un bronze encore tout brûlant de sa fusion », qu’il aboutit à un produit de qualité : « qui aurait jamais deviné, dans un corps savant, que la trempe, qui rend cassant l’acier, rendît le bronze ductile ? »20. Raspail rend donc hommage aux savoirs incorporés des artisans sur ceux, scientifiques des savants de l’Académie. Raspail a d’ailleurs plaisir à s’en prendre à Jean-Baptiste Dumas, incarnation du chimiste homme politique influent, propagateur de la doxa officielle industrialiste21. Ainsi, lorsqu’il se penche sur le phylloxera en 1874, dont Dumas a dirigé plusieurs commissions, il raille l’illustre savant, qui défend l’usage d’insecticide à base d’acide sulfureux22. Mais en général, Raspail occulte pourtant les hygiénistes, ne les citant que très rarement et se référant seulement exceptionnellement à leurs travaux. Dans son Histoire naturelle de la médecine, il ignore totalement Guyton de Morveau, Fourcroy, Chaptal, Deyeux, Berthollet, ces chimistes administrateurs qui ont présidé à la loi sur les établissements industriels insalubres de 1810, préférant se référer aux savoirs profanes. De même, Lavoisier, ce grand ancêtre du lien entre chimie, académie et économie politique, n’est pas davantage évoqué. C’est plutôt la figure de Paracelse qu’il érige en paradigme de l’asservissement de la médecine par la chimie. Ce médecin de la Renaissance lié au monde des mines, contre-modèle d’Hippocrate, avait en effet innové en expérimentant très tôt à des fins thérapeutiques des substances minérales considérées toxiques comme l’arsenic, le soufre, le cuivre23. Théoricien de l’adage « c’est la dose qui fait le poison », Paracelse avait abouti à prescrire les composés mercuriels dans le traitement de la syphilis, un traitement encore en cours au xixe siècle. Or, comme Raspail le rappelle sans cesse, le mercure est un tel toxique qu’il tue en effet l’agent de la syphilis, mais le patient dans le même temps.
2. Des commissions d’expertise inutiles
7Pour Raspail, les diverses commissions diligentées par le pouvoir ne servent à rien pour le bien de l’hygiène publique. La magistrature publique, « bénévole », devrait se suffire à elle-même et se méfier des corps savants pour prévenir les maladies, « se mettre en garde contre les idées étroites et prétentieuses des savants de profession qu’elle assermente et attache à son service ». « Toute cette science ne vaut souvent pas un grain de bon sens », et ses rapports sont des « boulets »24. Pour démontrer l’inutilité de telles commissions, Raspail prend l’exemple en 1859 de l’intoxication au plomb des conduites d’eau, dont le danger a provoqué la mise en place de plusieurs commissions. Tout d’abord, Raspail soupçonne leur partialité et le biais avec lequel les rapporteurs mènent l’enquête. Puis, il met en scène leurs délibérations préliminaires, autant « d’entraves à la découverte d’une vérité capable d’être contraire aux intérêts qui leur sont chers ». Enfin, il critique le mode d’expertise, qui ne retient que l’option la plus favorable au verdict de l’innocuité du plomb. Pour terminer, « la conclusion sera toujours que le liquide ne renferme que des quantités infinitésimales de plomb ; on avouera cependant qu’à la longue une telle boisson serait susceptible, en certains cas, de porter une certaine atteinte à la santé des consommateurs ; et tous les membres de la commission signeront, ne varietur, cette savantissime élucubration, qui n’est souvent que l’œuvre d’un seul homme »25. Que les substances en présence soient considérées en trop petites quantités pour être dangereuses est effectivement un thème dominant de la doxa hygiéniste du xixe siècle26.
8Ce sont bien sûr les comités ou conseils d’hygiène et de salubrité publique qui sont visés, ces instances « d’un personnel restreint, fatigués et ennuyés de travaux quelquefois sans intérêt, obligés de se diviser et subdiviser en commissions et sous-commissions, pour les besoins du service, et de s’envoyer et se renvoyer les diverses faces de la question, afin de ne pas empiéter sur les attributions les uns des autres »27. Il leur reproche leur manque de mesures préventives et d’initiative. Ces institutions lui semblent inutiles, ce sont « de vieilles et lourdes machines, qui ne sont rouillées à force de ne fonctionner qu’à leur guise et toujours de la même façon, à pas lents et comptés, et lorsqu’on n’a presque plus besoin de leur service. Car enfin, ont-elles jamais signalé le moindre danger, prévenu le moindre accident, déjoué les moindres fraudes, conjuré le moindre malheur, découvert la moindre source de calamité publique ? »28. Selon les bons mots polémiques qui lui sont coutume, il moque ses membres « doctissimes » qui sont en retard d’une génération sur les bonnes préconisations29. Il leur reproche enfin, sans la nuance qu’imposerait la connaissance approfondie de la gamme variée de ces conseils en province, leur collusion avec les intérêts privés, car par expérience il remarque qu’elles cherchent à « concilier les intérêts de la salubrité publique et privée avec ceux de l’industrie engagée dans une si fausse voie »30.
9Raspail n’entretient en fait que peu de relations directes avec le conseil de salubrité de Paris. Leur relation est celle d’une ignorance réciproque. Une des premières rencontres semble avoir eu lieu lors d’un de ses séjours en prison, en 1831, et la confrontation a définitivement convaincu Raspail de l’inutilité de telles instances. Comme prisonnier, outre la question pénale qui lui est chère, il a très vite été sensible aux conditions de détention et au manque de mesures d’hygiène. Il sait très bien que, dans le cadre des réformes pénitentiaires de son siècle, les hygiénistes ont participé à la conception des prisons, mais comme il le rappelle, bien différente est la situation de concevoir les cachots dans des bureaux et celle de les occuper : les nouvelles prisons sont le résultats de « l’exactitude illogique du calcul géométrique […] des architectes officiels », de « philanthropes à gages » à qui il serait bon de faire expérimenter leur réalisations : qu’ils commencent par « y être enfermés et par y vivre un seul mois de suite ; on [leur] demandera alors quel est [leur] propre avis sur le commodo et incommodo de l’idée »31. En prison, Raspail soigne les malades, propose de nouvelles dispositions et défie les autorités de faire l’examen de la nourriture. C’est cette dernière demande qui met Raspail en contact avec le Conseil de salubrité. Durant l’été 1831, il parvient à obtenir du directeur de la prison Sainte-Pélagie, où il est incarcéré de faire l’examen chimique du pain distribué aux prisonniers – après avoir clairement signifié que les avis de l’Académie des sciences et du Conseil de salubrité ne lui semblaient d’aucune valeur –, et son étude aboutit à la conclusion que la farine est frelatée. Le préfet de police lui annonce alors avoir demandé au Conseil de salubrité publique de venir en discuter avec lui. « Je n’ai jamais rien vu venir », ajoute Raspail32. Finalement, il rencontre l’un des membres du Conseil de salubrité, mais c’est pour analyser l’eau. S’ensuivent deux méthodes d’analyses différentes entre, dit-il, « la philanthropie et la prévention », ou dit autrement : « la cucurbite33 stomacale des prisonniers était de plus en plus en désaccord avec la cucurbite du chimiste ! »34. Du côté de la philanthropie, « l’inspecteur-général, les lunettes sur le nez et le portefeuille sous le bras, est venu recueillir les plaintes, et persuader les prévenus que la chimie ne commettait pas des erreurs telles et si nuisibles à la santé des prisonniers », et que l’eau était parfaitement potable. Du côté de la prévention, Raspail inspecte le réservoir et en rapporte « une vase si noire, si sulfureuse, si fermentescible, que M. l’inspecteur recula, repoussé par sa fétidité ». « Combien la chimie serait utile au peuple et à ceux qui souffrent, si elle commençait jamais par être moins savante, et par avoir un peu plus de bon sens que de génie ! ». Il en conclut : « Vous voyez que nous faisons ici de la meilleure chimie que dans un laboratoire ». Après avoir nettoyé la citerne, l’épidémie gastrite disparaît : « [N]ous venions d’être nos propres médecins »35.
10Cet épisode permet à Raspail de se défier définitivement du Conseil de salubrité, de ses modes d’expertise, des procédures de ses réunions, de son parti pris pour l’industrialisation, de sa démarche dilatoire qui cache des objectifs politiques en faveur de l’industrie au détriment de la santé publique. Comment fonctionne le Conseil de salubrité pour lutter contre les pollutions industrielles ? Pour Raspail, ce Conseil est inefficace et ne prend pas les problèmes à sa racine :
A-t-on lancé dans l’atmosphère des miasmes qui portent au loin la peste ? Recueillez le témoignage des pestiférés moribonds, exhumez le cadavre de ceux qui sont déjà en terre. Pour cela faire, transportez-vous sur les lieux, d’abord au nombre d’un seul ; puis de deux afin de vérifier les assertions du premier, puis de trois afin de vérifier les assertions plus ou moins modifiées des deux. Vous avez huit jours pour vous réunir, à l’effet de vous entendre sur cette première expertise ; huit autres jours pour vous compléter, si, dans la première séance, vous avez été empêché de rien faire, faute d’être complets ; puis huit jours pour que le rapporteur rédige, huit jours pour qu’il donne lecture de son rapport ; on le discutera huit jours après dans la séance suivante ; on le présentera au conseil le mois suivant, qui en renverra la discussion à la séance prochaine, et qui là, s’apercevra qu’à tous ces faits, il en manque un essentiel : c’est d’avoir pris les nom, adresse, numéro et domicile du délinquant : car il se trouve que, dans l’expertise, il existe un délit et des victimes, et pas un coupable du fait. Nouvelle expertise, dans le but de s’assurer de l’existence du coupable, et partant de la réalité du délit ! Mêmes délais accordés aux experts, afin que le temps ne manque pas à l’importance de la mission, et que la durée de leurs investigations soit une garantie irrécusable de la maturité de leurs conseils ! Nouveaux retards, qui ne sont nullement du fait de la commission ! L’auteur du délit se présente fort de son innocence, et il demande à être entendu, avant d’être condamné : visite chez le défenseur… visite contradictoire chez chacun des voisins qui se plaignent et poussent des hauts cris… La distance à parcourir chaque fois est de quatre lieues, ce qui fait huit lieues pour chaque visite, et une journée entière presque à parcourir ces huit lieues. Le doute se multiplie proportionnellement aux allégations contradictoires ; force est de la fractionner, par de petites portions, dont chacune occupe un assez grand nombre de pages. Un douzième de doute résolu chaque mois, par impossible et par supposition seulement, cela ferait un an au moins pour la résolution de l’une des difficultés fractionnaires. À un an pour chaque difficulté, on arrive à la dixième année, époque à laquelle M. le préfet se met à délibérer par-devers lui ; puis il saisit la plume de guerre lasse, et parce que l’affaire est pressée, il rend un arrêté, il l’expédie ; et l’huissier porteur de la cédule revient annoncer qu’un obstacle insurmontable s’est opposé à l’exécution de son mandat ; c’est que, depuis cinq ans au moins, l’établissement incriminé a changé de domicile et de département. Lors le conseil se frotte les mains et s’applaudit du succès de sa haute surveillance : c’est cinq ans de moins sur dix, que le voisinage a eu à souffrir de l’insalubrité d’un établissement ! Je n’ai pris que les cas les plus simples et les moins compliqués, dans le nombre de ceux que la sollicitude paternelle soumet chaque jour à la haute appréciation de MM. du conseil, et je ne vous ferai pas passer à travers tous les incidents, toutes les formalités judiciaires des cas qui se compliquent de référés, d’appels, de recours au conseil d’État ou à la cour de cassation, de commissions rogatoires, etc. On a vu des affaires de cette nature être encore pendantes au bout de vingt ans ! Vingt ans ! C’est la durée moyenne d’une génération humaine, quand elle végète au milieu de conditions normales, et sous l’influence des causes indispensables à son développement ; il ne faut que six mois de perturbations et de miasmes, pour dévorer et éteindre une génération entière, au sein même de la plus brillante prospérité36 !
11Par ce récit où le comique le dispute à l’ironie, Raspail exagère-t-il ? De nombreux cas précis corroborent en fait son analyse, quand la plupart des dossiers traités par le Conseil de salubrité à cette époque s’en rattachent par l’esprit. Ainsi, en 1831, lorsqu’il écrit ce passage (publié en 1839), une procédure de plus de dix ans est en instance (depuis 1819) contre les affineurs de métaux précieux à Paris, et ne se termine qu’en 1833. Il faut également près de dix ans, près de dix rapports du Conseil de salubrité (en faveur de l’industrie), et finalement une intervention du Comité consultatif des arts et métiers du ministère de l’Intérieur pour aboutir au premier ordre de fermeture d’une usine délétère, en 1834, celle du pharmacien Derosne, lui-même très lié au milieu hygiéniste par des liens familiaux, de collaboration scientifique et d’entreprises industrielles. À l’encontre de la raffinerie de sucre de Delessert, ce banquier et industriel philanthrope lié également aux réseaux des hygiénistes et des académiciens, l’instance judiciaire et administrative dure elle aussi plus de dix ans (1825-1836), et se clôt politiquement lorsque son frère devient préfet de police, ce qui lui permet de ne pas être inquiété par ses voisins (dont il rachète les propriétés). Trois affaires notables parmi une multitude d’autres, dont on reconnaît ainsi assez bien le fonctionnement du Conseil durant cette première moitié du siècle37. Raspail peut légitimement conclure : « Vos conseils de salubrité officiels vous donneront, cent ans encore, de la boue et l’infection de la boue sous tous les rapports »38.
12Bien entendu, ce jugement sévère est fortement lié à la connaissance qu’il a du conseil de salubrité de Paris ; le positionnement de ce dernier, qui est relayé par les plus hautes instances de l’État, n’est pourtant pas celui de tous les conseils de salubrité, surtout après 1848. L’idéologie des hygiénistes n’est pas monolithique et elle est variable dans le temps. En province notamment, des médecins observent dans leurs enquêtes des pathologies, des fatigues, un vieillissement prématuré et l’attribuent au monde industriel ; il leur arrive de dénoncer nombre de pollutions environnementales. Les comités d’hygiène départementaux sont parfois très actifs, en fonction de la personnalité de leurs membres39. Par ailleurs, leurs certitudes sont ébranlées par certains médecins de grande notoriété. Par exemple, en 1845, le médecin lyonnais François Mêlier prend le contre-pied des hygiénistes parisiens en mettant en valeur les effets nocifs des fabriques de tabac40. De même, dès le début du siècle, le médecin marseillais François-Emmanuel Fodéré avait fortement critiqué les procédures du Conseil de salubrité, ses méthodes et ses conclusions. Devenu membre du conseil de salubrité de Strasbourg à partir de 1829, il avait essayé – il est vrai en vain – d’établir des procédures qui puissent donner à la santé publique la prééminence sur le développement industriel41.
II. Un hippocratien au siècle du socialisme et des classes laborieuses
Santé et environnement
13Au-delà de ce positionnement à l’encontre de l’académie des chimistes, quelle est la conception de Raspail de l’hygiène publique et des effets de l’industrie sur la santé humaine ? Tout d’abord, il n’en fait pas un système de pensée en tant que tel : se rattachant à la tradition néohippocratique des miasmes, il intègre son diagnostic dans un ensemble plus vaste qui est un projet politique, une conception qui le rattache aux médecins qui gravitent autour de Fourier et d’autres socialistes utopistes. Par ailleurs, son attention aux classes populaires et aux ouvriers le porte à évoquer à de nombreuses reprises les maladies professionnelles.
14Tout d’abord, Raspail est imprégné de la théorie aériste selon laquelle l’air véhicule les miasmes des maladies. Il prolonge l’esprit des Lumières du xviiie siècle et de la médecine néohippocratique, qui a connu son épanouissement avec la création de la Société royale de médecine en 1776 et la vogue des topographies médicales42. Cet esprit se prolonge au xixe siècle, mais est en déclin, la topographie médicale du médecin Lachaise en 1822 est la dernière du genre à Paris43. Alain Corbin a retracé les vicissitudes de cette médecine pour laquelle l’odeur est le signal des miasmes44. Comme Hippocrate, Raspail voit la santé comme un état d’équilibre ou d’interaction avec l’environnement. La santé, ce sont des cellules qui fonctionnent bien et ce sont les intrusions dans les tissus qui apportent la maladie. Ainsi, selon lui, « les miasmes des marais et autres gaz méphitiques produisent des effets désastreux pour les populations riveraines ». Si l’on regarde son système de pensée dans l’Histoire naturelle de la santé, il rejoint en fait bon nombre d’analyses des hygiénistes qu’il critique. Par exemple, il estime que les acides et le chlore peuvent avoir des propriétés désinfectantes contre la putridité, s’ils sont dégagés en proportion modérée. De même, l’ammoniaque peut avoir des vertus, et même être un « agent protecteur de nos fonctions, un condiment atmosphérique ». À l’égard des fumées, il pense même, comme le Conseil de salubrité, qu’elles peuvent purifier les airs pollués par les odeurs de la fermentation. La fumée s’avérerait plus gênante que dangereuse, elle « porte avec elle les antidotes de ses nombreux poisons ; elle fatigue plus qu’elle n’empoisonne ». Quant à celle du charbon de terre, si redoutée pour ses odeurs sulfureuses, elle est « peut-être moins nuisible que salissante […] et en très petite quantité, n’est nullement nuisible ; elle fait même assez souvent l’office de condiment »45.
15Et pourtant, par la prégnance de son attachement hippocratique, Raspail en arrive à des conclusions fort différentes à l’égard des fabriques et de leur place dans la société. Alors que l’hygiénisme officiel s’ingénie à l’accommoder aux modes de vie modernes, Raspail réclame leur éloignement des centres urbains. C’est même sa première préconisation, dans les moyens prophylactiques qu’il donne, dès 1845, dans son Manuel-Annuaire, afin d’éviter l’asphyxie ou l’empoisonnement par l’air : « 1° Faites le choix d’une habitation exposée au soleil, à l’abri des émanations des marais et des fleuves, et de celles des usines et exploitations insalubres »46. Rempli des contradictions médicales propres à son siècle, il peut ainsi à la fois souligner les vertus purifiantes des acides et craindre leur effet. À ce titre, il est parfaitement clair sur les conséquences néfastes de l’existence des fabriques d’acides sur l’environnement, un véritable « fléau pour la végétation. […] Les acides, en effet, étant plus pesants que l’air, retombent sans cesse sur le sol en une pluie dévorante. Les grands arbres de la route se dessèchent sur pied, et les herbes se fanent en germant ; il est évident que la santé des voisins doit en ressentir d’aussi rudes atteintes. […] Comment la respiration animale ne s’en ressentirait-elle pas, quand, à de grandes distances même, on voit tout ce qui est vert jaunir, tout ce qui est bleu rougir, et la surface des murs, ainsi que la superficie du sol, se couvrir d’une efflorescence nitreuse ? »47. Lorsqu’il ajoute que les plaintes du voisinage de telles fabriques ne sont souvent que trop fondées, sa parole prolonge celle de Fodéré, dont la critique des conseils de salubrité reposait justement sur leur bienveillance à l’égard des usines de produits chimiques. Dans le premier grand traité d’hygiène publique publié en France, en 1813, Fodéré avait fortement critiqué le nouvel ordre industriel polluant, néfaste à la santé humaine et végétale ; il était alors le seul médecin de grande notoriété à vraiment dénoncer ces effets néfastes, en démontrant l’existence de pluies acides et d’affections respiratoires graves48. Comme Fodéré, et à l’inverse de certains des hygiénistes qui n’ont pas de pratique médicale, Raspail tire ses conclusions de l’examen de ses patients. En 1862, il témoigne avoir examiné un malade, toussant et crachant le sang, une affection que d’autres médecins attribuaient à une épidémie de coqueluche. Mais pour Raspail, la cause en est « les vapeurs d’une manufacture d’acides sous le vent de laquelle la famille se trouvait à cette époque »49. Ainsi, en toutes circonstances, « les fabriques de vitriol, de chlore, d’eau-forte, d’acide hydrochlorique, hydrocyanique, acétique et pyroligneux, etc., de phosphore, de poudres fulminantes, de décapages de fer ou de cuivre, […] doivent […] spécialement fixer l’attention de l’administration locale »50. Ces prises de position, qui mêlent un positionnement politique aux exigences de la science, le distinguent ainsi de la doxa des hygiénistes, qui depuis la fin du xviiie siècle, se sont fait les propagateurs des acides minéraux, et pour qui l’industrie, quand elle est bien menée, n’est pas contraire à la santé publique ; seuls les accidents seraient source de problèmes51.
16Raspail ne compte en rien se spécialiser en hygiène publique, il dénonce juste des aspects qui vont à l’encontre de l’ordre social qu’il préconise. Dans la tradition néohippocratique, il prend bonne note de ses observations de praticiens, et il est guidé par sa critique du système industriel. Humaniste très généraliste, peu spécialisé, médecin du pauvre et révolutionnaire politique, sa pensée le rapproche naturellement des nombreux médecins qui gravitent autour ou animent les premiers groupes de socialistes utopistes. Comme les médecins Philippe Buchez (1796- 1865), Ulysse Trélat (1795-1879), Jules Guérin (1801-1886), Alexandre Baudet-Dulary (1792-1878), Ange Guépin (1805-1873), Charles Pellarin (1804-1883), Arthur de Bonnard (1805-1875), tous de sa génération et engagés auprès de divers courants socialistes (fouriéristes, saint-simoniens, partisans de Cabet)52, il partage la conviction que la santé de la population dépend de son environnement. Tous ces médecins sont hippocratiens. Ainsi, pour Baudet-Dulary, « beaucoup de maladies viennent d’un air qui ne contient pas assez du principe vivifiant, qui est chargé de vapeurs, de miasmes »53. Dans la ville idéale de Fourier, toutes les activités polluantes et bruyantes sont reléguées à l’écart des logements, afin de ne pas nuire à la qualité de vie54. Dans ses expériences lorraines, Arthur de Bonnard pétitionne contre les tanneries et brasseries qui polluent l’air et l’eau de leur voisinage dans les années 1843-184555. On peut trouver aussi de nettes correspondances dans la pensée de Raspail avec le Manuel d’hygiène publique d’Ulysse Trélat et de Philippe Buchez, publié en 1825, pour lesquels les « principaux modificateurs » de la santé se rencontrent « dans les choses qui environnent l’homme » autrement dit dans les « divers agents hygiéniques répandus dans l’atmosphère ou circumfusa »56.
17Si Raspail est trop individualiste pour participer aux expérimentations collectives des utopistes, la santé est, pour lui comme pour eux, ce droit fondamental fortement connecté aux droits du citoyen, et la chimie et l’histoire naturelle sont des outils pour l’émancipation des classes laborieuses et pour soigner les maladies physiques et morales des pauvres, pour résoudre les problèmes d’économie et de société. Le progrès de l’hygiène est inclus dans le projet de transformation sociale. Tous se désespèrent de la faiblesse de la médecine et estiment que les maladies découlent de l’organisation domestique et industrielle ; selon les mots de Pellarin, « nul doute cependant qu’un jour tout sera subordonné dans l’administration de la société au développement et à la conservation des hommes, et que les données de la physiologie, devenue science exacte, présideront aux dispositions de l’ordre social. […] On sera tout émerveillé alors de voir combien les passions et instincts naturels de chacun sont conformes aux exigences de sa constitution »57. Raspail se serait identifié à cette citation. Leur traversée du siècle les oriente vers l’analyse des transformations de la société industrielle en relation avec les problèmes de santé publique et privée. Finalement, d’une certaine façon, leur socialisme est un hygiénisme, seule la direction politique à prendre diffère avec celle de l’Académie et des instances de l’État. L’hygiène n’est pas seulement la propreté ou la réalisation d’un réseau d’égouts, mais un moyen d’améliorer les conditions de vie et du bien être ; il y a un lien entre misère et maladies, la place de l’hygiène dans l’organisation sociale est donc primordiale, la société doit être subordonnée aux impératifs de la santé publique. Critiquer le Conseil de salubrité, c’est donc aussi critiquer l’ordre social, car pour Raspail, l’expertise savante recouvre un rapport de classes :
Oh ! ce n’était pas l’or qui manquait à toutes ces puissances subalternes ! Ils étaient riches et considérés ! leurs jours étaient pleins. On les voyait le matin à leur toilette ; à dix heures, à la messe de la Cour ; à midi, aux déjeuners de la clientèle ; à trois heures, au rapport ; à cinq, à la table de M. le préfet ou de M. le procureur-général ; le soir, au spectacle dans la loge de M. le commissaire, et en qualité d’inspecteurs de la salubrité ! Malheureux, si la série de leurs graves occupations se trouvait, une fois par année, interrompue par la nécessité de jeter un coup d’œil sur une recommandation pressée ! Malédiction au prolétaire qui, par une découverte importune, serait venu troubler le cours de cette longue digestion58 !
2. L’attention aux maladies professionnelles
18Hippocratisme et critique sociale conduisent naturellement ces médecins engagés vers le souci des diverses contaminations dont souffrent les ouvriers dans le cadre de leur travail. Pour Trélat et Buchez, l’air des ateliers est toujours « chargé de vapeurs et de poussières des métaux et autres corps sur lesquels on travaille. […] Il en résulte ordinairement des dérangements graves de la santé, des tremblements, des coliques, des paralysies, etc. ». Ces émanations sont des poussières, des vapeurs acides, d’autres miasmes. Les deux médecins consacrent un chapitre spécial à la question, au moment (années 1820) où celle-ci est âprement débattue dans les instances d’hygiène parisiennes59. D’un côté, les hygiénistes, après avoir étudié le problème des ouvriers cérusiers, dénient en 1823-1824 toute incidence claire des tâches ouvrières sur leur santé. Le constat se consolide en 1829 avec un rapport qui fait date, de Darcet et Parent-Duchâtelet, sur l’influence des fabriques de tabac sur la santé, publié dans la première livraison des AHPML. Il se pérennise ensuite en 1840 avec Villermé qui attribue dans son célèbre tableau de 1840, la mauvaise santé ouvrière à toute autre cause que le travail en lui-même (alimentation, logement, pauvreté, alcool, etc.)60. Opposés à cette vision, certains médecins, de plus en plus marginalisés, continuent d’inscrire leur diagnostic dans la tradition ramazzinienne, elle-même une reconfiguration de l’hippocratisme. En 1700, le médecin italien Ramazzini avait écrit un Essai sur les maladies des artisans, référence européenne pour tout le xviiie siècle, dans lequel il montrait qu’à chaque atelier correspondait un climat de travail particulier ayant des conséquences souvent néfastes sur la santé. En 1822, le médecin Pâtissier réactive le sujet en publiant un ouvrage très proche de celui de Ramazzini, mais cette vision est progressivement marginalisée61. Dans le cœur du xixe siècle, elle se loge ainsi dans la pensée de médecins en marge des instances officielles, tel que Raspail.
19Lire Raspail, c’est dresser la liste éloquente et variée des pathologies ouvrières autour de 1850, une liste qui s’étend à mesure que le siècle s’étire62. L’emprisonnement politique et l’exil lui offrent manifestement la disposition d’esprit pour s’intéresser à ce sujet, dont il rend compte régulièrement dans sa Revue complémentaire entre 1854 et 1860, ainsi que dans son Histoire naturelle de la santé. Ce sont tout d’abord certaines professions anciennes, qui avaient déjà fait l’objet du prix des arts insalubres de l’Académie des sciences dans les années 1780, et dont on ne peut que constater la persistance des pathologies : doreurs sur métaux et étameurs de glace, qui utilisent le mercure pour l’amalgame des métaux précieux et de l’étain, affectés par les tremblements mercuriels ; chapeliers, empoisonnés par le nitrate de mercure qu’ils utilisent pour secréter les peaux ; broyeurs de couleur par les poussières métalliques des pigments. Ce sont ensuite tous ces ouvriers qui fondent le plomb, ou le manipulent, affectés par des maladies respiratoires et digestives, des paralysies des membres63, et plus généralement « tous les ouvriers sur étain, sur bronze, sur laiton, les plombiers, zingueurs, fondeurs, potiers, etc. », tous « exposés aux émanations du plomb et du zinc, parce que la plupart de nos alliages en contiennent », mais aussi à cause des produits chimiques qu’ils utilisent : l’antimoine, le mercure, l’arsenic64. Même les ouvriers des prestigieux affinages des hôtels des monnaies « n’y faisaient pas grand séjour et ils ne tardaient pas à passer de l’atelier à l’hôpital et de l’hôpital au cimetière »65. Mais ce sont également les nouvelles pathologies, car « toute nouvelle industrie engendre un nouvel ordre de maladies », ainsi pour les allumettiers et leurs enfants, atteints de dégradation osseuse liée au phosphore, ou encore les télégraphistes qui souffrent des vapeurs acides des piles de leur laboratoire66. Raspail ne passe pas non plus sous silence des maladies de peaux ou de poitrine, moins spectaculaires, qui touchent les teinturiers, les meuniers, les fabricants de meules de grès ou encore les jardiniers élagueurs67. Quant au saturnisme des cérusiers, maladie qui devient la pathologie ouvrière par excellence au xixe siècle68, Raspail mentionne les statistiques hospitalières insérées opportunément au Moniteur en janvier 1850 lorsque l’État songe lui substituer le blanc de zinc, et il souligne qu’il présume des cas beaucoup plus nombreux à domicile69.
20La démarche de Raspail n’est pas celle d’un hygiéniste féru de sciences morales et politiques, de statistiques et d’économie appliquée au développement de l’État. Au contraire de Villermé, donc, il ne noie pas la causalité dans une argumentation multifactorielle propre à occulter les effets du travail. Ses conclusions sont le plus souvent dictées par ses diagnostics cliniques. S’il remarque que les vapeurs acides sont néfastes à la respiration, c’est parce qu’il a réussi à soigner des ouvriers en leur prescrivant d’arrêter leur travail, ou de s’en tenir éloignés un certain temps ; s’il redoute la dorure au mercure, c’est parce qu’il soigne un doreur dont le mercure lui sort par tous les pores de la peau. C’est encore à l’occasion d’une consultation médicale qu’il s’empare en 1846 du problème de la nécrose de la mâchoire des allumettiers, provoquée par les vapeurs de phosphore qui s’échappent de la fabrication70. Raspail est loin d’être en retard (même s’il relate cette affaire en 1854) : la fabrication des allumettes chimiques avait été introduite en France dans les années 1830, avec grand succès, processus dû à la grande facilité avec laquelle ces allumettes pouvaient d’enflammer. En 1846, les scientifiques sont eux aussi saisis de la question, les AHPML signalent ainsi un rapport à l’Académie sur cette question qui conclut que « les émanations phosphorées n’exercent point sur les ouvriers les influences néfastes qu’on leur a attribuées » ; une note complémentaire de la rédaction de la revue indique :
Longtemps avant cette époque, des renseignements recueillis auprès de plusieurs fabricants de phosphore […] s’accordaient à établir que les vapeurs phosphorées dont sont remplis les ateliers de ces fabriques, ne donnent lieu à aucune maladie particulière, et que les accès de toux qu’elles occasionnent, cessent avec la cause qui les détermine71.
21Pourtant, dès 1848, les plus hautes autorités médicales n’en doutent plus. À partir de 1854, de nombreux rapports pointent le danger effectif du phosphore pour la santé ouvrière72.
22Proche de ses patients, Raspail ne dédaigne pas les informations éloignées, surtout si elles portent sur les deux produits maudits, le mercure et l’arsenic. Il relate ainsi ses lectures sur les mines d’arsenic, où les ouvriers ne sont plus que « squelettes vivants, qui s’éteignent après avoir tremblé de tous leurs membres », et celles de mercure, qui sèment la désolation sur leur environnement, les ouvriers, ombres d’eux-mêmes, que les miasmes mercuriels « énervent, émacient, déforment et dévorent », juste pour le bien de l’industrie argentifère (le mercure est utilisé pour l’épuration du minerai d’argent). Puisqu’il n’a pas pu faire d’observations directes, il invite qu’on lui communique des observations à ce sujet73.
23Contrairement à la plupart des hygiénistes, Raspail ne dit jamais que c’est un mal nécessaire au développement de la civilisation. De ses observations, il tire une critique sociale fondée sur des rapports de classe. La richesse et le luxe ont leur contrepartie, le sacrifice des travailleurs :
Triste classe d’ouvriers qui ont besoin de bien plus de bravoure et de dévouement que le soldat lui-même ! Tristes triomphes de l’industrie, qui ne s’achètent qu’au prix de bien des souffrances et d’une grande mortalité ! Vous qui dormez sur ces lauriers du travail, vous ignorez tout ce qu’ils coûtent à moissonner sur le champ des arts, de la science et de l’industrie74 !
[Ô] vous qui voulez qu’on donne à vos bronzes le faux air de l’or, ou à votre or un éclat artificiel bien supérieur à son éclat naturel, pour attirer les regards par le scintillement de vos parures, n’oubliez jamais tout ce que chaque facette de votre luxe a légué de douleurs à ces artisans dont les merveilles font notre parure et dont ensuite nous envoyons la personne à l’hôpital ! Mesdames, soyez du moins humaines envers ceux qui vous rendent belles, et secondez-nous, au lieu de nous maudire, quand nous demandons que ces soldats intrépides de l’industrie aient droit au moins aux Invalides du travail75 !
24Car, c’est bien le marché qui est à la source de tous ces empoisonnements. Si les dentellières et les ouvrières sur soie, ces « jeunes et fortes filles, belles fleurs des champs que l’industrie des villes dessèche peu à peu sur pied », souffrent-elles aussi de saturnisme, c’est parce qu’il faut, selon les impératifs de l’industrie, décrasser la dentelle avec de la céruse, et alourdir la soie que l’on vend au poids76. C’est encore le marché qui promeut le pigment vert à base d’arsenic, vert de Scheele ou vert de Schweinfurt (composés respectivement 55 % et 37 % d’acide arsénieux), que l’on retrouve pour leur éclat dans les papiers peints et les fleurs artificielles. Introduits dans les années 1830 en France, ces pigments sont utilisés pour réduire les coûts de vente, pour satisfaire la « lésinerie des acheteurs », ce que le gouvernement devrait réguler77. Or, dans les années 1840, de nombreux ouvriers sont atteints de maladies et Raspail critique l’inaction des autorités. Une occasion nouvelle pour opposer à ses préconisations (leur remplacement par un vert à base de cuivre et de fer) les méthodes de l’Académie, un « concours de ces commissions scientifiques, qui s’endorment sur le programme, comme dans leurs fauteuils »78. De fait, si l’arsenic est bien connu comme poison (c’est même le poison par excellence du xixe siècle)79, ce n’est qu’après 1856 et la mobilisation des ouvriers, que les instances de l’hygiénisme commencent réellement à s’en préoccuper, avec notamment un rapport de Maxime Vernois, membre du Conseil de salubrité en 185980. Soit une génération après la structuration de la toxicologie française ; si Raspail n’en a pas été un acteur central, c’est sans doute que sa démarche était trop en rupture avec l’ordre industriel. Son apport s’inscrit dans une dénonciation polémique qui bouscule l’ordre confortable des institutions établies.
III. La dénonciation toxicologique
1. Le poison industriel
25L’originalité de Raspail est son approche toxicologique à forte connotation politique ; en suivant le poison, il traque le produit toxique de son extraction à sa fabrication jusqu’à sa consommation et sa dissémination dans l’environnement, pour en faire un agent de contamination systémique, lui-même révélateur de la société industrielle capitaliste. La toxicologie industrielle est alors en train de se structurer en France, mais lentement. Issue des milieux hygiénistes, elle est retardée par l’hygiène sociale de Villermé, qui domine en France dans les années 1840 et 1850. Elle prend appui sur les procès en empoisonnement, où Orfila et Alphonse Chevallier sont les hygiénistes régulièrement convoqués comme experts. Raspail, qui lui-même a été plusieurs fois expert en justice, connaît bien les procédures. En matière d’hygiène industrielle, plus lente à s’établir car les preuves scientifiques sont plus compliquées à établir, la toxicologie se renforce avec les travaux (bien qu’éphémères) de Maxime Vernois en 1859 et 1860. Majoritairement, leur but n’est pas de proscrire, mais d’améliorer les procédés81.
26Lorsque Raspail examine l’arsenic et l’antimoine, il note qu’« on a de la peine à séparer la question industrielle de la question toxicologique »82 ; il suit ainsi le parcours des substances vénéneuses dans l’environnement, hors de l’usine. C’est une toxicologie qui ne porte pas seulement sur l’amélioration des produits chimiques pour l’industrie. La céruse n’empoisonne pas que les ouvriers et les peintres, c’est un produit disséminé dans l’environnement, « les enfants s’en salissent les mains en jouant, et s’en empoisonnent en portant les mains à la bouche », et des oxydes de plomb se trouvent aussi dans les vernis, qui se dégagent des poêles en faïence, lorsqu’ils chauffent. Le mercure aussi se répand partout, les doreurs disséminent ce produit chez eux par leurs habits : l’embrassement du retour du travail, de la vie intime et de l’amour, devient poison83.
Le commerce joue avec l’arsenic et le sublimé corrosif, comme avec la mélasse et la potasse ; on les fabrique à côté de la cuisine et de la salle à manger ; on les combine, les triture, les pulvérise côte à côte avec la gomme et le cacao ; on les dissout dans les cuves et chaudières tinctoriales qui, en débordant par ébullition, les déversent dans les ruisseaux, les puits, les égouts et les rivières, et, par évaporation, en vicient l’atmosphère à dix lieues à la ronde ; et le poison arrive ainsi à la santé publique par le véhicule des eaux potables, des aliments ou médicaments assimilables, de l’air respirable ; et enfin surviennent les calamités publiques sous toutes les formes de la mort : épidémies de toux, quintes opiniâtres, angines couenneuses, phtisies laryngées, fièvres typhoïdes, ulcères rongeants, apoplexies foudroyantes, etc.84.
27Parmi d’autres patients, Raspail soigne une cuisinière dont le fourneau est situé à côté d’un atelier de broyage des couleurs, un étudiant dont le père possède un autre atelier similaire, et qui finit par guérir en quittant le domicile familial. L’arsenic, qui affecte déjà les ouvriers dans les fabriques, se retrouve dans les papiers peints, puis par désagrégation dans les pièces à vivre, parfois sur des aliments85. Bref, c’est bien toute la société industrielle qui est en cause, constat que Raspail fait en 1856 :
Or, ce n’est pas seulement dans l’art de tuer que le poison se glisse ; presque tous nos arts en sont infectés : notre civilisation n’enfante presque aucune merveille sans vicier d’autant l’air que nous respirons. Nos planchers, cirés aux siccatifs lithargyrés, évaporent le plomb à la chaleur des poêles et nous donnent ainsi d’une manière plus ou moins intense la colique saturnine ; nos papiers, peints en vert et non collés, font pleuvoir, au moindre ébranlement des murs, des myriades d’atomes de combinaisons arsenicales ; les draps de nos auberges, imprégnés de la sueur ou de la sanie des mercurialisés, transmettent le mercure aux personnes les plus saines qui y dorment à la suite86.
28Il n’y a donc pas de frontière nette entre l’usine et l’environnement. Les vapeurs des ateliers atteignent nécessairement « les divers quartiers de la ville qui se trouvent sous le vent de ces établissements, pour y porter, comme en épidémies, une foule d’affections phlegmoneuses, dans le diagnostic déjoue ensuite la sagacité du praticien le plus exercé »87. Le poison se rencontre aussi à la campagne avec les insecticides, eux aussi composé d’arsenic, de mercure, de soufre. Sur la dispersion des insecticides sur les plantes, Raspail défie avec ironie d’ailleurs leurs inventeurs et promoteurs de faire les fumigations eux-mêmes : « la place ne tardera pas à devenir vacante ; ce dont la vigne ne se plaindra pas !!! »88. Le poison concerne ainsi tout le monde : « le même produit peut être également funeste à celui qui le fabrique et à celui qui en jouit ». Autrement dit, Raspail présume que « l’industrie » pêche plus par ignorance que malveillance, car « le mal qu’elle fait à autrui, elle le subit la première ; elle s’empoisonne presque toujours elle-même, quand il lui arrive d’empoisonner les autres » ; car en fait, ce sont les industriels et leurs ouvriers qui sont les premiers menacés, « car dans telle usine, il arrive chaque jour que le cadet des enfants languit pendant que l’aîné expire, que les contremaîtres s’émacient, que les ouvriers se suivent les uns les autres à l’hospice »89, soulignant ainsi l’intense turn-over des ouvriers dans les usines dangereuses.
29C’est donc l’approche du poison industriel que Raspail privilégie, car leur dissémination les rend omniprésents, dans le mobilier, les aliments, les parures, les champs, les rues, l’air. « Chaque industrie a un poison favori, indispensable, sans lequel elle ne sait plus opérer »90, ainsi « le cinabre (sulfure de mercure), le sublimé corrosif (deutochlorure de mercure), etc. ; la litharge (oxyde de plomb), la céruse (carbonate de plomb), le sulfate de plomb, etc. ; le verdet ou acétate de cuivre, le carbonate de cuivre, et autres sels vénéneux »91. Pour Raspail, le mercure et l’arsenic sont les fléaux de la civilisation industrielle, tout d’abord par leur usage en médecine.
L’introduction du mercure dans l’industrie, les arts et surtout la thérapeutique, est le plus funeste présent que l’alchimie a fait à notre triste humanité : que le dieu du progrès le pardonne au génie de Paracelse ! en mourant lui-même empoisonné, il n’a expié que bien peu le crime d’avoir légué à la médecine, au nombre de ses terribles réformes, cette boîte de tous les maux qu’exploite l’art de soigner les hommes.
30En médecine, le mercure est alors essentiellement administré en tant que sublimé corrosif (deutochlorure de mercure), « le plus grand des fléaux que l’école de Paracelse ait légué en ingrédient pharmaceutique à l’humanité souffrante ». La plupart des malades sont les « martyrs de la formule », et ils sont « défigurés, disloqués, éreintés, scrofulisés, cariés, édentés, rendus chauves, borgnes, aveugles et dégradés de mille manières différentes, sous prétexte de les guérir d’un bobo de la plus minime importance », par ces « médicaments empoisonneurs » ; certes, ils soignent les causes de la maladie, mais en provoquent d’autres encore plus terribles92.
31Son approche toxicologique n’est pas neutre, elle provient d’un esprit scandalisé par l’injustice sociale : le mercure « empoisonne ceux qui l’exploitent et fait la fortune colossale de ceux qui le vendent » sur les « ailes de l’art, de l’industrie et de la médecine » ; « le luxe ne fait souvent tant d’heureux qu’au prix d’hécatombes d’ouvriers »93.
2. L’appel de 1863 : dénonciations et solutions
32Le contexte de son livre pamphlet, Appel urgent, de 1863, est connu. Lui, l’inventeur de la médication par le camphre, s’aperçoit qu’on en fabrique pour le même objet, mais à côté d’autres produits chimiques : le camphre en est contaminé, ce qui discrédite le produit et ses vertus curatives94. En matière d’hygiène publique et industrielle, cet opuscule résume et exemplifie la démarche et la pensée de Raspail, d’une façon dédiée et plus systématique qu’auparavant.
33Tout d’abord, comme le titre l’indique, il s’agit d’un appel pour interpeller le public sur le problème de l’insalubrité industrielle. Dans son avertissement liminaire, scandalisé, il révèle un fait d’empoisonnement industriel, fait « de la plus haute gravité ; et chaque instant de retard peut coûter un échec à la confiance publique. […] Il s’agit de votre santé et de celle de vos proches. […] J’ai attendu d’être calme et recueilli, avant de chercher à me faire entendre ; et ce calme a duré assez longtemps, après que cette étude est devenue complète, et qu’il ne m’est plus resté le moindre doute à ce sujet sur la véritable cause du mal »95. Cet appel s’adresse au public, en faveur des ouvriers, ceux à qui « l’incurie de l’industrie en fait tant couler [de larmes] imméritées […]. C’est à eux que je pense en premier lieu »96. Dans son Histoire naturelle de la santé, Raspail avait déjà commencé à poser le caractère accusatoire de sa démarche : « l’insouciance de l’industrie est plus meurtrière que le canon »97. Ici, le propos est incantatoire, véhément, accusatoire.
Le progrès de l’industrie deviendrait ainsi, sans s’en douter le moins du monde, le plus puissant auxiliaire des coupables espérances du fanatisme de la morale facile qui gangrène la société d’aujourd’hui […] Que les sauvages sont à plaindre de ne pas partager encore les bienfaits de votre civilisation industrielle98 !
34Le crime, c’est celui de la société industrielle, du capitalisme dans son ensemble, car la concurrence pousse l’industriel, dans « ces usines maudites », à ne pas prendre de précaution, à employer les moyens les moins coûteux et les plus rapides, « dans l’insouciance des intérêts de la santé publique ». Raspail déplore « la connivence et la quasi-complicité de la concurrence industrielle, qui ne recule devant aucun élément de gain, dût-elle en être la première victime, avec tout ce qui l’entoure et dans ses plus chères affections ». L’accusation glisse vers le régime pénal. L’empoisonnement n’est pas qu’une question rhétorique, l’industrie est criminelle. Des poisons sont fabriqués impunément ?
Ici point de coupable à découvrir, si ce n’est le droit qu’a l’industrie de prendre ses couleurs où elle veut, pour brillanter les dessins de tes robes, de tes chasubles, de tes mitres, de tes tentures, de tous ces oripeaux sacrés de toute espèce que tu protèges et accables de tes faveurs. […] la machine une fois en mouvement fonctionnait comme la volonté ; elle s’en appropriait la responsabilité personnelle et mettait à néant tout soupçon de culpabilité !
35Or, s’il n’est pas possible d’imputer la cause du forfait, c’est la société industrielle tout entière qui doit être condamnée et remise en cause. Raspail, finalement, s’étonne, faussement ironique, de n’avoir pas pensé plus tôt à la question pénale.
La responsabilité apparente revenait tout entière à l’industrie de la fabrication, laquelle, rendait, ainsi falsifié et empoisonné, au consommateur, le produit qu’on lui livrait brut par la forme, mais de la plus grande pureté au fond ; et jusqu’à preuve du contraire, cette falsification délétère pouvait passer pour accidentelle et exempte de toute intention de malveillance et de tout caractère de culpabilité. […] Quant à moi, je me surprends d’humilité, autant que devrait l’être le coupable du fait, pour n’avoir pas songé à une culpabilité semblable, pour avoir eu de mon pauvre siècle une idée trop avantageuse et ne l’avoir pas soupçonné capable d’un pareil méfait99.
36Il faut dire que depuis 1810, et le décret sur les industries insalubres, le régime des pollutions a justement fait sortir les industriels du risque de poursuites pénales, en les intégrant au droit administratif, de la cause jugée préventivement. En effet, depuis cette loi, toute industrie susceptible de préjudicier à la santé publique, était autorisée par acte du Conseil d’État ; en tant que légitimée par un acte d’administration publique, elle ne pouvait plus faire l’objet de recours au pénal, sauf intentionnalité patente100.
37La solution doit être radicale : il faut proscrire tout procédé délictueux, ce qui ne peut être réalisé que de manière coercitive, par l’action des autorités publiques. Encore une fois, Raspail est en décalage avec son temps, car cette logique n’est pas dans la panoplie d’intervention du xixe siècle libéral ; elle ne viendra qu’après 1900, et encore progressivement. Pour Raspail, il suffit qu’un mode d’opérer soit dangereux pour la salubrité publique, pour que l’autorité doive en proscrire l’emploi ; elle ne doit pas attendre « que le danger se soit réalisé en une calamité irréparable »101. L’interdiction doit mener si possible à des produits de substitution.
Les causes artificielles et industrielles, les sources manufacturières de l’empoisonnement, je croyais les avoir assez bien signalées à tous, pour qu’on eût le bon esprit de les faire disparaître […] et de remplacer, dans les arts et l’industrie, par un équivalent inoffensif, le poison jusque-là si malheureusement employé.
38Raspail remarque qu’il est par exemple possible de se passer des composés d’arsenic et de mercure, et il remarque en 1863 qu’un processus d’interdiction avait timidement commencé les années précédentes. Bien qu’il ne cite pas d’exemple, nous pouvons penser à la substitution de la céruse par le blanc de zinc, ordonnée par voie administrative en 1849, mais abandonnée quelques années plus tard pour cause de pression industrielle et commerciale102. Manifestement, le Second Empire pense plus à l’essor industriel qu’à la santé publique, un revirement dont Raspail se désole :
[T]andis que les empoisonnements industriels étaient sur le point de devenir impossibles, à la suite de la disparition des poisons industriels […] tout à coup par un revirement de l’enfer d’ici-bas, le brillant génie de la coquetterie se met à faire miroiter aux regards fascinés de la mode, le prisme des plus éclatantes couleurs103.
39Son appel s’adresse certes à la conscience des industriels, « les premières victimes de ce désastre public dont votre insouciance vous rend coupables et très coupables. […] L’éclat de l’or qui doit en revenir vous aveugle sur les conséquences désastreuses des émanations de ce fleuve de Pactole ». Interpeller, faire prendre conscience, éveiller le sens de la responsabilité, par la publicité donnée aux cas d’empoisonnement, pour que « le fabricant soit le premier à prêter les mains à cette innovation, en commençant à assainir sa propre usine, et par l’intelligence des précautions et par la surveillance incessante de son administration », est un premier pas, mais c’est surtout par la prévention publique que le but doit être achevé. Les autorités publiques ont une « mission de préservation, de protection, de surveillance fraternelle et préventive, qui, par des moyens avoués de tous, par des procédés empreints de bienveillance et d’un certain caractère paternel, parvienne à mettre la santé à l’abri de tous les accidents morbipares qui menacent notre courte existence, à garantir nos modes, nos habitations, nos plaisirs, nos labeurs, notre alimentation et respiration surtout, des aberrations de l’imprudence ou des calculs de la malveillance ; à multiplier les conditions de notre bien-être, les forces de notre constitution physique ; et à réparer, pour l’avenir et pour la paix future qui doit régner parmi les hommes, sur les ruines du fanatisme impie et sot quand il n’est pas féroce, des générations fortes de corps, de cœur et d’esprit »104.
40Le point central des solutions imaginées par Raspail est une refonte totale du système de surveillance et d’expertise des pollutions industrielles. Les conseils de salubrité devraient être supprimés, remplacés par des sociétés d’assainissement issues du système associatif, qui mèneraient à des conseils bienveillants, désintéressés, « infatigables dans leurs recherches, mais inexorables dans leur but », travaillant « au grand jour et sous les yeux de l’administration, sous les yeux enfin de tout le monde »105.
41Le but essentiel de ces associations serait de bannir du commerce et de l’industrie toute manipulation de poisons risquant de contaminer l’économie alimentaire et médicale, d’aboutir à leur remplacement par des produits sains et non dangereux. Une conséquence est de faire le deuil du luxe éblouissant et clinquant si celui-ci ne peut être obtenu que par l’usage des poisons. Toute dissémination dans l’espace public doit être proscrite, de même que l’usage d’ustensiles qui auraient servi à des substances dangereuses. Mais ce serait aussi, en premier lieu, et « comme le pivot de toutes ses opérations ultérieures », l’impératif d’éloigner des villes, pour les fixer dans des zones désertes (terrains sablonneux par exemple), toute fabrique « capable de vicier l’air de ses émanations, et d’infecter, par ses déversements ou par le véhicule des infiltrations pluviales, les cours d’eau, les fontaines, les puits, les égouts »106.
42Ces associations seraient organisées par département, une section par arrondissement ou par circonscription ; elles échangeraient entre elles, pour « s’éclairer mutuellement, se communiquer leurs renseignements respectifs et s’entraider dans l’œuvre commune ». Elles substitueraient l’action à l’interminable parole (« bavardages oratoires »), par des séances courtes et efficaces. L’implication du plus grand nombre est une nécessité démocratique qui repose aussi sur la diffusion des travaux, c’est ainsi que ces associations devraient publier un bulletin régulier, au moins mensuel, avec désignation des rédacteurs par vote. Une diffusion qui se doublerait d’un souci d’éducation populaire, puisque Raspail imagine l’organisation d’une conférence tous les dimanches sur la chimie, la physique, l’économie publique ou domestique, la salubrité, la santé publique, avec invitation au débat de la part de « chaque » membre. Tous les mois, ou plus en cas d’urgence, les sections se réuniraient en « association générale », et tous les six mois, une réunion dans un département, à tour de rôle, des délégués de chaque association départementale. C’est cette réunion générale qui déciderait du lieu de la suivante. Les prix et récompenses seront à proscrire, car ils ont des effets pervers, font « naître des cabales » et donnent l’occasion de la publicité aux « intrigants ». La cotisation doit être aussi basse que possible, afin que tous y aient accès. « Plus vous aurez d’ouvriers et de paysans, plus vous aurez de membres utiles, éclairés et compétents ». Enfin, prévenir, c’est aussi lutter contre les secrets, « les diverses manipulations n’auront plus de ces secrets lucratifs qui ne sont souvent que les secrets de la mort. Chacun s’ingéniera à protéger l’existence humaine contre tous les dangers qui la menacent de toutes parts aujourd’hui »107.
43Il s’agit donc de propositions radicales, dont on ne trouve aucun équivalent du côté de l’hygiène publique ; il faut aller vers les socialistes et anarchistes pour trouver l’esprit de ces associations, mais qui ne débouchent pas sur des implications portant sur l’hygiène industrielle, dont l’organisation continue d’évoluer en interne aux instances publiques, et en conformité avec l’impératif d’industrialisation : une toxicologie pour adapter les produits aux choix productifs, une ergonomie au travail pour adapter la main-d’œuvre aux tâches et manipulations des ateliers. Seul, encore une fois, le médecin Fodéré avait imaginé en 1825, réformer le fonctionnement des conseils de salubrité, en créant des conseils de commerce et arts industriels dans chaque département pour déterminer si l’adoption des machines et procédés nouveaux dans l’industrie était nécessaire ou superflue, en tenant compte, dans la décision, des dangers éventuels pour la santé des ouvriers108. L’écho de l’appel de Raspail est toutefois très faible, il passe quasiment inaperçu ; tout juste reçoit-il une lettre respectueuse du vice-président du conseil d’hygiène publique de la Seine, Duchêne, pour l’inviter à collaborer avec eux sur ce problème109.
IV. Conclusion
44Comme dans bon nombre d’autres domaines, la voix de Raspail est donc fort singulière, en rupture avec les conformismes de son époque, et portée vers la suppression des maux de la société d’une « triste époque, où nous ne nous apercevons d’avoir fait fausse route, que lorsque nous avons déjà un pied dans la tombe, si toutefois nous n’y descendons pas sans nous être aperçus de rien, le médecin moins encore que les malades »110. Son absence de compromission lui permet d’attaquer le cœur du capitalisme, la priorité donnée à la production industrielle au détriment des problématiques de santé publique. Son message semble donc très actuel, et si son analyse des pollutions industrielles n’a pas la subtilité et la profondeur de celles de Fodéré, sa portée politique est beaucoup plus forte, car contrairement à ce dernier, qui s’inscrivait dans un imaginaire d’Ancien Régime, Raspail intègre son analyse à la nécessité d’une transformation sociale et démocratique révolutionnaire. Pour autant, sa postérité est faible du point de vue des réalisations. Son appel est ignoré, aucune réforme d’ampleur n’est réalisée.
45Malgré tout, l’esprit de son analyse accompagne la démarche de pacification sociale de la Troisième République, autour des années 1900, à quelques réalisations : la toxicologie industrielle tend à être plus attentive aux ouvriers, tandis que la pression des syndicats et la mise en place de conférences et d’organisations internationales permettent d’aboutir à des lois d’interdictions (la céruse pour commencer) qui, quoique progressives et lentes à se mettre en place, enclenchent le processus. En 1901, un rapport de l’Office du travail est intitulé Poisons industriels, hommage indirect aux analyses de Raspail111. On peut aussi se tourner vers ses enfants pour voir se perpétuer (et vivre avec) cet esprit. Notamment, Émile (1831-1887), ingénieur chimiste de l’École centrale, qui fonde la manufacture d’Arcueil en 1859, où se fabriquent les médications Raspail, et qui, devenu maire d’Arcueil et conseiller général de la Seine, se bat pour la réforme sociale et dénonce les pollutions industrielles au cours de son mandat. Il écrit d’ailleurs un livre dédié à l’épisode des fumées et odeurs industrielles du tournant des années 1880. Sa correspondance avec le préfet de la Seine et le préfet de police montrent qu’il a bien retenu les enseignements de son père ; il y combat notamment les usines de sulfate d’ammoniac implantées dans sa commune, et y démonte le rôle des enquêtes administratives de commodo et incommodo, pour dénoncer la protection administrative donnée à l’industrie même la plus polluante112. De même, la correspondance de son autre fils, Benjamin, député, montre que lui aussi est attentif et actif pour combattre les pollutions industrielles ou encore le travail des enfants113. Quant à son troisième fils, Camille, médecin est lui aussi député, et propose en 1888 à la Chambre, un amendement assimilant les maladies professionnelles aux accidents du travail, dont la loi est en discussion.
46L’actualité de sa pensée est manifeste, notamment par son approche de la dissémination chimique. Elle se double d’une forte analyse de l’inégale distribution du risque et des délits et crimes environnementaux :
[L’]industrie ramène ainsi avec éclat les époques les plus funestes à la santé publique, mais les plus florissantes pour le commerce de la médecine, de la pharmacie, de la fabrique paroissiale et de l’administration des funèbres convois114.
47Elle s’inscrit enfin, comme l’annonce la citation en exergue de l’article, dans une temporalité qui associe la structure de la société, la gestion du progrès et les legs que les générations assurent aux suivantes.
Notes de bas de page
1 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé et de la maladie, t. 1, Paris, chez Alphonse Levavasseur, p. 278.
2 Fureix Emmanuel, Jarrige François, 2015, La modernité désenchantée. Relire l’histoire du xixe siècle français, Paris, La Découverte. Je remercie Guillaume Carnino, François Jarrige, Judith Rainhorn et Sacha Tomic pour leurs relectures.
3 Poirier Jacques, Langlois Claude (dir.), 1992, Raspail et la vulgarisation médicale, Paris, Sciences en situation ; Weiner Dora B., 1968, Raspail, Scientist and Reformer, New York/Londres, Columbia University Press.
4 Bédéï Patricia et Jean-Pierre, 2005, François-Vincent Raspail. Savant et républicain rebelle, Paris, Alvik éditions.
5 Frioux Stéphane, 2013, Les batailles de l’hygiène. Villes et environnement de Pasteur aux Trente Glorieuses, Paris, Presses universitaires de France.
6 Bourdelais Patrice (dir.), 1992, Les hygiénistes. Enjeux, modèles et pratiques, Paris, Belin, Fowler La Berge Ann, 1992, Mission and Method. The Early-Nineteenth-Century French Public Health Movement, Cambridge, Cambridge University Press.
7 Coleman William, 1982, Death is a social disease. Public health and political economy in early industrial France, Madison, The University of Wisconsin Press ; Le Roux Thomas, 2014, « Hygiénisme », in Mbongo Pascal, Hervouët François, Santulli Carlo, Dictionnaire encyclopédique de l’État, Paris, Berger Levrault, p. 517-521.
8 Fox Robert, 2012, The Savant and the State. Science and Cultural Politics in Nineteenth-Century France, Baltimore, John Hopkins University Press, p. 20-22 (sur Raspail) ; Carnino Guillaume, 2015, L’invention de la science. La nouvelle religion de l’âge industriel, Paris, Le Seuil ; Bensaude-Vincent Bernadette, 1991, « Homo medicus, homo academicus », Alliage, n° 9, p. 21-28 ; voir aussi sa contribution dans ce volume.
9 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé et de la maladie, Paris, chez Alphonse Levavasseur (3e édition), t. 1, p. 183. Quoique la plupart des citations de cet article soient similaires dans l’édition de 1843, nous prenons celle de 1860 comme référence, car plus complète sur certains aspects.
10 Le Réformateur, 8 octobre 1834, feuilleton du n° 1 ; ibid., 18 février 1835, feuilleton du n° 132.
11 Déré Anne-Claire, 1999, « La gélatine, aliment nouveau du début du xixe siècle », Cahiers François Viète, n° 1, p. 55-64 ; Lieffroy Céline, 2007 (octobre), « Une nouvelle branche d’industrie : l’art d’extraire la gélatine des os dans la première moitié du xixe siècle », Documents pour l’histoire des techniques, n° 14, p. 37-48.
12 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., p. 116-117.
13 Ibid., p. 118.
14 Raspail François-Vincent, 1855 (1er février), Revue complémentaire des sciences appliquées à la médecine et à la pharmacie, à l’agriculture, aux arts et à l’industrie, Paris, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail/Bruxelles, Librairie nouvelle, t. 1, vol. 1, 7e livraison, p. 208.
15 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., p. 186-189.
16 Bertomeu Sànchez José Ramon, 2006, Chemistry, medicine, and crime : Mateu J.B. Orfila, 1787- 1853 and his times, Sagamore Beach (Mass.), Science History publ.
17 Raspail François-Vincent, 1841, Réponse de M. Raspail à l’avis de MM. Pelletier, Payen, Gaultier de Claubry. Affaire Elkington contre MM. Bédier et Simon, Paris, Impr. Bourgogne et Martinet.
18 Raspail François-Vincent, 1854 (1er septembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 55- 56. Ces deux fabricants sont Pelletier et Caventou, leur fabrique est à Neuilly, en banlieue parisienne. Warolin Christian, 1989, « Joseph Pelletier, membre du conseil de salubrité de la préfecture de police de Paris », Revue d’histoire de la pharmacie, n° 281, p. 202-209.
19 Tomic Sacha, 2001, « L’analyse chimique des végétaux : le cas du quinquina », Annals of Science, vol. 58, p. 287-309.
20 Raspail François-Vincent, 1848-1849, Revue élémentaire de médecine et de pharmacie domestiques ainsi que des sciences accessoires et usuelles, Paris, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, t. 1, p. 5.
21 Drulhon Jimmy, 2011, Dumas Jean-Baptiste (1800-1884). La vie d’un chimiste dans les allées de la science et du pouvoir, Paris, Éditions Hermann.
22 Raspail François-Vincent, 1874, Peu de chose mais quelque chose pour 1874. Sur le phylloxera, etc., Paris, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, p. 3-5.
23 Moran Bruce T., 2005, Distilling Knowledge : Alchemy, Chemistry, and the Scientific Revolution, Harvard, Harvard University Press, chap. 3 ; Webster Charles, 2008, Paracelsus : Medicine, Magic, and Mission at the End of Time, Yale, Yale University Press.
24 Raspail François-Vincent, 1859 (1er novembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 3, vol. 6, p. 98.
25 Ibid., p. 99.
26 Carnino Guillaume, 2013, « Une chape de plomb sur les eaux parisiennes », in Le Roux Thomas (dir.), Les paris de l’industrie, 1750-1920, Paris, Créaphis, p. 70-72.
27 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent au concours des hommes éclairés de toutes les professions contre les empoisonnements industriels ou autres qui compromettent de plus en plus la santé publique et l’avenir des générations, Paris-Bruxelles, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, p. 53-54.
28 Ibid., p. 96.
29 Raspail François-Vincent, 1860 (1er avril), Revue complémentaire…, op. cit., t. 3, vol. 6.
30 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 41.
31 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., p. 63-64.
32 L’affaire est longuement relatée. Raspail François-Vincent, 1839, Réforme pénitentiaire. Lettre sur les prisons de Paris, Paris, Tamisey et Champion, t. 2, p. 246-285.
33 Partie inférieure de la chaudière de l’alambic, où l’on met les matières à distiller.
34 Raspail François-Vincent, 1839, Réforme pénitentiaire…, op. cit., t. 2, p. 286.
35 Ibid., p. 286-290.
36 Ibid., p. 270-273.
37 Le Roux Thomas, 2011, Le laboratoire des pollutions industrielles, Paris, 1770-1830, Paris, Albin Michel.
38 Raspail François-Vincent, 1839, Réforme pénitentiaire…, op. cit., t. 2, p. 278.
39 Massard-Guilbaud Geneviève, 2010, Les pollutions industrielles en France au xixe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS.
40 Mêlier François, 1845, De la santé des ouvriers employés dans les manufactures de tabac, Paris, Baillière.
41 Fodéré François-Emmanuel, 1813, Traité de médecine légale et d’hygiène publique, 6 vol., Paris, Impr. de Mame (2e édition), voir le 6e volume ; Le Roux Thomas, à paraître en 2018, « Face aux nuisances : Fodéré, l’industrialisation et l’hygiène publique », in Chappuis Lorraine, Porret Michel (dir.), Fodéré à la genèse de la médecine légale, Genève.
42 Jankovic Vladimir, 2010, Confronting the climate : British Airs and the Making of Environmental Medicine, New York, Palgrave.
43 Lachaise Claude, 1822, Topographie médicale de Paris, Paris, Baillière.
44 Corbin Alain, 1982, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, xviie-xixe siècles, Paris, Aubier.
45 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 166-185.
46 Raspail François-Vincent, 1845, Manuel-annuaire de la santé ou médecine et pharmacie domestique, Paris, chez l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, p. 15.
47 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 172.
48 Le Roux Thomas, 2011, Le laboratoire…, op. cit., p. 291-300 ; Id., 2017, « Face aux nuisances : Fodéré… », art. cit.
49 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 6.
50 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 172-173.
51 Le Roux Thomas, 2016, « Du bienfait des acides. Guyton de Morveau et le grand basculement de l’expertise sanitaire et environnementale (1773-1809) », Annales historiques de la Révolution française, vol. 1, n° 383, p. 153-175.
52 Hausheer Herman, 1941, « Icarian Medicine : Étienne Cabet’s Utopia and Its French Medical Background », Bulletin of the History of Medicine, n° 9, p. 294-310, 401-435, 517-529.
53 Baudet-Dulary Alexandre-François, 1852, Hygiène populaire. Simples moyens de ménager et de fortifier la santé, par un médecin de campagne, Rouen, Imprimerie de A. Péron, p. 20.
54 Fourier Charles, 1830, Le Nouveau monde industriel ou invention du procédé d’industrie attrayante et combinée, Paris, Bossange père, p. 82
55 Desmars Bernard, 1997, « Médecine et fouriérisme. Les expériences d’Arthur de Bonnard », Cahiers Charles Fourier, n° 8, p. 19-40 ; voir aussi Bonnard Arthur (de), 1839 (1er novembre), « Culture de l’air », Le Nouveau Monde. Théorie de Charles Fourier, n° 12, p. 1-2.
56 Buchez Philippe et Trélat Ulysse, 1825, Ulysse Trélat, Précis élémentaire d’hygiène, Paris, chez Raymond, p. 34.
57 Pellarin Charles, 1832 (27 décembre), « De la médecine dans l’ordre sociétaire », La Réforme industrielle, ou Le Phalanstère, n° 31, p. 263-266.
58 Raspail François-Vincent, 1839, Réforme pénitentiaire…, op. cit., t. 2, p. 281.
59 Buchez Philippe et Trélat Ulysse, 1825, Ulysse Trélat, Précis élémentaire d’hygiène…, op. cit., p. 50 pour la citation et p. 363-370.
60 Villermé Louis-René, 1840, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, 2 vol., Paris, Jules Renouard et Cie ; Le Roux Thomas, 2011, « L’effacement du corps de l’ouvrier. La santé au travail lors de la première industrialisation de Paris (1770-1840) », Le Mouvement social, n° 234, p. 103-119. ; Id, 2011, « Risques et maladies du travail : le conseil de salubrité de Paris aux sources de l’ambiguïté hygiéniste au xixe siècle », in Bruno Anne-Sophie, Geerkens Éric, Hatzfeld Nicolas, Omnès Catherine (éd.), La santé au travail, entre savoirs et pouvoirs (xixe-xxe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 45-63.
61 Pâtissier Philibert, 1822, Traité des maladies des artisans, Paris, Baillière ; Ramazzini Bernardo, 1777 [1700], Essai sur les maladies des artisans, traduit par Fourcroy, Paris, Moutard.
62 Moriceau Caroline, 2009, Les douleurs de l’industrie. L’hygiénisme industriel en France, 1860-1914, Paris, Éditions de l’EHESS.
63 Raspail François-Vincent, 1854 (1er septembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 43- 44 ; 1856 (1er avril), vol. 2, p. 259 ; 1856 (1er octobre), t. 2, vol. 3, p. 72 ; 1859 (1er novembre) t. 3, vol. 6, p. 97.
64 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 194-195.
65 Ibid., p. 266.
66 Ibid., p. 228-229 ; Raspail François-Vincent, 1855 (1er mars), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 236.
67 Raspail François-Vincent, 1854 (1er septembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 44 ; 1856 (1er juin), vol. 2, p. 325.
68 Rainhorn Judith, 2015, Poison légal. Une histoire sociale, politique et sanitaire de la céruse et du saturnisme professionnel, xixe-premier xxe siècle, Mémoire pour l’habilitation à diriger les recherches, Paris, Sciences Po.
69 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 260-261.
70 Raspail François-Vincent, 1854 (1er septembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 44- 45 ; Id., 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 194-195.
71 Dupasquier Alphonse, 1846, « Mémoire relatif aux effets des émanations phosphorées sur les ouvriers employés dans les fabriques de phosphore », AHPML, t. 36, p. 342-356.
72 Tardieu Ambroise, 1856, « Étude hygiénique et médico-légale sur la fabrication et l’emploi des allumettes chimiques », AHPML, 2e série, t. 6, p. 5-54 ; Gordon Bonnie, 1993, « Ouvrières et maladies professionnelles sous la Troisième République : la victoire des allumettiers française sur la nécrose phosphorée de la mâchoire », Le Mouvement Social, n° 164, p. 77-93.
73 Raspail François-Vincent, 1856 (1er décembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 2, vol. 3, p. 138 ; Id., 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 194 et 264.
74 Raspail François-Vincent, 1856 (1er octobre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 2, vol. 3, p. 73.
75 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 265-266.
76 Raspail François-Vincent, 1857 (1er février), Revue complémentaire…, op. cit., t. 2, vol. 3, p. 196- 197 ; Id., 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 259.
77 Raspail François-Vincent, 1854 (1er septembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 44.
78 Raspail François-Vincent, 1845, Manuel-annuaire…, op. cit., note 1, p. 32 ; 1847, note p. 45.
79 Whorton James C., 2010, The Arsenic Century. How Victorian Britain was poisoned at home, work and play, New York, Oxford University Press.
80 Piquet Elisabeth, 2014, Les fleurs du mal : les maladies professionnelles des ouvriers en fleurs artificielles en France (1829-1919), Mémoire de master, Valenciennes, Université de Valenciennes ; Vernois Maxime, 1859, « Mémoire sur les accidents produits par l’emploi des verts arsenicaux », AHPML, 2e série, n° 12, p. 321-352.
81 Moriceau Caroline, 2009, Les douleurs de l’industrie…, op. cit. ; Id, 2009, « Les perceptions des risques au travail dans la seconde moitié du xixe siècle : entre connaissance, déni et prévention », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 1, n° 56, p. 12-27.
82 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 246.
83 Ibid., p. 259 et 263.
84 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 51-52.
85 Raspail François-Vincent, 1856 (1er avril), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 2, p. 259 ; 1854 (1er septembre), t. 1, vol. 1, p. 44.
86 Raspail François-Vincent, 1856 (1er janvier), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 2, p. 168.
87 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 40.
88 Raspail François-Vincent, 1874, Peu de chose…, op. cit., p. 5.
89 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 259 ; Id., 1860 (1er avril), Revue complémentaire…, op. cit., t. 3, vol. 6, p. 324 ; Id., 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 45-46.
90 Raspail François-Vincent, 1854 (1er septembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 1, vol. 1, p. 41.
91 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 194.
92 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 261 ; Id., 1856 (1er septembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 2, vol. 3, p. 41 ; 1856 (1er mai), t. 1, vol. 2, p. 294.
93 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 264 ; Id., 1857 (1er février), Revue complémentaire…, op. cit., t. 2, vol. 3, p. 196-197.
94 Bédéï Patricia et Jean-Pierre, 2005, François-Vincent Raspail…, op. cit., p. 251-252 ; Weiner Dora B., 1968, Raspail…, op. cit., p. 274 ; Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 16-17.
95 Ibid., Avertissement.
96 Ibid., p. 87-88.
97 Raspail François-Vincent, 1860, Histoire naturelle de la santé…, op. cit., t. 1, p. 259.
98 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 45.
99 Ibid., p. 16-24.
100 Le Roux Thomas, 2011, Le laboratoire…, op. cit.
101 Raspail François-Vincent, 1859 (1er novembre), Revue complémentaire…, op. cit., t. 3, vol. 6, 4e livraison, p. 100.
102 Rainhorn Judith, 2016, « La santé au risque du marché. Savoir médical, concurrence économique et régulation des risques entre blanc de zinc et blanc de plomb (France, xixe siècle) », in Le Roux Thomas (dir.), Risques industriels. Savoirs, régulations, politiques d’assistance, fin xviie-début xxe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 21-44.
103 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 49-51.
104 Ibid., p. 86-87, 127 et 97.
105 Ibid., p. 98-99 et 127.
106 Ibid., p. 104.
107 Ibid., p. 100-108.
108 Fodéré François-Emmanuel, 1825, Essai historique et moral sur la pauvreté des nations, Paris, Mme Huzard, p. 270-292.
109 Weiner Dora B., 1968, Raspail…, op. cit., p. 274.
110 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 108.
111 Office du travail, 1901, Poisons industriels, Paris, Impr. nationale.
112 Raspail Émile, 1880, Des odeurs de Paris, Paris, Larousse.
113 Benjamin Raspail, correspondance, 1875-1879, archives départementales du Val-de-Marne, 69J 279 ; Fabriques insalubres à Cachan, archives départementales du Val-de-Marne, 69J 468.
114 Raspail François-Vincent, 1863, Appel urgent…, op. cit., p. 51-52.
Auteur
Chargé de recherche CNRS, EHESS-CRH. Il travaille dans le champ de l’histoire environnementale et notamment sur l’impact de l’industrialisation sur l’environnement, en particulier comment les pollutions et les risques façonnent notre monde. Il étudie aussi les questions d’hygiène publique, de santé au travail et d’accidents industriels. Il a notamment publié Le Laboratoire des pollutions industrielles, Paris, 1770-1830 (Paris, Albin Michel, 2011) et La Contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel (Paris, Le Seuil, 2017) ; et a dirigé avec Michel Letté, Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit, xviiie-xxie siècle (Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013) et Risques industriels. Savoirs, régulations, politiques d’assistance, fin xviie-début xxe siècle (Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016).
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