Introduction
p. 7-13
Texte intégral
1Ce recueil réunit des communications initialement présentées au colloque « Une imagination républicaine : François-Vincent Raspail (1794-1878) »1. Cette manifestation s’est tenue à Carpentras, en salle du conseil municipal, les 8-9 avril 2015. Si le titre de la manifestation mettait sans surprise en avant le terme de république, celui d’imagination pouvait paraître plus surprenant appliqué au cas Raspail.
2République d’abord : contentons-nous ici dans cette introduction d’un témoignage. Le 13 juillet 1878, en présence de dizaines de milliers d’ouvriers parisiens venus rendre hommage à l’un de leurs pères, Louis Blanc prononçait le principal discours lors des obsèques de François-Vincent Raspail. Il évoquait chez ce dernier une « puissance extraordinaire d’indignation » qui n’avait cessé de dialoguer avec un puissant « pouvoir de méditer ». En Raspail ne pouvaient être dissociés le savant et le démocrate. Le savant se caractérisait d’abord par l’adoption d’une conception large et non compartimentée de la science associant et faisant coopérer la chimie, la botanique, la physiologie, la médecine, l’agronomie, la science économique, la météorologie, ensuite par la pratique d’une approche pragmatique de la découverte tendue vers les applications et enfin par la volonté incessante de transmission, de « mise à la portée de tous » des résultats obtenus et susceptibles d’améliorer au quotidien, le sort de chacun, notamment des plus vulnérables, en leur assurant un minimum d’autonomie. En politique, rappelait Blanc, il avait été du « parti de la république militante », celle qui partit au combat contre l’orléanisme puis le bonapartisme, et en paya le prix, fort, en termes de prison, d’exil, de proscription, de souffrances sans nombre : un an après les crises décisives de 1877 qui firent définitivement verser le pays dans le camp du républicanisme, Blanc rappelait que « c’est de la république militante qu’est née la république triomphante » ; que les questions saillantes, celles du « suffrage universel », de « l’abolition de la peine de mort », de « l’éducation gratuite et obligatoire » avait été formulées par des hommes comme Raspail : « pas une des solutions devenues ou à la veille de devenir des lois, et que quelques-uns croient nouvelles, qui n’aient été développées par les utopistes d’il y a quarante ans »2. Et Louis Blanc évoquait la postérité incontestable qui attendait l’action et l’œuvre de Raspail.
3Mais cette postérité de l’œuvre justement pose problème. Si l’action du républicain – des barricades à l’exil en passant par la prison – ne pose pas question, celle de ses textes en soulève bien davantage. Longtemps le cas fut alors réglé en soulignant la portée simplement « vulgarisatrice » de cette pensée. Appartenant surtout, pour la partie « proprement » scientifique (chimie, médecine) à une histoire « jugée » et donc condamnée, car non sanctionnée par les progrès scientifiques ultérieurs, l’œuvre sur le versant politique, social, moral, aurait surtout été caractéristique d’une réflexion balbutiante sur la république ou sur le socialisme. Quelques lumières marginales en matière de pédagogie ou d’hygiène, auraient bien été diffusées par Raspail mais sa pensée demeurerait significative d’une visée utopique disqualifiant plus largement les vieilles barbes de 1848.
4Toutefois, pour Raspail, comme pour toute cette génération de « réformateurs sociaux » (selon les termes [vers 1840] d’un économiste libéral comme Louis Rey-baud), il convient justement de revenir sur cette disqualification dont le célèbre texte ultérieur de Friedrich Engels, Socialisme utopique et socialisme scientifique (1880), va ensuite pour longtemps figer les termes. Et notamment pour remarquer qu’un temps déstabilisé par le fait d’être décrits comme des Jérôme Paturot en puissance3 ou encore comme des « don Quichotte de l’Idée courant après les nuées »4, ces socialistes vont rapidement se réapproprier le terme d’utopie pour le revendiquer. Faisant écho aux mots d’un Saint-Simon (« l’âge d’or qu’une aveugle tradition a placé jusqu’ici dans le passé est devant nous », Nouveau Christianisme, 1825), Constantin Pecqueur écrivait, « vivre d’idéal, dans l’utopie, c’est vivre dans l’avenir »5. Contrairement à des économistes libéraux qui s’en remettaient au hasard et à la force de phénomènes commerciaux, financiers, industriels prétendument providentiels pour assurer l’évolution et le progrès, les réformateurs sociaux estimaient que l’idéal, le rêve, l’utopie, l’imagination, constituaient des ingrédients permettant de dessiner les contours d’une société juste et d’expérimenter des chemins pouvant y mener ou du moins, s’en rapprocher. Écrivant en août 1840 à l’abbé Rochet, qui lui faisait imprudemment éloge d’un modérantisme social, politique et moral rassurant, George Sand évoquait sa propre devise, il giusto, il ver, la liberta sospiro, et lui rappelait son exigence d’égalité, inspirée des idées de Lamennais ou surtout de Pierre Leroux, pour finalement le rabrouer, « j’espère bien que vous n’êtes pas guéri de cette sainte folie que les poules mouillées du siècle appellent utopie »6. Et au maçon poète Poncy elle écrivait peu après :
Voilà comment les utopies se réalisent. C’est toujours autrement et mieux […]. Quelqu’un conçoit un idéal ; on en rit et on lui pardonne en disant : c’est beau, mais trop beau. Puis les temps marchent, les faits s’accomplissent, et il arrive que l’idéal est dépassé. Les hommes alors comparent, et se retournent en souriant vers la prédiction. Ils s’étonnent de la trouver si timide et pardonnent alors à son peu d’ampleur à cause de la bonne intention : ce qui ne les empêche pas, les enfants qu’ils sont, de recommencer à railler toutes prédictions nouvelles7.
5La remarque de l’écrivain fait ici exactement écho aux mots de Raspail dans son Almanach de 1850 :
Tout ce qui dépasse la portée d’esprit des gouvernants est une utopie ; ils ne peuvent pas la traiter d’absurdité, puisqu’ils ne comprennent pas même l’état de la question. La république, le droit au travail, l’égalité des citoyens, le règne de la fraternité, l’alliance des peuples, ont été traités d’utopie avant de s’être transformés en réalités. Il y a des gens qui mangeraient tout cru un utopiste, espèce pire que le communiste et le socialiste. Est-ce qu’un utopiste est fait à l’image d’un banquier, lequel seul est fait à l’image de Dieu ? Le banquier, en chasseur diligent, ne tire que sur l’utopiste8.
6L’utopiste est ainsi celui qui en matière politique, sociale, scientifique, artistique, signale un supplément d’audace et d’imagination. Cela ne signifie en aucun cas fantaisies et autres élucubrations à moins de considérer que les revendications en faveur de l’égalité, de l’éducation ou du droit au travail en font partie. Ces utopistes de 1848 étaient tous attentifs à appuyer leurs projections sur une vaste connaissance de leurs milieux, souvent en recherche d’un encyclopédisme nouveau en rapport avec le monde moderne « à venir » – industriel et démocratique –, la plupart enfin enquêtant sur les contours d’une vaste science sociale associant droit, politique, économie, géographie et permettant de favoriser le gouvernement de ce monde. À cette intention se dégageant de ce milieu des réformateurs sociaux, on pourrait appliquer la distinction faite par Henri Bergson entre les doctrines pour qui « une vérité nouvelle est une découverte » et ceux pour qui « c’est une invention »9. De son côté Jean Starobinski expliquait que, dans une position incertaine entre perception et raisonnement, l’imagination pouvait fort bien être le domaine des seules « erreurs voltigeantes » (Alain) et des fonctions irréalisantes, mais aussi l’inverse. Dans ce second sens, écrivait-il, « c’est un pouvoir d’écart grâce auquel nous nous représentons les choses distantes et nous nous distançons des réalités présentes […] l’imagination, parce qu’elle anticipe et prévoit, sert l’action, dessine devant nous la configuration du réalisable avant qu’il ne soit réalisé. En ce premier sens, l’imagination coopère avec la "fonction du réel", puisque notre adaptation au monde exige que nous sortions de l’instant présent, que nous dépassions les données du monde immédiat pour nous emparer en pensée d’un avenir d’abord indistinct »10.
7Starobinski ajoutait encore, « pas d’imagination qui ne soit un comportement, animé par un vecteur affectif ou éthique, orientée positivement ou négativement par rapport à un donné social »11. Les articles présentés dans ce recueil sur Raspail sont alors partis à la recherche d’une imagination scientifique, politique, morale singulière, aimantée par des valeurs éthiques et affectives résultant d’une histoire longue et de multiples adaptations aux milieux sociaux que traversa ce représentant de la « république militante » qu’évoquait Louis Blanc en 1878.
8Nous débutons ce recueil par un document biographique et bibliographique emprunté au temps même de Raspail : l’entrée que lui consacre Pierre Larousse dans son Grand dictionnaire universel, entrée qui permet de brosser un premier portrait détaillé, en contexte, du personnage.
9Puis, Bernadette Bensaude Vincent détaille ici les reliefs de la science populaire que Raspail tenta incessamment d’opposer à une science officielle monopolistique privatisant les connaissances. Une science prétendant s’appuyer sur les capacités indiscutables des experts du temps réfugiés à l’Académie des sciences et s’exprimant dans le Moniteur pour diffuser, de haut en bas, des vérités indiscutables en direction d’un public de profanes. À cette perspective, Raspail proposa une toute autre direction et une véritable alternative : « laissons donc là les sociétés savantes : le juge, c’est tout le monde, c’est le public » écrivait-il. L’opinion publique, s’exprimant alors dans de nouveaux forums, telle la presse, participe à la production des savoirs, sans qu’une quelconque hiérarchie, tant dans la contribution que surtout dans la rétribution, doivent nécessairement intervenir. Et cette alternative que Raspail partage avec d’autres tenants de la science populaire, d’Auguste Comte à Camille Flammarion, est adossée chez lui à un fort activisme, à la conviction d’une unité organique des savoirs, à une ambition démopédique incessante qui, attentive aux applications entend développer une intelligence citoyenne permettant l’acquisition pour tous de l’autonomie et la capacité à se soustraire aux dominations inédites caractérisant le nouveau monde industriel. José Ramon Bertomeu Sanchez nous invite justement à suivre l’un des épisodes marquants de ce combat contre la science officielle en évoquant les controverses scientifiques, mais aussi politiques, juridiques, sociales, entre Raspail et Mateu Orfila. Auteur consacré par son Traité des poisons, mais aussi par sa capacité supérieure à « plaire à la camarilla de Louis-Philippe », Orfila, représente très exactement pour Raspail le profil de ces parvenus de Juillet surtout habiles à participer à la curée des rangs, honneurs et sinécures des lendemains de 1830. Raspail va s’opposer au « grand régent de tous les médicatres » dès 1828 lors d’une controverse sur les tâches de sang, mais surtout tout au long des années 1830 et 1840 devant les cours de justice où se jugent les cas d’empoisonnement à l’arsenic. Récusant l’évidence de preuves à charge que ne cesse d’exhiber la toxicologie d’Orfila, relativisant les nouvelles certitudes du Kaliapparat de Jutus Liebig ou de l’appareil de Marsh, Raspail en appelle à des jugements publics, multipliant la publicité et l’expression des opinions, et appuyés sur la discussion raisonnée et pondérée qu’appellent ces cas dramatiques et que seuls les jurys populaires peuvent véritablement assurer. Les combats que multiplie Raspail lors de ces années visent les aristocraties renaissantes qui s’assurent alors une nouvelle accumulation primitive des multiples moyens de domination. L’une des principales batailles qu’il mènera en ce sens concerne la médecine. Hervé Guillemain s’intéresse à Raspail en tant que réformateur médical dénonçant une uniformisation et une professionnalisation du système de santé qui produisent à la fois des monopoles rentables pour les praticiens et une relative indifférence vis-à-vis des malades. Il observe une profession aux sinécures indues, au corpus hippocratique obsolète et donc impuissante et peu disposée à soigner et guérir, mais dont les orientations libérales et mercantiles conduisent paradoxalement à imposer aux souffrants des remèdes lourds et nocifs. Il oppose à cette dérive des solutions novatrices et radicales, une réorganisation de la médecine publique et le recours à l’automédication, proposant ainsi simultanément une réforme institutionnelle de la médecine et un projet de réappropriation citoyenne de la santé. Des orientations similaires caractérisent les tribulations et autres interventions de Raspail dans le domaine de la pharmacie qu’étudie dans ce recueil Nicolas Sueur. La profession de pharmacien est établie dans la loi du 21 avril 1803, et Raspail, qui se targue déjà d’être un médecin sans titre ni bonnet carré, refuse de façon similaire d’entrer dans la corporation de ces nouveaux apothicaires. C’est dans un contexte de constante hostilité dont le dernier épisode conflictuel sera, en janvier 1861, le reclassement de l’usine d’Arcueil en maison de droguerie, que Raspail et ses fils multiplieront en de combats plus ou moins douteux, nous explique Sueur, les stratégies rhétoriques, commerciales, juridiques pour populariser et diffuser leurs propres médications à base de camphre. Le milieu des hygiénistes et les cénacles des conseils de salubrité, inaugurés à Paris en 1802, constituent une autre cible privilégiée de Raspail. Thomas Le Roux détaille ici les combats menés contre cette corporation dont les observations et statistiques ménagent le capitalisme industriel naissant, dissimulent ou euphémisent les souffrances que subissent les dominés, taisent les conflits et les possibilités d’alternatives réelles et de réformes. Là encore, Raspail dénonce un savoir d’experts sourds vis-à-vis des connaissances directes pouvant provenir des principaux concernés, ici les artisans, en souligne l’arrogance que contrastent les multiples approximations, sinon compromissions de ces hygiénistes, et surtout travaille à un relevé précis des maux et souffrances endurées au présent, par les travailleurs et par les milieux sociaux, familiaux et même naturels qui les entourent. Enfin, face à ce constat d’ensemble, il propose à nouveau des solutions radicales, mettant l’accent sur la responsabilité première d’une activité économique qui, non régulée, produit incessamment des pathologies envers les faibles et les dominés, et dont l’essor nécessite donc la mise en place d’un véritable contrôle social sur ces empoisonnements industriels que seules des autorités publiques appuyées par la participation de sociétés d’assainissement issues du système associatif sont en mesure d’assurer.
10Nous inclurons ici un second document ou ensemble de documents. Mythe républicain, figure de l’insurgé et du prisonnier, héros de la médecine populaire de son temps, voix des pauvres et des souffrants, Raspail fut un modèle pour les peintres, caricaturistes, sculpteurs, etc., de son temps. Un ensemble de modèles plutôt selon les sensibilités politiques et sociales des artistes et artisans qui tentèrent de le représenter, selon les supports aussi de ces représentations. Nous proposons ici une sélection commentée de ces représentations.
11À la suite, François Jarrige montre alors en quoi les connaissances de Raspail en chimie, notamment en chimie organique lui permettent de s’inscrire dans le débat en cours sur l’évolution des techniques, entre le monde des savants et celui des artisans. À un discours procédant des ingénieurs et des économistes, favorable à l’emploi des machines, imposant l’idée d’un progrès technique conditionnant le développement industriel, rendant obsolète les routines ouvrières et validant les structures hiérarchiques, Raspail oppose la mise en lumière de la rationalité et de la pertinence de connaissances et routines venant du monde des artisans. Prenant pour exemple le cas de la boulangerie et de l’offensive officielle en faveur du pétrissage mécanique, mais aussi le cas de la dorure où se joue la question d’une privatisation des connaissances par l’intermédiaire des brevets, Jarrige montre que se joue là aussi pour Raspail la défense d’une république des artisans tentant de s’opposer à la dépossession de leurs savoirs et savoir-faire. Omniprésente dans le cadre de ses interventions dans le domaine des sciences – de la chimie à la médecine, physiologie et pharmacie –, la question républicaine classique de la domination est également posée par Raspail dans le champ plus attendu du politique, et notamment au moment de la révolution de 1848. Fondateur d’un club et d’un journal, L’Ami du peuple, Raspail se présentera en vain à la Constituante du printemps, sera élu à l’automne mais, emprisonné après les évènements du 15 mai, ne sera en mesure de siéger. Aux élections présidentielles, encore incarcéré, il sera sollicité par le peuple parisien pour présenter une candidature « authentiquement » socialiste. Samuel Hayat souligne toutefois les raisons qui font de cette candidature un paradoxe pour celui qui écrivait que « la force du président, c’est la faiblesse de la république ». En république, où doit régner une opinion procédant de l’intégralité des compétences citoyennes, un président concentrant les pouvoirs constitue une scorie et une aberration. Pour sa part, Jonathan Barbier nous introduit à la dimension éducative du projet raspaillien. Formé à Carpentras par les enseignements de l’abbé Eysséric, Raspail enseigne jeune dans différentes institutions parisiennes, remet sur le métier le travail démopédique au plus fort des activités de la Société des amis du peuple, fait de son organe de combat, Le Réformateur (1834-1835), un formidable outil d’enseignement que relaiera au printemps 1848 son second grand journal, L’Ami du peuple. Emprisonné dès mai 1848, Raspail rédige dans le même esprit ses deux almanachs, La lunette du donjon de Vincennes (1849) puis La lunette de Doullens (1850). Comme le signale encore Ludovic Frobert, ces almanachs permettent de reconstituer la cohérence de la pensée de Raspail, entre république, utopie et socialisme. C’est là encore une vaste science sociale populaire tournée vers l’ambition centrale de l’émancipation intellectuelle, individuelle et collective, des travailleurs et valorisant les compétences communes que tente alors de construire et de diffuser Raspail.
12Christophe Portalez étudie les trajectoires scientifiques et politiques décalées de Raspail et d’Alfred Naquet. Cette histoire comparée vaut notamment pour le Second Empire et pour la période que débute la Commune et qui conduit six ans après à l’établissement véritable de la Troisième République. Les combats et prises de position des deux hommes sur cette période permettent ici de comparer leur républicanisme. Dawn Dodds interroge enfin l’éclipse que connaît la mémoire de Raspail après les commémorations éclatantes dont il fut pourtant le sujet à sa mort en 1878, au moment d’une Troisième République naissante. C’est justement, explique-t-elle, en raison même de ces célébrations qui conduisirent à traduire son œuvre et sa trajectoire dans la perspective d’une république consensuelle et solidariste qui expliquent l’oubli ultérieur. Une approche moins rétrospective, attentive aussi aux omissions et lissages que signale la mémoire officielle de Raspail, montre ainsi que les itinéraires d’un Raspail et d’un Blanqui, du carbonarisme à la Commune, ne vérifient pas les marquages ultérieurs associant le premier à un socialisme modéré et raisonnable et le second à un socialisme révolutionnaire et violent ; et qu’au final, la réalité elle-même de cette distinction pour la période initiale du socialisme, les années 1830-1870, mérite d’être aujourd’hui nettement questionnée.
13Plutôt qu’une approximation plus ou moins brouillonne et appauvrie des véritables phénomènes structurels – économiques, politiques, sociaux, scientifiques, culturels – de son temps, l’œuvre de Raspail étudiée dans cet ensemble de contributions à la lumière du thème de l’invention ou de l’imagination apparaît comme une illustration des mots de Judith Schlanger soulignant « la riche impureté du savoir, qui lie la science à la culture »12. Bien d’autres études raspailliennes mériteraient de compléter ce tableau : l’analyse de ses propositions sur les prisons et le système carcéral contenue dans ses Lettres sur les prisons de Paris (1839) ; la très importante dimension agronomique de ses travaux et leur versant vétérinaire ; les références et sources de sa réflexion venant du xviiie siècle, Jean-Paul Marat et Jean-Jacques Rousseau au premier chef ; la première impulsion de ses travaux dans la théorie cellulaire qui aboutie à son Nouveau système de chimie organique (1833) ; l’orientation qui le conduit à se passionner pour la météorologie et publier alors à partir de 1865 et pendant une douzaine d’années les livraisons de son Almanach et calendrier météorologique ; enfin, une des postérités négligées de son œuvre, l’action parlementaire ou municipale significatives de ses fils au début de la Troisième République. Bien d’autres chantiers pourraient encore être mentionnés. La liste témoigne de l’intérêt d’un retour sur l’œuvre et l’itinéraire de Raspail dont nous présentons ici un premier ensemble de résultats.
Notes de bas de page
1 La tenue de ce colloque n’aurait pas été possible sans le soutien financier et logistique des partenaires qui suivent : la municipalité de Carpentras ; M. Jean-François Delmas, conservateur de la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, et son équipe ; l’équipe « Histoire de l’Europe moderne et contemporaine » (Centre Norbert Élias – UMR 8562) de l’université d’Avignon et des pays de Vaucluse ; le laboratoire Triangle (UMR 5206) de l’ENS Lyon ainsi que l’ANR Utopies19. Nous sommes également reconnaissants aux Presses universitaires de Franche-Comté, aux Cahiers de la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement Claude Nicolas Ledoux et à l’ANR Saint-Simonisme 18/21 pour leur aide dans la publication des actes du colloque. Un remerciement tout particulier à M. Vincent Bourdeau, responsable de la série « Archives de l’imaginaire social », et à Mme Marie Gillet, secrétaire d’édition aux Cahiers de la MSHE, pour la relecture des articles.
2 Discours reproduit dans Ligou Daniel (éd.), 1968, François-Vincent Raspail, ou le bon usage de la prison, Paris, Martineau.
3 Roman satirique où il moque les réformateurs saint-simoniens, républicains, fouriéristes, Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale (1843 puis, avec ce titre, 1846) fut rédigé par Louis Reybaud, déjà auteur de l’ouvrage à charge, Études sur les réformateurs contemporains ou socialistes modernes (1842).
4 Clarentie Jules, 1899, La vie à Paris, Paris, Bibliothèque Charpentier.
5 Enveloppe 44, fonds Pecqueur, bibliothèque de l’Assemblée nationale, .
6 Sand George, 1969, Correspondance, t. V, Paris, Garnier, p. 107.
7 Sand George, 1970, Correspondance, t. VII, Paris, Garnier, p. 187.
8 Raspail François-Vincent, 1849, La lunette du donjon de Vincennes. Almanach démocratique et social de l’Ami du peuple pour 1849, par F.-V. Raspail représentant du peuple, Paris, Ches l’éditeur des ouvrages de M. Raspail, p. 76.
9 Bergson Henri, 1911, « Sur le pragmatisme de William James », préface à W. James, in James Wiliam, Le pragmatisme, Paris, Flammarion, p. 11.
10 Starobinski Jean, 1970, « Jalons pour une histoire du concept d’imagination », in Starobinski-Jean, La relation critique, Paris, Gallimard, p. 174.
11 Ibid., p. 194.
12 Schlanger Judith, 1983, L’Invention scientifique, Paris, Fayard, p. 136.
Auteurs
Docteur en histoire, est ATER à Sciences-Po Toulouse. Il est chercheur correspondant au sein de l’équipe HEMOC (Centre Norbert Elias, UMR 8562), et membre associé au LaSSP (EA 4175). En novembre 2016, il a soutenu, à l’université d’Avignon, une thèse d’histoire dirigée par Natalie Petiteau, professeure d’histoire contemporaine, et ayant pour titre Les républiques de François-Vincent Raspail : entre mythes et réalités. Il travaille sur les interférences entre l’histoire politique et l’histoire des sciences ainsi qu’entre l’histoire politique et l’histoire de la mort. Il a collaboré au programme ANR Utopies19, sous la direction de Ludovic Frobert, directeur de recherche au CNRS. En 2016, dans les Cahiers Jaurès, il a coécrit avec Bruno Bertherat, maître de conférences en histoire contemporaine, un article intitulé « La République et ses masques. Culte du grand homme et culture matérielle (de la Première à la Cinquième République) ».
Directeur de recherche CNRS (UMR Triangle/ENS-Lyon). Il a récemment publié avec George J. Sheridan, Le Solitaire du ravin. Pierre Charnier (1795-1857), prud’homme tisseur et canut (Lyon, ENS Éditions, 2014) ; coordonné avec Thomas Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton et François Jarrige, le volume Quand les socialistes inventaient l’avenir (1825-1852) [Paris, La Découverte, 2015] ; et, dans la série Archives de l’imaginaire social », coordonné avec Clément Coste et Marie Lauricella, De la République de Constantin Pecqueur (1801-1887) [Besançon, PUFC, 2016].
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