Chapitre II. L’apothéose manquée à la Comédie-Française (1955)
p. 349-397
Texte intégral
1La véritable mise en scène "définitive" de L'Annonce pour Claudel, c'est-à-dire celle qu'il dirige pour la dernière fois, a enfin lieu dans le prestigieux théâtre où des représentations ont été si souvent prévues puis écartées, la Comédie-Française. Encore cet ultime épisode d'une longue série de malentendus entre la pièce et ce théâtre n'est-il réalisé que le 17 février 1955, soit exactement six jours avant la mort de l'auteur. La Providence a donc exaucé in extremis l'un de ses vœux les plus chers et semble ainsi avoir miraculeusement vengé par cette consécration finale la si longue suite de déceptions que lui a infligée la vie scénique de sa pièce. On voudrait du moins pouvoir affirmer que Claudel quitta la vie satisfait sur ce point ; mais il aurait fallu alors qu'il demeurât inconscient des maladresses du spectacle offert par le théâtre en qui il avait tant espéré. La mise en scène de la Comédie-Française constitue en effet, par une cruelle ironie du sort, l'une des plus mauvaises qui aient jamais été réalisées, la pire de toutes celles dans lesquelles l'auteur s'est engagé. Avant d'expliquer les raisons scéniques d'un tel échec et de justifier la réprobation que suscita ce spectacle, il faudra malgré tout évoquer les touchants efforts du dramaturge pour mener au mieux, dans sa quatre-vingt-septième année, ce qu'il estimait être le couronnement de sa carrière théâtrale.
1. Laborieuse mise au point du projet
2Nous avions laissé les rendez-vous manqués entre L'Annonce et la Comédie-Française en mai 1947, au moment où Claudel, ayant abandonné momentanément tout projet avec Barrault, mais lançant un dernier appel à Pierre-Aimé Touchard1, était sur le point d'accepter les propositions insistantes d'Hébertot. Leur aboutissement semble mettre un terme à toute représentation de la pièce sur la première scène nationale, car l'auteur avertit l'administrateur général que, s'il cède à Hébertot, "le Théâtre-Français devra d'une manière définitive renoncer à L'Annonce"2. Or en 1950, pendant que le Théâtre Hébertot promène en France et à l'étranger une Annonce qui se dégrade progressivement, Pierre-Aimé Touchard, secondé par le dynamique metteur en scène Jean Meyer, se montre soucieux de renouveler le répertoire de la Comédie-Française3 et repense alors à la pièce qu'il avait dédaignée trois ans plus tôt. Au début de 1951, il en avertit Claudel4, qui ne s'oppose pas à renouer une fois de plus avec le Théâtre-Français, mais qui exige d’être fixé précisément car de nombreuses demandes de représentations de L'Annonce lui sont proposées. Très vite, le Comité donne à l'unanimité son accord de principe pour inscrire immédiatement la pièce au répertoire, mais comme elle vient d'être jouée à Paris, il estime qu'afin d'être "reposée", elle doit cesser d'être représentée pendant deux ans avant sa reprise : il propose donc de ne la jouer qu'en 1953, "sous réserve que d'ici là, elle ne soit représentée ni à Paris, ni en province, ni même dans les patronages"5. Mais l'auteur trouve inacceptables ces conditions qui ne semblent pas tenir compte de ses intérêts matériels pendant deux ans et qui ne donnent pas assez de précision sur la façon dont L'Annonce sera représentée. Après plusieurs mises au point épistolaires, Pierre-Aimé Touchard propose les conditions suivantes :
M. Paul Claudel s’engage à ne pas autoriser de représentation théâtrale à Paris de son œuvre pendant une période de vingt-quatre mois consécutifs commençant à courir du 15 janvier dernier, date à laquelle a été donnée à Paris la dernière représentation de cette œuvre.
Passé ce délai, la Comédie-Française s'oblige à donner des représentations de cette œuvre salle Richelieu, au plus tard dans l'année théâtrale qui suivra l'expiration du délai tel que défini ci-dessus ; elle garantit à l'auteur un minimum de cinquante représentations dans les trente-six mois qui suivront la première6.
3Claudel donne son accord sur ces points ainsi que sur d'autres clauses de détail et le 27 mars 1951, L'Annonce est définitivement reçue à la Comédie-Française.
4Deux ans après, au terme de la période de silence de la pièce, il faut donc, en vertu du contrat, commencer à préparer des représentations devant être données au plus tard durant l'année 1954. En 1953, ce n'est plus Pierre-Aimé Touchard qui administre la Comédie-Française, mais Pierre Descaves, appelé dit-on par certains de ceux qui avaient le plus impatiemment supporté dans les années précédentes l'autorité de Jean Meyer, qui continuera pourtant à présenter de somptueuses réalisations lucratives. En avril 1953, Claudel, apprenant par Marie Bell que L'Otage, Le Soulier de satin et L'Annonce figurent prochainement au programme du Théâtre-Français7, contacte Pierre Descaves pour amorcer la préparation de cette dernière pièce. Elle semble mûrir pendant l'été, car le 1er septembre, l’auteur écrit l'administrateur général :
Je pense beaucoup en ce moment à la prochaine représentation de L'Annonce à la Comédie-Française et je pense que vous voudrez donner à cette réalisation une certaine solennité. Les questions de mise en scène ont donc beaucoup d'importance, une longue expérience m'a donné beaucoup d'idées à ce sujet et je serais heureux d'en causer dès maintenant avec le décorateur. Je voudrais lui montrer mon pays natal afin qu'il s'imprègne de l'atmosphère et ces derniers jours d'été sont particulièrement favorables8.
5On discerne ainsi un double souci du dramaturge pour cette nouvelle mise en scène : la présence d'"une certaine solennité", qui se révélera excessive, et d'une atmosphère paysanne, qui inversement se manifestera peu. Pierre Descaves assure l'auteur de son intérêt pour la pièce et communique aussitôt sa lettre au décorateur pressenti, Georges Wakhévitch, qui avait déjà signé les décors de L'Annonce dans la mise en scène réalisée en 1940 par Eve Francis, présentée à Lyon puis en tournée9. A la fin de 1953, la préparation scénique semble assez précise pour que Pierre Descaves informe Roger Méquillet de son intention de monter la pièce en mars ou avril 1954.
6Mais cette fois encore, des problèmes de distribution vont faire reculer la date prévue ; l'administrateur général expliquera plus tard que, s'il y a eu du retard, "c'est que l'auteur avait manifesté en ce qui concerne la distribution des exigences qui n'avaient pas pu pratiquement, jusqu'à novembre 1954, être réunies"10. Un premier projet est ébauché à la fin de 1953 : le 17 décembre, France-Soir signale que L'Annonce sera mise en scène par Jean Marchat, revenu depuis peu à la Comédie-Française11, et avance les noms de trois interprètes : Renée Faure pour Violaine, Maria Casarès pour Mara et Jean Yonnel pour Anne Vercors. Si les deux actrices n'ont pas d’expérience claudélienne – bien que Maria Casarès en ait vivement manifesté le désir – Jean Yonnel en revanche avait participé dès 1919 à la matinée Paul Claudel organisée au Théâtre du Gymnase par Adrienne Monnier et avait ensuite interprété à la Comédie-Française Don Pélage lors de la création du Soulier de satin avant de jouer dans la reprise de L'Otage en 1950. La distribution se poursuit tant bien que mal au début de 1954, non sans subir certaines pressions ; ainsi en mai, le directeur du journal Dimanche Matin adresse à Pierre Descaves la copie d'une lettre élogieuse de Claudel à Hélène Sauvaneix au sujet de son interprétation de Violaine au Théâtre Hébertot, en ajoutant : "Je pense que cette opinion de l'auteur vous permettra de penser à elle pour ce rôle"12. Cette suggestion n'est pas retenue, mais fin mai, la distribution paraît suffisamment au point pour que Pierre Descaves la présente à Claudel. Ce dernier réagit alors de manière paradoxale : le 1er juin, dans le bureau de l'administrateur, il approuve le choix des comédiens, mais le lendemain il exprime son insatisfaction au metteur en scène :
C'est une collection de doublures, et l'on ne sait ce qu'il restera pour les doubler elles-mêmes. Tous ces jeunes gens sont pleins de bonne volonté, je n'en doute pas, mais ils n'ont ni autorité, ni expérience. La pièce a de grosses exigences et je doute qu'ils soient de taille à y répondre13.
7Il est intéressant de remarquer que, contrairement à ce que le dramaturge a toujours préconisé depuis 1912 pour ses acteurs, il fait désormais passer, à tort certainement, l'"autorité" et l'"expérience" avant la "bonne volonté" et la ferveur, affichant une prétention qui sera néfaste à la qualité de l’interprétation. Pour satisfaire ses exigences, il désire revoir la distribution avec Marchai, mais celui-ci refuse et préfère s'en remettre à Descaves, en précisant qu’il est prêt à s'effacer comme metteur en scène si son départ est susceptible de faciliter les choses. C'est ce qui a effectivement lieu, Marchai renonçant à une mise en scène qu'il reprendra deux ans plus tard dans d'autres conditions14. L'irritation de l'auteur semble exacerbée par des rivalités au sein de la Comédie-Française ; c'est du moins ce qu'insinue L'Aurore du 22 juin 1954 en prétendant que "certaines influences féminines hostiles à Descaves s'exercent sur Claudel"15 afin de renforcer son opposition à la distribution présentée par l'administrateur. Toujours est-il que c'est à ce dernier qu’il revient de proposer d'autres interprètes et un nouveau metteur en scène.
8La constitution de cette nouvelle équipe occupe le deuxième semestre de 1954. Le choix du metteur en scène semble s'effectuer rapidement : Jean Marchai est remplacé par Julien Bertheau16, qui a fait ses preuves à la Comédie-Française à la fois en tant qu'acteur et metteur en scène, et qui a joué à deux occasions dans Le Soulier de satin17. Cet ancien élève de Dullin, défenseur d'un théâtre populaire soucieux de respecter les beaux textes, va faire équipe avec Wakhévitch, rappelé à l'ordre par Descaves pour exécuter au plus vite les maquettes des décors. Le metteur en scène et le décorateur travaillent ensemble au début de l’automne, et le 2 novembre ils viennent présenter les décors et les costumes à Claudel ; mais il n'en est pas content18 et exige qu'ils les retravaillent. Après plusieurs visites de Julien Bertheau seul pour préparer la mise en scène, les deux hommes reviennent à la fin de décembre avec leurs nouvelles maquettes ; cette fois la réaction du maître, "can do" (possible), si elle n'est pas enthousiaste, n'entraîne plus un refus. Mais ses exigences impliquent que la première représentation, prévue pour la lin de décembre 1954, soit reportée en février 1955.
9Le renouvellement de la distribution se révèle plus épineux car, des interprètes initialement prévus, seuls subsistent Jean Yonnel et, temporairement, Renée Faure. Les rôles de Mara et de la Mère semblent assez rapidement pourvus : ils sont attribués respectivement à Denise Noël, qui prend la place pressentie pour Maria Casarès, et à Line Noro, actrice de théâtre et de cinéma, qui avait autrefois enseigné à l'école du Vieux-Colombier de Copeau. En revanche, les rôles de Jacques Hury et de Pierre de Craon suscitent une vive concurrence, car quatre acteurs sont en piste pour les incarner : André Falcon, Paul Guers, Jean Piat et Roland Alexandre. Ce dernier est évincé fin octobre, car il "n'insiste pas pour le rôle"19 ; puis on n'entend plus parler de Paul Guers ni de Jean Piat ; reste donc André Falcon : il sera Jacques Hury20. Ainsi, au début de décembre, Claudel peut commencer chez lui un "travail avec Bertheau, Falcon, Denise Noël, Line Noro"21. Le rôle de Pierre de Craon ne sera pourvu qu'ultérieurement en la personne de Paul-Emile Deiber, qui avait été Jacques Hury à la création de La Jeune Fille Violaine II en 1944, puis Saint Jacques à la reprise du Soulier de satin en 1949 à la Comédie-Française, tandis que le Maire de Chevoche sera joué par Georges Baconnet et l'Apprenti par Tony Jacquot. Parallèlement à la difficulté du choix des acteurs masculins, une incertitude apparaît en octobre au sujet du rôle de Violaine, car Renée Faure est sur employée : tout en continuant à jouer dans Les Amants magnifiques de Molière, qui obtient un grand succès, elle commence à interpréter Port-Royal de Montherlant, qui fait aussi de grosses recettes, et n’a pas un seul jour de relâche. Aussi Le Figaro du 6 novembre signale-t-il que si elle joue dans L'Annonce, elle devra renoncer à l'une des deux autres pièces. Claudel souhaite pourtant beaucoup l'avoir comme interprète et, pour la garder, se dit prêt à reporter les représentations à Noël 1955. Pierre Descaves lui propose alors un compromis : "Nous pensons, M. Julien Bertheau et moi, que Mme Renée Faure pourra jouer Violaine. Cependant, je crois utile de faire doubler cette grande comédienne ; et je crois que Mlle Eliane Bertrand a toutes les qualités pour vous satisfaire"22. En fait, en formulant cette solution, Descaves sait déjà certainement que Renée Faure ne sera pas Violaine, mais il veut ménager le maître et, habilement, n'évoque les qualités d'Eliane Bertrand qu’après s'être assuré qu’elle est allée rendre visite à Claudel et qu'elle lui a "paru charmante et pleine d'excellentes dispositions"23. Cette jeune actrice a besoin d'être valorisée, car face au talent reconnu de Renée Faure, elle n'est qu'une débutante et Violaine sera son premier grand rôle24. En tout cas, au début de janvier 1955, la presse peut annoncer avec certitude qu'elle remplacera Renée Faure et présenter désormais la distribution définitive. Dès lors, les répétitions, qui s'étaient déroulées jusque-là dans l'appartement de Claudel, boulevard Lannes, ont lieu à partir du 8 janvier à la salle Richelieu, mais sans que l'auteur s'en trouve écarté, bien au contraire.
2. Le dernier bonheur scénique de Claudel
10C’est en effet à la Comédie-Française que l’auteur se trouvera le plus directement associé à la mise en scène de sa pièce : quelques jours avant sa mort, il va en être plus que jamais le véritable artisan, au point qu'il déclare souvent avoir l'impression de participer à la vie scénique de L'Annonce "pour la première fois", répétant ainsi une expression déjà beaucoup utilisée, de manière plus justifiée, lors de la mise en scène du Théâtre Hébertot. Certes cette expérience était trop récente pour que le dramaturge ait oublié qu'il avait alors déjà dirigé les répétitions, mais sa participation était restée moins absolue qu'en 1955 où Julien Bertheau se montrera plus docile encore que Jean Vernier. Claudel n'a donc pas tout à fait tort quand il affirme à propos des répétitions : "Pour la première fois, il m'a été donné de les suivre d'un bout à l'autre"25. "D'un bout à l'autre" il est vrai, car du début de janvier à la mi-février, l'auteur a occupé ses derniers jours au théâtre, y arrivant le premier dès 14 heures pour le quitter le dernier, à tel point qu'"il fallait employer des ruses de Sioux pour le décider à partir"26. Sa présence assidue, inhabituelle pour un dramaturge, a été très commentée par la presse, à travers de nombreux articles et de nombreuses photographies, et s’est trouvée également évoquée par des témoignages plus artistiques, comme les caricatures de J.-B. Descamps et surtout les gouaches du peintre Jacques Thévenet, qui a suivi lui aussi les répétitions27. Tous ces documents montrent le dramaturge sur la scène confortablement installé avec une couverture dans un fauteuil auprès duquel ont été placés un paravent et un radiateur électrique pour le protéger du froid, ainsi qu'une petite lampe pour lui permettre de prendre des notes. Ainsi, le vieillard peut être attentif à ce qu'il voit et entend.
11De fait, l'extrême attention du dramaturge est fascinante. Tous les journalistes venus assister à des répétitions pourraient écrire, comme celui de Paris-Match : "Rien ne lui échappe : tandis que ses lèvres murmurent les mots avec une seconde d'avance sur les acteurs, son regard juge les mouvements, apprécie les couleurs, mesure les éclairages"28. Claudel se préoccupe effectivement de tous les aspects du spectacle.
12D'abord, malgré la surdité qui s’est peu à peu emparée de lui, il reste attentif à son texte, qu'il doit désormais connaître presque par cœur. S'il lui arrive souvent de mettre sa main en cornet sur ses oreilles et de tendre son visage vers les interprètes, il n’en est pas moins sensible à leurs erreurs. Ainsi, bien qu'il n'ait pas la pièce sous les yeux, il est capable d'interrompre Paul-Emile Deiber pour lui signaler : "Non, Monsieur, non, ce n'est pas : "Et maintenant je retourne à Rheims", c'est : "Et maintenant je m'en retourne à Rheims"29. L'exactitude du texte reste cependant secondaire par rapport aux exigences formulées pour sa diction. Comme en 1912, Claudel insiste sur la nécessité d'une harmonieuse musicalité ; mais à la fin de sa vie, plus qu’à une ligne d'ensemble, il paraît s'intéresser à des détails précis, donnant parfois des conseils discutables. Il dit par exemple à une actrice :
Excusez-moi, Madame, de vous interrompre, mais votre débit est beaucoup trop rapide. Ne dites pas par exemple "impossible", dites "im-po-si-ble" en détachant chaque syllabe. N'oubliez pas que ce sont des vers et qu'il faut leur laisser leur rythme, leur respiration, en somme leur harmonie naturelle30.
13De même, une émission télévisée présentant l'une de ces répétitions montre l'auteur soucieux de détails de prononciation. Il dit à Denise Noël qui vient de prononcer le mot "vierge" : "Non pas vierge, mais viarge, c'est ainsi qu'on prononce en Tardenois... à supposer qu'ils aient encore des vierges" ; il désire que l'actrice prononce le verbe "suce" avec un th anglais, car "Gémier accentuait ainsi l'âpre décision de Mara"31. Toutefois, cette concentration sur de tels détails n’empêche pas le poète d'être sensible à l’harmonie d’ensemble au point de s'en montrer sincèrement ému :
Je ne veux insister que sur un point, la justesse des intonations, qui est un régal si rare offert à l'oreille d'un auteur ! On parle de la musique, mais que ses ressources sont faibles et grossières à côté de celles de la poésie ! Ce ne sont plus les cordes et le cuivre, c'est l'âme elle-même, ô délices, dans telle circonstance donnée, parfois d'une complication infinie, qui sonne juste. Juste, mon Dieu, que de beauté dans ce seul mot !32.
14Non content de réagir en écrivain, Claudel se montre également intéressé par tous les aspects proprement scéniques. Les attitudes et mouvements des acteurs le retiennent beaucoup. Il corrige ceux qui lui paraissent défectueux, n'hésitant pas à dire, par exemple : "M. Bertheau, je ne suis pas d'accord : Violaine couchée ne doit pas prendre appui sur les coudes pour se relever", et bien que le metteur en scène lui objecte que "c’est quasi impossible, vous savez, les muscles abdominaux...", il n'en réplique pas moins : "quasi, mais pas tout à fait : j'ai essayé bien des fois et j'y parviens"33. Quelques minutes plus tard, il interpelle ainsi l'interprète de Jacques Hury : "Eh, vous là-bas, Falcon, n'abusez pas de ce mouvement de pélican qui n'est pas joli I"34. Son désir de perfection le conduit souvent, plus encore qu'auparavant, à mimer lui-même les attitudes et les gestes qu'il souhaite obtenir. Denise Noël assure qu'"il mimait tous les rôles, se levait, se mettait à genoux ; pour la partie chantée, il donnait le ton et chantait lui-même"35. Le journaliste A. Ransan constate que souvent "l'auteur se lève et, fort ingambe, indique avec précision un jeu de scène, s'empare de tel ou tel personnage et se met à jouer son rôle"36. Claudel semble si intensément ressentir dans son corps ce qu'il voit sur scène qu'une page du Journal du Dimanche du 13 février illustre l’évolution d'une répétition par une série de gros plans sur ses mains, dont les différentes positions miment successivement les passages marquants : au début, les mains reposent tranquillement sur la canne, elles se nouent peu à peu lorsque l'auteur entend Violaine avouer son mal à Jacques, puis se crispent quand il n'est pas d'accord avec le metteur en scène et enfin se joignent pour traduire son émotion à l'écoute des dernières répliques de la sainte.
15Claudel manifeste aussi beaucoup d'intérêt pour les décors et surtout pour les costumes, comme le révèlent plusieurs photographies de presse. Lorsque pour la première fois les acteurs répètent en costumes, Le Figaro du 12 février montre chacun d'eux se présentant devant l'auteur, qui donne son avis. Chaque tenue est examinée dans ses moindres détails, même les plus futiles : France-Soir présente Claudel rectifiant le col de l'habit d'André Falcon37 ; Le Figaro littéraire du 19 février le montre soucieux de savoir si Eliane Bertrand n'est pas gênée par un petit drapé de sa robe et précise que, sur les indications du maître, "Wakhévitch et Bertheau se sont précipités sur le plateau pour mettre au point ce petit drapé". Le dramaturge peut même longuement discuter sur l'opportunité d'orner d'une barbe le menton de Jean Yonnel. Il n'est donc pas étonnant que Julien Bertheau affirme :
Ne croyez pas que ce soit moi qui fasse la mise en scène. Oh non ! C'est M. Claudel lui-même. Je propose, et il dispose, avec un sens étonnant de ce qui doit être fait ou écarté. Il connaît admirablement son métier38.
16Dans ces conditions, l'auteur parvient, une dernière fois après tant d'expériences antérieures, à redécouvrir certains aspects de sa pièce. Avec l'âge, il a une vision plus dure des "locataires" que constituent ses personnages. Après avoir souvent insisté sur le fait que Violaine n'est ni une ingénue ni une oie blanche, il prend maintenant conscience du côté égoïste de la Mère, d'une certaine dureté de Pierre de Craon et de Jacques Hury. Mais c'est toujours sa chère Mara qu'il sent le mieux, ainsi qu'il le confie à Denise Noël : "Mara, c'est une tigresse. Si j'étais femme, j'aurais aimé être Mara, car elle est comme moi : je suis féroce"39. D'une manière générale, l'homme d'expérience veut faire passer cette dureté qu'il ressent chez ses personnages en leur demandant d'exprimer une "terrible ironie"40. Enfin, sur le plan scénique, le dramaturge perfectionne sa vision de L'Annonce en constatant avec émotion :
Quelle joie de voir de tous les points de l'horizon scénique les éléments s’ajuster et prendre forme. L'acte Ier par exemple, qui m'avait laissé tant de mauvais souvenirs, que n'est-il pas devenu sous l'archet de ce maître qu'est Yonnel !41
17Une telle activité et un tel intérêt manifestés par un octogénaire ne laissent pas d'impressionner. D'une part, ils forcent l'admiration pour la vitalité qu'ils révèlent, non dépourvue d'une certaine lucidité. La présence assidue de Claudel aux répétitions, loin d'être passive, lui demande constamment un effort mental et physique. Cette vitalité est d'autant plus remarquable que, non content d'assister aux répétitions de L'Annonce, l’infatigable vieillard suit également, d'un peu plus loin, la préparation de Protée42. Une telle passion prouve la permanence en lui d'une certaine jeunesse, qui se retrouve dans des manifestations de drôlerie et d'humour43 que n'a pas forcément un écrivain âgé et célèbre, académicien de surcroît. Cet instinct de plaisanterie n’empêche pas le dramaturge de faire preuve de sérieux et de lucidité lorsqu'il dresse le bilan d'une répétition, comme celui-ci :
Travail acharné et ingrat avec V[iolaine]. M[ara] excellente. F[alcon] bien. Y[onnel] aussi au 1 acte ; pas au 4e. Les décors de W[akhévitch] et costumes, bien [...]. Tout le monde aux petits soins pour moi au Français. Très content de J. Bertheau44.
18Mais d'autre part, malgré l'admiration qu'impose cette vitalité, il faut reconnaître que sur le plan de l'esthétique scénique certaines réflexions et certains comportements de Claudel laissent perplexe. C'est que les disgrâces du grand âge ne vont pas sans troubler certaines facultés. Sa surdité, si elle est remédiable, altère certainement parfois sa perception des paroles des acteurs et du metteur en scène ; mais, par une ruse suprême, le maître en tire peut-être profit pour n’entendre que ce qu'il veut, voire pour n'écouter que lui-même, car Denise Noël prétend que "Claudel n'écoute personne sous prétexte qu’il n'entend rien"45. Plus certaines apparaissent les défaillances de sa mémoire, notamment au sujet de la carrière scénique de L'Annonce : n'avoue-t-il pas que la refonte de l'acte IV "doit dater de 1941" et, de manière plus surprenante, que lors des précédentes adaptations scéniques il a "été bien servi par tous les metteurs en scène : Gémier, Copeau, Baty, Jouvet ?"46. Étrange affirmation de la part de quelqu'un qui a tant désapprouvé la mise en scène de Jouvet, qui s’est opposé au projet de Copeau et qui est resté médiocrement convaincu par Baty et Gémier ! Le vieillard, par instinct ou par consolation, se plaît certainement à idéaliser la réalité. Mais alors, cette tendance n'apparaît-elle pas aussi dans cette préparation de L'Annonce ? Claudel n’est-il pas trop ébloui par le luxe que la Comédie-Française met à la disposition de sa pièce, pour pouvoir percevoir toutes les maladresses du futur spectacle, le plus souvent proposées par lui-même ?47. Il eût fallu à ses côtés un avis expert, extérieur au personnel du Théâtre-Français, pour mesurer les imperfections présentes. C’est ce qui arriva, un peu tard, au sujet de la musique de scène, lorsque sa créatrice, Maria Scibor, assista à l'ultime répétition du 16 février : elle fut surprise et peinée d’entendre que sa partition se trouvait "présentée dans un état de déchiffrage"48 par le directeur de la musique André Jolivet, alors que depuis le début de janvier personne n’avait émis la moindre critique sur l’accompagnement musical, et elle proposa d’y remédier avec l’aide de son ancien collaborateur, M. Labinsky, chef d’orchestre de l’Opéra russe à Paris.
19Toutes ces imperfections – parfois même ces erreurs graves – que l’auteur ne voit pas ou qu’il ne veut pas voir n’entament aucunement la joie qu'il éprouve à se trouver dans la salle. Il est absolument saisi par le démon du théâtre qui lui permet de satisfaire indirectement son envie d'être à la fois metteur en scène et acteur, d’autant plus que son grand âge ne lui permet plus guère d'autres activités49. Aussi n'est-ce pas "sans mélancolie" qu'aux dernières répétitions, il voit finir "quatre semaines qui, malgré les indiscrétions de la maladie, compteront parmi les meilleures de [s]on existence"50. De même, lorsqu'il réunira tous les acteurs chez lui à la fin des répétitions, il leur avouera : "Les plus beaux moments de ma vie, c'est avec vous que je les ai passés. Qu'est-ce que je vais devenir maintenant ?"51. Le dramaturge semble aussi heureux que l'homme quand, à la veille de la première, il fait le bilan du travail accompli en déclarant :
Cette pièce a connu bien des avatars, des aventures. Et elle trouve sa forme définitive grâce à la munificence de cette maison dont je salue avec émotion les animateurs, les interprètes et tout le personnel qui s’est mis si gentiment à ma disposition.
En ce qui me concerne, je suis abondamment satisfait. Je remercierai particulièrement mon metteur en scène, Julien Bertheau, collaborateur inestimable, un de ces rares collaborateurs qui non seulement comprennent vos idées, mais vous en donnent52.
20Réciproquement, Julien Bertheau remerciera vivement l'auteur pour tout ce qu'il lui a apporté : "Vous m’avez fait du bien, me faisant confiance. J'ai sous votre conduite appris tant et tant de choses sur paon métier et sur notre art ! Vous m'avez démontré de la plus lumineuse façon que le don de soi, l'amour porté à autrui, sont capables d'élargir les horizons"53. A ces élogieuses congratulations officielles se joint, pour parachever cette impression d'apothéose, l'hommage de la presse à la gloire de Claudel, que Paris-Match résume ainsi le 19 février au bas de la photographie d'une répétition : "Ce vieillard majestueux, installé comme le Roi-Soleil sur la scène du Théâtre-Français, est le plus illustre poète vivant". Cette consécration est confirmée par la présentation qu’Henri Mondor donne de Claudel dans le programme du spectacle, qui se termine sur ces mots :
Sans Paul Claudel, notre siècle ne serait pas ce qu'on voudrait qu'il fût dit ; mais autour de l'homme de génie, les hommes de talent ont beaucoup à faire pour paraître un peu plus que ce qu'ils sont et se croire un peu moins loin de ce qu'il est !54.
21Une telle guirlande d'éloges est certainement plus tressée à la gloire de l'écrivain octogénaire qu'à son travail pour la mise en scène de L'Annonce qui, en fait, ne mérite pas tant d'admiration.
3. Les égarements de la mise en scène claudélienne
22Certaines remarques anecdotiques du dramaturge lors des répétitions ont déjà paru fort discutables, mais plus fondamentalement inquiétante apparaît la vision globale de la mise en scène de sa pièce. Certes, le livre de régie qui la révèle est annoté par Julien Bertheau55, mais la plupart des remarques viennent de Claudel, qui n'a jamais été si librement metteur en scène, la Comédie-Française ayant mis à sa disposition ce qu'il n'avait jamais trouvé aussi libéralement prodigué dans les autres théâtres : l'argent, une figuration aussi nombreuse qu’il le souhaitait, une équipe qui s'engageait à accomplir toutes ses volontés. Or, force est de constater que l'ultime vision scénique que Claudel a eue de L'Annonce est doublement maladroite, dans la mesure où elle exagère les deux facettes inséparables de la pièce, le réalisme et le symbolisme : jamais l'aspect réaliste n'a été aussi amplifié, au point de manifester une exigence maniaque sombrant parfois dans le ridicule ; simultanément, jamais la portée symbolique n'a été si pesamment soulignée, alourdissant la pièce d'une emphase souvent artificielle.
23Un souci de réalisme a toujours été plus ou moins revendiqué par Claudel, sauf à Hellerau, dans toutes les mises en scène de L'Annonce auxquelles il a participé. En 1955, l'auteur insiste plus que jamais sur le fait que la pièce prend ses racines dans un cadre précis, qu'elle est "tirée du terroir français lui-même"56. Mais, contrairement à ses expériences scéniques précédentes, il possède désormais tant de moyens matériels que cette exigence de réalisme prend forme dans les moindres détails et finit par dénaturer la pièce. Une véritable obsession de "faire vrai" apparaît dans la conception générale du décor, dans le choix des costumes et des accessoires, ainsi que dans le style de jeu des acteurs.
24Alors qu'en 1948 Claudel avait été séduit par le nouveau décor unique qui resserrait l'action, sept ans plus tard, il opte pour un morcellement des lieux et une diversification des décors qui nécessitent d'assez longs intervalles entre les actes, meublés par de la musique, et interrompent la progression dramatique. Certes le décorateur, Georges Wakhévitch, n'est pas homme à reculer devant la complication : depuis qu'il a été appelé à la Comédie-Française en 1949 par Pierre-Aimé Touchard, il s'est illustré en particulier grâce aux vingt-deux décors à changement à vue de Donogoo de Jules Romains dans la mise en scène de Jean Meyer. Ces virtuosités techniques n'empêchent pas Wakhévitch de rester un homme de goût57, toujours fidèle au principe qu’"un décor né dans la sensibilité d'un homme de talent ne saurait en aucun cas nuire à un texte, s'il est bien pensé et convient à l'action"58. Or, celui qu'il devra réaliser pour L'Annonce n'illustre pas précisément un tel souci.
25En effet, la multiplicité des lieux évoqués et des styles décoratifs, apparaissant dans plusieurs photos, fait perdre à la pièce une partie de sa cohérence. Le Prologue nous situe d'abord dans une grange qui a les allures d'une cathédrale, dans la mesure où, par exemple, les portes sont ornées de deux immenses figures de saints auréolés d'or, véritables peintures de style byzantin. A l'acte I, la cuisine de Combernon, grande salle basse moyen-âgeuse, est transformée en réfectoire de château où se trouve plantée une croix géante supportant un Christ catalan dont la présence peut étonner, comme le montrera le critique Léon Savary, se demandant : "Que vient faire, dans une salle de maison campagnarde, cet immense crucifix de l'école espagnole, qui ne trouverait place que dans une cathédrale ? Avez-vous jamais vu chez un paysan un Christ de trois mètres de haut ?"59. L’acte II adopte, sauf pour la rencontre de Jacques et de Violaine, un rideau de scène symbolique évoquant une Annonciation géante "qui n'a pas su choisir entre la mosaïque byzantine et la verve ukrainienne de Chagall"60. Pour la longue scène 3, ce rideau cède la place à un décor construit, celui du verger où se retrouvent les fiancés. Au Théâtre Hébertot, l'absence de ce verger, imposée par le décor unique, avait paru quelque peu artificielle, mais semblait de loin préférable à la vision infligée par la Comédie-Française, celle d’une tonnelle d'opérette digne d'un spectacle du Châtelet. C'est à contrecœur que Wakhévitch a réalisé ce décor et que Julien Bertheau l'a accepté : il est effectivement étrange de constater que Claudel a voulu absolument matérialiser les branches de fleurs entre lesquelles Jacques dit voir venir Violaine par une ouate blanche piquée çà et là sur une armature en fil de fer ; en revanche, il ne sera pas étonnant que la critique unanime crie au scandale61. L'acte II nécessite également deux décors, d'autant qu'en 1955 Claudel ne peut plus se contenter, comme à la création de 1912, de représenter la scène du miracle dans le noir absolu, seulement troué par quelques jeux de lumière. Wakhévitch réalise donc deux décors spécifiques : d'abord la forêt de Chevoche, figurée par un alignement d'arbres qui s'étend sur toute la profondeur du plateau62 ; puis, pour le miracle, un ensemble de ruines suggérant les ravages d'une guerre, décor quelque peu déplacé qui ne manquera pas non plus d’être ridiculisé par la critique. La simple observation d’une photo de ces ruines impose à l'évidence leur aspect artificiel : les pierres apparaissent si parfaitement emboîtées les unes aux autres que la moindre brisure semble provoquée, au lieu d'être ancienne ; de plus, l'ensemble se révèle beaucoup trop imposant par rapport à la taille des personnages, qui s'y trouvent perdus. En définitive, sans compter avec l’acte IV qui nous fait retourner à la grande salle de l'acte I, il n'y a donc pas moins de six décors différents, ajoutant chaque fois au texte des prolongements pittoresques, mais souvent incohérents. Cet émiettement des lieux et cette juxtaposition d'éléments imposants et disparates rappellent un peu, mais avec moins de goût esthétique, les projets de José-Maria Sert en 1937-38, que Copeau a refusés au nom du bon sens : dans les deux cas, on constate une surcharge décorative qui redouble inutilement le texte ou, pire, qui le complète en le dénaturant, à l’opposé du dépouillement de Hellerau.
26Afin de renforcer cette volonté de réalisme, s'ajoute à la multiplicité des décors une profusion des costumes, des accessoires et des figurants.
27Pour faire à la fois riche et vrai, Claudel veut des costumes différents pour chaque acte et toujours inspirés par des tableaux célèbres, notamment ceux de la peinture flamande médiévale. Wakhévitch s'est pénétré des œuvres de Memling, Bruegel et Van der Weyden pour créer des costumes dans des tons à dominantes brune, rouge et verte, exécutés, comme les décors, dans les ateliers de la Comédie-Française. Un tel raffinement serait louable sur le plan esthétique s'il n'apparaissait pas en décalage avec la nature des personnages de la pièce. Ainsi, l'élégance des coiffes des actrices, copies exactes de celles des religieuses de Bruges, n'a qu'un très lointain rapport avec les coiffures paysannes françaises du Moyen Age. L'incohérence des costumes a été relevée dès l'apparition de Violaine au Prologue : "Quelle est cette robe de Violaine en pleine nuit dans la grange, fraîche de couleur, sinueusement collée au buste, avantageant la poitrine en balconnets ? Pierre de Craon ne peut qu'être séduit, c'est certain"63. De même, à l'acte I, les dames de la ferme, savamment drapées d'écarlate rehaussée de vert émeraude, de gris argent et de blanc, "semblent descendues des miniatures du Missel du Duc de Berry"64. Anne Vercors s'apprêtant à partir pour Jérusalem est vêtu d'un habit monacal empesé, chapeau flambant neuf plaqué sur le dos, comme s'il était travesti pour quelque fête costumée. Que dire enfin du costume de Violaine à l'acte III ? Lépreuse depuis sept ans au fond des bois, elle y promène une robe soyeuse sur une taille bien corsetée, avec capuchon à volant plissé et demi-loup noir. Pour ces costumes comme pour les décors, Wakhévitch ne s'est soumis qu'à regret aux désirs de Claudel, qui lui a dit : "L'Annonce, c’est une opérette. Je veux les costumes en soie, brillants, brillants...", affirmation que le décorateur commente ainsi : "Ces paroles, je les reproduis fidèlement. Étaient-ce ces souvenirs du Japon qui lui revenaient en mémoire ? Pour ma part, je voyais mal Vercors, Mara, Jacques ou Pierre habillés en soie !"65. Effectivement, si une certaine liberté de recherche dans les costumes de L'Annonce n'est pas à exclure, elle ne doit pas aboutir à des incohérences.
28Le souci claudélien de réalisme décoratif se prolonge dans une recherche minutieuse d'accessoires nombreux et variés, constitués par autant d'objets réels dont la présence sur scène doit faire croire à ce qu'on voit. Ainsi, à l'acte I, Claudel se disant certainement que plus une salle de ferme sera "meublée", plus elle aura l'air réelle, n'hésite pas à faire ajouter à la table et à la cheminée, seuls éléments mentionnés dans le texte, un banc, des tabourets, un dressoir exposant de la vaisselle sur ses rayons, sans oublier un petit poêle pour les fers à repasser utilisés par la Mère. L'auteur manifeste même une manie des détails surprenante, réclamant pour les paysans de Chevoche de vraies tartines de pain qu’ils mangeraient tout en parlant, tenant à faire apporter par Jacques un petit coussin pour soutenir la tête de Violaine mourante sur la table de cuisine, se montrant très soucieux de la position de la lanterne de Mara accrochée au pupitre lorsqu'elle va lire les Évangiles de Noël. Une même volonté de peupler la scène se retrouve dans l'abondance des figurants, dont certains ont été recrutés parmi les élèves du Conservatoire. Le livre de régie n'en signale pas moins de dix-sept pour le deuxième tableau, au début de l'acte I : côté cour, se trouvent un homme âgé (le voleur de fagots), deux domestiques, deux hommes de ferme, quatre servantes et une fillette ; côté jardin on remarque quatre hommes, deux servantes et un garçonnet ; ces mêmes figurants – sauf le voleur de fagots – se retrouvent à la scène finale. Le tableau de la forêt de Chevoche utilise également dix-sept acteurs, en plus du Maire et de l'Apprenti : six hommes, parmi lesquels figurent Jean-Paul Belmondo, Jean-Pierre Marieile et Georges Descrières ; cinq femmes, dont Annie Girardot et Françoise Seigner ; enfin quatre figurants, une fillette et un garçonnet. Au début de l'acte III, ces nombreux personnages sont répartis sur toute la surface de l'espace scénique : au-devant, le Maire est entouré, côté cour, par quatre femmes accroupies devant un feu et deux hommes debout devant un des deux colosses de fagots, et côté jardin, par l'Apprenti et une femme contemplant l'autre colosse ; derrière eux, sur un praticable, six personnages forment une ronde, entourés d'un côté par un homme et une femme en train de discuter, et de l'autre par un couple qui danse. Jamais autant de personnages n'avaient occupé le plateau dans les mises en scène précédentes de L'Annonce.
29Enfin, cet excès de réalisme, non content d'envahir concrètement la scène, s'introduit même dans le jeu des acteurs, particulièrement chez André Falcon (Jacques Hury) et Denise Noël (Mara). A la scène 3 de l'acte II, lorsque Jacques doit traduire sa fureur devant la révélation du secret de Violaine, il se lève d'un bond, saisit le couteau avec lequel elle a taillé une échancrure dans sa robe, puis tente de la poignarder avec un geste que Claudel semble avoir voulu inspiré de la tradition des pires traîtres de mélodrame, mais le regard de Violaine le paralyse et il laisse tomber le couteau. Cette réaction constitue une concession au mauvais goût par rapport au ton général de L'Annonce et cède à l'expression conventionnelle de la jalousie furieuse ; dans la vie réelle, un paysan peut avoir ce réflexe, mais dans la pièce, Jacques est plus qu'un quelconque paysan. Plus souvent encore que lui, Mara cherche à "faire vrai" en mimant la méchanceté et la violence de façon extérieure et souvent caricaturale ; car donner des coups de pied dans un tabouret, comme à la scène 2 de l’acte I, cracher par terre ou crier pour montrer qu’on entend faire triompher sa volonté, c'est se borner au côté le plus facile de l'interprétation du rôle, comme le remarquera Robert Kemp : "Denise Noël crie beaucoup. Elle risque d'abîmer sa jolie voix et d'autre part, crier pour faire la méchante est relativement un moyen commode et expéditif"66. Les excès de l'actrice apparaissent nettement dans la scène du miracle, dont le schéma reste le même qu'en 1948 : Violaine est immobile, assise sur le praticable face au public, tandis que sa sœur l'assiège par ses allées et venues. Mais Mara se trouve à présent perdue sur une scène beaucoup plus vaste que le plateau étroit du Théâtre Hébertot et ses déplacements s'amplifient exagérément, au point de devenir la véritable "marche scénique" dont Claudel avouait avoir horreur dans son manifeste de 1912. Par la suite, tous les mouvements de Mara sont excessifs. Lorsqu'elle découvre que Violaine est aveugle, le simple recul d'horreur, très juste psychologiquement, qu'elle avait en 1948 devient une interminable mimique d'effroi prolongée par une fuite. De même, quand elle se trouve agenouillée auprès de Violaine en lui présentant son enfant, au moment où elle s'écrie : "Ils voulaient me l'arracher..."67, elle bondit subitement telle une panthère et court se blottir à l'extrême gauche contre l'estrade où se trouve le pupitre, pour revenir presque aussitôt après s'asseoir tout contre sa sœur. Plus étrangement encore, lorsque Mara évoque son enfant en disant : "Violaine, c'est si doux ces petits” (p. 195), elle rampe le long du praticable pour se trouver à nouveau contre l'estrade et de là parle à sa sœur. La sortie de Mara à la fin de l'acte III est carrément ridicule : terrorisée par la parenté mystérieuse qu'elle vient de découvrir entre son enfant et Violaine, elle sort à reculons en se traînant sur les genoux, alors qu'en 1948 elle demeurait assise au pied du praticable, les yeux levés vers sa sœur, à la fois stupéfaite et effrayée. Ainsi, à la Comédie-Française, l'expressionnisme presque caricatural du jeu des acteurs frôle souvent le ridicule.
30Ces diverses manifestations d'un réalisme excessif n’en contrastent pas moins avec une exagération similaire dans la mise en évidence de la dimension symbolique de la pièce. Plus que jamais, L'Annonce apparaît en 1955 à son auteur comme une pièce essentiellement catholique, ainsi qu'il s'en explique dans une lettre adressée à une jeune Autrichienne68, lettre intégrée dans le programme de la Comédie-Française, lequel contenait également un résumé de la pièce concluant que "dans L'Annonce faite à Marie, la création entière est unie à Dieu dans un mystère profond"69. De fait, il est frappant de constater dans la mise en scène du Théâtre-Français, surtout quand on la compare aux précédentes, la très large place accordée au sens symbolique des gestes et des attitudes. Cet aspect se manifeste à la fois par l'application d'une certaine mimique corporelle et par une tendance à matérialiser sur scène de façon conventionnelle des éléments surnaturels, entraînant une même solennité emphatique.
31Le goût claudélien d'une mimique symbolique des gestes s'était déjà manifesté en 1948 mais ne s’était appliqué qu'à l'interprète de Pierre de Craon, Alain Cuny, car Jean Vernier s’était opposé à un tel style de jeu pour les autres acteurs. En 1955, Claudel demeure obstiné dans son idée, et voici notamment Violaine gagnée par cette mimique d'une réalité surnaturelle, qui se traduit particulièrement, d'après le livre de régie, à la scène 3 de l'acte IL L'héroïne ne peut y accomplir que deux sortes de gestes : élever lentement ses bras vers le ciel, puis les laisser retomber ; le reste du temps, elle garde les deux mains jointes cachées sous son scapulaire70. A des moments précis seulement, elle sort de son immobilité de statue pour animer d'un geste sa parole. Le premier mouvement a lieu à la réplique : "Je vous crois, je vous crois, Jacques !" (p. 169) : les mains de Violaine abandonnent le scapulaire et s'élèvent légèrement, mais il est difficile de donner une valeur précise à ce geste, car il semble motivé par une nécessité scénique ; c'est en effet l'instant où Jacques doit s'apercevoir de l'absence de son anneau et lui dire : "Montrez-moi votre main gauche" (p. 170). En revanche, la façon dont l'héroïne étend cette main vers son fiancé manifeste, par sa lenteur, une volonté d’ostentation : "Violaine regarde Jacques et de sa main droite soulève lentement son bras gauche tendu au bout duquel pend sa main sans anneau"71 : l'absence de l'anneau, lentement exposée, symbolise l'isolement choisi par Violaine. Un peu plus loin, apparaît le geste par excellence qui, en dehors même de tout contexte scénique, désigne Dieu : lorsque Violaine affirme que l'unique témoin de son union avec Jacques est "ce Seigneur dont nous tenons seul le fief" (p. 171), sa main droite fermée s'élève lentement et monte tandis qu'elle poursuit : "Et ce n'est point le soleil de Juillet qui nous éclaire, mais la lumière même de Sa face" (p. 171). A ces derniers mots, la main levée vers le ciel s'ouvre et le regard de Violaine suit son mouvement jusqu'au début de la réplique suivante de Jacques, où son bras s'abaissera lentement. Le même geste se renouvelle exactement après bien des répliques, quand l’héroïne avoue son secret : elle élève son bras vers le ciel et sa main s'ouvre, puis en enchaînant par l'évocation de "la fournaise de ce terrible soleil ici présent" (p. 174), elle laisse retomber lentement ses mains. Ce geste, qui donne à Violaine une solennité de prêcheuse, évoque certainement la main de Dieu qui est sur elle, mais il enferme l'actrice dans une attitude monolithique provoquant une immobilité figée du corps, rompue seulement par ces mouvements monotones et solennels qui en font déjà la lépreuse sacrifiée de la fin, dimension essentielle de l'héroïne sur le plan symbolique. Un seul geste retrouve une inspiration plus poétique : c'est lorsque la jeune femme proteste pour elle seule de son innocence en murmurant qu'elle n'est "point damnée" mais "douce, douce Violaine !" (p. 176). A cet instant, "sa main gauche prend son poignet droit, son bras droit étant levé et sa main droite à la hauteur de son épaule. Elle incline la tête contre le revers de sa main en disant ces mots"72 : il y a là une attitude très gracieuse et une tendresse fragile, masquées par la solennité de la Violaine "officielle".
32En plus de son goût pour une gestuelle symbolique, Claudel entend traduire la dimension sacrée de sa pièce en appliquant des archétypes plaqués sur la nature de certaines situations ou sur le jeu de certains acteurs, cmme l'a très bien senti Henri Gouhier :
M. Julien Bertheau (mais nous savons que c'est plus exactement Claudel) a fait jouer l'étrange mystère selon "les formes" au sens platonicien de ce mot : il y a dans la tradition pédagogique du théâtre des personnages archétypes, le père noble, le jeune premier, le traître, etc... Il y a des attitudes archétypes pour l'expression de l'amour heureux, malheureux, du repentir torturant, des sentiments sublimes, de la prière, etc... Acteurs et actrices gesticulent, crient, marchent selon les règles, solennels ou frénétiques en vertu d'un canon pédagogique73.
33Ces "formes", plus que dans "la tradition pédagogique", Claudel les a certainement prises dans une symbolique venue à la fois du théâtre extrême-oriental et de l'église catholique. Ces "archétypes" se remarquent essentiellement dans des attitudes et des gestes caractéristiques, qu’il convient d'analyser à deux moments particulièrement probants, la scène 3 de l'acte I et la fin de la scène 2 de l'acte III.
34A la fin de l'acte I, Anne Vercors, après avoir uni Jacques et Violaine, fait ses adieux à sa famille debout devant le trou du souffleur ; les autres personnages – sauf Mura qui se colle contre une colonne près de la table – sont serrés près de lui, tournant le dos à la table que dressent les figurants : il n'y a pas de lien entre le lyrisme des paroles du Père écoutées par les siens et le travail ménager de la ferme. Quand les servantes ont fini de dresser la table, Anne commente le sens du chant du loriot et les figurants forment alors un large demi-cercle dont l'ouverture est tournée vers le groupe des maîtres au premier plan, afin de donner plus de solennité aux paroles patriarcales que la ferme entière écoute : on sent que la table "attend"74. L'avancée du Père vers la table est conçue d’abord d'une façon naturelle : il remonte en s'arrêtant un instant devant chaque objet qu'il nomme, "la cheminée", "la grande table" (p. 161). Mais quand il dit "Prenez place tous !", un mouvement des personnages lourd et encombré se dessine : la Mère, Jacques et Violaine remontent vers le haut de la scène où se trouve la table, tandis que Mara se dirige vers la rampe et que les serviteurs descendent à l'avant-scène, formant un nouveau demi-cercle dont l'ouverture est tournée cette fois vers la table75. Ces changements de place ne manifestent aucun naturel, mais plutôt une lourdeur solennelle marquant une préparation voulue de toute l'atmosphère pour le symbole qui va suivre, le partage du pain. Ce passage a depuis toujours été symbolique pour Claudel et souligné notamment par un accompagnement musical ; mais dans les mises en scène précédentes, les gestes du Père et l'attitude des assistants restaient familiers, emplis d'une émotion grave n'allant pas au-delà de l’évocation d'un repas de paysans. Or en 1955, toutes les évolutions antérieures, tout le style de jeu ont préparé le symbole qui, en fait, apparaît comme un archétype dans une pièce d'inspiration catholique : le pain du repas, c’est le corps du Christ. Claudel exploite à fond cet aspect sacré en copiant la représentation picturale traditionnelle de la Cène, mais la grandiloquence l'emporte sur la vérité, comme en témoigne le geste d'Anne qui "prend le pain, l'élève comme une hostie (tout le monde baisse la tête), puis avec le couteau fait une croix dessus"76. En comparant deux photos de ce même tableau, prises en 1948 et en 1955, on perçoit toute la différence entre l'image émouvante et réaliste du dernier repas du Père avec les siens au Théâtre Hébertot et l'insistance sur le symbole religieux à la Comédie-Française, qui nous lait assister à une véritable bénédiction77.
35La mise en scène d'un archétype se manifeste également à la fin de la scène du miracle, en particulier au moment où, après avoir redonné à Mara son enfant vivant, Violaine monte sur l'estrade où sa sœur a lu l’Évangile. En s'écriant alors "Paix aux hommes sur la terre !" (p. 201), elle s'immobilise dans une prière, debout, face au public, les bras en croix. Julien Bertheau a justifié cette attitude en prétendant avoir voulu que Violaine se détache sur le décor en ruines, triomphante et sainte comme une image de vitrail. Mais, d’après une photo de ce passage, l'attitude mélodramatique de l'héroïne semble plutôt illustrer la conception claudélienne selon laquelle, comme l'écrit Henri Gouhier, "il y a des attitudes archétypes pour l'expression [...] de la prière"78. Or celle-ci se révèle la plus terriblement théâtrale, au mauvais sens du mot. Combien la Violaine des premières versions était plus émouvante lorsqu'elle faisait simplement quelques pas chancelants sur la neige dans les premières lueurs du jour, tremblante du miracle obtenu ! Ainsi, la matérialisation scénique des symboles ressemble bien souvent à l'application de conventions. Solennelle, voire emphatique, peu à peu dépourvue de complexité, la mise en scène enferme situations et personnages dans les limites d'une signification trop étroite.
36Il peut paraître injuste d'imputer essentiellement voire uniquement à Claudel les maladresses d'une mise en scène qui caricature autant l'aspect réaliste de la pièce qu'elle en souligne lourdement la dimension symbolique, dans la mesure où les indications du livre de régie sont tout de même de Julien Bertheau. Mais, outre que ce dernier mentionne souvent la remarque "dixit Claudel" prouvant bien qu'il ne fait qu'exécuter ce que l’auteur a décidé, l'examen d'un passage précis tend à confirmer que Claudel est bien le responsable de la lourdeur caractéristique de cette mise en scène. Il s'agit de la scène 5 de l'acte II, que Julien Bertheau, exceptionnellement, a travaillée seul, sans l'intervention du dramaturge79. Or, il est frappant d'y constater une liaison très étroite et très juste entre les paroles du texte et les mouvements des personnages, sans qu'aucune volonté de symbole ne se manifeste plus. Les quatre personnages présents, Violaine prête à partir pour la ladrerie du Géyn, Mara et la Mère auxquelles elle annonce son départ imminent, Jacques enfin qui va tenter de le justifier, évoluent devant un rideau de scène supprimant toute localisation, et le metteur en scène s'attache à démontrer par leurs gestes et leurs attitudes les vérités cachées derrière leurs paroles. Chaque position des uns par rapport aux autres est significative, mais psychologiquement, dans le moment présent. Les deux orientations qui guident la mise en place des acteurs sont la résignation de Violaine et le perpétuel barrage établi entre elle et la Mère. Ainsi, au début, Violaine reste à l'extrémité du côté jardin, laissant Jacques donner les explications. Mais en demandant "C'est toi qui le veux ainsi, Violaine ?" (p. 178), la Mère va vers elle, passant devant Jacques, suivie par Mara prête à la retenir. Jacques étend le bras devant la Mère et invite Violaine à passer devant lui ; elle obéit en allant se réfugier à droite du trou du souffleur, et pour masquer ce mouvement de fuite, Jacques devient soudainement volubile dans ses explications. Puis c'est au tour de Violaine d'intervenir, et les mouvements de ses partenaires ont pour but de souligner le mensonge de paroles douces et amères telles que : "Ne suis-je pas sûre de votre affection ? et de celle de Mara ? et de celle de Jacques, mon fiancé ?" (p. 179). A ces mots, Mara "se détourne et lait un pas pour s'éloigner", puis Jacques "se détourne lui aussi lentement, gêné"80, avant de dépasser la Mère et de rester dos tourné aux autres pendant que sa fiancée affirme : "Rien ne peut nous séparer". A présent, c’est Mara qui fait rebondir l'action en empêchant la fuite de Jacques : lorsqu'elle demande "Et vous, Jacques, que dites-vous ?", elle le regarde, puis va à lui en passant derrière Violaine et devant la Mère ; elle les dévisage tous avec une cruelle froideur, puis revient à Violaine en achevant son mouvement en huit, pour lui dire : "Écoute, Violaine, comme il a bien dit ça !", avant de s'éloigner avec mépris. Cette intervention de Mara a redonné sa présence d’esprit à Jacques qui se rapproche de Violaine pour lui murmurer, comme il se doit, des promesses amoureuses : "Voyez que je ne doute pas de votre amour" (p. 180). Mais il y a une telle froideur entre les deux fiancés, une telle absence de conviction dans les paroles de Jacques, que la Mère revient de la stupeur où l'avaient laissée tous ces mouvements et ces paroles étranges. Contre elle et Violaine, Jacques et Mara commencent à s'unir : Mara se dresse devant la Mère pour l'empêcher de rejoindre Violaine ; la Mère la repousse, tout comme elle écarte ensuite Jacques qui lui barrait le chemin. Mais Violaine elle-même constitue le dernier obstacle en refusant d'être embrassée par la Mère et en reculant de deux pas. Enfin, la Mère bénit sa fille qui part avec Jacques tandis que Mara se tient en arrière. L'unité de la mise en scène de ce passage, serrant le texte au plus près, est ici remarquable. Le dialogue si déchirant entre les quatre personnages s'accompagne d'un chassé-croisé implacable séparant jusqu’au dernier moment la Mère de sa fille : Julien Bertheau résumait son travail en baptisant cette scène "la tapisserie des mensonges"81. Sans plus aucun ornement symbolique, sa mise en scène personnelle retrouve ici cette simplicité, cette justesse psychologique et cette qualité d'émotion qu'elle a perdues dans la plupart des autres tableaux, où se reflètent les intentions de Claudel.
37Il faut cependant reconnaître une originalité intéressante à la conception claudélienne de la mise en scène, c'est le traitement particulier et la valorisation du personnage de Mara. On sait que depuis le nouvel acte IV de 1938 l’auteur a profondément ressenti l'importance de ce rôle, bien servi par Carmen Duparc au Théâtre Hébertot. En 1955, cette importance lui paraît toujours aussi évidente et il souligne par exemple avec quelle force "Mara extorque à sa sœur"82 la résurrection de son enfant. De fait, à la Comédie-Française, Mara, nettement distincte des autres personnages, est vraiment au premier plan.
38Cette mise en valeur de Mara apparaît dans la mesure où elle se montre active dans la conduite de l'action, par rapport à la résignation de la Mère ou de Violaine et à l'aveuglement de Jacques. Deux passages révèlent particulièrement comment Mara mène le jeu, la scène finale de l'acte II et celle du miracle. L’analyse de la mise en scène réglée par Julien Bertheau lors des adieux de Violaine à sa famille a déjà permis d'entrevoir comment Mara elle seule joue avec aisance, voire avec plaisir, en opposition à l'embarras de Jacques et à l'étonnement de la Mère. Entre les quelques répliques qu'elle prononce, elle se permet toute une mimique : ricaner ironiquement aux fausses explications de Jacques, sourire en observant sa gêne lorsque Violaine le regarde. Elle évolue librement sur la scène, passant devant chaque personnage, dévisageant cruellement l'un ou l’autre, épiant leurs moindres mouvements : ainsi, non seulement elle sépare Violaine et la Mère, mais elle attire Jacques à elle : "Mara, sans quitter Jacques du regard, recule vers l'extrême-jardin. Jacques la suit comme fasciné"83. L'autre scène où Mara excelle dans son rôle de meneur de jeu, celle du miracle, a été elle dirigée par l'auteur, comme le prouvent, dans le livre de régie, les nombreuses mentions "dixit Claudel". Certes, nous avons vu comment, à ce moment, le jeu de Denise Noël manifeste une violence excessive, parfois presque ridicule, mais il traduit, malgré ses maladresses, toute l'énergie du personnage qui, contrairement à ce qui se passait dans la mise en scène du Théâtre Hébertot, ne connaît plus à présent de moments de faiblesse ou d'épuisement. Même les supplications de Mara semblent moins constituer des appels à la pitié qu'un corps à corps émouvant avec Violaine. Ainsi Mara s'efforce de réveiller dans le corps de "l'ennemie" les réflexes de vie et de nature. A cet effet, en disant "Violaine ! s’il y a encore quelque chose de vivant..." (p. 193), elle s'agenouille près de sa sœur, lui donne le corps de l'enfant et guide la main de la lépreuse sur le petit visage glacé. Il faut que Violaine s'aperçoive de celte présence tout contre elle, il faut qu'elle réapprenne la douleur d'un corps de femme ; c'est pourquoi, en évoquant "ce lait qui [lui] cuit aux seins" (p. 194), "Mara palpe Violaine de bas en haut, la "gravit" (dixit Claudel) de la main droite et de la main gauche"84. Un autre beau moment scénique apparaît lorsque Mara va à Violaine en s'écriant : "Eh bien ! je cède, je m'humilie !" (p. 196) : elle se jette à genoux près d'elle et ses mains glissent le long du corps de sa sœur comme pour le caresser et le forcer. Ici, le rôle de Mara est dirigé dans le sens d'une horreur sacrée, d’une lutte physique avec Violaine, qui paraissent très authentiques par rapport au texte et élèvent le personnage au-dessus du niveau de la méchanceté conventionnelle de la plupart des autres passages.
39Isolée par son style de jeu, meneuse de l’action, Mara est enfin valorisée dans la mesure où, par ses attitudes, ses mouvements, ses réactions, elle fait sentir qu'elle est au centre du drame. A cet égard, l'exemple le plus frappant est la scène des adieux du Père. Nous avons vu comment, avant le partage du pain, les personnages étaient placés au fond du plateau, avec le demi-cercle des figurants tournés vers eux. Lorsqu'Anne Vercors s'apprête à partir, serrant sa femme dans ses bras, Mara s'avance seule jusqu'à la rampe, les figurants s'écartant pour la laisser passer. Elle se trouve donc au premier plan, face au public85, et Anne, pour lui dire adieu, est obligé de descendre jusqu'à elle. Ces deux déplacements, en rupture avec l'immobile solennité de tout le moment précédent, attirent fortement l'attention sur les adieux du Père à Mara. On peut supposer que celle-ci s'est isolée parce qu'elle ne désirait pas le saluer avant son départ et ce trait d'agressivité force le caractère du personnage. La même sécheresse se retrouve dans la réaction de Mara aux paroles paternelles : "Adieu, Mara ! sois bonne" (p. 162), car à cet instant "Mara se tourne vers Anne et s'agenouille pour dire "Adieu Père !" d'un ton sec, puis se relève"86. Si ces adieux de Mara et d'Anne sont mis au premier plan alors que rien dans le texte ne le justifie et qu'aucun metteur en scène jusqu'ici ne les avait présentés ainsi, c'est certainement pour montrer comment Mara s'isole volontairement dans le mal. Le Père doit sentir qu'après son départ elle donnera libre cours à ce mal qui est en elle et il semble lui accorder l'attention particulière qu'on manifeste à un enfant difficile. Cette image de l'isolement de Mara dans le mal réapparaît lorsque le Père, de retour à la table, prononce ses dernières paroles d'adieu ; "Il donne ses mains à Violaine et à la Mère. Le mouvement se propage à tous les figurants : le cercle se referme. Seule Mara en est exclue"87. Enfin, quand Anne Vercors a disparu, tous les personnages amorcent un mouvement général de départ, sauf Mara qui reste immobile, et c’est sur son image que finit le premier acte. Le personnage de Mara a donc spécialement intéressé Claudel, qui a concentré sur elle toute la vie et l'animation de la mise en scène ; c'est à son propos que se manifestent les trouvailles ingénieuses qui lui sont venues à l'esprit.
40Malgré cet aspect original, il faut reconnaître que, dans son ensemble, la dernière vision scénique de L'Annonce conçue par son auteur est bien décevante et se révèle même la plus faible de toutes celles auxquelles il a collaboré. Le texte de la pièce se trouve excessivement doublé – et ainsi affaibli – par une trop grande richesse d'éléments extérieurs, à la fois sur le plan matériel, par la variété des décors, le maniérisme des costumes, l'abondance des accessoires et des figurants, sans parler de la présence de la musique, et dans le jeu des acteurs, qui en ajoutant une lourde signification aux gestes et aux attitudes, conduit souvent à la grandiloquence. Dès lors, écrasée sous le luxe et la solennité de la Comédie-Française, L'Annonce rompt tout contact avec une émotion véritable. Se peut-il que Claudel n'en ait pas eu conscience et qu'il se soit sincèrement montré satisfait ? Il réagissait certainement davantage en homme comblé par sa consécration sur la plus prestigieuse scène française qu'en dramaturge et metteur en scène soucieux d'esthétique théâtrale. Toujours est-il que le résultat de son travail va être fort mal reçu.
4. Un accueil très négatif
41La dernière mise en scène de Claudel se révèle certainement la plus mal accueillie. Alors que les représentations tant attendues de L'Annonce à la Comédie-Française revêtent dans la salle les apparences du plus grand succès, jamais en fait aucune autre adaptation scénique de la pièce n'a été si vivement contestée par l'ensemble de la critique.
42En apparence, le Théâtre-Français semble enfin consacrer le véritable triomphe parisien de L'Annonce. C'est du moins l'impression donnée par les journaux qui, après avoir souvent évoqué les répétitions, présentent très précisément les préparatifs et le déroulement de la générale du 17 février.
43Depuis les dernières semaines de 1954, les lecteurs des journaux parisiens ont été informés des péripéties liées à l'entrée de L’Annonce à la Comédie-Française. Le public se trouve donc tenu en haleine et les derniers jours qui précèdent la générale ne font qu'aviver la tension en annonçant le spectacle comme un événement unique. Ainsi, les portes du théâtre seront exceptionnellement fermées dès le lever du rideau, car selon Paris-Presse du 16 février "L'Annonce est suspense dès la première scène et, circonstance aggravante, le premier tableau se passe dans une pénombre qui n'a nul besoin de l'éclairage bienveillant des ouvreuses", de sorte que les retardataires devront attendre le premier entracte pour voir la pièce. De plus, le public sera choisi et le grand chef du protocole du Théâtre-Français, Marcel Idzkowski, est très occupé à placer au mieux les nombreuses personnalités qui seront présentes, tenant en particulier à aménager une rangée occupée uniquement par des académiciens. Trois jours avant le "grand soir", une conférence de presse, bien que très brève et plutôt frustrante pour les journalistes, résume la satisfaction de l'auteur, du metteur en scène et de l'administrateur général, se couvrant d'éloges mutuels. Claudel, pour sa part, déclare : "Grande est ma joie de voir enfin luire le jour que j'attendais depuis si longtemps [...]. C'est un grand jour pour le théâtre et pour moi"88.
44Le 17 février fut effectivement "un grand jour", sinon pour le théâtre, du moins pour Claudel. Le poète-dramaturge, assis au premier rang d'orchestre à côté d'Henri Mondor – qui a écrit un texte de présentation à sa gloire dans le programme du spectacle89 – savoure son triomphe, consacré par une longue ovation finale du public levé. Cette gloire du dramaturge octogénaire, parfois comparée à celle du vieux Voltaire couronné sur scène, ne manque pas d'être raillée par certains journaux : Le Canard enchaîné écrit le 2.3 février que "le vieux Claudel est devenu le patriarche vénéré, le saint-patron de la IVe République. C'est tout juste si le président Coty ne baisait pas les pans de son habit comme une relique". Ce triomphe n'en a pas moins un aspect émouvant lorsqu'on songe à l'indifférence dont l'auteur a pendant si longtemps été l'objet, et il est heureux que L'Annonce en soit l'occasion, alors que tant de représentations précédentes l'avaient déçu. Malgré son succès, le dramaturge ne perd aucunement la capacité d'émotion qu'a toujours suscitée en lui sa pièce : les journalistes le décrivent pétrissant sa canne, les yeux rivés sur ses interprètes, leur mâchant les mots à distance, approuvant çà et là, bref vivant véritablement avec eux.
45La consécration de L’Annonce et de Claudel revêt un prestige d'autant plus grand qu'elle émane d'une salle composée d'un public exceptionnel, au cours d'une soirée de gala apparaissant comme une véritable cérémonie mondaine que l'auteur a réglée lui-même dans les détails. Dès 20h 30, le parking de la Comédie-Française est occupé par plusieurs voitures du corps diplomatique, qui ne donnent qu'un petit aperçu de la qualité du public. Le président de la République, René Coty, et son épouse sont présents, peut-être en vertu de l'aspect national de la pièce revendiqué par son auteur. Parmi d'autres personnalités politiques, on remarque Paul Reynaud, le Ministre de l'Éducation nationale M. Berthoin, le général Corniglio-Molinier. L'Académie française se trouve représentée par quatorze de ses membres entourant Claudel, parmi lesquels on remarque Georges Duhamel, Fernand Gregh, François Mauriac, Maurice Genevoix, Pasteur Vallery-Radot, Maurice Garçon, le Maréchal Juin, Jules Romains, Émile Henriot et André Maurois90. Le monde du théâtre, évidemment présent, apparaît à la fois à travers des directeurs comme Benoît Léon-Deutsch et Simone Volterra et des actrices comme Mony Dalmès et Madame Simone. Figurent également des représentants de la littérature, Jean Sarment et Paul Vialar, de la banque, M. Baumgartner, de la haute couture, Marcel Rochas, et du "monde" en général, le comte de Billy et Edmée de La Rochefoucauld, sans oublier Maria Scibor coiffée d'une couronne de lauriers d'or. Au début du spectacle, tout ce beau monde semble manifester une grande attention, d'autant plus remarquée par les journalistes qu'elle n'est pas coutumière d'un public de gala. L'un d'entre eux, Pierre Macaigne, écrit même : "Pendant la scène entre Jacques et Violaine, c'était un silence de cathédrale, un silence au cours duquel j’ai vu couler des larmes sur des visages où je ne les attendais pas". Ensuite, un long entracte permet au public d’apaiser son émotion en se livrant aux rituels de la vie mondaine. Pendant qu’une véritable marée humaine tente d'atteindre un somptueux buffet, Claudel, entouré de tous les acteurs, reçoit dans un salon les hommages du président de la République. Après ces mondanités, la salle se montre peut-être moins attentive pour apprécier la suite de la représentation, mais à la fin elle acclame le spectacle.
46Personne n'est dupe – y compris Claudel – des réactions d'un tel public, venu autant, sinon plus, pour se montrer que pour s'intéresser à la pièce, et la plupart des journalistes ne se privent pas de railler l'aspect mondain de cette générale, tout en sous-entendant la médiocrité du spectacle. Le Monde du 18 février estime que "M. Coty, dans une avant-scène côté cour, avec son habit barré du grand cordon de la Légion d'honneur, et Mme René Coty, entourée de chantilly noire, furent tous deux plus applaudis que les décors de Wakhévitch". Ce même jour, L’Aurore signale que le préfet de police André Dubois "entre deux reptations pour atteindre le buffet, s'exclamait de temps en temps : "C'est une belle, une très belle œuvre", et que la princesse Bibesco, tout en constatant une proximité entre son appartement et celui où vivait naguère le président de la République, avait quand même avoué que L'Annonce constituait un spectacle "ravissant et d'une merveilleuse architecture". Ainsi, même si elle a suscité une belle émotion chez certains, la pièce n'est le plus souvent qu'un prétexte à divertir le public mondain et frivole des soirées de gala.
47Aussi les gens qui, à défaut de pouvoir se trouver dans la salle Richelieu, ont regardé ce même soir la télévision, en auront-ils peut-être plus appris sur L'Annonce et sur Claudel. En effet, prolongeant l'effet médiatique de la presse, le petit écran consacre sa soirée du 17 février à l'entrée de la pièce au Théâtre-Français. L'émission n’a pas pour but de diffuser intégralement la représentation de L'Annonce ; les téléspectateurs peuvent seulement assister en direct aux deux extrémités de la soirée : d'abord, à 20h 20, une caméra dissimulée dans la fosse d'orchestre permet de montrer la salle avant l'ouverture des portes puis de saisir l'arrivée du public, et à la fin, à 23h 30, on peut voir la dernière scène de la pièce et les applaudissements qui suivent. Entre ces deux moments, un documentaire tourné par Pierre Tchernia et François Chatel évoque la préparation du spectacle, présentant successivement les premières lectures de la pièce, une séance de répétition et le déroulement d'une scène de l'acte I. La répétition dirigée par Claudel constitue certainement l'aspect le plus intéressant : on y voit l'auteur indiquer avec précision et fermeté certains détails de prononciation91, conseiller des gestes en montrant lui-même comment les effectuer, chanter même Marguerite de Paris afin de bien en faire comprendre la mélodie ; il n’est donc pas étonnant qu'il avoue à Julien Bertheau : "J'ai toujours rêvé d'être comédien".
48Cependant, alors que le dramaturge est célébré sur l'écran de la télévision et dans la salle de la Comédie-Française, il ne se doute certainement pas que, quelques jours plus tard, la plupart des journaux vont très mal juger la mise en scène de L'Annonce, ni qu'il mourra avant de pouvoir connaître toutes les critiques formulées à son égard.
49A vrai dire, même s'ils demeurent rares au sein d’une critique très abondante, quelques jugements défendent le spectacle du Théâtre-Français. Certains d'entre eux semblent plus motivés par des considérations sentimentales que par des opinions véritablement esthétiques en voulant excuser soit Julien Bertheau, soit Claudel. Ainsi Jérôme Pascal, tout en reconnaissant dans La Tribune des nations du 11 mars la médiocrité du spectacle, défend le metteur en scène et l’équipe de la Comédie-Française dans son ensemble, car "elle n'a aucune raison de savoir ni de pouvoir jouer du Claudel. Rompue à Racine et à Marivaux, comment pourrait-elle aborder cette terre vierge ?”. L'auteur, lui, se trouve curieusement défendu par le premier décorateur de L'Annonce, Jean Variot. Ce dernier est gêné d’avoir lu, sous la plume de plusieurs critiques92, que les trois humbles soirées de la création de 1912 ont plus fait pour la pièce que tout ce que la première scène nationale vient de réaliser et il écrit, avec modestie et sincérité :
Je ne discute pas le "non décor", l'ayant pratiqué après L'Annonce [...]. Mais j’estime qu’il ne faut en rien systématiser [...]. Un grand théâtre admirablement outillé doit pouvoir monter une pièce avec tous les décors voulus et décrits par un auteur.
J’ai connu Claudel. S’il avait la tête dans le ciel, il avait les pieds sur la terre. Avec la plus parfaite courtoisie, il savait très bien repousser ce qu’il jugeait contraire à l’esprit de ses œuvres. Je sais de bonne source que rien n’a été fait au Théâtre-Français sans son assentiment formel. Il n’a pu se passer pour L'Annonce que ce qui s’était déjà passé sur la même scène pour L'Otage et pour Le Soulier de satin. Claudel n’était pas un caractère passif, et je crains que ce soit manquer à sa mémoire que de traiter avec tant de virulence ce qu’il a formellement approuvé voire conseillé93.
50En dehors de ces jugements qui prennent délibérément parti pour un individu, d'autres critiques défendent plus nettement le spectacle pour lui-même. Certains l'apprécient sur le plan esthétique : Paul Gordeaux affirme dans France-Soir du 21 février que "les décors de Wakhévitch sont nombreux, évocateurs et beaux, et la mise en scène de Julien Bertheau émouvante et noble" ; René Gordon écrit dans Les Dernières Nouvelles d'Alsace du 28 février que "l'ensemble est illustré dans des couleurs d'une délicate harmonie". C'est pour une raison plus profonde que, dans Les Lettres françaises du 24 février, Elsa Triolet loue avec insistance une mise en scène, où par rapport à celle de Jouvet, "le mystère s’est clarifié" ; "le grand mérite de Julien Bertheau est d'avoir humanisé cette œuvre, de l’avoir rendue émouvante en la rapprochant de notre pauvre vie de feu et de cendres". Les interprètes contribuent-ils à créer cette émotion ? Il ne le semble guère, à l'exception d'une actrice presque unanimement appréciée, même par ceux qui n'approuvent rien d'autre dans le spectacle, Denise Noël. Cette performance n'est pas étonnante puisque la mise en scène a heureusement fait un sort particulier à Mara : ayant été dirigée en échappant à toute lourdeur symbolique, Denise Noël s'écarte du jeu artificiel reproché aux autres interprètes. Parmi les nombreux témoignages en sa faveur, Georges Hilaire écrit dans Dimanche-Matin du 27 février : "Denise Noël est la seule héroïne de la troupe qui soit faite d'os et de chair et compose une Mara fort élégante, vibrante, touchante, vindicative, quand on ne l'oblige pas à pousser des hurlements d'égorgée de Grand-Guignol". Marcelle Capron, dans Combat du 22 février, nous la fait encore mieux vivre en l'évoquant ainsi :
Imaginez une de ces figures tourmentées, déhanchées, opposées aux saintes figures d'un portail de cathédrale. En robe rouge, enveloppée du reflet des flammes de l'enfer, elle s'anime d'une fureur diabolique et harcèle sa victime avec l'implacabilité du mal. Le démon des mystères et des miracles s'est fait femme et il a habité parmi nous.
51Denise Noël ne se montre donc pas indigne des précédentes grandes interprètes de Mara qui, comme Marcelle Frappa, Mary Dietrich et Carmen Duparc, ont su donner vie à ce personnage éminemment théâtral. Même le critique du Monde, Robert Kemp, qui lui reproche pourtant de trop crier, reconnaît qu’"elle crie juste" et lui est de plus "reconnaissant de sa plastique". D'ailleurs, Robert Kemp aime tant le théâtre de Claudel, "ce que nous avons donné au monde de plus beau en ce siècle", que L'Annonce de la Comédie-Française lui paraît un spectacle "souvent fort beau", malgré "un excès de solennité".
52Mais ces quelques remarques laudatives ne constituent que des exceptions au sein d'une critique rarement aussi négative dans son ensemble. A l'inverse des anthologies qui retroupent les formules les plus élogieuses des journalistes, il serait beaucoup plus aisé de dresser un catalogue des condamnations. Quelques titres d'articles donnent déjà le ton : "L'Offense faite à Marie" (Dimanche-Matin du 27 février), "Le Martyre de Violaine" (L'Express du 26 février), "Amour, des lys et morgue" (Le Canard enchaîné du 23 février), "L'Annonce laite au mari", commentaire d'un dessin du caricaturiste Sennep94. Certaines phrases pour le moins catégoriques continuent de nous édifier : "L'Annonce à la Comédie-Française est d'un bout à l'autre un tissu d'erreurs et de contresens", conclut Francis Ambrière dans un article des Annales d’avril 1955. "Tout le spectacle est un trompe-l'œil", affirme Guy Verdot dans Franc-Tireur du 21 février. André-Paul Antoine n'hésite pas à avouer dans L'Information du 23 février qu'il a "l'impression d'avoir passé trois heures chez les fous". Ces flèches assassines ne font qu'exacerber l'opinion générale d'une critique qui, à défaut d'être analysée dans tous ses détails, sera envisagée en fonction des principales cibles de ses attaques.
53L'impression d'emphase qui contamine tous les aspects de la mise en scène suscite le plus nettement la réprobation. Il est certain que Claudel avait voulu donner au spectacle une solennité souvent excessive, qui s'est révélée maladroite, voire ridicule. Max Favalelli constate dans Paris-Presse l'Intransigeant : "S'il est un vaccin contre l'emphase et le manque de simplicité, comparable à celui que l'on emploie contre la variole, vite que M. Pierre Descaves le fasse inoculer à la presque totalité de sa troupe !". Cette boursouflure est surtout dénoncée dans les gestes des acteurs, spécialement lors de la cérémonie du pain qui, par exemple, fait se demander à Georges Hilaire : "A-t-on jamais vu un laboureur champenois manier le pain comme un ostensoir et le partager avec la solennité ridicule d’un empereur byzantin ?". De même, le baiser de Violaine à Pierre devient pour Beatrix Dussane "une interminable étreinte de cinéma sur laquelle s'éteint la lumière et se baisse le rideau"95. L'aspect stéréotypé de la plupart des gestes se trouve ainsi raillé et Morvan Lebesque remarque dans Carrefour du 23 février que les acteurs "ne peuvent parler du ciel sans lever les bras (une, deux !), de l'amour sans faire des yeux blancs, de la terre sans frapper du pied". L'emphase est également dénoncée dans la diction, jugée trop apprêtée : Morvan Lebesque enchaîne en estimant que les interprètes "ne savent même pas dire oui ou non comme tout le monde". Au lieu de mettre en valeur la respiration et la musicalité du vers claudélien, on le débite par saccades en minaudant, au point que, selon La Tribune des nations, "on croit entendre du Bourdet". Et lorsque les sociétaires de la Comédie-Française, au début de l'acte III, se piquent de "patoiser" en incarnant les paysans de Chevoche, ils n'aboutissent selon Franc-Tireur, qu’à une "savante chienlit". La musique de Maria Scibor, qui avait été plutôt appréciée en 1941 dans la mise en scène du Rideau des Jeunes et en 1948 au Théâtre Hébertot, renforce dans ce contexte la solennité artificielle de l'ensemble en apparaissant comme un élément superfétatoire : "Qu'ajoutent les chants, les cantiques, les motets et les répons au lyrisme profond du verbe claudélien ?", se demande Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro du 21 février, d'autant plus que ces chœurs d'église doivent désormais meubler les changements de décors et acquièrent "une place démesurée". Loin de laisser libre cours à l'imagination, comme le souhaitait Claudel lorsqu'il rêvait à une Annonce musicale au Théâtre Pigalle, la musique scénique restreint ici la portée de la pièce à son seul aspect religieux, en accord avec la symbolique des gestes, et "donne l'impression que l'on veut forcer le spectateur à la prière", ainsi que l'écrit Léon Savary dans La Tribune de Genève du 4 mars.
54A cette dénonciation de l'emphase débouchant sur l'artifice se joint une condamnation des décors qui, par leur luxe ostentatoire, évoquent plus l'atmosphère de l'Opéra-Comique que celle d'un mystère. Une telle incongruité surprend d'autant plus que le travail de Wakhévitch semble avoir été apprécié auparavant par les critiques, mais on sait que ces décors ont été voulus par Claudel. Les journalistes rivalisent de férocité en fustigeant tour à tour les différents tableaux tant pour leur inadaptation que pour leur laideur. Il paraît effectivement incohérent, à l'acte I, d'avoir "planté, de biais, comme un palmier dans un salon bourgeois, une croix géante portant (sous le ciel de Reims !) l’anatomie féroce du Dévot Christ catalan de Perpignan"96. La grange du Prologue, avec ses allures de cathédrale, est comparée par Robert Kemp à "l'atelier de Joseph devenu Vel'd'Hiv". L’incohérence le dispute à la laideur lorsque se trouve évoqué le décor de ruines de l'acte III, "solidement construit et prétentieusement évanescent", comme le résume Jacques Lemarchand dans Le Figaro littéraire du 26 février. Ces pans de muraille où la guerre a miraculeusement et soigneusement déchiqueté une chaise élevée – d'où Mara lit les textes de Noël – font penser, selon Léon Sévary, à des "ruines pour étrangers abonnés à une agence de voyage", au lieu de traduire l'authenticité des grès aux formes fantastiques qui ont inspiré l'auteur. Mais c'est plus encore à propos du tableau censé représenter le verger en fleurs de l'acte 11 que les critiques se déchaînent, tant leur indignation stimule la férocité de leur imagination. Ce décor, qui loin d'exprimer la sérénité biblique du Cantique des Cantiques apparaît comme une armature métallique ornée par endroits de coton hydrophile97, évoque tour à tour une guinguette qui servirait simultanément de tunnel, une terrasse d'hôtel de la Riviera ornée d'une pergola insensée de style 1900, une plantation de coton en Géorgie, la culture arboricole du coton en Champagne pouilleuse, un décor du Casino de Paris d'où l'on s'attend à voir surgir une troupe de nonnes chantantes et dansantes. De toute façon, "c'est ce qu'on a vu de plus laid sur une scène de théâtre depuis longtemps", conclut Georges Lerminier dans Le Parisien libéré du 21 février.
55Enfin, l'interprétation n'est pas moins raillée que les décors. En plus de l'emphase déjà constatée dans la diction, qui fait que tout est déclamé sur un ton noble et ampoulé, la critique déplore une absence d'unité de jeu, les comédiens restant trop étroitement fixés dans leur emploi habituel ou dans leurs souvenirs du Conservatoire ; aussi les journalistes se plaisent-ils à critiquer les travers spécifiques de chacun d'eux. Denise Noël, pourtant la plus appréciée de tous, n'en est pas moins jugée parfois trop civilisée, trop citadine, et surtout trop mélodramatique dans la violence car, comme le signale Franc-Tireur, "le démon de la technique ne réussit pas à se faire passer pour le génie de la sincérité". Jean Yonnel suscite des réactions partagées. Certains apprécient en lui la dignité patriarcale qui convient à Anne Vercors, mais d'autres l'accusent de se complaire excessivement dans ses gestes de grand prêtre et ses modulations vocales, au point de sombrer lui aussi dans un mélodrame digne du Théâtre de l'Ambigu. Jean-Jacques Gautier estime qu'"il n'incarne pas Anne Vercors, il le chante, s'y étale, s'y reprend, s'étire voluptueusement dans le détail et la grandiloquence", et pour le critique de Combat, "la boursouflure de son faux chant le rend proprement inécoutable". Quant aux autres acteurs principaux, ils n'appellent même plus de nuances et font l'unanimité contre eux. Paul-Émile Deiber ne parvient pas à donner une nette consistance à Pierre de Craon car, selon Dimanche-Matin, "il ne sait pas s'il doit jouer les séducteurs repentis, les constructeurs de cathédrale ou l'ambassadeur de Dieu". Loin d'apparaître comme un saint, il a plutôt l'air, pour Le Parisien libéré, "d'un assassin qui fuit les lieux du crime". André Falcon et Éliane Bertrand sont encore plus critiqués, car leur jeu s'oppose à ce que devrait être leur personnage, ce qui conduit plusieurs journalistes à dénoncer les méfaits de la composition souvent imposée par la Comédie-Française à ses interprètes. Ainsi, Falcon, faisant ressortir tout le travail des répétitions, "met toute sa conscience à devenir le Jacques Hury qu'on lui a demandé d’être : il se courbe, se tord, écarte les jambes, grimace, s'élargit, s'écrase, transpire..., tout cela sans doute pour faire paysan", comme le déplore Combat ; c'est pourquoi, selon l'expression de Georges Joly dans L'Aurore du 21 février, "il joue faux avec une sûreté infaillible", transformé artificiellement en une espèce d'idiot du village, et fait beaucoup regretter Robert Hébert au Théâtre Hébertot. Quant à Éliane Bertrand, agréable comédienne qui avait plu au départ à Claudel mais qui se trouve égarée dans un rôle tragique, elle est, selon la formule du Parisien libéré, "aussi absente dans Violaine que Denise Noël est (trop) présente dans Mara". Elle ne ménage pourtant pas ses efforts, mais ils se révèlent inutiles : d'après Dimanche-Matin, "cette fille d'un laboureur des Écritures laboure laborieusement les strophes d'amoureuse verbale et d'épouse du Seigneur dont on l'a chargée, mais elle n'arrive pas à y creuser le moindre sillon". C'est d'abord que sa santé physique, ses charmes épanouis, n'évoquent pas spécialement la sainteté ; mais surtout, on force son talent dans des effets conventionnels qui lui font prêter à Violaine une coquetterie dont elle est dépourvue. Max Favalelli résume ainsi la contradiction :
Éliane Bertrand est véritablement étrange. Cette robuste jeune femme, bien en chair, un peu anguleuse de visage mais de santé éclatante, est faite pour incarner les joyeuses commères ou les soubrettes rieuses. Or on la charge d'entretenir la flamme ardente qui brûle et consume Violaine !
56La composition d’Éliane Bertrand s'ajoute, pour l'aggraver, à la longue liste des Violaine décevantes.
57La critique de la mise en scène de la Comédie-Française montre donc que Gérald Antoine n'exagère pas en écrivant que "L'Annonce de Jouvet cessa ce soir-là d'être la pire de toutes, tant il est vrai que le pire n'est pas toujours sûr et qu'il lui arrive de se manifester lorsqu’on se croit assuré du meilleur"98. Qui la presse accuse-t-elle d'un tel désastre ? Pour certains critiques, c'est la troupe du Théâtre-Français qui, figée dans ses stéréotypes, ne pouvait, quelle que soit la mise en scène, s'adapter à l'esprit de L'Annonce. Selon Jacques Lemarchand, "une fois encore, notre actuelle Comédie-Française fait la preuve d'une incapacité absolue à sentir, interpréter et communiquer le lyrisme". Franc-Tireur renchérit en affirmant que le Théâtre-Français s'est borné à reprendre "l'esprit de la réalisation des Amants magnifiques appliqué à un mystère" ; certes Guy Verdot ne méconnaît pas pour autant l'influence de Claudel, mais il estime que le Français aurait dû résister à ses idées, quitte à ne pas lui procurer son triomphe parisien. En revanche, d'autres critiques ne cachent pas que la responsabilité incombe essentiellement à l'auteur. Connaissant l'autorité qu'il a exercée sur la mise en scène, certains s'étonnent de ne pas y trouver le style qui convient à son drame et, se demandant s'ils ont le droit d'être plus claudéliens que Claudel, constatent amèrement, comme Béatrix Dussane : "Il approuve tout ce qui nous peine. C'est évidemment nous qui avons tort. Qu'ici on ne nous demande pas toutefois de renoncer à nos enchantements"99. La même déception à l'égard de Claudel metteur en scène s'exprime avec ironie sous la plume de Max Favalelli : "A la vérité, après avoir contemplé hier soir le résultat, je ne puis plus douter de la charité chrétienne de M. Paul Claudel. Elle seule a pu l'incliner à une indulgence que rien d'autre ne justifie et qui a grand besoin d'être plénière". Dans Les Nouvelles littéraires du 24 lévrier, Gabriel Marcel affiche encore plus nettement sa désillusion et explique l'échec de l'engagement scénique de Claudel par une régression progressive de son talent due à l'influence néfaste des artifices du théâtre ; au départ en 1912, le dramaturge n'avait conclu aucun compromis avec eux, mais en 1955 il en va tout autrement :
Il n’est pas inexplicable, me semble-t-il, que Claudel, parvenu au pinacle, et dans un contexte social à tel point différent de celui qui entoura ses débuts hasardeux, ait réellement souhaité, pour une pièce à laquelle il voue une tendresse justifiée, la mise en œuvre de toutes les ressources que la Comédie-Française pouvait mettre à sa disposition. Mais il ne semble pas s'être avisé qu'une œuvre conçue depuis si longtemps s'accommoderait on ne peut plus mal de ce traitement [...]. L'Annonce a été traitée comme du théâtre au sens le plus bourgeois possible du mot, qui offensait les puristes de la N.R.F. ; on lui a fait endosser un vêtement de nouveau riche [...].
C'est un fait tragique, lié à ce qu'il y a de plus mystérieux et de plus paradoxal dans notre conformation existentielle : du fait de la vie, du temps qui passe, parce que l’irréparable est au cœur du devenir, un être, quels que soient les dons qui lui sont échus en partage, peut en venir à se déconnaître, à se décomprendre.
58Le philosophe se joint ici au critique dramatique pour déplorer cette amère constatation de la régression d'un artiste et d'un homme.
59L'échec de la mise en scène de la Comédie-Française rejaillit-il sur l'estime accordée à la pièce elle-même ? À ce sujet les avis sont partagés. Plusieurs critiques, et non des moindres, Robert Kemp, Jean-Jacques Gautier, Jacques Lemarchand, continuent de rendre hommage aux beautés de L'Annonce malgré la défiguration qu'elle a subie et qui peut-être leur fait douloureusement mieux encore prendre conscience de sa valeur : Jacques Lemarchand affirme catégoriquement que la pièce demeure "l'une des très rares œuvres dramatiques de ce temps dont nous soyons assurés que nous pourrons la léguer sans rougir au siècle prochain". Même le critique de L'Humanité du 21 février, Guy Leclerc, reconnaît : "C'est l'inspiration de L'Annonce qui m'a touché l'autre soir". Mieux encore, quarante-trois ans après sa création, la pièce suscite toujours l'étonnement grâce à sa profondeur et son originalité : pour Robert Kemp, "à chaque audition elle s'enrichit en nous" et Max Favalelli affirme que "l'œuvre dramatique de Claudel apparaît de plus en plus comme un phénomène insolite au milieu de la littérature française de ces cinquante dernières années". En revanche, les égarements de la mise en scène se répercutent parfois abusivement sur la pièce elle-même qui révèle alors ses limites. L'Annonce est définie dans L'Aurore comme "un mystère qui côtoie dangereusement le mélo mystique". La Tribune des nations allègue, pour justifier son mépris à l'égard de la pièce, l’opinion de Montherlant qui l'avait qualifiée de "faux chef-d'œuvre d'un faux génie". André-Paul Antoine la condamne encore plus vigoureusement en écrivant : "Dans le cadre de la Comédie-Française, accoutumée aux chefs-d'œuvre authentiques, elle apparaît clairement pour ce qu’elle est : une incroyable histoire sans queue ni tête, ahurissante pour tout esprit un peu sensé, écrite dans un jargon germano-champenois". L'étroitesse d'un jugement si caricatural prêterait à sourire si elle ne s'étendait pas à une démolition aussi catégorique de l’ensemble du théâtre claudélien : "Il aura fallu attendre plus d'un demi-siècle pour que s'écroule un étonnant monument de snobisme et de bluff ; le bon sens reprend finalement ses droits. Nous sommes nombreux à n'avoir pour M. Paul Claudel aucune estime, aucun respect". Une telle exécution a été publiée dans L'Information le 23 février, le jour même de la mort de l'auteur.
60Reste alors à poser une double question cruciale : qu'a réellement pensé Claudel de la mise en scène du Théâtre-Français, et dans quelle mesure l'écho de la désapprobation des critiques lui est-il parvenu à la veille de sa mort ? 11 est difficile de répondre avec exactitude, car l'auteur ne semble pas s'être exprimé publiquement à ce sujet, faute de temps ou peut-être d'envie. Son unique témoignage écrit publié tient dans les dernières lignes de son Journal : "Représentations de L’Annonce au Théâtre-Français avec grand succès. Je suis content"100. Cette satisfaction, pour sincère qu'elle soit, contraste cependant par son laconisme avec la joie affichée à l'issue de la première représentation du Théâtre Hébertot101. Certes, Claudel clôt son Journal le 19 février en se plaisant à noter : "Réception chez moi de 6 à 8. Champagne des acteurs de L'Annonce. Petites allocutions de moi, de Descaves et de Yonnel. Je remets un étui à cigarettes en argent à Julien Bertheau. Grande cordialité"102, mais ce témoignage d'amitié qui touche le vieillard n'évoque pas la mise en scène elle-même. A ce sujet, il est logique de supposer que, le dramaturge ayant dirigé le spectacle pendant les répétitions, la représentation n'a pu que lui plaire. Toutefois, il est difficile d'admettre que son sens de la scène ait été à ce point étouffé par les fastes de la Comédie-Française, et nous aimerions croire que, quitte à lui provoquer une ultime déception, sa satisfaction était seulement feinte. Sans véritablement justifier cette hypothèse, une confidence de Claudel recueillie par Robert Mallet le 12 février donne cependant à penser que la lucidité fut présente sous le masque :
La mise en scène est grandiose. J'ai été dépaysé. Mes personnages eux-mêmes ont paru l'être. Quand Violaine va mourir, il pourrait ne plus y avoir de décor. Rien que des mots très simples dans la grandeur du moment. Le cadre et l'espace ne comptent plus. Il y a des moments tout nus, parce que la mort est déjà là, parce qu’on sent que tout a été dit.103
61Ce témoignage d'une clairvoyance pathétique est-il suscité par un ultime sursaut du bon goût montrant au dramaturge la vanité de la grandiloquence par rapport aux vertus de la sobriété, ou, plus vraisemblablement peut-être, par la sensation de l'approche de la mort qui, pour Claudel aussi bien que pour Violaine, "est déjà là" ? Quoi qu'il en soit, il est permis d'éprouver une certaine méfiance à l'égard de la satisfaction notée par l'auteur.
62Il est également difficile de savoir dans quelle mesure Claudel a pris connaissance des premières manifestations du mécontentement de la critique et d'apprécier les répercussions qu'elles ont pu avoir sur lui. Il est tentant de penser qu'une telle condamnation n'a pas été sans incidence sur sa mort, et Eve Francis estime que "le grand dramaturge, qui depuis vingt ans avait vu enfin son œuvre célébrée universellement, devant ce coup de Jarnac, a reçu un nouveau choc. L'amertume qu'il dut en ressentir, le dégoût, la rancœur accélérèrent sans doute la crise cardiaque qui se déclara 48 heures plus tard"104. Mais Madame Nantet nous a affirmé que cette supposition lui paraît fausse, d'autant plus que la plupart des critiques, en tout cas les plus virulentes, sont postérieures au 23 février ; aussi est-il préférable d'émettre un jugement plus nuancé, comme celui de Thierry Maulnier dans La Revue de la pensée française d'avril 1955 : "C'est sans doute céder au goût de dramatiser que d'écrire que Paul Claudel a été tué par l'échec de L'Annonce à la Comédie-Française. Mais il faut peu de chose pour rompre le ressort usé de la vie chez un homme de 87 ans".
63Que le Théâtre-Français ait oui ou non contribué à abréger les jours du poète, il lui rend hommage le 24 février, au lendemain de sa mort : Jean Yonnel, en tant que doyen de la Société des Comédiens-Français, lit un éloge d'Henri Mondor sur la scène de la salle Richelieu juste avant une nouvelle représentation de L'Annonce, alors qu'un voile noir recouvre le fauteuil qu'occupait Claudel aux répétitions. Après la lecture de ce texte, Pierre Descaves prend la parole pour souligner que "la douleur est ressentie ici partout, à tous les échelons, des comédiens aux machinistes et aux habilleuses, car en deux mois d'inoubliable travail en commun où Paul Claudel nous avait donné ses plus lucides et ses plus subtiles indications qui demeurent pour nous ses dernières volontés, il avait su devenir un personnage de notre maison"105. Mais, à cet hommage officiel, le dramaturge aurait certainement préféré le témoignage d'un spectateur anonyme, publié en contrepoint de la violente critique de Loys Narbonne dans L'Homme nouveau du 10 avril, et qui défendait ainsi le spectacle :
Après la représentation de L'Annonce, j'ai cru devoir envoyer un cordial remerciement aux artistes de la Comédie-Française qui ont interprété ce drame comme une sorte d’office et de célébration [...]. Le sentiment de gratitude que j'éprouvais était accompagné de quelques vifs mouvements d'indignation à l'égard des critiques qui ont retenu bien des spectateurs d'aller à la salle Richelieu. Notre ami Narbonne tombe lui-même dans ce travers, évidemment !
64Ce n'est pas la seule fois qu'un divorce est constaté entre l'opinion du grand public et celle de la critique, et il n'est certainement pas faux d'imaginer que, sur les quatre-vingts représentations de L'Annonce données par la Comédie-Française (cinquante-cinq en 1955 et vingt-cinq en 1956), plus d'un spectateur aura eu l'occasion d'apprécier, sinon la mise en scène, du moins la pièce elle-même.
65Il n’en reste pas moins que c'est sur l'impression du plus grand échec esthétique de l'activité scénique exercée par Claudel au sujet de L'Annonce que se clôt l'incroyable enchaînement des rendez-vous manqués entre l'auteur et celle de ses pièces dont il avait fait, après sa brillante naissance sur les planches, le drame le mieux accompli et le plus cher à son cœur.
Notes de bas de page
1 Supra, p. 290.
2 Claudel à P.-A. Touchard, 10 mai 1947, lettre inédite, Bibliothèque de la Comédie-Française.
3 Voir Jeanne Laurent, "Pierre-Aimé Touchard à la Comédie-Française", Revue d'Histoire du Théâtre, janvier-juin 1990, p. 43-57.
4 Le 30 janvier 1951, l'auteur note : "Le Théâtre-Français me demande L'Annonce", Journal II, p. 761.
5 Pierre-Aimé Touchard à Roger Méquillet, 7 février 1951, lettre inédite, Bibliothèque de la Comédie-Française.
6 Pierre-Aimé Touchard à Roger Méquillet, 14 mars 1951, lettre inédite. Bibliothèque de la Comédie-Française.
7 L'Otage avait déjà monté à la Comédie-Française en 1934, puis en 1936 et 1950, et Le Soulier de satin y a été créé en 1943.
8 Claudel à Pierre Descaves, 1er septembre 1953, lettre reproduite dans l'ouvrage La Comédie-Française 1680-1980, Bibliothèque nationale, 1980, p. 312.
9 Wakhévitch a évoqué sa carrière dans L'Envers des décors, Robert Laffont, 1977 : ex-décorateur de cinéma passé au théâtre depuis 1933, il avait effectué ses débuts au Rideau Gris, une compagnie d'amateurs fondée en 1931 par Louis Ducreux et animée à partir de 1933 par André Roussin, installée d'abord à Marseille, puis à Lyon, où Wakhévitch avait été employé pour les représentations de L'Annonce en décembre 1940 au Théâtre des Célestins.
10 Pierre Descaves à Robert Mallet, 14 avril 1955, Bibliothèque de la Comédie-Française.
11 Après avoir été engagé dès 1927 à la Comédie-Française, Marchât, à la recherche d'un souffle nouveau, l'avait quittée en 1931 pour s'associer avec Marcel Herrand au Rideau de Paris et n'y était revenu qu'en 1950. Est-ce ce même Marchat qui avait joué L'Annonce en 1947, lorsque Claudel signale le succès de la pièce "portée par la troupe Marchât dans tout le Levant” ?, Journal II. 25 juin 1947, p. 598.
12 Lettre inédite, 24 mai 1954, Bibliothèque de la Comédie-Française.
13 Claudel à Jean Marchât, 2 juin 1954, lettre inédite, Bibliothèque de la Comédie-Française. Dans son Journal, Claudel formule les mêmes critiques, avec le même mépris : "Au Français, chez Descaves, on me présente et propose la distribution de L'Annonce, une collection lamentable de doublures, de petits jeunes qui sortent de la maternelle. Surtout les deux femmes, navrantes jusqu'à l'attendrissement", Journal II. p. 864.
14 Voir notre thèse, p. 458-9.
15 Tous les articles de presse concernant cette mise en scène ont été consultés à la Bibliothèque de la Comédie-Française.
16 Julien Bertheau confiera quelques mois plus tard à la journaliste Nelly Delay, en travestissant un peu la réalité : "J'aimerais que vous signaliez que MM. Claudel et Descaves ont choisi ensemble, et dès les premiers jours, de me confier la mise en scène de L'Annonce", Combat, 7 février 1955.
17 Julien Bertheau a interprété le rôle du Chinois lors de la création de la pièce en 1943, puis il a joué le rôle de la Bouchère dans la scène 10 de la4e Journée, présentée au cours de la matinée poétique organisée le 3 mars 1945 en l'honneur de Claudel par Barrault à la Comédie-Française.
18 Journal II, p. 877.
19 Pierre Descaves à Claudel, 23 octobre 1954, lettre inédite, Bibliothèque de la Comédie-Française. On ne sait si ''le rôle" est celui de Jacques ou de Pierre.
20 André Falcon a été formé au Conservatoire de Lyon par Victor Magnat, le créateur admiré de Pierre de Craon en 1912. Voir André Falcon, "Victor Magnat", B.S.P.C., n° 19, juin 1965, p. 15-6.
21 Journal II, p. 879.
22 Pierre Descaves à Claudel, 23 octobre 1954, lettre citée.
23 Claudel à Pierre Descaves, 21 octobre 1954, lettre inédite, Bibliothèque de la Comédie-Française.
24 Pensionnaire à la Comédie-Française depuis septembre 1950, Eliane Bertrand a d'abord fait quelques modestes apparitions dans Les Caves du Vatican et Chacun sa vérité, avant de s'affirmer un peu plus dans Les Fausses Confidences.
25 Texte sans titre écrit le 10 février 1955, publié dans L'Illustre Théâtre, n° 2, printemps 1955, p. 4, et reproduit dans Théâtre II, p. 1398, et dans Mes Liées sur le théâtre, p. 222.
26 Interview de Denise Noël, Samedi soir, 3 mars 1955. Claudel manifestait le même zèle lors des répétitions qui avaient eu lieu dans son appartement, car "il aurait voulu commencer à l'aube : "je suis levé dès 6 heures, disait-il à Julien Bertheau, vous pouvez, venir dès cette heure", ibid.
27 Un tableau de Thévenet est reproduit dans la revue L'Illustre Théâtre, n° 2, printemps 1955 : on y voit Claudel protégé par un paravent à gauche de la scène ; devant lui, Denise Noël et Eliane Bertrand répètent, sans costumes ; à l'avant-scène se trouvent Julien Bertheau et le directeur de la musique, André Jolivet. Claudel a consacré un article à Jacques Thévenet dans L'Œil écoule, Œuvres en prose, p. 300-3.
28 Cet article du Paris-Match du 19 février 1955 a un titre éloquent : "Devant un paravent, Paul Claudel règle la répétition de son triomphe".
29 Témoignage cité par A. Ransan, L'Aurore. 20 janvier 1955. Ce souci d'exactitude peut surprendre, dans la mesure où par ailleurs l'auteur autorise Julien Bertheau à prendre toutes les libertés qu'il juge nécessaires dans les remaniements du texte.
30 Ibid.
31 Sur cette émission télévisée, voir infra, p. 385.
32 Texte sans titre du 10 février 1955, Théâtre II, p. 1399.
33 Témoignage rapporté dans Le Bulletin de Paris, 7 février 1955.
34 Ibid.
35 Samedi soir, 3 mars 1955.
36 L'Aurore, 20 janvier 1955.
37 Cette photo illustre un article intitulé "Paul Claudel a mis lui-même la dernière main aux costumes de ses interprètes”, France-Soir, 14 février 1955.
38 Témoignage cité dans L'Aurore, 20 janvier 1955.
39 Samedi soir. 3 mars 1955. De même, dans une lettre écrite le 30 juin 1954 à une jeune Autrichienne qui lui demandait le sens de la pièce, l'auteur traduit son attrait ambigu pour Mara en la qualifiant de "sale bête puis de "pauvre femme" comprenant qu’"il y a l'amour qui est le plus fort”. Théâtre II. p. 1402.
40 Bulletin de Paris, 7 février 1955. Cette ironie était déjà recommandée à Hellerau.
41 Texte sans titre du 10 février 1955, Théâtre II, p. 1399.
42 Cette comédie-farce, pour laquelle Claudel éprouve une grande amitié, est répétée en janvier-février à la Comédie de Paris. Jany Holt enchante l'auteur dans le rôle de la nymphe Brindosier.
43 Parmi les innombrables jeux de mots claudéliens qui ponctuent cette préparation de L'Annonce, Denise Noël rapporte l'anecdote suivante dans Samedi soir, 3 mars 1955 : Madame Claudel venait souvent accompagner son mari aux répétitions, veillant à ce qu'il se coiffe, pour éviter le froid, d'une calotte de feutre ; mais l'auteur refusa un jour de la porter en s'écriant : "A bas la calotte I".
44 Journal II. p. 885.
45 Samedi soir, 3 mars 1955.
46 Interview accordée au journaliste Henry Magnan, 13 février 1955, reprise dans Supplément aux Œuvres complètes II, p. 521.
47 Infra, p. 363-382.
48 Maria Scibor à Pierre Descaves, 16 février 1955, lettre inédite. Bibliothèque de la Comédie-Française. Maria Scibor termine en indiquant ses exigences précises : "Il me faut une première soprano et une basso profundo que je choisirai moi-même parmi les artistes qui connaissent ma musique. Ce n’est pas une exagération, mais une nécessité".
49 Claudel confie au journaliste A. Ransan, lors d'une répétition : "Je me sens très bien ici, vraiment très bien, parce que, je vous l'avoue, chez moi je ne sais que taire et je m'ennuie un peu", L'Aurore, 20 janvier 1955.
50 Texte sans titre, 10 février 1955, Théâtre II, p. 1398. Claudel avait commencé presque semblablement sa lettre adressée à Hébertot vers la fin des répétitions de 1948 : "Ce n'est pas sans un serrement de cœur que je vois approcher la fin de cette longue période de répétitions", ibid., p. 1389. Mais en 1955, la "mélancolie" est peut-être plus profonde que le "serrement de cœur” de 1948.
51 Samedi soir, 3 mars 1955.
52 Conférence de presse du 14 février 1955, publiée dans Le Figaro du 15 février et reprise, sous le titre "Hommage aux interprètes de L'Annonce faite à Marie", dans Supplément aux Œuvres complètes II, p. 524.
53 Julien Bertheau à Claudel, 17 février 1955, lettre inédite, Bibliothèque de la Comédie-Française.
54 Œuvres complètes IX, p. 310.
55 Ce livre de régie, constitué par l'édition de la version définitive de L'Annonce dans laquelle, en face de chaque page, figurent des indications de mise en scène, a été consulté à la Bibliothèque de la Comédie-Française.
56 "Hommage aux interprètes de L'Annonce faite à Marie", 15 février 1955, Supplément aux Œuvres complètes II, p. 524.
57 Wakhévitch a travaillé, entre autres, au théâtre avec Peter Brook pour sa mise en scène d’Hamlet, puis de Boris Godounov (Londres, 1948). Au cinéma, il a réalisé pour Jean Renoir les décors de Madame Bovary, La Marseillaise, La Grande Illusion, pour Marcel Carné ceux des Visiteurs du soir, et pour Jean Cocteau ceux de L'Éternel Retour et de L'Aigle à deux têtes. En 1953, peu avant d'être engagé pour L'Annonce, Wakhévitch avait réalisé à Paris une première exposition de ses décors de théâtre, qui avait obtenu un grand succès.
58 Wakhévitch, L'Envers des décors, p. 103.
59 La Tribune de Genève, 4 mars 1955.
60 Georges Hilaire, Dimanche-Matin, 27 février 1955.
61 Infra, p. 389-390. Voir la photo de ce décor p. 368.
62 La maquette de Wakhévitch représentant la forêt de Chevoche est reproduite dans le livre de Pierre Dux et Sylvie Chevalley, La Comédie-Française : irais siècles de gloire, Denoël, 1980, p. 161.
63 Eve Francis, Un autre Claudel, p. 329.
64 Ibid.
65 Wakhévitch, L'Envers des décors, p. 197. En 1951, lors de la mise en scène de la deuxième version de L'Echange par Barrault, Claudel avait déjà imposé ses goûts en matière de costume à Wakhévitch en lui remettant un papillon exotique destiné impérativement à servir de modèle pour l'habit de Germaine Montera ; le décorateur avait alors estimé : "Sa culture est immense mais, à mon sens, ses goûts sont bizarres", ibid.
66 Le Monde, 20 février 1955. Denise Noël elle-même a affirmé : "Ce rôle doit être joué en composition. Sur les indications de Μ. P. Claudel, j'en fais une sauvage au parler rustre", Combat, 7 février 1955.
67 Théâtre II, p. 194. Les références à la pièce qui suivront seront simplement indiquées par le numéro de la page de ce volume.
68 Cette lettre, écrite le 30 juin 1954, est reproduite dans Théâtre II, p. 1401-2, et dans Œuvres complètes IX, p. 313-4.
69 Œuvres complètes IX, p. 312.
70 Voir photo, p. 368.
71 Livre de régie, p. 82.
72 Ibid., p. 88.
73 Henri Gouhier, La Vie intellectuelle, avril 1955, p. 141.
74 Voir p. 375.
75 Voir p. 376.
76 Livre de régie, p. 62.
77 Terminant encore pins maladroitement l'acte 1, Claudel estime que le Père, au moment de son départ "s'accroupit en levant les deux mains de chaque côté de sa tête", mimique que René Farabet juge "superflue et même déplacée", Le Jeu île l'acteur dans le théâtre de Claudel, p. 99.'
78 Henri Gouhier, article cité, p. 141.
79 Julien Bertheau fait cet aveu dans une interview à La Dépêche quotidienne d'Algérie, 5 mars 1935.
80 Livre de régie, p. 91.
81 Ibid. Claudel lui-même a souvent souligné la cruauté de cette scène, en affirmant notamment : "Quand Violaine s’en va, [...] les trois personnages, chacun à sa manière, se montrent à son égard aussi cruels qu'ils peuvent l'être". Mémoire improvisés, p. 277. Il ajoute : "ils restent aussi déplaisants, aussi, comment dirais-je, "claudéliens" qu'ils peuvent l’être", ibid., p. 278.
82 "Lettre à une jeune Autrichienne", Théâtre II. p. 1402.
83 Livre de régie, p. 91.
84 Ibid., p. 128.
85 Ibid., p. 63.
86 Ibid.
87 Ibid.
88 Paris-Presse l'Intransigeant, 16 février 1935.
89 Ce texte figure dans Œuvres complètes IX. p. 308-10.
90 Bien qu'il soit évidemment flatté par la présence de tant de ses collègues académiciens, Claudel n'en conserve pas moins son sens de l'humour à leur égard. A l'objection de quelqu'un craignant que certains d'entre eux ne grincent des dents en écoutant L'Annonce, il répondit : "Non, ils n’en ont plus", L'Aurore. 18 février 1955.
91 Supra, p. 357.
92 Variot fait certainement allusion à Fernand Gregh ou, plus nettement encore, à Jean-Jacques Gautier. Le premier a écrit dans La Revue des deux mondes du 15 avril 1955, p. 581 : "Rien de la pièce représentée au Théâtre-Français, avec un luxe de décors et de mise en scène que le vieux poète avait paraît-il désiré, ne peut donner l’idée de la surprise éblouie que les 250 personnes assises sur de mauvaises chaises reçurent de la première Annonce, si simple, si pauvre, si pure". Quant à J.-J. Gautier, il conclut ainsi son article du Figaro du 21 février : "Il me semble que le pauvre théâtre de l’Œuvre, en 1913, avait fait plus pour L'Annonce que, 40 ans plus tard, la salle Richelieu avec ses fastes".
93 Jean Variot, "L'Annonce faite à Marie au Théâtre de l’Œuvre". La Table ronde, n° 88, avril 1955, p. 65.
94 Ce titre parodique avait été imaginé dès 1912 dans A la manière de... de Paul Reboux et Charles Müller.
95 Beatrix Dussane, J'étais dans la salle, 1963, p. 102.
96 Ibid.
97 Peut-être ces touffes de coton prétendent-elles représenter les "rosiers formant berceau dont les fleurs abondantes éclatent sur la verdure" que mentionnait une didascalie de la première version de L'Annonce, Théâtre II, p. 48 ?
98 Gérald Antoine, Paul Claudel ou l'Enfer du xénie, p. 367.
99 Beatrix Dussane, op. cit., p. 104.
100 Journal II. 17-18 février 1935, p. 885.
101 Ibid., p. 632.
102 Ibid., p. 885.
103 Fragment du journal inédit de Robert Mallet, cité par Gérald Antoine, Paul Claudel ou l'Enfer du xénie. p. 366.
104 Eve Francis, Un autre Claudel, p. 333.
105 Dossier Claudel, Bibliothèque de la Comédie-Française.
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