Chapitre I. Satisfactions et Désillusions au Théâtre Hébertot (1947-1951)
p. 285-348
Texte intégral
1Après tant d'ajournements à la Comédie-Française, c'est sur une autre scène parisienne, au Théâtre Hébertot, que L'Annonce va être consacrée. Lassé par une longue suite de projets avortés, Claudel se décide, à la fin de 1946, à abandonner la scène nationale française et même Jean-Louis Barrault pour chercher ailleurs d'autres conditions favorables à une digne représentation de sa pièce. Or, depuis longtemps, Jacques Hébertot souhaitait monter une œuvre de Claudel, et l'occasion lui en est alors donnée. Prêt à tout pour plaire à son nouvel auteur et s'assurer les représentations de L'Annonce, Hébertot sera l'artisan d'un renouveau de la vie scénique de la pièce : d'une part, elle va être jouée dans un nouveau texte et dans un nouveau décor ; d'autre part, Claudel lui-même, pour la première fois1, va pouvoir satisfaire ses ambitions scéniques en supervisant du début à la fin la préparation du spectacle par sa présence active aux répétitions. De telles conditions devaient engendrer un succès, qui eut effectivement lieu et donna enfin satisfaction au dramaturge, du moins lors des premières représentations parisiennes, car dès que le Théâtre Hébertot commencera des tournées, la qualité du spectacle se dégradera, au point de créer un conflit entre Claudel et Hébertot et d'aboutir à une nouvelle déception au début des années 1950.
1. Genèse de l'élaboration du spectacle
2Sans avoir de relations suivies, mais en se trouvant au moins unis par leur commune exigence d'un théâtre de qualité, Claudel et Hébertot se connaissaient depuis l'époque de la création de L'Annonce. En octobre 1912, au moment où l'auteur était venu découvrir ses premiers interprètes, Hébertot, alors jeune journaliste récemment débarqué à Paris après s'être essayé à l'art dramatique à Rouen, sa ville natale, était venu interviewer une actrice au siège social du Théâtre de l'Œuvre, rue Turgot, où avaient lieu les répétitions de L'Annonce2. Par la suite, en 1921, Hébertot, depuis peu directeur du Théâtre des Champs-Élysées, y permit la création de L'Homme et son désir, spectacle audacieux pour l'époque. C'est alors que Claudel, ayant retrouvé à Paris son ex-collaborateur de Hellerau, Salzmann, le met en contact avec Hébertot afin de perfectionner l'éclairage du ballet : les deux hommes de théâtre collaborent quelque temps et c'est d'ailleurs Hébertot qui, le 31 décembre 1934, apprend à Claudel la mort de Salzmann3. Malgré le silence de plusieurs années qui suit cette lettre, le directeur de théâtre qui, où qu'il assume ses fonctions, cherche toujours à privilégier les beaux textes4, ne perd pas de vue la carrière scénique des pièces de Claudel. En 1943, il doit monter L'Echange en avril, mais la censure interdit la pièce sous une forme hypocrite5.
3Dès la fin de la guerre, Hébertot entend prendre sa revanche et, le 28 février 1946, il demande à Claudel s'il veut à présent renouveler son autorisation à faire jouer L'Echange, espérant bien obtenir satisfaction "en souvenir d'une collaboration qui remonte déjà à un quart de siècle"6. L'auteur n'émet pas d'objection de principe à ce projet, mais préfère le reporter à la saison prochaine, car Le Père humilié est déjà prévu en mai 1946 au Théâtre des Champs-Elysées et il faut prendre le temps de présenter un spectacle de qualité. Quelques jours plus tard, peut-être parce qu'il vient d'évoquer Le Père humilié, Claudel propose à Hébertot de remplacer L'Echange par Le Pain dur, pièce non encore jouée en France, que le public pourrait comparer au Père humilié qui la suit dans la Trilogie, et pour laquelle l'auteur envisage déjà deux interprètes, Jany Holt, qui le supplie de lui donner le rôle de Lumir, et Jean-Louis Barrault, qui une fois dégagé de la Comédie-Française serait un Turelure idéal. Mais Hébertot, plus au fait de l'actualité théâtrale que Claudel, lui objecte que Jany Holt va être prise par des films et que Barrault n'aura pas sa liberté avant quelques mois.
4C'est peut-être pourquoi, sans prendre une décision à propos du Pain dur – mais tout en avouant son désir de faire inscrire cette pièce au répertoire de son théâtre – Hébertot propose alors à l'auteur, en avril 1946, de monter L'Annonce :
J’aurais été heureux de savoir si vous m'autorisez à donner, dès à présent, quelques représentations de L'Annonce, en nombre limité d’ailleurs, et que je donnerais avec la grande saison de Paris. Je ferai l'effort de costumes et de décors neufs ; c'est vous dire que mon théâtre ne cherche pas, dans cette reprise, autre chose qu'une affaire de prestige. Comme vous le savez sans doute, en 1947, le Théâtre Hébertot deviendra un théâtre de répertoire et, si vous m'en donnez l'autorisation, je serais heureux d'inscrire L'Annonce au répertoire. Ceci ne modifie en rien, bien entendu, mes intentions concernant L'Echange7.
5Cette proposition inattendue embarrasse Claudel qui, à ce moment précis, n'a pas renoncé à tout espoir de voir L'Annonce représentée sur la scène du Théâtre-Français et qui affirme qu'elle nécessite des soins particuliers : "J'attache une grosse importance à cette pièce qui n'a jamais été jouée jusqu'ici conformément à mes désirs et je voudrais environner son intronisation définitive devant le public parisien de toutes les chances possibles"8. Hébertot comprend parfaitement que Claudel soit exigeant et il va habilement en tirer profit pour mettre en valeur son théâtre par rapport à la Comédie-Française :
Croyez-vous que ce soit à la Comédie-Française que vous puissiez trouver la déférence, l'amour, le désintéressement et la passion qu'il faut mettre au service d'un tel drame ? Je vous assure que mon théâtre est le seul qui puisse vous satisfaire par son cadre, sa bonne volonté et toute l'admiration que vous porte son directeur. Je vous supplie : donnez-moi L'Annonce et profitons de votre prochain passage à Paris pour convenir de tout, pour tout arrêter, et pour déjà commencer à travailler9.
6Devant le silence de Claudel, Hébertot n'hésite pas, quelques mois plus tard, à réaffûter ses arguments pour obtenir satisfaction : il assure que son effort pour établir un théâtre de répertoire serait vraiment incomplet et son programme sans objet s'il ne pouvait y inscrire L'Annonce, et il estime qu’une telle pièce, toujours au répertoire de la Comédie-Française, devrait appartenir à tous les théâtres de qualité désireux de la monter. Plus habilement encore, il sait séduire Claudel en critiquant de récentes mises en scène de L'Annonce que l'auteur n’a pas appréciées, celle des Comédiens de la Roulotte10, et surtout celle de Jouvet où il n’a rencontré "que bien peu de sensibilité, pas de foi, et une interprétation bien décevante, dans des décors inadmissibles, et le tout pénétré d'une musique inconcevable"11. Enfin, argument suprême, Hébertot confie à Claudel qu'il appartiendrait à ce dernier de se prononcer "sur la meilleure interprétation possible", afin de lui éviter les déceptions précédentes, et également de régler la mise en scène, en particulier pour la scène du miracle où selon lui le dialogue de Violaine avec les anges n'a jamais été bien traduit : "Ne devrait-on pas à ce moment-là trouver par la lumière seule, accordée à la musique, la transfiguration qui permet au spectateur de bien saisir que Violaine n'est plus sur terre ? Il est indispensable que cet instant soit déterminé par vous d'une façon formelle"12.
7Malgré ces propositions si alléchantes, Claudel continue à hésiter entre le Théâtre Hébertot et la Comédie-Française. Pour s'assurer des intentions précises de cette dernière, il fait demander en janvier 1947 au nouvel administrateur général, André Obey, s'il est disposé à représenter L'Annonce au cours de la saison prochaine, en formulant le vœu que Ludmilla Pitoëff soit engagée pour jouer Violaine13. Le premier souhait est retenu, mais l'actrice est refusée en raison du genre trop particulier de son talent, jugé déplacé à la Comédie-Française. Claudel, dont les désirs ne sont donc que partiellement satisfaits, n'adopte pas encore une décision définitive, d'autant plus que quelques mois plus tard, le Théâtre-Français est pourvu d'un nouvel administrateur, Pierre-Aimé Touchard, qui témoigne un vif désir d'entretenir des relations confiantes avec l’auteur. Celui-ci tente alors auprès de lui une ultime demande qui, après avoir rappelé la longue et décevante histoire des rapports entre L'Annonce et la Comédie-Française, se termine ainsi :
Tout récemment, j'avais repris les négociations avec Messieurs Obey et Jaujard. Il me semblait qu'après les terribles événements d'où la France sortait victorieuse et meurtrie, la représentation de cette pièce où s'exprime une foi invincible dans les destinées de notre pays pouvait avoir un caractère particulier d'opportunité. Une autre raison, personnelle, me poussait. Je vais avoir 80 ans ; l'ambition de voir enfin représenter mon œuvre principale, dans les conditions que je désire et auxquelles j'ai longuement réfléchi, ne me semblait pas excessive. Tel sans doute n'a pas été l'avis de mes correspondants dont j'attends toujours la réponse. En revanche, je viens de recevoir des propositions très brillantes sous condition d'exclusivité. Je suis en train de les examiner14.
8Sans réponse précise de Pierre-Aimé Touchard, Claudel prie son gendre Roger Méquillet, devenu désormais son mandataire par un acte notarié du 6 mai 1947, d’aller négocier avec Hébertot, et en juin il donne à ce dernier l'autorisation de monter la pièce15. La signature des contrats a lieu en juillet sur les bases suivantes :
- Le Théâtre Hébertot a l'exclusivité des représentations de L'Annonce tant en France qu'à l'étranger du 1er septembre 1947 au 31 décembre 194916.
- 150 représentations au minimum doivent être données à Paris entre ces deux dates et le même nombre doit être également assuré en province, aux colonies ou à l'étranger.
- Le choix du metteur en scène, du décorateur, des acteurs, sera soumis à l'approbation de Paul Claudel.
9Dès lors, la préparation du spectacle peut aussitôt commencer en juillet et elle se poursuivra jusqu'en mars 1948.
10Pendant ces huit mois, une intense collaboration s'effectue entre Claudel et Hébertot.
11Au début, leurs rapports se présentent au mieux. Dès le 16 juillet, depuis Brangues, l'auteur propose au directeur plusieurs idées d’interprétation et de mise en scène ainsi que sa conception des décors et des costumes17. Hébertot se trouve en parfait accord avec lui ; pour les décors notamment, il approuve le choix de Tahar, dont il avait apprécié le travail dans Le Père humilié. Il précise que la musique, qui doit être enregistrée en septembre, sera entendue au mieux grâce à des haut-parleurs disposés au besoin dans les combles du théâtre afin de rendre "l'impression des chœurs célestes dans la scène du miracle"18. Hébertot commence également à ébaucher la distribution en proposant deux interprètes : Hélène Sauvaneix pour Violaine et Jean Hervé pour Anne Vercors. La première paraît prédestinée à incarner l'héroïne car elle a déjà joué la scène du miracle à 15 ans chez René Simon avec Maria Casarès ; toutefois elle est surtout pressentie dans la mesure où elle n'est pas une actrice confirmée19, ce qui semble plutôt un atout pour interpréter Claudel, et où "c'est une artiste docile qui n'est pas vedette et qui a le bon goût de faire passer le théâtre avant le cinéma ; en outre elle a du style"20. Hébertot n'en dit pas autant de l'actrice prévue pour jouer Mara, Andrée Clément, qui malgré certaines qualités, affiche des prétentions de vedette non justifiées. Quant à Jean Hervé, il avait interprété Claudel dès 1916 en donnant la réplique à Eve Francis dans des fragments de Partage de Midi lors de la matinée organisée en l'honneur du poète au Théâtre du Gymnase, puis il avait joué dans L'Otage et Jeanne d'Arc au bûcher ; de plus, c'est un camarade de jeunesse d'Hébertot qui estime qu’"il a certes un peu gardé le ron-ron de la Comédie-Française", mais qu'"il a du style et mettra en valeur le rôle très important du Père et ne lui donnera pas ce côté caricatural insupportable chez Jouvet"21. Dès que la distribution sera intégralement établie, Hébertot mettra Claudel en rapport avec le metteur en scène et ira en sa compagnie lui rendre visite à Brangues pour fixer le déroulement des opérations, en restant à son entière disposition. Ainsi le directeur peut écrire à Roger Méquillet que pour l'instant tout le fait "très bien augurer du prochain travail"22.
12Cependant, assez vite, des difficultés surgissent. Les premières concernent le choix du metteur en scène. Après avoir suggéré Jean-Louis Barrault, Claudel propose Eve Francis, mais il doit écrire peu après à la comédienne : "Hébertot vous a refusé, étant donné que votre qualité d'ancienne interprète susciterait des jalousies et nuirait à votre autorité"23. En revanche, Eve Francis est pressentie par Hébertot pour interpréter la Mère, car grâce à son expérience "elle pourrait donner le ton et communiquer sa connaissance de la diction claudélienne"24, mais le directeur ne veut rien décider sans l'assentiment de l'auteur pour ne pas offenser l’actrice. Trois semaines plus tard, en août, celle-ci, sans parler du rôle de la Mère, affirme elle-même à Hébertot qu’elle voudrait mettre en scène ; mais à ce moment, il a déjà retenu un metteur en scène et il ne peut suggérer à la comédienne que d'aider ce dernier ou de suppléer Claudel s'il ne peut assister à certaines répétitions. Ce metteur en scène est alors Paul Œttly, acteur possédant une assez grande expérience du théâtre claudélien25 et semblant en affinité avec l’auteur, car lorsque celui-ci vient à Paris en octobre, il rencontre "Hébertot et Œttly metteur en scène, enchantés de [s]es idées"26. Ce ne sera cependant pas lui, mais Jean Vernier, ancien animateur d'une compagnie théâtrale, qui effectuera finalement la mise en scène27.
13Plus de difficultés encore se présentent pour établir la distribution, tâche essentielle de la préparation d'un spectacle théâtral selon Hébertot. Il semble en particulier impossible de trouver une actrice pour jouer Mara. Après avoir manifesté des réticences à l'égard d'Andrée Clément, Hébertot s’est mis en rapport en août avec une certaine Mademoiselle Barrés, mais sans suite. Il songe alors à Marguerite Jamois, mais elle "n'acceptera sûrement pas de jouer hors de son théâtre" et il la trouve "un peu trop marquée"28 ; Marie Bell ne lui déplairait pas non plus, mais elle est prise toute la saison prochaine. En octobre, Maria Casarès, à laquelle Hébertot pensait depuis longtemps sans l'avouer à Claudel, annonce à son tour qu'elle n'est pas libre29. Navré autant que l'auteur, le directeur fait passer de nouvelles auditions ; elles finissent par retenir Carmen Duparc, jeune actrice débutante originaire de Belgique, qui sera une Mara remarquable. Pour les autres rôles, Hébertot estime préférable de présenter des comédiens à Claudel quand il viendra à Paris plutôt que de lui citer des noms : "Je sais l’importance que vous attachez à la façon de dire, c'est pourquoi j'aurais été heureux de vous faire passer de véritables auditions dans le texte même de la pièce"30. Ainsi, à partir d'octobre, nombre de comédiens défilent devant l'auteur, souvent déçu et irrité. Le rôle de Jacques Hury pose spécialement problème : Claudel y aurait bien vu Alain Cuny, qui avait incarné Pierre de Craon en 1941 lors des représentations du Rideau des Jeunes et qui venait de participer à la création de L'Histoire de Tobie et de Sara au premier Festival d'Art dramatique d'Avignon en juillet 1947 ; mais il doit y renoncer à cause de l'opposition d'Hébertot, ainsi que l'auteur en avertit l’acteur :
Cher Alain Cuny, à mes demandes Hébertot a répondu par une fin de non-recevoir nette et presque brutale. Il ne veut absolument pas de vous pour Jacques Hury, mais consent pour Pierre de Craon. C'est un énorme crève-cœur pour moi, car vous étiez pour moi le personnage idéal : je suis désemparé31.
14Cette déception n'empêche pas Claudel, deux jours plus tard, de travailler le rôle de Pierre de Craon, à défaut de celui de Jacques, "avec Alain Cuny dont on pourrait faire un formidable acteur"32.
15C'est que, pour diriger l'interprétation à son gré, l'auteur entend véritablement former les acteurs en les conseillant pour leur diction, leurs attitudes et leurs gestes, ainsi que le souligne Roger Méquillet à Hébertot :
Redoutant que le poids des ans, dans un avenir plus ou moins proche, ne l’empêche à prendre une part active à "l'éducation" de certains acteurs dans les rôles qu'ils auront à tenir, il a le ferme désir, pendant qu'il peut encore le faire, de payer de sa personne en leur donnant les conseils nécessaires pour que leur interprétation corresponde le plus exactement possible aux personnages de son œuvre33.
16Nous sommes donc bien loin des timides conseils que Claudel donnait en 1912 aux acteurs du Théâtre de l’Œuvre ; en 1947, le dramaturge devient directeur d’acteurs et se substitue au metteur en scène. Certes, l’approche de ses quatre-vingts ans, lui faisant certainement penser que cette occasion qui lui est donnée restera unique, accentue sa détermination ; c’est pourquoi, dès que la distribution est fixée, il travaille avec tous les acteurs, individuellement ou par petits groupes. C’est ainsi qu’au milieu du mois de décembre, on peut lire dans son Journal : "Tous ces jours-ci, je travaille L'Annonce avec Carmen Dugard [sic], Hélène Sauvaneix et Robert Hébert dont j’essaye d’utiliser pour le mieux les grands bras"34. Aux interprètes de Mara et de Violaine se trouve ici associé l’acteur incarnant Jacques Hury. Robert Hébert, qui avait étonnamment interprété Lennie dans Des Souris et des hommes de Steinbeck, a été découvert par Hébertot qui, tout en croyant beaucoup à lui, ne le pensait pas destiné au rôle de Jacques ; mais le naturel avec lequel il a joué ce personnage en passant une audition a convaincu le directeur et l’auteur. Quant à Hélène Sauvaneix, pressentie avant les autres acteurs, elle a eu le temps de réfléchir à son personnage dont elle veut taire un être de chair et de sang, car selon elle "on joue toujours L'Annonce comme un texte musical où les spectateurs sont bercés par une litanie, un ronronnement qui nuit à l’action dramatique"35.
17A partir de la fin de janvier 1948, c’est sur la scène du Théâtre Hébertot que Claudel dirige désormais ses interprètes en assistant assidûment aux répétitions36. Tout en satisfaisant sa passion pour le travail scénique et son besoin d’autorité, l’auteur a alors souvent l’occasion de s'inquiéter : au milieu de février, donc peu avant la première, il se rend compte que certains acteurs principaux connaissent encore insuffisamment leur texte ou qu'ils sont inégaux d’une répétition à l'autre, si bien que Roger Méquillet, à la demande de son beau-père, prie Hébertot de venir en personne assister aux prochaines répétitions en espérant que sa présence palliera ces carences. Quoi qu'il en soit, la presse n'a pas manqué de souligner l'originalité d'un tel engagement scénique d'un auteur dramatique, en multipliant reportages et interviews sur ce travail de répétitions. Ainsi, Le Pays du 10 mars 1948 constate que "l'élément le plus nouveau de cette représentation réside en ce que Claudel, pour la première fois, a dirigé lui-même les répétitions ; c’est là que l'on peut parler de création". L'auteur lui-même sera fier d'avouer au journaliste Pierre-André Baude : "C'est la première fois que j'ai la possibilité de m'occuper des répétitions, du commencement jusqu'à la fin. Pour la première fois, l'œuvre prend forme sous mes yeux"37. Pierre Mazars va même jusqu'à affirmer que "chaque geste, chaque intonation ont été réglés en accord avec Paul Claudel"38. Pour achever de nous en persuader, de nombreuses photos montrent l'auteur dans la salle, entouré de ses interprètes, ou leur parlant sur la scène39. Si l'on ajoute à cela que, pour la première fois également à propos de L'Annonce, Claudel s'est aussi préoccupé de la promotion du spectacle par toute une activité "médiatique" et mondaine40, on ne peut nier qu'il s’engage pleinement dans la réussite de sa pièce, sur laquelle il concentre tous ses efforts, au point de renoncer à faire jouer en cette même saison Le Pain dur et d'autres œuvres.
18Un tel engagement de l'auteur va conduire à une véritable recréation de L'Annonce.
2. La naissance d'une nouvelle Annonce
19La version du Théâtre Hébertot présente effectivement une nouvelle Annonce en modifiant à la fois son texte, son décor et son accompagnement musical. Certes, la pièce avait déjà subi bien des changements au cours des décennies précédentes, mais en 1948 ils prennent plus d'ampleur et paraissent définitifs.
20Depuis la première version de La Jeune Fille Violaine, le texte de ce qui est devenu L'Annonce – ou plutôt les Annonce – est souvent cité comme exemple extrême des multiples remaniements que peut subir une œuvre tout au long de la vie de son créateur. Ce dernier, pourtant habitué à réajuster ses textes, constatait malgré tout, à la veille de la création du Théâtre Hébertot, l'"étrange destinée que celle de cette pièce, née en 1892 et qui, après cinquante-six ans, aspirait, soupirait encore, à la recherche de sa forme définitive"41. Après les deux versions de La Jeune Fille Violaine, le texte primitif de L'Annonce et la modification de l'acte IV en 1938 qui a donné lieu à la nouvelle édition de 1940, les représentations du Théâtre Hébertot offrent l’occasion d'éditer en 1948 la "version définitive pour la scène" dédiée à Jacques Hébertot. Elle sera effectivement "définitive" dans la mesure où Claudel ne retouchera plus son texte, mais ne sera pas toujours utilisée "pour la scène" car plusieurs metteurs en scène préféreront représenter la pièce dans son texte primitif. Le texte définitif a cependant été volontairement adapté à la scène puisque Claudel l'a remanié à la suite des observations effectuées lors des répétitions auxquelles il a assisté et des contacts qu'il a établis avec ses interprètes. Dans l'écriture même, l'adaptation scénique du texte se traduit essentiellement par un allégement des répliques des personnages au profit d'une augmentation et d’une plus grande précision des didascalies.
21Dix ans après la refonte de l’acte IV, Claudel apporte aux dialogues des trois actes précédents quelques retouches inspirées par des principes analogues à ceux qui avaient déjà dicté les remaniements antérieurs : dans un souci de concision, mais aussi de vigueur et d'efficacité, l'auteur émonde les répliques de ses personnages de tous les ornements pittoresques et de tout le lyrisme didactique qui surchargeaient la version initiale. L'abandon du pittoresque apparaît dès le Prologue, où est supprimée la description des "vieilles portes" de Combernon, dont "le vieux vantail dans toute sa hauteur craque et s'ébranle"42. De même, à l'acte II, Claudel renonce à l'évocation régionaliste des "cloches d'Arcy" (p. 58), dont le tintement perçu par la Mère semble sans rapport avec l’interrogation qu'elle nourrit à ce moment à l’égard de la longue discussion qui vient d'avoir lieu entre Jacques et Violaine. Le moindre petit détail concret ou trop prosaïque est jugé inutile ; ainsi, Anne Vercors, avant de partir, ne demande plus à sa femme : "Mets-moi mes souliers" (p. 42). Mais, plus que ces ornements anecdotiques, ce sont surtout les développements lyriques et didactiques, pourtant déjà considérablement réduits, qui sont supprimés. Dès le Prologue, le texte de Pierre de Craon se trouve amputé de l'évocation historique des "sept étés grasses" et des "libertés acquises" (p. 17-8), que l’architecte évoquait pour justifier la construction de la "Justice de Rheims", ce qui fait également abandonner l'interrogation de Violaine sur les deux Rois et les deux Papes43. Pierre de Craon se voit également dispensé de ses longues considérations esthétiques sur l'art de l'architecte qui "construit l'appareil de pierre" et "donne à tout l'édifice son orient comme à une perle" (p. 25). Toujours au Prologue, ce ne sont plus désormais les personnages qui récitent intégralement les paroles du Regina Cœli (p. 15), mais un chœur qui chante le cantique tandis que "l'Angélus sonne à Monsanvierge" (p. 136). L'acte I réduit surtout considérablement les répliques d'Anne Vercors. La scène initiale est dépouillée de quelques réflexions morales sur le bon usage des biens que chacun a "reçus de Dieu en commende" (p. 31). Un ample développement du même personnage sur "La trompette qui cite tous les hommes de temps en temps [...], celle de Josaphat [...], celle de Bethléem [...], celle de l'Assomption" (p. 32) se trouve réduit à un unique vers beaucoup plus évocateur sur "La trompette sans aucun son que tous entendent" (p. 151). De même, Claudel abrège une série de métaphores exaltant la Croix en supprimant les quatre dernières (p. 32) et il efface également la référence d’Anne Vercors au devoir de solidarité du chrétien qui "n'est pas seul" mais "communique à tous ses frères" (p. 33). La scène.3 est aussi amputée de plusieurs répliques du Père : l'auteur y retranche sa leçon sur "le temps de prendre" et le "temps de laisser prendre" qu’il donne à Jacques (p. 37), il écourte une tirade sur la naissance de Monsanvierge et l'histoire de Combernon (p. 38), il coupe un commentaire sur la cohérence universelle de la création où "toutes les choses (...] communiquent, toutes à la fois sont nécessaires l'une à l'autre" (p. 39). L'acte II, lui, n'est presque pas retouché ; seule la fin d'une tirade de Violaine dans son explication avec Jacques est supprimée, au moment où elle constate que "le sacré dépôt" qui avait toujours été "transmis de père en fils" pour la première fois "tombe aux mains d'une femme" (p. 52). Mais plusieurs suppressions réapparaissent à l'acte III. Claudel sacrifie le couplet de l’Apprenti sur l'art de "faire de la lumière" avec les vitraux (p. 67) ; surtout, lors de la scène du miracle, le texte des livres liturgiques et des chants sacrés, complaisamment cités dans la première version, se trouve désormais sensiblement allégé : la Prophétie d'Isaïe et le Sermont de Saint Léon pape sont réduits de moitié, l'Homélie de Saint Grégoire pape ne garde que les deux premières lignes des vingt qu'elle comptait primitivement. Môme l'acte IV présente quelques coupures par rapport à la variante pourtant déjà considérablement réduite de 1938 ; en particulier, au terme de l’agonie de Violaine, Claudel a supprimé le passage où elle explique à Jacques qu’une lépreuse ne doit point mourir dans la salle de Combernon et qu'elle doit être portée à Monsanvierge par son père (p. 127-8) : dès lors, la pièce se termine plus heureusement sur les paroles mêmes de l'héroïne, prolongées par le son de l'Angélus, et non plus sur celles de Jacques qui déplorait ses dernières volontés (p. 128). Ainsi, par leur importance et leur convergence, de telles suppressions ne modifient pas seulement la durée du spectacle, mais aussi la tonalité du texte. Ce que la pièce perd en plénitude poétique et religieuse, elle le gagne en intensité dramatique. En connaisseur qu'il est désormais, Claudel pourra constater : "Il y a encore des longueurs. La partie lyrique, à mon avis, est encore trop développée, spécialement dans le Prologue et dans le Ier acte. Mais à partir du Ier acte, ça roule, ça tourne rond, au point de vue constructeur"44.
22Cette réduction des amplifications lyriques et didactiques va de pair avec une volonté de mieux faire vivre le texte grâce à l'adoption d'un langage plus populaire par la plupart des personnages, notamment par le Père et la Mère. Le dialogue initial des deux époux est désormais précédé de quelques répliques où ils s'expriment sur le ton d'une conversation sans apprêts :
ANNE VERCORS. – Dis, la Mère : si tu crois que c'est commode de s'y retrouver, au milieu de tes croix et de tes ronds !
LA MERE. – Moque-toi de moi, grand moqueux, avec ça que tu es si fort pour tenir tes comptes ! C'est la pelle, comme on dit... Comment c'est qu'on dit déjà ?
ANNE VERCORS. – C'est la pelle qui se moque du fourgon (p. 145-6)
23Tout le reste de cette scène est parsemé d'expressions familières et de tournures triviales qui déforment fréquemment le texte primitif. La question de la Mère : "Pourquoi me regardes-tu ainsi ?" (p. 26) est corrigée en : "Pourquoi que tu me regardes comme ça ?" (p. 146). De même, la question du Père : "A quoi allons-nous marier ça ? (p. 27) devient : "A qui c'est qu'on va marier ça ?" (p. 147). Un simple "oui" (p. 28) se change en une kyrielle d'exclamations : "bon, bon, bin oui" (p. 148). Une question des plus banales : "Pourquoi est-il resté à l'écart cette fois-ci ?" (p. 29) est transformée en : "Pourquoi qu'il est resté à l'écart c'te fois-ci ?" (p. 148). L'expression "il ne faut pas se fâcher" (p. 29) est réduite à : "faut pas se fâcher" (p. 149) et la bonhomie du "bon Dieu" (p. 151) se substitue à la majesté de "Dieu" (p. 31). Juste après cette scène I de l'acte I, à la scène 3, le langage de Jacques Hury présente également une résonance paysanne en transformant "je vais" et "le fagot" (p. 37) respectivement en "je vas" et "la bourrée" (p. 156). Cette place ainsi faite aux tonalités familières du langage, qui rapproche la dernière version de L'Annonce de la première inspiration de La Jeune Fille Violaine, est certainement destinée à rendre les personnages plus vivants et plus vrais et à les ancrer dans une mise en scène qui mettra en valeur l'aspect rustique de la pièce.
24Si les dialogues se trouvent donc considérablement réduits ou plus familiers pour gagner en efficacité dramatique, dans le même but, les didascalies prennent plus d'importance, indiquant plus précisément les attitudes et les mouvements des personnages afin d'accentuer leur présence scénique. Certes, quelques indications disparaissent, mais ce sont celles qui se bornaient à décrire statiquement un personnage ou un élément du décor. Ainsi, dès le début, la disparition de l'évocation de Violaine "grande et mince, les pieds nus, vêtue d'une robe de grosse laine, la tête coiffée d'un linge à la fois paysan et monastique" (p. Il) permet désormais une plus grande liberté dans le choix des costumes et des accessoires. Ce sont surtout les descriptions de lieux qui se trouvent écartées, du fait de l'adoption d’un décor unique : la grange, le verger, la fontaine de l'Adoue, l'aspect fantastique de la forêt, l'aurore glacée du jour de Noël n'ont plus besoin d'être évoqués. Même les rares éléments qui échappent à ce décor unique, comme la forêt de Chevoche, sont beaucoup plus rapidement présentés : aux longues lignes de la description de la première version (p. 63-4), qui ne manquaient pas de mentionner la nature des arbres, "chênes très élevés et bouleaux, avec, au-dessus, des pins, des sapins et quelques houx", la présence d'"une large percée rectiligne [...] jusqu'à l'horizon", les actions des ouvriers qui "achèvent d'enlever les troncs d'arbres et de préparer la chaussée", sans oublier le "campement sur le côté, avec huttes en fagots, le feu et la marmite" situé "dans une sablonnière où quelques ouvriers achèvent de charger de sable fin et blanc une petite charrette", se substituent ces brèves notations :
Le pays de Chevoche. La veille de Noël. Des paysans, hommes, femmes et enfants, sont au travail dans la forêt. Au milieu, un feu au-dessus duquel est suspendue une marmite45 (p. 182).
25En revanche, Claudel a multiplié les indications précisant les mouvements des personnages. Tout au début, entre la première réplique de Violaine et celle de Pierre, l'héroïne "va chercher du feu à la cheminée et s'en sert pour allumer le cierge devant le crucifix" (p. 133). Au début de l'acte I, la Mère, au lieu de se tenir "devant la cheminée" pour "ranimer les braises" (p. 26) apparaît dans une attitude plus dynamique, puisqu’elle "est en train de repasser une pièce de toile" (p. 145) et que, tout en discutant avec son mari, "elle asperge la toile du bout des doigts avec de l'eau qu'elle prend dans un bol sur la table" (p. 146). De même, Anne Vercors, au lieu de la considérer debout, immobile (p. 26), est occupé à compulser un livre de comptes (p. 145). A la scène 3, pour rendre plus vivant le moment où Jacques reproche au Père une indulgence excessive envers un voleur de fagots, le dramaturge a l'idée de faire comparaître le coupable, "un homme d'aspect fâcheux, les mains liées derrière le dos", suivi de "deux serviteurs dont l'un porte un fagot de bois vert, un autre derrière lui tient un chien en laisse" (p. 156). Après l'"Adieu" d’Anne Vercors qui terminait primitivement l'acte I (p. 44), Claudel tient à préciser l'attitude des autres personnages qui "restent comme pétrifiés" pendant que "Jacques Hury prend la main de Violaine" (p. 163). A la scène du miracle, qui souffrait peut-être d'un excès de statisme, le texte prévoit des déplacements de Violaine et de Mara. Déjà, avant la lecture des textes sacrés, "Violaine est descendue de l'estrade emportant l'enfant. Elle s'enfonce au fond de la cella ménagée dans la paroi de l'édifice en ruine qui lui sert d’abri", puis "Mara monte sur l'estrade, s’installe devant le pupitre d'où elle procède à la lecture" (p. 198). Plus précisément, au moment de la résurrection de l'enfant, les mouvements de Mara acquièrent une violence traduisant bien l’importance nouvelle de ce personnage. Dans la version primitive, "Mara tombe à genoux, poussant un profond soupir, le front sur les genoux de sa sœur", puis "elle prend l'enfant de dessous le manteau et le regarde passionnément". Dans la version de 1948, les déplacements et les gestes de Mara sont bien plus significatifs de sa capacité à diriger l’action :
Mara se dirige vers la cella. Elle s'y enfonce et en revient à reculons entraînant Violaine avec elle. Elle l'amène jusque sur le devant de la scène et là tout à coup, ayant vu l'enfant qui bougeait, elle se rejette en arrière [...].
Mara se jette sur l'enfant et l'arrache violemment à sa sœur (p. 200).
26Ces nouvelles indications scéniques, fruit du travail de Claudel avec les comédiens, apparaissent-elles toujours plus convaincantes que celles de la version primitive ? On peut regretter certains réajustements. Par exemple, en 1948, le baiser de Violaine à Pierre "doit être administré avec beaucoup de solennité. Violaine de bas en haut prend la tête de Pierre entre ses mains et lui aspire l'âme" (p. 145), mais on peut préférer à cette solennité la spontanéité ingénue de la version précédente où "elle le regarde, les yeux pleins de larmes, hésite et lui tend la main. Il la saisit et pendant qu'il la tient dans les siennes, elle se penche et le baise sur le visage" (p. 26). De même, lors de la réconciliation finale de Jacques et de Mara, on peut ne goûter que médiocrement l'irruption du Père, que Claudel a ajoutée à la variante de l'acte IV. Dans celle-ci, pendant qu'Anne Vercors s'éloigne avec le corps de Violaine, les deux époux se rapprochent lentement mais semblent mus par une nécessité intérieure réciproque et finalement "se regardent longuement et profondément pendant qu'expirent les dernières notes de l’Angélus" (p. 129). Dans le texte de 1948, c'est le Père qui, devant le corps de Violaine, devient l'artisan de la réconciliation du couple :
Anne Vercors va chercher Mara et l’amène par la main auprès de Violaine en lace de Jacques Hury. De la main gauche, il prend la main de Jacques Hury et l'élève à mi-hauteur. A ce moment Mara dégage sa main et se saisit de celle de Jacques Hury qui reste la tête baissée regardant Violaine. Le Père se saisit des deux mains avec les siennes et en fait solennellement l'élévation.
A ce moment seulement Jacques Hury lève la tête et regarde Mara qui tient les yeux durement fixés sur lui. Les cloches sonnent (p. 215).
27Mais en dehors de ces réserves, qui relèvent finalement du goût personnel, il faut reconnaître que la plupart des nouvelles indications scéniques manifestent un sens aigu de l'expressivité théâtrale. En particulier, l'entrée de Violaine à la scène 3 de l'acte II a gagné en intensité dramatique : dans la version primitive, Jacques suit des yeux "par le sentier sinueux Violaine toute dorée qui par moments resplendit sous le soleil entre les feuilles" (p. 48) ; dans la version définitive, il parle à sa fiancée d'abord restée "au-dehors, invisible" (p. 167) et n'apparaissant qu'au moment précis ou elle dit : "Secondement de leur mort" (p. 168), liant ainsi son entrée à l'annonce du sacrifice de son amour et de sa vie46. De même, au début de la scène 4 de l'acte II, la didascalie précisant que "toute cette scène peut être jouée de telle façon que le public ne voie que les gestes et n'entende pas les paroles" (p. 177) non seulement révèle une certaine originalité, mais traduit bien le dynamisme de Mara qui, par ses seuls mouvements, peut exprimer sa joie à voir se briser l'union de Jacques et Violaine et sa capacité à tenir tête à la Mère. De telles indications montrent à quel point Claudel a appris à penser en termes de théâtre et quel sens il a du geste expressif et symbolique.
28Néanmoins, malgré ces vertus dramatiques indéniables de la version définitive, plusieurs critiques et metteurs en scène lui préfèrent les accents lyriques du texte primitif. Lors des représentations du Théâtre Hébertot, les critiques ont été divisés sur ce point. Certains louent la plus grande clarté du nouveau texte qui livre une Annonce "décantée, dépouillée, pure de tout ornement et d'une simplicité magnifique"47, alors que pour d'autres, cette clarté se développe aux dépens de l'art, dont la mission est de suggérer plutôt que de dire : Robert Kemp dans Le Monde "regrette l'ancien brouillard où le rêve se prolongeait en tâtonnant", et le critique de L'Aurore n'hésite pas à affirmer que l'auteur a déchu "en faisant au dénouement sa propre exégèse et en nous livrant en somme une édition scolaire de son poème". Même certains metteurs en scène, comme récemment Philippe Adrien, continuent de préférer jouer L'Annonce dans son texte primitif, qui non seulement traduit mieux le sens de la pièce, mais aussi émeut plus le public. Ainsi Guy Mairesse, qui a monté L'Annonce au Festival de Josselin en août 1966, déplore dans le texte de 1948 l'amputation des lectures bibliques de l'acte III, car selon lui seule leur récitation intégrale parvient à montrer en filigrane ce qu'éprouve profondément Mara, qui à ce moment doit se trouver pleinement dans un état de grâce qu'elle communique au public : "Cela provoque une lutte poignante entre la lucidité de l'actrice qui en principe devrait pouvoir maîtriser son émotion et le texte qui l'anéantit, faisant place nette et table rase. A ce point de presque rupture se fait jour une vérité à laquelle aucun public ne résiste"48. De même, Jean Lagénie, qui a mis en scène L'Annonce devant la cathédrale de Saint-Flour en août 1966, avoue avoir toujours eu un faible pour "le lyrisme audacieux" de la première version, notamment dans la scène finale, qui a subjugué tout un publie dans des conditions pourtant difficiles :
En adoptant la première version, j'étais conscient des difficultés de réalisation de la scène finale. Ce long dialogue, cette résurgence du chœur antique qui survient après la mort de Violaine, alors que l'action du drame est terminée (à moins que l'âme de Violaine agissante, constamment évoquée par les survivants, ne vienne apporter à faction son véritable point d'orgue ?...). En récompense de nos craintes, nous avons eu la joie de constater que le public écoutait silencieux et tendu le texte admirable du grand poète. Le drame de Violaine était fini, le public le savait. Mais les prolongements du drame dans le cœur de ceux qui restent ? Il écoutait, religieusement... Pourtant la scène commençait vers minuit. Et elle durait une demi-heure49.
29Quelles que soient les préférences avouées pour l'une ou l'autre version, il est difficile de savoir si, dans la pratique, metteurs en scène et acteurs respectent à la lettre celle qui est choisie. Sans doute L'Annonce a-t-elle été présentée de multiples fois dans un texte mêlant les deux versions ? En tout cas, la "version définitive pour la scène", jaillie comme toute œuvre d'art, ainsi que l'assurait son auteur, "d'une quantité de petits obstacles qu'il a fallu surmonter" apparaît bien comme l'aboutissement, "le fruit de cinquante-six ans de patience acharnée"50 : de La Jeune Fille Violaine de 1892 à L'Annonce de 1948 apparaît tout l'effort du dramaturge pour exploiter, affermir et imposer les vertus théâtrales de son œuvre.
30A ce nouveau texte, correspond un nouveau décor. Certes, chaque mise en scène d'une pièce implique la création d'un décor différent, mais celui du Théâtre Hébertot semble lui aussi définitif puisque de nouvelles didascalies le fixent dans le texte de 1948. Pourtant, lors des derniers projets scéniques auxquels il avait collaboré, au Théâtre Pigalle et à la Comédie-Française, Claudel avait manifesté des opinions hésitantes, voire contradictoires à l'égard des décors. C'est peut-être à force d'avoir mûri des projets si divers qu'un beau jour, comme par miracle, le véritable décor de L'Annonce s'est imposé à l'auteur, ainsi que le rapporte le journaliste Pierre Mazars :
C'est en feuilletant un magazine américain qu'un beau jour une jeune fille de la famille de Claudel s'écria : "Mais voilà le décor de L'Annonce !"
"Un vaste édifice aux piliers carrés, avec des charpentes en ogive qui viennent s'y appuyer", c'était bien là ce que montrait l'image du magazine : un manoir anglais de 1240, Stocksey Hall, miraculeusement intact.
Paul Claudel, en voyant la photographie, eut un violent choc, celui de la sensation de "déjà vu". Cet intérieur qui lui apparaissait était celui-là même que son imagination poétique avait jadis créé pour la pièce51.
31Lorsque l'auteur eut reconnu dans la photographie de Life l'intérieur de Combernon dont il rêvait, aucun autre décor ne lui parut alors possible, même pour les autres tableaux.
32Ainsi, dans l'édition de 1948, au lieu des huit tableaux et des six décors réclamés par la version précédente (le seul acte II en nécessitait trois), un seul dispositif scénique peut être utilisé pour tous les actes, moyennant quelques aménagements pour l'acte III, et le texte indique désormais dès le début :
Le décor est le même pour les deux premiers actes et le prologue : il est emprunté au hall d'un manoir anglais datant de 1240 et demeuré intact depuis cette date : Stocksey Hall. Il y a un crucifix sur le mur, côté cour.
Des indications spéciales seront données pour l'acte III52.
33En plus des deux premiers actes et du Prologue, cette indication aurait pu mentionner l'acte IV, qui se passe aussi dans "la salle du premier acte" où seule se trouve ajoutée "une longue table" sur laquelle est posée "une nappe étroite dont les pans retombent également aux deux bouts" (p. 202).
34Mais l'acte III doit rompre fatalement cette unité de lieu pour évoquer la forêt de Chevoche53. Cet acte présente d'abord une toile peinte : Claudel et Hébertot ont imaginé, au moment où Mara demande aux bûcherons le chemin de la retraite de Violaine, "un rideau panoramique à la façon des paysages des Riches Heures du duc de Berry, où l'on aperçoit tout au haut la formidable arche de pierre"54. Puis, lorsque Mara rencontre Violaine, le texte indique que "le rideau se baisse un moment. Violaine voilée et manœuvrant la cliquette passe sur le devant de la scène, suivie de Mara" (p. 188). Au Théâtre Hébertot, un rideau de scène noir apparaît quand Mara se met à suivre sa sœur dans la neige. Le décor unique n'est pas longtemps abandonné, car il réapparaît dès la scène 2 de l'acte III où, sans que le lieu scénique ait changé, naît un nouveau lieu dramatique, Claudel jouant à fond la convention : "Pour le décor on se sert de celui des autres actes où l'on a supprimé les escaliers" ; mais sont ajoutés à l'avant "une espèce d'estrade assez large à laquelle on accède par deux ou trois marches surmontées par une grande croix de bois à laquelle est adossé un siège”, ainsi qu'"un pupitre surmonté d'une lampe accrochée à une potence" (p. 189) : sur cette estrade se trouvera d'abord Violaine qui en descendra, se réfugiant alors dans son abri avec l'enfant, pour laisser place à Mara qui y montera et s'installera devant le pupitre afin de lire les textes sacrés (p. 198).
35Comment apprécier ce nouveau dispositif scénique ? Remarquons d'abord qu’étant inspiré par une photographie, il semble satisfaire l’exigence de réalisme chère à Claudel : la photo, s'imposant avec plus de force que toutes les constructions de la seule imagination, cristallise pour lui tous les lieux possibles en offrant un cadre précis à ses personnages. Comme cette photo représente un grand hall rustique aux poutres apparentes avec un bel escalier de bois sur la gauche qui souligne sa dimension ascensionnelle, le dispositif scénique réalisé d'après elle par le décorateur Moncorbier au Théâtre Hébertot accentue la part d'inspiration paysanne présente dans L'Annonce, déjà soulignée par la nouvelle familiarité du langage et encore renforcée par l'insistance avec laquelle l'auteur, dans ses interviews et articles, rappelle les liens profonds entre sa pièce et son Tardenois natal55. De plus, par ses dimensions imposantes, ce nouveau décor permet la présence d'une importante figuration montrant la vie d'une grande ferme : une photo de la scène des adieux du Père nous fait prendre conscience de l'extrême harmonie existant entre ce décor rustique et la scène familiale qui s'y déroule56. Cependant, ce désir de mettre en évidence l'atmosphère paysanne ne rejoint pas un souci de précision documentaire : au mépris de l'exactitude historique, Claudel s'inspire d'un bâtiment de 1240 pour l'adapter à une action qui se situe au XVe siècle ; au mépris de la réalité géographique, il utilise un manoir anglais pour évoquer l'atmosphère "terre de France" qu'il reprochait à Copeau de n'avoir pas rendue dans un dispositif qui l'aurait peut-être pourtant mieux traduite. L’existence d'un décor unique permet également à Claudel de satisfaire une autre exigence fondamentale : ne pas interrompre le rythme de l'action. Cette condition nécessaire selon lui à toute mise en scène de ses pièces, qu'il avait déjà formulée à Lugné-Poe et réalisée à Hellerau pour L'Annonce, se trouve ici pleinement satisfaite, ainsi qu'il le déclare à un journaliste : "Un décor unique permet de jouer la pièce sans désemparer. Le prologue, le premier acte et le second se suivront sans interruption, afin de ne pas rompre l'émotion"57 : l'unicité du lieu scénique va donc renforcer le nœud du drame.
36Toutefois, une telle continuité ne va pas toujours sans quelque artifice sur le plan matériel. Ainsi, à l'acte II, il n'y a plus le verger en fleurs de la version primitive, mais lorsque Jacques rencontre Violaine, il n'en continue pas moins à lui adresser sa célèbre salutation : "O ma fiancée à travers les branches en fleurs, salut !" (p. 167). A ce moment où, dans la version de 1948, Violaine n'est pas encore visible, la mise en scène du Théâtre Hébertot a prévu de diffuser une lumière très vive, éclairant de l'extérieur la fenêtre en ogive par laquelle Jacques regarde venir sa fiancée, et devant ainsi donner l'illusion de la splendeur du printemps et du soleil au dehors. Malgré de tels artifices destinés à pallier la contrainte du décor unique, d'une manière générale le pouvoir poétique des paroles des personnages ne va-t-il pas se heurter à ces murs et à ces voûtes inimitables, à ce lieu ne représentant finalement qu'un intérieur de ferme et non pas cet espace poétique idéal apte à laisser deviner d'autres horizons ? Ce dispositif semble un peu trop rigide pour une pièce où, comme l'avait remarqué Jean Variot en 1912, la variété des scènes est aussi compliquée que dans le vieux théâtre espagnol.
37En somme, le décor du Théâtre Hébertot semble satisfaisant par l'unité d'atmosphère qu'il crée sans interrompre la progression de l'action, mais la tentation du réalisme empêche l'illusion théâtrale d'opérer à plein.
38Afin de renouveler encore plus nettement la vie scénique de L'Annonce non seulement pour l'œil mais aussi pour l'oreille, la mise en scène du Théâtre Hébertot présente le nouvel accompagnement musical de Maria Scibor. La partition que la fille de Claudel avait écrite en 1938-39 – donc en fonction de la version primitive et de la variante de l'acte IV – et qui avait irrité Dullin, avait déjà été jouée lors des représentations du Rideau des Jeunes en 1941, mais fauteur n’avait pu y assister. C'est donc au Théâtre Hébertot qu’il va pour la première fois apprécier sur une scène L'admirable musique" que "Maria Scibor tenait toute prête dans le ciel"58 et qui, comme la nouvelle version du texte, semble définitive, puisqu'il entend l'imposer pour les mises en scène à venir, du moins celles dont il s'occupera.
39Cette musique de scène59 semble obéir, mais plus modestement, au désir d'"impression sonore de paradis" que Claudel avait demandé à Milhaud de traduire dans les années 1930. La partition de Maria Scibor évoque en effet constamment un monde surnaturel. Avant même le lever du rideau sur le Prologue, des voix d'hommes "comme de grandes cloches" vibrent au lointain, puis, très clairement, entonnent un chant évoquant l'annonciation de l'ange Gabriel à Marie (p. 1-3). Pendant le Prologue, après la réplique de Violaine "Paix sur vous Pierre", une voix de femme soutenue par un chœur chante le Regina Coeli, d'abord "très clair, sans nuance et très librement”, puis "plus sombre, presque parlé"60 (p. 4). Un chant où quatre voix de femmes célèbrent la venue de "l'été si doux" (p. 7) permet d'enchaîner le Prologue à l'acte I. Pendant celui-ci, la musique ponctue le départ d'Anne Vercors où une voix d'enfant chante Compère loriot (p. 8), puis la fraction du pain où se fait entendre Marguerite de Paris (p. 8-9), chanson pourtant prévue dans la pièce à la scène finale, où elle sera reprise. Au début de l'acte II, "une voix de femme seule ou à l'unisson comme des moniales" chante le Salve Regina (p. 10) et à la fin de la scène 3, lorsque Jacques conseille à Violaine de quitter Combernon, un quatuor vocal plaint le sort des fiancés (p. 11). La musique reprend à l'acte III pour souligner le miracle. D'abord, au moment où les cloches de Noël annoncent la messe de minuit et où Violaine s'exclame "O Mara, un petit enfant nous est né !", retentit brièvement une trompette solo (p. 12), conformément à la didascalie du texte "Trompettes dans l'éloignement". Puis la musique ponctue les lectures bibliques de Mara pendant lesquelles "on devrait entendre des gémissements et des plaintes" dont le chant se "détachera comme un rayon d'espoir" (p. 13) : après la lecture de la Prophétie d'Isaïe, des voix de basses se font entendre ; pendant le Sermon de Saint Léon pape, une voix de baryton prépare la venue du Sauveur, et pendant l'Evangile selon Saint Luc, "une voix de femme ou d'enfant" célèbre la naissance du Christ, prolongée par les cloches de Monsanvierge qui tintent "très doucement jusqu'à ce que le rideau tombe" (p. 16). Enfin, la musique accompagne les deux extrémités de l'acte IV. A son début, quand Jacques entre avec Mara, un quintette vocal chante "Soror nostra Lucia..." (p. 17-9). A la fin, la musique souligne brièvement trois passages : quand Anne Vercors ouvre la porte pour contempler le jour qui se lève sur la campagne, un chant populaire célèbre "l'alouette qui mont' en haut" (p. 19) ; puis lorsque Mara avoue que Violaine a ressuscité l’enfant, un quatuor vocal reprend Marguerite de Paris, "plus vite et plus léger" qu'à l'acte I (p. 20) ; enfin, après les derniers mots de Violaine "l'obscurcissement comme d'un ombrage très obscur", un chœur qui doit "attaquer exactement sur la dernière syllabe d'"obscur" et continuer jusqu'à ce que le père traverse la porte, emportant sa fille morte", chante "comme une grande cloche" la paix retrouvée ; puis lorsque Mara s'avance vers la porte avec son enfant dans les bras, il entonne le Gloria et "au second Gloria du chœur, elle soulève l'enfant lentement au-dessus de sa tête, l'abaisse, le reprend en ses bras et redescend sur la scène de façon à se replacer en face de Jacques Hury avant le dernier Pax" (p. 21).
40Cette description suffit à montrer la place encore considérable qu'occupe la partie musicale. Cependant, elle diffère par sa nature et sa signification de la partition de Milhaud. Chez Maria Scibor, les chœurs ne se fondent plus sur les paroles des personnages, mais font entendre essentiellement des chants liturgiques qui apparaissent le plus souvent à des moments de silence du texte : ce nouvel accompagnement se trouve ainsi moins directement intégré à l'action. Comme en outre, sur le plan musical, il s'inspire du chant grégorien et n'utilise pas d'instruments, il demeure plus traditionnel et modeste – du moins dans sa version éditée61 – que la partition de Milhaud, à la fois plus originale, plus complexe et plus dramatique. Pourtant cette dernière a été abandonnée parce que son exécution avait déçu Claudel et certainement aussi parce qu'il voulait mettre en valeur les dons musicaux de sa fille, plus docile à ses idées. Mais si l'auteur s'est félicité de cette nouvelle musique de scène, les critiques ne l'ont pas toujours appréciée, la jugeant souvent trop manifestement symbolique. C’est le cas d'Henri Gouhier, pour qui "le metteur en scène devrait dire : pas de musique quand le texte suffit et surtout quand le symbole s'impose, comme au début du Prologue"62, et de Beatrix Dussane qui déplorera également que "dès le début et à toute occasion, des chœurs chantant un Palestrina d’opéra [...] retirent toute signification exceptionnelle à l'Angélus du Prologue et au Gloria de Noël de l'acte III"63. Certes la musique semble inutile quand les mots s'imposent avec force, mais pour Claudel, le texte, tout en restant au premier plan, a besoin d'une évasion vers une autre dimension, ici surnaturelle.
41En tout cas, à la fois dans son texte, son décor et sa musique, c'est bien une Annonce nouvelle que présente le Théâtre Hébertot, à tel point que Claudel redécouvre sa pièce. Certes, avec le temps qui a passé depuis la première version, le texte original lui-même prend parfois une résonance nouvelle et souvent émouvante pour l'auteur à présent octogénaire : ainsi lorsqu'Anne Vercors commente le chant du loriot signifiant "qu'il est temps que le vieux homme s'en aille"64, Claudel ajoute : "C'est moi le vieil homme Ce n'est pas seulement Anne Vercors sur la scène qui prend congé de ses enfants et de ses amis, c'est le vieux poète aussi, profitant de ce libre usage qui pour la première fois, la dernière sans doute, lui est accordé d'une scène, convoque ses enfants et ses amis pour prendre congé d’eux"65. Mais ce sont surtout les récents aménagements de L'Annonce qui la révèlent autrement à son auteur. La nouvelle importance donnée à Mara lui fait mieux mesurer le sens profond de la pièce, notamment l'extraordinaire pouvoir de la foi qui "peut soulever, transporter les montagnes [...], parvient à reculer les frontières de la puissance humaine, et la mort surtout [...]. Le miracle est mis à la disposition de l'homme"66. C'est aussi avec des yeux de dramaturge, voire de technicien, que Claudel découvre l'"agencement mécanique" de son œuvre, "un peu comme un ingénieur qui, voyant fonctionner le moteur qu'il a pensé, juge les modifications qu'il doit apporter"67. Si l’auteur fait une telle constatation, c'est qu'elle est le fruit de la participation active qu'il a prise à la mise en scène de sa pièce.
3. Engagement de Claudel dans la mise en scène
42Aussi bien la presse que Claudel lui-même n'ont cessé de proclamer que l'originalité de la mise en scène du Théâtre Hébertot résidait dans la présence du dramaturge sur le plateau afin de superviser tous les éléments du travail scénique. Résumant tous ses confrères journalistes, A. Besnard-Rousseau affirme que, "donnant ses indications pour prononcer le verset claudélien, modifiant les gestes et les attitudes, surveillant, conseillant, le poète a inspiré la mise en scène"68. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que Claudel ait avoué à Hébertot, deux semaines avant la première : "Ce n'est pas sans un serrement de cœur que je vois approcher la fin de cette longue période de répétitions de L'Annonce"69. Tout en satisfaisant son instinct d'autorité, le dramaturge a pu épanouir concrètement sa passion de plus en plus affirmée pour le travail scénique, plus nettement que dans ses expériences précédentes et déjà lointaines avec Lugné-Poe ou à Hellerau. Au Théâtre Hébertot, après toutes les mises en scène qui avaient avorté ou qui avaient trahi son Annonce, Claudel entend faire triompher celle qu'il juge définitive. Cependant, il a face à lui un metteur en scène, Jean Vernier, qui tout en affirmant son humilité vis-à-vis des volontés du créateur, n'en estime pas moins qu'il doit les accepter ou les refuser selon qu'elles sont réalisables ou non scéniquement.
43En 1948, les idées scéniques prônées par Claudel apparaissent comme un approfondissement des principes qu'il avait défendus dès 1912 et qu'il n'a ni oubliés, ni reniés, ainsi qu'il l'affirme lui-même :
Les amateurs qui ont conservé le programme de la première représentation de L'Annonce à la salle Malakoff le 20 décembre 1912 y trouveront certaines réflexions sur la mise en scène, que Lugné-Poe avait cru intéressant de me demander. Toutes informes et confuses qu’elles se présentassent alors, une longue expérience ne les a pas démenties. Et ce sont ces mêmes principes que la confiance de M. Hébertot m'a permis d'appliquer pour l'élaboration scénique de L'Annonce70.
44Claudel reste surtout fidèle à sa conception de la diction. Aux acteurs de 1948, choisis pour la plupart après audition, il renouvelle ses conseils de 1912 : respecter le système prosodique claudélien "mieux adapté que le vers alexandrin aux nécessités du drame" et "tenir compte de certains éléments essentiels, tels que les rapports des timbres (remplaçant la rime) et la vertu prééminente des consonnes"71. A ces principes déjà souvent formulés, l'auteur ajoute quelques nuances complémentaires, comme son horreur d'"une effroyable et épuisante vocifération gutturale" que les acteurs pratiquent trop souvent au détriment d'une émission "dans le masque" grâce à laquelle "l'énergie qu'ils croient trouver dans le hurlement" serait obtenue "à meilleur compte dans la syllabisation"72. Ce qui différencie le plus la diction souhaitée en 1948 de celle qui était préconisée en 1912, c'est l'accentuation de son efficacité dramatique par rapport à ses vertus musicales. Ces dernières ne doivent pas disparaître, mais, dans une version qui a été conçue "pour la scène" et où le langage est devenu plus familier, elles ne doivent pas nuire à une volonté de vraisemblance psychologique et sociale. De fait, quelques jours avant la première, Le Figaro littéraire annonce que cette fois-ci "le texte est dit sans cette emphase symboliste qui n’a pas toujours été évitée jadis"73.
45Mais beaucoup plus qu'à la diction, sur laquelle il avait concentré son travail à la création, c'est désormais aux gestes que l'auteur entend attacher une attention particulière. Son souci, formulé dès 1912, de les faire correspondre à une intention calculée et précise, à "la composition et à la décomposition" d'une "attitude"74, s'est trouvé confirmé par la fréquentation du théâtre japonais. Pour L'Annonce en 1948, Claudel a voulu orienter la signification des gestes et des attitudes en fonction d'une symbolique chrétienne, ainsi que la presse l'apprend aux futurs spectateurs :
Les acteurs élèvent volontiers, comme le veut Claudel, leurs bras et leurs mains, forment de leurs mouvements des arceaux de cathédrale dressés vers les hauteurs. N'est-ce pas l'esprit de Monsanvierge qui vit en eux ?75
46Si Hélène Sauvaneix a affirmé que l'auteur voulait voir Violaine "comme une flèche tendue vers le haut"76, c'est surtout Pierre de Craon qui illustre une telle gestuelle. Alain Cuny se conforma totalement aux instructions de Claudel, écartant le risque d'être taxé de ridicule, comme le fera pourtant presque toute la critique77. Pour le dramaturge, l'attitude fondamentale de son personnage bâtisseur d'églises, que les gestes composeront et décomposeront, est de signifier une cathédrale vivante. Dès lors, la gestuelle de l'acteur se réduit essentiellement à deux mouvements : bras levés dressés vers les hauteurs, mais aussi corps accroupi ou mains tendues vers le sol, désignant les fondations. En relisant les paroles de Pierre dans le Prologue, on peut imaginer ces deux mouvements opposés, chaque fois qu'il parle de flèche ou de base78. Des photographies79 montrent certaines de ces attitudes lorsqu'il raconte à Violaine la "belle histoire" de Justitia donnant son nom à la cathédrale qu'il construit à Rheims : à ce moment, il est accroupi, faisant avec ses mains le geste de mesurer "le grand bloc de base"80 dont il parle. Puis aussitôt après, lorsque Violaine lui offre son anneau d'or comme "toutes les dames de Rheims" qui "donnent leurs bijoux pour la construction de la Justice" (p. 138), il l'élève très haut au-dessus de sa tête, et ses deux bras arrondis forment comme une voûte en ogive ; au moment où il dit : "Il est d'or végétal, comme on savait les faire jadis avec un alliage de miel" (p. 139), son geste, plus que celui d'un homme examinant dans la lumière un objet précieux, représente déjà la cathédrale de lu Justice où brillera un peu de cet or à son faîte. D'une manière générale, puisque Pierre de Craon affirme : "Je ne vis pas de plain-pied avec les autres hommes, toujours sous terre avec les fondations ou dans le ciel avec le clocher" (p. 144), ses gestes, ses regards, son corps entier doivent mimer selon Claudel cette perpétuelle ascension et cette perpétuelle descente, qui s'immobilise en un mouvement tendu vers le ciel lorsqu'il proclame : "Je ne descendrai plus" (p. 144). Chez Pierre de Craon, les gestes apparaissent donc comme l'essentielle traduction de la réalité profonde et du symbole de ce bâtisseur d'églises.
47Si, pour ce personnage, Claudel a poussé à l'extrême son exigence d'une signification des gestes, il n'en reste pas moins vrai que chez tous les autres aussi, des gestes peu nombreux mais bien choisis devaient exprimer des sentiments profonds, premiers. Ce désir est conforme à la remarque de 1912 selon laquelle "le principe du grand art est d'éviter sévèrement ce qui est inutile"81, mais alors qu'à cette époque l'auteur donnait des conseils d'interprétation à chaque acteur, en 1948 il s'intéresse plus à l'ensemble, à la cohérence générale des attitudes et des mouvements, qui doit remplacer les évolutions inutiles. Claudel a fait travailler les comédiens dans ce sens, parfois même en l'absence du metteur en scène, comme le montrent particulièrement trois scènes importantes de la pièce.
48Tout d’abord, lors de la rencontre de Jacques et Violaine à la scène 3 de l’acte II, les paroles qu'échangent les personnages doivent être accompagnées d'un double mouvement très simple : recul de Violaine par rapport à Jacques et de Jacques par rapport à elle ; c'est-à-dire qu'à certains moments, soit Jacques, soit Violaine, après un temps d'immobilité, s’éloigne légèrement de l'autre. Une telle ligne directrice paraît étonnamment monotone pour une scène aussi longue et aussi complexe. C'est que, pour l'auteur, seuls deux grands sentiments semblent pouvoir être la source d'évolutions non inutiles : la honte de Violaine, qui, lépreuse, doit fuir toute approche de Jacques, et l'hésitation de ce dernier, partagé entre le désir de prendre sa fiancée dans ses bras et de garder une distance respectueuse entre elle et lui. A partir de cette analyse, il est aisé de saisir d'après quelles paroles-clés des personnages le dramaturge veut animer son texte. Lorsque Violaine entre (p. 168), un premier mouvement de recul est esquissé par Jacques qui s'éloigne un peu pour mieux la considérer. Puis il va vers elle, enthousiasmé par l'amour qu'ils s'avouent, mais c'est alors qu'elle lui impose une distance : "Ne dites rien. Je ne vous demande rien. Vous êtes là et cela me suffit" (p. 169). Jacques ne s’approche pas d'elle, comme s'il appréciait plus celte invisible barrière entre eux qu'une trop grande proximité : "Mais vous serez si près de moi que je ne vous verrai plus" (p. 169). Les mouvements scéniques sont ainsi ordonnés par une série d'expressions-clés comme "Ne me touchez pas", "Laissez-moi", "Eloignez-vous de moi" ou, à défaut, par certaines répliques pouvant sous-entendre ces reculs : lorsqu'après l'aveu d'amour de son fiancé Violaine lui assure "Je vous crois, je vous crois Jacques !" (p. 169), elle semble plus, démentant alors ses paroles, esquisser un mouvement de recul que d'approche, car Jacques remarque aussitôt : "Pourquoi donc cet air d'inquiétude et d'effroi ?" (p. 170). A l'instant où Violaine avoue son secret, un ultime rapprochement, évoqué par l'appel qu'elle lance à Jacques : "Venez plus près de moi" (p. 174), précède un éloignement de celui-ci, qui n'est plus seulement la traduction provisoire de son attitude ambiguë à l'égard de sa fiancée, mais la marque définitive de sa crainte de la lèpre et de son horreur de l'amour trahi. Tout au long de cette scène, les mouvements des deux personnages ont donc traduit l’évolution du sens de leur dialogue et de leurs sentiments.
49La scène du miracle illustre également la volonté claudélienne de faire comprendre l'essentiel par les attitudes des personnages. Selon l'auteur, ce passage s'ordonne lui aussi sur un schéma très simple : l'opposition entre l'immobilité de Violaine enfermée dans son isolement de lépreuse et d’aveugle, et les allées et venues rageuses de Mara qui l'assiège. Ces mouvements dépendent beaucoup des dimensions de la scène et des proportions du décor : sur le plateau assez restreint du Théâtre Hébertot, limité à gauche par l'entrée de la caverne de Violaine et à droite par l'estrade supportant le pupitre où seront lus les textes sacrés, les allées et venues de Mara se trouvent réduites à l'espace entourant la haute croix surmontant le praticable où Violaine est assise82. Mara exécute autour de sa sœur une sorte de ballet qui doit très étroitement suivre la respiration du texte afin d'éviter les évolutions inutiles que blâme Claudel.
50Pour lui, les grands moments de la mise en scène s'articulent entre les passages de désespoir, d'humiliation, de supplication de Mara envers Violaine et ceux de révolte ou d'horreur. Elle doit l'assiéger à la fois presque physiquement dans un corps à corps et dans des rondes plus distantes où elle la surveille. L’auteur fournit donc ici encore au metteur en scène la ligne des évolutions des deux interprètes en indiquant les quelques phrases qui lui semblent articuler des changements particulièrement nets : Mara, précédemment agenouillée près de Violaine, doit bondir lorsqu'elle s'écrie : "Ils voulaient me l'arracher" (p. 194), puis se révolter farouchement quand elle dit : "Tu mens ! il n'est pas mort !" (p. 196). Cependant, c'est ensuite au metteur en scène et aux interprètes de traduire le texte réplique par réplique d'après la ligne générale tracée par l'auteur83. En revanche, ce dernier a plus précisément imposé sa volonté pour la mise en place du miracle proprement dit. Pour la première fois par rapport aux mises en scène précédentes les plus marquantes, Violaine disparaît dans sa logette au moment du miracle : souci de vraisemblance, de bienséance, ou marque d'un symbole mystérieux ? Quoi qu'il en soit, Mara reste seule en scène : son jeu doit alors donner la sensation de l'atmosphère surnaturelle suggérée par les lectures sacrées et les chants célestes, jusqu'à ce qu'elle sursaute lorsque Violaine s'écrie : "Ah !", "cri étouffé" d'après le texte (p. 200), mais que Claudel a conçu au Théâtre Hébertot comme un véritable hurlement84. Dans tout ce moment final de la scène du miracle, chaque détail a donc été réglé comme Claudel l'entendait85.
51Un troisième exemple de cette volonté claudélienne de donner un sens aux mouvements des acteurs est constitué par la mort de Violaine. Pour bien comprendre en quoi ce moment implique plus que les précédents une modification de la vision de L'Annonce par son auteur, il faut établir une comparaison avec les versions antérieures. Dans le texte primitif, la mort de Violaine doit symboliser le comble de l'humilité. Aux yeux des hommes, elle reste une lépreuse pécheresse dont la véritable gloire ne peut être de ce monde ; elle-même avoue : "Et maintenant il faut m'emporter d’ici" car "ce n'est point ici la place d'une lépreuse pour y mourir" (p. 94), et lorsque sa mort est venue, Jacques accomplit ce dernier vœu de très grande humilité en demandant à Pierre de la porter dans l'abri qu'Anne Vercors a construit pour les pauvres à la porte de Monsanvierge. La même inspiration réapparaît dans le nouvel acte IV de 1938, mais cette fois, c'est le Père qui se charge de sa fille. En revanche, dans la version de 1948, Claudel change radicalement la signification de cette mort. A première vue, la différence peut paraître mince : au lieu d'être emportée hors de la salle de Combernon, Violaine meurt sur la table de la cuisine, entourée des siens comme dans les versions précédentes et ayant prononcé les mêmes derniers mots. Mais les nouvelles indications scéniques, très détaillées, montrent que si Violaine morte ne doit plus être emportée, c'est que l'auteur veut l'utiliser comme le symbole concluant la pièce : sur le corps de la sainte vont se réconcilier les irréconciliables. Claudel a nettement affirmé cette intention :
Le quatrième acte de L'Annonce se termine aujourd'hui par un geste symbolique. Au-dessus du corps de la lépreuse sacrifiée, le Père, pendant que les cloches de Monsanvierge scandent de leur : Pax ! Pax ! Pax ! la musique de Maria Scibor, élève entre ses deux mains les mains des époux réconciliés. Car il a appris que ce n'est qu'en élevant que l'on réconcilie86.
52Pour Claudel, cette présence scénique du corps de Violaine est également nécessaire dans la mesure où elle permet de matérialiser la "gloire" de la sainte sacrifiée, contrastant avec l'humilité des versions précédentes. Un hommage solennel lui est rendu afin que le spectateur comprenne bien qu'elle en recevra un autre, supérieur et éternel, au paradis. L'auteur transfigure donc le dénouement de sa pièce dans le sens du grandiose. Sur la scène, cet hommage devient une sorte de veillée funèbre, comme l'indique à présent le mouvement scénique suivant interrompant l'ultime dialogue entre Jacques et Violaine : "Ici entrent tous les serviteurs de la ferme, tenant des cierges qu'ils allument" (p. 214). Avertis par on ne sait quel pressentiment obscur, les serviteurs s'avancent, se placent à une certaine distance autour de la table et prennent des attitudes de pleurants, tandis que les fiancés achèvent leur déchirant dialogue. Un tel déploiement n'apparaît-il pas comme une diversion coupant ces phrases où tout doit se passer dans les âmes, comme une concession, non seulement à un symbole, mais peut-être aussi, plus bassement, à un bel effet de théâtre ?87 Cette veillée funèbre, tableau statique semblant se situer au-delà de la pièce, qui sera prétexte à une composition picturale avec jeux de lumière, harmonies ou contrastes de couleurs dans les costumes des serviteurs, traduit un goût pour le grandiose qui n'apparaît pas scéniquement très heureux.
53Il est donc certain que pour les représentations du Théâtre Hébertot, Claudel a voulu concevoir des gestes et des attitudes qui, tout en soulignant un aspect symbolique, mettent en valeur I action. Cette évolution de la conscience dramatique de l'auteur est bien résumée dans l'importance scénique nouvelle qu'il accorde à Mara. En lace d'une Violaine souvent immobile et résignée, Mara incarne la vie, la révolte, la foi triomphante, et devient le facteur premier de l'action. Cette nouvelle signification du personnage, que le dramaturge avait déjà expliquée lorsqu'il avait modifié l’acte IV, est confirmée en 1948 sur le plan scénique : "J'ai voulu toutefois le rôle de Mara plus important dans la dernière version [...]. Elle "oblige" Dieu à ressusciter sa fille, grâce à Violaine"88. Effectivement, Claudel fit beaucoup travailler Carmen Duparc seule avec lui pour donner au rôle de Mara la violence qui le choquait un peu en 1912 lorsqu'il le trouvait "un peu trop mélodramatique, un peu trop rude"89. Pour exprimer désormais cette violence, Mara sera vêtue, selon la volonté de l'auteur, de costumes aux couleurs frappantes : une grande robe rouge sang moulante accusant la poitrine et, à la scène du miracle, un manteau noir.
54Ainsi, réglant les mouvements et l'interprétation des acteurs, exprimant par des attitudes scéniques ses idées les plus profondes, s'occupant même des costumes, Claudel non seulement a préparé le travail du metteur en scène, mais semble parfois même s'être substitué à lui. De fait, la préparation des représentations du Théâtre Hébertot lui a fait découvrir la notion de mise en scène dans son acception globale de cohérence interne entre les diverses évolutions des acteurs, comme il l'écrit la veille même de la première :
Quant au règlement de l'action, ou mise en scène proprement dite, elle constitue une fonction si importante, nécessitant de la part de celui qui l’exerce tant d'intelligence, d'imagination et d'ingéniosité, que je ne puis la comparer qu'à la création elle-même. Je ne veux mentionner ici que l'une des découvertes que le travail passionnant de ces dernières semaines m'a permis de faire. C'est que la mise en scène comporte "une ligne". Il ne s'agit pas, au fur et à mesure et va comme je te pousse, d’accompagner l'émission du texte de mouvements, de déplacements et de gestes plus ou moins appropriés. Il faut que l'acteur se sente toujours soutenu, accroché, jamais abandonné à lui-même dans l'incertitude, la stagnation et le vide. Il ne cesse jamais d'être en marche, il vient de quelque part et il va de tout son être quelque part. C'est comme Anne Vercors qui va à Jérusalem. Il y a des mains qui le poussent et d'autres mains qui le tirent, et d'autres mains de chaque côté qui se tendent vers les mains. Il poursuit une certaine trajectoire. Chacun de ses mouvements est un acte qui a un sens 90.
55Dans cette déclaration, capitale pour mesurer son évolution scénique, Claudel découvre qu’une mise en scène digne de ce nom doit être concertée comme une véritable œuvre d'art. Cette révélation, quel qu'ait été l'engagement de l'auteur dans le travail scénique, lui a peut-être été donnée aussi par sa collaboration avec le metteur en scène Jean Vernier.
56Malgré les nombreuses directives de Claudel, l'apport de Jean Vernier ne fut pas négligeable dans la mise en scène de L'Annonce. Certes, ce dernier n'a pas la personnalité d'un Copeau ou d’un Jouvet et il estime que le metteur en scène doit faire preuve de discrétion et d'humilité vis-à-vis des volontés du créateur91. Mais même s’il demeure un artisan, il doit s'efforcer d'appliquer les lois de son métier, qui ont infailliblement raison face à l'imagination de l'auteur. C'est pourquoi Jean Vernier va employer son autorité à examiner si tous les projets scéniques conçus par Claudel sont effectivement réalisables ou non sur le plateau du Théâtre Hébertot : certains seront acceptés, d'autres refusés.
57Ce qui paraît à Vernier le plus facile à traduire et le plus juste pour servir de ligne directrice à sa mise en scène, c'est le côté rustique voulu par Claudel à la fois dans le choix du décor, la familiarité du langage de certains personnages et la présence d'une figuration de serviteurs qui n'a jamais été aussi importante. Vernier estime qu'avant de s'élever aux symboles, il faut partir de la réalité du drame, de son cadre naturel. Servi en cela par un décor qui présente d'emblée une salle rustique, il se plaît à y ordonner des scènes précisément adaptées, et cette recherche amuse et passionne Claudel dans la mesure où elle est nouvelle pour lui : ni la mise en scène de la création ni encore moins celle de Hellerau n'avaient souligné cet aspect. Parmi ces scènes "naturelles", "vivantes", celle qui ouvre l’acte I est la plus remarquable : le texte de 1948 la lait débuter par un vif dialogue entre le Père et la Mère faisant allusion à leur vie quotidienne, qui ravit Jean Vernier car il lui permet de trouver immédiatement la ligne familière qu'il souhaite. Pour Claudel, cette impression doit être donnée non seulement par le jeu des acteurs, mais aussi par la présence d'accessoires comme le fer à repasser qu'utilise la Mère et la toile qu'elle asperge d'eau. Si Vernier accepte que la Mère repasse tout en parlant, il veille à ne pas multiplier les objets, car, plus que pour meubler la scène de manière réaliste, ils doivent y figurer afin d’assurer le lien entre la dimension symbolique de la pièce et la vie quotidienne ; dès lors, un seul suffit. Vernier dirige également les acteurs dans le sens d'une interprétation familière. En particulier Eve Francis incarne à merveille la Mère que l'on attend désormais : loin d'apparaître à nouveau comme la servante esclave de son époux, elle bougonne, ruse pour faire prévaloir son autorité, s'émeut subitement quand Anne parle de partir, en plaquant ses bras le long de son tablier ; toujours pratique et réaliste, elle évoque "un spectacle et un personnage de fabliau"92. Le même parti pris d'absence de solennité excessive gouverne la scène du partage du pain. Une photographie montre bien la simplicité des attitudes respectueuses des serviteurs et l'aspect rude d’Anne Vercors. Lorsque celui-ci invite ses gens à prendre place, ils s'avancent vers la table, venant de droite et de gauche, dans le mouvement de la grande nappe blanche dépliée et posée par deux servantes. Le Père prend alors le pain, mais ne l'élève pas pour en bénir l'assistance, comme Claudel le voudra à la Comédie-Française ; ses gestes restent ceux d'un paysan : il fait une croix sur la miche avec son couteau, puis coupe des morceaux qu'une servante distribue à chacun. Certes, nous sentons le symbole religieux qui évoque la Cène, mais il n'est pas spécialement marqué scéniquement et l'émotion suscitée est d'abord celle du dernier repas d'un homme avec les siens, avant un voyage dont il ne reviendra peut-être pas. Quant à la scène des paysans de Chevoche, morceau de bravoure de l'aspect rustique et réaliste de toutes les mises en scène, elle s'inscrit tout naturellement dans le travail de Jean Vernier. L'important n'est pas le décor – une simple toile de fond indiquant les arbres dénudés – mais la mobilité des personnages, les tableaux que leurs groupes peuvent évoquer, le décorateur Moncorbier s'inspirant de peintures flamandes. Dans cette scène, tout comme dans la veillée funèbre autour de Violaine, on remarque la volonté de retrouver l'attitude de ces groupes immortalisés par la peinture, qui parent L'Annonce de la tradition d'une vie très ancienne.
58Mais cette direction simple et familière de la mise en scène voulue par Jean Vernier semble difficilement compatible avec la symbolique des gestes et des attitudes préconisée par Claudel. Plus précisément, ce dernier n'est-il pas lui-même à nouveau partagé entre le désir de naturel qu'il revendique avec Vernier et l'exigence de symbolisme ? Face à cette contradiction, le metteur en scène doit prendre position.
59D'abord, il s'oppose à la théâtralisation chrétienne voulue par l'auteur pour les gestes de Pierre de Craon, objectant à Alain Cuny qu'une telle gestuelle correspond mal à nos habitudes théâtrales et qu'il risque de paraître ridicule aux yeux des spectateurs non avertis. Cependant Claudel refuse catégoriquement d'abandonner son idée : Vernier capitule, mais s'oppose au désir du poète de faire jouer aussi les autres acteurs avec des gestes symboliques, jugés emphatiques et trop mécaniques. C'est ainsi qu'au Prologue, lorsque Violaine évoque "l'alouette de la terre chrétienne" aux "ailes étendues" (p. 141), Claudel avait demandé à Hélène Sauvaneix de minier ce vol de l'oiseau dans le ciel par le mouvement de ses mains rapprochées, attitude qu'il conseillait également à Robert Hébert lorsque Jacques évoque sa charge de "nourrir ces oiseaux murmurants" (p. 171) que sont les recluses de Monsanvierge : le dramaturge souhaite une totale disponibilité du corps de l'acteur, qui doit exprimer par une sorte de mime ce dont il parle ou ce qu'il ressent. Mais Jean Vernier estime que ce principe d'interprétation risque vite de sombrer dans la monotonie et demeure trop étranger à notre théâtre occidental pour ne pas déconcerter. De toute façon, une telle conception se heurte à la ligne familière de la mise en scène : ni la Mère, ni le Père, ni Jacques, ni Mara, ni même Violaine, qui n'est pas étrangère à ce monde simple, ne peuvent jouer ainsi sans rompre l'harmonie entre leur interprétation et l'atmosphère générale. Ne reste donc que Pierre de Craon : la brièveté de sa présence – il n'apparaît plus que dans le Prologue –, le lyrisme de son langage, son absence de parenté avec la famille Vercors et la spécificité de son métier peuvent à la rigueur lui permettre d'adopter une gestuelle particulière.
60Pour les scènes où Claudel avait esquissé les déplacements significatifs des acteurs, le metteur en scène constate la nécessité de certaines retouches et de nombreuses nuances. A la scène 3 de l'acte II, le principe du recul d’après lequel l’auteur voulait faire évoluer Violaine et Jacques paraît trop systématique à Vernier. Son travail va donc consister à varier les mouvements des deux personnages, à rendre plus complexes les deux sentiments essentiels qui les motivaient. Ces nuances ne sont pas conçues artificiellement, pour faire bouger davantage les acteurs ; elles se fondent sur d'autres sentiments secondaires présents dans le texte, enrichissant le sens des paroles prononcées. Vernier met par exemple en évidence chez Violaine des moments d'isolement qui ne sont pas dus à sa crainte de communiquer la lèpre à Jacques, mais où elle écoute, ravie, bouleversée, les promesses de son fiancé, s'avançant vers le public la tête un peu penchée sur l'épaule :
VIOLAINE. – O Jacques ! dites encore que vous me trouvez belle !
JACQUES HURY. – Oui, Violaine !
VIOLAINE. – La plus belle de toutes les femmes et les autres ne sont rien pour vous ?
JACQUES HURY. – Oui, Violaine ! (p. 169).
61A ce moment, Jacques ne recule pas ; il reste simplement à sa place, sans désir de s'approcher de sa fiancée, comme charmé par leurs voix et leurs paroles, tandis qu'elle l'écoute en amoureuse, goûtant un plaisir solitaire. A d’autres passages, la distance que Violaine s'obstine à mettre entre elle et Jacques doit motiver chez ce dernier des réactions plus violentes : il voudrait la saisir, la prendre dans ses bras, la rejoindre enfin. Diverses possibilités permettent donc de nuancer les évolutions schématiques d'approche et de recul réglées par Claudel.
62Vernier aborde la scène du miracle avec un même souci de vraisemblance scénique. A ce moment, Claudel avait laissé au metteur en scène le soin d'établir les figures du "ballet” de Mara autour de Violaine assise immobile au milieu du praticable, schéma susceptible d'évoquer cette montagne que la foi peut déplacer dont parle l'Evangile. Le siège de Violaine est effectivement ébauché par une première approche de Mara murmurant à l’oreille de sa sœur : "Tu ne vois pas ce que je tiens entre mes bras ?" (p. 190). Cet enfant mort, il faut qu'elle le lui donne, mais pour communiquer avec la lépreuse aveugle, elle doit vaincre l'horreur que celle-ci lui inspire et ce n'est qu'après avoir manifesté un léger recul qu'elle peut se rapprocher d'elle. Le siège commence alors véritablement, Mara marchant devant Violaine assise sous la croix et échangeant avec elle des paroles qui se rapportent à leur passé afin de la culpabiliser. Mais Jean Vernier pense qu'à un moment précis il est nécessaire d'interrompre les allées et venues de Mara : lorsque Violaine, après avoir supporté les insinuations perfides de sa sœur au sujet de ses relations avec Jacques, s'écrie : "Est-ce que je suis vivante ?" (p. 192), elle doit se lever car le metteur en scène estime que l’affrontement des deux sœurs à propos de leur amour pour le même homme doit se manifester par un face à face. Claudel, qui ne considérait pas ce passage comme un moment très significatif du dialogue, ne semble pas être intervenu dans cette cassure de la situation. La rupture entre la vision de l'auteur et celle du metteur en scène s'accentue à la réplique de Mara : "Prends donc aussi la mienne avec toi !" (p. 193) : à cet instant, Vernier veut que Mara s'écroule aux pieds de Violaine qui ainsi la domine, la position des deux personnages devenant donc l'inverse de celle que Claudel avait conçue. Mais la douleur de Mara ramène bientôt Violaine à son attitude initiale où, assise à nouveau sous la croix, elle découvre le corps de l'enfant posé sur ses genoux. Les mouvements de Mara obéissent ensuite aux deux sentiments soulignés par Claudel, supplication et violence : elle est tantôt collée contre le corps de sa sœur, agenouillée, sanglotante, pour lui parler de son enfant ; tantôt debout, méprisante, prête à se battre. Dans tous les cas, elle reste proche de Violaine et n'entreprend une véritable "ronde" autour d'elle qu'au moment où montent l'exaspération et le désespoir : "Violaine, veux-tu voir cela ? Dis ! sais-tu ce que c’est qu'une âme qui se damne... ?" (p. 195). Mara monte alors sur le praticable et se place derrière sa sœur, position qu'elle occupe pour la première fois ; la saisissant aux épaules, elle lui souffle à l'oreille "ces choses affreuses" que Violaine ne veut entendre, jusqu'à ce qu'elle lui ordonne : "Rends-moi donc mon enfant que je t’ai donné !" (p. 195), avant de s'éloigner en descendant du praticable. Dans le schéma proposé par Claudel, il fallait essayer de traduire la tension nerveuse de Mara jusqu'à la menace d'un effondrement, car c'est par la qualité de cette tension, qui doit devenir de plus en plus insupportable aux spectateurs, que l'envoûtement peut avoir lieu et que le miracle peut être accueilli avec le soulagement qui accompagne l'apparition de l'inévitable. La gesticulation de l’actrice, loin d’être mélodramatique, doit correspondre à l'horreur sacrée de ce chemin que Mara se trace vers Dieu à travers Violaine. Vernier situe le paroxysme de la tension qui anime Mara lorsqu’elle dit :
Mais moi, je suis sourde et je n'entends pas ! et je crie vers toi de la profondeur où je suis ! Violaine ! Violaine !
Rends-moi cet enfant que je t'ai donné ! Eh bien ! je cède, je m'humilie ! aie pitié de moi ! (p. 196).
63Pour Mara, c'est le début de l'effondrement : elle tombe à genoux, épuisée, tandis que Violaine se lève et se dégage de son embrassement ; puis, malgré un bref sursaut de résistance93, elle s'écroule. Suit un long silence, interrompu par la musique des cloches au loin ; Mara se redresse, s'avance vers le public, telle une somnambule, écoutant l'apaisement de la nuit de Noël. Puis c'est la lecture des textes sacrés et le miracle proprement dit, tels que les a prévus Claudel.
64L'acte IV semble indiquer un fléchissement de la mise en scène, dans la mesure où apparaît une sorte d’enflure vers le solennel, le pathétique, sensible dans plusieurs détails. D'abord, une photo du Père portant dans ses bras le corps de Violaine nous montre le vieillard descendant l'escalier avec une certaine lenteur, nécessaire certes pour faire naître l'émotion, mais où se devine une volonté de bien fixer ce beau tableau dans l’esprit de tous, d'autant plus que la pose gracieuse de Violaine, toujours aussi belle avec ses longs cheveux pendant dans le vide, ôte quelque peu à la scène sa vérité. Par la suite, Mara, si véhémente à l'acte III, perd son éclat, sa vie : elle reste presque toujours immobile, éloignée de la table autour de laquelle se tiennent Jacques et Anne, manifestant ainsi son accablement et sa défaite face au triomphe spirituel de Violaine. La veillée funèbre des serviteurs de la ferme, qui matérialise désormais ce triomphe, accentue l'aspect solennel. Vernier a obtenu de Claudel que les figurants entrent, plus heureusement, après les dernières paroles de Violaine et non, comme l'indiquent les didascalies du texte, au milieu de l'ultime dialogue de l'héroïne avec Jacques, qui se trouvait ainsi brisé. Il n'empêche que cette veillée devient prétexte à un exercice de style de la part du décorateur qui joue avec les effets de lumière, faisant coïncider l'apparition d'un personnage en rouge en haut de l'escalier avec celle d'un figurant en bleu en bas des marches, ou faisant contraster quelques costumes neutres avec une vive tache de couleur. L'Annonce est bien finie quand se prolonge ainsi cette apothéose spectaculaire qu'il vaudrait mieux imaginer.
65La mise en scène de L'Annonce au Théâtre Hébertot porte donc nettement la marque de Claudel travaillant enfin de manière régulière avec le metteur en scène et les interprètes94 : il a pu développer de nouvelles conceptions scéniques, en particulier dans l'interprétation des acteurs, au point de découvrir ce que signifie véritablement les mettre en scène, c'est-à-dire donner une cohérence à leurs mouvements. Cependant, il a eu, soit pour l'approuver, soit pour le contester, l'autorité constante d'un metteur en scène assez humble pour se soumettre au départ aux volontés de l'auteur, mais aussi assez lucide pour juger leur valeur scénique. Claudel metteur en scène, infiniment plus soucieux de réaliser ses idées que de plaire au public, aime innover au risque de dérouter, veut appliquer des conceptions très catégoriques au risque de paraître monotone, voire systématique. Vernier, au contraire, se défie de toute audace et se borne à présenter dans les règles habituelles un travail bien tait, fondé sur le respect du texte et la vraisemblance scénique. A cette double influence est due finalement une mise en scène modestement audacieuse, s'inspirant le plus possible de l'aspect réaliste du drame, même si elle glisse parfois vers une certaine solennité. En somme, dans l'histoire de la participation de Claudel aux mises en scène de L'Annonce, sa collaboration avec Jean Vernier et tous les artisans du Théâtre Hébertot apparaît peut-être comme la plus féconde. Elle est évidemment plus importante que la première intrusion en 1912 d'un auteur sans expérience scénique dans le travail d'un Lugné-Poe, lui-même metteur en scène moins appliqué que Vernier. Si elle a suscité moins d'enthousiasme esthétique que l’expérience de Hellerau, elle a été l’occasion d’un travail plus suivi, plus varié, plus profond, qui n'aurait certainement pas pu avoir lieu avec les fortes personnalités de Jouvet, Copeau ou Dullin. L’engagement du dramaturge dans la mise en scène de la Comédie-Française en 1955, tout en se révélant aussi intense, aboutira à un résultat beaucoup plus décevant95. Aussi Claudel pouvait-il avec raison en 1948 se montrer satisfait du travail réalisé cette fois pour son Annonce en écrivant à Hébertot :
Grâce à vous, grâce aux éléments inestimables que vous m'avez mis entre les mains [...], je puis m'écrier, non seulement avec Mara, mais avec Violaine, que mon enfant vit, et que j'en ai pour témoin cette goutte de lait ! Jusqu'ici, malgré le sillage étendu que son berceau a fait à travers le monde, je puis dire que j'en avais retiré plus de souffrance encore que de satisfaction. Je n'incrimine pas les metteurs en scène et les interprètes, souvent excellents et mieux qu'excellents, qui ont consacré tant de talent et de bonne volonté aux représentations de mon "mystère". Les circonstances sont seules coupables qui ne m'ont pas permis d'apporter à l'enfant à moitié né le secours et le concours du milieu scénique qu'il exigeait. Vous me l'avez donné. Les voix nécessaires, les âmes vivantes dont j'avais besoin pour épouser la mienne, vous les avez mises à ma disposition [...]. Pendant des semaines et des mois, sans désemparer, nous avons travaillé tous ensemble, ou plutôt c'est le drame, le mystère lui-même, une seule âme avec des timbres divers, qui travaillait à sa propre expression.
Depuis cette touffe de gui du jour de la Nativité que j'ai jadis suspendue au rideau précaire de la petite salle Malakoff jusqu'à cette réalisation définitive [...], quel chemin parcouru !96
66Claudel a donc dû attendre trente-six ans de vie scénique pour se montrer enfin satisfait, à quatre-vingts ans, d’une adaptation de son Annonce sur une scène française. Le public allait-il partager son bonheur ?
4. Succès des premières représentations parisiennes
67Présentée au public parisien de mars à mai 1948, la mise en scène du Théâtre Hébertot semble bien marquer la consécration de la carrière scénique française de L'Annonce : méticuleusement préparé, non seulement du point de vue théâtral mais aussi sur un plan matériel, voire "médiatique", le spectacle est chaleureusement accueilli dans l'ensemble par le public et par la presse.
68Alors qu’en 1912 l'annonce de la création de la pièce était restée fort discrète dans les journaux parisiens, en 1948 la présentation de la mise en scène du Théâtre Hébertot est savamment orchestrée. Le contexte est évidemment tout différent : Claudel, surtout depuis la création du Soulier de satin en 1943, n'est plus le dramaturge presque inconnu du grand public qui abordait la scène ; L'Annonce demeure sa pièce la plus populaire, souvent jouée en France comme à l’étranger, et de nombreux critiques attendent avec curiosité sa nouvelle présentation pour la comparer à des mises en scènes précédentes, notamment celle de Jouvet ; en outre, les journaux sont devenus plus friands d'articles destinés à allécher le public et Hébertot s'y connaît pour promouvoir les spectacles que son théâtre affiche. C'est pourquoi, au début de mars 1948, dans les jours qui précèdent la première représentation, la presse multiplie les reportages de journalistes assistant aux répétitions et interviewant l'auteur97. Ces articles – dont certains ont déjà été évoqués – n'hésitent pas à présenter cette nouvelle mise en scène comme la forme définitive de la pièce et Claudel, après avoir constaté avec amertume que L'Annonce avait jusque-là obtenu un certain succès "pourvu que ce fût partout ailleurs que le pays natal"98, peut enfin affirmer : "Pour la première fois, l'œuvre prend forme sous mes yeux. Maintenant que nous en sommes aux dernières répétitions, je puis juger de l'ensemble"99. Dès lors, les représentations de mars 1948 ne sont pas annoncées comme une reprise supplémentaire de la pièce, mais comme une véritable création qui couronne à la fois la carrière de Claudel et celle d'Hébertot :
C’est pour moi un événement considérable, avoue Claudel. J'ai quatre-vingts ans. C'est là le couronnement de mon œuvre dramatique et poétique. Je suis un vieux combattant et j'attache une certaine importance à ces représentations.
De son côté, Jacques Hébertot considère aussi cette nouvelle mise en scène comme le couronnement de sa carrière d'animateur de théâtre, puisque pour la première fois, L'Annonce sera jouée comme le poète l'avait rêvé100.
69Effectivement, Hébertot ne manque pas de promouvoir le spectacle. Non seulement, en inscrivant Claudel au répertoire de son théâtre, il confirme son exigence d'une programmation de qualité accessible à un large public101, mais en outre L'Annonce correspond bien à l'orientation chrétienne de la saison 1947-48, qui s'est ouverte sur Jeanne d'Arc de Péguy et Tous les chemins mènent au ciel de Suzanne Lilar102, pièces créées respectivement les 15 octobre et 7 novembre 1947, pour se clore sur L'Annonce et Le Maître de Santiago de Montherlant, au point que pour un journaliste de Tel Quel, Gabriel Reuillard, le Théâtre Hébertot est devenu "le Théâtre Héberthéologal". Son directeur n'oublie pas de soigner sa publicité personnelle, car bien qu'il avoue s'intéresser surtout au succès de la pièce, il n'en précise pas moins : "Dans les interviews, je voudrais que Claudel parlât des représentations du Théâtre Hébertot, de la direction de Jacques Hébertot, pour que le public se mette bien dans la tête que la pièce est jouée au Théâtre Hébertot"103. Saisis d'une même frénésie de réussite, le directeur de théâtre et l'auteur s'associent pour donner un prestige mondain à la première du 12 mars. Claudel, déjeunant le 21 février à l'Ambassade de Belgique avec la Reine Elisabeth, obtient son consentement pour qu'elle assiste à la soirée, qui joindra l'utile à l'agréable dans la mesure où elle prendra la forme d'un gala de bienfaisance donné par le Théâtre Héhertot au profit d'un petit village sinistré de Normandie qu'il a adopté, gala payant où ne seront invitées que des personnalités officielles ou mondaines et des relations diplomatiques de l'auteur.
70De fait, la soirée du 12 mars revêt un éclat exceptionnel : au public restreint de la création de 1912 a succédé "le plus brillant parterre de spectateurs qu’ait jamais réuni un théâtre parisien depuis la Libération" et qu'il est impossible de dénombrer intégralement car "il y faudrait le Botlin mondain"104. On y remarque aussi bien des hommes politiques comme le ministre des Affaires étrangères Georges Bidault et les ambassadeurs de Suède, de Belgique et du Canada, que des écrivains parmi lesquels Roland Dorgelès, Henry Bordeaux et Émile Henriot, et des actrices telles que Madeleine Ozeray et Josette Day. Les deux personnalités les plus prestigieuses, qui occupent respectivement l'avant-scène de droite et de gauche, sont le nonce apostolique Monseigneur Roncalli dont la présence, selon L'Aurore, "rappelle qu'on est ici pour entendre l'œuvre d'un poète catholique", et surtout la Reine Elisabeth de Belgique, respectueusement accueillie par l’auteur, ex-ambassadeur à Bruxelles. Ce dernier est à l'honneur : Le Figaro du 13 mars signale que "le poète, au premier rang de l'orchestre, présidait à soi-même. Il lui fallut à la fin faire front aux applaudissements de tous les côtés à la fois". Le programme du spectacle précise que le Théâtre Héhertot présente L'Annonce "pour les 80 ans de l'illustre poète Paul Claudel" et reproduit deux textes de lui : sa lettre de remerciement à Héhertot, que ce dernier avait tellement sollicitée, et une évocation nostalgique de son Tardenois natal et de sa jeunesse, texte sans titre commençant par "Il y a dans mon pays..."105, où l'auteur atteste la permanence de ses convictions spirituelles. Une telle soirée est évidemment très Batteuse : en l'évoquant dans son Journal, Claudel commence par noter la liste des membres les plus prestigieux du public avant d'apprécier le spectacle lui-même106. A la suite de ce brillant gala, une deuxième représentation est donnée en matinée le 14 mars devant une salle qui, à grand renfort d'invitations, se trouve comble ; le 20 mars a lieu la générale de presse, à l'issue de laquelle l'auteur est appelé sur scène ; L'Annonce sera ensuite jouée jusqu'au 30 mai en alternance avec Le Maître de Santiago.
71Ce triomphe mondain de L'Annonce est suivi d'un accueil globalement élogieux de la presse, qui apprécie la qualité d'un travail bien tait107.
72L'interprétation surtout suscite des commentaires : elle est jugée satisfaisante dans l'ensemble, avec des variations pour chaque comédien. Claudel avait personnellement loué "tous ces acteurs, vraiment excellents" en remarquant spécialement que "la sensation est Carmen Duparc, tout à fait épatante"108. Cette fascination pour l'interprète de Mara préfigure celle de la critique unanime : en particulier, Gabriel Marcel dans Les Nouvelles littéraires doute "que le rôle de Mara ait jamais été tenu comme il l’est", et Dominique Arban précise ainsi son admiration dans Combat : "Le rôle de Mara est tenu par Carmen Duparc d'une façon constamment admirable : c’est une Mara belle et noire, et mauvaise avec passion, véritablement possédée par l’esprit de son rôle ; ses silences ont autant d'intensité que ses fureurs de forcenée". Cette Mara exceptionnelle, jouée par une actrice ne s'étant illustrée jusqu'ici dans aucun rôle important, confirme le fait que l’interprète claudélien(ne) doit privilégier le tempérament et la ferveur plutôt que la technique. Les autres comédiennes ne sont pas pour autant critiquées. En donnant une nouvelle vision de la Mère, Eve Francis est très appréciée : tour à tour "majestueuse à la manière d'une chanoinesse à trente quartiers" selon France-Soir, semblant surgir d'une "vieille miniature du XVe siècle" pour Robert Kemp dans Le Monde, ou jouant avec aisance "une scène de comédie qui laisse une impression bien plaisante de fabliau vivant" pour Jean-Jacques Gautier dans Le Figaro, elle enchante désormais par un naturel qui remplace heureusement sa diction musicale. Dans le rôle de Violaine, Hélène Sauvaneix est moins unanimement louée, car les critiques s'accordent à la trouver un peu faible au début. Ceux qui l'apprécient néanmoins, comparant souvent son jeu à celui de Ludmilla Pitoëff, vantent surtout son aptitude à mettre en valeur le côté harmonieux et pur de l'héroïne, à présenter comme l'écrit Jean-Jacques Gautier "une Violaine allègre et habitée par le bonheur". En revanche, pour d'autres critiques, cette pureté et cette joie rendent l'actrice trop extérieure à la vraie nature de son personnage : pour G. Joly dans L'Aurore "elle a trop de joliesse dans le masque et d'apprêt dans la voix" ; pour Robert Kemp "c'est une beauté trop moderne, avec une voix chaude, alors qu'on rêve d'une voix décantée, d'une voix de bénédictine" ; Camille Ambert va jusqu'à affirmer dans A présent : "Hélène Sauvaneix est bien jolie et se dévoue beaucoup à son rôle, mais elle n'est pas Violaine. C’est une dame de la ville, de scène, de salon ; ce n'est pas un instant la fille de Combernon ; son charme est trop aigu, trop averti, trop conscient".
73Les principaux rôles masculins sont plus inégalement appréciés. C'est l'interprète de Jacques Hury, Robert Hébert, que Claudel s'est "donné beaucoup de peine pour former"109, mais dont le résultat lui parut très satisfaisant, qui suscite effectivement le plus d'admiration. Tous les critiques louent la sobriété de son jeu, traduisant parfaitement la puissance et la rudesse du personnage. Selon Dominique Arban dans Combat, "on ne pouvait trouver mieux que Robert Hébert : sa spontanéité, la naïve virilité de son visage, ses gestes puissants et maladroits, tout concourt à donner cette impression d'un être dépassé par l'événement et mal résigné à la souffrance". L'interprétation d'Anne Vercors par Jean Hervé est plus contestée. Beaucoup le comparent à Jouvet qui avait joué ce même rôle deux ans auparavant et lui préfèrent le style de ce dernier qui, spécialement dans la scène des adieux, suscitait plus d'émotion. Peut-être Jean Hervé, qui est passé par la Comédie-Française, est-il un comédien trop rôdé pour s'adapter à son personnage ? Deux critiques le considèrent même comme le moins bon acteur de la pièce : pour Dominique Arban, il constitue "la seule erreur de distribution" par "son jeu extérieur et privé de tout pouvoir communicatif" ; pour Francis Ambrière dans Opéra, "les sonorités recuites de sa voix, la noblesse convenue de ses attitudes" font que son jeu "se borne au seul extérieur et M. Hervé peut bien faire les gestes qu'il faut et recourir aux intonations convenables, à aucun moment nous ne sommes émus" ; seuls sont appréciés par certains les accents chaleureux de sa belle voix grave, grâce auxquels apparaît l'humanité du Père. Quant à Alain Cuny, spécialement dirigé par Claudel avec la gestuelle symbolique que l'on sait, il n'a pas manqué de déconcerter, comme l'avait prévu Jean Vernier. A l'exception de Gabriel Reuillard qui dans Tel Quel le voit comme "un vrai tailleur de pierre qui sait caresser quand il le faut, du geste et de la voix, la matière qu'il façonne", tous les critiques lui reprochent d'être trop emphatique et artificiel. Pour certains, la nature même de l'acteur, puissante et virile, est inadaptée à la douceur de Pierre de Craon, qui se répand souvent en lamentations. Mais pour beaucoup d'autres, ce sont les directives imposées par l'auteur à un comédien pourtant très doué qui sont responsables de l’étrangeté de son jeu. Ses mouvements ascendants et descendants l’assimilent, en particulier pour Jean-Jacques Gautier, à un "grand sémaphore triste" en proie à des "gestes presque liturgiques accomplis comme un rite extérieur à lui-même"110. En somme, ce que la critique a apprécié dans l’interprétation de cette Annonce, c'est précisément ce qui s'éloigne de la marque claudélienne car, comme le résume Robert Kemp, "surveillée de près par l'auteur, l'interprétation nouvelle eût dû être claudélienne à l'extrême. Or j'ai entendu parler agréablement avec naturel et vérité, sans musique". Ce naturel, cette vérité, qui succèdent à la diction psalmodiante de la création et d'autres mises en scène, semblent plus refléter les volontés de Jean Vernier que celles de Claudel.
74Les autres aspects du spectacle, moins commentés, apparaissent diversement jugés. Remarquons d’abord que la notion globale de misé en scène n'est pas encore prise en considération : les divers éléments scéniques restent jugés séparément. Les rares critiques qui utilisent l'expression même de "mise en scène", en voulant qualifier par là une ambiance générale plus que la cohérence d'une ligne esthétique, apprécient le côté paysan et primitif, souligné à la fois par l'auteur et le metteur en scène, qui paraît mieux convenir à la pièce que la mise en scène de Jouvet, trop intelligente pour traduire la simplicité. Les décors sont souvent discutés. On déplore parfois les réductions imposées par le décor unique qui supprime l'alternance d'atmosphère : ainsi Francis Ambrière souffre de devoir renoncer au verger du début de l'acte II et aurait "aimé qu'on entrevît à quelque endroit de la pièce ce couvent de recluses qui joue un si grand rôle dans les préoccupations des personnages". Inversement, d'autres critiques estiment que ce décor unique impose une plus grande rigueur, qui n'implique pas pour autant la monotonie car, comme l'écrit Dominique Arban, "la salle de Combernon, symbole de toutes les demeures de campagne, devient aussitôt celui d'une Cène quand le père rompt le pain". Ce qui déçoit le plus dans les décors, c'est qu'ils restent trop sages, un peu trop réalistes, et trop pauvres à certains endroits, spécialement à l'acte III où la "méchante toile peinte" est souvent dénigrée. Les costumes demeurent très rarement évoqués, peut-être parce qu'ils laissent cette même impression de conformisme, en dehors de la remarquable robe rouge de Mara111. En revanche, l'accompagnement musical est souvent apprécié. En dehors de Gabriel Marcel qui estime qu'il aurait fallu rester plus proche d'une inspiration médiévale, la critique reconnaît à "la musique de Louise, vraiment admirable" selon Claudel112, le pouvoir de contribuer à l'exaltation d'une ambiance dans la mesure où, pour Robert Kemp, "les voix composent des accords d'orgue ou bien roucoulent des vocalises grégoriennes" ; mais cette musique sait rester suffisamment discrète pour souligner les beautés de la pièce sans les étouffer.
75En définitive, tout en estimant dans l'ensemble la mise en scène du Théâtre Hébertot, la critique ne vibre pas d'enthousiame et n’apparaît pas plus laudative qu'à la création. Elle confirme cette impression d'un spectacle bien fait mais qui, tiraillé entre certaines audaces de l’auteur et la sagesse peut-être excessive du metteur en scène, manque d'une marque personnelle. Ce travail honnête, s'il peut décevoir les esthètes par rapport à l'originalité d'une mise en scène comme celle de Hellerau, est certainement en revanche la raison du grand succès populaire qu'il obtiendra. En tout cas, les représentations du Théâtre Hébertot, tout en permettant à un public nouveau d'accéder aisément à L'Annonce, n'en ont pas moins donné l'occasion aux critiques les plus blasés de redécouvrir la pièce et de mesurer les infinies possibilités de son adaptation scénique. Jean-Jacques Gautier s'émerveille de se retrouver face à une pièce "toujours refaite, toujours reprise, toujours renaissante, toujours vivante d'une vie qui ne la quitte pas". En même temps, elle est devenue tellement familière à certains qu'ils ont fini par s'en créer une mise en scène imaginaire idéale si vive que selon Francis Ambrière "une représentation extérieure et matérielle ne laisse pas de procurer quelques occasions de souffrir". Une telle affirmation, tout en justifiant l'exigence croissante de la critique, révèle à quel point L'Annonce constitue désormais un élément fondamental de la vie théâtrale française. Alors qu'une trentaine d'années auparavant on se demandait si cette pièce était faite pour être jouée, on constate à l'évidence ses vertus scéniques, comme l'écrit François de Roux dans L'Epoque :
Une fois de plus, en écoutant L'Annonce, j’ai pu me convaincre des vertus proprement dramatiques de ce théâtre qui a été si longtemps considéré comme purement littéraire. Quelle erreur ! [...] Le style d'une poésie drue et comme primitive ne prend sa force et sa valeur que lorsque les versets sont dits par des acteurs, sur un théâtre, devant une rampe : tout alors devient plus clair, plus simple, plus intense.
76La mise en scène du Théâtre Hébertot présente notamment un passage que tous admirent absolument, parfois pour la première fois : la scène du miracle, effectivement travaillée par Claudel et Vernier avec un soin particulier. Pour beaucoup de critiques et pour Claudel lui-même, ce grand moment dramatique gardait dans les présentations antérieures quelque chose de flou, mais il acquiert à présent sa plénitude expressive. Robert Kemp estime que "l'acte du miracle, cime poétique de l'œuvre, est réalisé à merveille ; cet acte grandiose et exaltant ne rencontre plus de rebelles". Effectivement, même les rares réfractaires à la beauté de L'Annonce s'avouent vaincus devant le miracle à la fois mystique et scénique de l'acte III. Ainsi Marcel Augagneur, écrivant dans France-Soir qu'il ne voit dans la pièce qu'"un pathos plus filandreux que les vieilles asperges", reconnaît néanmoins que "le spectateur déçu et furieux devient soudainement remué, bouleversé, enthousiasmé, pantois d'admiration pour ce troisième acte, chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, d'une beauté, d'un pathétique inoubliables, où s'affrontent avec la pureté d'un oratorio l'espérance et la fatalité ; ce dialogue de Violaine et de Mara, c’est le dialogue même de la tragédie grecque et du drame chrétien".
77Si donc même les plus farouches adversaires du théâtre claudélien se trouvent émus par le miracle du Théâtre Hébertot, Claudel a bien raison de s'avouer satisfait de cette mise en scène qu'il estime définitive. C'est un autre miracle de constater que pour une fois enfin l'auteur n'est pas déçu par une adaptation scénique française de L'Annonce. Hélas, la désillusion va vite succéder à la satisfaction.
5 - Déception des suites du succès parisien (fin 1948 - 1951)
78Lorsqu'en 1951, au terme de la carrière scénique de la réalisation du Théâtre Hébertot, Jean Amrouche demanda à Claudel si vraiment il n'avait jamais vu L'Annonce représentée conformément à son idée, celui-ci répondit : "Ah si : je dois dire que dans la chose d'Hébertot, dans les premières représentations, j'ai vu la pièce jouée vraiment à peu près aussi bien que je le désirais ; autant qu'humainement c'est possible, les représentations d'Hébertot m'ont satisfait, je veux dire les premières à Paris". Cette dernière nuance est importante, car lorsque l'auteur fut invité à se prononcer sur les représentations suivantes, il soupira : "Ah ! il y a beaucoup à dire"113. De fait, l'heureuse collaboration entre Claudel et Hébertot allait peu à peu s'effriter à partir de la fin de 1948 pour aboutir en 1951 à un litige juridique entre les deux hommes. Ne pouvant décidément être pleinement satisfait par une mise en scène de sa pièce, l'auteur déplore la difficulté d'en organiser la carrière scénique à l'étranger et surtout la diminution de qualité du spectacle présenté, en particulier dans son interprétation.
79Pourtant, de mars à la fin de mai 1948, le succès parisien des premières représentations ne se dément pas et semble même toucher un public populaire, car Claudel constate avec joie : "Ma cuisinière me dit que ma pièce a fait sensation dans le quartier ; on ne parle que de cela chez les fournisseurs"114. L'auteur apprécie moins que L’Annonce soit jouée en alternance avec Le Maître de Santiago, mais ce voisinage intéresse les critiques qui peuvent mettre en évidence à travers ces deux pièces deux tendances différentes du christianisme : à l’austérité janséniste de la pièce de Montherlant, ils préfèrent en général les vertus claudéliennes du sacrifice, de la charité et de l'amour, meilleure illustration de la véritable foi115.
80Afin d'exploiter au mieux le succès parisien de L'Annonce, Hébertot s'organise diversement. Il demande une subvention particulière pour prolonger si possible les représentations pendant l'été. Il lance l'idée d'une semaine claudélienne au Théâtre Hébertot, où des conférences en matinées alterneraient avec des représentations en soirées. Bien que Claudel se montre quelque peu gêné par une telle publicité, la semaine a lieu du 7 au 15 mai, ponctuée par des interventions de Louis Piérard, Georges Lerminier, André Alter et Jacques Madaule116. Une même réticence à exploiter le succès de sa pièce semble se manifester lorsque des représentations à l'étranger sont envisagées. En avril, Hébertot suggère de jouer L'Annonce en Allemagne par l'intermédiaire du gendre de l'auteur Jacques Paris, puis au Canada où elle n'a pas été présentée depuis longtemps et dont Claudel connaît bien l'ambassadeur qui a assisté au gala du 12 mars, mais ces propositions sont accueillies avec indifférence. En septembre, des projets sont établis pour Bruxelles où la représentation de la pièce serait associée à une intervention de l'auteur en présence de la Reine, mais Roger Méquillet regrette que la date envisagée ne coïncide pas avec celle où, le 4 décembre, son beau-père fera une conférence sur Romain Rolland. Hébertot ne désarme pas pour autant et propose de jouer L'Annonce en janvier 1949 à Genève "malgré l’impression désastreuse donnée par Jouvet"117, puis à Lyon, Marseille, Saint-Etienne, en Belgique et en Hollande.
81Parmi tous ces projets, il en est un, exceptionnel, qui retient les efforts conjugues de Claudel et d'Hébertot, celui du Vatican. Ce lieu, proposé par le directeur de théâtre le 25 avril 1948 à la suite de l'Allemagne et du Canada, intéresse l'auteur à plusieurs titres. Claudel est lié au Vatican sur le plan religieux bien entendu, mais aussi politique, car en 1939 il a représenté le gouvernement français lors du couronnement de Pie XII et il y compte plusieurs amis, comme le nouvel ambassadeur Vladimir d'Ormesson et Monseigneur Fontenelle, qui entre en pourparlers avec Hébertot. Surtout, le projet coïncide avec la célébration en 1950 de l'Année sainte, à l’occasion de laquelle trois pièces doivent être jouées, représentant l'Italie, l'Angleterre et la France. Après avoir stagné pendant 1949, les choses se précisent au début de 1950 : au moment même où Claudel note qu'"Hébertot prépare une énorme tournée de L'Annonce : 21 représentations"118, l'infatigable directeur se rend au Vatican, où il avoue être bien accueilli par Vladimir d'Ormesson et par Monseigneur Fontenelle. Il prépare matériellement la représentation, visitant tous les endroits possibles où elle pourrait avoir lieu et fixant son choix sur la vaste Salle des Bénédictions de la Basilique Saint-Pierre, indiquée par le Pape lui-même. Même si "tout peut évidemment au dernier moment être remis en question"119, le projet semble alors se dessiner au mieux : Claudel note dans son Journal que L'Annonce sera représentée les 29 et 30 avril120, et au début de ce mois, la confirmation lui en est donnée par une lettre de Monseigneur Montini, Secrétaire d'État de Pie XII121. Or, quelques jours plus tard, "on ne veut plus de représentation de L'Annonce au Vatican"122. Pourquoi ce soudain revirement ? Officiellement, Claudel affirmera que "seules des difficultés matérielles se sont opposées à la réalisation de ce projet"123. En fait, il semble plus que des raisons religieuses aient fait reculer le Pape et son entourage, "le Sacré Collège tout-puissant refusant le spectacle où Violaine ressuscite trop étrangement l’enfant mort de sa sœur Mara"124. En tout cas, la déception est grande pour Claudel et pour Hébertot qui avait expédié au Vatican les maquettes des décors. Elle se trouve toutefois atténuée par la solution de remplacement adoptée sur l’entremise de Vladimir d’Ormesson, une récitation de textes poétiques religieux de Claudel, examinés auparavant par le Sacré Collège, que des comédiens du Théâtre Hébertot interprètent le 29 avril, à la date prévue pour L'Annonce125. Si cette audition, renouvelée dans les salons de l’ambassade de France au Vatican, (latte le prestige de Claudel tout comme celui d’Hébertot qui le mentionnera dans le programme des futures représentations de la pièce, elle ne parvient pas à compenser la déception due à l’échec du projet initial. Quelques mois plus tard, l’auteur cherchera encore à lier, un peu artificiellement, la récitation de ses poèmes et la représentation qui aurait dû avoir lieu :
Quand, dans cette superbe salle du Consistoire, en présence du Souverain Pontife assis sur son trône, huit voix françaises se sont élevées pour dire quelques-uns des poèmes qu’au cours de ma longue existence il m’est arrivé de composer à la gloire de la Sainte Vierge et des Saints de Rome, elles n’avaient point pour cela dépouillé leur intonation et leur rôle dans la pièce que le public extérieur allait le lendemain même écouter : c’étaient Violaine et Mara, Jacques Hury et Pierre de Craon, le Vieux Père et la Vieille Mère, qui louaient devant le Chef de la chrétienté Saint Pierre et Saint Benoît, Sainte Scholastique et la Vierge à midi126.
82A défaut d’être représentée devant le Pape, L'Annonce est jouée à Rome le 2 mai 1950 au Théâtre Eliseo avec grand succès, puis jusqu'au 12 mai dans plusieurs autres villes d'Italie – dont Florence où le Théâtre Hébertot est invité au Mai Florentin –, mais la représentation du Vatican n'en sera pas moins regrettée.
83Cependant, pour Claudel, cette déception due à l'échec d'une occasion exceptionnelle pour L'Annonce semble secondaire par rapport à l'irritation que va de plus en plus susciter en lui la façon dont Hébertot prévoit l'organisation des tournées et la distribution qu'y présente la pièce. A partir de 1950, l'exploitation de la carrière scénique de L'Annonce ne cesse d'opposer les deux hommes. D’abord, l'auteur, qui n'avait déjà pas apprécié en 1948 que sa pièce soit jouée à Paris en alternance avec Le Maître de Santiago, déplore en juillet 1950 qu'elle ait été donnée, en Italie, encadrée par la pièce de Montherlant et le Caligula de Camus : "Je n'accepterai jamais que L'Annonce serve de remorque dans le monde catholique à ces œuvres abominables : Caligula qui met en scène un inceste et Le Maître de Santiago qui glorifie la plus hideuse des hérésies, le jansénisme"127. Claudel, animé d'une haine semblable à celle qu'il vouait en 1931 à Un Taciturne et a Judith, pièces mises en scène par Jouvet, a évidemment tort de réduire si sommairement les deux pièces incriminées, mais la Société des Auteurs pense qu’il a pour lui son droit moral, bien qu'Hébertot puisse estimer qu'il en abuse.
84Plus graves vont apparaître les dissensions entre l'auteur et le directeur de théâtre à propos des changements de distribution prévus pour différentes représentations. Dès la préparation du projet du Vatican, Claudel avait eu quelques inquiétudes à ce sujet. Si pour incarner Anne Vercors il s'était résigné en l'absence de Jean Hervé à accepter Allain Dhurtal, il s'était violemment opposé à l'intention manifestée par Hébertot de remplacer Robert Hébert dans le rôle de Jacques Hury, en avançant le fait que ce comédien, formé par lui, était à présent idéal128. Après une audition de nouveaux interprètes pressentis, où la présence de l'auteur n'avait pas été souhaitée, il avait noté : "Difficultés énervantes avec Hébertot pour l'interprétation de L'Annonce et scène violente au théâtre. Il veut m'imposer une distribution entièrement nouvelle de petits acteurs racolés de tous côtés. Je refuse et, par d'Ormesson, réfère la question aux Affaires Etrangères"129. Héberlot s'était défendu en faisant remarquer que les comédiens présentés avaient fait leurs preuves dans divers conservatoires ou sur des scènes parisiennes130, mais la réponse du dramaturge avait été des plus vives :
Je prends acte qu'à 30 jours du départ de la troupe en Italie et à 22 jours de votre propre départ, vous êtes hors d'état de me présenter des propositions complètes pour l'interprétation de L'Annonce pour toutes les représentations prévues en Italie.
Etant donné le principe essentiel d'homogénéité reconnu par contrat, je ne vois qu'un moyen d'assurer les représentations dans les conditions de perfection que je suis en droit d'exiger : prendre en bloc l'interprétation telle qu'elle a été assurée à votre théâtre le jour de la représentation générale en 1948. Je vous rappelle qu’à ce moment vous avez eu assez confiance en moi pour me confier de très près la formation de ses interprètes qui se sont acquittés de leurs rôles à la satisfaction générale. Actuellement, vous me proposez une interprétation presque entièrement nouvelle et dont la liste ne me paraît même pas être complètement arrêtée dans votre esprit. Dans ces conditions, il est vraiment impossible d'assurer à la représentation le sérieux et la dignité qu'elle doit avoir et qu'un travail hâtif et improvisé ne saurait lui donner131.
85Claudel obtiendra gain de cause et en particulier gardera Robert Hébert, en insistant à nouveau sur la nécessité de se présenter au Vatican avec une troupe homogène "qui, comme ça a été le cas pour les représentations du Théâtre Hébertot, a été entièrement formée par l'auteur"132.
86Les querelles à propos du choix des acteurs s'enveniment de plus en plus à la suite du projet du Vatican. Le problème le plus crucial est celui du remplacement de l'excellente interprète de Mara, Carmen Duparc, qui, soit "à cause de son mari intransigeant, égoïste et atrabilaire" qui l'oblige à "abandonner la scène"133, soit en raison d'un mystérieux "scandale en Italie"134, ne fait plus partie de la distribution. Or, Hébertot lui substitue une certaine Arlette Granger, que Claudel découvre à l'occasion d'une représentation à Lyon le 19 juin 1950 au Théâtre romain de Fourvière, et qui le déçoit car elle incarne une "Mara molle et sans âme" lui faisant répéter : "Comme je regrette Carmen !"135. Lors de cette représentation, les interprètes de Pierre de Craon et d'Anne Vercors ont été également renouvelés : Michel Herbault et Allain-Dhurtal remplacent respectivement Alain Cuny et Jean Hervé. De toute façon, l'interprétation dans son ensemble irrite l'auteur : "Sauvaneix crie tout le temps de la gorge [...]. Les acteurs prennent trop de temps, diction de la mélopée"136. Arlette Granger en particulier s'est révélée si insatisfaisante qu'elle ne peut être agréée par Claudel, en vertu d'un article du contrat passé avec Hébertot, selon lequel l'auteur peut refuser un(e) interprète qui nuit au principe d’homogénéité de la troupe. Dès lors, sans une Mara, que vont devenir les 75 représentations qui doivent être données à Paris avant le 31 décembre 1950 ? De plus, d'autres sont prévues en province à partir d'octobre et une tournée est envisagée à l'étranger jusqu'en mai 1951. A la fin de juillet 1950, Hébertot tente de renoncer aux représentations parisiennes, mais la Société des Auteurs le somme de respecter les accords fixés, et dans l'immédiat il doit reprendre L'Annonce à Paris du 19 septembre au 15 octobre. C'est alors que, pour parer au plus pressé, il imagine des solutions passablement discutables, comme celle-ci, rapportée par Eve Francis :
Hébertot avait trouvé original de faire jouer en alternance aux mêmes actrices les rôles de Violaine et de Mara [...] C'était aberrant. Je me suis immédiatement dégagée [...] pour protester contre cette indéfendable et dangereuse fantaisie. Les comédiennes engagées étaient des débutantes incapables de réaliser ce tour de force137.
87A défaut de prolonger un tel système effectivement inquiétant, Hébertot établit une nouvelle distribution en doublant presque tous les rôles. A l’exception de Pierre de Craon et d'Anne Vercors, désormais interprétés respectivement par François Perrot et Allain-Dhurtal, les autres personnages sont répartis entre deux interprètes138. Même les personnages secondaires sont doublés, utilisant parfois des comédiens qui assurent également les rôles principaux. Ce principe, s'il est parfois avantageux sur le plan pratique en permettant de remplacer momentanément un comédien empêché, se révèle dangereux pour la qualité de l'interprétation, pouvant apparaître superficielle ou hétéroclite. Ainsi, lors des dernières représentations parisiennes en octobre 1950, Anne Olivier fut considérée comme une honnête Violaine et Monique Montivier montra beaucoup d'autorité en Mara, mais Allain-Dhurtal tut critiqué pour sa distinction trop citadine, mal accordée à la carrure paysanne d'Anne Vercors. C'est plus en province et à l'étranger – où L'Annonce continue sa carrière d'octobre 1950 à mai 1951 avec 194 représentations à travers la Suisse, le Luxembourg, la Belgique et la Hollande – que cette nouvelle interprétation est déplorée. Lors d'une représentation à Genève en octobre 1950, un critique constate qu'"aucun des acteurs n’est hors de pair : notamment Allain-Dhurtal, trop raffiné jusqu'à l'afféterie parfois, fait un sort aux moindres syllabes et Monique Montivier ne fait guère passer la rampe à ses répliques"139. Pire encore, le 3 décembre, à Lille, Claudel assiste dans le "Grand Théâtre bondé" à une "représentation exécrable avec des acteurs au-dessous du mauvais"140. Dès lors, l'auteur n'a plus d’illusions et épanche sa douleur auprès de sa chère Eve Francis, désormais retirée du spectacle :
L'Annonce continue sa carrière à la fois triomphale et catastrophique. Quand elle sera terminée, il ne restera plus rien de cette malheureuse pièce. L'immonde Hébertot y aura pourvu. Il a été recruter ses interprètes dans je ne sais quelles arrière-boutiques et sous-sols pénitentiaires141.
88Ainsi un vent funeste souffle à nouveau sur la carrière scénique de L'Annonce qui, pourtant commencée cette fois sous les meilleurs auspices, se termine encore de façon décevante pour son auteur.
89Dans ces conditions, les relations entre Claudel et "l'immonde Hébertot" ne pouvaient que se dégrader de plus en plus. Alors que ce dernier s'estime brimé dans les initiatives qu'il veut prendre pour promouvoir L'Annonce, l’auteur lui reproche de s'octroyer des libertés avec les accords qui ont été établis. A la fin de 1950, il oppose un refus catégorique à la demande du directeur qui, n'ayant donné à Paris que 85 représentations sur les 150 prévues, voudrait prolonger son privilège parisien au-delà de 1950 en prétendant que "le Théâtre Hébertot seul peut donner des représentations aussi parfaites"142. A la suite d'une telle prétention démentie par les faits, Claudel, de plus en plus irrité par l'attitude d’Hébertot, décide en avril 1951 de supprimer la dédicace imprimée à son nom dans les prochaines éditions de L'Annonce143. Au début de l'automne 1951, un nouveau conflit au sujet de la propriété des disques d'enregistrement de la musique de scène met le feu aux poudres et Claudel fait désigner un arbitrage pour régler la série de différends qui l'opposent depuis quelque temps à Hébertot : les 65 représentations non données à Paris, l'engagement d'Arlette Granger non agréée par l'auteur, le fait d'avoir joué en Italie d'autres pièces que L'Annonce. Les décisions de cet arbitrage, établies le 21 février 1952, sont essentiellement favorables à Claudel, à qui Hébertot doit payer 60 000 F. Désormais, les deux hommes n’auront plus de contacts144.
90C'est sur ces tristes et sordides considérations que se termine une collaboration amorcée dans l'amour du théâtre. L'Annonce, qui a réuni Claudel et Hébertot au départ, les a finalement séparés. Certes, les deux hommes se sont passionnés pour la pièce, mais différemment, l’auteur désirant surtout y appliquer ses idées scéniques, et le directeur cherchant avant tout grâce à elle à promouvoir son théâtre et à faire des bénéfices. Claudel a pu réaliser partiellement ses désirs tant qu'Hébertot l'a laissé travailler librement avec un metteur en scène discret, mais dès les premières représentations parisiennes, le directeur a voulu exploiter le succès de la pièce comme il l'entendait, et dès lors sa personnalité affirmée n'a pas manqué de se heurter à celle du dramaturge vigilant. Ce dernier a certainement déploré avec raison, et non sans douleur, la dégradation de la qualité des représentations de son Annonce de 1948 à 1951 ; mais un peu plus tard, il nuancera son irritation, reconnaissant qu'"on ne peut pas s'attendre, non plus, à ce qu’une pièce qui est portée dans les plus petits endroits et pour laquelle il faut se procurer des acteurs qui renoncent à tout autre engagement que de rouler de tous les coins de la France, on ne peut pas s'attendre non plus à ce qu'il n'y ait des imperfections. Il faut faire la part des possibilités"145.
91En somme, l’honnête spectacle du Théâtre Hébertot, même s’il s’est dégradé au fil des représentations, aura touché pour la première fois un très large public à Paris, en province et à l'étranger, sans trahir le sens profond de la pièce et en la recréant. Et si Claudel avait pu savoir comment, quelques années plus tard, la Comédie-Française allait bien autrement dénaturer sa chère œuvre, il aurait peut-être apprécié davantage une mise en scène qui, sans être "définitive", reste l'une des plus marquantes de la vie scénique de L'Annonce.
Notes de bas de page
1 Certes, Claudel avait déjà supervisé la mise en scène de Hellerau, mais il œuvrait alors au sein d'un travail plus collectif qu'au Théâtre Hébertot, et sa présence sur les lieux mêmes n'avait été que temporaire.
2 Sur les relations entre Claudel et Hébertot, voir notre article, "Paul Claudel et Jacques Hébertot”, B.S.P.C., no 138, 2e trimestre 1993, p. 12-23.
3 Dans cette lettre inédite, conservée comme quelques autres au Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale, Hébertot évoque de manière nostalgique sa collaboration avec Salzmann : "Je me rappelle combien vous souhaitiez, quand j’étais Directeur des Champs-Elysées (au moment de L'Homme et son désir) que je puisse avoir Salzmann comme collaborateur [...] Un beau jour, il se fit annoncer à moi. Il m'a permis de belles réalisations que je n’oublie pas non plus et son souvenir demeure attaché à mon œuvre de 1920-25".
4 Hébertot a notamment encouragé, dans divers théâtres, la création d'œuvres de Jules Romains, Pirandello, Giraudoux, puis, au Théâtre Hébertot, celles de Camus, Cocteau, Mauriac, Bernanos et Montherlant.
5 "Ne pouvant tolérer que l'existence de l'Amérique soit rappelée à un public français, la censure suggère que l'action soit transportée au Portugal ou en Norvège !", écrit Claudel à Barrault le 17 mars 1943, C.P.C.10, p. 113. Voir aussi Journal II, p. 444-5.
6 . Hébertot à Claudel, lettre inédite. Bibliothèque nationale, Département des Arts du spectacle. Le Fonds Hébertot de ce Département possède une assez volumineuse correspondance inédite entre Hébertot et Claudel (ou son mandataire Roger Méquillet) essentiellement centrée sur la mise en scène de L'Annonce, depuis sa première ébauche en avril 1946 jusqu'à ses dernières représentations en 1951. Les références à cette correspondance seront mentionnées par : Fonds Hébertot. (Les lettres conservées au Département des Manuscrits porteront simplement la mention : Bibliothèque nationale). Nous remercions M. Serge Bouillon, préposé à la succession Hébertot, de nous avoir autorisé à exploiter cette correspondance inédite entre Hébertot et Claudel.
7 . Hébertot à Claudel, 22 avril 1946, lettre inédite. Fonds Hébertot.
8 Claudel à Hébertot, 26 avril 1946, ibid.
9 Hébertot à Claudel, 29 avril 1946, ibid. Hébertot insiste d'autant plus qu'il sait peut-être déjà que la tonalité de sa saison 1947-48 sera religieuse : elle commencera avec la Jeanne d'Arc de Péguy pour finir avec Le Maître de Santiago de Montherlant, et L'Annonce y sera bien intégrée.
10 Les Comédiens de la Roulotte, dirigés par André Clavé, avaient présenté L'Annonce en 1946, à une semaine d'intervalle des représentations de la troupe de Jouvet.
11 Hébertot à Claudel, 7 août 1946, Fonds Hébertot. Tout en étant peut-être sincère dans son jugement si sévère, Hébertot est surtout jaloux de Jouvet, en particulier depuis que Claudel a écrit en 1946 au directeur de l'Athénée une lettre de remerciement, Théâtre II, p. 1388-9, au point d'avouer : "Je ne vous cache pas que je suis prêt à tout pour recevoir de vous une pareille missive. Quelle fierté et quel encouragement !"
12 Hébertot à Claudel, 7 août 1946, ibid.
13 Ludmilla Pitoëff, que Claudel avait admirée en particulier dans le rôle de Marthe lors de la reprise de L'Echange en 1937 au Théâtre des Mathurins - que dirigeait alors Hébertot - avait incarné Violaine en 1943 à Montréal et à New York.
14 Claudel à Pierre-Aimé Touchard, 10 mai 1947, lettre inédite, Bibliothèque de la Comédie-Française.
15 Voir Journal II, p. 598.
16 Cette échéance sera prolongée d'un an.
17 Cette lettre semble perdue et son contenu ne peut en être deviné que par les allusions qu'y fait Hébertot dans sa réponse du 21 juillet ; en particulier, Claudel a proposé, pour incarner Mara, une mystérieuse actrice belge dont Hébertot n’a pu lire le nom.
18 Hébertot à Claudel, 21 juillet 1947, lettre inédite. Bibliothèque nationale.
19 Hélène Sauvaneix a consacré sa jeunesse à la danse et n'a joué au théâtre que des rôles assez, étranges, comme la folle de La Folle d'amour et la fée du Songe d’une nuit d'été. Elle s'était fait bien remarquer en jouant Stella dans Le Cocu magnifique de Crommelynck, mais Violaine sera son premier grand rôle.
20 Hébertot à Claudel, 21 juillet 1947, lettre inédite. Bibliothèque nationale.
21 Ibid.
22 Hébertot à R. Méquillet, 22 juillet 1947, Fonds Hébertot.
23 Lettre citée par Eve Francis, Un autre Claudel, p. 311.
24 Hébertot à Claudel, 30 juillet 1947, lettre inédite. Bibliothèque nationale.
25 Paul OEttly avait joué dans Sous le rempart d’Athènes en 1927, puis interprété Georges de Coûfontaine dans L'Otage à l'Odéon en 1928, sans compter sa participation à la radio dans L'Histoire de Tobie et de Sara le 22 mars 1940.
26 Journal II, 9 octobre 1947, p. 612.
27 Formé en partie par Jean Hervé, Jean Vernier, après avoir été acteur pendant dix ans, fonda au début des années 1940 sa propre compagnie. Elle présenta à travers la France libre Le Légataire universel, L'Avare, Les Frères Karamazov de Copeau, Hamlet, Amphitryon 38 et Electre de Giraudoux.
28 Hébertot à Claudel, 29 août 1947, lettre inédite, Bibliothèque nationale.
29 Maria Casarès avait fait la connaissance de Claudel en décembre 1944 et lui avait beaucoup plu. A défaut de jouer dans L'Annonce, elle interprétera, en janvier 1948, le rôle de Laeta dans La Cantate à trois voix à la salle d'Iéna.
30 Hébertot à Claudel, 29 août 1947, lettre inédite, Bibliothèque nationale.
31 Ce mot, écrit le 14 novembre 1947, est reproduit en hors-texte dans le livre Alain Cuny, le désir de parole, conversations et rencontres avec Alfred Simon, Lyon, la Manufacture, 1989.
32 Journal II, 16 novembre 1947, p. 617. Ces mots prophétiques révèlent que Claudel a été sensible à l’art de Cuny dès leurs premières rencontres. (En 1941, l'auteur n'avait pas participé à la mise en scène du Rideau des Jeunes). L'acteur s'impose tellement, qu'au début de mars 1948, juste avant la première de L'Annonce, Claudel songe à lui pour remplacer Barrault dans le personnage de Rodrigue, en vue d'une éventuelle reprise du Soulier de salin à la Comédie-Française, ibid., p. 631
33 R. Méquillet à Hébertot, 4 décembre 1947, Fonds Hébertot.
34 Journal II, p. 621. Carmen Dugard cache en réalité Carmen Duparc, l'interprète de Mara.
35 Interview d'Hélène Sauvaneix sous le titre "Paul Claudel trouve enfin la jeune fille poétique de ses rêves’’, France-Hebdo, 16 mars 1948.
36 Pour l'étude des conseils de l'auteur à ce sujet, voir infra, p. 313-323.
37 L'Aube, Il mars 1948.
38 Pierre Mazars, "Paul Claudel donne une forme définitive à L'Annonce faite à Marie", Le Figaro littéraire, 6 mars 1948. article reproduit dans Théâtre II. p. 1391-4.
39 Ces photos, comme celles des représentations, sont conservées aux Archives de la Société Paul Claudel à Paris et au Centre Jacques-Petit de Besançon.
40 Infra, p. 332-333.
41 Claudel à Hébertot, 28 février 1948. Cette lettre, qui figurait dans le programme du spectacle, est reproduite dans Théâtre II, p. 1389-90 ainsi que dans les Œuvres complètes IX, p. 324.
42 Claudel supprime de "Donnez-moi donc la clé". Théâtre II, p. 14, à "Et tout enfin s'ouvre par le milieu", ibid., p. 15. Toutes les références qui suivent aux deux versions de la pièce renvoyant à Théâtre II, seuls les numéros des pages de ce volume seront indiqués derrière chaque citation.
43 Cette interrogation de Violaine : "Mais de quel Roi parlez-vous et de quel Pape ? Car il y en a deux et l'on ne sait qui est le bon", ibid., p. 18, a été citée par Gide en épigraphe au début du livre III des Caves du Vatican, mais uniquement dans la publication de ce roman à la NRF, car Claudel s'opposera à sa présence dans l'édition en volume.
44 Mémoires improvisés, p. 275-6.
45 Toutefois, l’évocation des "deux espèces de colosses faits de fagots” (p. 64 et 182) est aussi précise dans les deux versions.
46 Ces paroles de Violaine constituent la fin de la tirade où elle commente la nature de l'habit qu'elle a revêtu pour se montrer à Jacques, "le costume des moniales de Monsanvierge [...]
que les femmes de Combernon ont le droit de revêtir deux fois :
Premièrement le jour de leurs fiançailles.
(Elle entre)
Secondement de leur mort".
47 Dominique Arban, Combat, 23 mars 1948.
48 "Les différentes versions d'une même œuvre". Revue d'histoire du Théâtre, 1969, no I, p. 21.
49 Ibid., p. 22.
50 Interview de Claudel, Le Monde, 9 mars 1948, reprise dans Théâtre II, p. 1397.
51 Pierre Mazars, "Paul Claudel donne une forme définitive à L'Annonce faite à Marie", Théâtre II, p. 1391. Voir cette photo, p. 308. Ce n'est pas la première fois qu'une telle révélation se présente à l'auteur pour un décor de L'Annonce : on se souvient qu'en découvrant les ruines de Trosky lors d'un voyage en Bohême en 1911, il s'était écrié : "Voilà mon arche de Monsanvierge I".
52 Théâtre II. p. 133. Les références au décor qui suivent, toutes extraites de ce même volume, seront données uniquement par le numéro des pages correspondantes.
53 Là encore, une circonstance fortuite avait récemment révélé à Claudel ce qu'il estimait alors l’idéal : après avoir assisté en novembre 1946 à une représentation du Roi Lear avec Laurence Olivier, il écrit : "Je trouve la réalisation du décor pour mon acte III de L'Annonce", Journal II, p. 575-6. Mais ce décor a-t-il vraiment influencé celui du Théâtre Hébertot ?
54 Pierre Mazars, article cité, Théâtre II, p. 1393.
55 Sur ce dernier aspect, voir en particulier Théâtre II, p. 1392-3 et 1395, et surtout "Le Pays de L'Annonce", p. 1397-8.
56 Cette photo est reproduite en hors-texte à la fin de Mes Idées sur le théâtre.
57 Le Monde, 9 mars 1948.
58 Claudel à Hébertot, 28 février 1948, Théâtre II, p. 1389. En fait, Claudel avait déjà entendu cette musique lors de la représentation donnée par la Troupe du Regain à Lyon en 1944, mais il avait tant détesté cette mise en scène qu'il n’avait guère goûté la partie musicale.
59 Maria Scibor, Musique de scène pour L'Annonce fuite à Marie de Paul Claudel, Gallimard, 1943, 21 p. in folio. Les références à cette partition renverront aux numéros des pages de cette édition. Maria Scibor a également composé une musique de scène pour Le Père humilié et en avait pressenti une aussi pour L'Echange en 1942.
60 Pour ce chant, Maria Scibor précise : "Ce passage doit s'exécuter librement à partir de "Gaude et Laetare, Virgo Maria, Alleluia !" jusqu'à l'Amen qui termine la prière. Ne pas respecter la régularité des accords avec le "Laetare" qui doit être chanté d'une manière enfantine et très libre en imitation de cloches. A partir de "Ora pro nobis Deum" chanté, la prière est dite à haute voix par les acteurs [...] tandis que l'on chante "Laetare" comme une volée de cloches", ibid., p. 6.
61 Au départ, l'exécution de la musique de scène de Maria Scibor a posé des problèmes - en particulier en dehors de Paris - et si, bien que terminée en 1941, elle n'a été éditée qu'en décembre 1943, c'est qu'elle a dû être retouchée. C'est également ce qui incitera Claudel, malgré ses préventions contre un tel procédé, à la taire enregistrer.
62 Henri Gouhier, La Vie intellectuelle, avril 1955, p. 141. L’opinion est fondée sur la mise en scène de la Comédie-Française de 1955, mais la musique de scène y était la même qu'au Théâtre Hébertot.
63 Beatrix Dussane, J'etais dans la salle. Mercure de France, 1963, p. 102-3.
64 Théâtre II, p. 42 et 161.
65 "Qu'est-ce qu'il dit le petit oiseau ?", 7 mars 1948, Supplément aux Œuvres complètes II, p. 414.
66 Témoignage cité par Pierre Mazars, article cité. Théâtre II, p. 1391-2.
67 Le Monde, 9 mars 1948, interview reprise dans Théâtre II, p. 1396. La métaphore du moteur revient très souvent à ce moment dans les déclarations de Claudel au sujet du fonctionnement de sa pièce.
68 Le Pays, 10 mars 1948. Plus concrètement, le chroniqueur Guermantes évoque ainsi l'auteur aux répétitions : "Il est là dans un fauteuil, la tête fortement tendue vers la scène ; il est là comme il est partout, donnant une impression de force stable. On aperçoit dans la nuit de la salle la clarté du front ; plus bas, c’est l'ombre trapue des épaules et du corps. Attentif, immobile, il relit son texte sur les lèvres des artistes et dans leurs gestes", Le Figaro, 9 mars 1948.
69 Claudel à Hébertot, 28 février 1948, Théâtre II, p 1389. Le travail scénique de Claudel au Théâtre Hébertot apparaît à travers plusieurs documents de régie du Fonds Hébertot. Bibliothèque nationale, Département des Arts du spectacle : des notes de Claudel, mais aussi de Jean Vernier, pour certains passages de la pièce.
70 "Quelques idées sur la mise en scène". Le Figaro, 11 mars 1948, article reproduit dans Mes Idées sur le théâtre, p. 221-2 et dans Œuvres complètes IX, p. 296-7.
71 Ibid., Mes Idées sur le théâtre, p. 222. Pour illustrer à nouveau cette "vertu prééminente des consonnes", Pierre de Craon ne doit pas craindre de dire, dans le Prologue : "Et vous n’entendrrrez de Rrrheims rrrépondre" en roulant les r, ou plutôt en s'appuyant sur eux, ce qui déterminera le roulement de sa parole.
72 Ibid.
73 Pierre Mazars, article cité. Théâtre II, p. 1394.
74 Mes Idées sur la manière générale de jouer mes drames, C.P.C.5, p. 187.
75 Pierre Mazars, article cite. Théâtre II. p. 1394.
76 Témoignage cité par René Farabet, Le Jeu de l'acteur dans le théâtre de Paul Claudel, p 91.
77 Infra, p. 335-336.
78 Bien qu'ils puissent paraître encore schématiques, ces mouvements opposés sont cependant moins systématiques et plus justifiés par le texte que ceux que Claudel avait conseillés en 1912 à Roger Karl qui, pour traduire l'optimisme puis le désespoir de Jacques Hury, devait successivement effectuer "des gestes de bas en haut” et "de haut en bas", C.P.C.5, p. 242.
79 Voir p. 319.
80 Théâtre II, p. 138. Toutes les références au texte de la pièce qui suivent, empruntées à ce même ouvrage, seront mentionnées par les numéros des pages correspondantes.
81 Mes Idées sur la manière générale de jouer mes drames, C.P.C.5, p. 186.
82 En 1955, à la Comédie-Française, l'espace sera plus vaste et, malgré le même schéma de départ, la mise en scène en sera amplifiée, modifiée aussi dans son esprit.
83 En fait, la marque de l'auteur reste prépondérante, car en comparant les représentations de 1948 au Théâtre Hébertot et de 1955 à la Comédie-Française, on s'aperçoit qu'elles présentent des mouvements presque identiques, Claudel ayant été présent sur scène pour les ressentir chaque fois de même manière.
84 Ce cri sera interprété semblablement à la Comédie-Française où Beatrix Dussane le comparera à "une clameur de femme en gésine", J'étais dans la salle, p. 103.
85 L'auteur n'hésite pas parfois à intervenir lui-même sur scène pour guider les interprètes : selon le témoignage d’Eve Francis, "chez Hébertot, Claudel mimait lui-même les rôles : il indiquait le jeu de Mara à genoux, il agrippa Violaine pour la forcer à ressusciter son enfant avec une telle fougue qu'il tomba", Eve Francis raconte, émission radiodiffusée, mars 1955.
86 "La dernière forme de L'Annonce faite à Marie", Lu Croix, 7-8 mars 1948, article reproduit dans Théâtre II. p. 1395-6.
87 C'est du moins ce que pensait Robert Kemp, écrivant dans Le Monde du 12 mars 1948 : "Violaine meurt comme Mélisande, entourée de serviteurs et de servantes arrivés à pas de loup : ils allument des cierges et forment un buisson ardent devant la sainte qui va gagner sa récompense. Effet de théâtre émouvant, mais dont l'intensité me gêne".
88 Interview de Claudel. Le Monde, 9 mars 1948, reprise dans Théâtre II, P· 1396-7.
89 Aveu de Claudel cité par Lugné-Poe, Dernière Pirouette, p. 188.
90 "Quelques idées sur la mise en scène", Le Figaro, 11 mars 1948, article reproduit dans Mes Idées sur le théâtre, p. 222.
91 Jean Vernier écrivait en 1942, dans le programme d'Electre et d’Amphitryon 38, pièces montées par sa compagnie théâtrale : "L'an du metteur en scène consiste à se faire oublier du public. Un homme bien habillé ne se remarque pas à première vue. Il en est de même de la mise en scène. Le respect du texte, de la pensée de l'auteur, une interprétation qui est un choix suscité par la sensibilité personnelle, sont les mobiles qui me guident".
92 Combat, 23 mars 1948.
93 En particulier, lorsque Mara dit à Volaine : "Tu mens, il n'est pas mort !" (p. 196), le dernier sursaut indiqué par Claudel et suivi par Vernier traduit magnifiquement cette volonté qui résiste encore.
94 Parmi les interprètes, Eve Francis, qui avait initialement été pressentie pour la mise en scène, a spécialement participé à cette dernière, car elle écrit dans Un mitre Claudel, p. 313 : "Pour la première fois, Claudel lui-même, le metteur en scène Jean Vernier et moi, avons su diriger merveilleusement les interprètes".
95 Infra, troisième partie, chapitre II.
96 Claudel à Hébertot, 28 février 1948, Théâtre II, p. 1389-90.
97 Voir Théâtre II, p. 1391-8, où ne sont présentés que les articles les plus significatifs.
98 "La dernière forme de L'Annonce faite à Marie", La Croix, 7-8 mars 1948, article repris dans Théâtre II, p. 1395.
99 Interview de Claudel par Pierre-André Baude, L'Aube, 11 mars 1948.
100 Pierre Mazars, "Paul Claudel donne une forme définitive à L'Annonce faite à Marie", Le Figaro littéraire, 6 mars 1948, article repris dans Théâtre II, p. 1391.
101 Hébertot justifie ainsi dans La Tribune île Genève du 29 octobre 1958 son ambition de directeur de théâtre : "Mon but a été de créer un théâtre des élites, élites d'auteurs ne s'adressant pas seulement à un public restreint".
102 Selon Claudel, Tous les chemins mènent au ciel est "une pièce belge idiote qui est un plagiat de L'Annonce", Journal II, p. 616.
103 Hébertot à Roger Méquillet, 28 février 1948, lettre inédite, Fonds Hébertot.
104 L'Aurore, 13 mars 1948.
105 Voir Théâtre II, respectivement p. 1389 et 1390.
106 Journal II, p. 632.
107 Les différents articles de presse commentant la mise en scène du Théâtre Hébertot ont été recueillis à la Bibliothèque de l'Arsenal, Fonds Rondel, et au Centre Jacques-Petit de Besançon, sur microfiches. Les dates de parution des journaux contenant ces articles, suivant toutes de quelques jours la représentation pour la presse du 20 mars 1948, ne seront pas indiquées.
108 Journal II. p. 632. Pour remercier les acteurs, Claudel les invite chez lui le 17 mars à un grand dîner à l'issue duquel Hébertot échappe de justesse à un grave accident : "Encore un miracle de L'Annonce", commente l'auteur, p. 633.
109 Claudel à Hébertot, 28 mars 1950, lettre inédite, Fonds Hébertot.
110 Le critique généralise d’ailleurs : "Nous pouvons regretter que les consignes données par le poète ne soient point encore toutes passées dans les corps de tous ses interprètes".
111 Onze dessins de costumes réalisés par Moncorbier sont conservés à la Bibliothèque nationale. Département des Arts du spectacle : ils ne peuvent être reproduits, Moncorbier n'étant pas membre de la S.P.A.D E M., mais leur observation révèle effectivement un certain conformisme tant dans leurs formes que dans leurs couleurs.
112 Journal II, p. 632.
113 Mémoires improvisés, p. 276.
114 Claudel à Hébertot, 26 mars 1948, lettre inédite. Fonds Hébertot. Dans cette même lettre, pour confirmer le succès populaire de L'Annonce, l'auteur recopie le témoignage enthousiaste d'un garde républicain qui a assisté avec passion à la représentation du 21 mars et qui loue ce spectacle "tellement profond et d'une si brûlante actualité”. Cette lettre du garde républicain est signalée dans Journal II, p. 6.34.
115 Ainsi, Camille Ambert écrit dans A Présent du 26 mars 1948 : "Le Maître s'écarte au fond de la véritable idée chrétienne, dont L'Annonce demeure sans doute l'expression dramatique la plus achevée. De ce point de vue, entre ces deux drames, le contraste est total. Dans l'un, dépouillement, sécheresse et stérilité. Dans l'autre, un ruissellement de tendresse, de toutes les tendresses, divine et humaine. Dans l'un, la foi sans charité, nue et froide comme une épée. Dans l'autre, une fois irriguée, imbibée, sursaturée d'amour".
116 Roger Méquillet avait écrit à Hébertot le 6 avril 1948 : "Il y a un degré de publicité qu'il ne faut pas dépasser", lettre inédite, Fonds Hébertot. En fait, Claudel ne sera présent qu'à la dernière conférence, celle de Jacques Madaule, le 14 mai, sur "Claudel, poète de l'univers" et il se contentera d'y assister sans parler, contrairement à ce qu'aurait souhaité Hébertot. Le 11 mai, Madaule avait fait une autre intervention sur "Claudel, poète de l'amour" avec le concours de Madeleine Renaud, Marie-Hélène Dasté et Maria Casarès. Le 10, les étudiants étrangers rendaient hommage à l'auteur. Le 12, Carmen Duparc et Robert Hébert participaient à la conférence d'André Alter sur "Claudel, auteur dramatique".
117 Hébertot à Roger Méquillet, 22 octobre 1948, lettre inédite, Fonds Hébertot.
118 Journal II, fin janvier 1950, p. 718.
119 Hébertot à Claudel, 26 février 1950, lettre inédite, Ponds Hébertot.
120 Journal II, début février 1950, p. 719. La première date concerne la représentation prévue devant le Pape, la seconde, celle envisagée pour le clergé dans un théâtre de Rome.
121 Cette lettre, parue dans Le Figaro littéraire du 9 avril 1950 avec la présentation suivante : "Notre éminent ami M. Paul Claudel vient de recevoir [...] une lettre qui confirme la nouvelle de la représentation de L'Annonce devant Pie XII", a été recopiée par l'auteur dans son Journal II, p. 726, et se trouve reproduite dans Œuvres complètes IX, p. 299. Monseigneur Montini remercie Claudel de l'envoi de son livre Emmaüs au Saint-Père qui "se réserve d'ailleurs de lui dire de vive voix sa particulière bienveillance lors de la représentation de L'Annonce faite à Marie".
122 Journal II, 18 avril 1950, p. 728.
123 Claudel à Hébertot, 9 octobre 1950, Œuvres complètes IX, p. 301.
124 Eve Francis, Un autre Claudel, p. 314.
125 Cette audition est ainsi évoquée dans Journal II, p. 729 :”130 personnes environ, prêtres et laïcs. Un trône de 8 ou 10 marches pour le Pape. Les interprètes d'un côté : Dhurtal, E. Francis, Sauvaneix, Herbeau, C. Duparc". Après la lecture des poèmes "le Pape prend la parole pour faire mon éloge d'une manière qui émeut toute l'assistance. Il descend vers moi et je me prosterne à ses pieds. Il me remet une médaille d'or et des médailles à toute l'assistance, y compris les acteurs et les machinistes".
126 Claudel à Hébertot, 9 octobre 1950, Œuvres complètes IX, p. 301. Cette lettre figurera dans le programme des représentations de L'Annonce au cours de la tournée du Théâtre Hébertot à travers la France, puis en Belgique, Hollande et Suisse, de l'été 1950 à 1951.
127 Claudel à Hébertot, 25 juillet 1950, lettre inédite. Fonds Hébertot. Pour sa part, Montherlant a qualifié La Jeune Fille Violaine de "faux chef-d'œuvre d'un faux génie", Les Lépreuses, Le Livre de Poche, 1968, p. 142.
128 Voir la lettre inédite de Claudel à Hébertot du 28 mars 1950, Fonds Hébertot.
129 Journal II, fin mars 1930, p. 724.
130 Voir la lettre inédite d’Hébertot à Claudel du 25 mars 1950, Bibliothèque nationale.
131 Claudel à Hébertot, 26 mars 1950, lettre inédite. Bibliothèque nationale. L'auteur ajoute qu'il adresse une copie de cette lettre à la Direction des Relations Culturelles du Quai d'Orsay qui doit, selon lui, être informée du litige qui sépare les deux hommes.
132 Claudel à Hébertot, 28 mars 1950, lettre inédite, Fonds Hébertot. L'auteur précise quand même entre parenthèses à la fin de la phrase : "(avec la collaboration précieuse de M. Vernier)".
133 Eve Francis, Un autre Claudel, p. 314.
134 Claudel à Hébertot, 25 juillet 1950, lettre inédite. Fonds Hébertot. Carmen Duparc ne jouera plus Claudel que lors d'un récital à la mairie du 16e arrondissement de Paris, auquel elle participera le 18 février 1952 avec Eve Francis.
135 Journal II, p. 735.
136 Ibid. Si Claudel accuse un manque de direction des acteurs, il reconnaît toutefois qu'ils ont aussi été gênés par le cadre du Théâtre de Fourvière qui les éloigne trop des spectateurs, car "la distance nuit à la prise sur les âmes, on ne voit pas les figures".
137 Eve Francis, Un autre Claudel, p. 327.
138 Violaine : Janine Clairval ou Anne Olivier ; Mara : Evelyne Langey ou Monique Montivier ; Jacques Hury : Roland Rodier ou Patrick Roussel ; la Mère : Denise Bailly ou Suzanne Demars.
139 Eugène Fabre, Journal de Genève, 14 octobre 1950.
140 Journal II, p. 755.
141 Claudel à Eve Francis, 7 janvier 1951, lettre citée par Eve Francis, op.cit., p. 326.
142 Hébertot à Roger Méquillet, 5 décembre 1930, lettre inédite, Fonds Hébertot. Le directeur a beau avancer le succès des recettes de L'Annonce, plus de 40 millions de francs, Méquillet reste ferme. Seule une représentation exceptionnelle aura lieu à Paris après 1930, le 15 janvier 1951, au Théâtre de la Cité Universitaire.
143 Cette décision sera réfutée après accord en février 1952.
144 Toutefois, après la mort de Claudel, Hébertot et Roger Méquillet échangeront quelques lettres amicales en 1966, chacun affirmant garder un bon souvenir de l'autre, et Méquillet louant spécialement Hébertot pour sa franchise, marque de son indépendance.
145 Mémoires improvisés, p. 276.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Michelet, à la recherche de l’identité de la France
De la fusion nationale au conflit des traditions
Aurélien Aramini
2013
Fantastique et événement
Étude comparée des œuvres de Jules Verne et Howard P. Lovercraft
Florent Montaclair
1997
L’inspiration scripturaire dans le théâtre et la poésie de Paul Claudel
Les œuvres de la maturité
Jacques Houriez
1998