Chapitre I. Le projet d'une annonce musicale au Théâtre Pigalle (1929-1932)
p. 171-222
Texte intégral
1C'est en s’intéressant à un aspect de L'Annonce qu'il avait jusqu'ici négligé, sa dimension musicale, que Claudel reprend, après bien des années d'interruption mais avec un enthousiasme égal à celui qu'il avait manifesté à Hellerau, une préparation scénique personnelle de sa pièce. Ce soudain retour d'intérêt s'explique par les circonstances de l'évolution de l'esthétique dramatique claudélienne, en particulier par la longue maturation des idées du dramaturge sur la musique appliquée au théâtre, depuis le début des années 1910 jusqu'à la fin des années 1920. Une opportune proposition de monter L'Annonce, émanant en 1929 du Théâtre Pigalle, fait alors naître, en collaboration avec Darius Milhaud, un projet de mise en scène aux péripéties rebondissantes, qui se terminera en 1932 par un échec sur le plan théâtral, quelque peu compensé ensuite sur le plan musical. Cependant, il sera possible de présenter, au moins de façon fragmentaire, ce qu'aurait été cette Annonce musicale à laquelle rêvait l'auteur et d'évoquer la vision claudélienne de la musique dramatique qui en résulte.
1. Préparation indirecte du projet : Claudel et la musique scénique avant 1929
2Que ce soit au Théâtre de l'Œuvre ou à Hellerau, Claudel, en participant aux premières mises en scène de L'Annonce, n'avait pas manifesté un grand intérêt pour son accompagnement musical, la musique des voix des acteurs semblant importer plus que la présence d’instruments ou de chants. A l'occasion du projet de représentation au Théâtre Pigalle, c'est au contraire le développement musical de sa pièce qui retient toute son attention : le dramaturge est à présent soucieux d’appliquer des idées sur la musique scénique qui ont longuement mûri, et diverses circonstances vont lui permettre de prendre L'Annonce comme objet d'étude.
3On serait tenté de croire Claudel indifférent à la musique en se fondant sur la déclaration qui ouvre sa conférence Le Drame et la musique, pourtant prononcée en février 1930, alors qu'il est déjà bien engagé dans son projet musical pour L'Annonce : "Je ne suis nullement musicien [...]. Je vais aussi peu que possible à l'opéra et les connaissances expérimentales me font de ce côté défaut"1.
4Mais, de même qu'il fallait se méfier des affirmations de Claudel sur ses inaptitudes théâtrales, force est de constater que, sans être musicien, le dramaturge s'est toujours intéressé, tout comme le poète, aux questions musicales2. Appartenant à une génération pour qui la musique est liée au culte, le jeune Claudel a été très marqué par la force émotive de cet art : en particulier, lors des célèbres Vêpres du 25 décembre 1886 à Notre-Dame de Paris, c'est au moment où retentit le Magnificat, entonné par un chœur d'enfants, que soudain il croit "d'une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute"3. Si la musique est associée à la liturgie et au sentiment religieux, elle manifeste évidemment aussi son influence sur la sensibilité de l’écrivain. Dès 1886, au moment où il écrit sa première pièce, il est un auditeur fervent de Beethoven et de Wagner qui exacerbent son imagination et contribuent à son initiation dramatique4. La musique envahit alors l'écriture claudélienne, mais plus tard, elle apparaîtra insuffisante au dramaturge soucieux de voir représenter ses œuvres. A cet égard, la traduction de L'Orestie d'Eschyle est capitale, car elle conduira pour la première fois Claudel à songer à l’utilisation de la musique pour une éventuelle représentation. Dès 1894, en traduisant Agamemnon, il s'était moins attaché à restituer le sens du vers que sa musicalité fondée sur l'ïambe, assemblage d'une syllabe brève et d'une longue, "mètre scénique essentiel" car "c'est le battement de ce double temps, de cette double syllabe, que vous entendriez partout, le jour où ce texte viendrait à être porté à vos oreilles"5 ; cette musique du langage ne suffira plus au moment de la traduction des Choéphores.
5Si donc, dès sa jeunesse, Claudel s'est intéressé à la musique et à ses liens avec le théâtre, elle est cependant demeurée secondaire dans la réalisation de ses premières expériences scéniques. La collaboration avec Darius Milhaud va fournir au dramaturge une incomparable initiation aux ressources théâtrales de l'art musical. Claudel et Milhaud se sont rencontrés pour la première fois en octobre 1912, donc juste avant la création de L'Annonce. Avant même de connaître l'écrivain, Milhaud l'avait admiré en découvrant le recueil L'Arbre, que son ami Armand Lunel lui lisait à haute voix ; puis en 1911, Francis Jammes révéla à Milhaud Connaissance de l'Est, et le musicien, séduit par ces poèmes, en mit aussitôt plusieurs en musique. Il désira alors les faire entendre à Claudel, qu'il était fort curieux de connaître : le jeune musicien de vingt ans et l’écrivain quadragénaire firent ainsi connaissance, dans une admiration réciproque pour leur goût commun du lyrisme et du rythme, amorçant immédiatement une fructueuse collaboration6. En se bornant aux œuvres dramatiques de Claudel et à la période qui précède le projet de L'Annonce au Théâtre Pigalle, on constate que Milhaud compose successivement la musique de scène de Protée (1913), d'Agamemnon (1913) et des Choéphores (1915), celle du ballet L'Homme et son désir (1918), le trio de L’Ours et la Lune (1919) et deux opéras : Les Euménides (1917-1922) et Le Livre de Christophe Colomb (1928).
6C'est d'abord à propos de L'Orestie que le dramaturge élabore, avec l'aide du musicien, ses premières idées sur la musique théâtrale, dont certaines réapparaîtront pour l'accompagnement musical de L'Annonce. Dès 1913, en terminant sa traduction des Choéphores, Claudel sent que la parole pure ne suffit pas à certains endroits et qu'elle doit être complétée par la musique : "Plus j'avance dans ma traduction de L'Orestie, plus je vois que la musique y joue un rôle indispensable, mais une musique d'un ordre très particulier donnant avant tout de la ligne, du rythme et du mouvement, plutôt que des combinaisons harmoniques"7. D'Agamemnon aux Euménides, les idées musicales de Claudel et Milhaud vont se préciser8
7Pour Agamemnon, l'auteur confie au compositeur : "Il faudrait quelque chose comme un ton, celui dont on récite l'épître ou l'évangile, qui pourrait devenir sans brisure quelque chose de vraiment chanté"9. L'accompagnement musical lui semble surtout nécessaire au moment où Clytemnestre, sortant du palais avec sa hache ensanglantée à la main, se heurte au chœur des vieillards :
Je sens (comme un artiste sent en dehors de tout raisonnement) que le dialogue de Clytemnestre et du chœur ne peut être simplement déclamé, sans que pour cela il devienne proprement de la musique. Ce n'est pas sans raison qu'Eschyle à ce moment a complètement changé le rythme et a fait parler Clytemnestre en vers lyriques. Clytemnestre à ce moment est animée d’une joie sauvage, presque diabolique, elle est comme possédée d’un esprit de cannibale (toujours à la manière grecque et sans perdre la mesure). Il ne faut pas que sa parole chante, il faut qu’elle danse, il en faudrait accentuer le rythme avec une rudesse à laquelle la déclamation ordinaire ne suffirait pas. Il faudrait une "musique" réduite purement à l’élément rythmique, par exemple à des coups de tambours et autres instruments de percussion ou des cris courts de trombones10.
8Dès 1913, Claudel formule ici des impressions qui resteront à la base de sa conception de la musique de scène et qui réapparaîtront notamment dans son projet pour L'Annonce : le passage progressif et naturel de la parole au chant, l'accord de la musique à l'action dramatique sans que l'une répète l'autre, la prédilection pour les éléments rythmiques. Milhaud, aussi hostile que Claudel à l'habituelle musique de scène caractérisée par l'intrusion artificielle d’une phrase musicale pendant que les acteurs continuent à réciter, appliquera ces désirs de l'écrivain au passage voulu par lui11. Mais bien que la musique n'apparaisse qu'à ce moment, la simple lecture du chœur d'Agamemnon est telle que le ton en est déjà musique, même s'il n’est pas codifié en partition.
9Dans Les Choéphores, la montée progressive de la parole au parlé chanté et du parlé chanté au chant est plus évidente : les Choéphores lisent, prosodient et chantent. Les passages où elles dialoguent avec Electre, Oreste et la Nourrice sont simplement parlés, mais plusieurs indications de Claudel tendent à y introduire une certaine musique12. Ce qui intéresse le plus la future musique de scène envisagée pour L’Annonce, ce sont les trois passages prosodiés, c'est-à-dire interprétés rythmiquement avec le soutien d'instruments à percussion, et en particulier celui que Milhaud a intitulé Présages'13. Claudel en aurait souhaité l'interprétation suivante :
Chœur rythmé et accompagné par la batterie. La nuit se tait de plus en plus sur le théâtre. Toute cette scène est comme chuchotée sans qu'on puisse nettement distinguer les mots, la parole sautant brusquement de l’un à l'autre des choristes, avec de fortes variations de tons. Accompagnement des instruments de batterie. Les choristes maintenant adossés à la draperie. Chœur invisible par derrière chuchotant et reprenant avec violence certains mots14.
10Mais Milhaud adopte une solution tout à l'ait différente, sauvegardant le sens du texte : "Je fis parler le texte en mesure par une récitante, pendant que les chœurs prononçaient des mots ou des lambeaux de phrases notés en valeurs rythmiques, mais ne reposant sur aucune note"15. Effectivement, dans les enregistrements des Choéphoresl16, on entend une voix qui dit seule le texte en prolongeant ou en accentuant certaines syllabes, cette diction rythmée étant soutenue par des percussions diverses et par le reste du chœur qui reprend avec violence certains mots. Lorsque Milhaud enverra à Claudel l’enregistrement de ces Présages récités par Claire Croiza, l’écrivain s’enthousiasmera et rêvera à une pièce qui serait entièrement prosodiée ainsi ; c’est alors qu’il voudra adapter L'Annonce en drame choral17. D’une manière générale, Milhaud et Claudel ont trouvé dans Les Choéphores un équilibre idéal entre la parole et le chant, à la fois par le savant dosage des différentes parties parlées et chantées et par l’exploitation d’une étape intermédiaire entre elles18.
11Le dramaturge eut moins l’occasion de suivre le travail entrepris sur Les Euménides, qui de 1917 à 1922, fut long et discontinu. Il donna néanmoins quelques directives à Milhaud, en insistant là encore sur l’importance de la prosodie : "Il faut que le public arrive à s'intéresser au débat sans en comprendre un seul mot, uniquement par le mouvement et le dessin des périodes qui devraient être non pas coloriées musicalement, mais dessinées prosodiquement"19. Contrairement à Agamemnon et aux Choéphores, musiques de scène pour chœur et orchestre, Les Euménides est un véritable opéra où la musique est omniprésente. Du reste, il présente une sérieuse difficulté d'exécution et n'a jamais été représenté du vivant de Claudel20.
12Ainsi la collaboration entre Claudel et Milhaud à propos de L'Orestie a permis à l'écrivain d'aborder ses premières expériences en matière de musique théâtrale, qui seront approfondies dans Le Livre de Christophe Colomb et les projets pour L'Annonce. Il faut en retenir la recherche de divers procédés intermédiaires entre la parole et le chant, le goût de l'efficacité scénique de la prosodie, l'importance accordée au rythme. Bien que ces éléments demeurent à l'état d'ébauches, Claudel n'en est pas moins convaincu de la nécessité d'une présence musicale dans une pièce. De fait, les œuvres qu'il compose de la fin du travail sur L’Orestie jusqu'au projet musical pour L'Annonce, Le Soulier de satin, La Femme et son ombre, la deuxième version de Protée, Sous le rempart d'Athènes et bien sûr Le Livre de Christophe Colomb consacrent une part croissante à la musique, tout comme celle-ci progressait d'une pièce à l'autre dans L'Orestie. En 1927, pour présenter Sous le rempart d'Athènes, l'auteur peut ainsi écrire :
La musique est nécessaire au drame. Elle donne l'atmosphère, le courant permanent qui continue quand les acteurs se taisent et auquel leurs paroles ne cessent de s'accorder. Elle n'a pas pour objet de soutenir et de souligner les paroles, mais de créer derrière le drame une espèce de tapisserie sonore, dont les couleurs amusent et soulagent le spectateur et baignent de leurs reflets agréables l’aridité d’une discussion philosophique21.
13De tels principes pourraient s'appliquer à ce qui sera prévu peu après pour L'Annonce.
14L'intérêt de Claudel pour la place de la musique au théâtre n'aurait peut-être pas été si vif dans les années 1925-1930 s'il n'avait pas coïncidé avec des circonstances de sa vie qui lui ont été favorables : la relative disponibilité consécutive à l'achèvement du Soulier de satin, la découverte du théâtre japonais, le travail entrepris à propos de la commande du Livre de Christophe Colomb.
15La fin de la rédaction du Soulier de satin est envisagée par Claudel comme le terme d'une période de son activité littéraire. Peut-être s'est-il enfin libéré d'Ysé ? Peut-être a-t-il le sentiment d'avoir tout dit dans cette pièce si riche ? En tout cas, lorsque le 4 octobre 1924, il annonce à son ami Henri Hoppenot qu’il va enfin terminer cette "œuvre testamentaire" commencée quatre ans plus tôt, il avoue : "Après cela, je n'aurai plus qu'à écrire, si je peux, le drame qui servira de conclusion aux Coûfontaine et mon existence littéraire sera terminée. Je passerai à d'autres exercices"22. Ces "autres exercices" qui remplacent l’écriture dramatique sont essentiellement les commentaires bibliques qui, tout en passionnant l'auteur à partir de 1928, satisfont mal son besoin impulsif de créer. Mais comme il ne veut plus écrire de pièces nouvelles, il entreprend des rêveries autour d'œuvres anciennes, associées à son intérêt pour la musique ; parmi elles, L'Annonce semble occuper une place de choix, car lorsqu'en novembre 1929 le Théâtre Pigalle proposera de monter la pièce, un projet sera déjà bien mûr.
16De plus, à la fin des années 1920, Claudel a précisé ses idées sur la musique scénique en tirant profit de sa découverte du théâtre japonais. Séjournant au Japon de 1921 à 1927, il a eu le temps de s'initier à trois formes dramatiques différentes, le Nô, le Bugaku et le Kabuki, et d'en retenir plusieurs leçons sur le plan musical.
17La découverte du Nô, d'abord en octobre 1922, puis plusieurs fois en 1923, révèle au dramaturge, outre une profonde réflexion sur la sémiologie du geste, la fascination que provoque une union intime de la musique et de l’action : en participant par sa présence sur scène au travail de l’acteur, le musicien crée "une espèce d’enceinte sonore"23 qui intensifie le drame. Par exemple, lorsque Claudel analyse la représentation du Nô de Dô jô ji à laquelle il assiste le 22 octobre 1922, il ne peut séparer les gestes des acteurs des interventions de la musique : "Une espèce de hurlement du musicien, le pied se lève, un coup de tambour, le pied se baisse, un pas, silence, brusque repliement de tout le corps comme si l'être se préparait à bondir, puis de nouveau silence, longue immobilité, ainsi de suite"24. Les instruments de musique et l'expression vocale des acteurs sont choisis en fonction de leur intégration à l'action :
Les instruments à coups sont là pour donner le rythme et le mouvement, la flûte funèbre est la modulation par intervalles à notre oreille de l'heure qui coule, le dialogue par derrière les acteurs de l'heure et du moment. A leur concert viennent souvent s'ajouter de longs hurlements poussés par les musiciens sur deux notes, l’une grave et l'autre aiguë : hou-kou, hou-kou. Cela donne une étrange et dramatique impression d'espace et d'éloignement25.
18Cet intérêt de Claudel pour une musique vocale, voire pour des sons inarticulés, se retrouvera dans certains passages de ses projets pour L'Annonce26. Du Nô, l'auteur retiendra aussi à un moment dans sa pièce la présence d'un chœur non intégré à l'action, qui ajoute un commentaire et joue le rôle de truchement entre le public et le drame27.
19Parallèlement au Nô, les danses liturgiques du Bugaku laissent sur Claudel une impression si profonde qu'il sera tenté d'en généraliser les caractères au Nô lui-même ainsi qu’à l'ensemble du théâtre japonais. En assistant en 1922 aux deux ballets Nasari et La Fête du printemps, il remarque que la musique n'a pas pour objet d'exprimer les péripéties du drame, "mais de rendre sensible le continu, cette présence indivisible hors de nous. Des tenues indéfinies et superposées sont pareilles aux "horizons" géologiques et l'une, en s'interrompant aussitôt, rend les autres apparentes"28. En donnant ainsi le sentiment de la durée, la musique crée une ambiance à laquelle nous devons prêter attention au-delà de l'évolution du drame lui-même :
Ainsi comprise, la musique n'a pas pour objet de soutenir et do souligner les paroles, mais souvent de les précéder et de les provoquer, d'inviter à l'expression par le sentiment, de dessiner la phrase en nous laissant le soin de l'achever. Elle suit un chemin parallèle au nôtre. Elle vaque à ses propres affaires tandis que, l'oreille à son murmure chargé de souvenirs, de présages et de conseils, nous déchiffrons notre propre partition29.
20Cette idée d'une musique "parallèle", qui hante véritablement Claudel dans les années 1925-1930, réapparaîtra elle aussi dans l'accompagnement musical rêvé pour L'Annonce30.
21Cette capacité de la musique à préparer l'action sans la casser, l'auteur la retrouve dans le Kabuki, genre qu'il affectionne particulièrement, au point de l’étendre, là encore, à l’ensemble du théâtre japonais. C'est du Kabuki qu'il parle lorsqu'il écrit :
Le théâtre japonais a parfaitement résolu le problème de la musique dramatique qui ne doit jamais faire concurrence à l'action ou s'y intercaler comme un numéro, mais la préparer et l'accommoder au cœur du public. Quelques notes sur le shamisen qui marquent l'attention ou la détente, qui ponctuent le chant de temps en temps [...] ; quelques coups précipités de battoir pour annoncer les violentes interventions, ou au contraire espacés et solennels, le gros tonnerre quand il le faut, parfois une flûte plaintive, tout cela librement et presque instinctivement manœuvré31.
22Claudel théorisera ces observations en affirmant que, "spectateur assidu de l'admirable théâtre national dit Kabuki", il comprit alors "ce qu'était la musique dramatique, c'est-à-dire employée par un dramaturge et non par un musicien, ayant en vue non pas la réalisation d’un tableau sonore, mais la secousse et le train à donner à notre émotion par un moyen purement rythmique ou timbré, plus direct et plus brutal que la parole"32. D'une manière générale, les révélations apportées au dramaturge par la musique du théâtre japonais semblent si bien annoncer ses tentatives musicales futures qu'on est tenté de se demander si il ne veut pas à travers elles cautionner ses expériences et intuitions personnelles. Quoi qu'il en soit, son goût pour une musique exécutée sur scène, mêlée aux voix des acteurs, parallèle à l'action et fondée sur les percussions, se retrouvera dans le projet conçu pour L'Annonce au Théâtre Pigalle.
23Mais cette rêverie musicale avec Milhaud autour de L'Annonce n'aurait peut-être pas eu lieu si elle n'avait pas été immédiatement précédée par l'enthousiasme avec lequel, de 1927 à 1929, l'auteur et le compositeur travaillent au Livre de Christophe Colomb. Au départ, en mars 1927, cette œuvre est une commande faite à Claudel par Max Reinhardt d'un drame musical grandiose ayant pour sujet l'histoire de Christophe Colomb et auquel devait collaborer le compositeur Richard Strauss : le dramaturge, qui n'est enthousiasmé ni par le thème, ni par le musicien, traîne d'abord ce projet avec dégoût. Puis il s'aperçoit que, s'il travaille avec Milhaud, il pourra trouver l'occasion d'expérimenter, dans ce drame où le développement musical est important, ses idées actuelles sur la musique théâtrale. Comme le choix de Milhaud effraie Reinhardt qui peu à peu se retire du projet, Claudel exulte alors à l'idée de pouvoir réaliser librement avec son ami tout ce qu'il a mûri au sujet de la musique scénique, et qui peut schématiquement se réduire à deux grandes directions. D'une part, naissant progressivement du silence pour parvenir aux plus vastes déploiements du son, la musique doit utiliser tous les registres sonores, comme l'illustre notamment le chœur33. Ces modulations participent ainsi intimement à l'action dramatique, comme à la fin de la première partie où le Te Deum se mêle au murmure de l'Amérique et aux cris des matelots34, et plus nettement encore lors de la scène de la tempête où selon Claudel "les diverses charges doivent être très rapides, dans un ensemble furieux et court"35. D'autre part, la musique, loin de se borner à accompagner l’action, doit évoluer d'une manière parallèle. Ainsi, Claudel a prévu qu'à plusieurs reprises, le chœur manifeste son indépendance par rapport aux événements : pendant la scène des trois hommes sages, les choristes, "n'ayant rien à faire", se livrent "à toutes sortes de conversations particulières"36 ; pendant la scène de la controverse, le chœur se déclare contre l’image scénique, qu’il n'accompagne qu'à regret37. Dès lors, appliquant ses idées essentielles sur la musique de scène, Le Livre de Christophe Colomb semble constituer pour Claude ! un exemplaire parfait du théâtre musical, qu'il voudra reproduire dans L'Annonce. Cependant, comme pour cette dernière pièce, un tel idéal ne deviendra pas réalité, car le dramaturge n’a pas été entièrement satisfait de la musique composée par Milhaud. Malgré tout, l’enthousiasme avec lequel Claudel a imaginé l’accompagnement musical du Livre de Christophe Colomb lui a donné envie de poursuivre le travail à propos d’une autre pièce.
24Mais pourquoi, parmi toutes ses anciennes œuvres auxquelles il peut rêver musicalement, l’auteur choisit-il L'Annonce ? C’est certainement qu’il comprend que la musique doit y jouer un rôle important et que, dans les mises en scène réalisées jusqu'à présent, ce rôle n’a pas été assez mis en évidence.
25En apparence, comparée au Livre de Christophe Colomb et même à d’autres pièces musicalement moins ambitieuses, L'Annonce est une œuvre où la musique n’occupe qu'une place mineure ; pourtant, entendue à un sens large, elle se révèle variée et importante38. Elle se manifeste le plus nettement par des chants liturgiques, remarquablement insérés dans l’action. Au Prologue, le Regina Coeli (Théâtre II, p. 15) situe le drame entre le ciel et la terre et annonce le thème de la seconde naissance, caractéristique du temps pascal ; au début de l’acte II, le Salve Regina (p. 44), entonné au moment où Violaine est parvenue à l’heure suprême de la séparation, nous fait pressentir jusqu’où le drame va monter ; à l’acte III, le chœur des anges entendu par l’héroïne (p. 80-3) annonce le miracle de la Sainte et développe le double thème de la naissance virginale et du présent de Noël39. Des mélodies populaires chantées par des voix d’enfants viennent offrir à ces chants liturgiques un contrepoint vivant et acide dans les moments les plus pathétiques, comme pour les sauver de toute emphase mélodramatique : Compère loriot au départ du Père (p. 41), Marguerite de Paris après la mort de Violaine (p. 111). A ces voix d’enfants se mêle parfois le chant des oiseaux : au Prologue, celui de l’alouette (p. 22) symbolise le don joyeux de Violaine ; celui du loriot salue le départ du Père (p. 41-2). L'ambiance sonore est aussi constituée instrumentalement par plusieurs tintements de cloches et coups de trompettes savamment placés. Dès le Prologue, retentit "tout soudain, sonore et clair et très haut dans le ciel, le premier coup de l'Angélus" (p. 15), au moment où Pierre va décider du destin de Violaine40. A l'acte III, les cloches, accompagnées des trompettes, disent ce que personne ne peut dire : lorsque Mara apporte son enfant à sa sieur, des "cloches au loin presque imperceptibles", puis des "trompettes dans l'éloignement" (p. 78), annonçant respectivement la messe de minuit et le passage du roi, laissent supposer que Violaine résiste encore à l'appel intérieur qui apparaît dans sa conscience, puis peu après, la "sonnerie éclatante et prolongée de trompettes, toute proche [...] indiciblement déchirante, solennelle et triomphale" (p. 81) qui marque le passage du roi, semble apporter de l'extérieur à l'héroïne un ordre nouveau, impérieux, qui la stimule dans sa résolution. Les répliques finales de la pièce sont rythmées par la subtile alliance entre le "son d'une cloche fêlée” (p. 113), la petite cloche des sœurs qui sonne l’Angélus, et le son de la cloche de Monsanvierge "qui sonne la triple note à son tour, admirablement sonore et solennelle" (p. 114) et qui signifie la résurrection de Dieu, magnifique symbole final vers quoi tendait tout le drame. Plus rarement, Claudel fait entendre des instruments plus humbles, comme "un appel de cornet" (p. 45) et le "son d'une corne au loin" (p. 85), ainsi que la sonorité de certains objets comme la cliquette de Violaine (p. 69), "un marteau sur les planches" (p. 100) et le craquement de la porte de la grange (p. III). Tous ces bruits, d’une manière plus ou moins inquiétante, trouent le silence, un silence dont Claudel mentionne la présence à de nombreuses reprises et qui constitue également un aspect important de la palette sonore de la pièce. Ainsi, la musique, au sens large d’univers sonore, joue finalement un rôle considérable dans L'Annonce et se trouve intimement associée à l'action.
26Lors de la création parisienne, Claudel s'était contenté, pour marquer la dimension musicale de la pièce, de la modeste partition de l’abbé Brun et des chœurs de la Schola Cantorum, la musicalité vocale des acteurs lui semblant certainement plus importante. Mais en 1929, fort de ses réflexions et expérimentations sur la musique de théâtre, il constate avec amertume : "En ce qui concerne L'Annonce, la musique qu'on y fait m'a toujours beaucoup déplu"41. Quelques remarques de l'auteur, entre la création de 1912 et le projet du Théâtre Pigalle, permettent d’entrevoir comment a progressé sa prise de conscience des insuffisances musicales scéniques de sa pièce. Elle commence par un détail : un mois après la création, alors qu'il prépare la représentation du Théâtre de l'Œuvre à Francfort, Claudel indique à Lugné-Poe qu’"il serait absolument nécessaire d’avoir deux glockenspiele. Au dernier tableau, il faut absolument que les cloches de Monsanvierge semblent venir d'en haut"42. Si le dramaturge se préoccupe tant de trouver ces carillons, c'est peut-être qu'ils ont pour lui une fonction d’"acteur" invisible et qu'il veut ainsi dramatiser le dernier tableau. Quelques mois plus tard, à Hellerau, sa découverte fascinée d'une union entre la musique, la plastique et la lumière lors des représentations d’Orphée ne le conduit pas cependant à envisager pour la mise en scène de L'Annonce un accompagnement musical important. Il faut attendre les représentations de la Comédie-Montaigne en 1921 dans la mise en scène de Baty et Gémier pour qu’une remarque de ce dernier fasse prendre conscience à Claudel de la nécessité d'une présence musicale à un passage précis :
Il y a une scène dans la pièce où le père de famille, près de partir pour un long voyage, rompt le pain pour la dernière fois à ses enfants et à ses serviteurs réunis autour d’une table. C’est là une de ces idées qui paraissent toutes simples sur le papier et qui réalisées sur la scène évitent difficilement le ridicule ; et en effet dans les représentations précédentes, je n'avais jamais contemplé cet émouvant tableau sans sentir le long de ma colonne vertébrale le frisson de la fausse note. Gémier avec son immense expérience théâtrale n'hésita pas une minute : "Il faut de la musique" s'écria-t-il. On mit en mouvement un glockenspiel quelconque et la scène passa triomphalement, la sonorité des timbres lui conférant l’atmosphère, l'enveloppe, la dignité et la distance que la parole à elle toute seule, maigre et nue, était impuissante à fournir43.
27De 1921 à 1929, le dramaturge, sans évoquer la question, généralise certainement peu à peu cette nécessité d'un accompagnement musical à l'ensemble de L'Annonce, car dès que le Théâtre Pigalle l'invite à monter la pièce, il propose à Milhaud des idées précises. Dans ces conditions, comment ne pas voir dans cette initiative un signe providentiel ? Pourtant, la satisfaction de Claudel en 1929 aboutira quelques années plus tard à une aussi grande désillusion.
2. Les fluctuations du projet (1929-1932)
28D’octobre 1929 au printemps 1932, deux années et demie vont être occupées par l'évolution d'un projet dont les rebondissements tiennent véritablement du feuilleton à suspens : de premières intentions se heurtent à certains obstacles, puis une seconde tentative débouche finalement sur un échec partiel.
29Tout commence en octobre 1929 lorsque Gabriel Astruc, directeur artistique du Théâtre Pigalle récemment ouvert, demande à Claudel l'autorisation d'inscrire L'Annonce à son répertoire. L'auteur connaissait depuis longtemps cet homme de théâtre polyvalent44 qui avait joué un rôle d'initiateur en instituant les saisons des Ballets russes de Diaghilev à Paris et en faisant construire en 1912 le Théâtre des Champs-Élysées45 dont il fut le premier directeur, témoin de la création houleuse du Sacre du Printemps en mai 1913. En 1927, Astruc a l'occasion de s'intéresser à Claudel, car il est chargé d'organiser la soirée donnée à l'Élysée pour le centenaire du chimiste Marcelin Berthelot, père de Philippe Berthelot, et il demande à Jouvet de mettre en scène la pièce composée par le dramaturge pour cette circonstance, Sous le rempart d'Athènes. Cette manifestation ayant été réussie, Astruc se trouvait en termes suffisamment bons avec Claudel pour lui demander, deux ans plus tard, de monter L'Annonce. En octobre 1929, il écrit à l'auteur, alors ambassadeur à Washington, pour lui proposer de faire jouer dans une même soirée cette pièce et Sous le rempart d'Athènes, qui seraient mises en scène par Gaston Baty. Claudel juge d'abord ce projet absurde, les deux pièces étant d’atmosphère très différente, et suggère de représenter plutôt Protée, que deux projets malheureux en 1916 et 1919 avaient écarté de la scène et qui venait d'être créé à Groningen par des étudiants hollandais. Puis, après réflexion, il estime intéressant de ne garder que L'Annonce, afin d'y appliquer les idées musicales qui l'occupent depuis un certain temps, d'autant plus que jusqu'ici l'accompagnement musical scénique de la pièce s'est avéré décevant dans la mesure où "c'est toujours la conception du numéro à exécuter qui interrompt l'action et détruit l'effet scénique"46.
30L'auteur, encore sous le charme de sa collaboration avec Milhaud à propos du Livre de Christophe Colomb, s'adresse alors aussitôt au compositeur, lui présentant prudemment un projet original :
Au lieu d'une musique précise, je voudrais avoir le même effet qu'on obtient par exemple quand on ouvre la fenêtre d'un bureau et qu'on entend le bruit d'une grande ville : seulement cette fois la fenêtre serait ouverte sur le Paradis [...] Est-ce que vous auriez le temps d'établir ce frottis de sons ? qui ne doit pas être de la musique, mais une impression sonore de Paradis. Si vous n'avez pas le temps, peut-être pourriez-vous conseiller un jeune musicien – ou Germaine Tailleferre ? Causez avec Astruc. Je serais si heureux d'avoir votre collaboration47.
31Milhaud ne peut résister à une invitation si pressante : il assure Claudel qu'il s'occupera du travail demandé et qu’il ne laissera "jamais celte partie musicale au hasard"48. Mais le projet traîne jusqu'à la fin du printemps 1930, car Claudel ne peut quitter Washington qu'en mai et Milhaud est trop préoccupé par l'imminence de la création du Livre de Christophe Colomb – qui a lieu le 5 mai 1930 à l'Opéra de Berlin – pour pouvoir se consacrer à L'Annonce. Cependant, l'auteur y réfléchit : parallèlement à la mise au point de sa conférence du 19 février à Yale qui deviendra Le Drame et la musique, il précise quelques aspects : il pense appliquer le "frottis de sons" dont il a parlé à Milhaud d’abord aux lectures bibliques de Mara à l'acte III ; il souhaite aussi un accompagnement musical pendant la scène de la fraction du pain comme le lui avait suggéré Gémier, par exemple un choral ; il s'interroge sur la possibilité de "se servir du radio pour faire intervenir de temps en temps l'élément bruit et musique dans le drame"49. De son côté, Gabriel Astruc signale à Claudel qu’il approuve la participation de Milhaud – qui lui est "on ne peut plus sympathique" et avec lequel il a, par l'entremise de sa fille, "des rapports amicaux" – et apaise les inquiétudes qu'éprouve déjà l'impatient dramaturge au sujet des délais nécessaires au compositeur pour écrire la musique de L'Annonce : "Étant donné que nous projetons de donner votre œuvre au début de la prochaine saison, notre musicien, qui écrit avec une grande facilité, pourra consacrer tout son été à ce travail"50. Claudel est encore plus stimulé lorsque Milhaud lui apprend le 19 mars que Baty, qu'il ne souhaitait guère comme metteur en scène dans la mesure où il ne gardait pas un bon souvenir de son travail en 1921, a quitté le Théâtre Pigalle où il n'était pourtant arrivé qu'en janvier.
32C'est donc sous les meilleurs auspices qu'à la fin de mai, Astruc rend visite à Claudel, à peine rentré à Paris51. Non seulement la commande du Théâtre Pigalle est officiellement reconnue, mais la mise en scène de L'Annonce aura lieu "dans des conditions de splendeur, comme l'époque du XVe siècle peut s'y prêter"52 et avec aussi peu de coupures que possible. L'auteur expose surtout à Astruc ses projets musicaux, qui prennent de plus en plus d'ampleur, ainsi qu'il le rapporte à Milhaud :
Je lui ai dit qu'à mon avis, la partie musicale devait être sensiblement augmentée, non seulement dans les parties où elle est indiquée, mais aussi dans les autres parties, surtout dans celle du repas et dans le début du second acte où une ambiance musicale est vraiment nécessaire, un peu comme cela a été réalisé dans Sous le rempart d'Athènes. Je ne suis pas sûr que cette idée d'une musique sourde et à demi-voix pareille à une exaltation du paysage vous plaise énormément. Si elle ne vous plaît pas, je comprends que vous me le disiez très franchement. Dans ces conditions, je pourrais peut-être travailler avec Germaine Tailleferre ? Mais naturellement j'aimerais infiniment mieux travailler avec vous si ce n'est pas un trop désagréable pensum. Pour le dernier acte, je verrais un vaste développement musical servant de fond et de tapisserie, de commentaire lointain à la déclamation poétique. Est-ce possible ? (au besoin, je pourrais écrire une espèce de chœur final)53.
33La conscience de ses audaces n’atténue pas l’enthousiasme de Claudel, car à peine a-t-il envisagé une réticence possible de Milhaud qu’il continue dès le lendemain à lui décrire son projet : stimulé par la visite d'Astruc, il développe en détail ce qu’il envisage pour la scène 3 de l'acte I, la scène du miracle et la scène finale54, tout en craignant que le compositeur ne considère des propositions aussi précises "comme une impertinence", aussitôt gommée en raison de la "grande habitude" et de la "si grande pénétration réciproque"55 existant entre eux. Sans attendre une réponse de Milhaud, qui heureusement semble vite comprendre ce qui lui est demandé56, le même jour, l'auteur assure à Astruc que L'Annonce bénéficiera d'"une partition assez importante, mais qui sera un élément essentiel du succès de l'œuvre" et qui "fera de la pièce une chose toute nouvelle"57. Effectivement, cette partition est entamée en juin : Milhaud, non sans difficulté, suit les instructions de la longue lettre du 29 mai qui lui était adressée, aidé, au milieu du mois, par la présence de Claudel à Aix-en-Provence. Le dramaturge, tout à son enthousiasme, imagine déjà concrètement la représentation, pour laquelle "il faudra en particulier des chœurs d'une certaine importance, quelques musiciens" et "pour le cortège du roi d’Abyssinie et de sa femme Bellotte ?... ? une cornemuse et peut-être un accordéon"58. Le 21 juin, Astruc informe Claudel que, d'après les décisions du Conseil de direction du Théâtre Pigalle, il s'engage à monter L'Annonce dans le courant de l'année 1931, de préférence vers l'automne, afin que l'auteur puisse assister aux répétitions ; il lui précise qu'il s'efforcera de respecter ses indications, mais qu'il sera impossible, selon le règlement des syndicats de théâtre, de faire durer la représentation pendant cinq heures.
34Le projet s'affine encore à partir du début de juillet, lorsque Claudel vient visiter le lieu, d'une conception toute nouvelle, où sa pièce va être mise en scène. Bâti au no I 1 de la rue Pigalle par l'architecte Siclis, financé par les frères Henri et Philippe de Rothschild, proposé d’abord à Antoine – qui se désistera –, ce théâtre avait été inauguré le 7 octobre 1929 par la représentation des Histoires de France de Sacha Guitry, sorte de grande revue conçue pour utiliser pleinement de prodigieux aménagements scéniques : avec sa scène tournante, ses possibilités de changer rapidement les décors et son jeu d'orgue sophistiqué, ce théâtre représente le triomphe de la technique, que dénonceront violemment Copeau et Dullin en affirmant que la machine ne doit pas se substituer à l'homme59. Après le bref moment où, de janvier à mars 1930, Baty est le metteur en scène de ce théâtre où il monte Le Simoun d'Henri René Lenormand, apparaît une programmation hétéroclite, essentiellement justifiée par l'exploitation de ces ressources techniques60. Ces dernières impressionnent Claudel lors de sa visite : il émet des réserves sur la grandeur excessive de l'espace scénique, car "la seconde scène, qui a un grand rôle dans [s]a conception, sera séparée de 10 m. du public, ce qui est énorme"61 ; en revanche, les chœurs et l’orchestre pourront aisément être logés derrière la scène. Comme, souvent chez Claudel, la découverte d'un lieu déclenche subitement une idée, et comme sa préoccupation actuelle est la musique, sa vision de l'accompagnement musical de L'Annonce se précise : "De plus, il m’est venu à la pensée qu’il serait bon de mettre aussi un peu de musique à l'acte III, quand Violaine, suivie de Mara, se met en marche dans la neige et dans la nuit pour rejoindre son gîte de lépreuse. Il y a là un changement de scène pour lequel la musique doit servir de fil conducteur"62. Ainsi les projets semblent bien amorcés, mais ils vont être interrompus par deux problèmes imprévus.
35D'abord, une incertitude apparaît au sujet du nom du metteur en scène. Après le soudain départ de Baty, c'est Jouvet qui, en octobre, prend la direction artistique du Théâtre Pigalle, tout en continuant à diriger la Comédie des Champs-Élysées. L'auteur et son nouveau metteur en scène potentiel se rencontrent en septembre et concluent un accord car Jouvet écrit à Claudel : "L'idée de travailler à la mise en scène d'une pièce de vous se présente à moi comme une des quelques grandes joies qui me soient permises dans mon métier"63. Toutefois, Jouvet préférerait monter Le Soulier de satin, qu'il juge plus complet pour comprendre l'univers claudélien et mieux adapté aux possibilités techniques du théâtre. Mais l'auteur estime ce projet prématuré :
Le Soulier n'a de chances de réussir et même d'être compris que si j’ai acquis une autorité et un ascendant complet sur le public, et si celui-ci vient le voir dans un esprit de réceptivité respectueuse. A cet égard, une représentation modèle préalable de L'Annonce me paraît indispensable64.
36Claudel considère donc L'Annonce comme une préparation, une mise en condition à la création du Soulier de satin, en particulier en expérimentant ses essais de musique dramatique dont il doit connaître les résultats avant d’aborder cette dernière œuvre65. De toute façon, les projets de Claudel et de Jouvet se trouvent contrecarrés par un éventuel retour de Baty au Théâtre Pigalle, justifié officiellement selon Astruc par la charge de travail qui accable Jouvet, mais aussi par des raisons plus personnelles66. Quoi qu'il en soit, l’hypothèse d’un retour de Baty dérange Claudel : il avoue n'avoir "aucune confiance dans ce bonhomme" qui a "indignement saboté L'Annonce quand il l’a eue entre les mains aux Champs-Élysées"67. Astruc propose alors Lugné-Poe, mais selon Claudel "l’inconvénient de Lugné, c’est que c’est de l’éternel réchauffé. Avec Jouvet, on aurait pu espérer quelque chose de nouveau"68 : l’auteur révèle bien son perpétuel désir d’innovation.
37A ces incertitudes à propos du metteur en scène, s'ajoutent des tergiversations de la direction du Théâtre Pigalle, qui ne semble pas très enthousiaste de voir monter L'Annonce, dont les dates de représentation sont sans cesse ajournées. Avant de repartir pour Washington le 24 septembre 1930, Claudel les avaient souhaitées au début d'octobre 1931, période à laquelle il pourrait être présent pour assister aux répétitions. Or Philippe de Rothschild voudrait les anticiper en avril ou mai, alors que l'auteur sera absent et que, surtout, la musique ne sera pas terminée. Claudel ayant refusé cette proposition, Gabriel Astruc propose de rétablir la date initialement prévue, mais cette fois les Rothschild voudraient la reculer à décembre 1931 aux environs de Noël "car octobre est le mois du Salon de l'auto et les théâtres sérieux font des recettes maigres"69. Finalement, pour irritante qu’elle soit, cette nouvelle objection s'accorde avec le calendrier de Claudel qui, devant assister le 20 octobre 1931 au 130e anniversaire de la capitulation de Yorktown, ne rentrera en France qu'en novembre et pourra alors participer à la préparation du spectacle :
Comme je pourrai suivre les répétitions d'un bout à l'autre, la question du metteur en scène perd de son importance. Je préférerais toujours Jouvet, mais si c'est absolument impossible, je crois que je pourrai m'arranger avec Lugné-Poe70.
38Si l'auteur, qui ne saurait mieux dire qu'il estime devoir s'engager lui-même dans la mise en scène, parvient à obtenir enfin une date satisfaisante, il n'a pas de garanties sur le nombre de représentations envisagées : Astruc voudrait n'en donner qu'une quinzaine – ce qui paraît bien peu à l'auteur – et de plus il exige des représentations continues limitées car selon lui L'Annonce n'a qu'une clientèle restreinte. Devant ces tracasseries, Claudel met en doute l'intérêt véritable de la direction du Théâtre Pigalle pour sa pièce, qu'il estime réduite à un "bouche-trou entre des pièces considérées comme vraiment sérieuses"71. Blessé dans son amour-propre en constatant que, bien qu'il ait soixante-trois ans et "une certaine situation littéraire", on le "traite plus mal que M. Jules Romains et M. Alfred Savoir"72, il avoue même : "Si la pièce doit être jouée une fois de plus dans des conditions de fortune par des gens qui n'y croient pas, qui ne s'y intéressent pas et qui ne voudront pas faire pour elle le maximum, je préfère la retirer"73. De fait, les pressentiments de l'auteur s'avèrent fondés : Milhaud l'assure que "le pauvre Astruguet est un bien brave homme" mais que "les Rothschild sont des gens bien peu sûrs"74 ; surtout, Philippe Berthelot lui apprend que Philippe de Rothschild ne croit pas au succès de L'Annonce, qui "n'attirera pas le public nécessaire pour couvrir les frais"75, et qu'il demande à être relevé de ses engagements. Claudel est si furieux qu'il songe à faire un procès, encouragé par Ève Francis. Mais les affaires du Théâtre Pigalle allant de plus en plus mal, les Rothschild en abandonnent la direction en avril 1931 au profit d'une nouvelle société d'exploitation supervisée par Jouvet : l'auteur reprend alors espoir, d'autant plus que ses projets musicaux vont évoluer.
39Méditant à la fois sur la musique du théâtre japonais et sur la réalisation du Livre de Christophe Colomb, Claudel songe à amplifier considérablement l'accompagnement musical prévu pour L'Annonce. Dans la pièce récemment créée à l'Opéra de Berlin, apparaissait parfois sur un écran une scène représentant la même action que celle qu'exprimaient les chanteurs. Dans le même esprit, le dramaturge imagine aussi pour L'Annonce un renforcement dramatique, mais dans le domaine auditif et non plus visuel, et d'une manière encore plus développée. Il confie à Milhaud le 6 mars 1931 :
Il m'est venu une autre idée, mais bien douteuse et incertaine et sur laquelle vous seul pouvez prendre une décision et me donner un avis. Ce serait de faire de L'Annonce un drame entièrement musical, où la musique tantôt soutiendrait l’action, tantôt disparaîtrait puis réapparaîtrait pour tout absorber par les échelons du rythme, de la prosodie et du timbre. Je rêve même de passages où la musique ne serait plus qu'un entrecroisement presque irréversible d'ondes avec l'aide que fournissent les nouveaux instruments électriques dont on pourrait faire un emploi généralisé, le chœur de 8 voix dont vous parlez fournissant d'un bout à l'autre l'axe musical. Pas d'orchestre visible si possible, mais un caractère étrange d'un bout à l'autre, surnaturel, aérien, mélopée et sanglot qui vient se mêler aux paroles76.
40Partagé une fois de plus entre sa conscience de la difficulté à réaliser un projet si grandiose et son désir d'exploiter au maximum une idée nouvelle, l'auteur donne un exemple précis pour mieux se faire comprendre :
Prenons le second acte : Jacques dit : "O ma fiancée à travers les branches en fleurs, salut !". Et alors le chœur prend la parole et au moyen de phrases ramassées çà et là dans le texte se charge d'exprimer ses sentiments.
Puis Violaine dit : "Jacques, bonjour Jacques !" et le chœur continue de la même manière d’exprimer ses sentiments, puis à mesure que l'action s'engage, il ne cesse de la commenter et de la soutenir.
C'est un peu le procédé du Nô77.
41Dès le lendemain, obsédé par son idée, Claudel envoie à Milhaud un exemple beaucoup plus détaillé, qui applique au Prologue le soutien prosodique, musical et choral presque continuel dont il rêve à présent pour L'Annonce78. La conception à la fois musicale et dramatique qu'exprime l’auteur constitue l'aboutissement de toutes ses réflexions sur la musique et sa place dans le drame, en même temps qu'elle témoigne de sa recherche constante de la nouveauté. Il est alors si passionné par les questions musicales que, élaborant une musique de scène pour un drame, il laisse la musique tout envahir.
42Parallèlement à l'excitation provoquée par ce nouveau rêve musical, de sérieux espoirs de représentation de L'Annonce semblent réapparaître à la suite de la démission des frères Rothschild. Le 27 mai 1931, Philippe de Rothschild lui-même informe officiellement Claudel de la reprise du théâtre par une nouvelle société d'exploitation – dans laquelle la position d'Astruc reste floue – qui a confié ses intérêts à Louis Jouvet pour ses qualités artistiques et directoriales, et à Georges Fouilloux pour ses compétences techniques et administratives, avec obligation de respecter les contrats passés. De plus, avant de partir, les frères Rothschild ont laissé la coquette somme de 70 000 F pour mener à bien les représentations de L'Annonce. Dès lors, le 1er juillet, Fouilloux peut avertir Claudel qu'il montera la pièce et qu'il a prié Jouvet d'entreprendre des études préliminaires de mise en scène. L'auteur est à nouveau plein d’espoir à l'idée de pouvoir enfin travailler avec ce metteur en scène à qui il confie :
Je serai enchanté d'avoir affaire désormais à vous et de me sentir entouré d'une atmosphère compréhensive et sympathique ; à supposer, bien entendu, que vous soyez toujours dans l'intention de monter L'Annonce. Depuis un an, j'ai eu pas mal le temps de songer aux différents problèmes de la mise en scène dont j'avais commencé à vous entretenir. Je crois qu'avec les possibilités du Théâtre Pigalle, il y aura très peu de frais à faire pour les décors, et quant aux costumes on s'en tirera facilement avec un peu de goût et d'imagination, et surtout s'il y a moyen de se servir de la lumière aussi habilement qu'on le fait au cinéma. Je crois aussi que pour la musique, vous vous entendrez facilement avec Milhaud ; c'est là la question la plus pressante, car celui-ci a besoin de commencer sa partition. Il faudrait aussi commencer à s'inquiéter de l’interprétation79.
43Ève Francis, pressentie par Claudel pour incarner Violaine et à qui, en son absence, il a délégué ses pouvoirs, se charge de ce dernier point, en accord avec l'auteur qui lui écrit :
Je compte sur vous pour une interprétation adéquate : Magnat est malgré tout le meilleur Pierre de Craon si on le maintient à sa place. J'aimerais beaucoup avoir Rollan pour Jacques Hury. Pour Anne Vercors il me faut quelqu'un de grande taille et de belle carrure. Dans la lépreuse, chère amie, il faudra vous résigner à sacrifier la beauté à l'effet dramatique80.
44Mais c'est encore et toujours la musique qui intéresse principalement Claudel, ainsi qu'il le rappelle sans cesse à Milhaud81 ; il se montre de plus en plus curieux, à la fois d'imaginer un accompagnement musical original et d'expérimenter de nouveaux instruments comme l'harmonium et les ondes Martenot : sinon, "la perspective de suivre les répétitions [1 Je remplit d'une satisfaction assez médiocre"82 : l'auteur a donc bien renouvelé ses préoccupations scéniques depuis la création de 1912 ou les représentations de Hellerau. Cependant, les espérances qu'il recommence à nourrir vont se heurter à nouveau à une double déception.
45D'abord, les projets de représentation se détériorent peu à peu. Contrairement à ce qui avait été annoncé, Jouvet n'est pas directeur du Théâtre Pigalle, fonction attribuée à Fouilloux, mais il se trouve simplement le conseiller technique et le metteur en scène de cette maison ; il a certes toujours envie de monter L'Annonce83, mais désormais les décisions du programme ne relèvent pas entièrement de lui. Ainsi, en mai 1931, n'osant peut-être informer directement l'auteur, il apprend à Philippe Berthelot que les projets semblent compromis. Ce dernier annonce aussitôt à Claudel que sa pièce ne pourra être jouée dans l'immédiat "avec le soin et dans les conditions assurant le succès" et que Jouvet propose alors de monter L'Echange, "qui exige beaucoup moins de travail et de mise en scène (la musique compliquant L'Annonce)"84. L'auteur est furieux : il n'a aucune envie de voir remonter L'Echange, "pièce médiocre et enfantine sur laquelle il est préférable de laisser l'oubli faire tranquillement son œuvre", et il est vexé de constater que "ces Messieurs croient pouvoir revenir sur les promesses de leurs prédécesseurs"85, d'autant plus que Fouilloux ne pourra peut-être pas monter L'Annonce avant 1933. Toutefois, en septembre, ce dernier rencontre Claudel, revenu de Washington, et les deux hommes parviennent à s'entendre pour ne pas abandonner définitivement le projet. Dès lors, pendant que Milhaud travaille à la musique, l'auteur est préoccupé par les décors : "Jouvet m'a montré des projets de décor qui m'inquiètent un peu. Je voudrais que le Moyen Age, comme le dit mon texte, ne fût pas indiqué trop lourdement, mais par un détail spirituel et sobre"86. Le dramaturge songe aussi pour certaines scènes à doubler les personnages, comme dans Sous le rempart d'Athènes, afin d'accentuer la noblesse du geste théâtral admirée dans le Nô.
46Mais en novembre, un événement qui scandalise Claudel le lait stopper immédiatement tout travail : il apprend depuis Washington, par deux articles du Temps signés Pierre Brisson, que Jouvet vient de mettre en scène deux pièces selon lui immorales : Un Taciturne de Roger Martin du Gard, qui évoque l'homosexualité, et Judith de Giraudoux, œuvre jugée blasphématoire, programmée de surcroît au Théâtre Pigalle. C'en est trop pour un auteur chrétien qui manifeste ainsi son indignation à Milhaud :
Je n'ai jamais eu beaucoup d'illusions sur le théâtre, mais l'ignominie où il s'enfonce actuellement dépasse tout ce que je pouvais imaginer. Jouvet vient de monter à sa boîte des Champs-Elysées une pièce d'invertis intitulée Un Taciturne et dont j'ai lu le compte rendu dans Le Temps ?... ?. Cette semaine, le même journal m'apporte le compte rendu de la nouvelle pièce du Théâtre Pigalle : Judith de Giraudoux, une pièce encore plus dégoûtante que la première, en ce qu'elle ajoute le blasphème à la malpropreté ?... ?. J'imagine avec dégoût la possibilité que l'on fasse alterner L'Annonce avec l'immonde ordure de Giraudoux ou telle autre de même calibre87.
47Le dramaturge a auparavant crié sa révolte à Jouvet lui-même, en incriminant exclusivement la pièce de Roger Martin du Gard88 et en donnant au metteur en scène une leçon de morale qui aboutit à l'abandon pur et simple du travail sur L'Annonce :
Puisque vous éprouvez tant de satisfaction à consacrer votre art à l'immonde écrivain dont je ne veux même pas me rappeler le nom, je pense que vous n'en auriez aucune à monter L'Annonce. Je vous conseille donc de demander à M. Fouilloux de vous dégager. Vous aurez ainsi plus de temps à consacrer à vos exhibitions pédérastiques89.
48Mais assez vite, la colère claudélienne s'apaise quelque peu : Milhaud refuse de renoncer à L'Annonce à cause des deux autres pièces, et l'auteur est toujours si préoccupé par ses idées musicales qu'il se borne à exiger que son œuvre n'alterne pas avec celle de Giraudoux. Comme il ne peut pas reprendre Jouvet pour la mise en scène après ce qu'il vient de lui écrire, Claudel songe évasivement à Copeau mais en vain90, puis, faute de mieux, à Lugné-Poe. De toute façon, rien ne presse car Fouilloux ne pense monter L'Annonce qu'entre octobre 1932 et le printemps 1933. Mais bientôt le projet si longtemps ajourné sombre définitivement lorsqu'en avril 1932, en pleine déconfiture financière, le Théâtre Pigalle doit fermer ses portes pour devenir, à la fin de l'année, un cinéma. La conclusion est amère pour Claudel et sa pièce : "Voilà donc L'Annonce, une fois de plus, renvoyée aux calendes grecques"91.
49Avant cet avortement des représentations de L'Annonce, l'auteur avait dû subir l'opposition, polie mais ferme, de Milhaud à sa dernière tentative de développement choral. Claudel lui-même avait éprouvé des réserves de plus en plus marquées vis-à-vis d'un projet si ambitieux, constatant d'abord "bien des points d'interrogation", puis restant "très hésitant et plutôt porté du côté de la négative", enfin croyant "décidément la chose irréalisable"92. De fait, Milhaud confirme ces craintes, au nom de sa lucidité musicale. D’une part, pour lui, un tel projet est inadapté à la nature de la pièce :
Je crois qu'il ne faut pas essayer de faire de L'Annonce une autre chose. Je ne crois pas qu'un mélange de fragments prosodies et de chœurs soulignant le texte puisse faire autre chose qu'alourdir et gêner cette œuvre merveilleuse, parce qu'elle n'a pas été faite pour cela. Tout ce que vous suggérez serait très intéressant h faire pour une œuvre qui serait conçue dans cette forme spéciale93.
50D'autre part, un accompagnement musical si ample se heurte à des difficultés de réalisation insurmontables, car "il faut penser au théâtre qui doit représenter L'Annonce et ne pas forcer ses moyens. Il serait impossible de faire chanter un chœur constamment, les chœurs sont trop aléatoires ici"94. L'auteur semble se soumettre assez volontiers à l'opinion de Milhaud et il a de toute façon trop envie de collaborer avec lui pour le contester. Dès lors, il s'agit de reprendre la partition mieux adaptée à L'Annonce qui a été ébauchée en juin 1930. Mais le compositeur, souffrant d'un état rhumatismal aigu qui l'oblige à partir en cure pendant l'été, ne peut se mettre au travail avant octobre 1931. Il perfectionne alors sa partition grâce à l'emploi d'instruments nouveaux, "deux appareils électriques Martenot, un harmonium mêlé aux 4 voix d'un quatuor vocal soliste, de manière à travailler une matière sonore diaphane, aiguë, presque impalpable, le tout soutenu par quelques basses"95. Un désaccord entre l'écrivain et son musicien retarde quelque peu le travail : Milhaud voudrait, tout comme Fouilloux, enregistrer la musique sur disques, afin de supprimer les frais d'orchestre pour le théâtre et de faciliter la diffusion lors des représentations hors de Paris ; Claudel se montre réticent à l'égard d’une "musique mise en boîte"96, mais l'enregistrement aura néanmoins lieu. A partir de janvier 1932, Milhaud travaille fermement à sa partition, seulement irrité par le fait qu'il ne puisse collaborer avec un ingénieur pour les questions de micro, et il peut annoncer à Claudel le 10 août : "J'ai terminé la musique de scène de L'Annonce. Espérons qu'on l'entendra un jour ! J'espère qu'elle vous plaira. J'y ai travaillé de tout mon cœur"97. Le 12 septembre, l'auteur se rend à Aix pour découvrir cette musique tant attendue, qu'il trouve "légère, spirituelle, sonore, aérienne, diaphane"98.
51Reste alors à réaliser le vœu de Milhaud : "Espérons qu'on l'entendra un jour !". Comme tout espoir est perdu avec le Théâtre Pigalle, Claudel est d’abord tenté par la Comédie-Française : "Il est assez probable que si je demandais au Théâtre-Français de jouer la pièce, avec votre musique disquée, il accepterait. Mais je ne sais trop si vous seriez enthousiaste de cette idée. Moi, pas beaucoup"99. Se montrant apparemment si peu convaincu et sachant déjà peut-être où vont l'appeler ses prochaines fonctions diplomatiques, l'auteur préfère se tourner vers la Belgique, pays qui semble spécialement adapté à L'Annonce dans la mesure où, selon lui, on y vit "dans une atmosphère du XVe siècle” qui pourrait offrir des "modèles de costumes de l'époque"100 pour la pièce. Claudel hésite entre Anvers pour une représentation en flamand, car il existe une excellente traduction dans cette langue, et Bruxelles où il sera nommé ambassadeur à partir d'avril 1933. Toutefois, avant d’accompagner la pièce en Belgique, la partition de Milhaud est d'abord jouée seule à Paris le 11 décembre 1933 au Concert Doucet à la salle Iéna. L'auteur se déplace depuis Bruxelles pour y assister, avec satisfaction101, sans cependant éprouver l'enthousiasme qu'il manifestera six jours après en découvrant Les Choéphores à Anvers.
52C'est à Bruxelles qu'ont lieu, les 21 et 22 janvier 1934, les représentations de L'Annonce avec la musique de Milhaud. La capitale belge est finalement choisie non seulement en tant que lieu des nouvelles fonctions de Claudel, mais aussi parce que Milhaud y connaît un ami intime, le musicien musicologue Paul Collaer. Celui-ci, doué d'une activité impressionnante102, avait fondé en 1921 des concerts d'excellente qualité autour d'un quatuor à cordes, le Pro Arte, qui faisait entendre les œuvres contemporaines les plus remarquables, dont celles de Milhaud ; ce dernier présenta Collaer à Claudel le 14 juin 1921 au cours d'un spectacle où l'on créait La Belle Excentrique de Salie. En 1933, l'écrivain-diplomate retrouve souvent Collaer103, en particulier pour préparer les représentations de L'Annonce, dont le musicien est à l'origine : un groupe de comédiens amateurs bruxellois, la troupe de la Caravelle, ayant décidé de monter la pièce, Collaer saisit cette occasion pour faire entendre par son quatuor la musique de Milhaud. Claudel accepte, à la fois par curiosité, étant donné que même si les acteurs valent "peu de choses probablement, l'essai sera intéressant au point de vue musical", et par fierté, car "il est possible que la Reine qui est très musicienne et très bien disposée pour [lui] assiste à l'une des représentations"104. Ces dernières se préparent au début de janvier : le 9, Collaer convoque les acteurs pour qu'ils viennent lire leurs rôles chez lui en présence de l'auteur ; au cours de cette lecture et des répétitions suivantes, les deux hommes règlent certains détails de mise en scène en fonction des interventions musicales. La première représentation a lieu au Palais des Beaux-Arts le 21 janvier en présence du Roi Albert Ier et de la Reine Elisabeth. Conformément au pressentiment de Claudel, ni l'interprétation, ni la mise en scène ne sont satisfaisantes, mais la musique de Milhaud, fort bien interprétée par le groupe Pro Arte sous la direction d'Arthur Prévost, reçoit un accueil très favorable. L'auteur note dans son Journal le contraste entre L'effroyable représentation de L'Annonce par les amateurs de la Caravelle" et la "musique délicieuse de Milhaud105. Le compositeur confirmera que "l'orchestre et les chanteurs bénéficiaient d'une excellente mise au point, tandis que les acteurs n'étaient que des amateurs"106. C'est à ce spectacle inégal, représenté inégal, représenté seulement deux fois, que se réduit finalement un projet musical et théâtral que Claudel a mûri pendant quatre ans !
53L'Annonce musicale n'a donc été qu'un rêve, non seulement sur le plan théâtral, à cause de l'avortement des représentations prévues au Théâtre Pigalle puis faute d'une mise en scène satisfaisante à Bruxelles, mais aussi sur le plan de la musique, car la partition de Milhaud n’a pu traduire toutes les idées qu'avait conçues l’auteur et, assez vite, celui-ci s'en montrera insatisfait, au point de lui en préférer une autre107. Cependant, ce rêve vaut la peine d'être reconstruit – c'est même l'intérêt essentiel de l'étude du projet du Théâtre Pigalle – tant il est révélateur de la conception claudélienne de la musique théâtrale, du moins à cette époque.
3. L'Annonce musicale, telle que Claudel l'imaginait
54En recensant les désirs de Claudel exprimés dans sa correspondance avec Milhaud, qui seront parfois confrontés à la partition de ce dernier108, il est possible de reconstituer, du Prologue au dernier acte, les éléments musicaux prévus par l'auteur à certains moments de sa pièce. Cette Annonce idéale permettra de mieux mesurer la conception profondément novatrice qu'avait le dramaturge à ce moment du rôle de la musique dans le drame.
55De novembre 1929 à l'été 1932, au fil de ses lettres à Milhaud, Claudel évoque de manière suffisamment précise certains passages de l'accompagnement musical qu'il prévoit, pour qu'on puisse en suivre le déroulement du début à la fin de L'Annonce telle qu'elle aurait dû être présentée au Théâtre Pigalle109.
56Dès le Prologue, la musique joue un rôle considérable, qui n'a pas été abordé par Claudel dans son projet initial de 1929-1930, mais seulement en mars 1931 lorsqu’il a songé à faire de L'Annonce un drame entièrement musical. Peut-être aménage-t-il alors le Prologue sous l'influence de son admiration pour l'Exhortation des Choéphores, qu'il écoute souvent de mai 1930 au début de 1931 ? C'est ce que tendrait à prouver la lettre écrite le 24 janvier 1931, juste un peu plus d'un mois avant le projet proposé pour le Prologue, où l'auteur affirme à Milhaud : "Je ne me lasse pas d'écouter, à la boîte à musique perfectionnée que j'ai achetée, votre Exhortation. Combien il serait désirable que tout un drame pût être prosodié de cette façon et métriquement exécuté par des chanteurs-acteurs !"110. C'est bien cette conception qui apparaît dans l'accompagnement musical du Prologue111. La scène est encadrée par trois chœurs : à droite, "un chœur sombre" composé de voix graves ; à gauche, "un chœur clair" composé de voix hautes ; derrière la scène, un chœur invisible. Alternativement, les acteurs parlent, prosodient ou chantent. Un nouveau rapport entre eux et leur personnage apparaît dans une indication précise, lorsque Violaine ouvre la porte :
Violaine : Eh bien, c'est moi qui ouvrirai la porte
Violaine, Jacques et les trois chœurs en même temps :
J'ai ouvert la porte
Elle a ouvert la porte112.
57En disant avec les chœurs "Elle a ouvert la porte", Pierre de Craon devient le commentateur objectif de la situation qu'il incarne, principe analogue à celui du Nô. Quant aux chœurs, ils ont des rôles divers. Claudel voulait que d'une manière générale ils commentent l'action, la soutiennent du point de vue sonore, expriment les sentiments des personnages ; mais, au Prologue, il en va un peu différemment. D'une part, les chœurs énoncent les indications scéniques :
Les chœurs 2 et 3. Il est quatre heures du matin
un – deux – trois – quatre (l'heure – l'heure – l'heure – l'heure) pas trop long.
Entre Violaine. Voici Violaine
Entre Mara (qui vient s'asseoir hors de la scène avec le chœur)
Voici Mara qui est la sœur de Violaine.
Entre Pierre de Craon. Et voici Pierre de Craon, le bâtisseur de cathédrales113.
58D'autre part, les trois chœurs soutiennent musicalement, comme dans Les Choéphores, les interventions des acteurs. Par exemple, lorsque Pierre de Craon parle, les deux chœurs prolongent ce qu'il dit "en forme de psaume alterné" et ils continuent pendant les paroles de Violaine :
Chœur 2 : Quand déjà au travers des murs diaphanes de tous côtés
Chœur 3 : apparaît le sombre paradis
Chœur 2 : Et que les encensoirs de la nuit se mêlent à l'odeur de la mèche infecte qui s'éteint
Chœur I : Loue ton Dieu, terre bénie dans les larmes et la félicité114.
59De même, ponctués par une cloche, les chœurs prolongent les paroles du Regina Cœli, que prononcent alternativement Violaine et Pierre. Mais parfois, ils peuvent aussi précéder ce que dit l'acteur : le chœur 2 s'exclame : "Ah que ce monde est beau et que je suis heureux !" juste avant que Violaine reprenne : "Ah que ce monde est beau et que je suis heureuse !"115. Sans peut-être donner un sens particulier à ces répétitions, Claudel cherche certainement avant tout à créer une rumeur musicale qui enveloppe le phrasé de l'acteur. L'impression générale est celle d'une amplification sonore qui prolonge les paroles comme autant d'échos, ainsi que le montre le moment final des adieux et du baiser :
Elle le prend par les épaules. Ils se regardent longuement.
Chœur 1 : L'heure – L'heure – L'heure – L'heure – L'heure.
Adieu ! Violaine, mon âme, je ne vous verrai plus !
Chœurs 2 et 3 : Adieu ! Adieu ! Adieu !
Adieu ! Violaine, mon âme, je ne vous verrai plus !
Le baiser
Chœur 1 : Adieu ! Violaine, mon âme, je ne vous verrai plus !
Chœurs 2 et 3 : Loue ton Dieu, terre bénie, dans les larmes et la félicité116.
60En reproduisant dans Mes Idées sur le théâtre les quatre pages où Claudel décrit cet aménagement musical du Prologue, Jacques Petit et Jean-Pierre Kempf ont intitulé cette expérience "la tentation de l'opéra", mais plus que l'opéra, les idées claudéliennes rappellent le Nô, en particulier dans l'emploi du chœur117, encore que les effets musicaux d'interaction entre le chant de ce dernier et le discours de l'acteur y soient inconnus. En fait, il s'agit ici d'une vision originale118 : L'Annonce ainsi conçue n'aurait pas été un genre musical à côté du théâtre, mais à la limite d'un théâtre tel que Claudel l'imagine et tel qu'il va le pratiquer dans ses futurs oratorios : on pourra en retrouver la trace dans La Sagesse ou la parabole du festin, Jeanne d'Arc au bûcher et L'Histoire de Tobie et de Sara, œuvres qui seront commandées à l'auteur quelques mois après les représentations de L'Annonce à Bruxelles. Mais, peut-être effarouché par tant d'originalité, Milhaud a prévu un aménagement différent du Prologue. Ce dernier, inclus dans l'acte I, est évoqué par les deux premiers airs de la partition, intitulés respectivement L'Aurore et L'Angélus, correspondant à la confrontation entre Pierre et Violaine. L'Aurore s'ouvre aux sons de l'orgue et des saxophones119, relayés par les instruments électriques auxquels se joint à la fin le quatuor vocal (soprano, contralto, ténor, basse) : l'ensemble crée une atmosphère légendaire et mystique d'un charme très pur. A partir de "Paix sur vous, Pierre", l'Angélus fait entendre la voix de contralto chantant "Laetare", accompagnée par un saxophone et un instrument électrique, puis après le "Resurrexit", le quatuor vocal reprend la litanie des "Laetare", soutenue par le vibraphone et le piano ; enfin, un saxophone et un instrument électrique accompagnent l'Oremus", et lorsque Violaine dit "Amen", le contralto reprend légèrement son chant. A partir de "Pauvre Pierre", un Interlude conduit au Loriot, à la scène 3 de l'acte I.
61Ce premier acte, Claudel l'imagine de façon moins ambitieuse que le Prologue, auquel il avait finalement réduit sa conception d’une Annonce entièrement musicale. Il pense d’abord introduire un choral limité à l'épisode de la fraction du pain, premier passage de la pièce qui lui avait fait sentir la nécessité d'une musique, puis demande un accompagnement musical tout au long de la scène 3. Au moment du départ d’Anne Vercors, le texte présente un élément musical en évoquant le chant du loriot, plus exactement la chanson "Compère loriot" chantée par une voix d’enfant, dont le patriarche traduit le sens. Dans son projet, Claudel envisage doublement l’accompagnement de ce passage. D’une part, l’air lui-même serait "d’abord joué clair et gai avec une flûte ou un fifre, puis chanté par un enfant, puis de nouveau avec la flûte, mais déjà éloignée et rêveuse pendant que le Chœur chante (scène de la fraction du pain), puis tout à fait éloigné quand le Père est parti et que les assistants regardent la porte ouverte et alors on entend trois fois le coucou (si mystérieux, si poignant)"120. D’autre part, le commentaire de cet air par le Père serait soutenu par "un chœur basé sur les paroles d’Anne Vercors (très sourd et très bas), n’éclatant que pendant la fraction du pain" en disant :
Qu'est-ce qu'il dit, le petit oiseau ? Qu'est-ce qu'il dit ? Qu'est-ce qu'il dit ? Qu'est-ce qu'il dit ? Il dit qu'il fait beau ! Il dit que Dieu est grand ! Midi ! Il dit qu'il est midi ! Qu'est-ce qu'il dit encore ? Qu'est-ce qu'il dit encore ? Qu'est-ce qu'il dit encore ? (avec un petit frisson sur dit, et encore tendu et languissant)121.
62Ces modulations vocales constituent une étape intermédiaire entre la parole et le chant : elles ne tranchent pas avec la voix parlée autant que le ferait la musique instrumentale, mais ne constituent pas véritablement une musique parallèle.
63Si, en dehors d'un "long air célébrant midi et la douceur de l'été" dont parle Milhaud122 – air d'ailleurs réduit dans la partition à deux brefs interludes durant au total 3 mn 35, alors que l’accompagnement de l’acte I s'étend sur 19 mn 40 – Claudel n'indique rien pour l'acte II, en revanche il songe beaucoup à l'acte III. Pour la scène I, il avait prévu une "marche violente des paysans"123, suivie du cortège des deux géants au son d'une cornemuse et d'un accordéon, avant le départ, lui aussi souligné musicalement, des deux sœurs dans la neige vers la caverne de Violaine. De fait, la partition ouvre l'acte III successivement sur les épisodes Les Géants et L'Hiver, cette saison se trouvant suggérée avec "les couleurs désolées d'un Mahler"124. Mais c'est surtout à la scène du miracle, sommet de la pièce, que le dramaturge s'intéresse le plus. Il souhaite d’abord remplacer certains bruitages par leur énoncé : lorsque sonnent au loin les cloches et les trompettes en l'honneur du passage du roi, on entendra simplement une femme qui dit :
Cloches au loin presque imperceptibles
Trompettes, trompettes, trompettes
Trompettes dans l'éloignement
Les cloches de nouveau très claires
Cloches au loin mais distinctes125.
64Ces paroles, tout en permettant de supprimer complètement les cloches – car selon Claudel, en accord avec Milhaud, "au théâtre c'est toujours affreux" – présentent une signification sonore : en faisant répéter le mot "trompettes", l'auteur veut que la sonorité suggère le son qu'il s'agit de manifester. Quant au moment du miracle proprement dit, il devait être considérablement modifié par rapport à ce qui se passait à la création de 1912 où, lorsque Mara lisait l'Office de Noël, les chœurs de la Schola Cantorum exécutaient en coulisse les répons entendus de la seule Violaine. Pour le Théâtre Pigalle, le dramaturge donne des indications plus originales à Milhaud. Dès la première lettre envoyée au sujet du projet de rénovation musicale de L'Annonce, Claudel décrit comment il entend remédier à l’interruption de l'action provoquée jusqu'à présent par l'intervention de la musique au moment des lectures de Mara :
Pour la l6rc fois : silence – puis bouffée de musique confuse, très courte – puis silence – puis nouvelle bouffée un peu plus forte aussitôt interrompue – puis silence. La lecture reprend : on entend vaguement de temps en temps quelque chose pendant que Mara lit. – Seconde entrée de la musique. Cette fois on entend vaguement des paroles, des mots sans suite, des rires d'enfant tout bas, une gamme de jubilation qui commence puis s'interrompt – puis reprend. 3e lecture : avec les voix tout le temps, d'abord faibles puis qui deviennent de plus en plus fortes. Mara se tait. Et alors on entend nettement une phrase entière à laquelle succèdent des cris vagues à une immense hauteur, et alors le miracle a lieu et l'on entend une cloche très sombre dans le lointain126.
65Plus qu'une musique véritable, l'auteur voudrait obtenir ici une atmosphère sonore, ce qu'il appelle un "frottis de sons". Six mois plus tard, une autre solution envisagée pour ce passage apparaît comme un compromis entre ce "frottis" et les indications données par le texte : il faudrait "une espèce de murmure comme une foule qui récite quelque chose dans la nuit, par bouffées, avec une voix vibrante qui se distingue. La musique n'éclaterait que tout à fait à la fin du 3e répons et de la 3e lecture, mais alors jubilante et très courte (Peut-être quelque chose à faire sur le Gloria)"127. En imaginant cette "espèce de murmure", Claudel rêve à ce domaine du son qui n'est pas encore arrivé à la parole intelligible, tel qu'il l’a découvert dans le théâtre japonais, et qui crée à nouveau une transition entre la parole et le chant.
66Enfin, à l'acte IV, la musique n’est prévue que pour la scène 5, cet "opéra de paroles" qui suit la mort de Violaine et qui sera supprimé dans les versions suivantes. Pendant toute la durée de cette longue scène finale, l’auteur souhaite la présence, au son d’"une longue note déchirante de violon de plus en plus faible et indistincte", d’un chœur basé sur des paroles d’Anne Vercors et de Jacques Hury, le plus souvent "sourd et lointain", mais pouvant parfois apparaître "aigu et rapide"128, qui doit constituer une toile de fond sonore, une sorte de "tapisserie" servant de commentaire à la déclamation. Tout à la fin, après la chanson Marguerite de Paris à propos de laquelle Claudel a "le sentiment qu’il y a quelque chose à faire"129, l’Angélus doit être évoqué, non par des cloches, mais simplement par trois voix de femme : la première dit "Père ! Père ! Père !", la seconde "Fils ! Fils ! Fils !" et la troisième : "Dieu ! Dieu ! Dieu !" ou "Pax ! Pax ! Pax !"130. Les ultimes instants sont prévus ainsi :
Une autre cloche assez aiguë et rapide :
Fin !
Fin !
Fin !
puis Monsanvierge, énorme et grave :
Père !
Père !
Père !
et alors volée, chœur complet aigu et rapide.
Marguerite de Paris – prête-moi tes souliers gris – pour aller au Paradis – qu’il fait beau, qu’il fait chaud !
rale[entendo]
j’entends le petit oiseau qui fait piiii-hihihihi-hihihihi
diminu[endo] reprise vigoureuse
Cela finit comme un cri d’hirondelles suraigu avec un changement de ton, et alors Monsanvierge (les basses) fait une dernière fois :
Père !
Père !
Père !
et alors Pierre de Craon récite la conclusion131.
67La pièce est donc conclue musicalement avec une grande variété sur le plan vocal, faisant alterner les solistes et le chœur, les sons graves et aigus.
68Ces quelques fragments de L'Annonce musicale dont rêvait Claudel ne constituent, selon ses propres termes, "qu’une ébauche grossière" dans laquelle il ne s'est occupé que de son "point de vue de dramaturge"132, mais ils n'en permettent pas moins de saisir l'originalité de la conception claudélienne d'une musique scénique.
69Une première caractéristique de cette musique idéale est d'être presque exclusivement créée par la voix humaine. Certes, les instruments ne sont pas absents et se trouvent d'ailleurs utilisés plus par un dramaturge que par un musicien car leurs sons possèdent un sens : la cornemuse et l'accordéon souhaités par l'auteur au début de l'acte III devront traduire l'aspect burlesque du cortège des deux géants, la longue note déchirante du violon à la fin se fera l'écho de la mort de Violaine. Mais l'apparition de ces instruments reste très réduite par rapport à l'omniprésence de la musique vocale. Si l'emploi du chœur est si systématique, alors qu’il ne s’agit que d'une musique de scène, c'est parce que la voix chantée n'offre pas avec la parole une différence aussi grande que la musique pure, et Claudel veut précisément trouver un intermédiaire entre parole et musique. A cet effet, on peut constater que toutes les possibilités vocales sont explorées, du murmure "comme une foule qui récite quelque chose dans la nuit" prévu pour la scène du miracle à des "cris vagues", de l'ensemble choral "sourd et lointain" souhaité à la scène finale aux rires ou aux chansons. En revanche, la musique pure n'éclate que très rarement, et encore possède-t-elle un sens, comme l'auteur le pressentait pour le Gloria au moment du miracle. Devant cette volonté de jouer avec tous les degrés de la parole, on est tenté de penser à ce que Claudel appelle "la musique à l'état naissant", déjà entrevue dans Le Livre de Christophe Colomb133, et qu'il définira par "la jonction de la musique sortant de la poésie, comme la poésie naît de la prose, et la prose du silence et du grommellement intérieur"134. Une telle conception ne sera véritablement appliquée que dans L'Histoire de Tobie et de Sara en 1938, où le chœur évolue progressivement du "grommellement" au chant en utilisant plusieurs possibilités intermédiaires, Claudel voulant voir "l'inspiration monter du murmure à la voyelle, à la consonne, au mot, à la note, au chant, et de là redescendre"135. Dans le projet prévu pour L'Annonce, cette "musique à l'état naissant" n’est qu'ébauchée et le dramaturge traduit seulement son intérêt pour la variété des possibilités musicales vocales, notamment pour "la voix inarticulée, le grognement, l'exclamation, le doute, la surprise, tous les sentiments humains exprimés par de simples intonations"136. Cette séduction de Claudel pour les vertus sonores du langage inarticulé, qui se manifestait dès la première version de La Ville, a été confortée par sa découverte du théâtre japonais et se retrouvera jusque dans ses derniers schémas dramatiques : que ce soit sous forme de rires, de cris, de murmures ou de sanglots, l’auteur aime se servir, pour ses musiques de scènes rêvées, de ce domaine du son qui n'est pas encore arrivé à la parole, et il n'hésite pas à taire éclater la voix, comme le recommandera Artaud.
70Une autre originalité de la musique scénique claudélienne réside dans ce que l'auteur appelle la "musique parallèle". Cette conception, définie elle aussi sous l'influence de l'art dramatique japonais, particulièrement du Bugaku, apparaît dans l'accompagnement musical· de L'Annonce à la scène 3 de l'acte I et à la scène 5 de l'acte IV, où le chœur chante sur un thème n’ayant apparemment pas grand rapport avec ce qui se passe sur scène. Dans le premier de ces passages, pendant que la famille d'Anne Vercors s'émeut de son départ imminent pour Jérusalem, le chœur chante : "Qu'est-ce qu'il dit le petit oiseau ?". De même, pendant toute la scène finale, la longue note du violon n'est pas toujours en accord avec les déchirements intérieurs des personnages. En outre, à certains moments, le chœur, au lieu de soutenir ou de souligner l'expression des sentiments, la provoque plutôt, comme lorsque, pendant le troisième verset de la tirade du Père, il dit les mots que Jacques prononcera seulement ensuite : "O Violaine ! ô cruelle Violaine ! désir de mon âme, tu m'as trahi !"137. Cette idée d'une musique qui suit un chemin parallèle à l’action, précédant parfois les paroles et stimulant ainsi l'imagination et la réflexion du spectateur, semble avoir toujours habité Claudel, qui a avoué à Milhaud : "J'ai toujours eu l'idée d’une scène où la parole et la musique iraient chacune de leur côté, et ne s'écouteraient, si je puis dire, que latéralement138. Ainsi, comme souvent, l'auteur a certainement découvert, ici dans l'art japonais, une conception qu'il pressentait, mais qu'il personnalise.
71Effectivement, pour L'Annonce, cette "musique parallèle" n'existe qu'en apparence, car les différents bruits prévus par l'auteur ont un sens lié au drame et ne se bornent pas à constituer une vague ambiance sonore. La musique évoque certes des sons dont nous pouvons être entourés par hasard dans la réalité, mais elle leur donne une signification. Par exemple, lorsque dans la scène finale Claudel propose que le son des cloches soit remplacé par une voix de femme qui dit : "Père ! Père ! Père !", il ne s'agit pas d’un simple jeu de l'esprit : substituer au son des cloches des mots qui possèdent à la fois une sonorité équivalente et un sens, c’est pousser jusqu'au bout ce que suppose le final de L'Annonce : les cloches "veulent dire". De même, avant la scène du départ d'Anne Vercors, l’auteur suggère un chœur basé sur "les paroles du loriot", et précisément dans le texte, le Père, en entendant le chant de l'enfant évoquant celui de l'oiseau, traduit son sens en disant :
Le loriot siffle au milieu de l'arbre rose et doré !
- Qu’est-ce qu'il dit ? Que la pluie de cette nuit a été comme de l'or pour la terre
- Après ces longs jours de chaleur. Qu'est-ce qu'il dit ? Il dit qu'il fait bon labourer.
- Qu'est-ce qu'il dit encore ? Qu'il fait beau, que Dieu est grand, qu'il y a encore deux heures avant midi.
- Qu'est-ce qu'il dit encore, le petit oiseau ?
Qu'il est temps que le vieux homme s'en aille
Ailleurs et qu'il laisse le monde à ses affaires139.
72Ces bruits "parallèles" dont Anne Vercors, comme chacun de nous, est entouré et qui n'offrent avec notre activité aucun rapport évident sont ici à décrypter, car pour Claudel tout comme pour son personnage, rien dans les créatures, aussi infimes soient-elles, n'est laissé au hasard, tout est signe : le loriot signifie la beauté du monde, l'appel de l'inconnu ; il annonce au Père qu'il doit répondre à cet appel en quittant sa maison, qu'"il est temps" pour lui d'obéir à la loi naturelle. La musique claudélienne n'est donc qu'apparemment "parallèle", car si l'auteur s'inspire de bruits qui n'ont pas un rapport direct avec la scène parlée, sa vision du monde, certainement liée à sa foi chrétienne, lui permet de donner un sens à cette musique qui apparaît finalement comme le double du texte et en exprime la signification profonde140. Ainsi chez Claudel, une technique théâtrale renvoie à une métaphysique, qu'elle soit un aménagement scénique comme la scène à étages de Hellerau ou un accompagnement musical.
73Une dernière exigence de la musique scénique claudélienne est d'être vivante, c'est-à-dire présente concrètement sur la scène, intégrée au spectacle lui-même. Là encore, le théâtre japonais a montré au dramaturge l'intérêt pour le musicien d'être également acteur, de pouvoir suivre le drame et d'en ponctuer librement l'évolution au moment voulu par un moyen sonore quelconque. On comprend dès lors pourquoi Claudel s'est opposé au désir de Milhaud de faire enregistrer la musique pour le Théâtre Pigalle. En plus des économies d'argent et de moyens ainsi réalisées, le compositeur avait ses raisons personnelles :"Essayer certaines idées pour lesquelles il est nécessaire que le musicien collabore avec l'ingénieur chargé de l'enregistrement, pour obtenir, par l'accélération du mouvement à l'exécution, des effets de voix suraiguës"141. Mais Claudel manifeste nettement sa réticence en avouant :
Je ne puis dire que l'idée de toute la musique mise en boîte me cause un bien vif enthousiasme. C’est plutôt le contraire. Je crains que le résultat ne soit quelque chose de tout à fait mort et artificiel. Juste l'opposé de ce que je cherchais, c'est-à-dire une musique qui ait plutôt l'air d'émaner du texte que de l'accompagner, et de passer insensiblement du domaine du sentiment à celui du son. Et puis, comment fera-t-on pour la marche violente des paysans du 3e acte et pour la marche funèbre du dernier ? ?... ?.La musique en boîte de Donogoo faisait un effet pitoyable. Ce sera très difficile d'accorder toute cette mécanique avec un dialogue vivant142
74Si Milhaud, en tant que musicien, apprécie les possibilités offertes par la diffusion "mécanique" de la musique, Claudel réagit en dramaturge, et pertinemment, car si du point de vue musical une partition enregistrée est à peu près équivalente à son exécution en concert, du point de vue théâtral l'effet obtenu est très différent puisque toute communication entre musiciens et acteurs disparaît. Milhaud aura beau faire remarquer que "Donogoo a été raté parce que la musique a été mise en boîte après avoir été exécutée", puis que "pour la Judith de Giraudoux (pour laquelle la critique est bien injuste), il y a des bruits de foule, des voix qui chantent" et qu'il a été "stupéfait d'apprendre que c'était fait avec des bouts de disque […] tant cela paraissait vivant"143, Claudel demeurera réfractaire au principe de l'enregistrement et l'allusion malheureuse à Judith ne fera qu'exacerber sa position. Peut-être même, comme le suggère Jean-Bernard Moraly144, sa brutale condamnation de cette pièce, qui le conduira à vouloir abandonner les représentations de L'Annonce prévues au Théâtre Pigalle, sert-elle de prétexte à annuler un projet musical qui ne l'enchante plus ? Toujours est-il que c'est dans sa lettre du 19 novembre 1931 à Milhaud, la veille du jour où celui-ci lui vante l'enregistrement de l'accompagnement sonore de Judith, que Claudel, après avoir condamné cette pièce pour des raisons morales, affirme en conséquence :
Si donc la chose vous paraît possible et si les engagements ne sont pas pris, je vous demande de me dire si vous ne pensez pas qu'il serait préférable de retirer définitivement notre pièce du Théâtre Pigalle. Votre partition ne doit pas être très avancée. Ainsi ce ne sera pas un grand sacrifice pour vous145.
75Il reste frappant de constater que, alors que dans la réalisation du Théâtre Pigalle seule l’intéressait l'expérience musicale, Claudel y renonce si aisément : quelle part a l'indignation du croyant choqué par l'immoralité au regard de la frustration du dramaturge opposé à la musique enregistrée ? En tout cas, à Bruxelles, lors des représentations de L'Annonce accompagnées par la partition de Milhaud, les musiciens et les choristes seront présents sur scène, conformément à l'idéal claudélien d’une musique vivante.
76En somme, la musique dramatique chère à Claudel telle qu'elle apparaît dans son projet pour L'Annonce, cet accompagnement essentiellement vocal utilisant toutes les échelles du son, parfois parallèle à l'action tout en dévoilant profondément sa signification et devant être présent sur scène, confirme une constante de l'esthétique claudélienne : tout – et la musique en particulier – peut dire, peut traduire des sentiments ou des pensées.
77Finalement, le bilan qu'on peut tirer du projet du Théâtre Pigalle apparaît nuancé.
78Pour la vie scénique de L'Annonce, il est évidemment décevant : trois années d'une préparation mouvementée, au gré d'enthousiasmes éphémères, de contretemps et d'espoirs déçus, ont abouti à l'abandon de la mise en scène envisagée, seulement remplacée par deux représentations médiocres hors de France. A cet échec scénique lié à des circonstances malheureuses, s'ajoute également pour l'auteur une déception sur le plan musical, car la partition de Milhaud semble n'avoir constitué qu'un pis-aller au regard de l'idéal claudélien. En effet, quatre ans après l'avoir entendue – et pourtant appréciée – à Bruxelles, lorsqu'en 1938 Claudel préparera une éventuelle mise en scène de L'Annonce à la Comédie Française avec Dullin, il fera savoir au compositeur que sa partition ne sera pas utilisée, et face à la déception éprouvée par Milhaud, il ne se montrera pas autrement ému, lui répondant : "Il me paraît exagéré de dire que tout votre travail sur L'Annonce a été annulé d'un trait de plume parce que nous avons été obligés d’y renoncer pour la représentation du Français"146, d'autant plus que ce "nous" cache en réalité l’auteur lui seul147. De fait, la collaboration entre Claudel et Milhaud à propos de la musique de L'Annonce démontre les limites de leur entente, si souvent vantée. Claudel, contrairement au dramaturge habituel qui se contente de communiquer aux musiciens l'impression que doit rendre sa musique, indique à Milhaud, non seulement les résultats à obtenir, mais aussi les moyens techniques pour y parvenir, et peu s'en faut qu’il n'aille jusqu’à composer la partition, comme le musicien l'affirmera plus tard :”Il [Claudel] a toujours expliqué soit à Honegger soit à moi-même ce qu'il imaginait comme matière sonore dans la musique de scène destinée à soutenir un passage d'une de ses œuvres. Nul doute que s'il avait eu à sa disposition la technique requise, il eût écrit la musique de ses pièces"148 ; du reste, l'auteur lui-même ne démentira pas cette constatation, avouant à Jean Amrouche : "Au fond, la musique devrait être comme elle était autrefois, faite par le poète lui-même"149. Cet idéal grec d’un dramaturge à la fois poète et compositeur s'est heurté à la personnalité pourtant calme et tenace de Milhaud, qui a opposé sa lucidité musicale aux ambitieux rêves de Claudel.. Aussi les projets conçus pour L'Annonce révèlent-ils dans l'entente entre les deux hommes une faille qui perçait déjà à la suite du Livre de Christophe Colomb et qui s'amplifiera, en particulier lors du travail entrepris en 1938 pour L'Histoire de Tobie et de Sara dont la partition ne sera pas écrite. L'Annonce du Théâtre Pigalle a donc apporté bien des déceptions, non seulement théâtrales, mais aussi musicales et humaines.
79Pourtant, tout ne sera pas perdu pour la pièce, car grâce à ce projet se pose une question qui n'avait guère été abordée jusqu'ici, mais qui reviendra presque toujours dans les futures mises en scène : quelle place et quelle forme faut-il donner à la musique dans L'Annonce ? Quelles que soient les réponses à cette question, la nécessité d'un accompagnement musical s'impose désormais. Au début des années 1930, Claudel en est si convaincu qu'il n'hésite pas à modifier la vision scénique qu'il défendait à la création de 1912. A présent, la musicalité de la diction, si importante alors, doit s'effacer devant la présence d'une véritable musique : les sonorités des mots, la construction des phrases en "unités émotives" ont elles perdu leur pouvoir évocateur puisque l'auteur juge nécessaire de les étayer ? De plus, le sens donné aux divers éléments de cet univers sonore dote L'Annonce d'un plan différent de celui du texte, ou du moins le renforce : faut-il y voir la preuve que le texte seul ne suffit plus ? L'auteur veut au moins y ajouter, grâce à la musique et aux sons en général, un symbole significatif du sens profond du drame : les personnages sont guidés par des forces surnaturelles que dévoilent les bruits du monde. Sans cette dimension, que l'accompagnement musical souligne – tout comme l'avait fait d'une autre manière l'architecture scénique de Hellerau – L'Annonce tend à rester un drame strictement humain. En revanche, certaines mises en scène récentes, particulièrement celle de Frédéric Dussenne à Bruxelles en 1989150, parviendront, en amplifiant l'aspect musical et choral, à donner à la pièce toute sa résonance.
80Mais, si grâce au projet du Théâtre Pigalle L'Annonce reçoit une dimension supplémentaire pour sa vie scénique future, ce sont finalement, comme après Hellerau, d'autres œuvres dramatiques qui vont surtout en bénéficier. Il est clair que dans cette expérience, Claudel a été plus intéressé par sa réflexion musicale en général que par L'Annonce en particulier. Combien de fois n'a-t-il pas répété à Milhaud, dans les moments de désespoir où le projet se trouvait compromis, que son seul regret serait de ne pouvoir mener à bien ses recherches sur la musique scénique ?151. De plus, le dramaturge voulait, tout en prolongeant le travail réalisé pour Le Livre de Christophe Colomb, préparer une mise en scène du Soulier de satin, comme il l'avoue à Milhaud : "L'Annonce avec vous est une chose très importante parce qu'elle me fournira les données dont j'ai besoin pour la réalisation du Soulier de satin, qui est impossible sans musique"152. Lorsque Le Soulier sera crée en 1943, Claudel se souviendra-t-il de L'Annonce du Théâtre Pigalle en imaginant la présence sur scène d'un orchestre et de deux chœurs, l'un sérieux qui commente l'action, et l'autre comique qui la parodie ?
81Un prolongement plus évident et plus immédiat des projets musicaux conçus pour L'Annonce réside dans l'accompagnement choral de L'Otage par les chœurs parlés de Madeleine Renaud-Thévenel. Pendant la préparation des représentations de L'Annonce à Bruxelles, Claudel, apprenant que la Comédie-Française a décidé d'inscrire L'Otage à son répertoire, demande à Paul Collaer de l'aider à réaliser pour cette pièce aussi un étoffement musical. Collaer écrit une partition qui, tout en s'inspirant du projet de l'auteur, prévoit "l'amplification de ses intentions par l'utilisation d'un chœur parlé".153 Il le fera exécuter par les Chœurs Renaudins, que dirige une ancienne élève de Copeau, Madeleine Renaud Thévenet, qui a réuni autour d'elle un groupe se spécialisant dans l'expression chorale de textes poétiques. Plusieurs procédés de ces chœurs parlés reprennent les projets prévus pour L'Annonce. En particulier, Claudel veut que certaines indications scéniques soient lues, afin de situer l'atmosphère dans laquelle se déroule le drame en mimant vocalement ce qui est censé se passer. De même que dans L'Annonce les trompettes étaient signifiées par une voix de femme disant "Trompettes, trompettes, trompettes", au début de L'Otage, pour évoquer la "tempête au dehors"154, une partie du chœur répète les mots "il pleut, pleut, pleut etc..." et une autre reprend "le vent souffle" en jouant sur le "v" syllabisé à l'extrême et sur le "ou" de "souffle", chanté pour donner l'impression du hurlement du vent155. Ainsi, tout comme la répétition du mot "trompettes" transformait l'énonciation de l'indication scénique en musique, la reprise de l'expression "le vent souille", répétée comme par le vent lui-même sur le fond sonore des "il pleut" mimant le bruit des gouttes de pluie, donne poétiquement l'impression de la tempête. Dans cette manière de taire dire l'indication scénique afin d'évoquer l'élément dont elle parle, on retrouve la certitude claudélienne que chaque mot est porteur d'une musique signifiante ; pour L'Otage, Claudel et Collaer ont perfectionné le procédé de L'Annonce en appliquant la traînée, c'est-à-dire l'alternance de voix hautes et graves disant successivement des membres de phrases. Ces chœurs parlés très originaux ont été enregistrés, mais également comme pour L'Annonce, cet enregistrement diffusé à la Comédie-Française lors de la générale de L'Otage en octobre 1934 n'a pas satisfait Claudel, qui a prié l'administrateur Émile Fabre de faire venir les Chœurs Renaudins pour qu'ils participent directement à la première : ils seront sur scène pendant les trois premières représentations, mais ensuite l’enregistrement devra les remplacer. Aussitôt après cette réalisation, l'auteur prolonge à nouveau certaines idées prévues pour L'Annonce en travaillant, cette fois avec Arthur Honegger, à l'oratorio dramatique Jeanne d'Arc au bûcher. Notamment à la scène 7 de cette œuvre, lorsque les cloches sonnent, elles sont chantées, comme dans la partition de L'Annonce : ce sont les voix de Jeanne d'Arc, que tous entendent, mais dont l'héroïne seule comprend le langage ; ces deux cloches, pourvues d'un prénom, Catherine et Marguerite, sont aussi douées de parole et disent à Jeanne d'aller chercher "le roi qui va-t-à Rheims", comme dans L'Annonce156.
82Au fur et à mesure de sa réflexion musicale, Claudel, conformément à son désir, semble de plus en plus devenir lui-même musicien, car des marques typographiques de la musique apparaissent dans le texte même de ses pièces, comme on l'avait déjà constaté dans le Regiebuch de Hellerau. Ainsi, dans L'Histoire de Tobie et de Sara, pour marquer la scansion du texte, il sépare des syllabes, ajoute des accents toniques au-dessus de certaines d'entre elles, souligne les consonnes qu'il désire entendre prononcer avec énergie. Dans Au 4e toc..., écrit en 1939, une encre rouge se distingue de l'encre noire du texte pour noter d’abondantes indications scéniques parfois musicales. Pourtant, l'auteur semble peu à peu renoncer à trouver la solution tant cherchée du problème des rapports entre parole et musique. Déjà dans Jeanne d'Arc au bûcher, il joue de leur discordance, la parole seule, pauvre, celle de Jeanne, s'opposant aux puissantes forces élémentaires des chœurs et de l'orchestre. Vers la fin de sa vie, Claudel se méfiera beaucoup de la musique au théâtre : il réduit son rôle dans L'Histoire de Tobie et de Sara, est tenté de la supprimer totalement dans Au 4e toc..., ce qui aura lieu en 1952 dans Le Chemin de la croix no 2 où l'accompagnement sonore sera limité à des "roulements de tambour" et à des "tintements de sonnette"157. Ces sons rudimentaires, à la limite du cri, exécutés par les acteurs, paraissent constituer l'ultime conception de la musique scénique claudélienne.
83Ainsi, sur le plan musical, ni L'Annonce, ni même d'autres œuvres n'ont pu réaliser véritablement l'ambition de Claudel qui, selon Gérald Antoine, n'était "rien de moins que de faire succéder à l'opéra-drame wagnérien un drame-opéra claudélien"158. La formule est peut-être excessive, mais il est vrai que l'auteur, après Wagner et avant le Schœnberg du Pierrot lunaire, s’est montré longtemps passionné par la recherche d'un ton intermédiaire entre le parlé et le chanté, et les solutions qu'il a envisagées apparaissent originales : les projets imaginés pour L'Annonce, tout comme certains passages des Choéphores ou la tempête de L'Otage réalisée par les Chœurs Renaudins, indiquent ce que pourrait être une pièce lyrique où s'uniraient de façon nouvelle le drame et la musique. Mais ce drame musical claudélien, où se retrouvent à la fois la dramatique grecque, la liturgie chrétienne et le théâtre japonais, demeure une utopie, et Claudel reste comme un compositeur qui n'a jamais pu entendre sa musique159.
84C'est d'autant plus dommage pour L'Annonce, car une telle pièce ne se prêtait-elle pas spécialement bien à cette forme ? Elle tentera plus tard plusieurs compositeurs, qui en feront carrément un opéra, comme Walter Braunfels en 1948 et Renzo Rossellini en 1970160. De plus, en 1985, Marc Bleuse, alors directeur du Conservatoire de Toulouse, a présenté un projet musical original : il veut retrouver pour la pièce "trois styles de chant : la psalmodie, le récit et le chanté"161. Ainsi, L'Annonce musicale n'a pas fini de livrer tous ses secrets. Mais Claudel n'aura pu les connaître, et pour lui l'expérience du Théâtre Pigalle restera une déception, qui allait être suivie par bien d'autres dans la vie scénique de L'Annonce conçue par ses soins.
Notes de bas de page
1 Le Drame et ta musique, Œuvres en prose, p. 144. Le texte de cette conférence prononcée à Yale le 19 février 1930 à l’occasion de la publication américaine de The Book of Christopher Colombus illustré par Jean Chariot est paru dans La Revue de Paris en mai 1930 et a servi ensuite de préface au Livre de Christophe Colomb.
2 Voir en particulier le livre de Joseph Samson, Paul Claudel, poète-musicien. Éditions du Milieu du Monde, 1947.
3 Ma conversion. Œuvres en prose, p. 1010.
4 Claudel écrira le 28 février 1909 au compositeur Florent Schmitt : "Beethoven, que j'ai lu avec un doigt, m'a appris autant pour mon art que Shakespeare et les Grecs", Cahiers Renaud-Barrault n 27, octobre 1959, p. 49.
5 L'Orestie d'Eschyle, Accompagnements, Œuvres en prose, p. 421. Pascale Alexandre a bien montré dans sa thèse Traduction et création chez Paul Claudel, Université de Paris IV, 1993, que l’auteur utilise le mot ïambe dans un sens très large, qui englobe l'anapeste, ne conservant de l'ïambe antique que la conception très générale d'un rythme ascendant dont la souplesse s'oppose à la monotonie de l'alexandrin.
6 Milhaud en témoigne ainsi :’’L'entente avec Claudel fut immédiate, la confiance totale. Pas de temps perdu ! Je lui chantai les poèmes de la Connaissance de l'Est que j'avais essayé de traduire par une musique aussi robuste que possible. "Vous êtes un mâle !" s'écria-t-il, et il me parla ensuite de L'Orestie [...] Ses idées me parurent fort claires et correspondaient à mes aspirations. Combien ce jour fut heureux ! il n'amorça pas seulement une collaboration fidèle, mais encore une précieuse amitié", Notes sans musique, p..14.
7 Claudel à Milhaud, 6 juin 1913, C P C.3, p. 37. A ce moment, l'influence de Hellerau, où l'auteur rêve de représenter L'Orestie, n'est évidemment pas étrangère au besoin de musique qu'il ressent.
8 Voir à ce sujet la thèse de Jens Rosteck, La Collaboration artistique et esthétique de Paul Claudel et Darius Milhaud : L'Orestie d'Eschyle et Christophe Colomb, Berlin, Freie Universität, 1993. Cet ouvrage est présenté par son auteur dans B.S.P.C. no 1.33, 1er trimestre 1994, p. 21-7.
9 Claudel à Milhaud, 22 mai 1913, C.P.C.3, p. 36.
10 Ibid. 27 mai 1913, p. 36-7.
11 Milhaud évoque ainsi la confrontation de Clyteninestre et du chœur : "Dans ma partition, les strophes que chantait Clyteninestre (soprano dramatique) alternaient avec les antistrophes du chœur des vieillards (chœur d'hommes), soutenues par un orchestre symphonique normal. J'écrivis des variations dont le thème était inamovible et se retrouvait, pareil, au centre de chaque strophe nouvelle, traité dans le ton du début et en fanfare pour précéder l’entrée d'Egisthe proclamé roi. Lorsqu'il imposait silence à la foule, la musique cessait et la parole était rendue aux acteurs jusqu'à la fin de la pièce", Notes sans musique, p. 66-7.
12 Voir le texte de 1920, Essai de mise en scène et notes diverses à propos des Choéphores. Théâtre I, p. 1322.
13 Les deux autres passages prosodiés sont Exhortation, qui influencera la conception musicale du Prologue de L’Annonce, supplication du chœur pendant le meurtre, où la chorège dit seule son texte dont le chœur reprend certains mots prolongés comme un écho pendant qu'elle parle, et Conclusion, scène finale de la plainte rythmée de la chorège et du chœur, criant certains mots.
14 Essai de mise en scène et notes diverses, Théâtre I, p. 1324.
15 Notes sans musique, p. 79.
16 Il en existe deux : dans le premier (Columbia), la récitante est Claire Croiza ; dans le second (Deutsche Grammophon Gesellschaft), c'est Claude Nollier.
17 Infra, p. 194.
18 Lorsque, le 17 décembre 1933 à Anvers, Claudel entendra enfin Les Choéphores en concert exécuté par la chorale Coecilia dirigée par Louis de Vocht avec Claire Croiza en récitante, il enverra le lendemain à Milhaud une lettre enthousiaste présentant l'événement comme "un des sommets artistiques que l'on atteint une fois dans sa vie", C.P.C.3, p. 215.
19 Claudel à Milhaud, 9 août, C.P.C.3, p. 69. Pour éclairer sa pensée, Claudel envoie un petit projet de mise en scène où, musicalement, il distingue trois éléments : la foule, qui ne cesse d'accompagner tout le drame de son brouhaha, "l'élément olympien et céleste", de plus en plus envahissant, et "l'aigu et pathétique caquet humain", parlé mais soutenu prosodiquement.
20 Seul le final des Euménides a souvent été exécuté en concert, en particulier en 1927 à Anvers, à la suite des Choéphores, mais Claudel, alors à Washington, n'a pu y assister et Milhaud lui a fait part du succès remporté, C.P.C.3, p. 84.
21 L'Intransigeant, 26 octobre 1927, texte reproduit dans Théâtre II, p. 1485. L'expression "tapisserie sonore" sera reprise à propos de L'Annonce.
22 Claudel à Henri Hoppenot, lettre inédite reproduite dans B.S.P.C. no 131, 3ème trimestre 1993, p. 17-8.
23 Journal I, p. 709.
24 Ibid., p. 562.
25 Nô, Œuvres en prase, p. I 168.
26 Infra, p. 211-212.
27 Infra, p. 193-194. Sur l'influence du Nô dans le théâtre claudélien, voir Moriaki Watanabé, "Claudel et le Nô", Europe no 633, mars 1982, p. 76-88.
28 Bouguku, Œuvres en prose, p. I 179.
29 Le Drame et la musique, Œuvres en prose, p. 149-50.
30 Infra, p. 212-214. L'idée d'une musique "parallèle" se retrouve à la fin du Soulier de satin, dans la deuxième version de Protée, dans Sons le rempart d'Athènes et dans Le Livre de Christophe Colomb.
31 Kabouki, Œuvres en prose, p. 1178.
32 Le Drame et la musique, ibid., p. 148.
33 Par exemple, à la scène 14 de la première partie. Théâtre II, p 1147-9, Isabelle est d’abord dans le silence, dramatisé par l'absence de la voix divine, puis des murmures se font entendre dans le chœur, qui ensuite se met à parler confusément, jusqu'à ce qu'une voix seule chante, soutenue par des murmures, avant que le chœur ne retourne au silence.
34 Théâtre II, p. 1162-3.
35 Claudel à Milhaud, 23 janvier 1928, C.P.C.3. p. 88.
36 Théâtre II, p. I 166.
37 Ibid., p. 1166-8.
38 Voir Monique Parent, "Les Eléments lyriques dans L'Annonce faite à Marie", Revue d'Histoire du théâtre, 1968, no 3, p. 261-74.
39 André Vachon a montré avec précision dans Le Temps et l'espace dans l'œuvre de Paul Claudel (Le Seuil, 1965), comment ces chants et tous les éléments liturgiques en général ont un sens qui sert de base à la pièce.
40 C'est d'ailleurs la sonnerie de l'Angélus qui, trois lois par jour accompagne l'annonce faite à Marie par l'ange, qui inspire en partie le titre de la pièce, ce "drame plein de cloches mystiques" selon l'expression de Joseph Samson, Paul Claudel poète-musicien, p. 127.
41 Claudel à Milhaud, 22 novembre 1929, C.P.C.3, p. 123.
42 Claudel à Lugné-Poc, 22 janvier 1913, C.P.C.5, p. 106.
43 Le Divine et la musique, Œuvres en prose, p. 147.
44 Gabriel Astruc fut non seulement homme de théâtre, mais aussi journaliste, éditeur littéraire puis musical, organisateur de revues, impresario, fondateur du Racing-Club de France etc..., ainsi que le révèle son livre de souvenirs Le Pavillon des Fantômes. Belfond, 1987.
45 En 1913, Claudel a confondu ce Théâtre des Champs-Élysées avec la Comédie du même nom où L'Annonce a été jouée le 7 mai : s'inquiétant de cette représentation, il écrit à Lugné-Poe le 7 janvier : "Qui jouera Violaine au Théâtre Astruc ?", C.P.C.5, p. 102.
46 Claudel à Milhaud, 22 novembre 1929, C.P.C.3, p. 123. Cette lettre est reproduite en partie, comme plusieurs de celles qui la suivent, dans Mes Idées sur le théâtre, p. 131-42.
47 C.P.CJ, p. 123-4. Malgré l'allusion à Germaine Tailleferre, qui avait composé la musique de Sous le rempart d'Athènes. L'Annonce ne semblait-elle pas depuis longtemps réservée à Milhaud ? En juillet 1916, répondant à une lettre où ce dernier pensait que Lili et Nadia Boulanger allaient mettre la pièce en musique, Claudel écrit : "Qui diable a pu vous faire croire que je voulais donner L'Annonce aux Demoiselles Boulanger ? Elles me l'ont demandée, mais naturellement j’ai refusé. Pas plus elles qu'aucune autre", ibid., p. 48.
48 Milhaud à Claudel, décembre 1929, ibid., p. 125.
49 Claudel à Milhaud, 2 juin 1930, ibid., p. 127. L'auteur ajoute, fort de son expérience : "Pour Le Père humilié, j'avais pensé à une ou plusieurs armoires remplies de vases, cloches etc... dont on ouvrirait les battants plus ou moins à certains moments".
50 . Gabriel Astruc à Claudel, 3 février 1930. ibid., p. 311-2. Cette lettre est une des rares à être publiées dans C.P.C.3 ; la correspondance inédite entre Claudel et Astruc ainsi que les autres membres du Théâtre Pigalle est conservée au Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale.
51 Claudel mentionne cette visite à deux reprises dans son Journal I. (p. 914 et 913), avant de la raconter plus en détail à Milhaud.
52 Claudel à Milhaud, 28 mai 1930, C.P.C.3, p. 140.
53 Ibid., p. 140-1.
54 Infra, p. 206-210.
55 Claudel à Milhaud, 29 mai 1950. op.cit.. p. 144.
56 Milhaud expliquera plus tard que Claudel désirait "comme un surcroît poétique et lyrique dans le commentaire sonore [...], la scène parlée ayant une espèce de double, d'ombre lyrique qui s'enroulait autour d'elle". Notes sons musique, p. 271-2.
57 Claudel à Astruc, 29 mai 1930. C.P.C.3. p. 317. Dans cette même lettre, l'auteur avoue qu'il veut avoir Ève Francis pour jouer Violaine, comme en 1921 à la Comédie Montaigne.
58 Claudel à Milhaud, 11 juin 1930, ibid., p. 143.
59 Copeau écrit en particulier : "Rue Pigalle, c'est la machinerie seule qui est en cause, et non l'émotion qu'elle doit servir à produire". Registre I. Appels, Gallimard, 1974, p. 225. Dullin confirme : "Le Théâtre Pigalle est le type de ces créations d'amateur désœuvré. Salle et scène y sont combinées pour tuer la pièce. Le plus beau spectacle y semble inopportun". Ce sont les dieux qu'il nous faut, Gallimard, 1969, p. 168.
60 Au printemps 1930, on joue Feu du ciel de Pierre Dominique, puis en automne Donogoo de Jules Romains, mis en scène par Jouvet. A partir de la fin de mars, le Théâtre Pigalle n'a plus de saison régulière et accueille des troupes étrangères : l'Opéra de Berlin, qui présente La chauve-souris de Johann Strauss, puis un théâtre japonais, et en mai, le Théâtre Kamerny de Moscou qui a monté L'Annonce en 1920.
61 Claudel à Milhaud. 8 juillet 1930, C.P.C.3. p. 147. On remarque le goût, hérité de Hellerau, de l'auteur pour une "seconde scène".
62 Ibid., p. 147-8.
63 Jouvet à Claudel, 22 septembre 1930, C.P.C.6. p. 207.
64 Claudel à Jouvet, 23 septembre 1930, ibid., p. 209.
65 Créer Le Soulier de satin, Milhaud le conseille lui aussi à Claudel en décembre : "Monter dignement L'Annonce, c'est très bien, mais pourquoi ne pas faite une grande et vraie création en montant Le Soulier de satin ? C'est la scène qu'il faut. Il est vrai que le metteur en scène serait difficile à trouver ! Mais quelles ressources pour la musique, et quel spectacle extraordinaire on pourrait mettre sur pied !", C.P.C.3, p. 164. Peut-être l'auteur eut-il tort de se montrer pusillanime ? L'Annonce, pièce déjà connue, ne pouvait plus frapper le public comme l'aurait fait Le Soulier.
66 A sa lettre du 28 novembre 1930 adressée à Claudel, Astruc joint ce mot confidentiel : "Jouvet peut monter L'Annonce et je comprends qu’il en a le désir. Baty aussi serait certainement capable de monter votre œuvre. Quelqu'un que vous devinez, et qui avec raison est resté son ami, serait heureux de lui ménager une rentrée dans la maison qu'il a quittée un peu brusquement. Voilà pourquoi j'ai été sollicité de vous écrire la lettre ci-jointe", Bibliothèque nationale. L’allusion à "quelqu'un que vous devinez..." semble désigner Philippe de Rothschild.
67 Claudel à Milhaud, Il décembre 1930, C.P.C.3, p. 139 et 161.
68 Claudel à Milhaud, 5 février 1931, ibid., p. 170.
69 Affirmation de Philippe de Rothschild citée par Milhaud, décembre 1930, ibid., p. 163.
70 Claudel à Milhaud, 5 février 1931, ibid., p. 170.
71 Claudel à Milhaud, 17 décembre 1930, ibid., p. 161.
72 Ibid., p. 162. La double comparaison avec Jules Romains et Alfred Savoir se justifie respectivement par le succès de Donogoo et de La Petite Catherine.
73 Ibid., p. 161.
74 Milhaud à Claudel, décembre 1930, ibid., p. 163.
75 Berthelot à Claudel, lettre inédite, 17 janvier 1931, Bibliothèque nationale.
76 Claudel à Milhaud, C.P.C.3, p. 17.3.
77 Ibid., p. 173-4. Le dramaturge avait effectivement retenu du Nô la présence d'un chœur qui ajoute un commentaire à l'action.
78 Infra, p. 203-205.
79 Claudel à Jouvet, 30 avril 1931, C.P.C.6, p. 210.
80 Lettre citée par Ève Francis, Un cintre Claudel, p. 271. Pour établir la distribution, fauteur mêle des acteurs de la création de 1912, tel Magnat, et de la reprise de 1921, comme Ève Francis et Henri Rollan, mais ce dernier jouait alors Pierre de Craon.
81 "En réalité, c'est votre musique pour moi qui fera le principal intérêt de cette série", 5 février 1931, C.P.C.3, p 170 ; "Tout ce que je désire là-dedans, tout ce qui m'intéresse, c'est le côté musical. Je sens qu'il y a de ce côté des réalisations toutes nouvelles à sortir", 14 février 1931, ibid., p. 172 ; "L'essentiel, c'est la musique et la mise en scène", 30 avril 1931, ibid.
82 Claudel à Milhaud, 30 avril 1931, ibid.
83 Jouvet affirme en effet à Claudel : "J’aurais voulu l'an dernier vous tenir au courant des tergiversations continuelles que nous avons subies, L'Annonce et moi, mais je n'étais pas en droit de le faire. Cela m'a été personnellement très désagréable, car j'avais et j'ai toujours le plus vif désir de monter cette œuvre", 19 juin 1931, C.P.C.6, p. 211.
84 La lettre de Berthelot à Claudel, datée du 15 mai 1931, est reproduite dans C.P.C.3, p. 325. L'ajournement de L'Annonce, qui était prévue pour octobre 1931, est surtout dû à la reprise de Donogoo, mis en scène par Jouvet et reprogrammé pour le public de l'Exposition coloniale.
85 Claudel à Berthelot, 23 mai 1931, ibid., p. 326. L’humiliation de l'auteur réapparaît dans une lettre à Milhaud : "Plus tard, quand on lira que vous et moi avons eu à subir de pareilles difficultés, les gens seront étonnés. Bataille et Massenet rencontraient plus de facilités ! Décidément, il n'y a qu’un pays pour les artistes, c'est l'Allemagne. Il n'y a rien à faire en France", 23 mai 1931, ibid., p. 183.
86 Claudel à Milhaud, 31 octobre 1931, ibid., p. 191. Ces projets de décor figurent dans Mes Idées sur le théâtre, p. 171-2 ; de nombreux aspects font effectivement référence à des éléments précis du Moyen Age ou du XVIe siècle : le tombeau de Philippi, l’église de Brou, la cathédrale de Sens, le retable de Cologne, sans compter des "anges blancs à manches vert, bleu, rouge, orange” et "un saint couvert de glace avec des stalactites".
87 Claudel à Milhaud, 19 novembre 1931, ibid., p. 192. Il est un peu curieux de voir Claudel, si souvent maltraité lui-même par les critiques du Temps, se fier uniquement à ce journal pour établir son opinion, sans avoir lu les deux pièces incriminées, d'autant plus que les articles n'y étaient pas nettement hostiles : pour Un Taciturne, comédie psychologique très trouble, Brisson insistait, avec quelque réticence, sur l'aspect gidien de l'œuvre ; pour Judith, il montrait surtout l'interprétation que Giraudoux donne du thème biblique.
88 Celui-ci, selon le témoignage de Gide, s'est montré "fort affecté" par la lettre de Claudel que Jouvet venait de recevoir et de lui communiquer. Gide, quant à lui, précise ainsi sa position : "Il n'y a nullement lieu de chercher à « excuser » Claudel. Je l'aime et je le veux ainsi, faisant la leçon aux catholiques transigeants et tièdes, et qui cherchent à pactiser. Nous pouvons l'admettre, l'admirer ; il se doit de nous vomir", 6 décembre 1931, Journal, Pléiade, p. 328.
89 Claudel à Jouvet, 15 novembre 1931, C.P.C.6. p. 213. Si l'auteur qualifie Roger Martin du Gard d’"immonde écrivain", il n'écrit rien publiquement contre Giraudoux. Ainsi, comme l'affirme Michel Autrand, "l'affaire Judith en fin de compte est plus une affaire entre Claudel et Jouvet qu’entre Claudel et Giraudoux", "Claudel et Giraudoux", Revue d'Histoire Littéraire de ta France, septembre-décembre 1983, p. 847.
90 D'après Ève Francis, Un autre Claudel, p. 271, Astruc voue à Copeau "une espèce de haine inexplicable" et demande à Claudel de l'évincer.
91 Claudel à Ève Francis, ibid., p. 273. Dans cette lettre, l'auteur ne se montre pas mécontent de la fermeture du Théâtre Pigalle ("cela lui apprendra à monter des ignominies"), mais il est évidemment déçu pour L'Annonce et par le théâtre en général : "Le théâtre ne m'intéresse plus du tout. Ce n'est plus de mon âge, et le passage du livre à la scène est vraiment une entreprise trop difficile".
92 Claudel à Milhaud, 6 mars 1931, C.P.C.3, p. 174.
93 Milhaud à Claudel, 2 avril 1931. ibid., p. 179. Plus tard, Milhaud évoquera ce projet en écrivant : "Claudel, emporté par le torrent lyrique intérieur qui fait de lui une véritable force de la nature [...] m'envoya de Washington un commentaire lyrique pour chaque phrase du début de sa pièce, expérience intéressante, mais qui en aurait triplé la longueur". Notes sons musique, p. 272.
94 Milhaud à Claudel, ibid. Par le mot "ici", il faut entendre "en France, où il faut renoncer à faire chanter des acteurs ou à les faire prosodier en musique, ce qui nécessite la connaissance du solfège", ibid.
95 Milhaud à Claudel, 7 octobre 1931, ibid., p. 188.
96 Claudel à Milhaud, 31 octobre 1931, ibid., p. 191.
97 Milhaud à Claudel, 10 août 1932, ibid., p. 208.
98 Journal I, p. 1011. Claudel reprend les mêmes adjectifs deux jours plus tard pour vanter cette musique à Jean Hervé, acteur à la Comédie-Française, en ajoutant qu'elle est "parfaitement accessible aux esprits les plus naïfs", B.S.P.C. no 140, 4e trimestre 1995, p. 23.
99 Claudel à Milhaud, 2 mai 1932, C.P.C.3, p. 204.
100 Claudel à Milhaud, 6 mai 1932, ibid., p. 206.
101 Voir Journal II, p. 44. Le 18 décembre, Claudel écrit à Milhaud : "Nous avons tous été très contents l'autre soir [le II], mais j’aurais besoin du texte pour situer votre musique", op.cit., p. 216.
102 Voir Milhaud, Notes sans musique, p. 142-4.
103 Une correspondance entre les deux hommes a été publiée dans le Bulletin régional de lu Société Claudel en Belgique, no 12, janvier 1967.
104 Claudel à Milhaud, 8 janvier 1934, C.P.C.3, p. 216.
105 Journal II, p. 50. Le 27 janvier, Claudel écrit à peu près dans les mêmes termes à sa tille Louise Vetch : "J'ai assisté à un effroyable massacre, par des amateurs, de L'Annonce. Heureusement que la musique de Milhaud, qui est vraiment ravissante, m'a comblé", lettre citée par Gérald Antoine, Paul Claudel ou l'Enfer du génie, p. 437.
106 Milhaud, Notes sans musique, p. 272. L'auteur ajoute : "Il était très intéressant de suivre les passages où l'effet de la double scène était employé ; la musique et les chants se déroulaient indépendamment de l'action". Cette "double scène" est-elle un souvenir de Hellerau ?
107 De fait, la partition de Milhaud restera très peu jouée. En France, après sa création parisienne en décembre 1933, elle ne sera exécutée que le 27 mai 1962, lors du premier concert de la saison musicale de Royaumont donné pour fêter les 70 ans du compositeur.
108 La partition de Milhaud est parue en 1932 aux Editions Salabert à Paris, mais elle ne s'y trouve plus actuellement et c’est grâce à l'amabilité de Madame Madeleine Milhaud qu'elle a pu être consultée à son domicile. Outre un quatuor vocal, cette partition prévoit une petite flûte, une clarinette, deux saxophones (un soprano et un alto), deux instruments électriques, un vibraphone, un piano à quatre mains, un orgue, des batteries et timbales. Son exécution dure 50 minutes.
109 Cette tentative de reconstitution a été esquissée par Jean-Bernard Moraly dans sa thèse Claudel et la mise en scène : l'emploi du chœur, p. 358-62, dans son article "L'Annonce faite à Marie au Théâtre Pigalle : vers une nouvelle formule de théâtre musical", Hommage à Jacques Petit no I, 1985, p. 457-64, ainsi que dans le chapitre "L'Annonce faite à Marie chez les Rothschild" (p. 89-104) de son ouvrage Claudel metteur en scène.
110 Claudel à Milhaud, C.P.C.3. p. 167.
111 Claudel le décrit très précisément dans sa lettre du 7 mars 1931, ibid., p. 174-8, en le qualifiant improprement de "crayon de la première scène", p. 174. Ce passage est reproduit dans Mes Idées sur le théâtre, p. 138-41.
112 Claudel à Milhaud, 7 mars 1931, ibid., p. 175. Le prénom "Jacques" est un lapsus pour désigner Pierre.
113 Ibid., p. 175.
114 Ibid. p. 176.
115 Ibid., p. 177.
116 Ibid.
117 Quelques passages d'Un essai d'adaptation du Nô japonais, Œuvres complètes, tome XIII, p. 289, éclairent les intentions musicales de Claudel à propos de l'emploi du chœur, notamment lorsqu'il écrit que, dans le drame japonais, le chœur "prend le mot aux lèvres de l'acteur et le développe en une ample tapisserie d’images et de sentences".
118 Toutefois, Claudel reprend une idée déjà expérimentée par Milhaud dans La Brebis égarée d'après Francis Jammes, où apparaissait le procédé de la redondance ; des jeunes filles nous informaient à l'avant-scène de ce que nous allions voir. Pour plus de détails, voir : Antoinette Weber-Caflisch, Essais sur le texte et l'écriture du Soulier de salin. Dramaturgie et poésie. Les Belles Lettres, 1986, p. 113-1 15.
119 Voir p. 208.
120 Claudel à Milhaud, 29 mai 1930, C.P.C.3, p. 141-2.
121 Ibid., p. 142.
122 Notes sans musique, p. 272.
123 Claudel à Milhaud, 31 octobre 1931. op.cit.. p. 191.
124 C'est du moins l'opinion du critique musical du Monde, 30 mai 1962, lors de l'exécution de la musique de scène de L'Annonce à Royaumont.
125 Claudel à Milhaud, 29 mai 1930, op.cit., p. 142.
126 Claudel à Milhaud, 22 novembre 1929, ibid., p. 123.
127 Claudel à Milhaud, 29 mai 1930, ibid., p. 142.
128 Ibid., p. 143.
129 Ibid. Cette chanson occupe à elle seule le troisième épisode de l’acte IV dans la partition de Milhaud, à la suite d’un choral et d’un chant funèbre et juste avant le final.
130 Ibid.
131 Ibid., p. 143-4.
132 Ibid, p. 144.
133 A propos de cette œuvre, Claudel écrit en février 1930 : "Milhaud et moi, nous avons voulu montrer comment l’âme arrive peu à peu à la musique, comment la phrase jaillit du rythme, la flamme du feu, la mélodie de la parole, la poésie de la réalité la plus grossière, et comment tous les moyens de l'expression sonore depuis le discours, le dialogue et le débat soutenus par de simples batteries, jusqu'à l’éruption de toutes les richesses vocales, lyriques et orchestrales, se réunissent en un seul torrent à la fois divers et ininterrompu. Nous avons voulu montrer la musique non seulement à l'état de réalisation [...] mais à l'état naissant, quand elle jaillit et déborde d’un sentiment violent et profond", Le Drame et la musique, p. 153. Mais l'auteur estimera que dans Christophe Colomb, Milhaud n'a pas réalisé cette "musique à l'état naissant".
134 Claudel à Milhaud, 15 août 1938, C.P.C.3, p. 241.
135 Claudel à Milhaud, 5 septembre 1938, ibid. Ce désir est surtout réalisé par les modulations du chœur aux scènes 2 et 3 de l'acte III de L'Histoire de Tobie et de Sara, Théâtre II, p. 1311-2.
136 Le Drame et la musique, p. 149.
137 Théâtre II, p. 98.
138 Claudel à Milhaud. 16 septembre 1928, op.cit.. p. 106. L’auteur notera plus tard dans son Journal une formule de Jean-Jacques Rousseau qui, en 1773, lui semble préfigurer sa propre conception en imaginant que "la musique et la poésie, fraternellement réunies et sans se donner la main, iraient libres l'une de l'autre par deux chemins parallèles", Journal II, avril 1941, p. 354.
139 Théâtre II, p. 41-2.
140 Cette conception réapparaît nettement dans deux œuvres tardives de Claudel, Le Ravissement île Scapin et le projet Tête d'Or 1949. Tout au long de la première pièce, un mendiant joue de la vielle en sourdine et cette "musique parallèle" rappelle discrètement que Scapin incarne un être en marge de la société. Dans Tête d'Or 1949, pendant qu'a lieu la répétition de Tête d'Or, on entend dehors se dérouler les funérailles de l'aviateur et c'est la sonnerie aux morts qui doit, selon Simon Agnel 1949, expliquer le sens de la pièce. Les exemples les plus clairs de "musique parallèle" sont donc fournis par les schémas dramatiques de la dernière période, comme si Claudel avait dû attendre longtemps avant de pouvoir appliquer son idée.
141 Milhaud à Claudel, l7octobre 19.31, C.P.C.3, p. 189.
142 Claudel à Milhaud, 31 octobre 1931, ibid., p. 191
143 Milhaud à Claudel, 20 novembre 1931, ibid, p. 193.
144 J.-B. Moraly émet cette hypothèse à la fois dans sa thèse Claudel et la mise en scène : l'emploi du chœur, p. 366-7, et dans son article "L'Annonce faite à Marie au Théâtre Pigalle", p. 463-4.
145 Claudel à Milhaud, 19 novembre 1931, op. cit., p. 192. Toutefois, moins d'un an plus tard, le 14 septembre 19.32, Claudel, pour être joué, vantera à Jean Hervé, sociétaire de la Comédie-Française, les vertus d'une musique enregistrée, "de telle manière que pour la première fois la musique serait ainsi à l'entière disposition du metteur en scène, après préparation dans des conditions véritablement optima", lettre publiée dans B.S.P.C. no 140, 4e trimestre 1993, p. 24.
146 Claudel à Milhaud, 20 novembre 1938, ibid., p. 243.
147 Infra, p. 256.
148 Milhaud, "Quelques souvenirs", N.R.F., Ier octobre 1955, p. 560.
149 Mémoires improvisés, p. 354. L’auteur ajoute : "...sauf si on la chance tout à fait exceptionnelle de rencontrer un ami, un autre soi-même, comme je l'ai eue pour Le Soulier de salin avec mon ami Honegger", mais non pas avec Milhaud.
150 Voir notre thèse, p. 485-6.
151 Voir en particulier les lettres du 31 janvier, C.P.C.3, p. 169, du 14 février, ibid., p. 172, du 13 avril, ibid., p. 180 et du 30 avril, ibid., p. 182, de l'année 1931.
152 Claudel à Milhaud, 24 janvier 1931, ibid., p. 167. Le lendemain, l'auteur confirme au compositeur : ''Le Théâtre Pigalle m'a demandé de monter Le Soulier de satin, mais c'est une chose considérable et difficile à laquelle je ne puis penser avant d'avoir causé avec vous et d'avoir utilisé les expériences que nous procurera L'Annonce", ibid., p. 168.
153 Collaer, commentaire des Lettres de Paul Claudel à Paul Collaer. Bulletin régional de la Société Claudel en Belgique, no 12, janvier 1967, p. 5.
154 Théâtre II, p. 220.
155 Jean-Bernard Moraly a étudié cette tempête de L'Otage dans Claudel metteur en scène, p. 141-53.
156 Théâtre II, p. 1229-30. Sur l'originalité de la musique de cet oratorio, voir Pascal Lécroart et Huguette Calme), Jeanne d'Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, Publimuses, Collection Le Profil musical, 1993.
157 Œuvres complètes, tome XXIX, p. 523, 528, 530, 531.
158 Gérald Antoine, Paul Claudel ou l'Enfer dit génie, p. 161.
159 Encore aujourd'hui, le "théâtre musical", illustré par Mauricio Kagel, Georges Aperghis ou Gyorgy Ligeti, ne demeure-t-il pas une espèce de monstre hybride ?
160 Voir notre thèse, p. 490-4.
161 Michel Decoust, "Claudel et l'opéra", Revue d'Histoire du Théâtre, 1986, volume 2, p. 134. L'auteur commente le projet de Marc Bleuse, présenté au Colloque de Brangues de 1985, en précisant : "La psalmodie se réfère aux moines (ceux de Solesmes en particulier), le récit ayant une référence à la Grèce et à Monteverdi, et le chanté une référence à Puccini [...]. Cette idée de mélanger pour L'Annonce ces trois types d'art vocal me paraît d'un heureux effet". Marc Bleuse lui-même nous a confirmé son désir de mettre ce projet à terme, en utilisant des groupes instrumentaux composés d'instruments anciens, en mettant en scène des personnages qui seront pour partie des chanteurs et pour partie des comédiens, et en réunissant des ensembles permettant de mêler voix chantée, voix parlée et récitatif (psalmodie, Sprechtgesang).
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