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Les grands magasins et la modernisation du commerce de détail au xixe siècle
p. 93-112
Texte intégral
1Paris fut, au xixe siècle, la capitale mondiale des grands magasins. Leur triomphe sous le Second Empire a vivement impressionné les contemporains qui y vont vu de grands bazars modernes (Giffard, 1882 ; Zola, 1975 [1883] ; Avenel, 1894). De grandes dimensions, une architecture monumentale, une organisation rationnelle, la théâtralisation de l’offre, des méthodes de vente révolutionnaires, et un nouveau rapport à la marchandise d’une clientèle qui y découvrait les plaisirs du shopping, caractérisent ce nouveau type de magasin qui a été perçu comme l’incarnation de la modernité face à la boutique engluée dans des pratiques d’un autre âge. Le grand magasin, cependant, n’est pas né de rien, mais est issu d’un monde du commerce où certes dominaient des pratiques et des représentations très traditionnelles mais où, aussi, des commerçants dynamiques innovaient pour attirer le client et accroître les ventes. Du reste, dans la plupart des cas, le grand magasin a commencé sa carrière comme magasin de nouveautés. Par ailleurs, la fascination pour les grands magasins qui, comme le Bon marché, le Louvre ou le Printemps, s’adressaient à une clientèle aisée à qui ils vendaient comptant des articles donnant accès au mode de vie de la bourgeoisie, a fait oublier qu’il existait aussi des maisons spécialisées dans la vente à crédit aux classes populaires dont le plus fameux, les Grands Magasins Dufayel, était pourtant une institution parisienne.
2Appuyée sur les travaux existants1 dont elle s’efforce de faire la synthèse, l’étude du grand magasin se déploie dans quatre directions : d’abord, les formes commerciales qui l’ont précédé et ont préparé son apparition ; ensuite, sa naissance en centrant l’analyse sur Au Bon Marché qui en constituait en quelque sorte l’archétype et servit de modèle à Zola pour Au Bonheur des Dames ; puis l’expansion des grands magasins à la Belle Époque ; et, enfin, les traits spécifiques des magasins populaires.
I. La préhistoire du grand magasin
3Dans la première moitié du siècle, le dynamisme commercial qui éclatait de tous côtés était soutenu par la disparition des corporations qui favorisait l’initiative individuelle, l’expansion de la consommation et une urbanisation en plein essor. C’est dans ce contexte que la boutique s’est transformée en renouvelant son décor, ses méthodes de vente et son offre de produits (Démier, 2017, p. 53), mais aussi que se sont développées des formes inédites de commerce concentré : passages couverts, grands bazars et magasins de nouveautés.
4Implantés sur la rive droite, à proximité des grands boulevards, les passages couverts ont été bâtis par des investisseurs qui ont pris pour modèle les anciennes galeries du Palais-Royal (Benjamin, 1989, p. 35-37 et 65-87 ; Delorme et Dubois, 1996 ; Moncan, 2002 ; Lenoir et Gribaudi, 2013). On connaît la description qu’en faisait en 1852 le Guide illustré de Paris, citée par Walter Benjamin dans son Paris. Capitale du xixe siècle et tant de fois commentée :
Récente invention du luxe industriel, [ils] sont des couloirs au plafond de verre et aux entablements de marbre, qui courent à travers des blocs entiers d’immeubles dont les propriétaires se sont solidarisés pour ce genre de spéculation. Des deux côtés du passage qui reçoit sa lumière d’en haut, s’alignent les magasins les plus élégants, de sorte qu’un tel passage est une ville, un monde en miniature (Benjamin, 1989, p. 65).
5Ces « palais marchands » (Balzac) attiraient les clientèles riches et dépensières : on y allait pour se promener, acheter, se distraire, se montrer. Tous les guides de Paris les signalaient : en les faisant accéder au statut de lieux remarquables, ils les ont intégrés aux itinéraires touristiques de la capitale en associant découverte de curiosités et plaisir des achats dans une ville qui était au centre du commerce de luxe européen. Intégrant les innovations du siècle précédent, ils ont créé un espace commercial nouveau dans lequel Benjamin a vu une des expressions majeures de la modernité parisienne. Conçus par des architectes qui utilisaient des matériaux nouveaux (fer, fonte et verre), dotés d’entrées monumentales à pilastres et frontons qu’une grille fermait la nuit, couverts d’une verrière qui déversait une lumière abondante, décorés dans un style néoclassique et éclairés au gaz, les passages rassemblaient de nombreuses boutiques (70 dans celui de l’Opéra) qui vendaient des produits de luxe (ou de demi-luxe) – articles de mode ou comestibles –, mais aussi des cafés, des restaurants, des librairies, des cabinets de lecture et même des théâtres et des salles de concert. Grâce aux vitrines, magasins, cafés et restaurants s’ouvraient largement sur le passage et à la curiosité du public : d’abord limitée à une simple fenêtre, la vitrine « finit par devenir une grande vitre formant à elle seule la devanture ». Dans le passage, les lumières des boutiques qui restaient ouvertes jusqu’à tard le soir, se conjuguaient avec l’éclairage public : il en résultait une grande intensité lumineuse qui attirait promeneurs et acheteurs (Delattre, 2003, p. 134-137). À l’abri des agitations de la rue, le client pouvait entrer librement dans ces boutiques chauffées, éclairées, ornementées de boiseries et de miroirs, meublées avec élégance, et bien pourvues. Les passages constituaient un monde en miniature, si bien qu’ils « renfermaient la vie publique au lieu de l’extérioriser » (Gaillard, 1976, p. 526). Le premier, le passage Feydeau, a été construit en 1791, mais c’est sous la Restauration et la monarchie de Juillet que les passages connurent leur plus grande vogue (galerie Vivienne en 1823, galerie Colbert en 1826, galerie d’Orléans en 1830, passage Jouffroy en 1847, etc.), si bien qu’on en comptait une centaine vers 1840. Même si on en recensait plus de 150 en 1870, leur déclin avait déjà commencé car les larges avenues d’Haussmann et les grands magasins leur enlevaient leur raison d’être.
6Les bazars représentent un autre chaînon dans le processus de formation du grand magasin, un chaînon dont l’existence a longtemps été ignorée (Péron, 2004, p. 20). Une quinzaine ont vu le jour entre 1820 et 1850, parmi lesquels le Bazar français (1819), le Bazar parisien (1821), le Grand Bazar de Paris (1825), le Bazar de l’Industrie française (1827), le Bazar Bonne-Nouvelle (1838) ou le Bazar des Ménages (1843). On ne connaît ces « agglomérations de marchandises » (Larousse) qu’à travers l’histoire du Bazar Bonne-Nouvelle étudiée par Luc Marco (Marco, 2009, p. 14, 38, 58-59, 65, 107-115, 294-295). Il a été édifié sur le boulevard du même nom, à l’initiative d’un industriel du fer, André-Martin Labbé, qui souhaitait créer un « bazar de quartier » pour permettre aux ménagères de se procurer « tout ce qui est nécessaire aux besoins journaliers de la vie » en économisant temps et argent. L’ensemble était imposant : façades de pierre ornées d’ordres superposés et percées de larges baies cintrées, architecture métallique, trois galeries parallèles sur trois étages, éclairage au gaz et 300 boutiques en location. On y vendait des comestibles, des ustensiles de ménage, de la quincaillerie, des meubles, des tissus, de la bonneterie et de la lingerie. On trouvait également dans les étages un cabinet de lecture, des salles de réunion, de spectacle et d’exposition, un café et un restaurant. En somme, le Bazar Bonne-Nouvelle associait galeries marchandes et équipements culturels. L’insuffisance des capitaux propres, la gestion compliquée d’un ensemble de boutiques indépendantes, et une faible rentabilité expliquent les difficultés du Bazar Bonne-Nouvelle et son évolution vers une autre forme d’organisation réunissant en 1863 les nombreuses petites boutiques en une seule entreprise, sous une nouvelle raison sociale : À la Ménagère. Par leur polyvalence et leur architecture monumentale, les bazars ont préparé la voie au grand magasin.
7Les magasins de nouveautés constituent une forme concentrée et modernisée de commerce qui préfigure les grands magasins (Juilliard, 1997, p. 46, 50-51, 58-59, 81-88, 93-98, 101, 271, 209-210, 216, 224-225 ; Tétart-Vittu, 1992, p. 18-19, 22-27 et 53-54 ; Tétart-Vittu, 2000, p. 295-314). Ce n’est qu’à partir de 1841 que les almanachs parisiens distinguèrent systématiquement les marchands de nouveautés des autres marchands de tissus dont ils se différenciaient en vendant plusieurs types de marchandises, ce que la loi les a autorisés à faire en 1844 moyennant le paiement d’une taxe. Leurs enseignes (À la Chaussée d’Antin, Au Petit Saint-Thomas, La Fille mal gardée, Aux Trois quartiers, Les Deux Magots, Le Masque de fer, etc.) qui évoquaient leur localisation ou les titres de pièces à succès, ne renseignaient d’ailleurs guère le chaland sur la nature des marchandises vendues. Ces magasins visaient essentiellement une clientèle féminine fortunée pour qui les nouveautés étaient synonymes d’innovation, d’originalité, de mode et de variété. Ils vendaient principalement des tissus, avec une grande diversité de provenances, de qualités, de couleurs et de prix, mais aussi des châles, des chapeaux, des gants, des bas, de la lingerie, et de la mercerie, ainsi que des articles de confection. Leur prolifération a coïncidé avec l’accroissement de la consommation vestimentaire et une forte poussée des industries textiles les plus dynamiques – coton, laine, soie – qui ont progressé au rythme de 2,3 % par an entre les années 1830 et 1870 (Caron, 1995, p. 125-138). Si certains, comme le Tapis Rouge ou le Petit Dunkerque, dataient de la fin du xviiie siècle, c’est à partir des années 1830 que leur nombre s’accrut vigoureusement : 300 en 1830, 504 en 1841 et 1 346 en 1862. Ils étaient majoritairement implantés sur la rive droite, et rive gauche, c’est la rue du Bac qui en concentrait le plus : 98 en 1865. La plupart n’employaient qu’une trentaine de commis, mais les plus grands en avaient plus de 100 dès les années 1850. Les marchandises étaient exposées au regard du promeneur dans des vitrines bien éclairées qui ont émerveillé Balzac qui, dans César Birotteau, décrivait ainsi le Petit Matelot :
[…] le premier des magasins qui depuis se sont établis dans Paris avec plus ou moins d’enseignes peintes, banderoles flottantes, montres pleines de châles en balançoire, cravates arrangées comme des châteaux de cartes et mille autres séductions commerciales : prix fixes, bandelettes, affiches, illusions et effets d’optique sont portés à un tel degré de perfectionnement que les devantures de boutiques sont devenues des poèmes commerciaux (Balzac, 1977, p. 59).
8Le magasin était organisé en galeries et chaque spécialité (indiennes, soieries, dentelles, etc.) avait son comptoir (il y en avait 21 au Petit Saint-Thomas). Les clients étaient accueillis dans un cadre confortable et élégant (velours, soie, cristal, cuivre, etc.) par un personnel poli et attentif qui ne forçait pas la vente. Les magasins de nouveautés se distinguaient par une nouvelle politique commerciale dont le Petit Saint-Thomas, fondé en 1810 par Simon Mannoury à l’angle des rues du Bac et de l’Université, a été le laboratoire mais que tous ont peu ou prou adoptée car les idées nouvelles étaient dans l’air : entrée libre (donc sans obligation d’achat), prix fixe et affiché (ce qui faisait disparaître le marchandage), paiement comptant, expositions périodiques, soldes, rendus, envoi d’échantillons, vente par correspondance, et publicité. Bien plus, le grand principe du commerce moderne : « Gagner peu sur chaque article pour vendre beaucoup », était admis par les plus novateurs. Ces magasins diffusaient des catalogues, le plus ancien connu ayant été édité par le Petit Saint-Thomas en 1844, des prospectus commerciaux ou des tarifs, et faisaient de la publicité dans les journaux. Sous le Second Empire, les magasins les plus importants ont multiplié les agrandissements et les embellissements, si bien qu’on parlait à leur propos de « magasins monstres ». C’est ainsi que le Coin de Rue qui s’est agrandi en 1864 – six étages, 33 galeries et plus de 6 000 mètres carrés –, employait 250 commis et réalisait pour 14 millions de francs de chiffre d’affaires.
9Les continuités sont évidentes entre le magasin de nouveautés et le grand magasin mais, qu’il s’agisse de la surface de vente, des effectifs du personnel, du nombre de clients ou du chiffre d’affaires, le second marque un changement d’échelle radical qui correspond à un élargissement sans précédent de la clientèle qui, initialement limitée aux classes supérieures, s’étend jusqu’à englober les classes moyennes. La révolution commerciale qu’il a incarnée est indissociable du développement du chemin de fer, de l’industrialisation de la fabrication de nombreux produits de consommation et des transformations qui s’opéraient dans le Paris d’Haussmann dans un climat de fièvre bâtisseuse et de spéculation immobilière bien rendu par Zola dans La Curée. Le percement de larges avenues bordées de vastes trottoirs, la mise en relation directe des gares ferroviaires avec le cœur de la capitale, et l’amélioration de la circulation intra-muros grâce à des compagnies de transport hippomobile, autant de bouleversements qui ont donné naissance à un Paris foncièrement différent de celui de 1850 et qui ont modifié profondément le mode de vie des Parisiens, désormais pris dans de nouvelles relations spatiales et des circulations plus rapides (Caron, 1995, p. 41-46 ; Harvey, 2012 [2006], p. 173-187).
II. La naissance des grands magasins
10Les premiers grands magasins naquirent à Paris sous le Second Empire : Au Bon Marché en 1852, le Louvre en 1855, le Bazar de l’Hôtel de Ville en 1856, la Grande Maison du Blanc en 1864, le Printemps en 1865 et la Samaritaine en 1869. Pierre Léon a résumé d’une phrase l’importance d’un phénomène qui a fait faire un pas décisif à la concentration du commerce de détail :
Créés et développés par de rudes travailleurs, anciens employés de commerce, doués d’un sens aigu des affaires et de capacités d’organisation hors pair, les Boucicaut, les Chauchard, les Jaluzot, les Cognacq, aidés souvent avec efficacité par leurs épouses, ils se présentent comme de grandes entreprises capitalistes, parfois appuyés par de puissants groupes financiers (Léon, 1976, p. 288-289).
11Malgré la diversité des trajectoires de leurs fondateurs, ces magasins se ressemblent tous par la conception, les dimensions, l’architecture, l’organisation et les méthodes de vente. De plus, Jeanne Gaillard a raison de souligner « à quel point le grand magasin est à cette époque un phénomène parisien » car il « n’y a pas de ville en France capable d’offrir de population et de richesse suffisantes pour justifier ce type de commerce » (Gaillard, 1976, p. 525).
12L’étude pionnière que Michael B. Miller a consacrée au Bon Marché (Miller, 1987 [1981]) permet de décrire l’organisation, le fonctionnement et la dynamique de développement de ce type de magasin (voir aussi Gaillard, 1976, p. 525-558 ; Bergeron, 1983, p. 255-269 ; Nord, 1986, p. 60-82 ; Zola, 1986, p. 145-233). L’histoire du Bon Marché est indissolublement liée à celle de son fondateur, Aristide Boucicaut (Yvard, 2010, p. 10-19). Né en 1810 à Bellême, dans le Perche, c’était le fils d’un marchand chapelier ; après des études aux « petites écoles », il apprit les rudiments du métier dans la boutique paternelle, avant de se livrer au commerce ambulant pendant sept ans ; arrivé à Paris vers 1835, il devint « calicot » au Petit Saint-Thomas où il gravit tous les échelons jusqu’à devenir chef du comptoir des châles. En 1848, il entra au Bon Marché, rue de Sèvres, avant de s’associer en 1852 avec ses patrons, les frères Paul et Justin Videau et, finalement, de racheter leurs parts en 1863 et de donner un grand essor au magasin. S’il reproduisait, mais à une autre échelle, le modèle économique des magasins de nouveautés où il a commencé sa carrière, Boucicaut se distinguait par son aptitude à saisir les opportunités commerciales, le sens de l’organisation et le goût des relations publiques.
13Les locaux du Bon Marché, quoiqu’agrandis grâce à l’acquisition des boutiques voisines, devinrent rapidement trop petits. En 1869, Boucicaut entreprit donc la construction d’un magasin plus vaste et fonctionnel selon les plans tracés par l’architecte Alexandre Laplanche ; les travaux ayant été rondement menés, il fut inauguré en avril 1872. Mais l’extension de l’activité du magasin imposa de nouveaux agrandissements dont la direction fut confiée à Louis-Auguste Boileau, spécialiste de l’architecture métallique, lesquels ont été achevés en 1887, le magasin offrant désormais l’aspect que nous lui connaissons aujourd’hui (Mercier, 1985, p. 3-4). Ses dimensions – cinq niveaux sur un immense quadrilatère de 52 000 mètres carrés –, son architecture – une façade décorée de statues, des toits surmontés de coupoles, d’immenses vitrines, des colonnes métalliques qui donnent une impression d’espace et de lumière et trois grands escaliers majestueux – et un décor somptueux émerveillèrent les contemporains. De plus, le magasin a contribué à remodeler l’espace et l’identité du quartier car les nouvelles rues qui le bordaient « se transformèrent rapidement en territoire réservé aux classes aisées de la population » (Péron, 2004, p. 23).
14Au Bon Marché a repris les méthodes de vente qui avaient fait le succès des magasins de nouveautés et auxquelles la clientèle était habituée. Toute son organisation commerciale était subordonnée à un principe essentiel : la vitesse de rotation des stocks et donc des capitaux. Pour que les marchandises tournent trois à quatre fois dans l’année, il fallait vendre beaucoup, et pour cela vendre moins cher en s’approvisionnant directement à des prix spéciaux chez les producteurs et en réduisant fortement la marge bénéficiaire (15 à 20 % contre 30 à 40 % dans le petit commerce). Il fallait aussi attirer des clientèles de plus en plus étendues en élargissant et en diversifiant sans cesse l’offre de produits, ainsi qu’en stimulant les ventes par l’organisation d’« expositions » comme le mois du blanc en février (le premier eut lieu en 1868), la vente par correspondance qui s’est développée à partir de 1871 grâce à l’essor du chemin de fer (elle représentait environ 15 % du chiffre d’affaires), et la multiplication des services à la clientèle (livraison gratuite à domicile, envoi de catalogues). La présentation des produits a également contribué à dynamiser les ventes : au contraire des boutiques traditionnelles où il fallait demander à les voir, le grand magasin les exposait : les murs et les piliers étaient transformés en présentoirs, les tissus tombaient en cascade des balustrades des étages supérieurs et les articles les plus divers étaient entassés sur les comptoirs. Le visiteur était d’autant plus impressionné par la surabondance des marchandises que l’espace du magasin était totalement décloisonné (Whitaker, 2011, p. 202 et 207). C’est dans ce cadre nouveau que s’est inventé le shopping moderne, le grand magasin donnant aux clients – dans les années 1880, 90 % étaient des femmes – la possibilité de circuler librement dans les rayons, de manipuler les articles et de s’informer auprès des vendeurs sans obligation d’achat, si bien qu’il était considéré comme un espace public où l’on pouvait flâner (Whitaker, 2011, p. 64). La publicité (annonces dans la presse, envoi massif de prospectus, de catalogues et d’échantillons, affiches, etc.) qui a également joué un rôle actif dans la transformation des comportements des consommateurs, n’a cessé d’être perfectionnée. Il faut souligner en particulier le rôle des catalogues : d’une part, la direction publiait tout au long de l’année des catalogues spécialisés correspondant à un rayon ou à un événement (les soldes, les ventes-réclames, etc.) et, de l’autre, des catalogues qui, deux fois par an, en mars et en septembre, présentaient une large sélection de l’offre sous le titre « Exposition générale » (Brachet Champsaur, 2018, p. 132). Par ailleurs, leur évolution mérite d’être soulignée : d’abord simples listes de produits et de prix à la couverture grisâtre médiocrement illustrée, l’usage croissant du dessin et de la couleur les a rendus de plus en plus attrayants (Mercier, 1985, p. 6). L’organisation et la gestion même du magasin contribuaient à la croissance continue du chiffre d’affaires en encourageant l’individualisme, l’esprit d’initiative et la compétition : le magasin était divisé en rayons quasi autonomes dont les chefs étaient responsables des achats et de la gestion, leur rémunération dépendant largement de l’accroissement du chiffre d’affaires du rayon, alors que les vendeurs, strictement hiérarchisés, recevaient une commission sur les ventes (la guelte) qui, en moyenne, doublait le salaire de base (Miller, 1987, p. 78-79). Le succès de ces méthodes explique la forte progression du chiffre d’affaires qui est passé de 452 000 francs en 1852 à 7 millions en 1863, puis 21 millions en 1869 pour atteindre 72 millions en 1877, à la mort de Boucicaut.
15Au début, Au Bon Marché vendait exclusivement des nouveautés, autrement dit des tissus et des articles de Paris (châles, chapeaux, gants, bas, rubans, dentelles, etc.). Toutefois, loin de s’enfermer dans sa spécialisation initiale, il diversifia son offre. Tout d’abord, il étendit progressivement la gamme de ses produits en vendant des tapis, des meubles, des articles de voyage, de la parfumerie, de la papeterie et des jouets, si bien que le nombre de rayons monta de quatre en 1848 à trente-six en 1882. L’autre grande innovation fut l’introduction des vêtements de confection. Pour les fabriquer, la direction du Bon Marché mit en place au sein du magasin à partir des années 1860 ses propres ateliers et, simultanément, sous-traitait une partie de la fabrication à l’extérieur. C’est ainsi que, à la fin des années 1880, les costumes pour dames occupaient 200 ouvrières dans les ateliers du magasin et 1 400 dans des ateliers extérieurs, les confections pour dames 80 personnes sur place et 1 100 ouvriers et ouvrières dans 75 ateliers au-dehors, les vêtements pour hommes et garçonnets 80 à l’intérieur et 600 au-dehors, le linge de maison et de table ainsi que les chemises étaient coupés sur place et expédiés à des entrepreneurs à Paris et en province qui faisaient travailler 15 750 ouvriers et ouvrières, la couture se faisant à la main (Flavien, circa 1890 , p. 28-29). Néanmoins, il ne faut pas exagérer l’importance des ventes d’articles de confection dont le développement était freiné par le retard de l’industrie du vêtement et l’attachement de la clientèle féminine à une fabrication très personnalisée et à la main réalisée par des couturières dont les effectifs ont explosé pendant la période : au Louvre, au moment de l’enquête de Zola en 1882, le chiffre d’affaires de la confection, toutes étoffes confondues, était seulement 10 millions quand les ventes du seul comptoir des soieries s’élevaient à 15 millions !
16Le bon marché affiché par les grands magasins ne doit pas tromper : si l’augmentation de la taille des établissements, l’approvisionnement direct chez les fabricants et la rotation rapide des stocks leur permettaient de réduire la marge bénéficiaire et donc de vendre moins cher que les boutiques traditionnelles, leurs prix restaient malgré tout relativement élevés et, de plus, la vente au comptant rendait leurs articles inaccessibles à la clientèle populaire. Au témoignage de Jules Vallès (1883), les femmes du peuple ne pouvaient « toucher au fruit défendu » que grâce aux étals disposés aux entrées des magasins où s’entassaient des marchandises à prix d’appel (Péron, 2004, p. 104). En fait, les grands magasins s’adressaient presque exclusivement à une clientèle bourgeoise en mettant à sa portée des biens autrefois réservés aux plus riches : en abaissant les prix, ils les transformaient en objets courants de bonne qualité ou de demi-luxe. L’éventail de prix y était très large : en 1866, le Bon Marché proposait des châles dont le prix variait de 59 à 750 francs, ce qui lui permettait de toucher toutes les fractions de la bourgeoisie. En somme, « le grand magasin [était] en train de déplacer vers le bas la coupure sociale et d’unifier par en haut les classes supérieures de la société urbaine auxquelles il [imposait] une mode et des goûts analogues » (Gaillard, 1985, p. 543).
17Fascinés par l’extraordinaire réussite de ces bazars modernes, les contemporains l’ont expliqué en associant l’efficacité de leur politique commerciale et la vulnérabilité des femmes aux tentations auxquelles ils les soumettaient. La faiblesse psychologique des clientes était un thème central de la littérature contemporaine. Dans Au Bonheur des dames, Zola en donnait une formulation particulièrement forte. Il y décrivait la faiblesse de la cliente du grand magasin agissant sous la pulsion de désirs irrésistibles, manipulée par les nouvelles techniques commerciales (publicité, étalages, occasions, ventes spéciales, soldes, etc.), et perdant jusqu’au contrôle d’elle-même, ce qui serait à l’origine de l’essor de la kleptomanie. C’est ainsi que, démontant « le mécanisme du grand commerce moderne » qui repose sur « l’exploitation de la femme », Zola expliquait :
C’était la femme que les magasins se disputaient par la concurrence, la femme qu’ils prenaient au continuel piège de leurs occasions, après l’avoir étourdie devant leurs étalages. Ils avaient éveillé dans sa chair de nouveaux désirs, ils étaient une tentation immense, où elle succombait fatalement, cédant d’abord à des achats de bonne ménagère, puis gagnée par la coquetterie, puis dévorée (Zola, 1975, p. 223).
18Cependant, le roman vaut moins par l’analyse de la psychologie qu’il attribue aux femmes, en fait un condensé de stéréotypes qui doivent beaucoup à une médecine qui croyait pouvoir expliquer les phénomènes sociaux par la physiologie, qu’à la description réaliste de la vie des grands magasins.
19Un cadre monumental et théâtral, l’accumulation de marchandises qui donnait une impression de profusion et de richesse, la transformation du magasin en lieu de culture et de divertissement par l’organisation d’expositions et de concerts, le mouvement incessant de milliers d’employés et la foule sans cesse renouvelée de clientes élégantes – tout contribuait à faire du Bon Marché, selon Michael B. Miller, « une fête permanente, une institution, un monde fantastique, un extraordinaire grand spectacle où l’on se [rendait] pour participer à un événement, à une aventure » (Miller, 1987, p. 156). Après lui, nombre d’historiens ont développé l’idée que les clients du grand magasin participaient à une « expérience totale ». Seul Geoffrey Crossick a contesté cette vision des choses qui se fonde en fait sur l’image que les grands magasins voulaient donner d’eux-mêmes, souvent reprise d’ailleurs par leurs détracteurs, à l’instar de Zola qui n’hésitait pas à comparer le grand magasin à une église où s’organisait le culte de la consommation. En réalité, ce discours sur le grand magasin comme « fête permanente », « monde fantastique » et « aventure » qui fait écho à la rhétorique publicitaire de ces bazars modernes – tout est gigantesque, unique, merveilleux dans ces magasins qui forment un monde à part – ne nous apprend absolument rien sur les attitudes et les comportements effectifs des acheteurs qu’on néglige d’étudier. Se fondant sur le cas de Jeannette Marshall, une jeune londonienne vivant dans un milieu de professions libérales dans les années 1870 et 1880, Crossick montre que chez Harrods, Wakerford’s ou Libertys, elle se comportait toujours en « acheteuse sérieuse, habile, attentive » qui « connait très bien la qualité, les prix et la mode qu’elle pouvait attendre de chaque maison » et ne semblait guère vulnérable aux séductions trompeuses du grand magasin, avant de conclure : « Pour Jeannette Marshall, l’expérience totale n’existait pas » (Crossick, 2000, p. 486-487). Malheureusement, on ne dispose pas de ce côté-ci de la Manche d’un journal intime comparable à celui tenu par Jeannette Marshall qui y notait le détail de ses visites aux grands magasins londoniens, mais il n’y a pas de raison de penser que le comportement des consommatrices françaises fut très différent.
III. L’âge d’or des grands magasins
20Le développement des grands magasins qui, entre 1880 et 1914, ont connu un véritable âge d’or est indissociable de l’élévation du niveau de vie et de l’élargissement de la consommation à de nouveaux objets et à de nouvelles clientèles. Les magasins créés à Paris sous le Second Empire voient alors leurs ventes s’envoler : au Bon Marché, elles se sont élevées de 72 millions en 1877 à 240 en 1913, au Louvre de 100 millions en 1885 à 152 en 1910, à la Samaritaine de 2 millions en 1877 à 110 en 1910, et aux Galeries Lafayette de 6,7 millions en 1900 à 148,4 en 1914. Ce changement d’échelle s’est accompagné de la disparition de nombreux magasins de nouveautés nés pendant la première moitié du siècle qui n’ont pas réussi à s’adapter à la nouvelle donne (Aux Villes de France en 1874, Au Pauvre Diable en 1879, Au Coin de Rue en 1880, Les Deux Magots en 1881, À la Ville de Paris en 1882, etc.). Au tournant du siècle, on assiste à une dernière vague de créations de grands magasins à Paris, les Galeries Lafayette fondées par Théophile Bader et Alphonse Kahn en 1893, et le Grand Bazar ouvert rue de Rennes en 1906. La réussite des Galeries Lafayette fut particulièrement spectaculaire, leur chiffre d’affaires bondissant de 6,7 millions en 1899 à 148,4 en 1913 ! Malgré leur essor impressionnant, les grands magasins ne représentaient encore que 17 % des ventes du commerce parisien. En province, où leur implantation a été beaucoup plus tardive, leur part dans le chiffre d’affaires du secteur était vraisemblablement bien moindre.
21Sans être vraiment nouveaux, plusieurs traits s’affirmèrent après 1880 : la diversification de l’offre commerciale, la vente par correspondance, la publicité et les services à la clientèle (salons d’essayage, cabinets de toilette pour dames, buffets offrant rafraîchissements et biscuits, salons de lecture et de correspondance, etc.). Agrandis par étapes et embellis, ces magasins utilisaient tous les progrès techniques – béton armé, ascenseurs, escaliers roulants, éclairage électrique, verre plat de grande surface pour les vitrines, téléphone, tubes pneumatiques, caisses enregistreuses (Pasdermadjian, 1949, p. 8 et 22-25) –, alors que la coupole, le hall central éclairé par une verrière, l’escalier à trois volées, les charpentes métalliques aux allures de dentelles de fer, et les vitrines ouvrant sur la rue, étaient systématisés jusqu’à devenir des éléments caractéristiques de leur architecture.
22À Paris, selon du Maroussem, on comptait plus d’une trentaine de grands magasins en 1893. Il en résultait un climat de concurrence aiguë dans lequel les enseignes « rivalisaient sur les prix et s’affichaient comme les moins chères de la capitale ». C’est ainsi qu’Au Bon Marché proclamait qu’il pratiquait « les prix les plus bas », quand le Louvre prétendait vendre « tout plus élégant et meilleur marché qu’ailleurs », et les Galeries Lafayette se voulaient « la maison qui vend le meilleur marché de tout Paris ». En réalité, malgré cette commune revendication du prix le plus bas, il existait entre toutes ces maisons de fortes différences de prix dont Florence Brachet Champsaur donne quelques exemples particulièrement illustratifs : en 1904, un paletot en loutre se vendait 375 francs aux Galeries quand il n’en valait que 290 au Bon Marché, et un saut du lit orné de dentelles était affiché à 35 francs chez le premier et 29 chez le second ; toujours en 1904, un boléro en astrakan oscillait entre 500 francs aux Galeries Lafayette et 390 francs au Louvre, et un costume tailleur entre 195 et 150 francs (Brachet Champsaur, 2018, p. 92-105). L’importance de ces écarts de prix signale que les grands magasins parisiens visaient en réalité des clientèles différentes. On sait cependant peu de choses de la segmentation de la clientèle, mais elle était évidente pour les contemporains. C’est ainsi que, en 1882, lorsqu’il enquêtait pour préparer Au Bonheur des dames, Zola avait noté :
Les femmes chics, le grand monde achète au Bon Marché le linge et les choses de ménage, et les articles de coquetterie au Louvre. Le Louvre est plus coquet et plus cher. Cocottes au Louvre. Le Bon Marché sent un peu la province (Zola, 1986, p. 223).
23D’après une étude comparative réalisée en 1913, la vente au comptant restait la règle à Paris quand, à Berlin, au contraire, le crédit à la consommation était largement pratiqué (Brachet Champsaur, 2018, p. 98). Néanmoins, « se sentant débordés par la marée montante des magasins de crédit », certains magasins parisiens à l’instar du Petit Saint-Thomas ou d’À la Place Clichy, acceptaient de vendre à crédit (Couture, 1904, p. 85-86), dans certaines circonstances, mais sans en faire la publicité. Le paysage commercial avait en effet été bouleversé par le développement des grands magasins populaires qui vendaient à crédit mais qui, à l’exemple des Grands Magasins Dufayel dont l’organisation et le fonctionnement sont analysés plus loin, ne s’adressaient pas seulement aux classes populaires comme on le croit généralement mais cherchaient également à conquérir la clientèle plus aisée des classes moyennes. La brochure Une visite aux grands magasins Dufayel, éditée en 1913, ne proclamait-elle pas que la maison s’adresse « à toutes les classes de la société »2? Surtout, ses collections proposaient des articles que leur fonction, leur style et leur prix réservaient à une clientèle de classes moyennes3. Il suffit de feuilleter le catalogue de 1900 pour constater que Dufayel vendait de nombreux articles qui n’étaient pas destinés aux classes populaires, ni même à la petite bourgeoisie : articles de voyage et de sport, orfèvrerie, bronzes d’art, baignoires, cristallerie et matériel de photographie. En 1905, ne trouvait-on pas dans le catalogue une chambre à coucher Louis XV en palissandre au prix de 1 455 francs, soit huit fois plus cher que celle en pitchpin vendue 175 francs et clairement destinée à une clientèle populaire, ou un bureau Louis XVI en vieil acajou et cuivre (bibliothèque à colonnes, bureau, cartonnier, fauteuil à garniture cuir) vendu 1 295 francs4 qui n’avait évidemment pas sa place dans un intérieur ouvrier ? Au demeurant, Dufayel ne vendait-il pas jusqu’à des automobiles (Couture, 1904, p. 77) ? Une large gamme de prix et la vente à crédit donnaient aux classes moyennes la possibilité de s’équiper en imitant la bourgeoisie. C’est d’ailleurs ce que Crespin, le fondateur de ce qui va devenir les Magasins Dufayel, affirmait dès 1879 dans un guide de Paris où il présentait son magasin :
Pourquoi tant de ménages, d’artistes, d’hommes de lettres et de journalistes viennent-ils se fournir et se meubler chez Crespin ? C’est qu’ils trouvent à crédit chez Crespin les mêmes objets que dans les premiers magasins de Paris, où ils sont obligés de payer comptant (Centorame, 2006, p. 82).
24C’est dire que les grands magasins bourgeois du type du Louvre ou du Bon Marché n’ont pas été les seuls vecteurs de la démocratisation de la consommation mais que les maisons de vente à crédit comme les Grands Magasins Dufayel ou le Bon Génie, qui n’étaient pas réservés à la seule clientèle populaire, ont joué dans ce processus un rôle bien plus actif qu’on ne le pense généralement.
25Des grands magasins avaient été créés en province dès les années 1860 et 1870, mais on a assisté à une nouvelle vague de créations dans les années 1890 : le Grand Bazar à Lyon en 1886 (Beau, 2001), les Galeries à Amiens, Rouen et Montpellier en 1893, les Grands Bazars réunis à Bordeaux en 1894, les Nouvelles Galeries à Besançon en 1904. De plus, la société Paris-France créée en 1898 par les frères Gompel et dont le siège était à Bordeaux, a implanté partout (Toulouse, Bordeaux, Agen, Bourges, Angers, Toulon, etc.) des magasins à l’enseigne Aux Dames de France. Dans les petites villes, pour compenser les inconvénients de l’étroitesse de la clientèle, les grands magasins qui n’étaient que de gros magasins de nouveautés se transformèrent souvent en succursales de maisons importantes implantées dans les grandes villes. De leur côté, les magasins parisiens formaient avec les succursales ouvertes en province de véritables chaînes avec une direction unique et un service d’achat commun (Pasdermadjian, 1949, p. 26). Les Galeries Lafayette n’en comptaient pas moins de 16 en 1916. En 1912, le Printemps implantait son premier magasin de province à Deauville où il n’était ouvert que de Pâques à l’automne lorsque l’élégante station de bord de mer accueillait la clientèle huppée qui venait de Paris (Caracalla, 1989, p. 85). Constatant que « le besoin d’établissements de ce genre se fait sentir un peu partout en province », le Journal de Géographie industrielle et commerciale affirmait que le modèle parisien était partout copié : on ne vendait pas seulement des tissus et des vêtements, et les magasins possédaient souvent leurs propres ateliers de confection. À Besançon, en 1895, le Bon Marché comptait 22 rayons où on trouvait « tout ce qui est nécessaire, utile et agréable dans l’existence », depuis les soieries jusqu’aux meubles5. Certes, dès le Second Empire, les grands magasins parisiens drainaient les élégantes de province qui allaient s’approvisionner dans la capitale et la vente par correspondance leur permettait d’étendre leur clientèle provinciale, mais avec l’ouverture de grands magasins dans un grand nombre de villes de province, le phénomène changea d’échelle : ils étaient, jusque dans les villes moyennes, les agents de la diffusion d’un mode de consommation resté jusqu’alors l’apanage de la bourgeoisie et des classes moyennes parisiennes. C’est tout le mode de vie des villes de province qui s’en est trouvé bouleversé.
26La publicité a joué un rôle essentiel dans l’expansion du grand magasin. Campagnes publicitaires annonçant les ventes spéciales qui rythmaient la vie du magasin (soldes en décembre, blanc en janvier, gants et dentelles en février, nouveautés en mars, etc.), envoi de catalogues en province et à l’étranger (au Bon Marché, 1 500 000 pour la saison d’hiver 1894), cartes postales décrivant une journée au grand magasin, agendas illustrés, annonces dans les journaux, affiches – autant de moyens pour promouvoir tout à la fois l’image du magasin, les produits qu’il vend et le style de vie auquel il s’identifie. Les catalogues représentaient la plus grande part – 60 % en 1911 – d’un budget publicité en forte progression, le reste se répartissant entre les encarts dans la presse et l’affichage (Brachet Champsaur, 2018, p. 132).
27Les grands magasins ont poursuivi et amplifié la politique de diversification de l’offre inaugurée à la période précédente. C’est ainsi que, en 1895, le Bon Marché proposait plus de 200 produits différents. Suivant l’évolution des mœurs bourgeoises, il compléta son offre en ajoutant les tenues cyclistes dans les années 1890, les manteaux pour automobilistes dans les années 1900, et en 1913, il publiait un catalogue de 50 pages intitulé « Vêtements et articles pour le Voyage et l’Automobile, Bicyclettes et accessoires assortis, Jeux de Plein Air, Sports » (Miller, 1987, p. 48-50 et 170-171). La diversification fut encore plus rapide aux Galeries Lafayette : alors que, en 1899, après cinq années d’exploitation, le magasin ne comptait encore que neuf rayons, tous consacrés à l’équipement de la personne (soieries, rubans, lingerie, dentelles, parfumerie, etc.), il en avait 86 en 1906 (meubles, bijoux, jouets, tapis, maroquinerie, etc.), 93 en 1908 (articles de ménage et d’éclairage, papeterie, porcelaines, etc.), et 108 en 1913 (photographie, vêtements de travail, chaussures de sport, etc.) [Brachet Champsaur, 2005, p. 24-26]. C’est dire que, à la veille de la guerre, il n’y avait plus guère de produits de consommation que les grands magasins ne vendaient pas car c’est tout l’art de vivre bourgeois qui avait été transformé en marchandises et rendu ainsi accessible aux classes moyennes.
28La démesure de ces « palais babyloniens » (Zola), l’infinie variété des produits qu’on y trouvait, les séductions de la publicité et la théâtralisation de l’offre attiraient une clientèle de plus en plus nombreuse : au Bon Marché, on enregistrait 10 000 visiteurs par jour dans les années 1880, entre 15 000 et 18 000 dans la décennie suivante, et 70 000 les jours de ventes spéciales (Miller, 1987, p. 51).
IV. Les grands magasins populaires
29Traditionnellement, les classes populaires s’approvisionnaient en vêtements chez les fripiers et en meubles chez les brocanteurs mais, dans la seconde moitié du xixe siècle, leur univers a été bouleversé par l’apparition de formes de commerce modernes : les coopératives de consommation, les magasins à succursales multiples6 et les grands magasins populaires. Toutefois, l’historiographie du commerce les a longtemps ignorées. Ce fut tout particulièrement le cas, jusqu’à une date récente (Albert, 2012), pour les grands magasins populaires vendant à crédit auxquels elle accordait au mieux quelques lignes ou une note de bas de page pour signaler leur existence7, alors même qu’ils ont joué un rôle essentiel dans l’extension de la consommation populaire. Les contemporains, Georges d’Avenel, André Saint-Martin ou Charles Couture, au contraire, en avaient parfaitement conscience mais se sont essentiellement intéressés aux Magasins Dufayel qui étaient les plus considérables.
30À la Belle Époque, les grands magasins vendant à crédit aux classes populaires pullulaient dans Paris : d’après le Bottin du commerce, il y en avait 31 en 1883 et 44 en 1913 ; ils étaient particulièrement concentrés dans le centre de la capitale, à proximité du quartier du Sentier et du faubourg Saint-Antoine (Albert, 2015, p. 196-197). Ils avaient pour nom les Grands Magasins Dufayel, Au Bon Génie, Aux Classes Laborieuses, Aux Phares de la Bastille, Le Pèlerin de Saint-Jacques, Aux Bons Travailleurs, Aux Enfants de la Chapelle, etc. Ces magasins qui vendaient essentiellement des meubles, des objets de la maison, des vêtements et des chaussures, appliquaient certes les mêmes procédés commerciaux que les grands magasins bourgeois, mais ils s’en distinguaient, d’une part, par la pratique de la vente à crédit, et de l’autre, par une offre commerciale adaptée à la clientèle en termes de qualité et de prix, sans qu’on puisse être plus précis faute de disposer de leurs catalogues, à l’exception de ceux de Dufayel.
31Loin de former un monde homogène, les magasins populaires se différenciaient par leurs dimensions, leur style, leur poids économique et leur rayonnement8. Les Magasins Dufayel, les plus grands, étaient les seuls à pouvoir rivaliser avec les grands magasins bourgeois (Avenel, 1901, p. 167-196 ; Saint-Martin, 1900, p. 36-37, 90-95, 123-124 ; Couture, 1904, p. 67-94 ; Beale, 1982 ; Centorame, 2006, p. 81-84 ; Albert, 2012, p. 287-337). Ils avaient été fondés en 1869, au carrefour Barbès-Clignancourt, par Jacques François Crespin (1824-1888), l’inventeur du crédit par abonnement. Ce magasin vendait toutes sortes de marchandises, à l’exception des produits alimentaires et des vêtements, les meubles et l’équipement de la maison représentant l’essentiel de son offre. C’est un de ses anciens commis, Georges Dufayel (1855-1916) qui lui succéda à sa mort en 1888. Nommé directeur en 1880 et associé depuis 1885, il devint le seul propriétaire du magasin en 1890 (Albert, 2015, p. 200). Il acheva les travaux d’agrandissement et d’embellissement commencés par son prédécesseur et multiplia les succursales : on en comptait une quinzaine à la fin du siècle, autour de Paris, en Normandie et dans le Nord (Beale, 1982, p. 19-20). Le magasin constituait le cœur d’un système qui comprenait également une organisation de crédit (l'Administration Dufayel) et une agence de publicité, rachetée en 1887 (l’Affichage national). L’ensemble représentait une puissance considérable dont le chiffre d’affaires s’élevait à plus de 70 millions de francs en 1900 contre 5 en 1880, et le nombre de clients revendiqués à plus de 2 millions dans toute la France, dont 600 000 pour la capitale et sa banlieue (Avenel, 1901, p. 181 ; Saint-Martin, 1900, p. 37).
32Par leurs dimensions, leur architecture et leur décoration, les Magasins Dufayel n’avaient rien à envier aux « cathédrales du commerce » qu’étaient le Bon Marché ou le Louvre : 38 000 mètres carrés de superficie, trois nefs parallèles couvertes d’un vitrage soutenu par des arcatures en fer et reliées par des passages, un immense hall central long de 57,8 m, une décoration opulente, un éclairage dispensé grâce à une usine centrale, un phare électrique visible de partout dans Paris, des escaliers monumentaux, une salle des fêtes de 1 500 mètres carrés ornée d’un vitrail de 500 mètres carrés et éclairée par 580 lustres, une entrée principale avec une façade surmontée d’un dôme et un fronton où le sculpteur Dalou avait représenté « le Progrès entraînant le Commerce et l’Industrie sous le regard protecteur de la Science et de l’Art » (Centorame, 2006, p. 81-84). De plus, le public trouvait chez Dufayel des distractions instructives ou amusantes : la galerie des styles constituait un véritable musée du meuble, la salle des maquettes présentait les plus beaux monuments des siècles passés, un orchestre symphonique donnait chaque après-midi un concert et, à partir de 1896, il y eut trois ou quatre séances de cinéma chaque jour9. En somme, pour attirer les clients et stimuler l’envie d’acheter, ce grand magasin populaire utilisait les mêmes recettes que les grands magasins bourgeois. Bien plus, ses publicités cherchaient à leur donner l’illusion que la fréquentation de ce palais de la consommation était une marque de bon goût et rapprochait des classes moyennes les classes populaires qui rêvaient de promotion par la consommation (Albert, 2015, p. 209-211), d’autant que la clientèle du magasin était mélangée puisque Dufayel exposait aussi des produits que la fonction, le style et le prix réservaient aux ménages aisés. Enfin, il diffusait de nouvelles valeurs auprès de sa clientèle populaire à qui, par le biais des méthodes de vente, il s’efforçait d’inculquer les vertus d’une vie régulière et économe, et faisait découvrir les plaisirs de la vie familiale dans un chez soi confortable grâce à une offre commerciale qui reproduisait le décor de la vie bourgeoise.
33Le crédit par abonnement, inventé par Crespin, constituait un des piliers du succès du magasin10. C’est grâce au crédit, en effet, que Dufayel pouvait toucher la clientèle populaire dont la capacité d’achat était limitée par la modicité des revenus. Lorsque le magasin lui ouvrait un crédit, l’acheteur s’engageait à le rembourser par des versements échelonnés et égaux, dont le montant et la périodicité étaient fixés d’avance. Cependant, le bon fonctionnement du système dépendant de la solvabilité du client, le contrat ne devenait définitif qu’après enquête auprès du voisinage et de la concierge (le client paye-t-il régulièrement son loyer ?) et accord du Service des renseignements qui, dans ses archives, disposait d’informations sur tous ses clients et d’une liste noire des débiteurs défaillants. Le système originel dans lequel la somme versée en acompte s’élevait à 20 % du crédit accordé, quel que soit le prix du bien acheté, a été remplacé par une échelle graduée : pour un achat inférieur à 50 francs, l’acompte restait fixé à 20 % mais s’élevait avec le prix jusqu’à atteindre 50 % au-dessus de 150 francs, les remboursements hebdomadaires allant de 1 à 3 francs. Dufayel proposait en outre des offres de crédit spéciales pour faire l’acquisition d’une machine à coudre ou d’une bicyclette (Beale, 1982, p. 13). Pour une machine à coudre Davis vendue 205 francs, il suffisait d’un acompte initial de 5 francs, le débiteur devant payer 3 francs chaque semaine pendant 16 mois. Quant à la bicyclette, après un premier versement de 10 %, on payait le reste en une année. Il s’agissait en fait d’un contrat de location-vente où le vendeur qui demeurait propriétaire du bien jusqu’au paiement complet du prix pouvait le reprendre en cas d’interruption des versements tout en gardant les acomptes déjà versés (Bonneff, 1910, p. 56).
34L’employé des magasins Dufayel, « l’abonneur » en langage populaire, visitait régulièrement chaque client pour encaisser les remboursements. Dans ses Confessions, Albert Simonin a bien décrit son passage :
Pour un temps, ma mère cessa de manquer d’argent, et c’est durant cette période qu’elle put enfin acheter les lits métalliques de ses rêves […]. Les grands magasins Dufayel les livrèrent, faisant crédit à la petite semaine, et leur encaisseur […] se présenta dès lors à jour fixe pour recevoir des sommes variables selon les disponibilités du client. Cet homme à sacoche, coiffé d’une casquette portant « Dufayel » en lettres d’or, portait, accroché à sa chaîne de montre, un encrier de bois en forme d’olive allongée […]. Il y trempait une plume qu’il portait sur l’oreille et inscrivait sur le carnet d’abonnement détenu par le débiteur la somme perçue, mais n’acceptait jamais moins d’un franc » (Simonin, 1977, p. 69).
35L’encaisseur qui connaissait bien son quartier, n’ignorait rien des difficultés financières des clients et la maison gérait la relation de crédit avec beaucoup de souplesse. Selon Couture, « on accorde de longs délais de paiement aux clients qui peuvent faire valoir des excuses sincères telles que maladie, femme en couches, chômage prolongé, etc., et jamais les poursuites n’ont lieu avant un délai de six mois et plusieurs avertissements » (Couture, 1904, p. 76). Le rôle de l’encaisseur était aussi de renouveler le crédit en proposant au client, une fois le crédit intégralement remboursé, d’acheter de nouveaux produits. C’est ainsi que, entre juin 1902 et novembre 1911, Émile Martin, employé parisien, a procédé à dix achats à crédit successifs pour un montant total de 625 francs (Albert, 2013, p. 125-136). Tous les ouvriers n’avaient pas accès au crédit par abonnement mais seulement ceux qui bénéficiaient de revenus réguliers et suffisants pour leur permettre de consacrer chaque semaine quelques francs au remboursement d’un crédit destiné à améliorer leur train de vie en achetant des biens durables (Halbwachs, 1914, p. 72).
V. Conclusion
36L’accroissement de la consommation et l’élargissement social des clientèles sont allés de pair avec la modernisation du commerce de détail dont le processus a fait se succéder, avec d’inévitables chevauchements, passages couverts, grands bazars, magasins de nouveautés et grands magasins. Ce mouvement de modernisation qui a vu émerger de nouveaux lieux de commerce, de nouveaux procédés de vente et de nouveaux produits, est en même temps, indissolublement, un puissant mouvement de concentration du commerce qui s’opère à l’initiative de commerçants enrichis, de banquiers et de spéculateurs.
37On constate d’abord, avec les passages couverts et les grands bazars, le regroupement dans un même espace d’un grand nombre de boutiques spécialisées, identiques en fait à celles que l’on trouvait dans les rues voisines, alors que, pour leur part, les magasins de nouveautés réunissaient des spécialités différentes afin de « vendre de tout », la logique même de leur développement les poussant à diversifier toujours davantage leur offre et à accroître les dimensions de leur surface de vente, les plus grands finissant par se confondre avec les grands magasins dont le trait le plus caractéristique est le changement d’échelle. L’apparition de ces magasins monumentaux à la croissance spectaculaire a bouleversé l’organisation du commerce, sans pour autant que leur développement entraînât la disparition annoncée de la boutique traditionnelle qui s’est modernisée jusqu’au plus profond de la province où on a poussé le mimétisme jusqu’à reprendre des noms d’enseignes parisiennes (Gillet, 2015)11.
38Les grands magasins, comme avant eux les magasins de nouveautés, étaient des « théâtres de la représentation bourgeoise » (Péron, 2004, p. 112) caractérisés à la fois par une architecture monumentale, un décor somptueux, le luxe des marchandises et les dépenses élevées réalisées par la clientèle. Cependant, ces magasins n’étaient pas seulement des lieux où s’épanouissaient les conduites ostentatoires des classes supérieures mais aussi où s’opérait l’acculturation des classes moyennes au mode de vie bourgeois car ce qui, au fond, explique le changement d’échelle que représentaient les grands magasins par rapport aux magasins de nouveautés, c’est l’élargissement de leur clientèle de l’aristocratie et de la bourgeoisie aux classes moyennes. L’augmentation de leur niveau de vie et la baisse du prix des articles commercialisés permise par l’industrialisation de la fabrication, ont rendu possible une diversification sans précédent de l’offre de produits et ouvert ainsi aux classes moyennes l’accès à tout l’univers de vie des classes supérieures transformé en marchandises.
39Parallèlement aux grands magasins bourgeois, la période a vu se développer des magasins populaires qui partageaient certes les mêmes caractéristiques – grande taille des établissements, approvisionnement direct auprès des fabricants, rotation rapide des stocks, marges bénéficiaires réduites, prix fixes et affichés, multiplication des comptoirs, etc. –, mais s’en distinguaient par la qualité et l’étendue de l’assortiment, le niveau de prix, et le recours au crédit. Ils ont permis aux classes populaires, restées exclues de l’univers des grands magasins bourgeois, d’accéder elles aussi à la consommation en mettant à leur disposition des biens de fabrication industrielle, de qualité moyenne et à prix serrés. Mais c’est bien sûr la vente à crédit qui constituait le pivot de leur politique commerciale et les distinguait radicalement des magasins bourgeois demeurés pour la plupart fidèles à la vente au comptant. Cependant, ces magasins ne formaient pas un monde uniforme : au-delà de leurs dimensions et de leur poids économique, c’est surtout leur positionnement – enracinement dans le quartier ou rayonnement plus large ? – et la composition de leur clientèle – exclusivement populaire ou mélangée ? – qui les différenciaient les uns des autres. De ce point de vue, les Magasins Dufayel constituaient une institution unique car ce n’est pas seulement leur gigantisme et leur décor somptueux qui les différenciaient des autres magasins populaires, mais surtout une offre commerciale qui associait les articles les plus modestes aux plus coûteux, une publicité qui donnait la vie bourgeoise en modèle, un rayonnement national, et une clientèle interclassiste, à la fois populaire et bourgeoise.
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Notes de bas de page
1 Il faut évidemment y inclure les résultats d’une recherche internationale très active qui fournit d’utiles éléments de comparaison : Chandler (1977) ; Lancaster (1995) ; Crossick et Jaumain (1999) ; et Rappaport (2001).
2 Une visite aux Grands Magasins Dufayel, s. l., s. d. (1913 ?), bibliothèque des Arts décoratifs, Paris, BR. 10538.
3 Dufayel Mobiliers, 1900, et Grands Magasins Dufayel. Extrait des catalogues spéciaux de chaque rayon, 1905, bibliothèque Forney, Paris, CC 1564.
4 Grands Magasins Dufayel. Extrait des catalogues spéciaux de chaque rayon, 1905, bibliothèque Forney, Paris, CC 1564.
5 « Une visite aux Magasins du Bon Marché à Besançon », Journal de géographie industrielle et commerciale, 1895, p. 2-3.
6 Sur les magasins à succursales multiples, cf. dans ce volume les contributions de Denis McKee et Olivier Londeix.
7 Deux exceptions mais outre-Atlantique et passées à peu près inaperçues : le travail pionnier de Marjorie Beale (1982) et la thèse de Brain Wemp (2010).
8 Sur les rangs inférieurs de la pyramide, cf. la contribution d’Anaïs Albert dans ce volume.
9 Une visite aux Grands Magasins Dufayel, s. l., s. d. (1913 ?), bibliothèque des Arts décoratifs, Paris, BR. 10538.
10 Cf. dans ce volume la contribution d’Anaïs Albert qui étudie les deux volets du crédit populaire, direct et indirect.
11 Cf. la contribution de Marie Gillet dans ce volume.
Auteur
Jean-Claude Daumas, ancien élève de l’ENS Saint-Cloud, est professeur émérite à l’université de Franche-Comté où il a dirigé la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement Claude Nicolas Ledoux (USR 3124), membre honoraire de l’Institut universitaire de France, et ancien président de l’Association française d’histoire économique. Il a d’abord consacré ses recherches à l’histoire des entreprises et du patronat avant de les élargir à celle de la consommation et de la distribution.
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