Introduction
p. 7-28
Texte intégral
1Depuis quelques années, il ne se passe pas de jour, ou presque, sans que les médias n’évoquent les difficultés de la grande distribution et les initiatives prises par les grands groupes du secteur pour transformer l’hypermarché, relever le défi du numérique et répondre aux attentes nouvelles des consommateurs. Nous ne savons certes pas ce que sera le commerce de demain, mais il n’est pas exagéré de penser que, à travers tâtonnements et expérimentations, les distributeurs sont en train de l’inventer. Cette situation, marquée par de fortes tensions et de grandes incertitudes, incite à revenir sur l’histoire du commerce depuis la fin du xviiie siècle afin de reconstituer l’enchaînement des innovations qui ont contribué à l’élargissement de la consommation. Cette mise en perspective est indispensable pour démêler le jeu des ruptures et des continuités, s’interroger sur ce qui distingue une véritable révolution commerciale, et essayer de dégager les enjeux des changements en cours.
2Même si, pendant longtemps, l’histoire du commerce ne fut pas un domaine très fréquenté, nous ne sommes pas devant un désert historiographique. Au vrai, quoique les lacunes ne manquent pas, le bilan est même substantiel. Tentons donc d’abord de faire le point sur les recherches menées par les historiens français depuis les années 1980 en en faisant ressortir les réorientations successives1. Au demeurant, chaque nouvelle étape a été jalonnée par la publication d’un dossier de revue ou d’actes de colloque qui dressent le bilan des travaux réalisés, recensent les zones d’ignorance et jettent un pont vers l’avenir en traçant un programme de recherche.
I. L’histoire du commerce : un domaine de recherche de plus en plus fréquenté
3En 1994, une équipe interdisciplinaire publiait dans le cadre du programme de recherche du CNRS sur la ville (PIR Villes) un bilan critique des recherches sur les pratiques urbaines du commerce qui faisait une très large place aux travaux des géographes, sociologues, économistes et politologues, tandis que les historiens étaient réduits à la portion congrue en raison de la faiblesse supposée de leur contribution (Bouveret-Gauer, Marenco, Parizet et Péron, 1994). Pourtant, pour peu qu’on se donne la peine de regarder les choses de plus près, le bilan n’était pas si maigre : très tôt, en effet, et sans même rappeler Civilisation matérielle, économie et capitalisme où Fernand Braudel scrutait les « jeux de l’échange » (Braudel, 1979), les historiens français se sont intéressés au colportage (Fontaine, 1984 et 1993), à certaines formes de commerce urbain, comme les foires et les marchés (Margairaz, 1988 ; Thomas, 1993), aux dynamiques économiques et sociales du commerce à travers l’étude des faillites (Martin, 1978), aux grands magasins dont les premières études analysaient les raisons du succès (Bergeron, 1983 ; Faraut, 1987 ; Verheyde, 1993) et leur impact sur la ville (Gaillard, 1976)2, et au succursalisme étudié à partir du cas de Casino (Zancarini-Fournel, 1990, 1993 et 1994). En revanche, ils ont longtemps dédaigné la boutique, l’article pionnier d’Alain Faure sur l’épicerie parisienne (Faure, 1979) n’ayant guère fait d’émules, et, à l’exception des coopératives ouvrières de consommation (Chenut, 1988), complètement ignoré les autres formes de commerce sédentaire (passages couverts, magasins de nouveautés, magasins à prix uniques), sans même parler des grandes surfaces dont l’étude était abandonnée aux autres disciplines.
4C’est ce bilan en demi-teinte qui fait toute l’importance du numéro d’Entreprises et Histoire publié en 1993 par le regretté Emmanuel Chadeau sous le titre : « Le commerce : révolutions, rénovations ». Il regroupait, outre un article sur la distribution au Japon, des contributions sur la naissance de Casino, le développement des grandes surfaces, la vente par correspondance, et les rapports entre urbanisation et distribution analysés à partir du cas de Grenoble, ainsi que la retranscription d’un entretien avec Jean Royer qui évoquait son passage au ministère du Commerce et la loi qui porte son nom. Cependant, ce numéro pionnier valait d’abord par l’éditorial de son coordonnateur qui appelait à défricher un domaine encore trop peu fréquenté par les historiens. En soulignant l’importance et la diversité du secteur, la vitalité du succursalisme et des grands magasins, la parenté des structures et de la gestion des entreprises commerciales avec « celles de leurs homologues industrielles de taille comparable », les « allers-retours transatlantiques » à l’origine de bien des innovations, et l’importance de la révolution en cours dans les structures de la distribution depuis 1950, Chadeau faisait ressortir que l’histoire du commerce n’est pas « un modeste recoin de l’histoire des entreprises » mais, au contraire, un domaine de recherche majeur et « plein d’avenir » (Chadeau, 1993, p. 5-11). Deux articles importants ont suivi ce numéro. En 1993, dans « Entre familles et managers, les grandes firmes de détail en France depuis 1945 », Chadeau dressait un tableau saisissant du monde de la grande distribution qui faisait ressortir la concentration et la croissance très forte du secteur, le rôle de provinciaux étrangers à l’establishment dans la création des groupes de distribution, l’importance de la culture commerçante dans leur gestion, et la substitution progressive et inévitable des managers aux familles. En 1997, dans « Les entreprises de commerce de détail face aux crises économiques en France (1880-milieu du xxe siècle) », il argumentait que certaines innovations commerciales (succursalisme, centrales d’achat, magasins à prix uniques) s’étaient développées en réaction aux crises économiques. Si Chadeau n’écrivit pas l’histoire du commerce qu’il avait projetée (Fridenson, 2011, p. 6), en revanche, à l’université de Lille, il encouragea ses étudiants à s’y intéresser.
5La publication en 1997 de La révolution commerciale en France. Du Bon Marché à l’hypermarché, dirigé par Jacques Marseille, a marqué une nouvelle étape. Cet ouvrage collectif réunissait une quinzaine d’études embrassant à la fois les grands magasins parisiens et la grande distribution contemporaine. Dans son introduction, Marseille distinguait trois vagues dans l’histoire du commerce en France – la naissance des grands magasins, le développement des magasins à succursales multiples, et l’apparition des supermarchés – qui, selon lui, « correspondent à des périodes de vive croissance économique » et, comme Chadeau avant lui, soulignait que les créateurs de la distribution moderne étaient des provinciaux qui avaient l’expérience du commerce et qui privilégiaient la formation sur le tas. L’importance de ce petit volume vient de ce qu’il rassemble des études qui s’appuient sur des recherches solidement documentées, souvent des thèses, mais de tonalité bien différente selon la période : pour le xixe siècle, les auteurs proposaient des monographies de grands magasins3, quand, pour le xxe siècle, ils étudiaient l’environnement, les structures, les stratégies et les performances des principaux formats commerciaux (magasins à prix uniques, magasins populaires, grandes surfaces) sans entrer dans l’analyse des trajectoires individuelles des groupes. En tout cas, ce petit livre témoignait de ce que l’appel de Chadeau avait été entendu, de sorte que l’histoire du commerce n’était plus le parent pauvre de l’histoire économique qu’elle avait longtemps été.
6Publié en 2000 sous la direction de Natacha Coquery, La boutique et la ville dont l’objet était plus limité puisqu’il s’intéressait exclusivement à la boutique urbaine, a également constitué un jalon important. Ce recueil rassemblait vingt-cinq contributions qui se partageaient pour moitié entre les époques moderne et contemporaine, et s’organisaient autour de trois axes : les structures et le fonctionnement du petit commerce urbain, les stratégies d’innovation et de séduction de la clientèle, et, enfin, le rôle structurant de la boutique dans la société et l’espace urbains. Il s’achevait sur une conclusion roborative de Geoffrey Crossick qui insistait sur les limites de l’historiographie du commerce et ouvrait des perspectives stimulantes : d’une part, la recherche s’étant concentrée jusque-là sur la boutique dans la ville, il fallait étudier davantage les rapports, d’ailleurs ambivalents, entre la boutique et le monde urbain ; d’autre part, alors même que la boutique est un lieu d’achat, les historiens s’étaient trop peu intéressés aux acheteurs et à leurs pratiques ou, plus précisément, ne l’avaient fait qu’à travers l’action des boutiquiers pour séduire et attirer les clients, lesquels étaient perçus comme essentiellement passifs, ce qui engageait à inverser la perspective (Crossick, 2000, p. 481-489).
7En 2006, Alain Chatriot et Marie-Emmanuelle Chessel ont publié un article important, « L’histoire de la distribution : un chantier inachevé », qui proposait un bilan très complet des recherches réalisées tant en France qu’à l’étranger en histoire mais aussi dans les sciences sociales (économie, sociologie, droit, gestion). Cet excellent tableau embrassait les principaux formats commerciaux (grands magasins, magasins à prix uniques, supermarchés, et hypermarchés), en faisant la part des innovations et des permanences, ainsi que des influences extérieures, en particulier américaines. S’agissant de la grande distribution, il dessinait un ambitieux programme de recherche qui invitait à appréhender à la fois l’histoire des entreprises, les évolutions sociales et le rôle de l’État.
8Au cours des deux dernières décennies, la recherche sur le commerce a pris de nouvelles directions. En premier lieu, les travaux sur le petit commerce se sont multipliés, la plupart concernant l’époque moderne pour laquelle on a désormais une vision plus dialectique des relations entre production et consommation, laquelle fait en outre davantage de place aux pratiques sociales, aux représentations et aux enjeux symboliques. Ils montrent que l’innovation commerciale a précédé la révolution industrielle et que les boutiquiers urbains ont non seulement renouvelé les pratiques commerciales mais joué aussi un grand rôle dans la diffusion des produits nouveaux, qu’il s’agisse de denrées coloniales, de miroirs, de montres ou d’articles de mode (Coquery, 2011 et 2013 ; Villeret, 2017). Il faut ici faire une place particulière au livre de Natacha Coquery, Tenir boutique à Paris au xviiie siècle, qui, nourri de la très riche historiographie anglo-saxonne sur le commerce en Angleterre à l’époque moderne, analyse finement les structures et les évolutions d’un monde marchand plein de vitalité, la gestion quotidienne de la boutique de luxe (ou de demi-luxe) qui fait coexister habitudes anciennes et pratiques innovantes, et le rôle des boutiquiers dans l’élargissement social du marché et l’avènement d’une culture de la consommation (Coquery, 2011). Qui plus est, loin de se cantonner à l’étude du commerce des produits nouveaux, la recherche s’est élargie au commerce de produits alimentaires de base (pain, épicerie, viande) [Angleraud, 1998 ; Audibert, 2003 ; Leteux, 2005 ; Montenach, 2009] pour laquelle Steven Kaplan avait donné l’exemple avec Le meilleur pain du monde (1996), à l’implantation de commerçants sédentaires dans les campagnes (Belmont, 1999 ; Villain, 2015), et aux transformations du commerce dans les villes de province dans la première moitié du xixe siècle où il s’est développé en imitant les magasins de nouveautés de la capitale (Gillet, 2014 et 2015 ; Démier, 2017). Parallèlement, des progrès ont été faits dans la connaissance du commerce concentré. C’est à partir de l’étude des Grands Magasins Dufayel qu’Anaïs Albert a décortiqué la genèse, le fonctionnement et la trajectoire des grands magasins populaires vendant à crédit dont l’histoire avait jusqu’ici été presque complètement négligée (Albert, 2012, 2013 et 2015)4. Grâce à l’habilitation à diriger les recherches de Philippe Verheyde, on en sait un peu plus sur les grands magasins spécialisés dans la vente de meubles : en reconstituant les trajectoires des Galeries Barbès et de Lévitan, il montre comment ces magasins ont révolutionné le commerce du meuble en vendant beaucoup et bon marché des meubles fabriqués en série, en ouvrant des succursales en province et en faisant largement appel à la publicité, avant que dans les années 1980 les difficultés n’aient raison de magasins qui n’étaient plus en phase avec la demande (Verheyde, 2018). La thèse de Florence Brachet Champsaur sur les Galeries Lafayette analyse la stratégie originale de ce grand magasin, né en 1893, qui a fait de la mode l’axe de son développement, en montrant comment le magasin se positionnait comme intermédiaire entre les créateurs, les producteurs et les consommateurs. La thèse privilégie deux moments : le début du xxe siècle où les Galeries ont intégré la fabrication et vendu sous leur propre marque des modèles copiés sur ceux des couturiers, puis l’après-Seconde guerre mondiale où elles ont cessé progressivement de fabriquer pour vendre du prêt-à-porter et des marques de stylistes (Brachet Champsaur, 2018). Enfin, avec Casino, la thèse d’Olivier Londeix, nous fait rentrer dans l’histoire du succursalisme en analysant comment, entre 1898 et 1960, l’entreprise stéphanoise a combiné de manière originale centralisation des achats, intégration de la fabrication et décentralisation de la vente, Casino reprenant et perfectionnant une formule inventée dans la région rémoise. La thèse éclaire tout particulièrement la conquête des clientèles des faubourgs et des campagnes, l’évolution des relations entre l’acheteur et le vendeur, le rôle de la marque dans la structuration du marché et, enfin, après la guerre, la conversion au libre-service et au supermarché (Londeix, 2018).
9En second lieu, alors que pendant longtemps, côté historien, on a dû se contenter du petit livre bien documenté de Jean-Marc Villermet sur la naissance de Carrefour (1991)5, l’étude des grandes surfaces a enfin pris son essor, mais en suscitant d’abord des tentatives de synthèses qui, faute de pouvoir s’appuyer sur les archives des groupes de distribution, ont mobilisé des sources secondaires, de sorte qu’elles ont forcément quelque chose d’aventuré et de provisoire. En somme, on avait affaire à des synthèses en attente de monographies. Même si Philippe Moati n’est pas historien mais économiste, ses livres, L’avenir de la grande distribution (2001) et La nouvelle révolution commerciale (2011), ont toute leur place ici car il y met en œuvre une approche historique trop souvent absente dans sa discipline. Il y retrace l’histoire de la grande distribution en expliquant comment on est passé d’un modèle visant à écouler des produits selon une logique industrielle à un autre qui cherche à répondre à des attentes plus personnalisées en développant une stratégie de différenciation et de segmentation. De mon côté, j’ai consacré une série d’articles aux évolutions de la distribution en raisonnant moins en matière de modèles que de choix et de pratiques des acteurs : dans « L’invention des usines à vendre » (2006a), l’analyse s’est concentrée sur le processus d’innovation commerciale qui a abouti à la naissance de l’hypermarché ; dans « Consommation de masse et grande distribution » (Daumas, 2006b), sur les transformations des stratégies et des structures des grands groupes de distribution des années 1960 jusqu’au début des années 2000 ; et, dans « Mass selling » (Daumas, 2011), sur la « crise existentielle » que traverse la grande distribution depuis la fin des années 1990, crise qui touche d’abord l’hypermarché. Enfin, s’inscrivant dans les pas d’Emmanuel Chadeau, Alain Chatriot a brossé un portrait de groupe du patronat de la distribution qui insiste sur l’importance du capitalisme familial tout en soulignant la présence de managers au profil original (Chatriot, 2010)6. Par ailleurs, Chatriot s’est intéressé aux rapports entre l’État et la distribution en analysant le rôle des politiques publiques dans la réforme des structures commerciales (Chatriot, 2012). Au total, ces travaux ont contribué à éclairer les transformations de la grande distribution, mais on ne pouvait aller plus loin qu’en travaillant directement à partir des archives, celles des groupes ou de l’État.
10La soutenance en 2017 de trois thèses marque de ce point de vue un véritable tournant. Avec Du premier centre distributeur au Mouvement Leclerc : invention d’un modèle original de distribution (1949-2003), Anaïs Legendre nous offre la première histoire d’un groupe de distribution français dont l’intérêt vient d’abord de ce qu’elle s’appuie sur les archives du groupe que Michel-Édouard Leclerc lui a ouvertes avec une grande libéralité. On rêve qu’il soit imité et que Carrefour et Auchan mettent à leur tour leurs archives à la disposition des chercheurs. Très logiquement, dans le cas de Leclerc, l’analyse met l’accent sur la dynamique de développement d’un groupe qui est en fait une coopérative de commerçants indépendants dont le moteur réside dans les tensions entre les initiatives des propriétaires de magasins et les mesures en faveur de davantage de professionnalisation et de centralisation, ce qui aboutit à une organisation complexe et absolument inédite qui explique sa réactivité et sa capacité d’innovation. Parallèlement, deux thèses nous ont fait faire de gros progrès dans la connaissance de l’environnement et des évolutions du secteur. Dans L’État, le petit commerce et la grande distribution, 1945-1996, Tristan Jacques a exploré à la fois les transformations des structures du commerce après la guerre du petit commerce aux grandes surfaces et la politique des pouvoirs publics à l’égard du commerce de détail dont les objectifs et les outils ont beaucoup varié au cours de ce demi-siècle. Quant à Sebastian Billows, un sociologue qui a travaillé sous la direction d’une historienne, dans Le marché et la règle, il s’est intéressé aux relations entre les distributeurs et leurs fournisseurs en étudiant la genèse, de l’après-guerre jusqu’à la loi Galland (1996), des dispositions juridiques censées protéger les fournisseurs, et la manière dont les distributeurs s’en sont saisis pour faire pression sur leurs fournisseurs et obtenir d’eux de meilleures conditions commerciales. Ce rapide panorama des recherches sur le commerce et la distribution montre assez que, depuis l’éditorial de Chadeau en 1993, les travaux se sont multipliés et développés dans toutes les directions. Cependant, le retard sur la recherche internationale est loin d’avoir été comblé et il reste énormément à faire.
11On ne possède encore que de maigres lumières sur la diffusion du petit commerce au xixe siècle, l’extrême dispersion des sources (recensements, annuaires du commerce, patentes, dossiers de faillite, inventaires après décès, etc.) et la lourdeur de leur dépouillement constituant sans doute, avec la fascination pour le grand magasin qui a polarisé l’attention des historiens, les obstacles principaux à son étude. Toutefois, on en sait un peu plus aujourd’hui sur le petit commerce urbain grâce aux recherches récentes sur le succursalisme qui nous permettent d’en appréhender la forme organisée, ce que Paul Gemalhing appelait « la concentration commerciale sans grands magasins » (Gemalhing, 1911). Du reste, l’existence de chaînes succursalistes en Allemagne (Kaiser’s), en Angleterre (Lipton’s) et en Belgique (Delhaize Frères) appelle une comparaison européenne qui permettrait de mieux dégager les spécificités nationales par-delà des points communs évidents – organisation en réseau, centralisation des achats, intégration de la production, vente de produits standardisés, publicité fondée sur l’image de l’entreprise, stratégie marketing associant prix bas, proximité et adaptation aux besoins des classes populaires (Benson, Shaw, 1992 ; Haupt, 2004, p. 170 ; Teughels, 2020). En revanche, avec le commerce rural7, il reste un vaste continent à explorer. On conviendra que le sujet n’est pas mince si on veut bien se rappeler que la population urbaine n’est devenue majoritaire, et encore de peu (50,8 %), qu’en 1931, et qu’en 1962 elle ne représentait encore que 61,6 % de la population totale. D’innombrables rapports administratifs signalent tout au long du xixe siècle une « invasion des campagnes par les épiciers », mais le caractère répétitif du constat invite à s’interroger sur la chronologie, l’ampleur et la géographie du processus, d’autant que le thème est repris jusque dans les réponses à la grande enquête sur l’alimentation populaire lancée par Lucien Febvre en 1936 pour l’Encyclopédie française8. Il convient bien sûr de s’interroger également sur la présence dans les bourgs et les villages d’autres commerces alimentaires (boulangeries, boucheries) et non alimentaires (couturières, tailleurs, modistes, cordonniers, etc.) sur lesquels on ne sait pratiquement rien alors qu’ils sont, comme les épiciers, au cœur de la transformation des campagnes où l’autoconsommation recule à mesure qu’elles s’ouvrent aux produits industriels, un processus complexe auquel participent également toutes sortes de commerçants venus de la ville. Il serait temps, donc, que la recherche prenne à bras-le-corps la question du commerce rural car elle est importante à la fois pour ce qu’elle est susceptible de nous apprendre sur la diffusion des formes de commerce mais aussi sur le rôle qu’elles ont joué dans la transformation des campagnes et du mode de vie des ruraux9. La situation n’est pas meilleure pour le xxe siècle : alors qu’au début des années 1960 le petit commerce dominait encore le paysage commercial, ce format commercial a surtout été étudié, dans une veine inaugurée par Stanley Hoffmann, au prisme des réactions politiques, de Poujade à Nicoud, des petits commerçants au processus de modernisation (Hoffmann, 1956 ; Roy, 1971 ; Borne, 1977 ; Nord, 1986 ; Mayer, 1986 ; Souillac, 2007), l’analyse des transformations professionnelles, sociales et spatiales étant prise en charge par les sociologues et les urbanistes. Par ailleurs, l’intérêt pour l’immigration a conduit à dresser, à partir de sources inédites, le portrait sociologique des commerçants étrangers qui ont vécu dans le département de la Seine jusqu’en 1939, en croisant deux fils conducteurs, le statut d’indépendant et la différenciation entre nationaux et étrangers, l’étude des trajectoires permettant de mieux cerner les fonctions sociales et économiques de la boutique (Zalc, 2010).
12Si les grands magasins parisiens ont suscité de nombreux travaux, en revanche, on ne connaît pas grand-chose de la diffusion de ce format dans les villes de province10 où il a pourtant fortement contribué au changement des habitudes de consommation. On ne sait rien non plus des difficultés des grands magasins à partir des années 1970, les enseignes disparaissant les unes après les autres dans la capitale comme en province, avant que les Galeries Lafayette et le Bon Marché ne jouent avec succès la carte du luxe. Il est à peine besoin de préciser qu’on ignore tout des grands magasins établis dans les colonies : les Galeries de France à Alger (début années 1920), le Magasin général à Tunis (1883), les Grands Magasins réunis à Hanoï, ou les succursales des Grands Magasins du Louvre à Tananarive et Tamatave. L’implantation de ces magasins invite pourtant à s’interroger sur l’adaptation du modèle aux conditions locales – qu’il s’agisse de l’architecture (le bâtiment des Galeries de France à Alger était surmonté d’un fin minaret blanc), des clientèles visées (seulement la population européenne ?) ou des marchandises vendues (le catalogue faisait-il une place aux produits locaux ?) –, comme sur les performances économiques de ces établissements qui ne semblent pas avoir toujours été à la hauteur des attentes (à Madagascar, faute d’une rentabilité suffisante, le Louvre a fermé ses deux magasins en 1914) [Maury, 2015]. On dispose d’un grand nombre de travaux de juristes contemporains et même d’un important rapport du Conseil national économique sur les magasins à prix uniques nés à la charnière des années vingt et trente, mais aucun historien n’a étudié de manière systématique et approfondie ces magasins qui, par bien des côtés, annoncent les grandes surfaces des Trente Glorieuses11. Si la thèse d’Anaïs Legendre nous en apprend beaucoup sur le développement du Mouvement Leclerc qui, avec Système U et Intermarché, incarne le modèle de la coopérative de commerçants indépendants, on manque toujours d’études sur l’organisation, le fonctionnement et l’évolution des groupes intégrés, Carrefour, Auchan et Casino. Enfin, il conviendrait d’étudier l’impact des grandes surfaces sur l’organisation de l’espace urbain, en particulier les rapports entre centre et périphérie, car elles ont joué un rôle essentiel dans la désertification des centres des villes et le processus d’étalement urbain, ainsi que sur les modes de vie.
13Sur deux siècles, les structures commerciales de la France ont suivi, selon une chronologie et sous des formes spécifiques, la même évolution que dans tous les pays européens ; on est donc en présence d’une évolution qui présente des caractères communs qu’une perspective comparative permettrait de faire ressortir et d’expliquer. Cependant, la dimension d’histoire comparée est pratiquement absente de l’historiographie française12. Mais il est vrai que, au niveau international, la situation n’est pas bien meilleure13. Qu’il s’agisse de l’émergence du commerce moderne (Alexander et Akehurst, 1998), des grands magasins au xixe siècle (Crossick et Jaumain, 1999) ou des grandes surfaces après 1945 (Jessen et Langer, 2012), on a affaire à des recueils qui juxtaposent des études de cas nationaux précédées d’une introduction qui s’efforce de tirer quelques conclusions générales, mais jamais à une approche réellement transversale qui, à partir de questions topiques (l’américanisation, l’organisation de la vente, la publicité, les rapports avec les fournisseurs, le rôle de l’État, l’expérience du consommateur, etc.), étudierait les transformations du commerce européen en s’efforçant de mettre en évidence, d’une part, les ressemblances réelles et les différences significatives, et de l’autre, les phénomènes de circulation et d’adaptation des modèles d’un pays à l’autre.
14Prenons l’exemple de l’américanisation qui est précisément une de ces questions qui gagnerait à être étudiée de manière transversale ou, pour mieux dire, transnationale. La révolution de la distribution en Europe qui englobe à la fois l’adoption du libre-service, le développement des grandes surfaces et l’expansion des centres commerciaux, a longtemps été expliquée comme résultant d’un transfert du modèle américain et de la résistance à cette poussée irrésistible (Grazia, 2005, p. 376-415 ; Schröter, 2005), mais les études de cas montrent au contraire qu’il s’agit davantage d’un processus d’adaptation sélective au contexte national (Scarpellini, 2001, p. 142-153 et 2007, p. 63-81 ; Langer, 2012, p. 71-85 ; Logemann, 2012, p. 87-100 ; Trentmann, 2016, p. 348-350 ; Scott et Fridenson, 2018, p. 941-944), de sorte que le paysage de la distribution est, d’un pays à l’autre, d’une grande diversité, laquelle est déterminée à la fois par le niveau de développement économique, les structures commerciales en place, la capacité de résistance des petits commerçants, la politique de l’État, les formes d’urbanisation, et les habitudes des consommateurs. Il reste que l’imitation du modèle américain ne saurait de toute façon suffire à elle seule à expliquer l’évolution du commerce européen. L’explication doit également faire toute sa place aux interdépendances et aux influences réciproques entre pays européens (Hays, 2000). De nombreux facteurs ont joué un rôle dans la circulation des modèles et des pratiques à l’intérieur de l’Europe. D’abord, l’existence d’un marché européen dont les réglementations, du marché commun au marché unique, se sont étendues par étapes à un nombre croissant de pays au fur et à mesure de la construction européenne. Les échanges d’informations, d’idées et d’expériences entre professionnels de la distribution au sein des organisations européennes du secteur, comme les coopérations entre organisations nationales14 tiennent également un rôle important dans ce processus. Par ailleurs, il faut bien sûr prendre en compte les politiques d’internationalisation des groupes de distribution (Dupuis, 1991 ; Seth et Randall, 2005) à travers l’exportation de « concepts forts » – l’hypermarché pour Carrefour15 et le hard discount pour Aldi, sans parler d’Ikea ou de Decathlon, etc. De surcroît, à partir de la création d’AMS en 1989, les groupes de distribution ont formé des centrales d’achat européennes de plus en plus puissantes (EMD, Alidis, Coopernic, CORE, etc.) qui agissent à l’échelle de tout le continent. D’autre part, l’offre de biens de consommation s’est internationalisée, mais l’importation de produits venant des États-Unis, du Japon, de Chine et des pays à bas salaires n’a pas remis en cause la prédominance des biens produits en Europe pour le consommateur européen, de sorte que l’on peut parler d’« européanisation de l’offre » (Kaelble, 2013, p. 106). Enfin, qu’il s’agisse des mouvements migratoires qui ont favorisé la circulation de produits nationaux emblématiques, la pizza par exemple se diffusant dans le sillage des émigrés italiens (Sanchez, 2016), ou bien du développement massif du tourisme intra-européen et des échanges d’étudiants grâce au programme Erasmus qui ont contribué à faire découvrir les modes de vie des autres Européens, les mouvements de population ont eu un impact décisif sur la diffusion sur tout le continent des produits et des comportements de consommation. En définitive, l’américanisation s’est entrelacée avec un processus d’européanisation trop souvent négligé et dont l’ampleur, les rythmes et les formes ne peuvent être mis en évidence qu’à la condition de sortir du cadre national.
II. Des avancées significatives
15C’est en s’appuyant sur les travaux les plus récents que les contributions réunies dans cet ouvrage analysent les métamorphoses du commerce depuis le xviiie siècle jusqu’à nos jours, en cherchant à dégager les interactions avec les dynamiques de la consommation – dans la longue durée la consommation s’est élargie par étapes à tous les groupes sociaux sans pour autant que s’effacent les écarts qui les séparent (Daumas, 2018) –, tout en se demandant si on a affaire à de véritables révolutions commerciales ou à des innovations ponctuelles. C’est pourquoi l’analyse privilégie une approche en matière de formats et fait donc se succéder des monographies d’entreprises ou de types de magasin. Néanmoins, en raison des forces disponibles et de l’état de la recherche, l’exhaustivité était hors d’atteinte, si bien que manquent à l’appel les coopératives de consommation, les magasins à prix uniques, la vente par correspondance, et le système de la concession jadis en usage dans l’électroménager et la télévision, et aujourd’hui encore dans l’automobile16. L’approche par le produit (denrées alimentaires, fromage de Roquefort, eaux minérales) complète celle par les formats car elle permet de comprendre comment un marché se construit concrètement, autrement dit comment se nouent les relations entre produit, producteur, distributeur et clients. En observant l’évolution du commerce et de la distribution sous tous les angles – économique, géographique, social, culturel, politique –, cet ouvrage apporte au lecteur une vision renouvelée des transformations du commerce, de la boutique jusqu’au e-commerce. Cependant, la perspective adoptée – l’articulation entre consommation et distribution – conduit forcément à laisser dans l’ombre des questions importantes : les structures des entreprises, les business models, le financement, les relations avec les fournisseurs, la gestion du personnel, les technologies et les fonctions « techniques », etc. Enfin, centré sur la France, ce livre n’offre pas au lecteur une comparaison avec le reste de l’Europe, non par ignorance des autres historiographies nationales ou par volonté de se claquemurer derrière des frontières de papier mais, bien plutôt, en raison de « nécessités pratiques » (Bloch, 2006, p. 380) : la recherche française doit d’abord rattraper son retard sur ce qui se fait ailleurs et assurer ainsi solidement les bases à partir desquelles des approches comparatives pourront se développer hardiment.
16La première partie de l’ouvrage réunit des études de cas qui rendent compte du processus de modernisation du commerce de la fin du xviiie siècle jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale en étudiant successivement la boutique, le grand magasin dans ses deux versions bourgeoise et populaire, et les magasins à succursales multiples qui incarnent une forme alternative de concentration.
17On sait depuis la publication en 1982 du livre de Neil McKendrick, The Birth of a Consumer Society, que l’innovation commerciale est antérieure à la révolution industrielle. Cependant, depuis, la question des interactions entre production, urbanisation, distribution et consommation n’a cessé d’alimenter les discussions entre historiens. C’est pour y voir plus clair sur la question embrouillée des relations entre inventivité marchande et essor de la consommation que Natacha Coquery (« L’essor d’une culture de consommation à l’époque des Lumières et ses répercussions sur le commerce de détail ») fait d’abord le point sur les avancées des historiographies britannique et française, avant d’étudier dans le cas parisien l’influence d’une culture de consommation sur les évolutions du commerce. Et de montrer que si les boutiquiers ont bien joué un rôle crucial dans l’élargissement de la consommation, en revanche, on ne peut parler pour autant de révolution du commerce car la spécificité du siècle des Lumières est, précisément, que les boutiques associent pratiques anciennes et nouvelles.
18Julien Villain s’interroge également sur la réalité d’une révolution commerciale dans l’Europe des Lumières (« Y a-t-il une révolution de la boutique dans l’Europe du xviiie siècle ? Le cas de la Lorraine centrale et méridionale, années 1690-1791 »). Alors qu’on a jusqu’ici privilégié les métropoles où on a décrit l’essor de boutiques vendant à prix fixe et renouvelant constamment leurs produits, certains historiens y voyant même la preuve d’une révolution commerciale, Villain focalise son analyse sur les petites villes et les campagnes. Il ne constate en Lorraine ni extension de l’appareil commercial ni forte poussée de la circulation des marchandises, mais pas d’immobilisme non plus : pour attirer et séduire les clientèles, les commerçants ont fait le choix de la spécialisation et de l’amélioration de l’agencement de leurs boutiques. Mais, comme dans la capitale, les changements ne sont pas assez profonds pour qu’on puisse parler de révolution commerciale.
19Dans sa contribution sur le petit commerce dans une ville moyenne de province avant 1914 (« Les transformations du petit commerce au xixe siècle à Besançon [1804-1913]. Entre innovation et tradition »), Marie Gillet fait bien ressortir que la boutique, entraînée par une conjoncture contrastée, ne constitue pas un univers immobile demeuré étranger aux évolutions du siècle. Certes, les traditions continuent de peser, mais les commerçants étaient de plus en plus nombreux à développer de nouvelles activités, à repenser le décor des points de vente en s’inspirant des magasins de nouveautés parisiens, et à mettre en œuvre des stratégies commerciales pour séduire, attirer et retenir le client.
20La création du Bon Marché en 1852 marque l’apparition d’une forme commerciale nouvelle qui semble résumer toute la modernité de l’époque. Pour en rendre compte, Jean-Claude Daumas propose une large synthèse des travaux existants (« Les grands magasins et la concentration du commerce de détail au xixe siècle ») qui reconstitue la préhistoire du grand magasin afin de dégager les formes qui en ont préparé la naissance, décrit les structures et le fonctionnement du Bon Marché qui en constitue l’archétype, retrace son expansion à la Belle Époque, et, enfin, définit les caractéristiques propres des grands magasins populaires qui vendent à crédit et qu’incarnent si bien les Grands Magasins Dufayel. L’analyse montre que cette révolution commerciale a été le vecteur d’un formidable accroissement des consommations, mais à travers deux filières distinctes : le grand magasin bourgeois pour les classes supérieures et moyennes, et le grand magasin populaire vendant à crédit pour les classes populaires urbaines mais dont la clientèle était en réalité plus large.
21Fascinée par les grands magasins bourgeois dont le Bon Marché constitue le type le plus achevé, l’historiographie a trop longtemps sous-estimé l’importance des magasins vendant à crédit aux classes populaires, un phénomène que de surcroît on a réduit aux seuls magasins Dufayel alors qu’ils étaient très nombreux dans la capitale mais d’inégale envergure. Anaïs Albert qui en étudie l’organisation à Paris à la Belle Époque (« La vente à tempérament à Paris à la Belle Époque : les magasins de crédit et leur clientèle populaire »), dresse, d’une part, la cartographie des maisons de vente à crédit qui met en évidence leur concentration dans le centre de la capitale puis leur progressive dispersion, et de l’autre, reconstitue la hiérarchie du secteur, des Grands Magasins Dufayel au sommet jusqu’aux magasins de quartier à la base, en décrivant pour chaque niveau de ce monde très hiérarchisé l’organisation, le fonctionnement et l’activité de magasins représentatifs.
22Né dans le dernier tiers du xixe siècle, le succursalisme se distingue du commerce traditionnel par l’adoption des méthodes de vente des coopératives de consommation, l’intégration de la fonction de grossiste et même de la fabrication, et l’organisation des magasins en réseaux. Nous disposons sur ce mouvement de deux études consacrées à ses deux principaux bastions, ce qui ouvre au lecteur la possibilité d’instructives comparaisons : Reims, qui en fut le berceau, et Saint-Étienne où il a trouvé avec Casino un second foyer de développement. Dans sa contribution (« Reims, l’évolution du commerce de l’épicerie et la naissance du succursalisme, 1866-1914 ») qui mobilise essentiellement des sources locales et des travaux anciens, Denis McKee retrace minutieusement le développement du succursalisme rémois qui, après le stade mutualiste initial, prit la forme de puissantes sociétés capitalistes ; décrit leur organisation, leur implantation dans la ville, leur fonctionnement et leur expansion ; et enfin décortique ce nouveau modèle de commerce d’épicerie en s’intéressant tout à la fois à sa logique commerciale, à la vie des succursales et au rôle si essentiel de leurs gérants. Ce faisant, il montre comment cette nouvelle forme de commerce qui l’a emporté, à Reims, sur le petit commerce traditionnel, a permis d’élargir et de diversifier la consommation populaire.
23Fondée sur l’exploitation des archives du groupe Casino, l’étude d’Olivier Londeix (« Du comptoir au libre-service, les transformations de la vente chez Casino [1898-1960] ») reconstitue précisément les étapes de l’histoire de l’entreprise fondée en 1898 par Geoffroy Guichard : la première au début du siècle forgeant son identité (organisation commerciale rationnelle, intégration de la production, combinaison de familialisme et de paternalisme) ; la seconde entre 1918 et 1948 réalisant la standardisation du lien marchand ; et la dernière, entre 1948 et 1960, opérant la difficile conversion aux principes de la grande distribution avec l’adoption du libre-service et du supermarché, l’expansion du groupe stéphanois épousant en définitive les vagues successives d’élargissement de la consommation.
24En analysant les formes du commerce au prisme du produit, les études de cas rassemblées dans la deuxième partie font apparaître une grande diversité de configurations car le marché où le consommateur rencontre le produit est une scène complexe où se réalisent des arrangements variés qui dépendent moins des caractéristiques physiques du produit que de sa définition sociale et culturelle, de la structuration de l’offre, de l’organisation de la distribution, et de l’évolution des clientèles.
25En France, les historiens ont longtemps négligé l’étude du commerce alimentaire au profit des commodités et des articles de luxe, mais il existe désormais sur cette question une masse de travaux dont Philippe Meyzie tente de faire la synthèse en montrant ce qui évolue entre la fin du xviiie siècle et le premier xixe siècle (« Du marché au magasin de comestibles : la diversification du commerce de l’alimentation [années 1750-années 1850] »). L’auteur pointe une redéfinition du commerce de comestibles au xviiie siècle qui associe spécialisation, élargissement de l’offre, et nouvelles méthodes de vente. Par ailleurs, il souligne le développement des épiceries à la ville comme à la campagne tout en insistant sur le développement séparé du commerce de luxe. La structuration du commerce qu’il observe au xixe siècle repose sur la multiplication et la spécialisation des détaillants dans les villes pour répondre à la croissance de la population. Le tableau fait bien ressortir la coexistence de diverses formes de commerce, la diversification croissante de l’offre et la différenciation des boutiques, toutes évolutions qui répondent à la diversité croissante des clientèles.
26Au xixe siècle, la commercialisation du fromage de Roquefort, produit cher et réputé, échappe à la Société des Caves qui le fabrique, au profit d’une multitude d’acteurs. La contribution de Sylvie Vabre (« De l’affineur au consommateur [xixe siècle-1914]. Itinéraires marchands du roquefort ») s’efforce de comprendre cette situation qui est alors celle de tous les produits alimentaires. Pour ce faire, elle identifie les multiples acteurs qui s’intercalent entre l’affineur et la table du consommateur, décortique les mécanismes de formation des prix, et enfin repère les espaces commerciaux où s’opère la rencontre du consommateur et du fromage.
27L’analyse du commerce des eaux minérales que propose Nicolas Marty (« Le commerce des eaux embouteillées ») prend en compte à la fois la définition du produit, la structuration de l’offre, l’évolution des comportements des consommateurs, les contraintes techniques propres au produit, et l’architecture de la distribution, avec pour objectif de distinguer les étapes par lesquelles il est passé du milieu du xixe siècle jusqu’à nos jours : fragmentation géographique et sociale d’un marché où la vente du produit demeure occasionnelle, unification progressive du marché national, et entrée dans une consommation de masse dont les grandes surfaces sont les acteurs majeurs – soit une chronologie qui n’est pas sans parenté avec celle que propose Richard S. Tedlow dans son histoire du marketing (Tedlow, 1997).
28Enfin, dans la dernière partie de l’ouvrage, les auteurs s’intéressent aux nouveaux types de magasins apparus au xxe siècle, en tentant d’abord d’évaluer l’impact de l’intervention régulatrice de l’État sur leur développement, avant d’analyser leur place dans l’histoire du commerce à travers à la fois un essai de synthèse qui embrasse l’expansion de l’hypermarché de son avènement à la crise actuelle, une monographie de Leclerc, un des grands groupes décentralisés de commerçants indépendants, et enfin une réflexion sur ce que pourrait être l’avenir de la distribution confrontée à l’essor du e-commerce et des plateformes.
29Tout au long du xxe siècle, de nouveaux formats commerciaux sont apparus qui ont suscité l’opposition des acteurs en place qui, de manière récurrente, ont demandé à l’État d’intervenir pour encadrer leur développement. Actualisant des travaux antérieurs, Alain Chatriot (« L’État et le difficile encadrement du commerce en France au xxe siècle ») s’interroge à la fois sur la diversité des enjeux (neutraliser la nouveauté des magasins à prix uniques, protéger le petit commerce contre l’essor des grandes surfaces, rééquilibrer les relations entre distributeurs et fournisseurs) et sur la complexité du processus à travers lequel les dispositifs législatifs et réglementaires ont été élaborés et discutés avant d’être adoptés.
30L’apparition des grandes surfaces vendant en libre-service et à prix discount a constitué une véritable révolution qui a bouleversé les structures du commerce, le paysage des villes et les modes de consommation, mais l’hypermarché qui a longtemps été le moteur de l’expansion de la consommation de masse, traverse depuis le début des années 2000 de profondes difficultés qui déstabilisent le secteur. Réalisée à partir de sources secondaires, la synthèse que propose Jean-Claude Daumas (« Les grandes surfaces : de l’invention du discount à l’essor du e-commerce [France, 1945-2009] ») explore cette histoire en distinguant trois grandes périodes : d’abord l’invention de la grande distribution qui assure l’articulation entre production et consommation de masse, puis la poursuite de l’expansion de la distribution dans un environnement plus difficile et, enfin, la crise de l’hypermarché soumis à la concurrence de formats de plus en plus différenciés et du e-commerce, et contraint de se « réinventer » pour survivre, de sorte que se pose désormais la question de savoir ce que sera la distribution de demain.
31L’histoire de Leclerc est indissociable de son fondateur, Édouard Leclerc, qui a introduit le discount dans l’épicerie et créé un groupe de distribution décentralisé regroupant des propriétaires de magasins indépendants. Dans l’étude qu’elle en propose et qui se fonde sur les archives du Mouvement Leclerc (« Le Mouvement Leclerc : un groupe de distribution décentralisé construit sur le discount [1949-2003] »), Anaïs Legendre s’efforce de reconstituer l’histoire du groupe en montrant comment il s’est constitué en associant leadership du fondateur (puis de son fils) qui assure la communication, fidélité aux prix bas, organisation décentralisée et coopérative, et institutionnalisation progressive des fonctions communes, l’auteur distinguant quatre étapes successives dans la transformation d’une petite épicerie de province en un grand groupe de distribution qui a fini par prendre l’avantage sur Carrefour.
32Enfin, dans une contribution prospective qui donne à réfléchir, l’économiste Philippe Moati part des évolutions en cours pour imaginer les architectures de marché qui pourraient s’imposer demain (« Commerce et distribution : la fin de l’histoire ? »). C’est sous l’influence de la substitution de l’« orientation client » à l’« orientation produit » et de la diffusion du numérique que se réalisent de nouvelles configurations que recense Moati : les distributeurs conçoivent les produits vendus sous leur marque et en assurent le marketing ; des industriels commercialisent eux-mêmes leurs produits auprès des consommateurs ; les géants du net ont créé des places de marché qui mettent en relation vendeurs et consommateurs, allant jusqu’à assurer la livraison des produits, voire le ravitaillement programmé en produits du quotidien. Toutes ces évolutions ont réduit le volume d’affaires du commerce physique, mais c’est évidemment des places de marché que vient la menace principale pour les distributeurs car, faute de disposer des compétences nécessaires au traitement des données, ils sont en train de devenir tributaires des plateformes numériques. Et Moati d’annoncer une nouvelle révolution commerciale qui verrait les géants du net réinventer l’intermédiation commerciale sans être commerçants !
33En fin de compte, l’histoire du commerce ne saurait se lire comme la succession de dispositifs techniques mais bien plutôt de configurations complexes qui se construisent à l’intersection de dynamiques amples et profondes qui mettent en mouvement de multiples acteurs (industriels, commerçants, État, consommateurs, spécialistes du marketing, juristes, mouvements consuméristes, etc.) et dans lesquelles les comportements des consommateurs jouent un rôle essentiel.
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Notes de bas de page
1 Sur la contribution des autres sciences sociales, on se reportera à Chatriot et Chessel (2006).
2 Notons, cependant, que s’agissant des grands magasins, nos lumières les plus vives nous sont longtemps venues de Henri Pasdermadjian (1949), qui était secrétaire général de l’Association internationale des grands magasins, et de Bernard Marrey (1979) qui, lui, était historien de l’architecture, avant que la monographie du Bon Marché réalisée par l’historien américain Michael B. Miller (1981, mais 1987 pour la traduction française) nous donne les éléments pour comprendre l’organisation et le fonctionnement de ce type d’établissement, même s’il manque malheureusement une analyse détaillée de l’évolution de l’assortiment (quels articles ? quels niveaux de gamme ? quels prix ?) et des clientèles, et si l’auteur étudie davantage le discours des grands magasins qui se donnent comme lieu d’une expérience fantastique que les comportements et les attitudes des consommateurs réels.
3 Il faut en particulier signaler la thèse de Béatrice Juilliard sur les magasins de nouveautés (1997) qui étudie le développement de certains de ces magasins, en particulier le Petit Saint-Thomas, jusqu’à leur transformation en grands magasins.
4 Au mieux, on leur consacrait quelques lignes, souvent en note, pour signaler leur existence. Deux exceptions mais outre-Atlantique : Marjorie Anne Beale (1982), et Brian Wemp (2010).
5 Signalons toutefois les recherches complémentaires d’un économiste, Patrick Messerlin, qui a cherché à comprendre les ressorts de la révolution des grandes surfaces (Messerlin, 1982), et d’un spécialiste du management, Christain Lhermie qui a poussé l’analyse de l’évolution de Carrefour jusqu’à la fusion avec Promodès en 1999 (Lhermie, 2001).
6 Cette notice collective était complétée par des biographies de Fournier, le fondateur de Carrefour, et de Leclerc (Daumas), et une notice consacrée à la famille Guichard, de Casino (Zancarini-Fournel), mais, globalement, dans le Dictionnaire historique des patrons français (Daumas et alii, 2010), les patrons du commerce étaient sous-représentés par rapport à ceux de l’industrie et de la banque.
7 Cette situation n’est d’ailleurs pas propre à la France. En Suisse aussi, les historiens du commerce ont négligé les petites villes et les campagnes. Un contrepoint récent : la thèse de Joël Jornod sur les magasins Gonset (2019).
8 Enquête sur l’alimentation populaire, MSH de Dijon, fonds André Varagnac, CRC I, II et III.
9 Des éléments dans Daumas (2018).
10 La thèse qu’Anne-Sophie Beau a consacrée au Grand Bazar de Lyon (2001) se limite à l’étude de son personnel.
11 On trouve cependant des éléments dans Furlough (1993), Lefeuvre (1997), Brachet Champsaur (2018) et Daumas (2018).
12 On ne peut que signaler le travail pionnier d’Isabelle Lescent-Giles (2002) qui comparait les trajectoires de la grande distribution en France et en Grande-Bretagne, et la tentative récente de Peter Scott et Patrick Fridenson (2018) de mettre à jour des traits communs dans l’évolution de la distribution européenne à partir d’une collection de monographies plutôt hétérogènes.
13 On lira cependant avec profit le petit essai de Heinz-Gerhard Haupt (2012). Voir aussi, bien sûr, Victoria de Grazia (2005), dont le propos est plus large, mais qui consacre un chapitre entier au supermarché.
14 Un exemple récent : la mise en place en 2004 par la FCD (Fédération du commerce et de la distribution) et son homologue allemand, l’HDE, de l’IFS (International Food Standard), un nouveau référentiel de sécurité alimentaire dont l’objectif est d’assurer une meilleure traçabilité des produits en certifiant les fournisseurs.
15 Cf. Castro (2010) pour l’étude de l’introduction de l’hypermarché en Espagne par les distributeurs français, Carrefour devant sa remarquable réussite à sa capacité à construire une offre adaptée aux préférences et aux habitudes des consommateurs espagnols.
16 Toutefois, même si les recherches sur ces questions sont peu développées, nous ne sommes pas entièrement dépourvus. Sur la coopération, on se reportera à Furlough et Strikwerda (1999), Meusy (2001), Toucas (2005), et Chenut (2010) ; sur les magasins à prix unique, à Furlough (1993) et Daumas (2018, p. 256-260) ; sur la VPC (vente par correspondance), à Azémia (1974), Le Blan (1993), et Desaegher et Siouffi (1993) ; et sur la concession, à Dupuy et Thoenig (1986).
Auteur
Jean-Claude Daumas, ancien élève de l’ENS Saint-Cloud, est professeur émérite à l’université de Franche-Comté où il a dirigé la Maison des sciences de l’homme et de l’environnement Claude Nicolas Ledoux (USR 3124), membre honoraire de l’Institut universitaire de France, et ancien président de l’Association française d’histoire économique. Il a d’abord consacré ses recherches à l’histoire des entreprises et du patronat avant de les élargir à celle de la consommation et de la distribution.
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