Conclusion
p. 343-348
Texte intégral
1En 1988 et 1989, la somme de mobilier en verre recensé dans le catalogue d’exposition de Bâle et de Bonn « Phœnix aus Sand und Asche, glas des Mittelalters » et dans celui de l’exposition de Rouen « À travers le verre, du Moyen Âge à la Renaissance » se présentait comme un premier bilan de l’état des connaissances sur le verre médiéval et une première synthèse à l’échelle de ces deux pays, où les différences typologiques — influences germaniques d’un côté, françaises de l’autre — marquaient immédiatement les esprits. La volonté de relier les objets à leurs contextes de découverte, de proposer des origines de production et des parcours de diffusion, participait pleinement de la démarche archéologique.
2Aujourd’hui, près de 30 ans après, et alors que ces catalogues restent des ouvrages de référence, quelle est l’originalité des articles proposés ici ?
3Tout d’abord, il n’est pas inutile de rappeler rapidement, à propos du verre et de la période qui nous intéresse, les VIIIe-XVIe siècle, l’indigence relative des découvertes de fragments de verre des deux premiers tiers de ce cadre chronologique et leur mauvais état de conservation. Si, sous la forme de récipients, d’éléments de parure, le verre est plus largement produit et diffusé à l’Antiquité et, pour certaines régions jusqu’au haut Moyen Âge, la raréfaction des dépôts funéraires a conduit à un amenuisement significatif des découvertes. Mais l’archéologie préventive, en intervenant davantage sur des sites d’habitats, urbains ou ruraux, a cependant permis de compenser ces carences, malgré la fragmentation importante des objets découverts dans ces contextes.
4En outre et comme on l’a souligné en introduction, cette période correspond à un changement important : le passage de la production de verre de tradition antique, fabriqué à l’aide de natron au Proche-Orient et refondu dans des ateliers secondaires, à celle de verre à base de cendres de plantes forestières ou halophytes produit en Occident. Une double approche des verres alto-médiévaux, associant typologie et archéométrie, prend alors tout son sens pour aboutir à une meilleure compréhension des dynamiques et des modalités de transition entre ces deux systèmes. La pauvreté des sources écrites et des données archéologiques sur les ateliers de production des VIIIe-XIIe siècles implique donc de mener davantage de travaux combinatoires afin de pallier ces déficiences.
5Cette tendance est parfaitement illustrée par les études de verres du haut Moyen Âge proposées dans cet ouvrage. Deux d’entre elles correspondent à des observations de verres découverts en contexte religieux.
6D’une part, dans le bourg monastique bénédictin de Jumièges en Normandie, où à partir de très peu d’éléments, un bloc de verre brut et un fragment de creuset, mais également une vingtaine de tessons de verre creux, de verre plat et des déchets d’artisanat, Inès Pactat, Gilles Deshayes, Bernard Gratuze, Yves-Marie Adrian et Jacques Le Maho ont identifié un atelier de verrier du VIIIe siècle associé à l’abbaye. Les analyses physico-chimiques y attestent la refonte de groisil et de matière brute originaire du Proche-Orient.
7D’autre part, à Baume-les-Messieurs dans le Jura, Carine Bayol, Sébastien Bully, Claudine Loisel, Line Van Wersch et Umberto Veronesi analysent une série exceptionnelle de plus de 1500 vitraux de la fin du VIIIe siècle en associant également ici les mesures conservatoires des verres plats ornés de peintures et de grisailles. La précocité notable de l’usage de verre calco-potassique y est démontrée par les analyses de composition élémentaire. Cet ensemble de verre plat est le plus ancien et le mieux préservé d’Europe.
8Une troisième étude, menée à l’échelle régionale par Céline Aunay, Amélie Aude Berthon, Bernard Gratuze, Magalie Guérit, James Motteau et Inès Pactat, offre un premier référentiel typo-chronologique et archéométrique des formes utilisées entre le VIIIe et le Xe siècle dans la moyenne vallée de la Loire et la basse vallée de la Vienne. Si quelques petites séries de verres avaient déjà fait l’objet d’une publication, elles sont reprises ici dans un cadre plus large et à l’aide de nombreuses données inédites. Ce mobilier est comparable, dans les parentés de formes, les techniques ornementales et l’emploi de la couleur, au matériel trouvé dans d’autres régions, d’où la difficulté de séparer les produits régionaux des importations.
9Le verre italien, pour lequel la documentation écrite et archéologique est abondante (il faut en particulier mentionner pour les VIIIe-IXe siècles le site de San Vincenzo al Volturno) a également fait l’objet de cette double approche typo-chronologique et archéométrique à travers deux articles de synthèse qui abordent respectivement l’un et l’autre aspect.
10Le premier article, dans lequel il est difficile de rendre compte, en si peu de pages, de la richesse des découvertes et de leur originalité, est porté par cinq spécialistes membres du comité italien de l’AIHV, Marina Uboldi, Simone Lerma, Alessandra Marcante, Teresa Medici et Marja Mendera. Parmi les nombreuses formes présentées, on peut citer les verres à haute tige massive lisse ou torsadée de la fin IXe-XIIe siècle qui rappellent des verres trouvés en Espagne et dans le Sud de la France ou ils sont plus précoces (fin VIIe-fin VIIIe). Deux aires de production existent sans doute, mais on ignore si elles sont contemporaines. Ces verres incolores ou bleutés peuvent relever de plusieurs groupes de composition.
11Cette étude riche en références est complétée, pour le nord et le centre de l’Italie, par une importante synthèse des analyses chimiques entreprises sur des verres datés du VIIe au XIIIe siècle, un travail statistique réalisé par Alberta Silvestri, Marco Pescarin Volpato et Alessandra Marcante.
12Cette formidable entreprise de dépouillement, de compilation et de traitement des données disponibles pour offrir un état de l’art à une très large échelle géographique et chronologique a aussi été menée pour le Portugal par Teresa Medici. Si l’on regrette l’absence d’une contribution sur l’Espagne1, l’étude du verre découvert au Portugal met en évidence des parallèles entre formes et techniques décoratives visibles sur les verres de ce pays et ceux d’Al-Andalus : les objets du XI-XIIe siècle, voire ceux du XIIIe siècle relèvent d’une même culture islamique. Malgré une faible documentation, l’auteure a en effet réussi à mettre en relief ces influences islamiques qui caractérisent la verrerie jusqu’au XIIIe siècle et pour lesquels on peut se demander s’il existe une ou plusieurs aires de production. Puis, du XIVe au XVIe siècle, les formes sont sensiblement les mêmes que celles répertoriées sur le reste du continent. À noter la découverte d’un objet remarquable, un aspersoir du XVIe siècle.
13De même, Irena Lazar a actualisé ses travaux antérieurs pour nous offrir une synthèse renouvelée, complétée par une bibliographie abondante et pertinente sur la Slovénie et les Balkans, où les importations italiennes et allemandes se côtoient, bien que les archives croates attestent des productions à Dubrovnik au XIVe siècle2.
14Du côté des mondes germanique et franc, les synthèses déjà établies dans les catalogues de 1988 et 1989 cités ci-dessus n’ont pas donné lieu à de nouvelles réflexions à l’échelle nationale, mais à des études régionales ou locales pour lesquelles les travaux sont thématiques ou contextuels.
15Sveva Gai propose ainsi une synthèse sur le verre creux et le verre plat des VIIIe-XVe siècles en usage dans les sites royaux et princiers de Westphalie, région où les secteurs forestiers livrent une production de verre documentée à partir du XIIe siècle, hormis un petit four carolingien trouvé sur le site royal de Paderborn. Contrairement aux occupations du XVIe siècle riches en verres, les sites médiévaux ont livré peu de verre dans cette région et les petits ensembles mis en lumière sont encore insuffisants pour dresser une chrono-typologie.
16Les gobelets à gouttes rapportées des XIIIe-XIVe siècles découverts au nord des Alpes permettent à Erwin Baumgartner de remettre en perspective la problématique des lieux de production de ces verres présents dans plusieurs régions européennes, introduisant ici un débat d’ordre méthodologique3.
17Présentés lors du colloque de Besançon, les verres émaillés des XIIIe-XIVe siècles provenant du même espace géographique ont fait l’objet d’un article dans le volume 60 du Journal of Glass Studies par Ingeborg Krueger, non repris ici.
18La diffusion du verre européen sur les sites coloniaux français au Canada à partir du XVIe siècle est l’objet d’un état de la question, par Agnès Gelé et Adelphine Bonneau, qui abordent la distribution des productions françaises dans ces territoires nouvellement conquis, et synthétisent l’histoire des premiers établissements verriers du Nouveau continent. S’il met en outre l’accent sur le déficit avéré de liaison entre les recherches outre-Atlantique et les recherches françaises, cet article est accompagné d’une riche et précieuse bibliographie particulièrement bénéfique à la recherche croisée entre Nouveau et Vieux continent.
19En plus des synthèses sur le haut Moyen Âge citées ci-dessus, les autres études françaises concernent surtout des collections de verres issus de fouilles récentes ou des archives écrites et iconographiques jusqu’alors inexploitées, datées de la fin du Moyen Âge et de la période moderne.
20Diverses collections de verre trouvé dans le sud de la France permettent des synthèses locales ou régionales ou renouvellent les données sur la région.
21L’une, provenant du couvent royal Notre-Dame-de-Nazareth à Aix-en-Provence, occupé dans la première moitié du XIVe siècle, est étudiée par Mathilde Patin qui révèle un mobilier totalement inédit dont le principal intérêt est la datation homogène et précise. Par ailleurs, l’auteur a travaillé sur la représentativité de la céramique de table par rapport à celle du verre, donnée rarement traitée.
22À Montpellier et en Languedoc, l’originalité de quelques récipients en verre bleu produits à la charnière des XIIIe et XIVe siècles est mise en lumière par Danièle Foy qui soulève en outre la question de l’origine des colorants. Ces productions colorées et originales (nouvelles formes) seraient attribuées aux ateliers languedociens de la fin du XIIIe-début du XIVe siècle, confirmant ce qui avait été autrefois entrevu lors des fouilles de l’atelier de la Seube situé dans les Causses au nord de Montpellier.
23Le verre en usage à Toulouse et ses environs à la fin du Moyen Âge, issus de contextes urbains ou ruraux, civils, aristocratiques ou religieux, présenté par Sophie Cornardeau, vient étoffer la typologie connue jusque-là grâce au caractère inédit d’une grande partie des récipients étudiés. Parmi les verres à tige déjà publiés, celui découvert à l’Hôpital Larrey (fig. 3, n° 8) trouve un bon parallèle dans les fouilles de la Commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem à Aix-en-Provence4. Plus rares que les verres à tige côtelés, ces verres à coupe hémisphérique décorée de filets appliqués et pincés et à tige creuse sont bien datés de la fin du XIIIe siècle. Les verres du XVe siècle dont le pied est formé d’une résille de filets incolores et bleus (fig. 5, n° 3 et 4) sont probablement des productions régionales déjà connues dans le sud-ouest5.
24Une synthèse thématique élaborée par Catherine Hébrard-Salivas et Isabelle Commandré met en évidence la production de verre décoré d’émail, de filets blancs ou « dorés » au XVIe siècle en Aquitaine et en Occitanie, attestant un indéniable savoir-faire des artisans locaux ; fondée à partir d’une documentation archéologique, cette étude fait largement appel aux sources écrites. Il est remarquable d’avoir cerné aussi précisément l’aire possible des productions. Cette étude, qui présente des pièces à décor historié et à inscription, enrichit le corpus et propose de voir dans ces objets des productions antérieures à l’installation des artisans italiens dans la région. Ces fabrications colorées qui se font dans un milieu rural, ce qui est inattendu, reflètent évidemment une influence italienne : elles sont dites « façon de Venise ». Il ne semble pas qu’il s’agisse de productions très rares et précieuses, il est possible que certaines pièces avec inscription soient des commandes ponctuelles, sinon ces verres sont vendus comme tous les autres par lots et non à l’unité. Il faut certainement s’attendre à une multiplication des attestations archéologiques de ce type de verres : aux sites qui ont fourni du verre émaillé et doré, on peut déjà ajouter celui de l’abbaye de l’Escaladieu dans les Hautes-Pyrénées (fragments à émail blanc opaque et fragments polychromes et dorés)6. Cette enquête détaillée et novatrice s’inscrit dans les problématiques actuelles développées dans le projet Cristallo centré autour des verres émaillés de la Renaissance7.
25Deux autres articles connectent archéologie et archives illustrant une démarche scientifique incontournable pour ces périodes riches en données écrites.
26Une étude ponctuelle d’un atelier provençal du dernier quart du XVe siècle est réalisée à partir d’un acte notarié exceptionnellement précis, une commande datée de 1487 détaillant les productions et mettant en évidence une exportation de verres provençaux vers la Sicile : elle est analysée par Philippe Bernardi et Danièle Foy. Ce document d’un très grand intérêt est le seul à témoigner de la force productive d’un atelier rural et de ces débouchés commerciaux au-delà des mers.
27Côté Roussillon et massif des Albères, c’est Denis Fontaine et Jordi Mach qui commentent les conditions de création et d’organisation des ateliers de verriers entre 1350 et 1650, mettant en évidence une spécificité régionale de l’atelier villageois, à mi-chemin entre officine urbaine et verrerie forestière. L’étude régionale, très documentée à partir XVe siècle, permet de tenter une classification des ateliers en fonction de leur localisation, de leur organisation et du commerce des verres.
28Dans l’Est de la France, les verres des XVe et XVIe siècles issus de fouilles archéologiques récentes de deux sites lyonnais sont présentés par Laudine Robin ; bien que de formes communes, ces verres viennent avantageusement compléter les rares occurrences locales, cette période étant archéologiquement peu représentée à Lyon.
29Une synthèse des verres utilisés à Besançon au XIVe et au XVe siècle permet à Claudine Munier de présenter une typologie qui fait la part belle aux verres à tige et aux petits flacons-gourdes ; et parmi la centaine de récipients observés, l’analyse d’une coupelle à décor bleu atteste sa production dans la verrerie haut-saônoise de Saint-Gand (ou de la Chapelle-Saint-Quillain), inédite, concomitamment à l’usage de coupelles similaires produites dans le domaine méditerranéen, sans doute provençal.
30Hormis cette verrerie de Saint-Gand repérée en forêt par des vestiges de creusets et de déchets de verre, les verreries médiévales comtoises sont uniquement connues par les archives : certaines d’entre elles sont présentées par Jacky Theurot à travers un article riche en informations sur les acteurs de la fabrication du verre, et qui suppose une ancienneté remontant au XIe-XIIe siècle en forêt de Chaux.
31Plus au nord et à l’ouest, les verres découverts à Orléans et datés entre la moitié du XVe et la moitié du XVIe siècle, ont été étudiés par Magalie Guérit, Bernard Gratuze et Pascal Joyeux ; les analyses attestent des productions continentales pour la gobeleterie, alors qu’une carafe vient du domaine méditerranéen.
32À Paris, une synthèse des verres provenant de fouilles à l’emplacement de contextes bien particuliers, les collèges réguliers ou séculiers de la fin du Moyen Âge jusqu’au XVIe siècle, est proposée par Catherine Brut et Maria Teresa Penna, qui démontrent que les types de verres présents dans ces milieux sont les mêmes que ceux présents dans les autres types de contextes parisiens de cette période.
33Le couvent des Jacobins de Rennes, occupé à partir de 1369 par les Dominicains, a fait l’objet d’une fouille préventive importante. Le verre issu du réfectoire, étudié par Françoise Labaune-Jean, Gaétan Le Cloirec et Stéphane Jean, définit un ensemble homogène de verres à boire et de gobelets (dont des gobelets à pastilles rapportées qui apportent une occurrence supplémentaire sur la carte de répartition), mais aussi du verre plat architectural des XIVe-XVe siècles.
34Enfin, l’instrumentum abordé par Olivier Thuaudet et Andreas Hartmann-Virnich concerne des accessoires de ceinture du XIVe siècle qui associent alliage cuivreux et verre peint inspirés de motifs architecturaux et du vitrail. Ces accessoires de ceinture sont particulièrement originaux : si la combinaison métal et émail est relativement fréquente dans les petits objets antiques et médiévaux, il est beaucoup plus exceptionnel de rencontrer du verre peint, en outre très esthétique grâce aux aplats de peinture rouge et de peinture bleue. Cette approche interdisciplinaire, issue de la thèse d’Olivier Thuaudet, est originale et éclairante grâce à ses intéressants compléments tournés ici vers le domaine architectural. Il s’agit du seul article traitant du verre en tant qu’élément décoratif, mais il ne faut pas oublier que ce dernier est également utilisé au Moyen Âge sous forme d’incrustations murales8, sur les meubles ou les coffrets.
35Les contenants destinés aux préparations des encres du copiste et à celles des peintures du peintre ou de l’enlumineur des XIVe-XVe siècles, cornets, ampoules, burettes et autres récipients dédiés, sont inventoriés par Claudine Brunon à partir de sources iconographiques et écrites. Si les archives mentionnent régulièrement l’usage du verre à cet effet, en revanche, sur un corpus de 150 enluminures consultées, seule une petite proportion montre des contenants en verre dans les ateliers de travail, car l’iconographie ne commence à en faire l’écho qu’à partir du XVe siècle. L’archéologie demeure par ailleurs une source particulièrement ingrate sur ce sujet, l’absence des contenus rendant difficile l’interprétation des contenants.
36Ainsi s’achève l’inventaire des articles présentés dans ces actes de colloque. Mais ailleurs, quelques objets en verre ont fait l’objet, directement ou indirectement, d’études particulières, et d’autres publications en ont fait état : pour n’en citer que quelques-uns, les lunettes9, les petits miroirs10, les flacons d’apothicaire11 ou d’alchimiste12, ainsi que les urinaux. Pour ces derniers, on le savait déjà, mais tous les nouveaux travaux confirment que l’urinal est l’instrument de médecine en verre le plus fréquent. Dans pratiquement tous les lots de mobilier en verre découverts dans les contextes du XIII-XVe siècle, des fragments sont identifiés à des urinaux. L’iconographie (il est l’objet qui symbolise le médecin dans les enluminures) et les textes témoignent également de la popularité de cet objet : par exemple, plusieurs centaines d’urinaux sont fabriqués en quelques mois dans une verrerie provençale13. Ce constat rejoint les études récentes de Laurence Moulinier-Brogi14 montrant que l’uroscopie est la principale pratique médicale au Moyen Âge dans le monde occidental. Bien que non ignorée dans le monde antique tout comme au Moyen Âge dans les terres d’Islam, elle est peu pratiquée, et là encore sources écrites et archéologiques convergent. A contrario on remarque l’absence de ventouses dans les découvertes de verres médiévaux en Occident, alors que cet objet est fréquent dans la verrerie médiévale islamique. La confrontation entre l’archéologie et les textes mériterait d’être davantage développée.
37Quant aux vitraux, les études récentes ont apporté beaucoup à leur connaissance grâce à l’enrichissement notable de la documentation archéologique, illustrée ici par l’exceptionnel lot de verre carolingien découvert à Baume-Les-Messieurs (Jura) présenté dans ce volume. Pour cette période, ces données « compensent » la rareté des découvertes de récipients pour lesquels les typologies sont trop modérément renouvelées, bien que des progrès dans les datations soient manifestes grâce aux contextes « stratigraphiés » et aux analyses. Les compositions du verre à vitre ont été à plusieurs reprises étudiées, souvent à partir des vitraux d’églises. On peut retrouver plusieurs articles à ce sujet dans le récent catalogue « Le verre un Moyen Âge inventif » dirigé par Sophie Lagabrielle, qui fait la part belle à ce matériau.
38Outre le verre à vitre, l’église de Baume-Les-Messieurs a livré de rares récipients carolingiens liés à la liturgie ou, pour le XIIIe siècle, déposés dans une tombe. Ainsi, les contextes religieux apportent parfois des objets ayant servi au culte ou à l’éclairage et qui n’ont pas été rejetés hors de l’espace sacré. Ces verres sont principalement des lampes, mais aussi des burettes, des calices… provenant d’églises ou de synagogues. Quelques publications en font référence15. Dans les tombes, plusieurs fonctions de ces dépôts d’objets en verre sont envisagées : les lampes pour une lumière protectrice, les calices et les fioles en verre ou en étain correspondent soit aux attributs d’un prêtre comme on l’a souvent suggéré (ce qui signifierait que le défunt est un dignitaire ecclésiastique), ou aux réceptacles de l’Eucharistie pour la communion des morts (ce qui signifierait que le défunt est peut-être un laïc), ou encore à une protection contre le démon16.
***
39L’ensemble des informations acquises lors de ce colloque complète incontestablement nos connaissances sur le verre médiéval en Europe Occidentale. Les articles illustrent les avancées chronologiques, en particulier pour le début de la période considérée, les avancées méthodologiques avec la systématisation d’approches pluridisciplinaires, archives et archéométrie, les avancées thématiques, avec l’étude d’ensembles exceptionnels, par exemple celui des verres à vitre de la fin du VIIIe siècle provenant de Baume-les-Messieurs dans le Jura, et des avancées dans nos connaissances des collections internationales. Le cumul des références bibliographiques proposées dans l’ensemble des articles des actes offre une recension quasi exhaustive des publications sur le verre de la période qui nous intéresse ici. Plusieurs regrets toutefois avec l’absence de communication sur le verre du Royaume-Uni, d’Espagne ou de Belgique et des Pays-Bas, mais également de certaines régions françaises (Hauts-de-France ou Grand Est par exemple). En outre, les données archéologiques manquent encore cruellement concernant les ateliers médiévaux. En effet, quasi aucune structure de production n’a été fouillée ces dernières années, alors que plusieurs officines de verriers de l’Antiquité, qui ont plus ou moins bien conservé leurs fours, ont été mises au jour dans de très nombreuses régions. Des indices probants d’ateliers des époques mérovingienne17 et carolingienne ont été reconnus sur le terrain par la présence de déchets de production et parfois par des outils (creusets), mais aucun four n’est conservé. Nous ne connaissons pratiquement pas de fours de verriers du Moyen Âge central hormis ceux qui ont été fouillés dans le Midi il y a trois ou quatre décennies. Pour la fin du Moyen Âge, on peut cependant rappeler un atelier du XIVe siècle avec un four très ruiné récemment découvert dans l’Aveyron18. L’atelier haut-saônois de Saint-Gand - La Chapelle-Saint-Quillain, repéré il y a trente ans par un forestier, a rapidement été étudié à partir du mobilier récupéré alors (dont des fragments de récipients à décor bleu cobalt et des creusets analysés récemment et datés des XIVe et XVe siècles)19, mais n’a jamais fait l’objet d’une vérification in situ, encore moins d’une fouille.
40Ce manque d’information sur les ateliers médiévaux risque de durer car ils sont ruraux et souvent forestiers, donc souvent mal conservés, très arasés ou d’accès difficiles. Il existe cependant des ateliers villageois comme le montre l’enquête sur l’artisanat verrier du Roussillon20, et on doit aussi rappeler que le village provençal de Rougiers (Var) doit probablement sa réoccupation dans le second tiers du XIVe siècle à l’artisanat du verre.
41Cependant, les textes permettent parfois d’étudier la topographie, les conditions de fonctionnement et, dans certains cas, les productions et leurs marchés.
42Si en Italie on ne connaît pas de texte sur les ateliers, et qu’au Portugal aucune documentation écrite sur le sujet n’est recensée avant le XVe siècle, en revanche, dans le sud de l’Espagne et plus précisément en Al-Andalus, plusieurs mentions écrites complètent la fouille des ateliers de Murcie. Là, plusieurs fours de verriers, dont la fonction précise n’est pas toujours bien définie, ont été découverts : les ateliers urbains de Puxmarina et de Belluga fonctionnaient au XIIe siècle, utilisant de grands creusets modelés. La structure des fours les mieux conservés est comparable à celle des ateliers de l’époque médiévale et moderne connus en Europe. Autour et au-dessus du foyer central et allongé, une banquette en fer à cheval accueillait jusqu’à neuf creusets. Ces ateliers produisaient de la vaisselle et des vitres en couronne21.
On peut également rappeler les études d’archives concernant Majorque22. En Slovénie et dans les Balkans, les mentions écrites d’ateliers sont rares, contrebalancées par les importations attestées par les fouilles d’épaves et la présence de modèles italiens et germaniques.
43Concernant le verre médiéval, le potentiel à exploiter reste encore important, que ce soit par les typologies, l’archéométrie, les archives ou l’iconographie, mais c’est peut-être surtout sur les ateliers eux-mêmes, par la fouille d’installations artisanales en particulier, que l’effort devrait être porté. Reste également à se tourner davantage vers les aspects technologiques et se poser la question de potentielles innovations ou inventions qui, comme pour la métallurgie et ses soufflets hydrauliques au XIIe siècle, auraient permis, au cours du Moyen Âge, d’améliorer les procédés techniques d’obtention du verre.
Notes de bas de page
1 Le verre d’Espagne peut être apprécié dans le catalogue d’exposition « El vidrio en la Alhambra, desde el periodo nazarí hasta el siglo XVII », tenue au Museo de la Alhambra, Granada, mayo 2016-marzo 2017.
2 Hors des Balkans au nord, le verre slovaque de Bratislava a fait l’objet d’un article (cité en note 1 de l’introduction à ces actes de colloque).
3 Sur le sujet des liens culturels entre Venise et le monde germanique à la fin du Moyen Âge, lire p. Braunstein, Les Allemands et les métiers du verre à Venise à la fin du Moyen Âge, In, « Le verre un Moyen Âge inventif », éd° de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Paris, 2017, p. 192-195.
4 Le Verre, un art du feu au Moyen Âge. Catalogue d’exposition, 1er juillet-15 octobre 2004, Église Saint-Sauveur de l’Hauture, Fos-sur-Mer, Istres, 2004, p. 11.
5 Hébrard-Salivas, L’activité verrière dans le quart sud-ouest de la France du XIVe au XVIIe siècle : production, consommation, commercialisation. Thèse de doctorat. Université Aix-Marseille. 2014, 340-341. Voir aussi dans les actes de ce colloque de Besançon l’article de C. Hébrard-Salivas et I. Commandré : fig. 3e.
6 R.J. Charleston, « Le verre de l’Escaladieu » in C. Platt, Fouilles à l’abbaye cistercienne de l’Escaladieu, Bagnères de Bigorre, 1971 : Les éditions Pyrénéennes, p. 40-44.
7 F. Barbe, F. Filipponi, « Les verres émaillés vénitiens de la Renaissance : le projet Cristallo », Annales du 20e congrès de l’AIHV, Fribourg-Romont, sept. 2005, Romont, 2017, p. 435-445.
8 Lagabrielle S., De Byzance au Royaume capétien : faire scintiller le verre au-delà des fenêtres. In, « Le verre un Moyen Âge inventif », éd° de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Paris, 2017, p. 62-65.
9 Frugoni C., « Le Moyen Âge sur le bout du nez. Lunettes, boutons et autres inventions médiévales ». Les Belles Lettres, Paris 2011. Lagabrielle S., Lunettes et miroirs de Nuremberg à Venise. In : « Le verre un Moyen Âge inventif », éd° de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Paris, 2017, p. 200-207. Lagabrielle S., Jeux de reflets des miroirs de poche aux premières lunettes. Ib., p. 146-152.
10 Krueger I., « Glasspiegel im Mittelalter. Fakten, Funde und Fragen », Bonner Jahrbücher, 190, 1990, p. 233-313. I. Krueger, « Glasspiegel im Mittelalter II. Neue Funde und neue Fragen », Bonner Jahrbücher, 195, 1995, p. 209-248.
11 Alexandre-Bidon D., Ampoules, flacons, bouteilles et bocaux. Le verre dans l’apothicairerie (XIIIe - XVIe siècle), In, « Flacons, fioles et fiasques de l’Antiquité à nos jours », actes du colloque de l’Association Verre & Histoire 2013, 2019 .
12 Thomas N., Rodrigues N., Le verre dans la médecine et dans le laboratoire alchimique. In, « Le verre un Moyen Âge inventif », éd° de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Paris, 2017, p. 196-199.
13 Voir Bernardi et Foy dans ce volume.
14 Moulinier-Brogi L., « L’Uroscopie au Moyen Âge : lire dans un verre la nature de l’homme », Paris : Honoré Champion. 2012.
Moulinier-Brogi L. : «Fonctions et pouvoirs d’un flacon : l’urinal au Moyen Âge». In : Lagabrielle S. (dir.) « Flacons, fioles et fiasques de l’Antiquité à nos jours », actes du 3e colloque international de l’Association Verre & Histoire tenu en 2013 à Rouen, 2019, p. 109-116.
15 Riflessi del passato. Vetri da scavi archeologici del Finale, 2003. Catalogue d’exposition, 13 septembre 2003-11 janvier 2004 au Museo Archeologico del Finale, Finale Ligure. Bordighera : Istituto Studi Liguri. En particulier p. 10-13. C. Hébard-Salivas, « La verrerie de la chapelle Saint-Jean-Baptiste (Périgueux-Dordogne) », BullAFAV 2010, p. 134-136. Garcia Sandoval J., 2009, « El resplandor de las lámparas de vidrio de la sinagoga de Lorca. Estudio tipolócico », in Lorca. Luces de Sefarad, catalogue d’exposition, Museo arqueologico de Murcia. Murcie, 260-303. Lerma S. G., « I vetri sacrarium della chiesa di S. Barnaba Apostolo a Villata », in Quaderni della Soprintendenza Archeologica del Piemonte, 31, 2016, p. 111-124.
16 Dabrowska E., « Passeport pour l’au-delà. Essai sur la mentalité médiévale », in Le Moyen Âge, CXI, 2005-2, p. 313-337.
17 Par exemple tout récemment à la Roche-sur-Yon en Vendée : information d’Edith Peytremann, Inrap Bretagne, octobre 2018, que nous remercions.
18 M.-G. Colin, « L’atelier de production de verres creux de La Verrière à Saint-Chély d’Aubrac », in L. Fau (dir.), Les Monts d’Aubrac au Moyen Age. Genèse d’un monde agropastoral, DAF 101, Paris, 2006, p. 177-193.
19 Voir article C. Munier dans ce volume.
20 Voir article D. Fontaine et J. Mach dans ce volume.
21 Jiménez Castillo P., Navarro Palazón J., Thiriot J. 1998, « Taller de vidrio y casas andalusies en Murcia. La excavación arqueológica del Casón de Puxmarina », Memorias de Arqueologia, 13, 1998, p. 419-458.Jiménez Castillo P., Navarro Palazón J., Thiriot J. 2000, « Les ateliers urbains de verriers de Murcia au XIIe s. (C. Puxmarina et Pl. Belluga) ». In : Arts du feu et productions artisanales. XXe rencontres internationales d’Antibes. Antibes, 433-452.
22 Capellà Galmès M.A., 2015. Ars vitraria. Mallorca (1300-1700). Palma : Universitat de les Illes Balears.
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Libertaire ! Essais sur l’écriture, la pensée et la vie de Joseph Déjacque (1821-1865)
Thomas Bouchet et Patrick Samzun (dir.)
2019
Les encyclopédismes en France à l'ère des révolutions (1789-1850)
Vincent Bourdeau, Jean-Luc Chappey et Julien Vincent (dir.)
2020
La petite entreprise au péril de la famille ?
L’exemple de l’Arc jurassien franco-suisse
Laurent Amiotte-Suchet, Yvan Droz et Fenneke Reysoo
2017
Une imagination républicaine, François-Vincent Raspail (1794-1878)
Jonathan Barbier et Ludovic Frobert (dir.)
2017
La désindustrialisation : une fatalité ?
Jean-Claude Daumas, Ivan Kharaba et Philippe Mioche (dir.)
2017