III. Le Soulier de satin : L'affrontement de la violence et du sacré
p. 213-265
Texte intégral
1Avec Le Soulier de satin s'ouvre une période où l'inspiration biblique de Claudel apparaît encore une fois renouvelée. L'ambition de chacune des grandes œuvres précédentes est, en effet, reprise en une seule. L'affrontement de l'individu avec la foule se fait au sein d'une réalité historique devenue concrète, comme dans la Trilogie, même si elle est moins précise. La mystique des Poésies continue de s'imposer. Et le drame personnel est réintroduit.
2Mais le souvenir vécu est, dans de telles conditions, si stylisé qu'il peut être symbolisé par un geste. Que celui-ci soit à l'origine du drame ou le résume, l'ensemble de l'œuvre vient s'organiser autour de lui. L'auteur étant alors en possession d'un donné visuel, l'effort créateur est moins de recherche de la parole à dire que d'élucidation et du commentaire de l'image initiale. L'apport des Écritures peut être très différent selon qu'elles inspirent le geste même, le commentaire qui suit immédiatement, ou une méditation approfondie plus dégagée du moment premier.
3On peut ainsi distinguer, dans l'écriture du Soulier de satin, deux temps différents où la Bible n'a pas la même place.
4Claudel a conçu la quatrième Journée d'abord et séparément. Il y envisage la situation présente et n'y porte pas, comme dans les trois premières, un regard en arrière.
5En mai 1919, il eut l'idée d'un « petit drame espagnol » qui deviendra « Sous le vent des îles Baléares » et qui présente « un vieux conquistador ». Un an plus tard, il précise son héros et introduit, entre autres personnages, « une de ses filles » qui le tient « captif et enchaîné »1. Le tableau final est ainsi ébauché.
6L'auteur ne songe pas alors à la Bible. Il n'y a guère de rapport entre ce vieil homme « malheureux en amour » qui s'est vengé « en ravageant le Maroc et en culbutant la Cordillère des Andes »2 et le Christ. Le tableau final établira, il est vrai, au moins un rapport d'analogie : Rodrigue, apparemment moins chargé de fautes, sera livré non à sa fille, mais à des soldats, comme Jésus même.
7La dernière Journée s'organise donc en fonction d'un acte qui n’est pas, en soi, chrétien, d'un sacrifice qui n'est pas celui de l'Évangile. La présence des Écritures se manifestera à un niveau sous-jacent double. L'importance de la mystique paulinienne, déjà sensible dans les « Hymnes », se manifestera à travers le personnage de Sept-Épées. Rodrigue montrera l'évolution et la christianisation du héros claudélien.
8Les thèmes bibliques s'intégreront, au contraire, aisément dans les trois premières Journées car elles représentent de véritables regards en arrière. Elles correspondent à un effort d'élucidation, de compréhension. Les thèmes apporteront l'éclairage spirituel nécessaire, ils donneront explication. Il est assez remarquable, de ce point de vue, qu'ils accompagnent, bien plus que le personnage principal, ceux qui ont vocation de le conduire à la situation où il se trouve dans la quatrième Journée. Ils aboutissent alors à une véritable construction théologique, extrêmement consciente, qui rend compte de toute l'expérience d'une vie et qui la justifie.
A. La crise sacrificielle
9La quatrième Journée semble avoir été conçue en fonction du tableau final. Dès la première scène, l'immolation de Rodrigue est annoncée et préparée. Le contexte du drame est fixé avec netteté. Les « feuilles de Saints » peintes par Rodrigue montrent la fascination, devant le sacré, d'une humanité, angoissée lorsque celui-ci apparaît dans sa force, agressive lorsqu'il paraît dans sa faiblesse. La piété qui a poussé le Roi d'Espagne à lancer l'invincible Armada contre l'Angleterre est plus que suspecte. Elle semble faite d'une double aspiration malsaine au sacrifice. Le Roi se complaît, dans le désastre de sa flotte, au rôle de victime, autant qu'il eût aimé celui de bourreau s'il avait pu, nouveau Jupiter, clouer le révolté à son rocher.
10Le personnage de Marie de Sept-Épées contribue à donner l'atmosphère de crise sacrificielle3. Elle éprouve une vocation du sacrifice qui n'est pas nécessairement plus pure que celle du souverain, et, dans cette mesure, elle est proche des autres personnages. Mais elle est aussi celle qui nage naturellement dans les eaux de la Grâce.
11Nous sommes ainsi en présence d'un monde dont la spiritualité est si usée qu'il est incapable de dialoguer avec le sacré autrement que par la violence. Attiré en une sorte de vertige par Rodrigue qui en dépit de ses faiblesses le porte en lui, il le frappera. Mais, en même temps, cette société contient en elle Marie qui sera l'instigatrice d'un univers régénéré. La jeune fille sera le rejeton de l'arbre de Jessé, la semence du monde futur.
12Rodrigue n'est donc pas l'objet d'une simple persécution. Il s'agit d'une véritable oblation sacrificielle. Mais, pour que celle-ci soit féconde, la nécessité qu'en ressent une société sclérosée, mais capable de revivre, ne suffit pas. La victime doit répondre à trois conditions essentielles, être à la fois coupable, digne de l'immolation et consentante.
13Or, le choix du personnage correspondant avec la première idée du drame ne pouvait guère s'accorder avec cette triple image. On gardait l'ancienne opposition Animus/Anima. Et de l'avoir inversée conformément à l'évolution manifestée dès la Trilogie ne résolvait rien. Animus devenait l'hostie, au lieu d'être le persécuteur d'Anima, comme Tête d'Or l'était de la Princesse. Mais, s'il restait tout Animus, il ne pouvait devenir une hostie consentante.
14La situation dramatique devait donc être modifiée. Anima en est pratiquement exclue. Elle abandonne son rôle de bourreau qui, d'ailleurs, lui convenait mal. Sa vocation devient essentiellement mystique. Le dialogue entre Animus et Anima se fait alors à l'intérieur du personnage masculin. Rodrigue devient l'un et l'autre. Il n'est pas un mâle tout pur. Il est aussi, au plan spirituel, femelle. Il est, dans la quatrième Journée, à la fois Tête d'Or, Cébès et la Princesse.
15Il répond alors aux trois conditions de la mort sacrificielle. Sa violence la lui fait mériter. Sa spiritualité le rend digne d'être offert en oblation. Sa charité lui permet de la sanctifier par l'acceptation qu'il en fait.
1. L'humanité face au sacré
16Confrontée au sacré, l'humanité se montre le plus souvent incapable de dialoguer avec lui, car elle le ressent comme une force étrangère. Le Soulier de satin laisse deviner, pourtant, de sa part, trois réponses possibles devant les manifestations du divin : la terreur angoissée, l'agressivité, mais aussi la communion voluptueuse. Sur des plans très différents, les « feuilles de Saints » et le Roi d'Espagne témoignent des deux premiers sentiments, Marie de Sept-Epées, du troisième, surtout. Même si elle participe aux impuretés inhérentes à la nature humaine, elle est, avant tout, celle qui nage dans les eaux de la Grâce.
a) Le regard angoissé
17Les premières allusions scripturaires peuvent être l'occasion de plaisanteries gratuites. Mais elles ne participent pas vraiment à l'exposition du drame qui traduit surtout l'inquiétude de l'homme devant les forces qui le dépassent.
18La pièce s'ouvre sur une quête d'un trésor qui n'est vraisemblablement pas sans rapports avec la perle de l'Evangile : le réel laisse l'homme insatisfait, il cherche un absolu auquel il ne sait pas donner de nom. Sans mettre en cause le sérieux de la recherche, la part de la bouffonnerie est grande. Comme aux Noces de Cana, à proximité du mystère, l'eau semble devenue du vin : « Si ça ne vous a pas un petit goût de vendange, je veux qu'on me fiche dans les Contributions Indirectes. »4 Mais ce n'est qu'une illusion de poète ! Selon un pêcheur, Rodrigue aurait représenté « Saint Joseph sur le Mont Ararat à qui l'on a concédé l'Arche de Noé »5. Mais ce n'est qu'une fantaisie de mauvais plaisant !
19Le vrai sens de la parabole est que l'on ne touche pas impunément au sacré. Il est terrible. Le seul pêcheur qui ait jamais tenu le trésor entre ses bras est devenu fou. Les « feuilles de Saints » laissent deviner l'anxiété de l'homme face à cet inconnu. Sur la première, « un Saint Jacques magnifique » respire la force brutale : « Il a des espèces de favoris noirs, pas d'yeux, un grand nez comme un couteau de fer... »6 L'absence de regard est particulièrement remarquable. Il est aveugle comme le Destin, et comme les hommes, peut-être, se représentent la Providence chrétienne.
20Il impose à l'Espagne une vocation contraignante. Il jette sur elle « une espèce d'amarre en spirale qui n'en finit plus dans le ciel de tourner et de se dévider, / Vers une espèce de pilier qu'on aperçoit »7.
21Un autre Saint Jacques est si gigantesque, il est « si grand qu'il est forcé de se courber sous le plafond de nuages »8. Son attitude est moins claire, mais guère moins rassurante que celle du précédent : « Et il a un immense bras qui lui pend de l'épaule droite avec une main au bout qui se balance comme un grappin... »9 Le monde est trop petit pour recevoir le divin dont les manifestations sont ressenties comme une menace et une aliénation.
22Pour le reste, l'atmosphère évoquée par les premières « feuilles de Saints » n'est guère différente de celle des premiers drames. L'homme y est plongé dans l'obscurité, « assis et prosterné la tête dans ses bras sur une table »10. Seule veille l'Espérance, cette petite lumière qu'il ne voit pas s'approcher, mais que la nuit, comme dans Une Mort prématurée, ne peut écraser.
23Aussi le sacré angoisse-t-il l'homme, soit par la violence et la démesure de ses manifestations, soit par les ténèbres où le laisse son absence.
24Le Roi d'Espagne ne représente pas l'humanité tout entière. Il est plutôt le témoin d'une société constituée bien décidée à se servir du divin, non à le servir. Il a un sens aigu du sacré. Mais la fascination qu'il éprouve est celle que peut ressentir une nation décadente, obnubilée par la mort, la destruction de soi et des autres.
25Le sacré représente d'abord, pour lui, la menace d'une ruine dans laquelle il se complaît. Son visage ressemble au morceau de cristal de roche à travers lequel il contemple son désastre et qui représente une tête de mort11. Il trahit « l'avidité d'un cœur qu'aucun désastre n'est capable de rassasier et qui n'ouvre / Ses portes qu’à la sommation de la catastrophe »12. Il a lancé l'invincible Armada à l'assaut de l'Angleterre moins pour vaincre que pour témoigner de sa foi par une ruine dans la contemplation de laquelle il se complaît : « Tout ce qui arrive pour moi est-il inattendu ? ai-je nourri quelque illusion jamais ? »13 C'est un homme véritablement religieux, sans doute, mais il a un sens perverti du sacrifice. Il ne lui demande pas d’être fécond, mais de lui fournir une délectation impure, la volupté de la souffrance.
26L'attitude du Roi est donc bien différente de celle que laissent supposer les « feuilles de Saints », du fait même de cette complaisance qu'il est seul à éprouver. Dans les deux cas, cependant, le sacré prend un aspect menaçant. Il est vu avec le regard de la victime contemplant le sacrificateur.
b) Le regard agressif
27Par contre, lorsqu'il se montre non comme une force brutale mais dans sa faiblesse, il provoque une autre fascination, inquiétante et agressive, cette fois. Et il ferait plutôt figure de sacrifié.
28Rodrigue apparaît pour la première fois dans la seconde scène, décrivant une Epiphanie qu'il charge le Japonais Daibutsu de peindre.
29Du Dieu-Amour, « on ne voit qu'une grosse petite main d'enfant, bien dessinée »14. La main peut être un symbole de puissance et de commandement. Elle est ici grosse et petite, promesse de force spirituelle à venir, signe de faiblesse physique présente. Devant elle, se trouvent les Rois mages de la légende, représentants des trois continents. On ne voit guère, du seigneur japonais, que le costume, « le kammori démesuré »15, marque d'orgueil, semble-t-il. Et les « douze couches de soie » qui enserrent ses membres pourraient être une cuirasse contre la Grâce.
30Le « grand dépendeur d'andouilles d'Européen » n'a pas besoin, lui, d'une telle protection. Il paraît invulnérable aux atteintes du divin, « tout noir, roide comme la justice, avec un chapeau pointu, un énorme nez et des mollets de bois, et la Toison d'Or au col »16. Il n'a pas d'âme, il est une de ces marionnettes frivoles et féroces qui peuplent la cour du Roi d'Espagne.
31Le « Roi nègre » est « vu de dos »17. Son accoutrement est celui d'un guerrier orgueilleux.
32C'est ainsi que les « feuilles de Saints » achèvent de présenter l'affrontement de l'homme au sacré. Que le divin se manifeste sous un aspect terrible qui pourrait être celui du Père, ou avec l'innocence du Fils, comme une menace de tyrannie ou comme le don de l'enfance, la relation est toujours attendue comme un rapport de violence. Mais nous devinons que cette violence n'est pas en Dieu, qu'il soit Père ou Fils. Elle naît en l'humanité fascinée par le sacré, angoissée par cette force qui le dépasse.
33Cette dualité se trouve dans le souverain. Il ne se complaît pas seulement à l'idée de l'immolation qu'il a faite, en sa flotte, d'une partie de soi-même. Il s'est rêvé aussi sacrificateur : « ... n'aurais-je eu qu'une chance, le devoir du Roi Très Catholique était de l'essayer et d'écraser Cranmer et Knox et de clouer sur son rocher cette cruelle Sylla, cette harpye à la face humaine, la sanguinaire Élisabeth. »18 La piété du Roi est réelle, mais elle est pervertie. Il est au service de la vérité, mais il ne peut s'y concevoir que comme victime ou bourreau, succombant à la fausse fatalité qu'il a provoquée ou, nouveau Jupiter, clouant le révolté sur un autre Caucase, comme le fut autrefois Tête d'Or.
34Ses proies lui ont échappé. Mais une autre reste à portée de sa main, qui lui sera sans doute plus agréable. Il sera heureux d'atteindre, en Rodrigue, l'orgueil qui le blesse et le divin dont il est porteur. Il vengera son échec sur un homme qu'il a déjà disgracié et qui semble le narguer, un homme si indépendant qu'il ressemble à un révolté, si peu respectueux qu'il le ressent comme un rival prométhéen. Il va anéantir celui qui le gêne parce qu'il s'est mis en marge du groupe social, l'enfonceur de portes qui ne supporte pas les enceintes fermées, alors que lui-même vient de mettre « de toutes parts autour de [sa] foi une parfaite enceinte »19. Il va achever son œuvre en détruisant celui dont la seule présence lui interdit la paix. Un des pêcheurs, Bogotillos, l'avait bien dit : « J'ai idée que tout ça finira mal pour lui. »20 Il avait senti que le vieil homme devait être l'hostie sacrificielle, moins parce que sa barque misérable croise fièrement devant la flotte royale que parce que, avec ses « feuilles de Saints », il est un témoin du sacré. Son crime est d'inviter implicitement, comme il le fera explicitement devant le Roi, la société des hommes à servir le divin au lieu de le mettre à son service. Il sera le martyr de la présence du Dieu des Évangiles dont témoignent ses peintures.
c) Les eaux de la Grâce
35La fille de Rodrigue est un personnage complexe, apparemment contradictoire dans la mesure où elle participe à la fois de l'humanité présente et de celle de l'avenir.
36De la première esquisse, à vrai dire, elle n'a gardé que des traces. Elle est bien différente de la fille du vieux conquistador et son père ne lui est pas livré. Son nom seul témoigne du rôle qui lui était dévolu. Elle est restée Sept-Épées. Et les sept couteaux qui correspondent certainement aux sept péchés capitaux étaient destinés à frapper. On peut en croire, semble-t-il, l'héritage qu'elle a laissé à Prouhèze, épée plantée dans le cœur de Rodrigue.
37Sa tentation, cependant, dans cette quatrième Journée, est plutôt de tourner l'arme contre elle-même. Elle ressent surtout celle de l'immolation. Elle est proche ainsi de Notre Dame des Sept Douleurs.
38Cette aspiration, analogue à celle du Roi d'Espagne, se manifeste à divers degrés. Jean d'Autriche doit mourir avant trente ans. Qu'importe ! : « Ah, s'il meurt et moi aussi je suis prête à mourir avec lui ! »21 Ce ne sont, apparemment, que propos d'enfant amoureuse. Mais lorsqu'elle adjure Rodrigue d'aller délivrer les chrétiens des bagnes africains, elle désire moins les secourir que trouver une mort sainte, ou qu'elle croit telle : « Dites-leur que vous allez en Afrique et qu'ils viennent avec vous, et qu'ils mourront tous, il n’en reviendra pas un seul ! »22 Voila qui suscitera les vocations pour la croisade. Claudel va jusqu'à placer dans sa bouche les mêmes arguments que ceux du souverain espagnol, soulignant ainsi une certaine communauté de sentiments :
Don Rodrigue. – Quand j'aurai délivré les captifs [...]
Il en restera encore d'autres.
Sept-Épées. – Mais nous, nous resterons aussi, ou alors nous seront morts, ce qui nous délivrera de notre devoir.23
39La finalité du sacrifice est moins dans sa fécondité que dans la paix qu'il procure à celui qui l'a accompli. L'important n'est pas de réussir, mais d'avoir fait ce qu'il fallait. Malgré des propos assez contradictoires, l'attitude de Sept-Épées n'est pas ambiguë. Elle sait très bien qu'elle prêche une croisade sans autre issue que la mort pour ceux qui y participent : « Si tu veux savoir ce que je pense, je ne crois pas que nous prendrons Bougie, mais que nous serons tous tués et que nous irons au ciel. Mais alors tous ces pauvres captifs du moins sauront que nous avons fait quelque chose pour eux. »24 C'est ce qu’elle a avoué à la Bouchère. Elle s'est montrée plus véridique dans son dialogue avec sa compagne décidée à la suivre qu'avec son père qu'il fallait encore convaincre.
40La jeune fille, cependant, participe bien davantage à l'humanité régénérée qu'à celle soumise aux pulsions de mort. Elle n'a pas eu à rechercher la recette qui les anéantit. Elle la possède naturellement. Et c'est la même qui lui donne le privilège des corps glorieux : « Les gens marchent péniblement et ils ne s'aperçoivent pas que c'est tellement plus facile de voler, il n'y a qu'à ne plus penser à soi ! »25 Elle vit, en fait, déjà au-delà du sacrifice : quand le « Moi » est oublié, il n'a plus à être offert. Aussi ne voit-elle pas dans la mort, comme le Roi dans le désastre de sa flotte, une immersion dans l'obscurité d'un gouffre. Elle est ascension vers Dieu et vers la Mère :
Sept-Épées. – Ce beau soleil, ce n'est pas pour rien que Dieu l'a mis là ! Il n'y a qu'à y aller, montons-y ! Mais non pas, ce n'est pas le soleil ! c'est cette odeur délicieuse qui m'attire ! Oh ! si je pouvais tout le temps la respirer ! le temps de mourir et de nouveau elle est là ! Ce n'est pas le soleil visible que je veux, c'est cette espèce d'esprit exhilarant, cette odeur délicieuse qui fait mon cœur défaillir !
La Bouchère. – Où est-elle, cette odeur délicieuse ?
Sept-Épées. – Là où est ma chère maman cela sent bon ! Plusieurs fois, la nuit, elle est venue me trouver et elle m'embrasse tendrement et je suis sa fille chérie. Et il faut que j'aille la délivrer en Afrique.26
41La mort, donc, loin d'être destruction et anéantissement, privation de l'existence, est la voie qui met en contact direct avec l'Être. Sept-Épées aspire à cet au-delà et le respire parce qu'il a l'odeur de Dieu. Elle est en cela proche des mystiques que Claudel a lus et dont il rapporte les propos27.
42Aussi la mer qui vient d’enseigner au Roi l'inconstance du sort et la vanité de la puissance lui offre-t-elle les eaux primordiales de la Genèse et celles de la Grâce. Lorsqu'elle nage pour aller trouver son fiancé, elle est portée par des flots qui confèrent à son corps les privilèges de la chair ressuscitée : « C'est délicieux de tremper dans cette espèce de lumière liquide qui fait de nous des êtres divins et suspendus, (Pensé :) des corps glorieux. »28
43Bien plus, sans avoir subi aucune ascèse, aucune immolation, elle bénéficie du don même que reçurent Violaine au bois de Chevoche et l'Empereur du Repos... au moment de son départ, celui d'une communion directe, par l'intermédiaire d'un sens unique, avec le monde entier : « Tout le corps ne fait plus qu'un seul sens, une planète attentive aux autres planètes suspendues. »29 L'esprit d'enfance a fait entrer la jeune fille de plain-pied en un lieu réservé jusque-là à ceux qui avaient porté la croix du Christ.
44On ne saurait certes nier un jeu d'illusions, et même un peu de comédie chez notre héroïne. Elle n’est pas seulement « une goutte d'eau associée à la mer » dans « la communion des Saints »30, elle est surtout une jeune fille très humaine. Au moment où elle affirme à la Bouchère, sa compagne : « Je sens directement avec mon cœur chaque battement de ton cœur »31, elle ne voit pas que l'autre se noie et que son pauvre cœur cesse de battre. La communion des Saints ne s'étend pas aux bouchères.
45Mais il faut surtout voir là une manifestation de l'humour claudélien. La dérision est constante dans Le Soulier de satin. L'auteur se moque de soi, de sa mystique, de ses rêves. Il ne les prend pas moins au sérieux.
46Marie de Sept-Épées participe, en fait, à tous les types d’humanité. Elle en ressent toutes les tentations, bonnes et mauvaises. Mais son rôle dans l'économie de la pièce est sans doute très positif. Puisqu'elle vit à cheval sur les deux mondes, celui du quotidien et celui du sacré, il lui appartiendra de passer la ligne qui les sépare et de la faire passer aux autres. C'est ce qu'elle réalisera après l'immolation de son père.
d) L'inspiration scripturaire
47Le regard neuf et plus lucide que Claudel porte sur son drame en modifie les données. Le rôle de la Bible s'en trouve, par suite, considérablement changé.
48La volupté dont la Princesse faisait preuve autrefois, dans la douleur, l'attitude aussi de Violaine, pouvaient gêner le lecteur ou le spectateur. L'acceptation que le Christ a faite du sacrifice, son « Fiat voluntas tua, non mea » paraissent justifier des sentiments quelque peu troubles. La Cantate à trois voix élaborait une doctrine de l'acceptation de la souffrance qui pouvait sembler plus acceptable. La quatrième Journée du Soulier de satin prend une attitude nette. Les arguments religieux donnés par le Roi et repris, dans une certaine mesure, par Sept-Épées ont été fermement démentis à l'avance par Rodrigue. La recherche de la paix, de la tranquillité, de l'enceinte construite autour de la foi est fort peu claudélienne. C'est pour briser cette paix que le héros avait tenté la conquête du Japon : « Cela m'ennuie de voir des gens heureux, c'est immoral, cela me démangeait de m'introduire au milieu de vos cérémonies. »32 L'immolation ne peut être justifiée que si elle est nécessaire et non désirée. Sept-Épées même peut envisager la mort comme la porte ouverte aux délices de l'au-delà, elle ne saurait y tendre si l'exigence ne lui en vient pas de Dieu.
49De façon plus générale, la Bible n'est plus guère appelée à éclairer l'attitude de l'humanité devant le divin. Les allusions directes sont des plaisanteries sans portée et la présentation aux Rois mages est vue à travers la légende médiévale, sans grand rapport avec le texte évangélique.
50L'imprégnation scripturaire est révélée, en fait, non par les thèmes, mais par la forme littéraire et par la mystique paulinienne. Le phénomène avait été constaté à propos de la Trilogie, mais il est, ici, plus net encore. Les schémas bibliques ne s'adaptent que difficilement à la description d'une réalité objective. Et celle-ci est assez précise, dans le cas présent, pour les éliminer.
51Les modèles d'écriture n'en sont suivis, par contre, qu'avec plus d'exactitude. La Trilogie transposait avec souplesse, au théâtre, les structures des histoires romancées de la Bible. Dans L'Otage, surtout, Sygne jouait le rôle d’une Esther ou d'une Judith.
52La situation est, ici, bien différente et permet une correspondance plus parfaite. La réalité historique a cessé d'être un objet d'étude et, par là même, d'être contraignante. L'auteur a choisi une époque éloignée dans le temps, étrangère à l'histoire de France et mal connue de son public. Il s'est ainsi dégagé de l'anecdote. Il définit l'homme face au sacré. Dès lors, comme il l'a dit à propos du Soulier de satin, le « drame ne fait que détacher, dessiner, compléter, illustrer, imposer, installer dans le domaine du général et du paradigme, l'événement, la péripétie, le conflit essentiel et central qui fait le fond de toute vie humaine »33. Il n’est plus question, comme c'était encore le cas pour la Trilogie, d'utiliser les thèmes et les schémas bibliques pour donner aux faits historiques un caractère de généralité, les rendre typiques. La situation est typique au départ, les personnages sont les acteurs d'une parabole. C'est donc la parabole seule, et non plus l'histoire romancée qui devient le modèle littéraire. Toute la quête du trésor en est une, même si les pêcheurs ne sont pas exactement ceux de l'Évangile. Chaque « feuille de Saints » en est une séquence figée. Claudel a sa Nouvelle à apporter, le sens qu'on peut donner à sa vie, à la vie. Il utilise le discours le plus proche possible de celui du Christ.
53Si la forme, cependant, est biblique, c'est que l'inspiration l'est aussi, même si cela n'apparaît pas à travers les thèmes. Il est clair que le personnage de Sept-Épées est fondé sur la doctrine paulinienne des corps glorieux. Mais il est vrai aussi que toute l'opposition entre l'humanité représentée par le Roi, la Bouchère, celle que suggèrent les « feuilles de Saints » d'une part et cette élue de l'autre, suppose la confrontation proposée par Paul entre l'homme ancien et l'homme nouveau, le monde de la Loi et celui de la Grâce. L'homme ancien tel que le décrit Claudel correspond à celui de l'apôtre des Gentils. Il est soumis aux pulsions de mort et de violence. Il est tenté de se frapper lui-même et de frapper les autres. Son univers est celui de la Loi qui entraîne le péché. Et le péché est l'aiguillon de la mort. Il conduit à des désastres sanglants, à des immolations impies. L'être nouveau qu'est partiellement Sept-Épées a été réintégré dans sa pureté primitive. Il échappe ainsi à la Loi. Les Eaux premières de la Genèse le portent au mépris des données physiques. Là où se noie la Bouchère, la fille de Rodrigue nage sans effort : « Mort, où est ta victoire ? » La victoire sur la mort est dans l'oubli de soi, dans la communion des Saints, dans la liberté pure hors des règles et de la faute. La jeune fille fait tout ce qu'elle veut sans contrainte et sans faute, car sa volonté ne fait qu'un avec cette grande mer de Grâce dans laquelle elle n'est qu'une goutte d'eau, avec la volonté de Dieu, avec la mystique de l'Évangile.
54Ainsi la présence des Écritures est-elle moins visible dans Le Soulier de satin que dans Tête d'Or et les premiers drames parce que l'auteur, apaisé, ne les appelle plus à son secours, mais aussi parce qu'il s'est davantage imprégné de leur leçon et de leur esprit.
2. Le nouvel élu
55Il est peu de drames claudéliens sans une mort sacrificielle. La quatrième Journée du Soulier de satin ne fait pas exception, mais elle offre deux particularités notables. L'hostie immolée était autrefois, généralement, une femme, et en même temps une Anima. Le sacrifice de Tête d'Or était païen et serait resté vain sans la Grâce dont la Princesse fut l'intercesseur. Le personnage d'Orian fait exception. Il témoigne d'une évolution sensible à partir de L'Annonce. Le rôle de profiteur parfois passif où est relégué Animus gêne. Celui de Rodrigue marque une étape presque définitive. Il est masculin, mais il réunit en lui toutes les parts de l'âme claudélienne autrefois divisée. Il est à la fois Tête d'Or, Cébès et la Princesse. Il a la violence de l'un, la spiritualité du second et le consentement de la troisième au sacrifice. En lui, ce n'est plus une partie de l'être qui s'offre, c'est l'âme toute entière.
56Telle est la première particularité. La seconde en est la conséquence. Puisque, à la différence d'une Violaine, par exemple, qui était tout innocence, la victime est en partie coupable, à la fois pure et impure, et de plus, consentante, il pourra s'organiser une sorte de fête à l'occasion de son immolation. Le souverain espagnol va établir une mise en scène qui fera du héros un roi de carnaval. On va l'honorer, puis l'humilier avant de le frapper. L'acte sacrificiel correspondra ainsi davantage aux schémas traditionnels du paganisme qu'à la Passion du Christ.
a) L'homme de la piété et de la violence
57Le personnage de Rodrigue est moins nouveau, apparemment, que celui de Marie de Sept-Épées, puisqu'il répond à plusieurs modèles déjà rencontrés, mais il est le premier à les réunir en lui. Et il est au moins aussi complexe. Les types claudéliens qu'il représente ont, en outre, évolué. Ils ont été christianisés, ou épurés. Le Tête d'Or, le Cébès, la Princesse qui sont en lui, ont bénéficié de l'évangélisation qui a suivi la crise du Partage de midi.
58Malgré son goût pour la brutalité, Rodrigue ne mime pas le comportement de Tête d'Or. Ce dernier était un conquérant. Il voulait s'emparer du centre de la terre, du Paradis. Sa quête mystique était un acte de possession. Rodrigue est, lui, essentiellement, le constructeur d'un monde, le rassembleur des terres et des mers de Dieu. Il doit beaucoup au Poète des Grandes Odes. Il a appris de lui l'unité du monde total, la catholicité de l'univers. Le but de sa vie est de les réaliser : « Je veux la belle pomme parfaite. »34 Il est « un homme catholique » et son désir est celui de l'universel. Il est devenu « l'enfonceur de portes et le marcheur de routes » afin que « toutes les parties de l'humanité soient réunies », afin qu'aucun homme ne soit plus enfermé dans sa solitude et son hérésie : « Vous ne serez plus seuls ! Je vous apporte le monde, la parole totale de Dieu, tous ces frères qu'ils vous plaisent ou non à apprendre bon gré mal gré, tous ces frères en un seul géniteur. »35 Sa grande œuvre a été de rompre « un continent par le milieu »36 pour unir les deux océans, Pacifique et Atlantique, pour établir le lien qui assure entre les hommes la paix.
59Cependant, il n'a pas seulement spiritualisé la fougue et le désir d'action du héros claudélien. Héritier de Cébès, il a aussi christianisé sa tendresse et sa féminité.
60La question que celui-ci posait au premier moment de Tête d'Or était déjà bien claudélienne. Son « Qui je suis ? » ne reprenait pas l'interrogation des humanistes, le « Qui suis-je ? » de Montaigne. Il n'invitait pas à la connaissance de son être pris en soi, mais saisi dans ses rapports avec le monde. Il désirait se comprendre en saisissant le langage des « choses inconnues », des « arbres, et [des] nuées aériennes »37. Mais le vague langage de ce qui l'entoure n'a pu que l'interroger : « "... qui es-tu ? que fais-tu ? / Qu'attends-tu... ?" »38 L'univers dans lequel il se sent inclus et sans lequel il ne peut se découvrir questionne et ne répond pas car lui-même ne participe pas à la vie des êtres, il n'est pas en communion avec eux.
61En ceci également Rodrigue bénéficie de l'acquis des Grandes Odes. La découverte qu'il a faite de l’unité du monde lui a révélé la communication avec les choses. Il a accompli, par rapport à Cébès, le même progrès que par rapport à Tête d'Or. Il a détourné son regard de soi-même et ne veut pas être le centre de ce qui l'entoure. Aussi la nature ne l'interpelle-t-elle pas avec de vagues questions, mais elle s'adresse à lui avec de véritables paroles :
J'entendais ! j'ai entendu.
Deux paroles qui ne cessaient de m'accompagner dans ce merveilleux pèlerinage, pas à pas, sur un chemin de papier.39
62La première est encore une interrogation. Elle invite à être, non le possesseur, mais le découvreur de la Chose, son procréateur. Il s'agit, à la différence de ce qui se passait dans les Odes, de la faire naître, de la dévoiler à elle-même en lui faisant découvrir la cause de sa présence au monde :
Et l'une de ces paroles était : pourquoi ?
Pourquoi ? Quel est le secret sur soi-même qui se lie et se replie au nœud de ces hiéroglyphes, pareils à des bulles montant d'un seul coup de la pensée ?
Il y a quelque chose qui dit : Pourquoi ? avec le vent, avec la mer, avec le matin et le soir et tout le détail de la terre habitée.
Pourquoi le vent sans fin qui me tourmente ? dit le pin. À quoi est-ce
qu'il est si nécessaire de se cramponner ? – Qu'est-ce qui meurt ainsi dans
l'extase ? dit le chrysanthème.40
63Le Poète est alors, bien plus encore que l'homme d'action, celui qui saisit l'univers dans son unité. Il ne s'agit plus, pour lui, de découvrir le nom de la Chose au moyen de la métaphore, de dévoiler son essence, il s'agit de la révéler dans ses rapports avec ce qui l'entoure, de la saisir dans son existence au milieu et au contact des autres êtres. Son rôle est plus clairement religieux que jamais : il est le lecteur de l'analogie universelle.
64Comme lui-même ne se découvre qu'en fonction des arbres et des nues dont il entend le langage, il ne dit à chacun son être qu'en expliquant le « pourquoi » de son contact avec les autres. La vérité du pin est dans son rapport avec le vent qui le secoue et la terre qui retient ses racines. Le chrysanthème existe par ce qui meurt, le cyprès par le noir, l'azur par le bleu, la rose par ce qui est doux.
65Personne ni rien, homme, être animé ou inanimé, n'est seul. De même que la vocation de l'homme catholique est d'unir toutes les parties de l’humanité, celle du poète catholique est de révéler le lien qui est entre toute chose et ce qui lui correspond dans une communion semblable à celle qui unit les Saints.
66Cette poétique nouvelle se concrétise, dans la dernière « feuille de Saints », par un projet de frise :
Cela s'appellera le Baiser de Paix. Cela m'est venu à l'idée en regardant les moines au chœur qui se transmettent l'un à l'autre le baiser que le premier d'entre eux à l'Autel a reçu de l'Officiant.
Ils projetaient leurs ombres l'un sur l'autre.
Mais au lieu de moines nous mettrons des femmes enveloppées de longs voiles.
Elles se communiquent l'une à l'autre la Paix.41
67Le Vice-Roi a rassemblé les terres de Dieu. Le Poète, en découvrant le lien de charité qui unit chacun aux autres, fonde la catholicité de l'univers.
68La seconde parole invite à établir un troisième lien offrant la présence des hommes, et tout particulièrement celle du Poète au reste de la création. Elle n'est pas dite, mais elle est exprimée par l'absence de l'humain sur les tableaux des peintres japonais et par la leçon de silence que donnent leurs toiles, par l'attente des montagnes « pour mieux voir l'une par-dessus l'autre étagées », par la solitude que ne diminue pas « le chœur des grenouilles et des cigales »42. Tous ces manques, tous ces vides ont lancé un appel que Rodrigue a entendu. Il y a répondu par sa présence au travers de ses « feuilles de Saints », ces « images auxquelles » ils le provoquaient, ces « grandes possibilités » de lui-même qu'il dessinait « sur des morceaux de papier »43.
69Les saints qu'il représente sont sa façon d'être au monde, sa parole attendue et enfin dite. C'est eux que les montagnes désiraient voir et les grenouilles entendre.
70Par lui-même, il n'est qu'une épave unijambiste, et ses doigts sont si gourds qu'il peint par l'intermédiaire d'un serviteur japonais. Il n'a pas de contact avec le monde. Mais il projette hors de lui son être régénéré, les saints :
Ils me ressemblent bien plus que je ne le fais à moi-même avec ce corps flétri et cette âme avortée !
C'est quelque chose de moi qui a réussi et qui a obtenu son avènement !
Ils vivent tout entiers ! Il n'y a plus en eux de résistance et d'inertie !
Ils répondent tout entiers à l'esprit qui les anime. Ce sont des pinceaux excellents dans la main d'un artiste parfait comme celui dont s'est servi Sesshiu quand il a dessiné ce cercle, une perfection pour toujours, sur la paroi de Kyotô.44
71Le personnage de Rodrigue et, par suite, la poétique qu'il exprime, bénéficient donc, tout comme Sept-Épées, des méditations de Claudel sur les corps glorieux. Le domaine de l'Art est, pour lui, ce que sont, pour la jeune fille, les eaux de la Grâce. Il y trouve, lorsqu'il s'y plonge, avec l'oubli de soi, la découverte de son être idéal rené, réintégré à la pureté primitive.
72Claudel s'était souvent inquiété de la portée morale de ses œuvres. Il semble considérer ici que la création littéraire est de l'ordre de la mystique, non de la morale. Son rôle n'est pas d'enseigner la vertu. La première parole entendue par le héros l'invitait à découvrir la catholicité de l’univers, la seconde, à l'assurer par la présence de l'homme parmi les choses. C'est à lui de les unir en leur communiquant le baiser de Paix. Elles communient en lui. Il assure même parmi elles la présence du sacré, du divin. Car il n’est pas le poète actuel soumis au péché, il est déjà le « Moi » auquel il aspire, celui qu'il sera après sa mort lorsqu'il participera au corps glorieux du Christ ressuscité. Il a réalisé la vocation que Cébès sentait confusément en lui. Il a répondu à la question qui le tourmentait, appris qui il était en annonçant à la chose pourquoi elle est.
73Rodrigue, enfin, suit le modèle de la Princesse dans la mesure où, au dernier moment, non seulement il consent au sacrifice, mais y trouve la libération dans la joie. C'est l'instant où l'infini et l'éternel qui habitent ce monde fini et mortel se révèlent à lui :
Je n’ai jamais vu quelque chose de si magnifique ! On dirait que le ciel m'apparaît pour la première fois. Oui, c'est une belle nuit pour moi que celle-ci où je célèbre enfin mes fiançailles avec la liberté !45
74Et là encore, l'oubli de soi que prônait Sept-Épées a purifié le sentiment. Clouée à son arbre et mourante, la Princesse parlait en amante, mêlant le charnel au spirituel, la volupté de la souffrance à la joie du sacrifice46. Dans l'élan de Rodrigue, il n'y a, au contraire, aucune complaisance suspecte. Il est tout entier dans l'émerveillement de sa découverte. Et, lorsqu'il songe aux trahisons passées de Prouhèze, ce n'est certes pas pour s'en réjouir.
75Cependant, si, en Rodrigue, la spiritualité et le comportement des premiers héros claudéliens sont christianisés ou épurés, si même il n'est plus, comme Tête d'Or, un être sans féminité, il n'en garde pas moins la violence d'Animus.
76Il a été, certes, frappé dans sa force vive. Amputé, il boite, nouveau trait commun avec le Poète de la quatrième ode. Il trouve même « amusant de clopiner ainsi entre ciel et terre avec une jambe et une aile »47.
77Malgré qu'il en ait, cependant, il tient encore solidement aux passions de la terre par sa jambe restée valide. Il demeure le frère du Tête d’Or païen avec son désir de possession et d'expansion du « Moi ». Il le prouve à plusieurs reprises, notamment devant l'Actrice et le Roi.
78L'agressivité qui se trouve en son cœur se manifeste jusque dans l'expression de son sentiment religieux. Une de ses « feuilles », qu'il fait peindre par l'Actrice, la fausse Marie d'Angleterre, représente saint Matthieu. Elle trahit l'orgueil et la volonté de puissance par son « grand arc de triomphe de pierre rouge à deux portes avec l'inscription en capitales romaines et la tête de bœuf »48. Le symbole de Matthieu est un ange ? Qu'importe, le bœuf fait mieux, il convient au sujet, car il évoque la force. L'apostolat du saint n'a rien, en effet, de la douceur évangélique :
Il a une espèce de grande face romaine avec des bajoues rasées et deux mentons,
Une toge jaune comme les moines bouddhistes accrochée à l'épaule avec une grande agrafe de cuivre,
Et sous la table un énorme pied chaussé d'une sandale de plomb
Écrasant Calvin qui vomit le diable !49
79Cette « feuille » contraste avec la frise du baiser de Paix. Mais Rodrigue est dans cette double postulation. Et elle correspond à certains de ses comportements, sans parler de ceux de Claudel. Elle témoigne que la violence est bien en lui. Et nous découvrons vite que c'est là sa véritable faiblesse. C'est par là qu'il tombera dans les rets tendus par l'Actrice, puis le Roi. C'est par sa jambe encore valide qu'ils le saisiront pour le livrer enchaîné au hasard des rencontres de la mer.
80Face à la fausse Marie d'Angleterre, il signifie bien, certes, qu'il n'entend pas mener son peuple par le fouet. Mais elle n'en trouve pas moins, après quelques passes séductrices, l'argument qui le décide à accepter le gouvernement dans une promesse qui rappelle le rapport enthousiaste de Tête d'Or à son armée et la colère d'Avare dans La Ville : « Ah ! vous êtes boiteux, mais je vais mettre les reins sous vous d'un superbe animal ! Mon peuple, comme je l'aime ! »50 L'amputation du membre est ressentie comme une atteinte à la virilité. Il s'agit de la réparer. Les fougueuses et mâles chevauchées des fantasmes de la jeunesse ne sont pas oubliées.
81Devant le Roi, Rodrigue est tout aussi dupe. Berné par l'Actrice, ignorant le désastre de l'invincible Armada, il vient se faire offrir une vice-royauté qui n'existe pas. Il est le seul à ne pas savoir qu'il n'y a pas d'Angleterre à donner et qu'il n'est qu'un roi de carnaval. Il n'est qu'un jouet offert à la dérision de pantins et se croit le maître du jeu. Il jouit sans modestie de son triomphe, pose ses conditions. Et, puisqu'il faut que la victime expiatoire ait quelque faute, sa morgue le livre à la merci du souverain. Le moment qui achève de le perdre est celui où il laisse percer son désir de violence. L'idéal monarchique qu'il expose alors est bien inspiré de l'attitude chrétienne du baiser de Paix : « Je veux que l'Angleterre et l'Espagne après tant de combats bénissent à jamais le jour où elles ont eu l'idée de s'embrasser ! »51
82Mais l'agressivité rend le sentiment impur : « Le baiser n'aurait pas tant de goût si ce n'était pas un ennemi vaincu en cette personne défaillante que nous tenons entre nos bras. »52 Le plaisir d'avoir vaincu et de dominer subsiste dans l'étreinte.
83L'appel à la communion des peuples européens sur lequel termine Rodrigue suppose une hostie sanglante. Et l'appétit, très claudélien, des participants peut être suspecté de goinfrerie :
Les Indes, là-bas dans le soleil couchant, je dis quelles sont au-dessus de l'appétit d'un homme seul.
[...]
Il y a là dedans de quoi faire pour tout le monde pendant des siècles un
repas énorme !
Pourquoi faire tant d'affaires de ce monde-ci, quand l'autre est là où nous
n'avons qu'à prendre...53
84Le banquet prévu n'est ni une véritable eucharistie, ni un festin de la Sagesse : « Non pas à l'Angleterre seulement ! Ce n'est pas pour rien que le Bon Dieu, à la suite du Christophore, nous a invités à passer la mer ! Je veux que tous les peuples célèbrent la Pâque à cette table énorme entre les deux Océans qu'il nous avait préparée ! »54
85Le sentiment est sans conteste pieux et sincère. La communion prévue suppose une générosité réelle. On n'en devine pas moins, à la brutalité de certaines expressions, le plaisir, sur les peuples colonisés, d'une domination violente que l'ancien consul de Chine connaissait bien.
86Les trois premières Journées du Soulier de satin nous montreront que Rodrigue n'a pas usé à leur égard de douceur évangélique. Claudel a fait choix d'une époque généreuse, mais cruelle. Et les peuples offerts à l'appétit de l'Europe ne sont pas promis à un avenir sans drame.
87La piété de Rodrigue proposée, dans la crise sacrificielle, à la cruauté d'une foule d'aristocrates dégénérés est certainement entachée d'impuretés. La piété le rend digne d’être l'hostie offerte en immolation. Les fautes rendent la souffrance qu'il doit subir au moins partiellement méritée. Aristote demandait déjà au héros tragique une grandeur d'âme mêlée d'imperfections55.
88Le vieux conquistador se campe sur son pilon comme un Tête d'Or aux deux jambes intactes. Il croit sentir sous lui la fougue du cheval Britannia hennissant devant l'écume des vagues. L'agressivité d'autrefois monte aux lèvres de l'infirme et contamine un discours qu'il veut chrétien et généreux. Mais un coup de théâtre, inattendu de lui seul, le renvoie entre deux gardes, promis par la magnanimité royale, non à la mort que l'on juge méritée, mais aux chaînes de l'esclavage.
b) Le triple bénéfice du sacrifice
89Le finale du drame n'en montre pas moins que, malgré ses faiblesses, Rodrigue a bien spiritualisé l'héritage des premiers héros claudéliens. Il obtient, dans le dernier moment, des grâces supérieures à celles de chacun d'eux. Il naît à une seconde naissance dans la communion avec Dieu. Libéré de ses liens, il rompt ceux qui emprisonnent les âmes souffrantes. Il rend l'humanité à sa pureté originelle.
90Tête d'Or mourant avait connu une libération personnelle moindre que la sienne après son sacrifice. L'union au Dieu Père l'avait affranchi des angoisses de la mort. Il voyait son sang par toutes ses plaies aller au-devant de celui du soleil. Mais, depuis les Odes, une telle victoire n'est plus nécessaire. Les anciennes terreurs ne sont plus56. La mort est convertie. Elle appartient désormais au domaine du divin. La nuit qui pouvait être autrefois le symbole de sa victoire est devenue celui des fiançailles avec la liberté. La rencontre qu’il y fait, l'union qu'il y contracte sont plus spirituelles que celles de Tête d'Or avec le soleil : « Ce qui vient le premier, c'est ma nuit au fond de moi comme un torrent de douleurs et de joie à la rencontre de cette nuit sublime ! »57 Deux absolus, celui qui est en l'homme et celui qui est hors de l'homme, vont au-devant l'un de l'autre. En enchaînant « l’exacteur », en mettant « aux fers » les membres, « ces tyrans », le Roi « a retiré autre chose que Dieu »58. Il ne reste plus de place que pour lui. Le sacré du microcosme humain s'unit à celui du macrocosme et l'unité de l’univers spirituel est scellée.
91La mort de Cébès avait été l'occasion d'une autre délivrance. L'incomplétude de son être qui lui avait interdit jusque-là de s'adapter à la vie l'aide alors à ne plus exister :
Ô Tête d'Or ! je ne suis pas une femme et je ne suis pas aucun homme non plus,
Car je n’ai pas l'âge plein, et je suis comme si je n’étais plus déjà.59
92Les rets qui le rattachent au monde sont aisément rompus. Il connaît « la joie qui est dans la dernière heure », il est « cette joie même et le secret qui ne peut plus être dit »60.
93Si grande soit-elle, cependant, cette victoire n'est pas complète puisqu'il ne peut proférer la Parole qu'il a en lui. Il meurt seul. Au contraire, l'homme catholique qu'est Rodrigue vit, comme le Poète de la cinquième ode, dans la compagnie des âmes souffrantes. Il n'est jamais solitaire. Prouhèze est là, présente dans l'univers qui le regarde :
Je le sais ! C'était cela qu’elle était venue m'apporter avec son visage !
La mer et les étoiles ! Je la sens sous moi ! Je les regarde et je ne puis m'en rassasier !
Oui, je sens que nous ne pouvons leur échapper et qu'il est impossible de mourir !61
94Rodrigue ne peut plus mourir car il a passé la ligne qui sépare les deux mondes. Il a découvert l'univers dans sa double réalité et il l'unit en lui. Il en sait plus alors que sa fille pour qui la vocation de Prouhèze dans l'au-delà était de libérer les prisonniers des bagnes africains. Elle est, en fait, de dissoudre tous les rets, de dénouer tous les liens. Et Rodrigue l'assume par son sacrifice. Ceux qui dorment à l'ombre de la mort en sont les premiers bénéficiaires : « Délivrance aux âmes captives ! »62 est le dernier mot du drame. La grande aliénation, celle du péché et de la complaisance à soi, est vaincue par l'immolation d'un seul au profit de tous.
95La troisième grâce due au sacrifice de Rodrigue est le retour de l’humanité qui l'entoure à l'énergie et, au moins en partie, à l'innocence primitives. Ce que le dernier moment de Tête d'Or n'avait qu'ébauché est ainsi pleinement réalisé. La Princesse avait reçu, par la volonté du héros, l'Empire. Elle morte, son corps devait reposer parmi les siens, assurant la présence de l'éternité et la stabilité de l’humanité nouvelle. Rodrigue, lui, est vivant, et son effacement assure à l'Espagne régénérée un avenir glorieux. Sept-Épées a cru au départ de son père pour la vice-royauté de l'Angleterre. Elle a été libérée, par là, de toute attache au passé. Elle rejoint Jean d'Autriche et, à la croisade de l'invincible Armada, succède celle, victorieuse, de Lépante. Le corps social sacrificiel, composé de marionnettes et de pantins, dominé par un roi de jeu de cartes, le roi de pique à tête de mort, s'efface dans l'esprit du lecteur. Le monde usé et déshumanisé s'enfonce dans le gouffre de l'oubli, aussi profond que celui où l'invincible Armada a sombré. Le flambeau du catholicisme est repris par une jeune fille bien vivante, pleine de grâces. Ses passions, même si elles ne sont pas toutes bonnes, l'emportent vers un avenir de gloire et d'exploits. Elle ouvre la porte à une humanité purifiée, ignorante des instincts de mort et d'autodestruction et qui, bien qu'imparfaite, sans doute, et pécheresse, connaîtra au moins la joie chrétienne de la vie.
Conclusion : l'évolution de l'imprégnation biblique
96L'étude de la crise sacrificielle proprement dite confirme et complète les conclusions de l'analyse précédente. Le schéma dramatique principal ne correspond qu'imparfaitement au modèle évangélique de la crucifixion de Jésus. La présence de la Bible n'en est pas moins assurée par la mystique paulinienne. Mais c'est surtout la transformation du héros en Rodrigue qui traduit la christianisation du fonds claudélien le plus intime, et cela, d'une façon toute nouvelle.
97Tout homme injustement persécuté est l'image du Christ. Rodrigue, enchaîné à la dernière scène du drame, l'est certainement, mais dans cette mesure seulement. Pour le reste, et en situation dans la quatrième Journée, il est essentiellement l'auteur des « feuilles de Saints ». Il comparaît devant le Roi en tant que tel. C'est en tant que créateur qu'il mène contre lui sa première joute oratoire. Sa disgrâce illustre la faiblesse de l'homme d'imagination devant les apparences fallacieuses du monde social. Il est trompé par une Marie qui n'est pas la servante du Seigneur mais du mensonge, et dont la Grâce, comme celle de Lâla, est dans ce mensonge même qui conduit à l'immolation salvatrice. Il est le Poète, non le Christ, et, dans cette mesure, il se trouve plus proche de l'auteur, Claudel, que de Jésus. Il ne mime plus le sacrifice de la croix comme pouvaient le faire la Princesse, Violaine ou Sygne. Simon Agnel lui-même, dans sa marche à contre-Dieu, inversait le modèle évangélique, le suivait en en prenant le contre-pied. Rodrigue ne tend jamais à s'identifier à lui d'aucune façon. Son seul rapport est d'analogie, en tant que victime. La seule ressemblance est superficielle. Sa condamnation est précédée d'un rituel analogue à celui que connut le Christ. Mais les respects feints qui lui sont décernés, le cérémonial dont est entourée sa visite au souverain espagnol, sa fausse intronisation, la hauteur naïve qu'il affiche, le coup de théâtre, enfin, qui le précipite d'un trône illusoire, en font un véritable roi de carnaval. Or, il n'y a, dans l'Evangile, rien de tel. Si les Romains traitent ainsi Jésus, c'est par ignorance et incompréhension. Ils ne savent pas l'enjeu du drame où s’inscrit leur rôle. Pour les Juifs, qui en sont les véritables protagonistes, Jésus n'est pas seulement, même, le bouc émissaire sacrifié pour le salut du peuple, il est un prophète qu'il faut anéantir pour annihiler sa parole. Il est plus encore : un Messie porteur d'un monde nouveau et qu'il faut détruire pour que l'ancien subsiste.
98Dans la mesure donc où la quatrième Journée du Soulier de satin suit un schéma sacrificiel préétabli, ce qui pourrait appeler quelques nuances, c'est davantage celui, traditionnel, de la victime expiatoire que celui des Évangiles.
99En même temps, cependant, que s'éloigne la thématique biblique, se précise l'affirmation de l'inspiration paulinienne. La « comparution de l'homme nouveau » devant l'humanité63 est une tradition claudélienne qui remonte à Tête d'Or. Mais l'inspiration johannique semblait alors souvent dominante. Les Veilleurs, dans ce drame, représentaient bien le monde des ténèbres refusant la venue de la lumière. Le Prologue du quatrième Évangile trouvait, chez Claudel, de multiples échos. Au contraire, l'univers qui s'oppose à l'Élu dans Le Soulier de satin est plutôt celui de l'illusion et du mensonge que du refus. On y retrouve l'opposition établie par Paul entre l'homme qui est menteur et Dieu qui est seul Vérité64, entre un présent de vision floue « où nous regardons dans un miroir, confusément »65, et le monde de la Grâce où nous connaîtrons toute chose face à face, et non plus partiellement, mais comme Dieu même nous connaît.
100Claudel oppose de même au royaume du fallacieux la vérité de l'Absolu. L'eau toujours mouvante sur laquelle le souverain a installé sa cour est le symbole de la vanité et de l'instabilité des choses humaines. La fausse Marie d'Angleterre vit dans un univers de tromperie dont elle est la victime ou l'instrument. Dupée par le Roi qui lui a promis un amant qu'il sait mort, elle dupe Rodrigue en lui offrant une royauté qu'elle sait vaine. Elle est, devant le Poète, homme d'imagination qui croit vrai tout ce qu'il désire croire, l'Actrice qui joue une scène de théâtre dans le théâtre, de mensonge dans l'illusion. Et par un jeu de reflet en abîme, une première Marie est remplacée par une seconde qui joue la scène qu'elle venait de préparer. L'être de mensonge est si vide de toute personnalité qu'il peut être remplacé à l'infini par n'importe quel autre.
101Mais le finale de la pièce impose un renversement total des valeurs. Le théâtre sans âme de marionnettes et de pantins fait place à la nuit habitée par l'Absolu de Dieu, l'esclavage des soucis mondains à la liberté de l'Esprit. Lorsque Rodrigue a revêtu l'homme nouveau, il découvre un monde également nouveau. Lui aussi a dépouillé le vieux manteau des faux-semblants et de la vanité. L'univers de la Loi qui engendre le péché et la mort a été remplacé par celui de la Grâce en qui vit l'innocence. Et le vœu de Paul a ainsi été exaucé, au moins dans l'imagination du poète dramaturge.
102Mais le personnage de Rodrigue nous révèle surtout un nouveau progrès du message scripturaire dans l'intimité du « Moi » claudélien. À l'époque des Odes, la Bible, plus encore que les Sommes thomistes, avait fourni à l’auteur le vocabulaire et la syntaxe qui lui avaient permis de déchiffrer le livre de l'univers. Il savait « Cela que chaque chose veut dire »66. Il connaissait alors en se posant comme extérieur à un monde que l'Épouse et la catholicité unies dans la même femme offraient à sa contemplation.
103Il est possible qu'au moment du Soulier de satin Claudel critique implicitement son ancienne ambition. C'est Camille, le futur renégat, qui en a hérité. Lorsqu'il la profère, c'est pour comparer le monde à un Alcoran et opposer sa vocation à celle de Rodrigue :
Moi, ce n'est pas un monde nouveau qu'on m'a donné pour le pétrir à ma fantaisie.
C'est un livre vivant que j'ai à étudier et le commandement que je désire ne s'acquiert que par la science.
Un Alcoran dont les lignes sont faites de ce rang de palmiers là-bas, de ces villes nacrées sur le bord de l'horizon comme un titre,
Et les lettres, de ces foules dans l'ombre des rues étroites aux yeux de braise, de ces formes empaquetées qui ne peuvent sortir une main sans qu’elle devienne de l’or.67
104Rodrigue, lui, ne regarde ni ne lit le monde comme un livre. Il ne lui est extérieur en aucune façon. Il se sent partie intégrante d'un ensemble qu'il veut total et un, mais qu'il perçoit mal. Le Poète de la cinquième ode avait devant lui « toutes les figures de la nature » pour les rassembler en son esprit68. Il contemplait les étoiles « Comme un grand butin de poissons à demi sorti de la mer dont les écailles vivent à la lueur de la torche »69. Rodrigue saisit moins nettement ses rapports avec l'univers. La foi lui permet de croire que tout lui sera expliqué un jour, comme le promet Frère Léon. Mais il n'en a pas la connaissance. Et lorsque l'éternité et l'infini se révèlent enfin à lui, c'est dans l'illumination de la nuit, non avec des mots et des phrases.
105Il est, en cela, plus proche de l'esprit scripturaire que le Poète des Odes. La Bible prétend moins donner une lecture du monde en son détail que poser l'homme en situation. Lorsque Jean dit : « Dieu est Amour », il ne nomme pas l'innommable. Il établit le rapport dans lequel l'homme peut communier avec lui, ses semblables et tous les êtres. L'univers ne s'acquiert pas « comme la science » ainsi que Tête d'Or avait fait de sa femme70. Il se connaît par l'action réciproque que l'homme a sur lui et qu'il a sur l'homme. La connaissance est, selon le mot de Claudel, connaissance.
106Rodrigue a créé un monde. Il en a rassemblé d'autres. Et ce qu'il a créé lui a enseigné, en retour, la vanité de la possession, le dégoût de l'objet que l'on tient dans sa main et la fécondité de la blessure71.
107Ainsi s'est opérée une transformation profonde du héros claudélien pour qui la connaissance de l'objet est communion avec lui. La quatrième Journée, cependant, nous montre seulement l'aboutissement d'un itinéraire, le résultat d’un effort dont nous ne pouvons deviner que le cheminement. Il appartient aux trois premières de nous révéler le déroulement d'une vie, de plusieurs vies, en fait. Le drame de Rodrigue, en effet, ne lui appartient pas en propre. Il n'eût pu réaliser sa vocation sans son frère le Jésuite, sans Camille, sans Prouhèze. Et le rôle de la Bible, plus proche en cela de celui des premiers drames, va être de nous montrer l'évolution et le progrès d'un homme dans sa marche vers Dieu.
B. Le regard en arrière : La contribution de la Bible à la lecture d'une vie
108La quatrième Journée du Soulier de satin a installé délibérément, nous l'avons vu, le drame au plan du général et du paradigme. Les trois premières auraient pu le lui faire quitter. Le drame personnel resurgit en effet dans la mesure où la réflexion qui s'impose à Claudel, la nécessité de comprendre comment on en est venu là le conduisent au regard en arrière. Car le triomphe dans l'échec vécu par son personnage est le sien propre.
109Il ne recherche plus, cependant, l'excuse ou la justification, mais la cause. L'œuvre prend ainsi une nouvelle dimension. L'individu trouve son origine et ses motivations hors de lui. Troubles et fantasmes ne sont plus alors les siens propres, ceux d'un homme, mais ceux de chaque homme. Simon Agnel quittait la maison, las de manger la soupe en rond. Le besoin de fuir n'habite plus, désormais, le seul personnage principal. On assiste, dans la première Journée, à une série de départs hors du lieu natal. De même, la plupart des héros, et non plus un seul, veulent obtenir par la violence et la domination sur les autres la possession des biens et l'expansion du Moi. Ils sont plusieurs aussi à rêver d’une mort qui soit le glorieux couronnement de leur vie.
110Les thèmes bibliques, loin de continuer alors à s'effacer, jouent de nouveau un rôle de premier plan. Ils permettent de dénoncer les causes du désordre spirituel et les modalités de son action.
111La première scène du drame rappelle le meurtre d'Abel par Caïn dans la Genèse. La mort du Jésuite victime de pirates est symbolique. Elle est celle de la spiritualité et de l'amour.
112Nous apprenons ensuite comment la violence assure son triomphe sur le monde. Elle se manifeste dans le mépris du sacré. Elle le met à son service, l'utilise impudemment à ses fins.
113Son règne apparaît, cependant, fragile car les thèmes bibliques nous montrent qu'en tout homme est un spirituel qui, avec, au besoin, des moyens impurs et mal conscients, cherche Dieu. Ils nous montrent aussi la puissance d'Anima qui brise le déferlement de la violence en imposant l'interdit religieux et l'obéissance aux lois du sacré. Dans un monde partiellement perverti, mais où la foi et l'aspiration au divin demeurent vivantes, la Mère, plus que jamais image de l'Église catholique, peut être persécutée. Elle n'est jamais la plus faible et sa grâce pénètre les hommes.
1. Le triomphe de la violence
114La première scène s'ouvre, avec le massacre des religieux, sur le triomphe de la force brutale. La Grâce semble avoir quitté la terre. Chacun est las de ses devoirs simples, de la vie pieuse et paisible. Il éprouve le besoin de fuir les liens conjugaux et familiaux. Et le dialogue entre Animus et Anima devient celui du tyran et de la femme qu’il rêve d'asservir.
115Les hommes du Soulier de satin éprouvent un désir aussi brutal que celui des premiers héros claudéliens. Et le Roi d'Espagne, bien qu'il ressemble au roi de cœur, et non plus à celui de pique, comme le souverain de la quatrième Journée, témoigne d'un double sentiment de lassitude et de passion : « L'Espagne, cette épouse dont je porte l'anneau, m'est peu à côté de cette esclave sombre, de cette femelle au flanc de cuivre qu'on enchaîne pour moi là-bas dans les régions de la nuit ! »72 Le lien légitime que le Jésuite a voulu nouer avec cette terre que son cœur « devinait là-bas dans la nuit, tant désirée »73 a été remplacé par une charge de chaînes. La dépendance réciproque est exclue. Le sacrement de mariage pèse parce qu'il comporte l'interdit de violence. Comme Tête d'Or, l'homme du Soulier de satin ne se juge pas libre si l'autre jouit de quelque liberté74.
116Aussi, puisque le Roi ne peut quitter l’Espagne, son épouse légitime, se fera-t-il remplacer en Amérique par un homme capable d'assouvir sa volonté dominatrice. Il veut, par un transfert de désir, que celui qui sera roi à sa place soit « jaloux et avide »75. La bénédiction d'Abel appelée par le Jésuite n'ira pas jusqu'à l'Amérique : « Est-ce dans la raison et la justice qu'il épousera cette terre sauvage et cruelle, et qu’il la prendra toute glissante entre ses bras, pleine de refus et de poison ? »76 Elle est livrée à l'amour d'un tyran qui l'épouse non dans la Grâce évangélique, mais dans sa propre loi et dans la force.
117Et Rodrigue, l'élu, voudra, comme son souverain, pour le remplacer là où il ne peut être, un autre lui-même. Le Roi, retrouvant en lui ses propres pulsions, l'avait chargé d'assumer la vie que ses fonctions lui interdisaient. Rodrigue, lui, a voulu offrir à Almagro la mort qu'il eût désirée pour lui-même, celle de Tête d'Or :
Je ne veux pas que tu meures dans un lit, mais navré de quelque bon coup, seul, au sommet du monde, sur quelque cime inhumaine, sous le ciel noir plein d'étoiles, sur le grand Plateau d'où tous les fleuves descendent, au centre de l'épouvantable Plateau que jour et nuit ravage le Vent planétaire !
Et nul jamais ne saura où le corps d'Almagro est couché.77
118L'Amérique doit fournir un Caucase pour la mort d'un nouveau Prométhée. Ainsi serait conclue la conquête d'un lieu « d'où tous les fleuves descendent », sorte d'ancien paradis terrestre livré aux forces déchaînées de la nature.
119Les flots qui ont submergé le navire du Jésuite et des religieuses qui l'accompagnaient sont bien ceux de la rage de vivre et de mourir qui animait le premier grand héros claudélien, mais ils ne donnent pas à Rodrigue des compagnons de sa trempe. Almagro le décevra. Et le rouge où baignent les Croisés qui doivent le suivre en Amérique est celui d'une passion moins pure que la sienne : « Mes ouvriers », dit le drapier chargé de les vêtir, « du matin jusqu'au soir barbotent dans une lessive de feu et de massacre ! ils retirent de leurs cuves des drapeaux tout dégouttants d'une sauce plus vermeille que la mer qui a englouti Pharaon ! »78 Les allusions au massacre, à Pharaon, laissent deviner la fascination de la violence. Les Croisés ne répondent pas à la promesse de la réconciliation des peuples faite par Isaïe, ni à l'injonction messianique d'enseigner toutes les nations. Leur vraie foi, qui les rapproche de Tête d'Or, est dans la vie :
Il faut bien réveiller tous ces dormants. Tant pis si la peau leur cuit un peu ! est-ce que nous avons ménagé la nôtre ?
La vie vaut tout de même mieux que les limbes !
Voici que nous avons passé la mer ; cette terre qui n'avait pas le droit d'être privée de nous, nous lui avons ouvert les portes du matin.
Il nous a fallu tous les siècles depuis la création du monde pour parvenir jusqu'à eux par des chemins garnis de braise ardente et de verre cassé. C'est bien leur tour de souffrir un petit peu.
Attention, on arrive !79
120Mais ce culte de la vie s'allie trop bien avec la tyrannie violente et la rapacité : « L'or qu'on trouve là-bas est vrai. »80
121Il est, cependant, une autre épouse, une autre Anima, Prouhèze, plus désirable que l'Amérique. C'est autour d'elle que va se nouer le drame spirituel. C'est elle qui va révéler l'autre visage d'Animus, celui qui regarde vers le ciel. Mais elle est d'abord, elle aussi, l'objet d’un désir tyrannique. Et, puisque cette violence ne règne qu'aux dépens du sacré, les textes scripturaires, à ce moment, au lieu de guider, d'être servis, sont utilisés. Animus, en effet, a beaucoup appris depuis l'époque où il s'appelait Tête d'Or. Il connaît désormais les Évangiles, mais c'est pour les mettre au service de sa volonté de puissance.
122C'est ainsi que dans la trame du drame se tisse le premier fil qui révèle ses exigences et ses calculs avant de laisser voir sa spiritualité.
123Camille est le personnage du Soulier de satin qui utilise les Évangiles avec la plus froide désinvolture afin de placer l'Autre à sa merci. Il a ainsi la possibilité d'exercer sur Prouhèze, sur le Christ et sur Dieu un chantage qui s'avérera efficace.
124Il se veut le véritable Fils prodigue, plus vrai que celui des Évangiles. Il veut tenir les siens à sa merci, dominer la Mère, humilier le Père. Il refuse tout lien pour soi-même, et l'Oreste de Sartre se souviendra de ce modèle dans Les Mouches. À ses yeux,
Il y a des gens qui trouvent leur place toute faite en naissant,
Serrés et encastrés comme un grain de maïs dans la quenouille compacte :
La religion, la famille, la patrie.81
125Lui-même n'est pas de ceux-là. Il refuse toute attache. Mais la liberté qu'il veut, pour soi, totale, il la refuse aux autres. Il exige que soient placés sous sa dépendance la Mère dont il fixe l'attention exclusive, le Père et, avec lui, Dieu dont il est l'image :
Ah ! ses autres fils et filles, je dois dire quelle n'y pensait guère !Elle n'avait que mon nom sur les lèvres en mourant. Et cet Enfant Prodigue, pour passer à un autre sujet, un très mauvais sujet,
Est-ce que vous croyez que c'est vrai qu'il mangeait son bien avec les gloutons et les prostituées ? Ah ! il s'était mis dans des affaires autrement passionnantes !
Des spéculations à faire frire les cheveux sur la tête avec les Carthaginois
et les Arabes ! C'est le nom même qui était compromis, vous sentez ?
Croyez-vous que le Père pensait à autre chose qu'à ce fils chéri ? Tout le
long des jours. On ne lui en laissait guère le moyen.82
126Le but de ce nouvel Enfant Prodigue n'est pas de fuir la famille, mais de se l'asservir, d'une certaine façon, en accaparant toutes les pensées.
127À l'égard de Prouhèze qu’il charge de continuer la Mère, il exerce une pression plus hardie et plus forte. Il se met sous la dépendance de la femme pour l’obliger à s'intéresser à lui. Elle en a pleine conscience : « Je sais que vous avez besoin de moi. »83 Il utilise sa connaissance des Evangiles pour exercer son chantage : puisque Jésus est venu non pour les bien portants, mais pour les malades, il sera le plus impie pour être le plus intéressant, celui que l'on recherche et que l'on choie, la brebis pour qui le Pasteur quitte tout son troupeau :
Et moi, je vais être si malheureux et si criminel, oui, je vais faire de telles choses, Doria Prouhèze,
Que je vous forcerai bien de venir à moi, vous et ce Dieu que vous gardez si jalousement pour vous, comme s'il était venu pour les justes.84
128Les promesses évangéliques sont un moyen de contraindre la Femme et le Dieu qui est en elle. Mais il ne lui suffit pas d'intéresser, d'attirer à soi au lieu d'aller vers les autres. Il veut encore inverser les rôles en imposant au Père l'humilité qui convient au fils coupable. Aussi, après avoir interprété la parabole de l'Enfant Prodigue à la lumière de celle du Bon Pasteur, s’inspire-t-il de l'attitude du Christ lavant les pieds de ses disciples et veut-il être comparé, non à un fugueur, mais à Joseph chassé par ses frères et victime triomphante de l'injustice familiale :
– Et croyez-vous que ce soit le Fils Prodigue qui ait demandé pardon ?
– L'Évangile le dit.
– Moi, je tiens que c’est le Père, oui, pendant qu’il lavait les pieds blessés de cet explorateur.
– Vous reviendrez aussi.
– Alors je ne veux pas de musique ce jour-là ! pas d’invités ni de veau gras ! pas de cette pompe publique.
Je veux qu’il soit aveugle comme Jacob pour qu’il ne me voie pas.
Vous vous rappelez cette scène quand Joseph fait sortir tous ses frères pour être seul avec Israël ?
Nul ne sait ce qui s’est passé entre eux à ce moment, il y en a pour jusqu’à la fin du monde, de quoi remplir cinq minutes d’agonie85 !
129Tête d'Or allait à la conquête du Soleil-Dieu-Père. Il assouvissait son goût pervers d'humilier sur la Princesse. Dieu est, pour Camille, dans la Femme, non dans le Soleil. C'est lui qu'il veut posséder en elle et atteindre à travers elle. Mais s'il use de moyens détournés et de ruse, son but n'en est pas moins le même, affirmer et épandre son Moi par la domination sur les êtres et, plus particulièrement, sur l'Être.
130L'attitude de Rodrigue est plus nuancée. Il a bien quitté le noviciat des Jésuites, mais il reste marqué par ce contact avec le sacré, comme Claudel lui-même après Ligugé. Il « se figure qu'il [...] tourne le dos » à Dieu plus qu'il ne le fait vraiment. Plus qu'un pur révolté, il est un homme pressé de satisfaire sa volonté de puissance.
Son affaire à ce qu’il imagine n’étant pas d’attendre, mais de conquérir et de posséder
Ce qu'il peut...86
131Ce désir de vaincre et de dominer, plus que la passion charnelle, le porte à fuir les ordres du Roi pour rechercher Prouhèze. Il a fait ainsi le choix de la violence aux dépens du sacré : le succès de cette quête le conduirait à bafouer un interdit religieux puisque la jeune femme est liée à Pélage par le sacrement du mariage.
132Il ne partage pas, cependant, le cynisme de Camille. Il use bien de sophismes pour se convaincre de la légitimité de cet attentat. Mais, plus respectueux des Ecritures, il ne les met à son service qu'avec discrétion. Il laisse à son serviteur chinois d'utiliser la parole du Christ avec l'astucieuse lourdeur d'un « épicier luthérien »87. Celui-ci est une sorte de double qui semble assumer certaines tentations refusées par son maître. Il monnaie auprès de lui sa conversion. Féru de théologie et de connaissances scripturaires, il cite pêle-mêle les paraboles sans autre souci que de défendre ses intérêts88.
133Rodrigue est plus fin. Il n'en retient pas moins la doctrine de Paul, si chère à Claudel, pour justifier son attachement au corps de la bien-aimée :
Ai-je dit que c'était son âme seule que j'aimais ? c'est elle tout entière.
Et je sais que son âme est immortelle, mais le corps ne l'est pas moins,
Et de tous deux la semence est faite qui est appelée à fleurir dans un autre jardin.89
134Ainsi les héros du Soulier de satin, si différents qu'ils soient les uns des autres, partagent-ils tous la tentation d'humilier le sacré et de le mettre au service de leurs passions.
135Cependant, s'ils assument les conséquences de leur présence dans un monde où Caïn a introduit le crime, ils ne sont pas des Caïn. Ils ne sont même pas, comme Tête d'Or, des mâles tout purs. Anima, malgré qu'ils en aient, les habite. Ils ressentent l'attrait de la spiritualité.
2. L'appel du sacré
136Le premier symptôme de l'attirance du sacré, chez le héros claudélien, est son incapacité à demeurer au lieu de sa naissance. Comme Tête d'Or et Louis Laine, il préfère le lieu où il n'est pas. Et ce qu'il cherche dans ce qui est ailleurs n'est ni le bonheur ni la satisfaction, mais le néant et l'absolu. La sensualité et la rapacité n'ont pas ainsi de véritable pouvoir sur lui. Le Roi d'Espagne n'ira pas rejoindre la belle esclave que l'on enchaîne au-delà de l'Océan. Et ce que trouvent les Croisés en Amérique n'est pas apparemment l'or qu'ils disaient vrai. L'ambiguïté même de leurs propos : « Il y a des gens à qui nous allons porter la croix de toutes les façons »90, laisse supposer qu'ils offrent aussi celle qui libère. L'un d'eux précise : « Ne l'avons-nous pas sur notre dos nous-mêmes, pauvres aventuriers ? »91 C'est elle qu'ils découvrent sur le tombeau du peuple mort de la forêt vierge92. Et c'est elle, en fait, qu'ils allaient chercher :
Ruis Peraldo. – Vous même, Senhor Gusman, ce ne sont pas les émeraudes qui vous attirent en ce lieu détestable, ni le bourreau en arrière qui vous barre la route.
Don Gusman. – Je veux rendre à l'humanité ce peuple deux fois mort, je veux élever la Croix sur leur tombe, je veux chasser le Diable de son repaire empesté, qu'il n'y ait pas un endroit au monde où il soit sûr !
Colomb a découvert les vivants, et moi je veux posséder tous ces peuples que la mort a soustraits au roi d'Espagne.
Je veux apaiser avec la Vraie Croix les anciens maîtres.93
137Ils trouveront, en fait, la mort, et, avec elle, sans doute, Dieu.
138Camille et Rodrigue sont, eux, bien plus nettement, des « condottieres » de l'Absolu. Camille est le plus conscient. C'est un passionné calculateur. Il analyse avec lucidité ce qu'il refuse, ce à quoi il aspire, et le moyen d'y parvenir. Il n’aime pas l'Espagne qui est le lieu des obligations envers les autres : « Les autres éternellement sur nous, j'étouffe ! Ah ! n'en avoir jamais fini de cette prison compacte et de toute cette pile de corps mous ! »94 Il veut aller là où Claudel imaginera Rimbaud défunt, non dans la mort, mais à l'ombre de la mort, où se trouve la purification libératrice :
Doña Prouhèze. – Quel est donc cet appel irrésistible ?
Don Camille. – Dites-moi que vous ne l'avez pas ressenti vous-même ?
Les moucherons ne sont pas plus faits pour résister à cette extase de la lumière, quand elle pompe la nuit,
Que les cœurs humains à cet appel du feu capable de les consumer. L'appel de l'Afrique !
La terre ne serait point ce qu'elle est si elle n’avait ce carreau de feu sur le ventre, ce cancer rongeur, ce rayon qui lui dévore le foie, ce trépied attisé par le souffle des océans, cet antre fumant, ce fourneau où vient se dégraisser l'ordure de toutes les respirations animales95 !
139Camille a inventé, avec Mogador, le purgatoire sur terre. Il ira vivre dans le feu, « au-delà du lac ardent », « plus perdu qu'une petite pièce d'or dans une cassette oubliée »96.
140Et ce qu'il cherche dans ce dépouillement, ce n'est pas le néant, mais le sacré. C'est pourquoi il veut y entraîner Prouhèze. Il lui offre cette place avec lui « où il n'y ait absolument plus rien ! nada ! rrac ! »97. Et, à la fin de la scène III de la première Journée, où il lui dévoile avec une brutalité cynique ses intentions, il lui fixe rendez-vous dans ce cancer de feu qui doit les ronger tous les deux.
141Ainsi s'éclaire en partie le rôle providentiel de Camille dans le drame. Poussé par le besoin du Christ qui est en la Femme, par le désir de l'âme de cette Anima, il ne lui suffit pas de l'attirer en un lieu où son corps sera tout à lui, il faut qu'il détruise tout ce qui en elle n'est pas charité et don de soi. Il en prévient Prouhèze lorsqu'elle proteste qu'elle n'est pas chargée de le refaire : « Qu'en savez-vous ? Mais c'est peut-être moi qui suis chargé de vous défaire.98 » Il la défera si bien qu'il lui apprendra à renoncer à tout, même à Rodrigue. Ce dernier, pour se réaliser, a besoin du « non » que lui opposera Prouhèze, mais Prouhèze aura besoin de l'esclavage et de l'anéantissement que lui imposera Camille. Cet Enfant Prodigue qui exige que le Père vienne à lui est sans doute un grand pécheur. Nul mieux que lui, cependant, n'illustre les sentences proposées en exergue du drame, le « Deus escreve direito por linhas tortas » du proverbe portugais, et le « Etiam peccata » de saint Augustin. Son péché servira. Prouhèze ne pourra le refaire, ce qui n'est pas sa vocation, mais lui, réellement, la défera. Attirée dans le piège brûlant de Mogador, elle s'y consumera.
142La scène VII de la troisième Journée laisse même supposer de la part de Camille un rôle plus positif. Sa conversion à l'islam ne semble pas être un simple geste de révolte. Elle en a fait, à ce moment, un pur contemplatif en qui ne se déclenche plus « l'imperceptible dent de l'acte »99 : « Le désir en moi peu à peu cède la place à la curiosité, / Et cette curiosité elle-même est sourdement compromise. »100 C'est lui qui retrouve le grain de chapelet perdu par Prouhèze, la « perle unique » de l'Évangile, sans lequel le lien de la prière est défait.
143Le rapport entre les deux héros est donc bien plus intime et spirituel que ne le laisse supposer cette sorte de marché conclu lors de leur mariage : « Dona Prouhèze. – Mon corps est en votre pouvoir, mais votre âme est dans le mien ! »101 Il est au centre du drame sacrificiel. Chacun conduit l'autre à l'oblation totale dans la grande flamme qui jaillira lorsque la citadelle de Mogador sautera102. Prouhèze ne demandera pas, comme Pensée, un sacrifice qu'elle n'accomplira pas elle-même. Mais Camille ne tiendra pas non plus, comme Tête d'Or, le soleil entre ses bras sans avoir donné son être. Comme Cébès, il aura appris à écouter, mais dans la femme seule, « cette chose en [elle] plus ancienne [qu'elle] qui bat, ce battement depuis la création du monde [qu'elle a] hérité d'un autre. / Il ne prononce aucun nom mortel »103. Et ce qu'il lui demande, et qu’il obtient, est de l'atteindre dans leur double destruction :
Prouhèze, je crois en vous ! Prouhèze, je meurs de soif ! Ah ! cessez d'être une femme et laissez-moi voir sur votre visage enfin ce Dieu que vous êtes impuissante à contenir,
Et atteindre au fond de votre cœur celte eau dont Dieu vous a faite le vase !104
144Il lui demande l'eau que le Christ offre à la Samaritaine105. De façon moins consciente, mais non moins nette, Rodrigue est loin d’être un bénéficiaire passif du sacrifice. Sa blessure est davantage celle du Poète de la troisième ode que celle de Tête d'Or. Elle le conduit à un renoncement accepté. Mais il joue aussi un rôle plus actif. Son purgatoire, à lui, est en son cœur. Il brûle au feu d’une passion inassouvie, et il est en partie responsable de cette frustration.
145Comme les autres personnages du drame, Rodrigue s'est détourné du sacré et du service de Dieu. Mais la prière de son frère le Jésuite, à la première scène, se révèle vite efficace : « Faites de lui un homme blessé parce qu'une fois en cette vie il a vu la Figure d'un ange ! »106 Camille, presque au moment de mourir, suppliera Prouhèze de libérer le Christ qui en elle l'appelle « avec un cri terrible »107 et de lui montrer son vrai visage qui n'est pas celui d'une femme. Plus favorisé, Rodrigue a vu, dès le premier instant, celui de la Muse qui est la Grâce, et la blessure qu'il en a reçue a fait pénétrer en son cœur ce Christ par lequel il est, lui aussi, appelé. Le sacré, dont il s'était détourné, est venu se loger en son être.
146La seconde blessure atteint l'esprit de violence qui était demeuré en lui. Lorsqu'il se présente pour la première fois devant Mogador, Prouhèze fauche d'un coup de canon le mât de son navire. L'atteinte est symbolique, et Camille en donne en clair le sens :
Moi, même avec ce bateau éclopé, j'aurais essayé de faire quelque chose. Même estropié comme vous l'êtes, je dis votre bateau,
Par la main d'une femme.108
147Les Japonais pourront lui couper la jambe. Ils ne feront que parachever ce qui, pour l'essentiel, est déjà fait. Le mât, la jambe, le soulier que Prouhèze a offert à la Vierge ont une signification plus large que seulement sexuelle. Ils sont les instruments de la satisfaction des passions charnelles, mais aussi de l'esprit d'agressivité et de violence. La chair est toujours, comme dans Le Repos, le « non-être Dieu ». L'homme se tourne vers le corps moins pour assouvir sa sensualité que pour se détourner de Dieu. Prouhèze a offert un de ses souliers à la Vierge afin de freiner l'élan qui la porte à violer l'interdit, à bafouer le sacré en même temps que le sacrement de mariage, à aller à contre-Dieu.
148Le comportement d'Animus est, apparemment, très différent de celui d'Anima. Il semble subir les blessures qu'il reçoit et qui paralysent par étapes sa marche vers l'égotisme et la violence. Il mime, en fait, bien plus qu'il ne paraît, la lutte de Jacob et de l'Ange. Il vient affronter Dieu en la Femme. Il vient chercher la plaie et l'infirmité qui le livreront à l'appel du Christ. Lorsque Rodrigue, dès la première Journée, parcourt l'Espagne à la recherche de Prouhèze, ce qu'il vise, c'est moins que ne le laissent supposer ses sophismes, son corps uni à son âme. Il ne sait même pas la couleur de ses yeux109. Il va vers le refus qui doit l’anéantir :
Il faut que je n'existe plus. Il faut me faire comprendre ces choses qui font qu'elle ne m'aimera jamais.
[...]
Il faut que je voie bien qu'elle a raison et que je l'approuve ! Il me faut l'entendre condamner ce cœur qui ne bat que pour elle !
J'ai soif de ces mots destructeurs ! Encore ! Je suis avide de ce néant qu'elle veut établir en moi.
Car je sais que c’est seulement dans le vide absolu de toute chose que je la rencontrerai.110
149Et lorsqu'il l'atteindra, aux deuxième et troisième Journées, il renoncera chaque fois à prononcer le triple appel efficace, celui de Jésus à Pierre et qu'entendirent Tête d'Or et Avare. Il ne mettra pas la force du sacré au service de son désir de violence :
Don Camille. – Parlez ! vous n'avez qu’un mot à dire.
Deux fois déjà vous l'avez appelée. Je sens qu’elle n'attend que votre troisième appel : « Prouhèze, viens ! » ; elle est là, vous n'avez que son nom à prononcer.
Et elle sera devant vous aussitôt.
Don Rodrigue. – Bientôt quand j'aurai pris la mer, c’est alors que je l'appellerai.111
150Lors de leur dernière entrevue, c'est Prouhèze elle-même qui lui lance le défi : « Un mot, et je reste avec toi. Un seul mot, est-il si difficile à dire ? Un seul mot et je reste avec toi. »112 Il attendra, cette fois, qu'entre eux soit mise l'éternité.
151Rodrigue a connu, ainsi, deux fois l'épreuve purificatrice que le Roi voulait pour lui : « Il me faut une âme absolument incapable d'être étouffée, il me faut un tel feu qu'il consume en un instant toutes les tentations comme de la paille, / Nettoyé pour toujours de la cupidité et de la luxure. »113 La première fois, c'est avant de prendre sa vice-royauté d'Amérique, la seconde, avant l'épreuve sacrificielle de la quatrième Journée. Ces deux moments de purgatoire n'ont pu faire un héros et un martyr que parce qu'ils ont été non seulement acceptés, mais voulus de celui qui les a subis.
152Aucun des deux personnages qui représentent, dans le drame, Animus, n'est un saint. Camille utilise cyniquement la théologie claudélienne du Repos du septième jour et la parabole évangélique du Bon Pasteur114. Il joue avec Dieu en employant des cartes biseautées. Mais il se meurt d'une soif spirituelle auprès de Prouhèze, comme Agar dans le désert. Rodrigue saura être tyrannique et violent. Mais lui aussi, comme son rival, offrira sa part de sacrifice dans le drame. Et tous deux pourront dire comme Mara, dans L'Annonce faite à Marie : « ... c'est moi qui ai fait cela. »115
3. Le fil d'Anima
153Si l'on considère, avec Claudel, que la trame du Soulier de satin est faite de divers fils qui apparaissent pour disparaître et réapparaître de nouveau, celui de Prouhèze est privilégié. Ses matériaux sont une révolte et une piété passionnées. Et, depuis la scène V de la première Journée, où elle fait à la Vierge l'offrande de son soulier, c'est Marie qui conduit l'action. Mais il est un autre fil auquel elle est attachée comme un poisson et que tire l'Ange, le pêcheur, l'instrument de la Providence. Elle est elle-même l'appât par lequel Dieu se saisit de Rodrigue.
154Nous avons ainsi un fait nouveau dans le théâtre claudélien qui témoigne du rapprochement d'Animus et d'Anima. Ils ne repoussent ni l'image paternelle, ni l'image maternelle. Tête d'Or, poursuivant le Soleil et fuyant la Princesse, se vouait à l'un en reniant l'autre. Le personnage maternel pouvait être le reflet de la Vierge, il est maintenant la Vierge Mère qui, médiatrice de toute Grâce, introduit au Père. La Princesse était repoussée. La Vierge – ou l'Église catholique dont elle est le symbole – conduit ici l'action durant les trois premières Journées. C'est le signe d'une réconciliation presque achevée. L'Histoire de Tobie et de Sara en marquera le terme.
155Ce rapprochement n'est pas facilité seulement par la spiritualité assez nouvelle d'Animus. Anima a aussi évolué de sorte qu'elle lui ressemble davantage. Et, de façon assez curieuse, les trois thèmes scripturaires qui marquent Prouhèze étaient jusqu'alors propres aux personnages masculins. Elle boite comme le Poète de la quatrième ode. Elle frappe au cœur, comme l'a fait Pierre de Craon en annonçant à Violaine l'appel divin. Elle communie à l'Eau, comme Pierre, encore, qui en était le Maître.
156Or, le don du soulier qui la rend infirme au plan spirituel, l'épée qu'elle plante au cœur de Rodrigue sont des thèmes mariaux et sont au service de l'interdit imposé par la Mère castratrice. La participation à l'Eau est également la récompense purificatrice de la soumission.
157Le don du soulier signifie assez clairement une mutilation volontaire. Le symbole du pied et de la pantoufle, du sexe masculin et du sexe féminin n'est pas seulement rabelaisien, mais universel. Prouhèze consacre à la Vierge une part de ses pulsions sexuelles afin d'aller vers l'adultère d'un pas blessé, afin d'échouer dans l'attentat qu'elle va commettre. Elle ne peut renoncer à sa violence, mais elle ruse afin que, affaiblie, celle-ci ne puisse l'emporter sur le sacré.
158Le rapprochement avec le poème de Baudelaire « A une Madone », que ce dernier soit ou non une source du drame, paraît éclairant. Le poète des Fleurs du Mal y offre à la Vierge, tout comme Prouhèze, de « beaux Souliers / De satin »116. Mais loin d'y joindre ses propres pulsions passionnelles, il emprisonne les pieds de Marie. Il paralyse ainsi le sacré et le met à sa merci. Les forces de violence sont alors libérées en l'homme et le sentiment religieux devient l'occasion, ou le prétexte, de rêveries sadiques. Le sens baudelairien du sacré fait naître un désir frénétique de meurtre rituel. Les sept couteaux des sept péchés capitaux percent le cœur sanglant de la Madone.
159Claudel prend le contre-pied d'un texte auquel il a pu songer. Il s'agit, pour Prouhèze, de paralyser la violence qui est en elle et de la soumettre au sacré que représente la Vierge. Puisqu'elle ne peut maîtriser sa passion, elle choisit de s'aliéner partiellement, de s'amputer afin de ne pas porter atteinte aux valeurs religieuses essentielles. Aussi n'est-ce pas un défi, mais une prière qu'elle adresse à la Vierge :
Je ne puis dire que je comprends cet homme que vous m'avez choisi, mais vous, je comprends, qui êtes sa mère comme la mienne.
Alors, pendant qu'il est encore temps, tenant mon cœur dans une main et mon soulier dans l'autre,
Je me remets à vous ! Vierge mère, je vous donne mon soulier ! Vierge mère, gardez dans votre main mon malheureux petit pied !
Je vous préviens que tout à l'heure je ne vous verrai plus et que je vais tout mettre en œuvre contre vous !
Mais quand j'essayerai de m'élancer vers le mal, que ce soit avec un pied boiteux ! la barrière que vous avez mise,
Quand je voudrai la franchir, que ce soit avec une aile rognée !
J'ai fini ce que je pouvais faire, et vous, gardez mon pauvre petit soulier,
Gardez-le contre votre cœur, ô grande Maman effrayante !117
160La Vierge a un visage double. Elle est effrayante comme l'était la Princesse, comme la plupart des héroïnes claudéliennes. Personnification de l'Église catholique, elle est la gardienne des interdits qui s'opposent à l'expansion anarchique du Moi d'Animus. Elle est la « patronne et mère » qui maintient la maison propre et la garde de la corruption118. Elle ne laisse pas de place au déferlement des agressivités.
161Mais elle est aussi une « grande Maman », pas seulement la Mère, parce que Prouhèze, au moins, a compris que le monde où l'interdit religieux n'a pas cours est celui où règne Caïn. Le Jésuite appelait sur l'Amérique la bénédiction « d'Abel le pasteur »119. Le don du soulier est le premier acte qui la rende efficace. Il introduit à un univers dominé non par la grande Mère terrible des cauchemars de l'enfance, mais par la douceur de la Maman dont la présence rassurante vient les interrompre.
162Prouhèze a donc pris la démarche d'Animus, claudicante et boiteuse, afin d'aller vers un adultère dont elle ne peut se détourner pour l'instant.
163Mais le don du soulier n'est que le point de départ du fil de Prouhèze qui nous conduit à deux références bibliques beaucoup plus nettes. La première est celle de la blessure, mortelle parce qu'elle atteint le centre vital de l'homme. A la question de Dona Musique : « Qu'êtes-vous donc ? », Prouhèze répond : « Une Épée au travers de son cœur. »120 L'image est relativement nouvelle. Le Poète de la quatrième ode est frappé à la jambe, comme Jacob, par la Muse. Tête d'Or était bien touché au cœur d'une atteinte mortelle par le sacré. Mais c'était à la suite d'une rencontre directe avec l'Absolu, sans l'intermédiaire de la Femme. Pensée avait atteint l'homme qu'elle aimait jusqu'à lui faire désirer la mort comme le bien le plus précieux. Mais, des deux, qui était Anima ? Orian était, en tout cas le plus spirituel. Ce n'est pas le cas ici. Anima, pour la première fois, frappe l'autre d'un désir tel de Celui qui est l'Être parfait qu'il lui fait prendre en dégoût tout ce qui est contingent.
164La référence scripturaire est d'ailleurs complètement inversée. La prophétie de Siméon, dans l'Évangile selon Luc, annonçait à la Vierge : « ... à vous-même une épée vous transpercera le cœur... »121
165Baudelaire, dans son poème « À une Madone », était, au moins dans la lettre, plus proche de l'image évangélique. Après avoir enfermé Marie dans la guérite de sa piété impure, il la poignardait.
166Tel était également, avant la Trilogie, le comportement de plus d'un héros claudélien, Tête d'Or, bourreau de la Princesse, Louis Laine, Jacques Hury, persécuteurs de Marthe et de Violaine. C'était Marie, la Mère, qui était visée en elles.
167Dès la première idée du drame « Sous le vent des Îles Baléares », Claudel avait inversé le rôle. Le personnage masculin, Animus, était devenu à la fois le Père et la victime. Anima était sa fille et disposait du prisonnier livré à sa merci. Ce couple n'a pu être conservé, et Marie de Sept-Épées semble n'avoir gardé de sa vocation première que son nom qui rappelle les sept couteaux de la Madone de Baudelaire. Mais un autre couple lui a succédé, aimée-amant, et non plus fille-père. Prouhèze est devenue l'épée qui frappe Rodrigue. Le renversement de la fonction dramatique subsiste ainsi et c'est toujours Anima qui frappe, au lieu d'être la victime.
168Excepté cette inversion, cependant, la correspondance avec la situation évangélique reste exacte. La Vierge a accepté implicitement le coup qu'elle doit recevoir. Et Rodrigue commente sa longue complicité avec l'atteinte subie lors de sa première entrevue avec Prouhèze. La référence explicite est plutôt virgilienne, avec le souvenir de la biche blessée par le roseau mortel, mais l'esprit reste scripturaire :
D'où vient cette profonde exultation comme le prisonnier qui dans le mur entend la sape au travail qui le désagrège, quand le trait de la mort dans notre côté s'est enfoncé en vibrant ?
Ainsi la vue de cet Ange pour moi qui fut comme le trait de la mort ! Ah ! cela prend du temps de mourir et la vie la plus longue n'est pas de trop pour apprendre à correspondre à ce patient appel !
Une blessure à mon côté comme la flamme peu à peu qui tire toute l'huile de la lampe !122
169La métamorphose des personnages a bouleversé ainsi à tel point les situations dramatiques qu’Animus éprouve désormais le sort et les sentiments réservés à Anima. Il se laisse emporter par le ravissement de la souffrance et de la mort alors qu'elle est devant lui l'Ange ou la Mère qui frappe.
170Le troisième thème biblique est plus large que les précédents. Il est lié à plusieurs réminiscences de paraboles évangéliques, au culte de l'immaculée Conception et à la soif d'Agar dans le désert. Mais il contribue surtout à rapprocher les parties masculine et féminine de l'âme claudélienne en les faisant participer à la victoire de l'interdit sur la violence.
171La goutte d'eau que Prouhèze tient dans sa main à la scène VIII de la troisième Journée est mariale, pure et douce comme la grande Maman. Mais elle est aussi, comme elle, terrible et contraignante. La Femme connaît alors la même volupté et la même torture de la mort délicieuse que Rodrigue et elle est unie à son amant non par la possession mutuelle, mais par une soif inextinguible.
172Elle le doit d'abord, cependant, à Camille, autre Animus métamorphosé, bien différent de ce qu'il était dans leur premier dialogue. Quand il vient rendre à Prouhèze le grain de son chapelet qu'elle a perdu, il est proche de la mort et transformé par l'acceptation qu’il en a faite.
173Il a joué le rôle des servantes de la parabole qui passent leur journée tout entière à chercher la drachme perdue123. Sans doute ce grain représente-t-il toute la souffrance qu'il a infligée à celle qui est maintenant son épouse. Ne l'appelle-t-elle pas elle-même « larme thésaurisée » ? Il est aussi la « perle unique » pour laquelle le marchand de l'Évangile vend tous ses biens124. Il est tout ce qui fait « le lien de la prière », ce qui met l'homme en communion avec le sacré, avec l'« assistance innombrable » que Camille soupçonne dans la tente de Prouhèze.
174Mais ce « diamant inaltérable », condensé de douleurs, est, avant tout, « une goutte d'eau » :
L'eau retrouvée.
Cette goutte d’eau que convoitait le Mauvais Riche au bout du doigt de Lazare et qui est de tout le centuple. Cette espérance avec moi. La semence du jour futur.125
175Deux nouvelles paraboles sont ici évoquées126. La référence la plus véritable n'en est pas moins celle des Béatitudes. Cette eau est donnée à ceux qui ont soif de l'amour de Dieu. Douleur acceptée, elle guérit toute douleur.
176La promesse de la rétribution au centuple est, cependant, immédiatement réalisée, et, par une transformation métonymique, Prouhèze est contenue dans la goutte qu'elle tient :
Mais ai-je dit que je tenais cette goutte d'eau ? C'est moi qui tiens en elle.
Quelqu'un l'a mise dans ma main, cette perle unique, ce grain essentiel sans quoi tout le chapelet des deux serait défait !
La Terre qui dit Ave Maria.
Comme elle est petite entre toutes les Cités de Juda ! Si petite, minime. Si petite entre tant de lumières.
Si petite qu'aucun œil sans guide ne saurait trouver Bethléem.
Et cependant le Fils de Dieu n'a point désiré d'autre femme pour y naître et
c'est à cause d'elle que tout le reste a été fait.127
177L'eau évoque la pureté des origines et, chez Claudel, renvoie d'ordinaire à la Genèse. Le thème marial impose ici, de façon assez neuve, un contexte purement évangélique. Le moment choisi ab initio n'est plus celui de la création, mais de l'incarnation. La pureté n'est pas celle des eaux primordiales. Elle est celle de l'enfance, de la naissance dans l’humilité et l'obscurité.
178Mais à la plus grande douceur répond la rigueur extrême. Marie, l'instrument privilégié de la Nouvelle Alliance, est aussi la Mère gardienne des interdits. Par sa Grâce, l'eau qui unit les deux amants est en même temps celle qui les sépare :
J'ai soif !
Je sais que mon bien-aimé est au-delà de la mer. Rodrigue !
Je sais que nous buvons à la même coupe tous les deux. Elle est cet horizon commun de notre exil.
C’est elle que je vois chaque matin apparaître étincelante dans le Soleil levant,
Et quand je l'ai épuisée, c'est de moi dans les ténèbres qu'il la reçoit à son tour.128
179Un lien existe entre Marie et la Reine de la folie, Lâla, de La Ville. Marie est celle qui interdit à la promesse d'être tenue. Mais elle n'est pas une égarée aux cheveux blancs. Elle est l'esprit d'enfance. Dieu l'a désirée parce qu'elle est la plus humble et la plus petite de toutes les femmes. Aussi Prouhèze ressent-elle son joug comme léger. Il y a plus de volupté que de souffrance dans ses paroles. Et, quand elle s'adresse, par-delà l'océan, à Rodrigue, c'est pour lui demander une séparation plus totale, un exil plus grand, afin d'être plus proche de lui, non dans la satisfaction, mais dans le désir : « Laisse-moi commencer ma pénitence au sein de ces délices éternelles ! Laisse-moi être la goutte d'eau qui les réunit à ton cœur ! laisse-moi n'avoir plus de corps afin que je n'aie plus pour ton désir de paroi ! laisse-moi n'avoir plus de visage pour que je pénètre jusqu'à ton cœur ! »129 La scène est un véritable hymne au désir. Orian souhaitait la mort pour que son âme vécût en Pensée. Prouhèze la veut aussi, mais pour accroître le désir de Rodrigue, non pour l'assouvir. Elle lui offre l'absence de son visage d'ange afin que seule subsiste la blessure. Et les « délices éternelles » qu'elle lui destine sont celles de l'insatisfaction.
180L'union où elle vit et qu'elle lui fait vivre est celle d'une double insuffisance :
Je suis Agar dans le désert ! Sans mains, sans yeux, il y a quelqu'un qui ma rejointe amèrement dans le désert !
C'est le désir qui étreint le désespoir ! C'est l'Afrique par-dessus la mer qui épouse les terres empoisonnées du Mexique130 !
181Agar assoiffée était secourue par un ange qui lui montrait le puits où s’abreuver. Rodrigue n'apporte à Ptouhèze que son propre désespoir et le poison qu'il boit lui-même. Mais le salut du couple viendra de cette communication. Le désespoir de Rodrigue donnera à la femme la permission de mourir qu'elle attend. Et Prouhèze lui communiquera l'immensité de son désir par une torture plus grande de l'interdit et par cette mort que tous deux auront acceptée.
182L'Ange gardien sait manier le trident et il en menace le héros. S'il naît de la « grande Île du Japon » qui « peu à peu s'anime et prend la forme d'un de ces Gardiens en armure sombre que l'on voit à Nara »131, c'est que Rodrigue doit y devenir définitivement un insatisfait en ce monde en laissant « sur le champ de bataille de Sendigahara »132 le pied symbole de la puissance et de la satisfaction du désir. Et la mort de Prouhèze fera de celle qui n'est qu'un « tison sous la cendre », « une étoile flamboyante dans le souffle du Saint-Esprit »133. Séparée, mais conductrice, et ne pouvant être conductrice que parce qu'elle est séparée, elle le guidera vers Dieu.
183Les symboles bibliques sont, sinon plus denses, du moins plus signifiants dans les trois premières Journées que dans la quatrième. Les remarques antérieures sont ainsi confirmées. Les Ecritures fournissent des modèles explicatifs. Elles contribuent à la création de mythes qui donnent un sens à une vie, qui aident à la comprendre et la justifient. Elles ont prise sur le réel, mais à la condition que ce réel soit revécu, recréé, transfiguré. Elles n'apportent pas la lumière qui permet de décrire une situation objective, ce qui est, pour une part, l'effort de la dernière Journée. Elles donnent celle qui éclaire l'analyse, qui permet de se situer face à l'événement, face à ses actes passés :
Laissez-moi m'expliquer ! laissez-moi me dépêtrer de ces fils entremêlés de la pensée ! laissez-moi déployer aux yeux de tous cette toile que pendant bien des nuits
J'ai tissée, renvoyé d'un mur à l'autre de cette amère vérandah comme une navette aux mains des noires tisseuses !134
184Les fils scripturaires sont, pour la même raison, moins ceux du personnage principal que de ses doubles, de ses reflets. Claudel est en chacun de ses héros et aucun ne représente plus qu'une part de lui-même. Rodrigue n'en est pas moins trop proche de lui pour être de ceux qui apportent l'explication. Il est celui qui cherche, interroge et à qui la satisfaction de comprendre est refusée : « Tout cela un jour vous sera expliqué », lui dit Frère Léon au dernier moment du drame135. C'est lui dire qu'en ce monde, il ne saura pas. Et Prouhèze lui a demandé un acte de foi qui ne repose sur aucune garantie : « Celui qui a la foi n'a pas besoin de promesse. »136
185Camille et Prouhèze donnent davantage de réponses, l'un dans son affrontement froid et lucide avec le Père, l'autre dans sa complicité aux volontés de la Mère. Ce sont leurs fils qui tissent essentiellement la trame scripturaire. Les thèmes qui correspondent aux deux personnages se complètent ainsi pour donner au drame une dominante évangélique très nette.
186La réponse au Père, le « Fiat voluntas tua » est au centre des Évangiles. Ainsi Camille situe-t-il sa révolte et son chantage envers Dieu en fonction des paraboles qui supposent un rapport dramatique et conflictuel entre le fils et le Père, en fonction de celles qui disent la douleur, le soin, la joie de ce dernier lorsque l'Enfant prodigue ou la brebis se sont égarés et ont été retrouvés137.
187La réponse au Père n'est positive, cependant, que par la médiation de la Mère, Marie. Le fil qu'elle tisse est, lui aussi, évangélique par les paraboles ou les symboles qui y paraissent. Il l'est aussi par des images apparemment étrangères aux Écritures. Le don du soulier et le choix de Mogador en feu, la perte du pied de Rodrigue répondent, malgré l'absence de références, à l'appel du Christ : « Si ta main est pour toi occasion de chute, coupe-la... Si ton pied est pour toi occasion de chute, coupe-le.138 »
188L'imprégnation biblique, même si elle est moins éclatante que dans d'autres œuvres antérieures, n'en est donc pas moins constante. Sa présence peut n'être soulignée que par des références très discrètes. Il est clair que le personnage de Doha Musique est inspiré tout entier, bien que le seul nom l'indique, du « et non impedias musicam » de l'Ecclésiastique139. Mais Rodrigue aussi lui est redevable. Son comportement et ses propos le montrent dans la scène IX de la troisième Journée. Il aime la musique de l'esprit, celle qui continue lorsque l'orchestre s'est arrêté, celle aussi qui l'appelle en avant et qui est, en fait, la voix de Prouhèze.
189L'œuvre tout entière, et non seulement l'attitude des personnages, se modèle sur les Écritures. Le Soulier de satin suppose une méditation du « omnis homo mendax » des Psaumes140. Dieu seul est véridique. Le ciel est le seul lieu de la parole claire. Les Saints et la Lune la possèdent et en font bénéficier le spectateur. Prouhèze est le seul personnage privilégié. Son épreuve est si pénible que son Ange gardien lui en explique le sens. Ce monde de l'Absolu est comme la nuit de La Cantate... celui de la connaissance totale. L'homme n’y accède que par une grâce exceptionnelle. Il se contente « de dire misérablement sur la terre »141 un rôle appris à mesure que l'action avance et qu'il ne comprend jamais vraiment.
190Cette conviction que toute parole humaine est fausse, mensonge volontaire ou non, inspire un humour claudélien tout nouveau et qui fait partie intégrante du tragique. Toute affirmation est accompagnée de sa propre dérision. Les scènes de bouffonnerie tissent dans la trame du drame leurs propres fils, parodiant ou dénonçant celles où se manifeste la mystique. Les personnages principaux ont leur double accusateur. Rodrigue, notamment, a son Chinois, un « converti » très intéressé142. Il bafoue doublement son maître par l'image parfois déformante, toujours grotesque, que, miroir grossissant, il lui renvoie de lui-même, et par les jugements sarcastiques qu'il porte sur son attitude.
191À travers l'action et les personnages qui sortent de son esprit, c'est son comportement devant la vie et lui-même que l'auteur prend pour cible, avec tout ce qu'il a de plus sacré et de plus intime, son propre drame et les réponses qu'il tente de lui donner.
192La dénonciation du mensonge de toute parole humaine est plus radicale ici, semble-t-il, en tout cas, plus dramatique que dans Conversations dans le Loir-et-Cher où Acer, tout particulièrement, se plaît à détruire ce qu'il vient d'affirmer. Nous sommes là plus proches du jeu. Il y a plus de désinvolture que de cruauté. Or, le théâtre de Claudel est bien un théâtre de la cruauté. L’homme a besoin de la vérité absolue et ne peut l'atteindre en sa totalité. Il lui est étranger par ignorance, mais aussi par crainte. Lorsqu'il s'embrouille dans les fils de sa pensée, c'est qu'il ne possède pas le regard de Saint Jacques qui domine le temps et l'espace, mais aussi parce qu'il ne veut pas voir. Cet écheveau le protège contre l'éclat de la lumière. L'erreur n'est pas seulement ignorance, elle est aussi une tentative, consciente ou non, de fuir le soleil de clarté.
193La lumière, cependant, se révèle à Rodrigue dans la nuit de son sacrifice. Et, paradoxalement, elle lui est donnée, parole divine, par cette même thématique biblique qui dit le mensonge de la parole humaine. Ses symboles, du don du soulier aux chaînes de Rodrigue, jalonnent les progrès de l'interdit, de la torture libératrice. Ils jouent ainsi, au moins partiellement, le rôle de la liturgie qui guidait le développement des premiers drames. Les progrès de l'action correspondent à ceux du dépouillement, et les images scripturaires en marquent les étapes.
194Le rôle de la Bible, comme la partie immergée de l'iceberg, semble donc bien plus important que ce qu'il a de directement visible et constatable. Le Soulier de satin peut être le triomphe de l'inspiration libérée et du théâtre naissant parce qu'il y a une fin qui aspire, qui tire à elle le flot d'images, de pensées et d'émotions. Si ce flot lui-même n'a pas eu à être canalisé, c'est qu'il obéissait à une logique interne, à un mouvement prédéterminé.
195Et cette aspiration, ce mouvement, ont pour origine, au moins indirecte, les Ecritures, car, ce qui les a suggérés, c'est l'expérience d'une vie qui n'a découvert son sens qu'à la lumière de leurs images et de leurs symboles. C'est elles qui ont enseigné que dans un monde où la violence s'appuie sur le mensonge de la parole, elle ne peut être arrêtée que par la souffrance et le sacrifice qui fondent le respect de l'interdit.
Notes de bas de page
1 Lettres à Margotine du 21 mai 1919 et du 20 mars 1920, Th, II, 1467.
2 Ibid., lettre de 1920.
3 L'objet de cette étude n'est pas d'analyser ce que René Girard appelle « crise sacrificielle ou crise des différences » (La Violence et le sacré, p. 81). Notons, cependant, qu'elle a bien pour origine l'indifférenciation, une sorte de rivalité entre Rodrigue et le Roi soulignée par les pêcheurs dans la première scène. L'un d'eux, Bogotillos, conclut leurs commentaires par un : « J'ai idée que tout ça finira mal pour lui [Rodrigue]. » (Th, II, 865). Par ailleurs, « la victime rituelle [...] doit attirer sur elle toute la violence maléfique pour la transformer, par sa mort, en violence bénéfique, en paix et en fécondité ». (La Violence..., p. 138). La mort de Rodrigue n'est que métaphorique. Mais elle fait bien jouer ce mécanisme de transformation.
4 Le Soulier..., Th, II, quatrième Journée, scène I, 861.
5 Ibid., p. 866.
6 Ibid., p. 865.
7 Ibid., p. 866.
8 Ibidem.
9 Ibidem.
10 Ibidem.
11 Ibid., scène IV, p. 884.
12 Ibidem.
13 Ibidem.
14 Ibid., scène II, p. 867.
15 Ibidem.
16 Ibid., pp. 867-868.
17 Ibid., p. 868.
18 Ibid., scène IV, p. 885.
19 Ibidem.
20 Ibid., scène I, p. 865.
21 Ibid., scène III, p. 883.
22 Ibid., scène VIII, p. 916.
23 Ibid., p. 917.
24 Ibid., scène III, p. 880.
25 Ibid., p. 879.
26 Ibid., pp. 879-880.
27 Sainte Thérèse (J, I, juin 1915, 331-332), saint Jean de la Croix (ibid., septembre 1915, p. 339).
28 Le Soulier..., quatrième Journée, scène X, 938.
29 Ibidem.
30 Ibidem.
31 Ibidem.
32 Ibid., scène II, p. 869.
33 « À propos de la première représentation du Soulier de satin au Théâtre-Français », 1943, Th, II, 1473.
34 Le Soulier..., quatrième Journée, scène VIII, 920.
35 Ibid., scène II, p. 871.
36 Ibidem.
37 T.O., Th, I, A. 31.
38 Ibid., p. 32.
39 Le Soulier..., quatrième Journée, scène II, 870.
40 Ibidem.
41 Ibid., scène VI, p. 908.
42 Ibid., scène II, p. 871.
43 Ibidem.
44 Ibid., p. 872.
45 Ibid., scène XI, p. 943.
46 T.O., A. 157-158, B. 293.
47 Le Soulier..., quatrième Journée, scène II, 868.
48 Ibid., scène VI, p. 901.
49 Ibid., p. 902.
50 Ibid., p. 906.
51 Ibid., scène IX, p. 930.
52 Ibidem.
53 Ibid., p. 931.
54 Ibid., p. 932.
55 Aristote, La Poétique, p. 13.
56 « Maintenant je puis dire, mieux que le vieux Lucrèce : Vous n'êtes plus, ô terreurs de la nuit ! » Cinq Grandes Odes, 5ème ode, Po, 282.
57 Le Soulier..., quatrième Journée, scène XI, 944.
58 Ibid., p. 945.
59 T.O., B. 226.
60 Ibidem.
61 Le Soulier..., quatrième Journée, scène XI, 945.
62 Ibid., p. 948.
63 Lettre du 30 juillet 1894 à M. G. Bijvanck, in Th, I, 1245.
64 Paul, Rm 3. 4-7.
65 Id., 1 Co 13. 12 : « Videmus nunc per speculum in aenigmate ; tunc autem facie ad faciem. – Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme ; mais alors nous verrons face à face. »
66 Cinq Grandes Odes, première ode, Po, 231.
67 Le Soulier..., première Journée, scène III, 678.
68 Cinq Grandes Odes, cinquième ode, 281.
69 Ibid., p. 289.
70 T.O., Th, I, A. 34.
71 Voir Le Soulier..., troisième Journée, scène IX et, notamment, p. 828 : « Le Secrétaire. – Voilà plus d'un jour déjà que Son Altesse et moi nous sommes un peu las de notre Amérique, comme vous dites. / [...] / On se lasse de son propre corps. » Ibid., quatrième Journée, scène II, p. 868 : « Don Rodrigue. – ... Et comment aussi ai-je pu m'accommoder si longtemps de ces deux jambes à la pataude... »
72 Ibid., première Journée, scène VI, p. 688.
73 Ibid., scène I, p. 667.
74 T.O., Th, I, A. 96, B. 238 : « En cela que quelque chose ne m'est pas soumis [2ème version : soumise], je ne suis pas libre. »
75 Le Soulier..., première Journée, scène VI, 689.
76 Ibidem.
77 Ibid., troisième Journée, scène ΙII, p. 804.
78 Ibid., deuxième Journée, scène I, p. 728.
79 Ibid., p. 729.
80 Ibidem.
81 Ibid., première Journée, scène III, p. 673.
82 Ibid., p. 674.
83 Ibidem.
84 Ibid., pp. 676-677.
85 Ibid., p. 677.
86 Ibid., scène I, p. 668.
87 Ibid., scène VII, p. 695 : « Car à quoi sert le jeune vin sinon aux aubergistes pour le mettre dans de vieilles bouteilles ? à quoi le boisseau sinon pour en mesurer ces perles qu'il nous est commandé de distribuer aux cochons... » – Mt 9. 17 ; Mc 2. 22 ; Lc 5. 37 ; Mt 7. 6.
88 Ibidem.
89 Ibid., p. 698 – I Co 15. 44.
90 Ibid., deuxième Journée, scène I, p. 729.
91 Ibidem.
92 « Ainsi sur le tombeau de ce peuple mort et dont le nom même a péri il y a la croix ! ils tendent du fond de leur tombeau la croix à ces vivants qui du bout du monde se sont mis en marche pour les retrouver. » Ibid., scène XII, p. 774.
93 Ibid., p. 775.
94 Ibid., première Journée, scène ΙII, p. 677.
95 Ibid., pp. 677-678.
96 Ibid., p. 678.
97 Ibid., p. 675.
98 Ibid., p. 674.
99 Ibid., troisième Journée, scène X, p. 835.
100 Ibid., pp. 835-836.
101 Ibid., p. 833.
102 « Dona Prouhèze. – Tout est prêt pour faire sauter la citadelle ce soir. À minuit il y aura une grande flamme et, quand elle se sera éteinte, un coup. /Partez alors. Quelque chose sera fini. » Ibid., scène XIII, pp. 852-853.
103 Ibid., scène X, p. 837.
104 Ibid., p. 842.
105 Jn 4. 15.
106 Ibid., première Journée, scène I, p. 669.
107 Ibid., troisième Journée, scène X, p. 842.
108 Ibid., deuxième Journée, scène XI, p. 770.
109 « Le Chinois. – La connaissance ? dites-moi seulement la couleur de ses yeux.
Don Rodrigue. – Je ne sais. Ah ! je l'admire tellement que j’ai oublié de la regarder ! » Ibid., première Journée, scène VII, p. 695.
110 Ibid., p. 700.
111 Ibid., deuxième Journée, scène XI, p. 772.
112 Ibid., troisième Journée, scène XIII, p. 859.
113 Ibid., deuxième Journée, scène VII, p. 753.
114 Ibid., troisième Journée, scène X, p. 839 : « Je suis la brebis bien perdue que les cent autres à jamais ne suffisent pas à compenser. » – Mt 18. 12 ; Lc 15. 4.
115 L'Annonce... (version pour la scène), Th, II, 212.
116 Baudelaire, Œuvres complètes, Pl, p. 58.
117 Le Soulier..., première Journée, scène V, 685-686.
118 Ibid., p. 685.
119 Ibid., scène I, p. 667.
120 Ibid., scène X, p. 710.
121 Lc 2. 35.
122 Le Soulier..., troisième Journée, scène XIII, 854.
123 Ibid., scène VII, p. 811 – Lc 15. 8-9-10 : parabole de la drachme.
124 Ibid., scène VIII, p. 811 – Ml 13. 45-46 : parabole de la perle.
125 Ibidem.
126 Lc 16. 19-31 : parabole du mauvais riche – Ml 13. 19-23 et Mc 4. 3-20 : parabole du semeur.
127 Le Soulier..., troisième Journée, scène VIII, 812.
128 Ibidem.
129 Ibid., p. 813.
130 Ibid., pp. 817-818.
131 Ibid., p. 814.
132 Ibid., quatrième Journée, scène II, p. 868.
133 Ibid., troisième Journée, scène VIII, p. 820.
134 Ibid., scène XIII, p. 854.
135 Ibid., quatrième Journée, scène XI, p. 944.
136 Ibid., troisième Journée, scène XIII, p. 856.
137 Mt 18. 12-13 : parabole de la brebis égarée.
138 Mt 5. 30 et 18. 8 ; Mc 9. 42, 44.
139 Si 32. 5.
140 Ps 115. 11.
141 Le Soulier..., première Journée, scène I, 669.
142 Cf. H. Guillemin, Le « Converti » Paul Claudel, Paris, Gallimard, 1968.
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L’inspiration scripturaire dans le théâtre et la poésie de Paul Claudel
Les œuvres de la maturité
Jacques Houriez
1998