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Joseph Déjacque et l’« ordre anarchique »
p. 155-177
Texte intégral
1Une image colle à la peau du peintre et colleur Joseph Déjacque1. L’inventeur du mot « libertaire » est souvent dépeint comme un exalté en exil, un aboyeur aux abois. « À bas les chefs ! », ce cri de révolte semble résumer les lambeaux d’une vie passée sous les lambris des autres, d’une vie marquée sans fin par cette volonté « autoricide »2.
Celui-ci, dit-il à son sujet, n’est ni un démo, ni un aristo, ni un auto, ni un théo-crate ; il est bien plutôt un anti-crate. […] Il réprouve, dans l’appellation comme dans l’application, toute cratie de l’homme sur l’homme3.
2Déjacque se fait remarquer, plus d’une fois, par ses interventions retentissantes, ses scandales éclatants qu’il théorise même. Quand le plus grand nombre « fait la sourde oreille, […] c’est par le Scandale qu’on lui perce le tympan »4. S’il clame sa haine des pouvoirs, sa pensée ne se limite pas à ces éclats de voix. Car il désigne parfois la société affranchie comme la réalisation de l’« ordre anarchique ». Cet oxymore est plein d’enseignements. Si l’anarchie conteste l’ordre régnant, enfanté par l’autorité, elle n’est pas pour autant la négation de tout ordre. Elle repose, à l’inverse, sur un Ordre essentiel, celui de la Nature, que la communauté future doit imiter5. Déjacque dévoile les mécanismes qui régiront cette humanité nouvelle. Son œuvre expose une raison libertaire qui fonde son système. Ce dernier repose sur l’enchaînement de trois ordres : logique, naturel et scientifique. 1) Une entêtante logique de la lutte enclenche d’abord ses principes. Ce formalisme trouve ensuite son contenu dans 2) une science des barricades et des cratères universels : un savoir des soulèvements animant les mondes. Ce savoir prépare enfin 3) l’avènement de la société libertaire, dont la science démontre la nécessité.
I. La « logique libertaire »
3On trouve chez Déjacque de nombreuses tautologies : « La révolution est la révolution »6, « La Liberté est la Liberté »7, « l’humanité est l’humanité »8, « La Matière est la Matière »9, etc. Ce travers pourrait faire sourire s’il ne manifestait une ambition profonde, confortée par l’emploi d’un autre terme qui en éclaire le sens. Déjacque met à plusieurs reprises sa pensée en équations : « équation de l’homme par l’homme, de l’être humain par l’être humain »10 ; « chez les humanisphériens, il y a équation dans l’exercice des facultés de l’homme »11, proclame-t-il12. Tautologies et équations se valent. Elles prennent la forme d’une même équivalence a = a, d’une égalité qui peut se décliner à l’infini. Elles traduisent une manie de la logique qui voudrait procéder par déductions selon un ordre implacable, selon une arithmétique écrite sur un invisible tableau. Cette « logique libertaire »13, comme Déjacque la baptise une fois, se déploie dans toutes ses recherches. Elle forme un projet, complet mais secret, qui pose les plans d’une éthique, d’une politique et même d’une justice qui se doteront, plus tard, d’un contenu.
4Obsessionnelle, cette logique est d’abord radicale. Par bien des aspects, son anarchisme se présente comme un « extrémisme logique ». Il ne cesse de rappeler sa volonté d’aller au bout des raisonnements, de tirer les ultimes conséquences de ses démonstrations. Aussi combat-il souvent ses adversaires en flétrissant leur « peu de logique »14. C’est, pour l’essentiel, la critique qu’il adresse aux thèses de Proudhon sur l’infériorité des femmes : « vous, anarchiste, qui vous targuez d’être logique »15, lui lance-t-il. Or, Déjacque montre que la position de son adversaire est incohérente. Comment Proudhon, le grand libérateur des hommes, pourrait-il, sans se contredire, oublier l’affranchissement des femmes, cette autre moitié de l’humanité ? Il n’est dès lors qu’un « logicien à bésicles »16. Aveuglé par ses préjugés, il ne perçoit plus la réalité. Sa cécité cessant, Proudhon devrait reconnaître que ses analyses se retournent contre lui. « C’est de la logique et de la bonne logique, maître-Madelon-Proudhon, qu’un élève, qui a toujours été, lui aussi, un sujet désobéissant, peut bien vous arracher des mains et vous jeter à la figure ». Ainsi, insiste Déjacque, « les voix de la logique sont là qui vous obligent à poursuivre vos déductions révolutionnaires »17. Pour ne pas se renier, Proudhon doit réclamer l’émancipation de tous les êtres humains, et mâles et femelles.
5Le libertaire pousse ses adversaires dans leurs derniers retranchements. Cette « inflexible logique »18 le conduit à un continuel harcèlement rationnel. Car cette rigueur intellectuelle emporte avec elle une rigueur morale. La logique ne commande pas seulement l’esprit, elle entraîne avec elle toute la vie dont elle se saisit. La logique est déjà une action lorsqu’elle est menée à son terme : elle suppose courage et honnêteté. « Mais, quand on dit la vérité, il faut la dire tout entière, ne pas faire de réserves mentales, il faut être logique sous peine de mensonge »19. Le penseur doit avancer sans se masquer pour que chacun sache ce qu’il dit et ce qu’il veut. Tel est le prix à payer pour être conséquent. « L’homme de vérité ne saurait pas plus déguiser son nom que sa parole sans commettre un illogisme »20.
6La fausseté, la ruse, la lâcheté plongent les esprits dans le chaos : « Le défaut de logique, voilà ce qui égare les plus grands penseurs, ce qui porte la perturbation dans la masse des intelligences »21. La logique est donc bien une éthique. Et c’est à lui-même que Déjacque impose d’abord cette terrible rigueur. Il se condamne par avance si les raisonnements qu’on lui oppose sont imparables.
Mais que demain on me démontre que ce que j’envisage comme le Vrai est le Faux, et demain, sans égard pour ce que je peux avoir en moi de petite vanité, j’excommunierai de mon cerveau l’idée que je nourrissais la veille, je communierai par le front comme par le cœur avec l’idée nouvelle, et je mettrai tout mon orgueil à la confesser hautement, publiquement22.
7Cette fascination pour la raison le conduit même à se dire ouvertement intolérant. « Et, tout anarchiste étant son propre pape, il est bien naturel que sur une question de principe j’excommunie quiconque professe une opinion hérétique à la mienne »23. Pourquoi tolérer les faiblesses de son adversaire ? Comment ne pas encourager ces faiblesses en se montrant faible à son tour dans leur dénonciation ? « Et pourquoi donc communierais-je avec l’Erreur ? »24. Cette intransigeance explique les ressorts de sa psychologie.
8Aussi le devoir-être logique s’impose-t-il à l’être lui-même. À quoi bon penser si on n’a pas le courage de dire ce qu’on pense, et à quoi bon le dire si on n’en tire pas les conséquences. La logique est une pratique. Pour Déjacque, penser et agir sont un tout : « la logique est inexorable, elle commande à notre conduite »25. La première révolution, celle qui prépare l’insurrection victorieuse, est intérieure. Elle est d’abord individuelle. Elle part de soi avant de se joindre aux autres et de transformer le monde dans son élan.
Révolutionnons-nous donc, nous, surtout, prolétaires, qui avons tout à y gagner et rien de bon à y perdre ; révolutionnons-nous intérieurement afin de pouvoir nous révolutionner extérieurement26.
9Ce feu intérieur, rencontrant la même flamme chez autrui, allume les incendies libérateurs. Les révolutions commencent par des conclusions. Elles débutent quand les raisonnements sont conduits jusqu’au bout. La société marchande et industrielle du xixe siècle – la « Civilisation » comme il la nomme à la suite de Fourier – est absurde dans son principe. L’exploitation de la multitude ne viole pas seulement les lois de la justice, elle bafoue celles de la raison. Son indécence est son non-sens.
Quand dans une société ceux qui produisent tout n’ont rien, et que ceux qui ne produisent rien ont tout, il doit arriver qu’un jour les exploités se lèvent contre les exploiteurs, en déployant sur leur bannière ce laconique ultimatum : « Vivre en travaillant, ou mourir en combattant ! »27.
10L’insurrection bien conçue n’est qu’une déduction courageuse, une révolte logique.
11Implacable, cette logique politique ne connaît pas la peur. Elle entend aller jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort. Pour ce « radicalisme anarchique »28, tout combat produit d’abord de la vérité. Le soleil jaillit de la boue et du sang mêlés. Et c’est parce que la science naît des conflits que Déjacque veut accentuer, aggraver ces conflits. Plus ils seront violents et plus cet éclair venu d’en bas illuminera le ciel. Déjacque le dit : « c’est du choc que jaillit la lumière »29. Et le redit : « Alors, de ce caillou humain, ainsi frotté de choc en choc, la logique, cette étincelle de vérité, pourrait jaillir »30.
12Ne pas hésiter devant les conséquences, même les plus extrêmes, c’est aussi un gage d’efficacité. Ce radicalisme est un machiavélisme. Tout est bon pour atteindre le résultat recherché : « il n’y a pas que les Jésuites qui sont d’avis que le but justifie les moyens »31. Que la vie des bourgeois devienne un enfer « et que, las de tant d’angoisses, ils soient forcés de tomber à genoux et de demander grâce et de supplier le prolétariat de leur accorder la vie en échange de leur privilège et le bonheur commun en échange du malheur général »32. Poussés à bout, les nantis abandonneront leurs biens en rendant les armes. Leur reddition n’aura pas d’autre raison.
13Excluant les demi-mesures, cette logique de guerre impose un « dualisme » essentiel. Il n’existe que deux camps, et chacun appartient à l’un d’entre eux, qu’il le veuille ou non. Aucune extériorité n’est envisageable, aucune fuite n’est possible. Il faut « faire place aux combattants de l’exclusivisme : le temps est aux solutions absolues »33. Pas de juste-milieu, de tiers, de neutre. « Il n’y a de salut que dans l’intégrité des principes. Périssent les justes-milieux, protestants et libéraux, éclectiques de toutes sortes »34. Tel est bien, en substance, le reproche qu’il adresse à Proudhon dans sa fameuse polémique. Il est, martèle-t-il, un « anarchiste juste-milieu, libéral et non libertaire »35. Bref, lui écrit-il plus loin, « ne vous dites pas anarchiste, ou soyez anarchiste jusqu’au bout »36. Il ressasse continuellement cette idée capitale37.
14Déjacque ne connaît que des amis et des ennemis. Cette scission essentielle tient à cet enivrement logique : s’unir avec ses adversaires, c’est se perdre. Quelle communauté peut-il y avoir entre la victime et son bourreau ? « Comme si l’union des moutons et du berger ne conduisait pas toujours les premiers à l’abattoir ! »38. Quelle unité peut-il exister entre la santé et la maladie ? Recouvre-t-on la santé en laissant le mal s’installer et proliférer dans le corps ?
Il n’y a pas d’union possible entre le membre sain et le membre gangrené, si ce n’est au profit de la gangrène ; la division alors est nécessaire ; il faut couper l’un si l’on veut sauver l’autre. […] La division alors c’est la force. Pour le Progrès, diviser c’est régner39.
15Déjacque est un philosophe à coups de hache, qui tranche, coupe, sectionne, sépare. Équarrir pour éclaircir. Sa logique est un acide : elle dissout les fausses unités, les synthèses factices pour montrer la dualité dans sa cruauté. S’élever alors, c’est éliminer. Le progrès se fait par les décès. Le bien efface le mal, l’anéantit pour rester, seul, en place. Le bien ne naît pas du mal par une logique dialectique. Il n’est pas question d’une médiation ou d’un dépassement qui retiendraient les éléments les plus féconds des parties en conflit. Comme si la lice, une fois ouverte, se refermait par un compromis des plus lisses. Comme si les lutteurs, fatigués d’en venir aux mains, finissaient par se faire la courte échelle. Pas de fraternité sauvée, de réconciliation annoncée, de poignée de main concluant l’empoignade : l’un doit ensevelir l’autre.
16Cette logique dualiste fonde une justice expéditive. Aucun tiers n’est envisageable, on l’a dit, qu’il soit transcendant, au-dessus des batailles, ou à côté, à égale distance des belligérants comme un arbitre jouissant d’une neutralité admise par tous. La neutralité est neutralisée. Le juge désormais, c’est le conflit lui-même. La justice – entendue comme l’intervention d’un tiers impartial et désintéressé – n’a plus de sens40. Le crime change de camp et tout devient permis désormais :
Il est une chose qu’un esprit libre ne révoquera pas en doute : c’est qu’il n’y a pas de moyens criminels pour recouvrer sa liberté, tout est légitime alors. C’est tant pis pour le geôlier, tant pis pour l’oppresseur. Il n’y a de moyens criminels que ceux qui sont destinés à attenter à la liberté humaine41.
17Aussi la réparation de ce crime se fait-elle par légitime défense42. Sans délai, sans procès, les opprimés font rendre gorge à leurs ennemis.
Nous ne sommes pas des civilisés, nous ; nous ne voulons ni bagnes ni guillotines, pas même pour un jour, pas même pour une heure. Nous ne sommes pas des juges, ni faux-juges, ni francs-juges […]. Nous n’avons pas à les juger, ces monstres à face humaine, ils le sont ! Aussi, nous ne les tribunalerons pas, nous les exterminerons43.
18Paradoxalement, cette justice dite « sommaire » n’ajoute rien. Pour faire payer l’addition, elle ne fait pas une somme mais une soustraction. Elle efface d’abord le juge entre les parties pour ne laisser subsister que la violence immédiate, venant effacer ensuite l’autre partie. Quand on est deux, on ne peut se faire justice que tout seul ! La légalité disparaît donc avec ses formalités, la police s’évanouit avec la Justice et ses procédures. La seule justice reconnue par Déjacque est celle violente et directe du talion : « œil pour œil, dent pour dent ». Cette loi n’a d’autre but que « de réclamer tête pour tête et sang pour sang ; de détrôner par le fer qui a régné par le fer ; de pendre au gibet qui a mâté les gibets ; de brûler sur le bûcher qui a allumé les bûchers »44. Car, continue-t-il, « l’effet ne peut rien contre la cause ; la cause commande aux conséquences. La décapitation ou la strangulation par la main du bourreau, le crime légal appelle d’anarchiques représailles »45. Cette loi du talion reste celle du plus fort. Loi naturelle et primitive, affirme le libertaire, simple et mécanique, fonctionnant là encore par équivalences : œil = œil, dent = dent.
19On a voulu restituer la logique de Déjacque : son formalisme libertaire. On l’a suivi, sans biaiser, dans sa ligne droite, tranchante comme la lame.
La Vérité est exclusive. À ceux qui veulent marcher dans sa voie, elle ne permet pas les zigzags, les écarts à droite ou à gauche, de côté ou en arrière. Pour qui veut suivre sa trace, il est essentiel, à chaque pas ou à chaque ligne de rédaction, de se garer de toute équivoque46.
20Penseur aux yeux rouges, Déjacque se veut d’autant plus violent qu’il est plus rationnel. Il ne craint pas d’aller au bout des démonstrations et des actes qu’elles commandent. La révolution n’appartient pas à ces mains-ci, noircies par la poudre, mais à ces mains-là, blanchies par la craie. Elle naît d’une raison qui, fluide comme l’eau vive, ordonne les têtes et fait couler le sang. Cette logique saisit l’être tout entier et définit une ontologie de la lutte universelle. Universelle… mais vide. Cette algèbre de la révolte attend qu’on définisse les x et les y de ses fonctions. Une science des soulèvements vient la compléter du haut de sa barricade.
II. La science-barricade et l’ordre des cratères
21Il faut s’arrêter sur le terme qui désigne chez Déjacque la « guerre sociale »47 : la barricade48. Celle-ci signifie l’insurrection chez lui49. Révolution = barricade. Elle en vient même à désigner des insurrections qui, de fait, n’en ont pas dressé. Ainsi parle-t-il de « l’immense barricade élevée par les gladiateurs en face des privilégiés de la République et des armées du Capitole »50, pour rendre hommage à Spartacus et à ses esclaves insurgés. Il emploie également le mot pour évoquer les « barricades de l’exil »51 ou pour désigner le Libertaire, le journal de combat qu’il a créé aux États-Unis.
Le Libertaire est debout encore sur sa barricade la plume au poing et le doigt sur la détente ; il vous couche en joue, il a dans sa ceinture de quoi recharger son arme et récidiver le coup de presse ou le coup de feu52.
22Et si la barricade peut désigner des luttes qui n’en ont pas bâti, c’est bien qu’elle ne renvoie pas d’abord à une réalité matérielle. La barricade est une idée avant d’être un fait, un concept avant d’être une chose. Preuve de cette abstraction : si Déjacque pouvait, en Juin 48, monter sur les barricades, réelles et pas seulement verbales, il ne l’a sans doute pas fait ! Qu’importe sa présence. L’essentiel est que le « soleil des barricades »53 éclaire l’histoire. Ce soleil exerce une fonction de vérité, de dévoilement. Il enferme un savoir primitif, sauvage, immédiat. Cette science-barricade est très différente de celle qu’élaborent les révolutionnaires contemporains. Blanqui, par exemple, donne dans ses Instructions pour une prise d’armes des détails très précis sur l’art d’en construire, sur les lieux à choisir pour les édifier, les matériaux à utiliser, etc. Il se fait l’architecte des démolisseurs. Il écrit le programme d’une maçonnerie des mutineries. Chez Déjacque, rien de tel : la barricade n’est pas édifiée par une technologie du coup d’État dont elle serait l’instrument. Elle n’est pas un moyen mais un principe. Ce principe existe indépendamment des événements auxquels elle prend part puisqu’il lui appartient justement de les rendre intelligibles. La barricade ne s’élève pas seulement dans le réel, elle élève les consciences : elle révèle. Elle n’est pas construite par la science, elle est la science qui construit.
23En cela, Déjacque révolutionne la révolution qui s’identifie à elle. La barricade n’est plus synonyme de désordre. Elle n’est plus un obstacle dressé contre ces forces qu’on appelle de l’ordre – Garde nationale, police ou armée – afin d’arrêter leurs assauts. Elle met en ordre le réel en lui donnant sens. Car toute insurrection est classification. Construire une barricade qui coupe une rue en deux, c’est couper la cité elle-même et ranger tous les êtres d’un côté ou de l’autre de la ligne qu’elle trace. En séparant les uns des autres, elle leur assigne leur place et les identifie. Elle est donc une science, fruste sans doute, mais terriblement efficace. Elle peut bien bloquer les rues, elle débloque les voies du savoir.
24La barricade n’est pas un instrument dans le combat, ni une technologie pour le combat. C’est la science du combat lui-même puisqu’elle indique le fait même que le combat fait rage. Elle n’a pas pour mission d’agir une fois les hostilités déclarées. Elle rend visibles, au contraire, ces hostilités. Dans le tumulte des sociétés et de l’Histoire, elle nomme les belligérants et lève la carte de leurs affrontements. Elle montre cette guerre sans merci qui oppose bourgeois et prolétaires, guerre sans merci restée inaperçue avant que la barricade surgisse des pavés, guerre sans nom aussi que l’État et les lois passent leur temps à occulter. La barricade réelle rend évidente la barricade idéelle, cachée, secrète qui sépare ces ennemis irréconciliables du xixe siècle. Et c’est pourquoi cette science-barricade chez Déjacque se veut, comme sa logique et sa justice, si simple, tranchante, binaire. Seules deux positions existent : l’Autorité et l’Anarchie, c’est-à-dire la Domination et la Liberté.
25Cette science-barricade démontre la fraternité des opprimés. Peu importe leur langue et leur couleur, leur pays et leur temps, ils sont tous des esclaves attachés à un maître. Ce sont tous des Noirs, des Noirs de toutes les couleurs en guerre contre tous les pouvoirs qui veulent leur peau54. Déjacque crée la chaîne sémantique : prolétaire = esclave = Noir. Les prolétaires ne sont-ils pas des « nègres blancs », du « bétail humain du Nord »55 ? L’ouvrier n’est-il pas un « esclave blanc […] à la discrétion du Planteur du nord, du patron industriel »56 ? De fait, « l’esclavagisme plantorial » n’a rien à envier au « prolétarisme, cet esclavagisme bourgeoisial »57.
26Toutes ces oppressions sont au fond les mêmes, quels que soient les lieux et les époques. Des figurants jouent la même scène primitive depuis Spartacus, dont la science-barricade déplie les analogies. Quel est l’élément distinctif de l’oppression ? L’autorité. Et cette « autocratique fixité »58 est toujours la même. Elle ne fait que mettre aux fers ceux qui lui sont soumis. Déjacque pose la série : autorité = fixité = esclavage. Et c’est pour couper leurs liens et briser leurs colliers que les humains élèvent des barricades, qui souvent n’en sont pas. Et ces barricades ne se dressent pas seulement sur la terre entre les opprimés et les oppresseurs. Elles séparent aussi la terre et le ciel, les divinités et l’humanité. Cette servitude ici-bas dérive d’une projection dans l’au-delà : la politique s’explique par une illusion théologique. Les souverains terrestres sont pensés sur le modèle du souverain céleste.
27L’anarchiste fixe les règles d’une épistémologie de la servitude, dont il dévoile les spectres. Si la barricade peut être l’image du combat, c’est que toute connaissance véritable est celle des images. Une science peut se dire objective quand elle donne une image fidèle, c’est-à-dire réelle, de son objet. Fourier, dont Déjacque s’inspire, élabore sa « psychologie comparée » comme une encyclopédie des images : chaque être de la Nature est le portrait, le tableau, le blason… d’une passion humaine59. Dévoiler l’ordre du monde, c’est déchiffrer ces analogies. C’est pourquoi, en disciple, Déjacque parle de sa « phrase imagée »60 dont les figures n’ornent pas seulement son discours mais sont la marque même du vrai. Parfois, pour évoquer la vérité d’un jugement ou d’un processus, il les présente comme une image photographique, c’est-à-dire absolument exacte des choses61. Il décrit également l’humanisphère, son utopie anarchique, comme « la photographie d’une société sans Foi ni Loi »62.
28Cette science objective des images s’oppose aux trompe-l’œil de la religion. Déjacque en démonte le mécanisme. L’image n’est plus alors le reflet des choses, mais le méfait de l’imagination. Elle n’est plus la reproduction du réel, elle est celle du rêve. La science peut rendre compte de cette illusion qui a conduit les hommes à enfanter des monstres divins. Elle peut saisir l’ordre de ce désordre, la logique de cette anomalie en jetant les bases d’une térato(théo)logie.
29Les hommes, malheureux sur la terre, projettent dans le ciel leurs espoirs de bonheur. L’enfer ici-bas appelle un paradis dans l’au-delà, qui en est la représentation inversée.
Les artifices religieux, les édifices de la superstition répondent chez les civilisés, comme chez les barbares, comme chez les sauvages, à un besoin d’idéal que ces populations ne trouvant pas dans le monde du réel vont aspirer dans le monde de l’impossible63.
30Cette projection est l’envers de leur abjection64. Il ne faut pas chercher ailleurs l’origine de « la fable chrétienne »65. Les créatures créent leur Créateur. Elles enfantent elles-mêmes ce Mal qui les hante. « Silence ! et sache bien ceci dorénavant : c’est que tu n’es pas le fils, mais le père de Dieu »66, affirme Déjacque. Toute religion est donc une mystification. Ses fidèles se font une image infidèle du monde naturel en s’inventant un Être surnaturel.
31Dès lors, c’en est fini de l’humanité. L’espérance se change en asservissement. L’idéal lancé vers les cieux légitime tous les souverains ici-bas. « L’autorité du ciel consacra logiquement l’autorité sur la terre. Le sujet de Dieu devint la créature de l’homme. Il ne fut plus question d’humanité libre, mais de maîtres et d’esclaves »67. Les hommes sont plongés dans un cachot dont Dieu est la clé. Ce leurre sonne l’heure du malheur.
La possession de l’homme par l’homme devint un fait acquis. […] La sainte institution de l’autorité couvrit le sol de temples et de forteresses, de soldats et de prêtres, de glaives et de chaînes, d’instruments de guerre et d’instruments de supplice68.
32Ce Dieu rêvé, ce Maître des êtres – « l’autocrate de tous les univers »69, « le Dictateur tout-puissant »70, « le Suzerain-Seigneur »71 – trouve ici-bas des représentants qui lui ressemblent. Ils en sont l’image exacte et se font ses lieutenants, ses Dieu-tenants sur terre. Ces puissances sont immuables comme l’Être suprême. De leur hauteur, elles rivent à la chaîne les êtres qu’elles dominent. Ces divinités : la propriété, le gouvernement et la famille, deviennent des réalités éternelles qui, toutes, se justifient par cette fiction de la religion.
En effet, au nom de qui le monarque terrestre – roi, empereur, président, dictateur, sénateur ou représentant – règne-t-il sur le peuple ? Au nom de Dieu. – Au nom de qui le prêtre – catholique, ou protestant ou autre – règne-t-il sur le monarque et le peuple ? Au nom de Dieu. – Au nom de qui le bourgeois règne-t-il sur le prolétaire, le planteur sur l’esclave, l’homme sur la femme, le père sur l’enfant ? Au nom de Dieu, toujours au nom de Dieu, ce synonyme d’arbitraire72 !
33Aussi faut-il d’abord libérer les humains du divin. Il faut les affranchir dans leur tête avant de les libérer dans leur corps pour qu’advienne l’autonomie… sur la terre comme au ciel73.
34La critique religieuse est bien, comme chez le jeune Marx, le préalable à toute critique politique. C’est pourquoi Déjacque considère que la révolution essentielle – celle qui amènera toutes les autres et brisera toutes les chaînes – doit d’abord crucifier le pape pour faire une croix sur toutes les puissances calquées sur lui. Il faut dévaster le Vatican sans attendre. Il faut le mettre à sac pour se mettre au sec, à l’abri des déluges obscurantistes qui s’en déversent.
Révolutionnaires d’Italie, c’est peu d’avoir brûlé le Pape en effigie à Milan ; ce qu’il faut c’est le brûler vif sur son trône, c’est brûler Dieu en effigie dans la personne de son Vicaire – Dieu, souche de toute tyrannie, principe de l’universel Mal. Que Rome, la métropole de l’idolâtrie chrétienne ou du paganisme moderne, l’égout et l’exutoire de toute superstition, soit par vous enfin récurée dans toutes ses artères et transformée en métropole du Déicide74.
35Cette science-barricade n’embrasse pas seulement tous les temps et tous les lieux, elle n’embrasse pas seulement tous les êtres rivés à la divine autorité. Déjacque en élargit le cadre pour en fixer les fondements. Elle prend une dimension proprement universelle, c’est-à-dire étendue à l’Univers entier. Qu’est-ce qu’une barricade ? Un soulèvement, mais un soulèvement parmi d’autres dont elle n’est qu’une forme, spectaculaire sans doute, mais éphémère. L’anarchiste construit une théorie générale, dont la barricade n’est plus qu’un cas particulier. Tout mouvement d’ascension, tout déplacement de bas en haut est soulèvement. En ce sens, tout est soulèvement dans l’Univers, comme le montre encore une fois ce « puissant instrument qu’on nomme l’analogie »75. La barricade, loin d’être une œuvre purement artificielle des hommes, est au contraire engendrée par la Nature. Elle est un des grondements de cette Nature révoltée. La plus petite barricade de la plus minuscule ruelle retentit dans l’infini : elle participe des lois éternelles. Les extrêmes se touchent, comme l’a montré Fourier. Toute insurrection a son écho dans le cosmos.
36Les équations s’enchaînent : barricade = soulèvement et soulèvement = volcan. Déjacque en vient à tout concevoir sur ce modèle du volcan76. Si celui-ci mine les sols, il illumine les mondes. S’il brise la terre, il relie les vies sur la terre comme au ciel, qui toutes se ressemblent. Car tout est volcan : l’individu comme la société, la société comme le ciel lui-même. De l’homme à l’étoile, du petit monde au grand monde, tout est cratère. C’est par ces cataclysmes que les êtres se dressent et progressent. La science des peuples par excellence, celle qui dit leur vérité et enseigne leur liberté, ce n’est pas l’ethnologie, comme le croient certains socialistes, mais plutôt l’Etnalogie : la science des volcans hominal, social et sidéral. Il faut suivre l’(ana)logique de l’anarchiste qui les décrit.
37L’humanité d’abord. Déjacque pose les principes d’une anthropologie convulsive, d’une sismologie humaine. Qu’est-ce qu’un être humain ? Un corps, un corps avant tout. Et le libertaire explique comment ce corps rend possible la liberté, qui possède des conditions objectives. Cette liberté est le résultat d’une transformation naturelle. D’abord rampante, l’humanité se redresse peu à peu pour devenir pleinement humaine. Elle rejette alors dans le passé cette animalité qui l’habitait. Par cette « révolution de l’horizontalité à la verticalité humaine »77, la main libérée libère à son tour la parole : « Sa langue s’est déliée comme sa main et toutes deux fonctionnent à la fois »78. Le corps délivre la pensée qui irrigue soudain le cerveau. Le corps relevé, l’esprit peut donc s’élever dans l’humanité. Et cet esprit révélé, qu’est-il en vérité ? Est-il d’une autre nature que le corps ? Surtout pas, s’exclame Déjacque, puisque c’est un changement dans le corps qui l’a fait naître. Comme la liberté, la pensée elle aussi en émane, n’en déplaise au spiritualisme. Il n’existe que de la matière irriguant la conscience. « Pourquoi séparer la raison de la matière ? La raison peut-elle être autre chose que matière ? »79. Cette vérité possède des résonances cruciales.
38Si l’esprit et la matière étaient ontologiquement différents, aucun ne pourrait exercer d’action sur l’autre. Il faut en déduire « la négation irréfutable de la Dualité »80 : « la matière seule peut agir sur la matière et l’organiser »81. Cette nécessité s’applique à tous les êtres : c’est la fin « du Dieu-Spiritualisme, du Dieu-Esprit en duel avec la matière »82, qui prétend, le sceptre en main, gouverner cette matière de son trône lointain. « Non seulement Dieu n’est pas nécessaire, mais Dieu n’est pas possible. Dieu n’est pas »83. Réfuter le spiritualisme, c’est bien anéantir les fantômes du déisme. Rejeter la dualité, c’est arracher le masque de la divinité et la destituer pour de bon. Plus de Dieu, plus d’au-delà. Reste l’ici-bas.
39Pour « nous les matérialistes »84, en conclut Déjacque, « le Matérialisme est la voie de la destinée humaine comme de la destinée des mondes »85. Ce matérialisme militant est bien politique. Affirmer une dualité entre le corps et l’âme, c’est sacrer un esprit et avec lui une autorité. C’est immédiatement rétablir une hiérarchie et une domination pensées sur ce patron. Spiritualisme et autoritarisme sont des jumeaux qui font gémir l’humanité depuis son commencement, deux Siamois qui sèment la misère et l’oppression depuis leur naissance. « Peut-on nier le gouvernement de l’esprit sans affirmer l’autonomie de la matière, et réciproquement ? »86. Le dualisme suppose toujours « la matière esclave de l’esprit et l’esprit oppresseur de la matière »87. Or, « quiconque admet le principe du Spiritualisme dans l’homme et dans l’univers admet de fait le principe de l’arbitraire dans la société »88. N’est-ce pas asservir aussitôt une partie de l’homme (la chair) à une autre partie (l’âme) ? N’est-ce pas assujettir aussi une partie de l’humanité (le prolétaire, la femme, le Noir…) à une autre partie (le capitaliste, le mâle, le Blanc…) ? N’est-ce pas, autrement dit, ressusciter ces divinités qui naissent de ces dualités ? Divinité de Dieu sur les hommes, divinité de l’homme sur la femme, divinité du Blanc sur le Noir, divinité du bourgeois sur le prolétaire… En somme, affirmer que l’esprit s’inscrit dans le corps, c’est provoquer un coup d’État dans ce corps. C’est déclencher « une véritable jacquerie dirigée contre l’âme, cette seigneurie de l’organisme humain et qu’il s’agit de faire rentrer dans l’ordre matériel et de déposséder de ses prétentions spirituelles »89. Renverser l’inégalité, spiritualiste et déiste, de la chair et de l’âme, c’est renverser toutes les inégalités politiques qui en sont les reflets.
40Si « la psychologie est inséparable de la physiologie »90, si l’esprit n’existe pas sans le corps, il reste à expliquer comment cet esprit se forme dans ce corps. Tout n’est que soulèvement, ascension là encore. De même que le corps se relève pour révéler l’esprit, cet esprit se forme en s’élevant des entrailles. Les spiritueux expliquent le spirituel : il n’est qu’une ébullition, une fermentation. L’organisme s’offre comme « une sorte d’alambic animé dont la libre fonction des organes produit la pensée »91. Celle-ci est donc « à l’homme ce que l’alcool est au vin »92.
41Une autre analogie peut dire la vérité de l’esprit. Celui-ci surgit d’un volcan intérieur. Le cerveau fusionne avec violence les impressions du réel pour en former des concepts. L’idée est lave : le sens naît de cette matière arrivée à incandescence. Cette tempête se déchaîne dans la tête, elle la fait « explosionner comme un cratère en flamme »93 pour en voir jaillir l’esprit. Et si celui-ci émerge de telles crises, s’il naît de fièvres si intenses, c’est bien qu’il est une réalité physique : une matérialité spirituelle façonnée par une matérialité organique. Sa vérité vient de cette vitalité. Déjacque raconte en détail ses tourments quand surgissent ces fulgurances, ces braises de son être. Quelle effervescence prépare cette floraison94 ! Quelles éruptions précèdent ses éructations ! C’est bien pourquoi la première des révolutions est intime : éthique avant d’être politique. Elle ne vient pas seulement des bas-fonds de la société, elle jaillit du plus profond de soi. Elle émerge de cette fournaise interne qui creuse un cratère d’esprit, un cratère d’espoir. Elle ébranle l’individu avant d’ébranler l’État.
42Ce volcan fait homme déborde et se répand sur la société. Celle-ci entre alors en fusion, éclate en révolution. Qu’est-ce qu’une barricade sinon l’éruption naturelle de cette révolte ? « Le Paris des exploiteurs, le Paris de 1860 comme celui de 1848 dansent sur un volcan »95, menace Déjacque. Comment ne pas entendre ces « tremblements de colère », ces « convulsions volcaniques de la conscience humaine indignée »96 qui annoncent « l’universelle éruption de la Révolution Sociale »97 ? La « lave révolutionnaire », explique l’anarchiste, ne peut que « déborder sur les institutions royales, cléricales et bourgeoises, sur la séculaire exploitation de l’homme par l’homme et faire – en l’enterrant – de cette ruine vivante une ruine pétrifiée, un autre Herculanum »98. La barricade n’est que la forme visible de cette rage du volcan vomissant sa lave de justice. C’est un creuset qui mêle les rancœurs ancestrales, les porte au rouge et les recrache dans un ouragan de flammes. Et si l’insurrection détruit des vies, elle n’est pas pour autant la négation de la Vie. Au contraire, cette violence qui renverse la cité est une réaction de cette Vie même pour reprendre ses droits, ses droits violés par cette cité. Cette violence n’est donc pas la subversion de la Vie, mais sa manifestation. La barricade se bâtit au nom d’une loi naturelle qu’elle entend faire advenir en donnant naissance à un régime conforme à cette loi. Derrière son apparente confusion, l’événement révèle cet ordre permanent, celui des soulèvements qui élèvent l’individu à la pensée, la société à la justice et l’Univers à l’harmonie.
43Tous ces volcans sont équivalents. Cet homme-volcan et cette société-volcan sont les miroirs de la Nature-volcan, puisque le monde lui-même n’est qu’un universel Vésuve. Il faut le voir comme « le cratère formé par le flot ascensionnel de l’universalité des atomes et dont le jet n’est produit que par le travail d’entrailles du gouffre ». Autrement dit, c’est « la matière universelle en perpétuelle ébullition, c’est un volcan qui renaît de ses cendres, se transforme et se régénère sans cesse »99. L’homme et ses crises, la société et ses révolutions, l’Univers et ses bouleversements sont des élévations de la matière. C’est la même loi qui produit partout ses effets. Les convulsions qui agitent les humains, dressent aussi les peuples et organisent la Nature elle-même. Individu = société = Univers.
44Déjacque sauve la révolution en l’universalisant. Il en fait la matière écarlate du réel. Si la révolution est conforme aux lois du monde, le socialisme, qu’on dit assassiné en 1848, est immortel en vérité. Il obéit à une nécessité qui vivra aussi longtemps que le monde lui-même. Il renaîtra toujours et, de cette obscurité qu’on prend pour le tombeau, allumera mille flambeaux.
On crut avoir anéanti le Socialisme dans le sang. On venait, au contraire, de lui donner le baptême de vie ! Écrasé sur la place publique, il se réfugia dans les clubs, dans les ateliers, comme le christianisme dans les catacombes. Loin d’en détruire la semence, la persécution l’avait fait germer100.
45À l’instar de Cœurderoy, Déjacque défend bien l’éternité de la révolution, cette loi objective de la Vie101.
46Cette cosmologie est, là aussi, une antithéologie. La Nature ne descend plus d’un Être transcendant, Auteur du ciel et de la terre, Créateur de mondes qu’il détruit aussi à sa guise. L’ordre, entendu comme la loi et la vérité, ne vient plus d’en haut. Il ne surgit plus des nuées dans une pluie d’éclairs. Il vient d’en bas, émane des abîmes. Le volcan donne à voir cette Nature athée. Il opère la fusion des éléments : l’eau, la terre, l’air et le feu. Sa chaleur étouffante les mêle avec fureur. Et si le volcan dévaste, c’est pour mieux féconder : son magma est le placenta d’un monde à venir. Dans cette création terrible, le Créateur lui-même s’évanouit. Plus de Dieu, mais de la matière en fusion. Plus de foudre lancée d’en haut par ce Dieu arbitraire, mais une foudre jetée d’en bas par cette lave salutaire. Plus d’ordre souverain, mais un ordre souterrain qui, des gouffres de la terre, monte à l’assaut des cieux. Le volcan rougit et rugit. Sa cendre jaillit et obscurcit l’azur. Sa lave incendie l’infini, en chasse le divin. Le cratère, c’est bien l’anti-Créateur. Déjacque enterre le ciel des chrétiens et fait leur fête à l’Assomption et à l’Ascension, qu’il vide de leur sens religieux. Plus de Très-Haut, et de ce trépas peut naître le Très-Bas, celui de la matière venue des profondeurs qui s’échappe en perpétuelles créations, en perpétuelles révolutions.
47Tout est renversé. L’Invisible vaincu, les invisibles s’élèvent des abîmes. La vérité vient des précipices où fourmillent les vies. La lumière ne dissipe plus les ténèbres, comme dans le récit de la Genèse. Elle est ces ténèbres. Elle monte de ces lieux engloutis qu’habite Satan, ce rebelle à Dieu, ce « mythe de l’humanité en révolte contre ses oppresseurs »102.
Sombre insurgé de l’empire céleste,
Satan, du fond des gouffres infernaux,
Menace Dieu de la voix et du geste103.
48Déjacque évoque à l’envi ces abysses que les (sat)anarchistes, enfants de Satan comme lui, occupent en secret. Ces damnés forment les communautés de la nuit, les confréries des insomnies qui donnent vie à des soleils invisibles aux endormis. C’est de leur enfer qu’ils projettent ce paradis. C’est de là qu’ils veulent mettre à bas le monde comme il va. « J’habite les gouffres de la société »104, écrit-il. La nuit, après son labeur, il descend dans la cale du « navire de l’ordre légal »105 ; « et, là, des dents et des ongles, comme un rat dans l’ombre, [il] gratte et [il] ronge les parois vermoulues de la vieille société »106.
49Les tremblements sont bien la nature intime du réel. Les séismes détruisent le déisme et dressent sur ses cendres un système universel, puisque tous ces séismes sont symétriques. Le volcan est l’emblème de ce réseau des révoltes individuelles, politiques et cosmiques. Toutes ces commotions communiquent entre elles : elles sont les signes de l’ordre essentiel des choses.
50La barricade résume bien l’« anar-schisme » de Déjacque. Sous sa plume, le pavé se fait idée et s’ouvre à l’universalité. Cratère populaire, la barricade entre en résonance avec l’homme et le cosmos. C’est en répétant ces soulèvements naturels que la barricade prépare la société de demain, surgissant au matin dans les brumes d’un monde meilleur. Elle est bien le tableau vivant de l’anarchie à venir. Elle ne combat pas simplement pour réaliser ensuite cette anarchie espérée, une fois la victoire assurée. Elle l’expose déjà sous les yeux de tous.
Les différentes séries de travailleurs se recrutent volontairement, comme se recrutent les hommes d’une barricade, et sont entièrement libres d’y rester le temps qu’ils veulent ou de passer à une autre série ou à une autre barricade. Il n’y a pas de chef attitré ou titré. Celui qui a le plus de connaissance ou d’aptitude à ce travail dirige naturellement les autres. Chacun prend mutuellement l’initiative, selon qu’il s’en reconnaît les capacités. Tour à tour chacun donne des avis et en reçoit. Il y a entente amicale, il n’y a pas d’autorité107.
51Loin d’abolir l’Ordre, la barricade le dévoile et le prépare108. Elle annonce cet ordre anarchique qui germera sur les décombres civilisés : « Voyez le peuple du haut des barricades, et dites si dans ces moments de passagère anarchie, il ne témoigne pas, par sa conduite, en faveur de l’ordre naturel »109.
III. L’anarchobiologie
52Rien ne dit mieux la vérité des êtres que leur sexualité. Déjacque construit une théorie de la « sexeplication » : tout s’explique par le sexe. Celui-ci met à nu le caractère des hommes en dévoilant leur réelle nature. La sexualité est cette part d’eux-mêmes qu’ils voudraient cacher : elle (d)énonce ce qu’ils sont. Ainsi, dans sa polémique avec Proudhon, Déjacque ne manque pas de maudire sa longue virginité qui expliquerait sa misogynie110.
53Tout dans les mœurs et les institutions du capitalisme trahit la dépravation. Dans leurs noces, hommes et femmes affichent « la nudité de leur mariage » avec « tout le bacchanal voulu ». Véritable « lupanar nuptial », on prépare la mariée à « d’ignobles bestialités ». Et Déjacque de flétrir cette prostitution légale des femmes, « cette profanation de la chair et de la pensée humaine, cette crapularisation de l’amour »111. Les maris ne se gênent pas, ensuite, pour fréquenter les lieux de débauche. C’est dans les lupanars que la bourgeoisie se voit sans fard. C’est là que « s’ébat la triple orgie du jeu, de l’alcool et de la chair »112.
54C’est dans le sexe aussi que la politique livre ses secrets. Lincoln, candidat à la présidence américaine, est un « candidat eunuque », « un castrat du parti républicain »113. Autant dire qu’il ne fera jamais rien. Le suffrage universel n’est qu’une « orgie électorale »114. La bourgeoisie libérale et montagnarde, quant à elle, ressemble à une « vieille prostituée politique »115 : elle est à vendre au plus offrant. La dictature de Napoléon III et les rêves d’autocratie de nombreux socialistes sont des viols, des consciences comme des corps.
[…] la dictature n’est que le viol de la liberté par la virilité corrompue, par les syphilitiques ; c’est le mal césarien inoculé avec des semences de reproduction dans les organes intellectuels de la génération populaire. Ce n’est pas un baiser d’émancipation, une naturelle et féconde manifestation de la puberté, c’est une fornication de la virginité avec la décrépitude, un attentat aux mœurs, un crime comme l’abus du tuteur envers sa pupille, c’est un humanicide116!
55Partout le coït dit le chaos. La société du xixe siècle est un monde à l’envers, elle est contre nature. Déjacque l’écrit sans s’embarrasser de nuances : « Dans le monde civilisé, tout n’est que masturbation et sodomie, masturbation ou sodomie de la chair, masturbation ou sodomie de l’esprit »117. Comment s’en étonner quand la Civilisation est « épuisée par dix-huit siècles de débauches »118 ? Cette société vénérée souffre du mal vénérien. Il est temps pour cette « syphilisation » de s’effacer. Si la société est condamnée, si elle s’est éloignée des voies de la Nature pour son plus grand malheur, il lui faut retrouver les lois universelles pour se régénérer. Par ce baptême, l’humanité aura retrouvé vie et harmonie dans « l’ordre anarchique ».
56Il reste à expliquer comment l’humanité pourra trouver ce nouvel ordre. Naîtra-t-il de lui-même, après une insurrection réussie, par une simple volonté politique ? Déjacque l’envisage d’abord. Il propose que la multitude prenne elle-même le pouvoir en gérant directement ses affaires. Il pense, pour cela, un système de « législation directe » dans lequel tous, sans exception, pourront voter. Le peuple doit être appelé « à voter sur la loi, au lieu de voter sur les hommes »119. Écartant ces médiations et leurs trahisons, il imposera immédiatement sa volonté : « le peuple légiférant lui-même, sans représentation, sans délégation »120. Mais cette législation directe n’est-elle pas encore de la légalité, c’est-à-dire de l’autorité ? Déjacque se montre très embarrassé. Il remanie le projet et le garde… faute de mieux. Car seule la loi naturelle est une loi à part entière, c’est-à-dire vraie pour toujours. La législation, même directe, reste fluctuante et contestable.
Quant à moi, peut-être me suis-je servi improprement du mot législation. À vrai dire, ce n’est pas positivement de la législation que fera le peuple, puisque ses décisions, ses votes ne seront qu’éphémères, et que l’idée de législation entraîne avec soi une certaine idée d’immuabilité, la loi naturelle, la loi innée, – contrairement à la loi arbitraire, à la loi de fabrication humaine –, étant immuable en son principe121.
57Certes, la législation directe, souligne-t-il encore, « avec sa majorité et sa minorité, n’est certainement pas le dernier mot de la science sociale, car c’est encore du gouvernement »122. Mais il faut s’en contenter de façon provisoire, puisqu’elle reste « la forme la plus démocratique de gouvernement, en attendant son abolition absolue »123. Déjacque en vient à déduire son utilité de sa fragilité même. La vraie vertu de la législation directe c’est justement qu’elle est instable, mouvante, réversible. C’est sa mobilité qui plaît au théoricien. « Comme une marée, elle [la majorité] se déplace chaque jour sous l’action incessante, sous la propagande des idées de progrès »124. En cela, cette législation directe anticipe sur les libres mobilités qui seront le principe de la société future. Là aussi, tout fluctuera au gré des marées : « chaque jour ne les ramènent-elles pas à leur niveau »125 ? Aucune Constitution n’y sera gravée, momifiée pour l’éternité. Rien n’y sera jamais arrêté.
Comment s’engager pour un an, pour un jour, pour une heure, quand dans une heure, un jour, un an on peut penser tout différemment qu’à l’instant où l’on s’est engagé126 ?
58Peut-être, confesse Déjacque, aurait-il mieux valu renoncer au terme de « législation directe » et lui préférer celui de « dictature directe et universelle »127 ? Mais n’est-ce pas, là encore, faire de la politique comme les bourgeois ? Surtout, la seule vraie dictature, la seule autorité légitime et incontestable est celle de la Science qui dévoile les lois du réel. Et Déjacque, qui fulmine à longueur d’articles contre Napoléon III et les rêves césariens des socialistes vaincus, en vient à célébrer cette dictature du philosophe qui se fait la pythie de la Nature et dont, seule, la parole fait loi. Proudhon, dit-il, exerce ce magistère sous la Seconde République. Il est alors une « Autorité naturelle et anarchique ». Il impose la « dictature de l’Intelligence » qui « s’affirme dans le peuple, comme s’affirment des astres dans le firmament, en rayonnant sur ses satellites ». Seule cette dictature « révolutionnaire » et « humanitaire » est acceptable, car elle n’est qu’« intellectuelle et morale ». Elle n’avance pas armée, escortée par des légions de terreur. « Elle ne fait pas la Loi, elle la découvre ; elle n’est pas l’Autorité, elle fait autorité. Elle n’existe que par la volonté du travail et le droit de la science ». Elle ne se présente plus comme « la dictature animale » du passé, mais comme « la dictature de la force intellectualisée, la dictature hominale »128 de l’avenir. Elle se veut la foi du socialisme savant et triomphant.
59Ces méditations sur la législation directe et la dictature conduisent à la même conclusion : « Le règne de la Politique est fini »129. C’est par la Science désormais que l’ordre espéré prendra corps.
Étudions au lieu de prier. Instruisons-nous dans les sciences naturelles. L’ignorance, voilà ce qui fait de notre globe une vallée de larmes, un enfer. La science, voilà ce qui en fera un séjour de délices, un Éden130.
60Tout oppose science et politique. La première étudie « la loi naturelle de la liberté », c’est-à-dire l’anarchie, quand la seconde veut imposer « la loi artificielle de l’autorité »131, cette « loi écrite »132, promulguée par les hommes, fruit arbitraire de leur volonté. Il ne s’agit plus de faire des lois, même votées par tous, il s’agit de les découvrir dans la Nature.
61Mais ces lois du monde, découvertes par la Science, ne sont-elles pas elles aussi contraignantes ? Ne se présentent-elles pas à leur tour comme des dominations ? La seule domination réelle pour Déjacque est celle exercée par des humains qui veulent imposer leur volonté à d’autres humains. Obéir à une loi naturelle, ce n’est pas servir comme on sert, en esclave, un maître ou une autorité. C’est n’obéir à personne, au sens littéral du terme. Au contraire, suivre cette loi naturelle c’est accéder à la vraie liberté.
62Déjacque déduit de la nécessité la loi même de cette liberté. Paradoxalement, l’inventeur du mot « libertaire » ne saisit partout que du nécessaire. Rien n’échappe à l’ordre de la Nature. Rien n’est donc né du hasard. « Tout ce qui fut devait être ; les récriminations n’y changeraient rien »133. Par exemple, l’avènement du christianisme a sans doute été une catastrophe, mais cette catastrophe avait sa raison d’être.
Ce cataclysme moral pouvait-il être évité ? L’homme était-il libre d’agir et de penser autrement qu’il n’a fait ? Autant vaudrait dire que la Terre était libre d’éviter le déluge. Tout effet a sa cause134.
63Toute vérité est composée, Fourier l’a bien montré. Obéir d’un côté, c’est immédiatement se libérer d’un autre côté. Suivre cette nécessité, c’est aussitôt se révolter contre tout ce qui contredit cette nécessité. Accepter les lois de la Nature, c’est destituer du même coup toutes les lois humaines, c’est détruire tous les codes qui enfreignent ces lois naturelles. Les insurrections, on l’a vu, sont précisément ce surgissement de l’Ordre universel pour renverser le désordre instauré par l’autorité.
64La liberté bien comprise consiste à s’abandonner à cette nécessité. Elle n’est que l’obéissance aux lois de sa propre nature, c’est-à-dire à sa destinée. Et l’anarchie se veut le règne de « la souveraineté individuelle, la liberté entière, illimitée, absolue de tout faire, tout ce qui est dans la nature de l’homme »135. Si bien que « le mal serait de la violenter et non de la satisfaire »136. Déjacque soutient dans le même esprit :
Toute la liberté de l’homme consiste à satisfaire à sa nature, à céder à ses attractions. Tout ce qu’il est en droit d’exiger de ses semblables, c’est que ses semblables n’attentent pas à sa liberté, c’est-à-dire à l’entier développement de sa nature. Tout ce que ceux-ci sont en droit d’exiger de lui, c’est qu’il n’attente pas à la leur137.
65L’autonomie, c’est la soumission à l’attraction ou à la passion, cette force qui met en mouvement tout ce qui est. Les hommes comme les globes « n’obéiss[e]nt tous qu’à leur passion, et trouv[e]nt dans leur passion la loi de leur mobile et perpétuelle harmonie »138. Et c’est cette gravitation qui explique tous les volcans de la terre et du ciel, toutes les révolutions qui s’y produisent. Soulèvement = attraction.
66Tous les pouvoirs, tous les gouvernements sont donc contre nature. Ils veulent enchaîner et arrêter, enfermer et écraser ce qui, par nature, est appelé à s'animer et à s’élever dans un mouvement que la mort même n’arrête pas. Il n’existe plus de haut et de bas dans ces universelles révolutions. Divinité et autorité s’évanouissent dans ce circulus éternel. Ces spirales expliquent l’architecture de la Nature. Chaque règne gravite sur lui-même et entre en contact à son sommet avec le règne supérieur, dans un mouvement allant des minéraux à l’homme :
Le corps de l’espèce inférieure livrant au corps de l’espèce supérieure ce qu’il a de plus « hominalisé » et recevant en compensation ce que l’autre a de moins hominalisé ou, ce qui revient au même, de plus « minéralisé »139.
67Dans cette théorie esquissée des « humanités infinitésimales », le monde est à la fois ordonné en règnes et mobile en son principe :
La circulation se propage ainsi d’organisme en organisme et de sphère en sphère, d’attractivité en attractivité, au moyen du système des quatre gradations, diversement et universellement manifestées140.
68L’être humain, pointe supérieure des règnes, n’échappe pas à ces mobilités ordonnant le réel. L’homme est fait des étoiles : ses révolutions sont aussi nécessaires que celles de ses astres frères.
L’homme est un être essentiellement révolutionnaire. Il ne saurait s’immobiliser sur place. Il ne vit pas de la vie des bornes, mais de la vie des astres. La nature lui a donné le mouvement et la lumière, c’est pour graviter et rayonner141.
69Cette attraction qui rend l’humanité mobile, c’est bien la passion que nul ne peut entraver. Comme chez Fourier, il s’agit de trouver un milieu qui favorise ces rotations perpétuelles.
De même que les globes circulent anarchiquement dans l’universalité, de même les hommes doivent circuler anarchiquement dans l’humanité, sous la seule impulsion des sympathies et des antipathies, des attractions et des répulsions réciproques142.
70L’anarchisme est cette science naturelle réalisant une société conforme à ces lois éternelles : un vitalisme anarchique, une anarchobiologie, une bioanarchie. Cette science dessine les plans de cette société faite à l’image du ciel. L’humanisphère, sorte de phalanstère anarchiste, se compose d’un « bâtiment composé de douze ailes soudées les unes aux autres et simulant l’étoile »143. Cette commune anarchiste possède sa biologie, synthèse des vies qui la composent. « Comme l’homme est formé d’organes, et ces organes de molécules, de même l’homme est, à son tour, la molécule du corps social ; la commune en est l’organisme »144. Ce corps-commune se lie à d’autres pour recouvrir la Terre dans un tourbillon incessant, reflet des gravitations du cosmos.
C’est-à-dire la commune, organisme unitaire, homme collectif, rendue perfectible comme l’homme individuel, unité moléculaire, dont la libre évolution, la rotation ascensionnelle constitue et régénère perpétuellement le groupe humain communal d’abord, puis national, puis continental, puis universel145.
71Sur les ruines des institutions civilisées s’animent les révolutions anarchiques, fidèles aux lois des soleils. Elles inaugurent « l’ère de l’Harmonie naturelle »146 : « l’ordre anarchique est l’ordre universel »147 car il est « l’ordre imprescriptible »148. L’avenir verra périr « l’ordre arbitraire dans la hiérarchie et l’autorité » ; il verra germer sur sa tombe « l’ordre anarchique dans l’égalité et la liberté »149.
72Mais cette « autorité de l’anarchie »150 n’est-elle pas de l’autorité quand même, n’en déplaise au libertaire ? Là réside peut-être la grande ambivalence de cette œuvre. Déjacque veut faire une science, qui appelle le déterminisme, science de l’anarchie, laquelle suppose la liberté, c’est-à-dire pour lui le mouvement. Une image rend sensible cette science : le cercle, qu’il évoque régulièrement pour figurer sa pensée. Le cercle soude liberté et nécessité, fixité et mobilité. En ce sens, il est le reflet de l’Ordre universel. Celui-ci est assujetti à l’attraction qui commande la circulation. Les astres roulent toujours sur les mêmes orbites. Ils tournent en rond comme le monde tourne rond. Tout y est à la fois changeant et permanent. C’est une loi intangible qui organise ces mouvements éternels, qui dessine ces retours perpétuels. Le cosmos présente la mobilité la plus grande avec la nécessité la plus absolue. La vie, définie par ce modèle, se présente comme un « un cercle dans lequel on ne peut trouver ni commencement ni fin, car, dans un cercle, tous les points de la circonférence sont commencement ou fin »151. Déjacque évoque également « la sphéricité illimitée de l’infini et son mouvement absolu de rotation et de gravitation »152. L’humanisphère adopte cette géométrie : il est à l’image du monde qui l’entoure. Le Cyclidéon se présente comme « le point central où viennent aboutir tous les rayons d’un cercle et d’où ils se répandent ensuite à tous les points de la circonférence ». Déjacque en fait le « lieu consacré au circulus des idées […] ; c’est l’autel du culte social, l’église anarchique de l’utopiste humanité »153.
73Ce cercle est, à coup sûr, symbole d’infini : il n’a ni début ni fin. Il est, sans conteste, signe d’égalité : tous les points sont à même distance du centre. Mais comment ce cercle peut-il représenter la liberté et le progrès ? Encercler, c’est enfermer. Circonscrire, n’est-ce pas encore un acte de souveraineté ? Le doigt qui trace est aussi un doigt qui menace. Il commande et accuse : il met à l’index et interdit. Ce geste est bien un acte de domination et non de libération. Le progrès suppose de même le changement et non l’éternelle copie du même. Or, c’est toute l’ambiguïté de l’anarchiste, ambiguïté qui surgit dans le terme choisi pour penser l’ordre du monde : le circulus. Le mot signifie le « cercle » en latin, sauf que le mot n’est pas conforme à l’idée qu’il entend exprimer. Contrairement à son étymologie, le circulus chez Déjacque n’est pas un cercle. Le penseur le brise et l’ouvre à un progrès ascendant et illimité. C’est une hélice : il n’est pas clos sur lui-même mais s’élève à l’infini. Pourtant, dans certains passages, Déjacque semble hésiter et replacer sa pensée dans un cercle fermé. Il retrouve cette reproduction à l’identique, sans naissance ni mort, qu’il appelle précisément de ses vœux. Le circulus a dans ce cas la ronde pour idéal : « tendons la main au progrès pour accomplir avec lui l’évolution humanitaire dans la grande ronde des êtres et des sociétés perfectibles »154.
74Déjacque paraît flotter entre ces deux conceptions, qui se mêlent ou se chevauchent : l’une projetée vers un éternel progrès, l’autre limitée à une perpétuelle répétition. Ces conceptions se donnent à voir dans ces deux géométries : la spirale et le cercle ou la sphère. Et cette équivoque n’est-elle pas liée à son tour à cette contradiction : faire une loi de la liberté, y voir une nécessité naturelle ? Quel est le sens de cette liberté à laquelle nul ne peut échapper, pas même celui qui en jouit, puisqu’il n’est pas libre de ne pas obéir à cette attraction ? Dans l’anarchie promise, tous seront alors « également et absolument libres de se mouvoir dans le cercle naturel de leurs attractions »155, comme la Terre tourne librement autour du Soleil. Ce cercle de la vie ainsi compris n’est-il pas le cercueil de l’anarchie ? Et la science de l’anarchie n’est-elle pas une aporie et l’abîme de l’autonomie ?
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75« L’idéal… c’est le mouvement ! »156. Déjacque est un penseur de la mobilisation, aux deux sens du mot. Il appelle d’abord les dominés au combat contre la bourgeoisie. « Debout, prolétaires, debout tous ! – Et déployons le drapeau de la guerre sociale ! Debout ! »157. La barricade est l’instrument et la science de cette lutte. Déjacque en appelle aussi à la libération des êtres, ligotés en Civilisation. « Sachons vivre et mourir pour la Révolution et non pour l’Immobilisation »158. L’anarchie entend rendre aux humains leur élan vital. Ils doivent se soulever maintenant pour graviter demain sur la terre comme les astres dans le ciel. Alors se formera cette « société selon la nature »159.
76Déjacque est obsédé par l’ordre logique et biologique, l’Ordre véritable institué par la Nature qui abolit tous les commandements humains. « Or donc l’absence d’ordres, voilà l’ordre véritable »160. Cette hégémonie n’est celle de personne ni même celle de tous. Elle est celle du Tout. Cette puissance ne subira jamais de coups d’État. Elle brisera tous les poignards tournés contre elle. Cette brutalité-là ne croisera jamais Brutus. Cette physiocratie consacre un pouvoir plus invincible que toute domination humaine, aussi implacable que la souveraineté divine, dont pourtant Déjacque veut libérer l’humanité. Est-il si surprenant qu’à la fin de sa vie Dieu resurgisse comme un diable sortant de sa boîte ? Comme si, enfoui jusqu’ici, le divin jaillissait dans une ultime tempête, dans un dernier séisme étreignant l’anarchiste. L’Ordre et la Nature ne sont-ils pas, depuis le début, les pseudonymes, et non les antonymes, de ce Dieu honni ? On ne prétendra pas trancher la question en croyant dire naïvement le dernier mot… sur ce dernier mot, comme si son dernier mot était le premier, celui qui posséderait le plus de sens. On ne peut toutefois manquer d’y voir un indice de sa fascination pour un Ordre qui réclame un Ordonnateur. Le 18 avril 1864, il écrit à Eugène Pelletan auquel il dédia L’Humanisphère :
Il faut que je vous fasse part d’un événement heureux qui vient de s’opérer sur moi. Une révélation divine s’est faite en mon individu, la nuit du 11 courant. Pourquoi, à l’exclusion de tous les autres, m’aurait-il choisi ? C’est que Dieu est un peu anarchiste et que je le suis aussi. Il ne veut ni pape ni gouvernement. À chacun d’être son pape et son gouvernement. Dieu m’a parlé pendant plusieurs heures. Il [me] donne mission d’être son nouveau rédempteur sur Terre161.
Notes de bas de page
1 J’ai tenu compte de certaines remarques formulées par les intervenants de la journée d’études organisée à Dijon par Thomas Bouchet et Patrick Samzun le 7 avril 2017. Merci à eux. Sur Joseph Déjacque, on peut consulter Nettlau Max [traduit par Martin Zemliak], 1971, Histoire de l’anarchie, Paris, Éditions de la Tête de Feuilles ; Pelosse Valentin, 1972 (décembre), « Joseph Déjacque et la création du néologisme “libertaire” (1857) », Économies et sociétés. Cahiers de l’Institut de science économique appliquée, vol. 6, n° 12, p. 2313-2349 ; Riffaut-Perrot Nicole, 1991, « Du phalanstère fouriériste à l’humanisphère de Déjacque », Cahiers Charles Fourier, n° 2, p. 33-46 ; voir aussi la notice qui lui est consacrée par Karine Pichon publiée dans Cordillot Michel (dir.), 2002, La Sociale en Amérique. Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis. 1848-1922, Paris, Éditions de l’Atelier, p. 141-144 ; Harmel Claude, 2005 [1984], Histoire de l’anarchie des origines à 1880, Paris, Éditions Ivrea ; Cordillot Michel, 2013, Utopies et exilés du Nouveau Monde. Des Français aux États-Unis de 1848 à la Commune, Paris, Vendémiaire ; et sa notice « Utopie et action révolutionnaire dans le Nouveau Monde. Le Libertaire de Déjacque », in Bouchet Thomas, Bourdeau Vincent, Castleton Edward, Frobert Ludovic, Jarrige François (dir.), 2015, Quand les socialistes inventaient l’avenir. 1825-1860, Paris, La Découverte, p. 361-371 ; Samzun Patrick, 2016, « Between Wrath and Harmony: A Biolyrical Journey Through L’Humanisphère, Joseph Déjacque’s “Anarchic Utopia” (1857) », Utopian Studies, vol. 27, n° 1, p. 93-114 ; et enfin le recueil À bas les chefs ! Écrits libertaires (1847-1863), présentés par Thomas Bouchet (Paris, La Fabrique, 2016). On doit également se reporter au site http://joseph.dejacque.free.fr/, dont les animateurs ont eu l’heureuse idée de rendre disponible l’intégralité du Libertaire. Sans cette réédition, le présent travail n’aurait pas été possible.
2 Déjacque Joseph, 1858 (9 juin), « Beaucoup d’appelés et peu de venus », Le Libertaire, n° 1.
3 Déjacque Joseph, 1860 (5 avril), « Affirmation et négation », Le Libertaire, n° 23.
4 Déjacque Joseph, 1858 (2 août), « Le Scandale », Le Libertaire, n° 4.
5 L’idée que l’anarchie est « science de l’ordre » est partagée par ses premiers théoriciens. On la trouve chez Proudhon, Cœurderoy et Bellegarrigue. Proudhon peut ainsi écrire : « comme l’homme cherche la justice dans l’égalité, la société cherche l’ordre dans l’anarchie » (Proudhon Pierre-Joseph, 1960 [1840], Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherches sur le principe du droit et du gouvernement. Premier mémoire, Paris, Garnier-Flammarion, p. 300).
6 Déjacque Joseph, 1971, « La Question révolutionnaire » [1852-1853], in id. [introduction et notes par Valentin Pelosse], À bas les chefs !, Paris, Champ libre, p. 77.
7 Déjacque Joseph, 1858 (21 septembre), « L’Échange », Le Libertaire, n° 6.
8 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère. Utopie anarchique », in id. [introduction et notes par Valentin Pelosse], À bas les chefs !, op. cit., note p. 98.
9 Déjacque Joseph, 1859 (24 décembre), « Objections », Le Libertaire, n° 20.
10 Déjacque Joseph, 1859 (6 mars), « Anniversaire du 24 février », Le Libertaire, n° 11.
11 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 182.
12 On trouve d’autres occurrences de ce thème, par exemple : « L’homme ne peut vivre en harmonie avec l’homme que sur le pied d’équation. L’équation est l’ultimatum de la femme envers l’homme, de l’enfant envers le vieillard, du noir envers le blanc. En dehors de l’équation de l’homme par l’homme, à la fois producteur et consommateur, point de salut pour la société » (Déjacque Joseph, 1860 (7 mai), « L’Organisation du travail », partie ii, Le Libertaire, n° 24).
13 Déjacque Joseph, 1861 (4 février), « La Question américaine. L’Irrépressible conflit. – L’Appel au Peuple », Le Libertaire, n° 27.
14 Déjacque Joseph, 1860 (7 mai), « Égarement cérébral », Le Libertaire, n° 24.
15 Déjacque Joseph, « De l’Être humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon », chap. cit., p. 124.
16 Ibid., p. 119.
17 Ibid., p. 118 et 122.
18 Déjacque Joseph, « Affirmation et négation », art. cit.
19 Déjacque Joseph, 1858 (25 octobre), « La Révolution reniée par les révolutionnaires », Le Libertaire, n° 7.
20 Déjacque Joseph, 1860 (31 janvier), « M.*** et Le Libertaire », Le Libertaire, n° 21.
21 Déjacque Joseph, 1859 (10 janvier), « Le Circulus dans l’ Universalité », partie ii (fin), Le Libertaire, n° 9.
22 Déjacque Joseph, « Affirmation et négation », art. cit.
23 Ibid.
24 Ibid.
25 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 41.
26 Déjacque Joseph, 1859 (5 février), « Aliénation mentale », Le Libertaire, n° 10.
27 Déjacque Joseph, 1858 (9 juin), « La solidarité est manifeste. Coup d’œil rétrospectif », Le Libertaire, n° 1.
28 Déjacque Joseph, 1859 (27 juillet), « La Législation directe et universelle », partie i, Le Libertaire, n° 15.
29 Déjacque Joseph, 1860 (31 janvier), « Tout chemin mène à Rome », Le Libertaire, n° 21.
30 Déjacque Joseph, « De l’Être humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon », chap. cit., p. 115.
31 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 121.
32 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 80-81.
33 Déjacque Joseph, « Tout chemin mène à Rome », art. cit.
34 Déjacque Joseph, 1860 (31 janvier), « Sur un volcan », Le Libertaire, n° 21.
35 Déjacque Joseph, « De l’Être humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon », chap. cit., p. 119.
36 Ibid., p. 125.
37 Déjacque peut écrire par exemple : « Hommes du temps présent, il faut choisir. Non seulement il est immoral et lâche de rester neutre, c’est avilissant, mais encore il y a péril. Il faut absolument prendre parti pour ou contre les deux grands, les deux exclusifs principes qui se disputent le monde » (Déjacque Joseph, « L’Échange », art. cit.). Dans un autre article, il sermonne encore : « Comme il y a dix-huit cents ans, il faut scinder le monde en deux parts et il faut que l’une des deux parts dévore l’autre, par le fer comme par l’idée – par l’idée surtout. Hors de là, point d’unité ! » (Déjacque Joseph, « La Révolution reniée par les révolutionnaires », art. cit.).
38 Déjacque Joseph, « Anniversaire du 24 février », art. cit.
39 Déjacque Joseph, 1859 (26 novembre), « Le Talion », Le Libertaire, n° 19.
40 Blanqui conteste, lui aussi, la possibilité que la société de son temps puisse le juger, au sens plein du terme : « Je ne suis donc pas devant des juges, mais en présence d’ennemis ; il serait bien inutile dès lors de me défendre » (« Défense d’Auguste Blanqui au procès des Quinze. 12 avril 1832 », in Blanqui Auguste [textes choisis et présentés par Dominique Le Nuz], 2006, Maintenant, il faut des armes, Paris, La Fabrique, p. 63). Selon Blanqui, les magistrats ne sont pas chargés de le juger. Ils ont pour mission de le condamner, et il ne peut en être autrement. Dans une société où la lutte des classes fait rage, aucun juge digne de ce nom ne peut exister. Il ne s’y trouve aucun arbitre impartial. On n’y rencontre que des amis et des ennemis, chacun appartenant à un des deux camps qui se font face. L’Enfermé enferme ses faux juges dans cette vraie contradiction.
41 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 36.
42 Déjacque s’enflamme : « […] les crimes des riches appellent les représailles des pauvres. Qui a opprimé par le fer périra par le fer. C’est pour le pauvre un devoir de légitime défense » (Déjacque Joseph, « La solidarité est manifeste. Coup d’œil rétrospectif », art. cit.).
43 Déjacque Joseph, « La Révolution reniée par les révolutionnaires », art. cit.
44 Déjacque Joseph, « Le Talion », art. cit.
45 Ibid.
46 Déjacque Joseph, « Objections », art. cit.
47 Déjacque Joseph, 1859 (5 février), « La Question politique. I. Louis Bonaparte. – L’Italie », Le Libertaire, n° 10.
48 Sur le thème de la barricade, voir les études rassemblées par Corbin Alain et Mayeur Jean-Marie (dir.), 1997, La barricade, actes du colloque organisé les 17, 18 et 19 mai 1995, Paris, Publications de la Sorbonne ; Charles Jeanne [présenté et commenté par Thomas Bouchet], 2011, À cinq heures nous serons tous morts ! Sur la barricade Saint-Merry, 5-6 juin 1832, Paris, Vendémiaire ; et l’ouvrage d’Hazan Éric, 2013, La barricade. Histoire d’un objet révolutionnaire, Paris, Autrement.
49 Que l’étendard de la révolte et de la liberté, enrage Déjacque, « se déploie sur les barricades du vieux et du nouveau continent ! » (Déjacque Joseph, 1859 [26 octobre], « La Guerre servile », Le Libertaire, n° 18).
50 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 113.
51 Déjacque Joseph, « Prononcé sur la tombe d’un proscrit », in id. [présentation et notes par Thomas Bouchet], À bas les chefs ! Écrits libertaires (1847-1863), op. cit., p. 46.
52 Déjacque Joseph, 1859 (12 mai), « Le Libertaire à ses lecteurs », Le Libertaire, n° 13.
53 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 40.
54 J’ai montré l’importance de cette rhétorique de l’esclavage du peuple dans Les hiéroglyphes de la nature. Le socialisme scientifique en France dans le premier xixe siècle (Dijon, Les Presses du Réel, 2014, p. 219-231).
55 Déjacque Joseph, 1860 (7 mai), « Les Grèves d’esclaves blancs », Le Libertaire, n° 24.
56 Ibid.
57 Déjacque Joseph, 1860 (2 novembre), « Revue américaine. Le Boy papal huguenot. – Le Carnaval électoral. – Manifestations athéistes », Le Libertaire, n° 26.
58 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 90.
59 Voir par exemple Fourier Charles, 2001 [1822-1823], Théorie de l’unité universelle, t. ii, Dijon, Les Presses du Réel, p. 166 sq.
60 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 88.
61 Déjacque écrit par exemple : « L’enfant est un miroir qui réfléchit l’image de la virilité. C’est la plaque de zinc où, sous le rayonnement des sensations physiques et morales, se daguerréotypent les traits de l’homme social. Et ces traits se reproduisent chez l’un d’autant plus accentués qu’ils sont plus en relief chez l’autre » (ibid., p. 163).
62 Déjacque Joseph, « Beaucoup d’appelés et peu de venus », art. cit.
63 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 185.
64 Projection et même déjection pour Déjacque, qui fait remarquer que l’homme en est venu à se prosterner « devant son excrément, – car il fallait que l’homme eût de bien violentes coliques de cerveau le jour où il a fait ses nécessités… d’une pareille sottise » (ibid., p. 107).
65 Déjacque Joseph, « Le Talion », art. cit.
66 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 106.
67 Ibid., p. 104.
68 Ibid., p. 104-105.
69 Ibid., p. 91.
70 Déjacque Joseph, « Égarement cérébral », art. cit.
71 Déjacque Joseph, 1858 (2 août), « La Jacquerie », Le Libertaire, n° 4.
72 Déjacque Joseph, « Affirmation et négation », art. cit.
73 Déjacque souligne en ce sens : « Aussi, qui nie le droit divin sur la terre, doit également nier dans les cieux la royauté d’un être surnaturel » (Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 62).
74 Déjacque Joseph, « Le Talion », art. cit.
75 Déjacque Joseph, « Le Circulus dans l’Universalité », partie ii (fin), art. cit.
76 Sur ce thème, voir Bertrand Dominique (éd.), 2005, Nature et politique. Logique des métaphores telluriques, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal.
77 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 98.
78 Ibid., p. 99.
79 Déjacque Joseph, « Objections », art. cit.
80 Déjacque Joseph, « Affirmation et négation », art. cit.
81 Ibid.
82 Ibid.
83 Ibid.
84 Déjacque Joseph, 1859 (26 octobre), « Les Idées », Le Libertaire, n° 18.
85 Déjacque Joseph, 1860 (27 février), « Unité et dualité », Le Libertaire, n° 22.
86 Ibid.
87 Déjacque Joseph, 1858 (9 juin), « Le Libertaire », Le Libertaire, n° 1.
88 Déjacque Joseph, « Affirmation et négation », art. cit.
89 Déjacque Joseph, « La Jacquerie », art. cit.
90 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 95.
91 Ibid., p. 119.
92 Déjacque Joseph, « Le Circulus dans l’Universalité », partie ii (fin), art. cit.
93 Déjacque Joseph, « La Proclamation de la République, chant patriotique », in id. [présentation et notes par Thomas Bouchet], À bas les chefs ! Écrits libertaires (1847-1863), op. cit., p. 35.
94 « À peine avais-je fini de tracer ces lignes que je fus forcé de m’arrêter, comme il m’arriva bien souvent d’y être contraint dans le cours de ce travail. […] Il me semblait que ma tête allait éclater, et qu’on me tordait le sein avec des tenailles. J’étranglais : des muscles de fer me serraient à la gorge… Ah ! l’Idée est une amante qui dans ses fougueux embrassements vous mord jusqu’à vous faire crier, et ne vous laisse un moment, pantelant et épuisé, que pour vous préparer à de nouvelles et plus ardentes caresses » (Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 134).
95 Déjacque Joseph, « Sur un volcan », art. cit.
96 Déjacque Joseph, 1860 (5 avril), « Les Civilisés de la décadence ou les Martyrs du socialisme », drame en un acte (suite et fin), Le Libertaire, n° 23.
97 Déjacque Joseph, « Sur un volcan », art. cit.
98 Déjacque Joseph, « Les Idées », art. cit.
99 Déjacque Joseph, « Objections », art. cit.
100 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 124-125.
101 C’est tout le sens du livre le plus important de Cœurderoy : De la révolution dans l’homme et dans la société, publié à Bruxelles en 1852. J’en ai proposé une lecture dans « La biologie révolutionnaire d’Ernest Cœurderoy », in Angaut Jean-Christophe, Colson Daniel, Pucciarelli Mimmo (dir.), 2012, Philosophie de l’anarchie. Théories libertaires, pratiques quotidiennes et ontologie, actes du colloque de Lyon, mai 2011, Lyon, Atelier de création libertaire, p. 49-78.
102 Déjacque Joseph, 1860 (27 février), « La Mission de l’Italie », Le Libertaire, n° 22.
103 Déjacque Joseph, « Le Chant des damnés », in id. [présentation et notes par Thomas Bouchet], À bas les chefs ! Écrits libertaires (1847-1863), op. cit., p. 106.
104 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 91.
105 Ibid., p. 86.
106 Ibid.
107 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 189.
108 Cet ordre naturel des barricades, c’est-à-dire anarchique et spontané, n’a rien à voir avec celui calculé par Blanqui. Le révolutionnaire veut en finir avec la barricade « confuse et désordonnée ». Elle doit « faire partie d’un plan d’opération, arrêté d’avance » (Blanqui Auguste, 1972, « Instructions pour une prise d’armes » [vers 1868-1869], in id. [établis et présentés par Miguel Abensour et Valentin Pelosse], Instructions pour une prise d’armes, L’Éternité par les astres. Hypothèses astronomiques, et autres textes, Paris, Société encyclopédique française/Éditions de la Tête de Feuilles, p. 47). Rien donc de naturel et d’immédiat dans l’insurrection, qui réclame une savante préparation. Pour l’Enfermé, les coups de main ne se décident pas sur des coups de tête, ne se font pas sur des coups de sang. Il faut, au contraire, une mise en ordre résolue et obligatoire. Tous les insurgés ont à se soumettre aux commandements de leurs chefs et obéir à leur « direction énergique » (ibid., p. 61). C’est à ce prix que cette armée des ombres allumera la révolution. « Il faut encore le répéter : la condition sine qua non de la victoire, c’est l’organisation, l’ensemble, l’ordre, la discipline » (ibid., p. 71). C’est tout l’opposé de Déjacque : Blanqui reste pris dans les banquises de l’autorité.
109 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 174.
110 « Autre Jeanne d’Arc du genre masculin, qui, dit-on, avez pendant quarante ans gardé intacte votre virginité, les macérations de l’amour ont ulcéré votre cœur ; de jalouses rancunes en dégouttent ; vous criez : “guerre aux femmes !” comme la Pucelle d’Orléans criait : “guerre aux Anglais !” – Les Anglais l’ont brûlée vive… Les femmes ont fait de vous un mari, ô saint homme, longtemps vierge et toujours martyr ! » (Déjacque Joseph, « De l’Être humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon », chap. cit., p. 117).
111 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 153.
112 Déjacque Joseph, 1859 (12 mai), « Les Souteneurs de la famille aux États-Unis », Le Libertaire, n° 13.
113 Déjacque Joseph, « Revue américaine. Le Boy papal huguenot. – Le Carnaval électoral. – Manifestations athéistes », art. cit.
114 Ibid.
115 Déjacque Joseph, 1860 (27 février), « L’Inégalité devant l’amnistie », Le Libertaire, n° 22.
116 Déjacque Joseph, 1859 (7 avril), « L’Autorité. – La Dictature », Le Libertaire, n° 12.
117 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 186.
118 Ibid., p. 136.
119 Ibid., p. 50.
120 Ibid., p. 39.
121 Déjacque Joseph, 1859 (18 août), « La Législation directe et universelle », partie ii, Le Libertaire, n° 16.
122 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 48.
123 Ibid., p. 48.
124 Ibid.
125 Déjacque Joseph, « De l’Être humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon », chap. cit., p. 122.
126 Ibid., p. 124.
127 Déjacque Joseph, « La Législation directe et universelle », partie ii, art. cit.
128 Déjacque Joseph, « L’Autorité. – La Dictature », art. cit.
129 Déjacque Joseph, 1859 (6 mars), « Anniversaire du 24 février », Le Libertaire, n° 11.
130 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 63-64.
131 Déjacque Joseph, « Le Circulus dans l’Universalité », partie ii (fin), art. cit.
132 Déjacque Joseph, « Le Talion », art. cit.
133 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 101.
134 Ibid., p. 105.
135 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 43.
136 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 153.
137 Ibid., p. 106-107.
138 Ibid., p. 120.
139 Déjacque Joseph, 1859 (10 janvier), « La Théorie des humanités infinitésimales ou Système des quatre gradations », Le Libertaire, n° 9.
140 Ibid.
141 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 139.
142 Ibid., p. 120-121.
143 Ibid., p. 156.
144 Déjacque Joseph, 1860 (2 novembre), « L’Organisation du travail », partie iii, Le Libertaire, n° 26.
145 Ibid.
146 Déjacque Joseph, « L’Organisation du travail », partie ii, art. cit.
147 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 121.
148 Déjacque Joseph, 1858 (9 juin), « De quoi vous plaignez-vous ? », Le Libertaire, n° 1. La chanson a été composée à La Nouvelle-Orléans en octobre 1857.
149 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 104.
150 Ibid., p. 173.
151 Ibid., p. 120.
152 Déjacque Joseph, 1858 (20 novembre), « Le Circulus dans l’Universalité », partie i, Le Libertaire, n° 8.
153 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 147.
154 Déjacque Joseph, « Le Circulus dans l’Universalité », partie i, art. cit.
155 Déjacque Joseph, « De l’Être humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon », chap. cit., p. 124.
156 Déjacque Joseph, 1861 (4 février), « Variété. Voile au vent ! », Le Libertaire, n° 27.
157 Déjacque Joseph, « La Question révolutionnaire », chap. cit., p. 77.
158 Déjacque Joseph, 1859 (27 juillet), « Nécrologie », Le Libertaire, n° 15.
159 Déjacque Joseph, « L’Échange », art. cit.
160 Déjacque Joseph, « L’Humanisphère », chap. cit., p. 175.
161 Déjacque Joseph, « Lettre à Eugène Pelletan » [18 avril 1864], fonds Pierre-Joseph Proudhon, ms. 2980/79, bibliothèque d’étude et de conservation (Besançon).
Auteur
Loïc Rignol est historien et enseignant en lycée professionnel. Chercheur associé au laboratoire Logiques de l’Agir de l’université de Franche-Comté, ses travaux portent d’abord sur les premiers théoriciens socialistes. Sa thèse de doctorat est publiée en 2014 sous le titre Les hiéroglyphes de la Nature. Le socialisme scientifique dans le premier xixe siècle (Dijon, Les Presses du réel). Il se consacre depuis cette année à un nouveau programme de recherches en explorant les rapports entre la nature de l’Histoire et l’histoire de la Nature chez Jules Michelet.
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