Conclusion
p. 315-338
Texte intégral
1Dans une jungle qu'interprètent des rythmiciens en collant, un homme nu se fait capturer par d’anciens souvenirs (L'Homme et son désir, 1917). Dans une cathédrale en ruine que traverse, derrière des petits théâtres de cadavres, l'ombre du Christ, surgissent les marionnettistes du Bunraku qui, armés d’un fouet, font danser à des infirmes la polka de la peste (La Parabole du festin, 1925). Une tempête est métaphoriquement représentée par la révolte des acteurs de la pièce (Le Livre de Christophe Colomb, 1927). La Sagesse croise en tapis roulant des légionnaires romains munis de masques à gaz (La Sagesse ou la Parabole du Festin, 1934). Descartes s’envole dans un cabaret mal famé (Le Ravissement de Scapin, 1949). Sous l'aspect d’un garçon de café juif, la Synagogue contemple par un trou ménagé derrière un rideau un prisonnier au crâne rasé dans le camp de concentration où se répète un vieux drame symboliste (On répète Tête d'Or, 1949). A travers toutes ces tentatives, est-il possible de découvrir un système de mise en scène qui serait propre à Claudel ? Dans sa préface à Mes idées sur le théâtre, Jacques Petit souligne les contradictions qui existent dans les conceptions de Claudel :
"Ses contradictions ne s'étalent point dans le temps, non pas successives, mais simultanées, comme le montrent ses exigences à l'égard de Lugné-Poe ; de même, au moment où il s'enthousiasme pour Hellerau et déclare que ses prochains drames "se passent de toute mise en scène et pourront être joués n'importe où", il commence à écrire Le Pain dur et établit soigneusement de minutieuses indications scéniques, toutes réalistes"1.
2Evidemment, de mise en scène en mise en scène, les solutions que propose Claudel peuvent paraître contradictoires ; mais mettre en scène, c'est adapter chaque fois différemment le texte à des conditions nouvelles. Essayons donc, à travers les mises en scène rêvées, écrites ou réalisées de Claudel, de définir ce qui les caractérise.
LE POÈTE VOYANT
3Tête d'Or est nu. Louis Laine est nu. L’Homme de L'Homme et son désir est nu. Cette fréquence de la nudité masculine chez Claudel renvoie à la nudité du prophète. Saül, en proie à l'esprit de prophétie se dépouille de ses vêtements pendant la transe prophétique. Isaïe prophétise nu (en Egypte). Car pour Claudel, le poète est voyant, prophète. Il connaît bien cette sorte d'indépendance de l'écrit par rapport à l'écrivain, qui avait aussi fasciné Pirandello :
"Le nom même du poète chez les Latins était celui de prophète, vates"2. "L'artiste est le contemporain de toute sa vie. Les événements dont il n'a pas le souvenir, il en a le pressentiment"3.
4Quatre poèmes scéniques écrits les uns après les autres, L'Homme et son désir, La Femme et son Ombre, Le Peuple des hommes cassés, La Parabole du festin, nous donnent à voir le dialogue entre un être terrestre et un être céleste. Au-delà des analyses de sources, ou des souvenirs personnels, cette union avec une créature de l'Autre monde désigne la situation même du poète qui, lorsqu'il écrit, est "à la frontière entre les deux mondes". Le fameux tréma qu'il revendiquait au-dessus du mot "poète" évoque les deux trous d'une prise d'électricité. La lecture des signes du réel va s'effectuer par l'intermédiaire de ce personnage dont la nature est d'être entre les deux mondes. Ce lecteur-poète-metteur en scène sait relier les signes de ce monde-ci à leur signification dans le monde supérieur. Il constitue la présence de Claudel sur scène, le poète-voyant à "la frontière entre les deux mondes". Car ce que va nous montrer Claudel, c'est le théâtre à l'état naissant, le processus même de l'écriture, surgissant devant les yeux des spectateurs. La confusion, les "erreurs" voulues du Soulier de satin, ou du Livre de Christophe Colomb, le théâtre dans le théâtre du Ravissement de Scapin ou de On répète Tête d'Or, ont pour but de nous faire assister à la naissance même du théâtre. Claudel met en scène l'écriture qui est la prophétie. Cette description qu'il fait du rêve me semble témoigner de ce qu'il voudrait obtenir sur scène, dans le Soulier de satin, par exemple :
"L'initiative vient de la scène, mais cette assistance, quel chœur elle fait ! Ne parlons pas de la critique impitoyable ! Ne parlons pas des deux metteurs en scène, l'un à droite, l'un à gauche, côté cour et côté jardin, qui expliquent au fur et à mesure aux interprètes qui ils sont et ce qu’ils ont à faire, parlons du piétinement enragé dans les coulisses de ces acteurs pressés de prendre leur rôle, parlons de ce hourra torrentiel qui peu à peu entraîne une action accélérée, créatrice de sa propre loi et de sa propre vraisemblance, l'expression nous jaillit littéralement sous les pieds ! Parlons de ce public en larmes qui réclame la conclusion avec une avidité de gouffre ! Ah ! Une seule voix ne suffisait pas au poète, il lui fallait ce groupe concertant sur la scène, il fallait à une multitude affamée derrière l'illusion quotidienne d'absolu et de vérité sur cet exhaussement de tréteaux cette espèce de sacrifice"4.
5Le théâtre s'improvise sous les yeux mêmes des spectateurs et le metteur en scène est à la fois poète, prophète et prêtre. Un peu clown aussi (on se souvient de l'Annoncier et de l'Explicateur). Exactement comme Claudel, lorsqu'il parle de théâtre, et qu’il utilise le ton cocasse d'une conférence-conversation5.
6Un clown-prophète, dans un espace qui est l'ensemble du monde, crée et explique à la fois un nouveau théâtre métaphysique.
LE CHATEAU MERVEILLEUX
"J’ai trouvé un château merveilleux tout près de Morestel pour y établir notre camp (...) Les musiciens sont en plein à leur travail"6.
7En même temps, mettre en scène, pour Claudel, c'est collaborer. Les visions du poète-metteur en scène ont besoin d'un groupe pour se manifester. Les discussions d'Hellerau, les dimanches de Petropolis et la collaboration autour des trois commandes d'Ida Rubinstein nous montrent un metteur en scène totalement en avance sur son temps, et sur notre temps. Le metteur en scène est un visionnaire, mais dans la pratique il a besoin de l'échange avec le musicien et le décorateur. C'était la méthode de Diaghilev mais c'était aussi la méthode de Victor Garcia, qui, dans les années 1960, était encore complètement novateur.
8De même que le prophète a parfois besoin, pour prophétiser, d'un instrument de musique qui le mettra dans l'état nécessaire, Claudel avait besoin pour rêver à la réalisation scénique de ses œuvres d'un groupe dont il est l'inspirateur et qui va, à son tour, l'inspirer. Ce "château merveilleux" où il voudrait inventer, avec Ida Rubinstein et Audrey Parr, un nouveau théâtre sacré, est le lieu d'une pratique collective de la mise en scène, dont les groupes "jouant à" du théâtre à l’état naissant, nous donnent l'image. Rares sont les artistes qui dialoguent, plus rares encore sont les œuvres qui dialoguent. Or, Claudel dialogue, à l'aide d'œuvres, avec Milhaud. Un rêve du dramaturge (la résurrection du théâtre grec) provoque une œuvre chez le musicien (Les Choéphores) qui à son tour provoque une nouvelle œuvre chez le dramaturge (L'Annonce faite à Marie traitée en drame musical). Et si l'on veut être fidèle à sa conception de la mise en scène, il faut recréer, quand on le joue, cette liberté totale d'invention, cette sensation de jaillissement, de création (c'est à dire de possession) collective sous les yeux des spectateurs.
L'ENSEMBLE DU MONDE OU LE POINT DE VUE DES ANGES
9Au décor étagé rêvé par Appia, Claudel va donner un sens métaphysique. Il veut donner à voir, dans ses rêves scéniques, l'ensemble du monde dans son étagement. L'expérience réalisée à Hellerau avec L'Annonce est, à cet égard, déterminante ; Claudel ne nous montrait pas les lieux évoqués par l'action de la pièce mais les trois niveaux spirituels du monde, Ciel, Terre, Enfer. L'Homme et son désir présentait aussi un monde étagé en quatre niveaux où s'effectuaient plusieurs mouvements, plusieurs aventures, simultanément. On l’a vu : l'étagement de l'espace et la simultanéité des actions donnent du monde une image multiple et permettent à Claudel de résoudre scéniquement le problème de l’absurde. Les actions des hommes sont solidaires. L'apparente absurdité du destin d'un individu particulier s'explique par la configuration générale, l'orchestration de l'ensemble. Le Chœur expliquait cette idée dans L'Ours et la lune (le malheur des enfants était nécessaire à Rhôdo et à l'Aviateur). Dans L'Homme et son désir, à l'étage supérieur, les Heures continuaient leur marche, plaçant le drame particulier dans un contexte plus général. C'est même là le sujet de ce petit drame plastique : l'homme vu dans une perspective cosmique, en même temps que les astres et les Heures. L'ambition du Soulier de satin est de nous montrer le monde entier, tous ses continents, toutes ses dimensions. L'histoire de Rodrigue et de Prouhèze trouve sa justification par rapport à celle de Dona Musique et du Vice-Roi de Naples. Et Claudel met le poème suivant en tête de l'édition anglaise de sa pièce :
"Tout le monde connaît dans les musées ces tableaux de peintres flamands
Où l’on voit quelque saint Evêque martyrisé à l'ombre d’un moulin à vent,
Ou ces histoires grandioses de l’Ancien et du Nouveau Testament
Et dans le fond une terre qu'on laboure, un austre avec son fagot
Un fauconnier à la chasse, une tour, un arbre, un bateau,
Un ange qui joue du violon dans le ciel, un autre qui tient une coupe,
Et toutes sortes de petites scènes drolatiques qu'il faut regarder à la loupe.
Chaque personnage de cette grande page peinte serait bien embarrassé de dire ce qu'il y fait
Mais l'enfant qui regarde tout ça d'un seul coup est profondément satisfait.
Le bonhomme que l'on martyrise et l’autre qui trace son sillon
Tout cela va très bien ensemble, je n'ai pas besoin d’explication"7.
10Ce que Claudel, montrant l'ensemble du monde, donne à voir au spectateur, c'est le point de vue des Anges. Car, si les actions des hommes sont données en spectacle aux hommes et aux Anges, les Anges les perçoivent toutes ensemble. Toutes ces actions créent ensemble un chœur, une musique. Et même lorsque l’espace semble représenter un lieu clos, défini, un cabaret, par exemple (Le Ravissement de Scapin) ou un camp de concentration (On répète Tête d'Or), le texte nous apprend bientôt que ces lieux clos symbolisent le monde, d'où la seule évasion possible est la transe. Vus d’en haut, les drames humains se ressemblent. Voici, comme dans Le Livre de Christophe Colomb ou Jeanne d'Arc au bûcher, au-delà du temps, l'histoire d'une libération.
11Souvent, un seul accessoire subsiste dans l'espace vide. Une table. Un bûcher. Un métronome. Une croix. Les objets, ainsi isolés de leur contexte, sont appréhendés dans leur signification profonde. La table devient la table du sacrifice, c'est-à-dire le lien intermédiaire où les objets matériels (les aliments) sont sanctifiés. L'âtre, le feu de l'Enfer. La porte, la porte du Paradis. Jusqu'aux dernières années, Claudel continuera à utiliser ces objets immenses, isolés dans le vide et dont l'isolement permet de lire le sens. Le bûcher de Jeanne d'Arc, auquel est appuyée une échelle, c’est un moyen d'atteindre le Ciel. Le poêle de On répète Tête d'Or, c'est le prophète, la liaison entre le Ciel et la Terre, "le père Abraham". Le métronome gigantesque de Au quatrième toc nous rend sensible la présence du destin et l'inexorable justice divine. Dans Le Chemin de Croix no 2, Claudel nous explique la Croix et tout le ballet s'organise autour de la création de cet accessoire. Et si le théâtre ne peut suffire à montrer "l'ensemble du monde", Claudel utilisera le cinéma. Il s'agit toujours d'un cinéma montrant l'imaginaire, d'une sorte de théâtre d'ombres utilisé parallèlement au théâtre. Dès Protée, le cinéma aide à montrer ce qu’il est difficile de montrer avec des corps (les métamorphoses de Protée, par exemple). Dans Le Livre de Christophe Colomb, La Sagesse ou L'Histoire de Tobie et Sara, le film projeté sur une partie du décor, ouvrira la fiction particulière sur l'ensemble du cosmos.
LE THÉÂTRE DES PROPHÈTES
12Il ne suffit pas de montrer le monde dans sa totalité. Il faut le lire. L'image du livre est essentielle dans les mises en scène rêvées par Claudel. Le livre timidement tenu par les choristes apparaît d’abord dans la mise en scène de L'Orestie. Puis, dans L'Homme et son désir, la scène est verticale "comme un livre qu'on lit"8. Les acteurs du Soulier de satin sont aperçus en train de consulter la brochure, où ils révisent leur rôle. Dans Le Livre de Christophe Colomb, la lecture du livre, énorme, au centre de l'espace, constitue la mise en scène elle-même et chaque tableau correspond à une page. De même, il y a aussi dans Jeanne d'Arc au bûcher, un livre que Jeanne d’Arc ne sait pas lire et que lui lira (en images, qui sont la pièce) Frère Dominique. Dans Le Ravissement de Scapin ou On répète Tête d'Or, le livre est devenu brochure que les acteurs consultent. Et dans toutes les expériences dramatiques, la lecture se substitue à la représentation. Le modèle est d'abord la messe, la cérémonie religieuse qui est lecture du Livre, solennellement posé sur l'estrade. Mais Claudel se souvient aussi du Livre de Mallarmé, source de la création poétique qui doit remplacer la cérémonie religieuse ainsi que du livre du Bunraku. Le monde est comme un livre. Comme un livre, la réalité est constituée de signes qu'il faut savoir déchiffrer. Qu'est-ce que lire ? C'est relier un signe inscrit dans un livre et une réalité, le mot fleur avec une vraie fleur. Au début de toutes les pièces de Claudel, le chaos règne. Peu à peu, Claudel nous apprend à lire tout ce qui se passe dans ce monde-ci afin de nous aider à comprendre l'Autre monde. Claudel metteur en scène est aussi exégète. Ses lectures sont particulièrement audacieuses. Dans l'aventure de Christophe Colomb, il lit l'appel de l'Au-delà. Dans Au quatrième toc..., les coups de l'horloge parlante symbolisent les coups de l'implacable justice9. Sa correspondance ou ses textes théoriques nous montrent l'audace de sa méthode appliquée à d'autres textes théâtraux. Lear, par exemple :
"Bon gré, mal gré, sur cette terre, tout vieillard, tout père, est une image de Dieu. Regardez celui-ci qui, comme dans la parabole vient de partager "sa substance" entre les siens (...) [Ses filles] déclarent solennellement qu'elles ne veulent plus de père. C'est l’avènement, la résurrection de cette humanité païenne que Saint Paul a caractérisée en deux mots : sans pacte, sans miséricorde. (...) Quelqu’un, la conscience sans doute, les regarde : on lui arrache les yeux. Et tout le reste du scénario ne montre que des parents en armes les uns contre les autres. C'est la réalisation de l'antique prophétie : "Ils dévoreront la chair de leur propre bras”. Et quant au Père, ce Père humilié, cette image défigurée du seul Père qui est au Ciel, le voici errant tout seul dans la nuit et le désert..."10.
13Dans La Faim de Knut Hamsun, il lit un autre drame :
"Vous ne m'en voudrez pas si je ne prends pas votre Faim à la manière de votre inspirateur norvégien dans le sens littéral. La meilleure preuve d'ailleurs, de mon point de vue, c'est que quand votre héros essaye de mordre dans ce pain matériel, son cœur se soulève et il ne peut l'avaler. C'est le drame du poète, de l'idéaliste (pardon pour ces mots que je n'aime pas) qui a le désir d'autre chose et qui ne trouve pas sa place dans le monde des satisfaits (...) Et je me rappelle la parole du prophète Amos : "J'enverrai aux hommes la faim, non point la faim de pain mais la faim de la parole de Dieu"11.
14Au fond, l’école de mise en scène de Claudel, c'est son activité exégétique qui l'habitue à s’interroger sur chaque image de la Bible pour en découvrir le sens. Tournant le dos à la représentation, l'écrivain, sous l'aspect de l'Explicateur, se lance, devant les spectateurs assemblés, dans une formidable explication du monde. Là encore, on peut établir un parallèle à la fois avec Artaud et Brecht. Chez Artaud, le théâtre ne doit pas être le double de la réalité mais le double du monde des principes :
"le théâtre (...) doit être considéré comme le Double non de cette réalité quotidienne et directe dont il s'est peu à peu réduit à n'être que l'inerte copie, aussi vaine qu'édulcorée, mais d’une autre réalité dangereuse et typique, où les Principes, comme les dauphins quand ils ont montré leur tête s'empressent de rentrer dans l'obscurité des eaux"12.
15Par ailleurs, ne pas vouloir montrer la réalité, mais la lire évoque Brecht. Chez Brecht aussi, divers procédés de distanciation sollicitent le spectateur, l’invitent à résoudre le problème posé, mettent en évidence les contradictions du monde. Les ressemblances restent assez extérieures. Brecht distancie la réalité pour rompre le charme, pour provoquer chez le spectateur une attitude réflexive, parce qu'il pense que le théâtre est le premier temps d’un processus dialectique où le public, à son tour, agira sur le problème qu’on lui montre. Pour Brecht, le réel doit toujours être montré comme modifiable. Le réel peut, doit être modifié et la distanciation consiste à substituer à la représentation un objet de réflexion dans le but de modifier une réalité imparfaite. Pour Claudel, le processus est exactement inverse. Claudel part d'une situation scandaleuse. Le chaos, mal pur, règne. Des prêtres lient Jeanne d'Arc, la Sainte, au bûcher. Tobie meurt de faim, comme Christophe Colomb, le réunisseur de terres qui agonise près du palais du roi très catholique. Invariablement, lorsque commence l'acte théâtral, le Mal est là. La Providence semble avoir failli. Tout le travail de Claudel est de montrer que tout est Bien, que la réalité est absolument parfaite. Lorsque, dans L'Ours et la lune, le Chœur récupère le diamant de l'Ours, le bien du pauvre prisonnier que le Capital avait subtilisé et que le Théâtre (la Lune) avait récupéré, il s’adresse au spectateur et lui démontre que ce n’est qu'apparemment que la Providence a failli. Le malheur est nécessaire. Il lie. Dans L'Ours et la lune, il permet à Rhôdo de se sacrifier, à l'aviateur sans jambes de se marier. De même, la souffrance permet à Rodrigue, à Christophe Colomb ou à Jeanne d'Arc de s'élever vers l'Autre monde. Au delà des différents destins, grâce à l'avalanche des coups du Mal, une âme, toujours, se libère. Ainsi, l'espace est toujours vertical, le lieu d'une ascension, d'un dialogue entre les mondes, l'Autre monde expliquant celui-là. Comme les prophètes bibliques, Claudel, dans les mises en scène qu'il projette, écarte le signe du signifié. Ezéchiel, voulant mimer la prise de Jérusalem se sert d’une brique autour de laquelle il effectuera les travaux d'approche. La poêle de fer dont il se masque est l'écran qui sépare Israël de la miséricorde divine. Jérémie, pour "mimer" (selon l'expression d'André Neher) le même spectacle, qu'il prophétise, utilise une cruche qu'il brise. Le mariage d’Osée avec une prostituée est un signe, lui aussi. Ce principe, qui est celui des grandes traditions de théâtre, Claudel l'applique dans tous ses textes. L'écart entre signe et signifié permet que s'élabore un théâtre de signes. Ainsi, Descartes (la philosophie) joue Scapin (la farce) comme, dans Les Bonnes, Claire (l'esclave) joue Madame (le maître). Les vieillards jouent les jeunes premiers, les gamins les vieillards ; Tête d'Or, le grand héros blond à la longue chevelure d'or est interprété par un tuberculeux au crâne rasé. L'arbre, c'est le tuyau de poêle du dortoir etc. Le théâtre se fait théâtre de signes, car le monde est lui aussi ensemble de signes. Face au théâtre de l'absurde, le théâtre de Claudel est le seul théâtre moderne à montrer scéniquement l'espoir. Le monde a un sens. Et Claudel va le montrer. Ses pièces seront des lectures, des explications du monde se terminant, non dans le désespoir, mais dans la louange.
LE DRAME MUSICAL CLAUDÉLIEN
16Dirigé par Bernard Dort, le numéro de 1965 de L'Arc, L'Opéra, c'est-à-dire le théâtre, marque l’entrée officielle de l'opéra dans l'ère de la mise en scène. Souvent, l’opéra ressemble à ce "concert en costumes" dont parle Claudel dans Le Drame et la musique. Il n’est pas rare de voir encore des spectacles d'opéras où seul est mentionné le nom du chef d'orchestre. Restes d'un passé défunt. L'opéra est redevenu ce que ses créateurs voulaient qu'il soit, un spectacle total. Et les plus grands metteurs en scène, Ronconi, Chéreau, Bergman, Brook, Vitez, Jonathan Miller etc. font de la mise en scène d’opéra un nouveau genre théâtral. Claudel, sur ce point encore une fois précurseur, s’est préoccupé tout au long de ses expériences dramatiques, de la création d'un nouveau drame musical. Pour lui, le théâtre ne peut être que musical et les spectacles musicaux doivent être du théâtre. Et il tente d'inventer une formule totalement nouvelle de théâtre musical.
17Là encore, il rêve la nouvelle œuvre jusque dans ses moindres détails. Des effets sonores qu'il envisage, il a une conception si nette, que la collaboration est, avec lui, difficile. Darius Milhaud, Maria Scibor, Arthur Honegger, Paul Collaer travaillaient avec lui note par note. Claudel leur dictait souvent morceau par morceau des effets musicaux, comme il dictait des décors et des costumes à Audrey Parr. Ce musicien (combien de fois a-t-il regretté de ne pas l'être vraiment !) refuse la solution de la musique de scène, petit numéro musical sans rapport réel avec l'action. Il refuse aussi la solution wagnérienne où la musique, dans la pratique, submerge tout. Alors ? Claudel propose une nouvelle formule théâtrale où se mêleraient comme dans la liturgie, les tragédies antiques ou le théâtre japonais, drame et musique. L'orchestre doit être sur scène, il est limité à quelques instruments, à la manière du théâtre chinois ou japonais. Cette révolution, Claudel n'a jamais pu la réaliser. Même dans L'Homme et son désir où l'orchestre devait être sur scène. Car sur les photos du spectacle, on voit de part et d'autre des grandes marches qui sont le décor, des silhouettes de musiciens découpées dans du carton. Et Darius Milhaud, Blaise Cendrars, Fernand Léger, préparant le ballet La Création du Monde se feront photographier, par jeu, près de ces silhouettes de musiciens découpées faisant partie du décor de L'Homme et son désir. Ces cartonnages sont signe que les vrais musiciens étaient restés dans la fosse d'orchestre. Le souhait du poète-metteur en scène a dû paraître totalement irréalisable au chef d'orchestre qui dirigeait la difficile partition de Darius Milhaud. Or, c'est la solution adoptée par Brook pour sa Tragédie de Carmen. En collaboration avec Marius Constant, Peter Brook a réduit l'orchestre de l'opéra de Bizet à une petite formation de huit musiciens qu'il a placée sur scène, derrière le spectacle, exactement comme le voulait Claudel. Cette réforme peut sembler accessoire. Elle est essentielle. Un chanteur qui doit lutter contre toutes les dizaines d’instruments de l'orchestre symphonique ne peut être un acteur. C'est avant tout un phénomène vocal. Brook met l'orchestre derrière les chanteurs. Il peut alors choisir des chanteurs-acteurs qui, délivrés du souci de se faire entendre, peuvent jouer. A cet égard, le texte Le Drame et la musique, qui repousse la solution du concert en costumes et réclame l'intervention du metteur en scène à l'opéra, est absolument prophétique.
18Mais Claudel va plus loin. Il voudrait réduire l'écart existant entre la parole (ou le chant) de l’acteur et l’orchestre. Et ce groupe musical sur scène pourrait aussi improviser, réagir librement, comme dans le théâtre japonais, à l'action de l'acteur. Claudel se réfère au théâtre japonais mais c'est à un théâtre musical de l'avenir qu'il rêve, un théâtre musical improvisé qui n'a pas encore été expérimenté :
"Le bruit, le rythme, le timbre d'une cymbale ou d'une cloche, n'ont pas avec la parole parlée un contraste aussi tranché que la musique qui appartient à une sphère différente. D’autre part, le maintien d'un orchestre moderne dont le chemin est implacablement tracé par de petits signes noirs et par des barres de mesure sur la portée rigide n'a pas la vie et la souplesse nécessaires. Dans le théâtre japonais, le musicien lui-même est un acteur. Il suit le drame de l'œil et le ponctue librement au moment voulu à l'aide de l'instrument, guitare quelconque ou lyre, si vous voulez, ou marteau, qu’on lui a mis dans la main, ou simplement de la voix car c'est là un élément magnifique du théâtre japonais dont je m'aperçois que j'ai oublié de vous parler. A côté de la voix articulée, il y a la voix inarticulée, le grognement, l'exclamation, le doute, la surprise, tous les sentiments humains exprimés par de simples intonations et confiés à ces témoins officiels là-bas, accroupis dans leur petite loge"13.
19La musique fait elle-même partie du drame. En partie improvisée, elle répond aux acteurs. Elle "écoute", jouant le rôle du chœur antique qui réagit aux péripéties du drame. Elle peut aussi être "parallèle" :
"Elle suit un chemin parallèle au nôtre. Elle vaque à ses propres affaires tandis que, l'oreille à son murmure chargé de souvenirs, de présages et de conseils, nous déchiffrons notre propre partition"14.
20L'exemple le plus convaincant de cette musique parallèle est la tempête de cris réalisée par Claudel et Paul Collaer pour accompagner les scènes de L'Otage. Musique parallèle (le vent qui souffle) qui donne la signification profonde du drame. Comme dans Lear, le "Père humilié" erre dans la tempête15.
CLAUDEL CHORÉGRAPHE
"Aucun n'a la moindre idée des ressources immenses et multiples d'expression que le corps humain, je dis le corps humain tout entier, depuis la tête et le visage jusqu'aux doigts de pied, recèle pour le drame. (Je dis pour le drame et non pour la beauté, car je suis de ceux qui croient que l'objet de l'art n'est pas la beauté mais l'expression des sentiments. La beauté est un sous-produit, on ne l'atteint que quand on n’y pense pas)"16.
21De même qu'il y avait un Claudel musicien, un Claudel peintre, on pourrait parler d'un Claudel mime ou chorégraphe. A une répétition du Soulier de satin, il indiquait lui-même le mouvement de la lune en tournant lentement, une main sur la tête, l’autre sur le ventre. Plus tard, à l’occasion des répétitions de L'Echange, il montera sur scène pour indiquer à Barrault le tremblement de genoux de Thomas Pollock en proie au désir. Très en avance sur son temps, il propose une formation de l’acteur qui soit basée sur l’expression corporelle. Avec L'Homme et son désir, La Parabole du Festin et Le Jet de Pierre, il a cru en un théâtre qui ne serait que mouvement, annonçant ce phénomène théâtral qui, aujourd'hui attire tous les nouveaux talents : le théâtre-mouvement. Depuis dix ans, le "nouveau théâtre français" n'est plus à chercher du côté des auteurs, ni des metteurs en scène qui ne font qu'affirmer leur style, mais du côté du "ballet-théâtre", de Philippe Decouflé, Maguy Marin, Dominique Bagouet, et, à l'étranger, de Bob Wilson ou de Pina Bausch. Ces spectacles ne sont pas de la danse et les amateurs de virtuosité chorégraphique sont souvent déçus. Il s'agit de théâtre sans paroles, de même que L'Homme et son désir est un drame plastique. Claudel portait un si vif intérêt au geste dramatique, mouvement individuel et collectif, qu’on peut, à partir des indications éparses dans les mimodrames, Le Jet de Pierre ou les textes théoriques, tenter de définir dans quelle direction va sa chorégraphie imaginaire, la manière dont elle s'épanouirait. Claudel chorégraphe prend un geste quotidien qu'il accentue, ralentit, isole ou répète jusqu'à le transformer en danse :
"Prenons, de tous les gestes, le plus simple et le plus commun, le plus banal, celui qui, dans les illustrations populaires, exprime le désespoir de la garde-barrière qui voit son enfant menacé par un train : le bras qui se rapproche du front. Aucun intérêt. Exécutez-le au contraire très lentement comme le ferait l'acteur du Nô et l'émotion est intense : c'est un poids que l'on soulève, c’est un texte fatal qu'on approche de ses yeux, c'est un miroir qu'on étudie, c'est l'être qui arrive peu à peu à la conscience de son identité, c'est l'âme qui regarde sa main et l'aveuglement momentané, celle-ci, qu'elle va nous apporter, c'est la destinée dont nous nous faisons solennellement application"17.
22C'est exactement le même procédé qu’appliquera Bob Wilson avec Le Regard du Sourd (1971). Claudel donne un sens à ce procédé formel. Au-delà de la signification familière du geste, que la lenteur ou la répétition, lui fait perdre, on voit apparaître une autre signification, dessin de l’Autre monde. Chaque geste a un sens métaphysique que l’habitude nous empêche de voir et que la lenteur, la répétition en établissant une certaine distance, vont mettre en valeur.
23Ainsi dans La Sagesse ou la Parabole du Festin, les servantes font le geste de "dérouler une bandelette ou un chemin”, évocation du mouvement spiralique sous le signe duquel est la pièce. La spirale, c'est l'Histoire humaine qui, du Paradis perdu, l'Eden, va au Paradis retrouvé, la Jérusalem céleste. Dans Le Jet de Pierre, les mouvements choisis par Claudel sont aussi des mouvements familiers, quotidiens que la lenteur va expliquer : la main gauche à la conquête de la main droite. Le réveil. L'image dans la source. La flèche. Le Jet de Pierre. La semeuse. Le signe de la Croix.
24Brecht, donnait, lui aussi, une grande importance au "gestus" social qu'il s'agissait de faire découvrir au spectateur. Mais si Brecht distancie le geste, c'est pour en faire comprendre la signification sociale. Claudel, lui aussi, par la lenteur et la répétition, distancie le geste mais cela pour évoquer cet au-delà du monde dont Artaud voulait que le théâtre soit le double. On sait le dégoût d'Artaud (identique à celui de Claudel, et formulé presque dans les mêmes termes) pour la gesticulation pléonastique du comédien de théâtre, son admiration pour la chorégraphie symbolique du théâtre balinais.
25Les parallèles constants qu'il est possible d'effectuer sans cesse entre, Brecht, Artaud et Claudel, trois pensées venues d'horizons si divers (le communisme, le surréalisme et la pensée religieuse) peuvent s'expliquer par l'identité des sources, par la commune fascination pour les formes théâtrales d'Extrême-Orient. Et surtout, Claudel, Brecht et Artaud ont à se battre contre un même ennemi. Chacun des trois créateurs, pour des raisons différentes, s’oppose à un système théâtral basé sur le principe de la représentation. Si "le pétrole, l’inflation, la guerre, les luttes sociales, la famille, la religion, le blé, le commerce des bêtes de boucherie"18 peuvent devenir des sujets de théâtre, si, ailleurs, le théâtre doit devenir le double du monde des principes, le rapport de l'homme au monde ne peut plus être exprimé dans la forme de Scribe et de Porto-Riche. La représentation passive du monde, chacun d'eux, Claudel, Brecht et Artaud, s'y oppose. Pour Brecht, l'apparence du monde est illusoire. La classe dirigeante organise toutes sortes de trompe-l'œil sociaux, pour que se perpétue son règne. Le système brechtien sera pédagogie du regard. L'apparence va être présentée de manière inhabituelle. A l'enregistrement passif de l'information se substituera la réflexion. Ainsi pourront apparaître la structure du monde économique et ses contradictions. Pour Artaud, le problème consiste également à rejeter une représentation illusoire du monde qui masque celui, véritable, essentiel, des Principes. Mais comment faire apparaître cet Autre monde ? Comment inventer une nouvelle chorégraphie sacrée ? Claudel va au-delà du rêve. Il propose une hypothèse de travail que son travail avec Aliki Weiller, pendant la préparation du Festin de la Sagesse et de Jeanne au bûcher tente de confirmer. Les gestes familiers signifient. Il faut apprendre à les lire. La chorégraphie claudélienne sera lecture d'un geste dont apparaît alors la transcendante réalité.
LE CHŒUR
26Il y a une permanence remarquable dans la façon dont Claudel, dans ses écrits théoriques, définit le chœur. Trois ouvrages (au moins) l'ont aidé à former son opinion : Les Deux masques où se déchaînent les satyres du dithyrambe ; l'ouvrage dont il parle à Dohrn, où étaient mentionnées les théories de Dorpfeld et l'Histoire du Bréviaire romain de Battifol, dont il recopie un long passage dans son Journal19. Claudel assimile le chœur au public. C'est le spectateur idéal.
"Je définis le Chœur cette assistance multiple de personnages sans traits par qui l’Acteur principal du Drame est entouré, chargée de fournir une réponse et une résonance à chacun des mouvements de sa passion, à quoi il s'appuie et se réfère en tant que témoins officiels et porte-parole délégués par le public, dans un déguisement approprié à la fiction.
Cette conception rapproche beaucoup le Chœur antique de celui de notre liturgie, suivant que l'on en voit encore l'installation dans les vieilles églises de Rome. Entre l'officiant et le groupe chargé de représenter les fidèles avait lieu ce dialogue dont l'Antique Introït du Premier Dimanche de l'Avent nous donne un exemple"20.
27Quelques années auparavant, dans L'Ours et la Lune, Claudel a donné une autre définition du chœur21 mais il désigne alors le chœur comique, personnage unique s’adressant directement au public. Pour Claudel, le chœur du Nô, par le cri, le grognement, une musique faite de percussions et d'exclamations dans laquelle Claudel voit la vraie musique dramatique, lui aussi, exprime l'émotion du public. Le chœur (comme la musique dont rêve Claudel) est également écho, murmure, rêve parallèle à l’action. Ces rôles d'écho et de public se trouvent réunis dans la définition qu'il donne à propos du Livre de Christophe Colomb puis de La Sagesse ou la Parabole du Festin.
"Tout cela ne se passe pas dans le vide. Toute voix, toute parole, toute réaction, tout événement détermine un écho, une réponse. Elle provoque et propage cette espèce de rugissement collectif et anonyme comme la mer des générations l’une derrière l'autre qui regardent et écoutent.
C'est là ce que j'appelle le Chœur. Ce n'est plus le Chœur du drame antique, cette troupe de commentateurs et de conseillers bénévoles que tout protagoniste un peu expressif n'a jamais eu aucune peine à recruter sur les quais de la Méditerranée. Ou plutôt, c’est ce même Chœur, tel que l'Eglise après le triomphe du christianisme l'invite à pénétrer dans l'édifice sacré et à se faire intermédiaire entre le prêtre et le peuple, l'un officiant et l'autre officiel. Entre la foule muette et le drame qui se développe à la scène et si je peux dire, à l'autel, il y avait besoin d'un truchement officiellement constitué"22.
28Les définitions sont multiples. Elles ne se contredisent pas. Et ce que dit Claudel du chœur en 1951 est tout à fait semblable à ce qui avait été formulé trente-et-un ans plus tôt23. Le chœur est à la fois public et écho. Comparons ces définitions avec la manière dont Claudel se sert de la forme chorale.
Le "décor vivant"
29En 1913, Claudel l'écrivait à Dohrn : la masse du chœur constitue un "décor vivant". Dès Les Choéphores, il réduit souvent les choristes à l'immobilité la plus absolue :
"D'autre part, les choristes ayant surtout à parler et à chanter, il était impossible de leur demander, en plus, des exercices de gymnastique d'ensemble et d'écœurants groupes plastiques. (...) Elles tiendront un papier à la main sur lequel sera écrit leur rôle et elles seront priées d'en détacher les yeux le moins possible"24.
30De même, la fonction plastique des choristes de L'Histoire de Tobie et de Sara, rangés en deux bandes de chaque côté de l'Explicateur, se réduit à leur seule présence. Au mot "chœur" s'attachent tant de grotesques conventions (l'amphore sur l'épaule, "l'intérêt" pris à l’action par les "compagnes") que Claudel préférait encore une sobre immobilité. Et qu'aurait-il pu indiquer de bien neuf, muni de sa seule plume ?
Participation du public
31L'admiration de Claudel pour la salle d'Hellerau où public et rythmiciens étaient mêlés dans le même espace, ses analyses du théâtre chinois et de son espace scénique où le drame semble palpiter au sein même du public qui le circonscrit, le montrent ouvert à une fusion entre le public et le phénomène théâtral. La substitution au spectacle d'un acte où le public participera se trouve déjà chez Mallarmé (dans le projet de la promenade-spectacle et dans celui du Livre). Claudel, lorsqu'il rêve de monter Les Euménides au Théâtre d'Orange, voulait que le public joue le rôle du peuple athénien. Et dans Le Soulier de satin, il se sert de la salle à l’italienne comme d'un salon, où les spectateurs pourront être pris à partie par l'Annoncier ou l'irrépressible. Lorsque l'Explicateur et ses multiples avatars s'adressent directement au public, à la manière du Chœur shakespearien (ou du chœur comique grec), le spectateur n'est plus ce seul regard que berce une représentation illusoire. Puisqu'on lui parle, il pourrait répondre et ainsi participer au spectacle ? Ainsi, dans L'Ours et la Lune, le chœur interrompt la représentation et demande au prisonnier du premier niveau de théâtre de décider de l'issue de la représentation. C’est presque du théâtre aléatoire. Dans Le Soulier de satin, l'Annoncier et l'irrépressible s'adressent aux spectateurs, leur demandent de ne pas tousser, excusent la fin brutale par les exigences du métro etc. Dans Le Livre de Christophe Colomb, les réactions des choristes expriment ce que pourrait penser une fraction traditionnelle du public regrettant la formule de l'opéra :
"Un petit ballet n'aurait fait de mal à personne. Je trouve que ça manque un peu de femmes jusqu'à présent, voilà mon opinion si vous voulez le savoir"25.
32D'ailleurs, écrivant de nouveau la scène pour la radio, Claudel remplace la révolte des choristes par l'irruption d'un auditeur mécontent souhaitant s'entretenir avec Jean-Louis Barrault. Et dans les derniers schémas dramatiques, ceux du "théâtre à l'état naissant", le groupe des buveurs anonymes du Ravissement de Scapin ou les prisonniers de On répète Tête d'Or, créent le spectacle. C'est comme si le public lui-même faisait la pièce, mettait en scène, habillait, soufflait. Vieux rêve d'un théâtre collectif qui est le point ultime des conceptions d'Appia :
"Pas de scène, pas d'amphitéâtre, seule une salle nue et vide et qui attend... Partout, des dégagements pour entreposer les praticables ; une installation complète d'éclairage. Voilà pour le côté inanimé. De l'autre, des acteurs, des chanteurs, des danseurs, des rythmiciens, des musiciens et des artistes, tous de bonne volonté et offrant leurs talents à l'œuvre nouvelle sans porter préjudice à leurs devoirs professionnels, et se réunissant selon les besoins de la cause pour diriger, suggérer, ou exécuter selon les facultés de chacun. Lorsque nous nous sentirons assez forts pour une démonstration convaincante, il sera facile d'installer des gradins de fortune pour un public curieux de s’instruire ; et ce public se trouvera tout naturellement porté à collaborer de ses conseils et de ses bons services. Peu à peu, nous arriverons à concevoir avec lui sans doute des spectacles nouveaux qui s'enchaînent et à étendre ou restreindre momentanément l'importance ou l'état de tel moyen d'expression en faveur de tel autre, et ce terrain d'expression deviendra comme la pépinière d'un art dramatique dont aucune convention injustifiée ne viendra plus entraver le développement. Et l'on peut parfaitement prévoir des spectacles où le public prendra sa part, soit en musique, soit en action ; et devant lesquels ne resteront inactifs et muets que ceux que l'âge ou les infirmités retiendront sur leur siège de spectateur. L'art, alors, vivra parmi nous"26.
33Le public devient, comme Claudel l’écrivait à propos des Euménides, "un des éléments de la session grandiose"27. Comme chez Artaud, le spectacle devient un acte, une opération ayant une action effective sur le spectateur28.
La distanciation
34Dans sa préface à La Fiancée de Messine, Schiller voit dans le chœur une muraille dont la tragédie s'entoure pour s’isoler du monde réel et préserver par là sa liberté poétique :
"Tandis que le jour même, au théâtre, est artificiel, que l'architecture y est seulement symbolique et que le vers prête au langage un caractère idéal, on ne cesse de commettre l'erreur (...) de tolérer comme une licence poétique ce qui constitue en fait l'essence de la poésie. L'introduction du chœur serait dès lors le moyen le plus décisif de déclarer ouvertement et loyalement la guerre à toute forme de naturalisme"29.
35L'emploi du chœur permet à Claudel de s'éloigner de la représentation de la réalité. Dans Le Soulier de satin, la présence de l'Annoncier, des machinistes, des changements à vue distancie l'illusion, comme le fait Brecht à la même époque, avec d'autres moyens. Dans le drame musical claudélien, l'Explicateur, l’emploi du cinéma, des retours en arrière, aboutissent aux mêmes résultats. Et si la dernière période de la création semble plus proche de la réalité (le cabaret, le camp de prisonniers) le cadre réaliste n’est là que pour fournir un premier niveau de théâtre où s'effectue un jeu dans le jeu qui radicalise l'apparence. Sous l'anecdote, le chœur ou le groupe mettent en valeur la signification, l'histoire d'une âme qui, sous les coups apparemment scandaleux du malheur, se libère ; l’histoire du monde aussi, du chaos à l'apothéose.
L'union du drame et de la musique
36Cette explication mystique ne peut être menée froidement. Emotion, lyrisme, envoûtement, ces termes ne sont pas comme chez Brecht des éléments parasites qui empêchent la compréhension. La musique, chez Brecht, est anti-illusioniste. Le "song" est souvent le regard extérieur porté par l’acteur sur son propre personnage. Chez Claudel, le chant du chœur va montrer l’apothéose de l'âme et tous les drames se terminent par le déferlement de la musique. Image des chœurs célestes dans le monde à venir, le chœur n'explique que pour chanter.
37Claudel a inventé une nouvelle formule théâtrale où se mêlent drame et musique, comme dans les tragédies antiques, la liturgie et le théâtre japonais. Le chœur rend possible cette union. Il réalise avec le chœur des voix le programme fixé à la musique, qu'il n'avait pu obtenir avec les instruments. Idéalement, l’orchestre devrait se tenir sur scène. Dans la pratique, c'est sur scène que le chœur se tient. La musique devrait utiliser toutes les échelles du son : le chœur gémit, grogne, chante, parle, crie. La musique, conçue comme un personnage aux multiples bouches, devrait parfois aussi "vaquer à ses propres affaires", n’être plus partenaire mais expression "parallèle" du temps qui coule. Le chœur est lui aussi "parallèle". Par une citation liturgique ou une manifestation sans rapport direct avec la trame narrative, il donne à la parabole sa signification métaphysique. A la limite, Claudel, comme Grotowski, n'a pas besoin d'orchestre pour réaliser son drame musical. Le chœur réalise sur scène la présence de la musique.
38Surtout, il permet de résoudre le problème de l'union du drame et de la musique. Le problème de l'union du drame et de la musique se pose à la fois et au niveau de l'interaction des différents facteurs de la représentation et à celui de l’interprétation personnelle ou collective. Comment ressusciter le "paracatalogué", définir un ton qui soit intermédiaire entre le parlé et le chanté ? Grâce au chœur, Claudel et Milhaud fournissent des solutions plus convaincantes que la "mélodie continue" de Wagner. Présages, Incantations des Choéphores, ou la Tempête de L'Otage réalisée avec les Chœurs Renaudins, ces expériences de parlé-rythmé dont la musicalité ne nuit en aucune façon à la compréhension du texte, indiquent ce que pourrait être un drame lyrique où s’uniraient de façon nouvelle le drame et la musique30. Chantant et parlant à la fois, criant, gémissant, le chœur crée tout seul le drame musical. Plus besoin d'orchestre ! Grâce à lui, Claudel reconquiert le statut du dramaturge-compositeur grec auquel il n'a jamais cessé d'aspirer.
Du personnage au chœur
39Mallarmé admirait Hamlet de Shakespeare car la pièce lui semblait ne pas comporter de personnages :
"La pièce, un point culminant du théâtre est, dans l'œuvre de Shakespeare, transitoire entre la vieille action multiple et le Monologue ou drame avec Soi, futur. Le héros, —tous comparses, il se promène, pas plus, lisant au livre de lui-même, haut et vivant Signe ; nie du regard les autres"31.
40Mallarmé voudra substituer à la représentation, la lecture d'un Livre poétique, un acte, une liturgie athée destinée à remplacer les religions existantes. De même, la structure que met au point Claudel se dirige vers une telle abolition du personnage. De 1886 à 1954, si l’on met à part les grandes pièces symbolistes (celles qui ont fait la gloire de Claudel), le chœur joue tous les rôles et le protagoniste n'émerge de la masse chorale que pour mettre en évidence l'universalité de son cri. L'emploi du chœur viserait peut-être à un théâtre sans personnage ?
41Quoi ! Pas de personnage chez Claudel ! Prouhèze ! Mesa ! Rodrigue ! Chers sur-personnages ! Or, ces héros, ces êtres d’exception sont toujours présentés de telle sorte qu’apparaisse leur universalité32. Dans Le Ravissement de Scapin ou On répète Tête d'Or, les buveurs, les prisonniers sont anonymes, et les protagonistes, Descartes ou Simon, ont un visage équivalant à une absence de visage. Christophe Colomb, Tobie, Jeanne d'Arc, c’est de l'humanité qu'il s'agit, de l'homme en général dans son rapport avec l'Autre monde. Tout se résout à l'ultime apparition du théâtre claudélien, à ce masque neutre du Chemin de Croix no 2 : l'Homme.
42Ainsi, bien que Claudel, dans ces définitions qu'il donne du chœur, se rapproche d'Aristote ou de Schlegel (le chœur est à la fois représentant du peuple et spectateur idéal), dans la pratique, c'est une conception nietzschéenne qu'il applique. Le chœur, c’est ce groupe antérieur au personnage, se déchaînant en proie à une possession sacrée.
Bacchus Baptisé
43La première et la dernière pièce de Claudel nous montrent le spectacle d’un délire bachique. Dans L'Endormie, des satyres adeptes de Bacchus chantent et dansent la nuit. Dans Le Ravissement de Scapin, apparaissent des "adeptes de Bacchus", simples ivrognes à qui le surplus d’alcool donne des ailes. Le Soulier de satin se déroule un après-midi de Mardi-Gras. Et cette ambiance carnavalesque ressuscite les antiques cérémonies dionysiaques. Qu'est-ce qui attire Claudel dans cette image du délire bachique, du dithyrambe sans personnage où un groupe se déchaîne ? Cet "enthousiasme" dont il parle si souvent, il faut le prendre au sens propre : "l'unique devoir de la vie qui est de danser" écrit-il dans Une visite à Bâle33.
44Bacchus qui se déchaîne, transes de Tête d'Or, bouillonnement du personnel technique et dramatique du Soulier, "enthousiasme" des choristes du Christophe Colomb. Le groupe semble toujours emporté. Le théâtre devient évocation d'une possession sacrée.
45Ce déferlement aboutit d’ailleurs presque toujours à un chœur extatique. Les apothéoses finales des structures dramatiques claudéliennes offrent l'image d'un chœur paradisiaque. Tout commence par le chaos (La Ville, Jeanne d'Arc au bûcher, Tobie et Sara, La Sagesse). Et la tempête (celle du Livre de Christophe Colomb, celle de L'Otage) me semble être l'effet scénique autour duquel tout tourne. Claudel met en scène le chaos et le transforme peu à peu en chant. Tout se termine par l'image de l'humanité dans les temps futurs, chantant comme dans les descriptions de Jean de Ruysbroek, en chœur (chœurs toujours improvisés, renouvelés, dit la tradition juive chez qui les anges sont en quête perpétuelle de nouveaux thèmes de chant) autour du Créateur suprême.
46Claudel substitue à la représentation une cérémonie collective, un acte libéré, une lecture criée, dansée, aboutissant à un chant d'extase. Au bout de l’Histoire, l'humanité et toutes ses voix s'unissent dans la louange.
47Le chœur est donc au centre de l’univers théâtral claudélien et son emploi solidaire de ses tentatives les plus intéressantes : participation du public, "éloignement" de la représentation, invention d’une nouvelle musicalité, abolition du personnage et substitution d’un acte (la lecture du monde) à la représentation.
48Ces rêves déterminent le rôle de tous les facteurs de la représentation théâtrale. Ainsi, le décor sera en général non-représentatif, vertical et semblable à une page, puisqu'il est le lieu de l'interaction des différents étages du monde. Les costumes refuseront la "précision, le pittoresque et l'archéologie". Ils seront symboliques, rituels ou bien absents comme les costumes de travail de L'Homme et son désir. Le jeu de l'acteur sera éclaté et l’utilisation libre des possibilités de la voix et du corps conduiront à une musicalité nouvelle. Les préoccupations de Claudel, à tous les niveaux, reflètent celles des grands praticiens de son temps et ne sont pas encore dépassées.
49Et puis Claudel a une vision fondamentalement moderne des rapports existant entre l'image scénique et le texte. Il est, dans son bureau, un "metteur en scène" au sens contemporain. Aujourd'hui, le metteur en scène n'est plus l'humble adaptateur du texte aux contingences de la représentation. Il la régit. Sa volonté prime celle de l'auteur comme celle du metteur en scène de cinéma prime celle du scénariste. Le théâtre est devenu image.
50Claudel, en tant que metteur en scène-artisan, adaptateur de son texte à la réalité du plateau, n’était peut-être pas très efficace. Les acteurs de L'Annonce de 1912 n’ont pas compris grand-chose à ce qu'il demandait. Copeau rejette sur sa présence la responsabilité de l'échec de L'Echange. A Hellerau, sa mise en scène est un "four noir" si on en croit Appia. A Tokyo, ses exigences (scène verticale, etc.) déconcertent. Au théâtre Marigny, son ultime vision du théâtre trouble ses interprètes. Car pour Claudel, le texte est toujours au service d'une vision scénique seule importante. Ces "tripatouillages" que lui reproche Barrault, ce sont ceux que l’on reproche aujourd'hui aux metteurs en scène d'avant-garde soucieux de plier le texte à leur propre création. Ce qui prime chez Claudel, ce n'est pas le verbe, comme on pourrait le croire, c'est une image scénique, un geste, une idée de décor, une nouvelle formule musicale. Presque toujours les créations claudéliennes sont suscitées par des idées de spectacles34.
51Or, ce metteur en scène est resté un créateur malheureux. Il a une vision globale de la représentation mais cette vision reste prisonnière d’indications scéniques dont les metteurs en scène n'ont que faire. Paradoxalement, cet auteur dramatique génial doublé d'un penseur du théâtre dont les conceptions supportent la comparaison avec celles des plus grands théoriciens du XXème siècle, me semble symboliser la déchéance du dramaturge. Cette tentative de mise en scène sur papier est à la fois admirable et dérisoire. Claudel veut régir la représentation et ne parvient pas à collaborer avec la plupart de ses metteurs en scène. Or, si on repousse ses idées, c'est qu'elles sont trop en avance sur leur époque. A l'ombre du poète triomphant, se cache un metteur en scène génial et obscur.
52Ainsi, à l'inverse de l'image d'un dramaturge conservateur, champion du texte, et drapeau de l'arrière-garde théâtrale, d'un Turelure qui vole de triomphe en triomphe, Claudel metteur en scène ne se laisse jamais abattre par les échecs, même les plus décevants, que rencontrent ses tentatives. Echec de L'Homme et son désir, théâtre-mouvement. Echec du drame musical que le théâtre japonais lui a permis de mettre définitivement au point. Echec enfin de l'ultime schéma dramatique, auquel le génial vieillard n'a pas la force de donner une forme définitive. Ces échecs sont glorieux. Ce sont ceux des grands rêveurs du théâtre, d'Appia, de Craig, d'Artaud, réduits à n'être que des théoriciens dévorés par le désir de faire et se jetant, avides, sur l'écriture. Inventeur d'un nouveau drame sacré qu'il n'a jamais pu réaliser, Claudel était de la race de ces grands visionnaires désespérés.
Notes de bas de page
1 Jacques Petit, Préface à Mes idées sur le théâtre, op. cit., p. 11.
2 Oeuvres en prose, op. cit., p. 54.
3 Ibidem, p. 284.
4 Ibidem, p. 53.
5 Le seul texte théorique "sérieux" qu'il ait jamais écrit sur le théâtre, L'Annonce faite à Marie au Théâtre d'Hellerau, il ne l’a pas signé.
6 Lettre de Claudel à Audrey Parr du 6 août 1935, Cahiers Paul Claudel XIII, op. cit., p. 332.
7 Théâtre II, op. cit., p. 1472.
8 Théâtre II, op. cit., p. 1464.
9 Parfois la lecture n'est pas immédiate. Il lui faut plusieurs pièces, plusieurs utilisations de la même image pour qu'il parvienne à comprendre pourquoi cette image le fascine. Le défilé de nourriture, par exemple. Dans Les Choéphores, il veut introduire un défilé de plats cuisinés. Il rejette cette idée "pittoresque de mauvais aloi". L'image réapparaît quelques années plus tard dans le finale de la première journée du Soulier de satin, où le défilé de poissons, de viandes etc. est le symbole de la vie terrestre qu'abandonne Don Balthazar qui meurt le visage dans les fruits. Ce n’est que dans La Parabole du Festin et La Sagesse que le défilé de nourriture, encore une fois employé, devient le double du festin spirituel.
10 Œuvres en prose, op. cit., p. 437.
11 Lettre de Paul Claudel à Jean-Louis Barrault du 25 avril 1939, Cahiers Paul Claudel X, op. cit., pp. 75-76.
12 Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, Gallimard, Paris, 1964, pp. 73-74.
13 Œuvres en prose, op. cit., p. 149.
14 Ibidem, p. 150.
15 "Et quant au Père, ce Père humilié, cette image défigurée du seul Père, qui est au Ciel, le voici errant tout seul dans la nuit et le désert..." (Le Roi Lear, Œuvres en prose, op. cit., p. 437)
16 Théâtre II, op. cit., p. 1508-1509.
17 Ibidem, p. 1509.
18 Bertold Brecht, "Théâtre récréatif ou théâtre didactique" dans Ecrits sur le théâtre, L'Arche, Paris, 1963, p. 113.
19 Journal, tome I, op. cit., p. 197-198.
20 Théâtre I, op. cit., p. 1320.
21 "Je suis le Chœur. C’est moi qui suis chargé d'escorter cette pièce intéressante et de veiller à ce qu’elle aille jusqu’au bout, et de donner un petit coup de main de temps en temps. Comme un pauvre homme qui suit à pied son petit bien que des déménageurs suspects traînent pour lui dans une charrette à bras." (Théâtre II, op. cit., p. 605-606).
22 Œuvres en prose, op. cit., p. 154.
23 "J’ai toujours été attiré par cette forme primitive du drame, appelée le dithyrambe, dont Les Suppliantes d’Eschyle, demeurent le seul exemple subsistant. Un personnage unique, je veux dire seul doué de visage, parle au milieu d'un demi-cercle de voix qui, de par l'assistance qu'elles constituent, l'invitent, le contraignent à l'expression. Tout poëte a connu cet horizon auditif, ce bruit confus de propositions entremêlées d'avance, génératrices de l'expression et proposées à l'écho. Le Chœur grec lui a donné plus tard une forme en quelque sorte liturgique et officielle qui se perpétue dans nos églises." (Théâtre II, op. cit., p. 1530).
24 Théâtre I, op. cit., pp. 1320-1321.
25 Théâtre II, op. cit., p. 1167.
26 Adolphe Appia, "Art vivant ou nature morte ? (1921), Œuvres Complètes, l'Age d'Homme, Lausanne, 1991, tome IV, PP. 67-68.
On remarquera que pour Appia, les acteurs, les danseurs qui proposent le spectacle sont amateurs ("sans porter préjudice à leurs devoirs professionnels"). Même intérêt chez Claudel pour le théâtre de patronage, le théâtre amateur où la participation du public est plus grande.
27 Œuvres en prose, op. cit., p. 421.
28 Cette volonté de faire participer le public au spectacle me semble caractériser les expériences les plus novatrices du XXème siècle. Dans Paradise now, les acteurs se mêlent aux spectateurs. Grotowski, dans le projet du "Holiday", abandonne l'idée d'un théâtre qui se voudrait pur objet esthétique, montré à des regards agressés, mais passifs.
29 Schiller, cité par Nietzsche dans La naissance de la tragédie, Denoel, Paris, 1964, p. 49.
30 Il faut avoir entendu Eve Francis réciter La Vierge à Midi pour comprendre à quel point Claudel désirait que la musique imprègne même ce qu'il n’avait pas écrit pour être chanté. Eve Francis, l'interprète favorite de Claudel, chantait les poèmes dont chacune des consonnes devenait un minuscule opéra.
31 Mallarmé, Œuvres Complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1945, p. 1564.
32 De même les personnages (apparemment très typés) du Balcon, se résolvent à une absence de personnages. Irma, comme Georges, comme Carmen, sont des facettes de Genet en tant qu'auteur, créateur.
33 Œuvres en prose, op. cit., p. 942.
34 Chez Claudel, une idée de mise en scène jaillie à l'occasion de la réalisation d'une pièce provoque l'écriture d'un nouveau texte. Seul le rêve scénique permet de comprendre la genèse du texte théâtral.
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