Chapitre V. La tétralogie du Mal
p. 191-255
Texte intégral
1C'est une scène qui n'a probablement pas eu lieu que je voudrais évoquer ici. En 1935, Claudel, presque quotidiennement, nous apprend le Journal, rencontre ses deux collaboratrices, Audrey Parr et Ida Rubinstein pour les préparatifs du spectacle qu'ils doivent créer ensemble à l'Opéra de Paris. Lorsqu'il rêvait de la mise en scène de ses œuvres, Claudel partait souvent à la recherche d'idées dans des musées, ou même, dans des dictionnaires (à Brangues, pour Le Soulier de satin). L'idée aurait pu venir de lui, d'Ida Rubinstein, ou de Margotine. Aller voir, pour mieux se pénétrer du personnage, La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer, sortie sur les écrans en 1928 et immédiatement saluée comme un chef-d'œuvre. Imaginer le poète-ambassadeur, la danseuse milliardaire et l'étrange personnage qu'était Margotine regarder ensemble le film de Dreyer me semble déjà intéressant en ce que ce spectacle fictif mais tout à fait vraisemblable corrige l'image d'un Claudel qui ne se préoccupe, au théâtre, que du texte. Mais je ne m'arrêterai pas là. Sur l'écran, Falconetti, et cet autre poète, Artaud. Or, Artaud serait aussi dans la salle. La même année, il prépare lui aussi un grand spectacle de théâtre sacré, Les Cenci, qui va être présenté aux Folies-Wagram. Pendant les répétitions, il serait venu montrer à Iya Abdy, l'actrice principale et la commanditaire du spectacle, comment la souffrance peut illuminer un visage. Iya, Ida : ce ne sont pas seulement les prénoms qui se ressemblent, c'est le personnage. Toutes deux commanditent des spectacles à la condition d'en jouer le rôle principal. Toutes deux ont choisi un dramaturge qui se chargera de la mise en scène d'un spectacle qui est aussi le manifeste d'une nouvelle sorte de théâtre. Toutes deux ont avec leur poète-metteur en scène des rapports souvent difficiles. Evidemment, l'ambassadeur et le poète surréaliste ne se sont jamais parlé. La rencontre aurait-elle eu lieu, Artaud et Claudel se seraient sans doute tourné le dos.
2Supposons qu'ils ne l'aient pas fait et qu'ils aient évoqué les spectacles que par une curieuse coïncidence, ils préparaient tous deux, presqu'en même temps, aidés par la fortune d’actrices aux noms si semblables, ils auraient été surpris de constater à quel point leurs rêves étaient identiques.
3Claudel et Artaud ont tous deux les mêmes haines : le théâtre psychologique, le théâtre qui imite le quotidien, la virtuosité. Les modèles, surtout, sont les mêmes : le théâtre grec vu comme une cérémonie, une transe mystique, le théâtre de l’Extrême-Orient. Rien d'étonnant, donc, que sur tous les points de détail, leurs conceptions soient identiques : l'absence de décor, les accessoires agrandis, le costume symbolique, la présence de la musique sur la scène même, le rôle du geste qui est un langage, la conception musicale du jeu de l'acteur, l'emploi de tous les niveaux de la voix. Pour Artaud comme pour Claudel, le monde est double. Et le théâtre doit, non pas refléter les reflets quotidiens mais le monde des Principes, l'Essence. Chacun d'eux a, de ce nouveau système de théâtre sacré, une vision précise. Claudel l'a exposée dans des conférences (Le Drame et la Musique), des articles (Un Essai d'adaptation du Nô japonais), des interviews ; Artaud dans des textes-poèmes ou des manifestes. Pour les deux théoriciens, les spectacles qu'ils préparent sont d'ordre expérimental. Ils veulent appliquer le résultat de leurs recherches, de leurs théories. Et ils ne le peuvent qu'en se pliant aux désirs d'une artiste-mécène. Or, celle-ci n'accepte de financer l'expérience qu’à la condition d'en être le centre, ce dont ils ne sont pas toujours satisfaits.
4Le plus étonnant, c'est que ces deux spectacles, voulant mettre en œuvre le même genre de théâtre sacré, ont aussi le même thème. Il s'agit, dans Les Cenci, dans La Sagesse ou Jeanne d'Arc au bûcher, de la glorification du Mal. Mais là commencent les différences essentielles.
5Artaud voit dans le Mal une source de théâtralité pure. C'est pourquoi, pour l'application de son manifeste, il va chercher dans l'Histoire les scènes les plus atroces et dans Les Cenci les situations les plus révoltantes. Le monde est mauvais. L'Eglise, le Pape, dont le rôle devrait être de lutter contre le Mal, en sont au contraire la source principale. Par une sorte de prodigieuse coïncidence, la même année, Claudel rêve aussi de faire concrètement déferler le Mal sur la scène de l'Opéra. Aux tortures imaginées par Artaud fait écho l'image des boiteux, des pestiférés, des infirmes de La Sagesse. A la tempête shakespearienne des Cenci (foudres, tonnerre), la nuit du meurtre, correspond le déferlement inouï du Mal dans la scène du fouet de La Sagesse, aux souffrances d'Iya torturée sur la roue celle d'Ida attachée au bûcher. Toutes deux se sont héroïquement sacrifiées pour lutter contre le Mal et toutes deux sont sacrifiées absurdement par les représentants officiels du Bien. Tempête aussi du déferlement des démons autour de l'innocente Sara. Mais la tempête, le chaos, chez Claudel n'est qu'un des stades d'un mouvement qui doit aboutir au sens.
6Si le théâtre claudélien s'ouvre par une stupeur devant la souffrance, au fur et à mesure des textes, le dramaturge parvient à une sorte de glorification du Mal. Le Mal est nécessaire au Bien. Une étude qui voudrait faire l'historique et l'analyse des rapports entre Claudel et le Mal1 devrait tenir pour essentielles les quatre œuvres écrites pour ou autour d'Ida Rubinstein : La Sagesse ou la Parabole du Festin, Jeanne d'Arc au bûcher, L'Histoire de Tobie et de Sara et La Danse des Morts. Ecrites les unes à la suite des autres, entre 1934 et 1938, en réalité, les quatre œuvres ont le même thème. Il s'agit toujours de justes dont les souffrances nous sont données en spectacle. Tout commence par le chaos. L'absurde règne. Tout se finira par un chant en chœur des élus, un "sanglot dans l'émerveillement"2, la compréhension, à la fin des temps, du plan divin. Tout (même l'horreur) est nécessaire. Dans les quatre œuvres, voici, chantée, la prophétie dans le monde. La Sagesse, comme les prophètes, aux carrefours des chemins, tente de persuader les hommes de revenir à Dieu, de participer au grand festin spirituel du monde futur. L'aventure de Jeanne d'Arc est une aventure prophétique. Comme le prophète Samuel va, dans l’Ancien Testament, sacrer Saul et David, Jeanne d’Arc, sur l'ordre de ses voix, va sacrer le roi de France. L'Histoire de Tobie et de Sara nous montre l'Ange Raphaël comme le prophète Elie, agir, sous une forme humaine pour guider, sauver les hommes. Quant à La Danse des Morts, elle adapte un passage du livre du Prophète Ezéchiel, ressuscitant des ossements desséchés. D'un point de vue formel, les quatre œuvres écrites en vue de la collaboration avec un musicien, permettent d'imaginer le drame musical claudélien qui comporte presque toujours un Livre, un Explicateur, un dispositif scénique représentant l'ensemble du monde, le dialogue entre une créature surnaturelle (écrite pour Ida, la "Princesse lointaine") et un chœur symbolisant l’humanité. Voici, surtout, l'invention d'une musicalité nouvelle. Et si Milhaud n'a pas tenu compte des observations du dramaturge, Honegger réussit à créer cette musique à l'état naissant que désirait Claudel. Ainsi, j’ai préféré lier ces œuvres, plutôt que les étudier séparément3. Ne devaient-elles pas, à un moment donné de l’évolution du grand projet d'Ida Rubinstein, être représentées ensemble ? Ou plutôt, ne devraient-elles pas être, un jour, représentées ensemble ? Les quatre œuvres jouées ensemble s'éclaireraient alors l'une l'autre, prendraient leur dimension véritable. Ainsi, après la tétralogie des traductions d'Eschyle, la tétralogie formée par L'Otage, Le Pain Dur, Le Père Humilié et ce quatrième volet auquel Claudel a toujours rêvé sans pouvoir l'écrire, les quatre journées du Soulier de satin, voici la tétralogie du Mal, dont j'espère montrer l'unité.
I. LE GRAND MIROIR DU MONDE
7Dans les quatre pièces, Claudel a pour projet profond d'expliquer le monde dans son ensemble. Le dispositif scénique ne nous montrera pas tel ou tel espace mais, comme dans Le Livre de Christophe Colomb, le monde dans sa totalité.
A. La sagesse
8On peut discerner plusieurs stades dans la conception qu'a Claudel des décors de La Sagesse. C'est d'abord le bouillonnement d'admirables idées qui s'inscrivent dans le mimodrame de La Parabole du Festin. Ces idées sont reprises en 1934 à l'intention d'Ida Rubinstein. En 1935, Claudel et Audrey Parr travaillent ensemble à Brangues et de ces quelques jours de travail subsistent des croquis de costumes et de décors. Enfin, immédiatement après la visite d'Audrey Parr à Brangues, Claudel écrit un texte théorique très important, Le Festin de la Sagesse, un essai d'adaptation du Nô japonais, où il décrit les décors et les costumes rêvés pour cette Sagesse.
9Pour quelle raison Claudel et Audrey Parr ont-ils abandonné l’idée de décor de l'acte I, qui se trouve dans le texte de La Sagesse, l'idée du Temple détruit ? Le Temple est le centre du monde, détruit, où gît la Sagesse. Claudel n'abandonne pas vraiment cette idée magnifique mais la réalise d'une manière différente. Le décor qu'Audrey Parr réalise pour l'acte I montre deux colonnes torsadées, au sommet de larges marches. On voit au fond la mer et des montagnes qui se croisent. Claudel décrira exactement ce décor :
"...le décor du premier acte [...] se compose au fond d'un écran de montagnes pareil à des rideaux entrecroisés, et que la mer avec l'échelonnement régulier de ses vagues, prolongé par une cataracte de degrés, fait descendre jusqu'au public, tandis que les deux colonnes torses, dans leur double mouvement musculeux d'ascension et d'abaissement, réunissent tous les plans, toutes les directions et toutes les dimensions4."
10Du Temple détruit ne subsistent que deux colonnes torsadées qui expriment également, dans l'intention de Claudel, l’idée d'un centre du monde, d'une concentration de lignes5.
11Pour l'acte II, on se souvient de l’idée de décor qu'avait eue Claudel dans La Parabole du Festin :
"J'avais d'abord imaginé pour décor une sorte de théâtre, garni de loges ouvertes des deux côtés. Chacune d’elles aurait été occupée par un groupe représentant une des activités humaines : par exemple, un atelier, un repas de famille, un laboratoire, un repaire de brigands, une salle de jeu, un hôpital, une séance de boxe, une leçon d'école, une mine, un vaisseau dans la tempête. Derrière ces loges, on aurait vu passer la Sagesse en procession, précédée par une Croix, tandis que le Chœur chante l'antienne Venite ad nuptias. J'ai fini par préférer une autre idée plus simple6."
12Quelle est cette idée plus simple ? C'est celle, d’abord décrite dans le texte de La Sagesse des deux tapis roulants progressant en sens inverse. Mais pas trace de tapis roulant dans les dessins d'Audrey Parr. La toile de fond, censée représenter la Route, montre, dans ses deux versions, une sorte d'oméga. L'intention de Claudel reste ici mystérieuse. Est-ce l'infini dont il tente de nous transmettre l'impression ? De la géniale première idée (les petits théâtres cadavériques représentant l'ensemble des activités humaines) à la réalisation sur maquettes (le grand oméga des croquis) il nous est difficile de voir l'épuration dont parle Claudel ("une idée plus simple"). C'est une idée autre et moins réussie.
13Le projet de décor de l'acte III décrit dans le texte est extraordinairement théâtral. Il s’agit de la montagne de l'œuvre humaine, un amas d'objets au sommet duquel pleure la Sagesse, "inutile et rebutée". Le désespoir engendré par un monde purement matériel était là très nettement exprimé. Mais dans les croquis d'Audrey Parr ne figure aucun projet de décor pour l’acte III (sans doute fusionné avec le II pour la représentation).
14Quant à l’acte IV, le décor est censé montrer un chantier en construction, celui du Temple reconstruit. Claudel et Audrey Parr ne nous montrent qu'une très belle ruine, avec des colonnes grecques et des arcades. On comprend pourquoi le dramaturge et sa décoratrice ont dû modifier leur conception du décor de l'acte I. Audrey Parr n'a pas réussi à montrer le complexe tableau du Temple en train d'être reconstruit, cosmique résurrection. Puisque le décor de l'acte IV devenait lui-même une sorte de ruine, il fallait, pour ménager une progression dramatique, transformer la ruine de l'acte I en un autre tableau (les colonnes torsadées) dont les intentions (ruines, centre du monde) étaient les mêmes.
15Nous touchons là, avec le travail effectué sur les décors de La Sagesse, au centre du problème soulevé par la contradiction qui existe entre les capacités de mise en scène de Claudel et leur efficacité. Claudel fourmille d'idées de réalisations scéniques. Mais son imagination prodigieuse ne sait pas s'arrêter. Une idée vient se superposer à l'autre, la détruire7.
B. Un dispositif à étages
16Voici comment Claudel décrit le dispositif scénique à étages de Jeanne d'Arc au bûcher dans le texte de 1939 :
"Une scène à deux étages réunis par un escalier assez raide. Sur la scène II, un bûcher, et au milieu du bûcher un poteau auquel Jeanne est attachée par des chaînes”8.
17Cette disposition reprend celle des Choéphores, du Livre de Christophe Colomb. Comme dans le théâtre grec, une différence de niveau sépare la protagoniste du chœur. Remarquons cependant que des Choéphores à Jeanne d'Arc, la dénivellation existant entre l'espace réservé au protagoniste et celui où évolue le chœur a pris de plus en plus d'importance. C’est d'abord simplement l’encadrement d'une porte (mise en scène de l'Agamemnon telle que Claudel la décrit à Dohrn). C'est ensuite une marche (Les Choéphores). Dans Les Euménides, la marche est devenue haute estrade (celle dont il parle dans ses lettres à Darius Milhaud). Dans Le Livre de Christophe Colomb, c'est le cadre entier d'un théâtre aux moulures baroques de bois doré (le "guignol"). Le "guignol" est devenu bûcher dans Jeanne d'Arc, il faut un escalier pour les relier. Du haut de son bûcher, Jeanne d'Arc va voir se dérouler sa vie. Les éléments sont les mêmes que dans Le Livre de Christophe Colomb, mais l'ordre est inversé. Sur la scène haute, la protagoniste regarde sa vie d’en haut, alors que sur la scène, Christophe Colomb, au bord du proscenium, regardait sa vie d'en bas. La hauteur, instaurant une différence, met en valeur Jeanne. Parlant à ce niveau, ses interventions seront comme isolées par un gros plan continu. Fonctionnelle, la différence de niveau a aussi un sens. Ce bûcher est un lieu de sacrifice, situé en hauteur comme le Golgotha ou comme l'autel où se célèbre le sacrifice de la Messe9. Aux pieds de Jeanne vont se succéder, comme dans un rêve, des forêts, des salles de tribunaux, des palais, simplement évoqués.
18A l'Opéra de Paris, dans la mise en scène de Jean Doat, les chœurs étaient sur scène, autour de Jeanne d'Arc, lui répondant à différents niveaux. Dans Claudel parle, Claudel émet le désir de leur adjoindre l'orchestre, dont la place (dans la fosse d'orchestre devant l’action) lui paraît absurde.
C. L'histoire de tobie et de sara
19La première et la deuxième versions de la pièce désignent le même décor. C’est un espace fonctionnel à la manière du Livre de Christophe Colomb ou de Jeanne d'Arc au bûcher. Claudel écrit dans les indications scéniques de la deuxième version que l’espace scénique de L’Histoire de Tobie et Sara est divisé en trois niveaux mais, de l’arrière-scène, bien qu’il précise qu’elle soit voilée "parfois" par un écran, il ne se sert jamais. On doit plutôt parler d’une division en deux niveaux, celle que nous rencontrons dans Les Choéphores, Le Livre de Christophe Colomb et Jeanne d'Arc au bûcher où la division de l'espace correspondait à une séparation nette des deux éléments de la représentation : d’un côté le chœur, de l’autre le ou les protagonistes. Ici, protagonistes et chœurs se trouvent au même niveau et "l'espèce de tribune ou de plate-forme surélevée" (première version) a deux rôles. C’est le lieu d’où l’on parle, par-dessus le quatrième mur, au public. C’est l’endroit du récit par rapport à la fiction. Mais cette tribune surélevée met aussi en valeur les événements qui s’y déroulent. La différence de niveaux est ici l’équivalent de ce qu’implique au cinéma la différence de cadrage. Comme vus en plan moyen, Sara y dort, Tobie s’y assoit et Azarias, se débarrassant de son déguisement, s’y montre dans son angélique splendeur10. Les chœurs sont disposés de part et d’autre du praticable.
"Un double chœur de chaque côté de la scène fait le commentaire de l’action. L’un des choristes de chaque côté de la scène tient un gros livre"11.
20Le chœur est divisé en deux bandes qui se font face comme à l'église. Leur masse constitue ce "décor vivant" que Claudel évoquait presque trente ans plus tôt à Dohrn dans la lettre sur l’Agamemnon. Dans la deuxième version, Claudel ajoute deux "gros" livres que deux choristes tiennent en avant des deux masses parallèles. L'adjectif "gros” fait sourire. Il annonce la fonction comique parfois dévolue au chœur dans la seconde version. L'espace proposé par Claudel dans L'Histoire de Tobie et de Sara constitue le stade ultime de ses expériences : entre le théâtre et la liturgie, l'Institut d'Hellerau et le Bunraku, cet espace fonctionnel, convenant parfaitement à cette nouvelle sorte de théâtre musical, pourrait servir de modèle à un théâtre biblique futur, à la fois représentation et commentaire de l'événement.
II. LE MONDE COMME UN LIVRE
21Dans le livre qu’il tenait à la main, Hamlet ne voyait que des mots. Le monde n'a pas de sens et le théâtre de l'absurde va développer le constat désespéré du Prince noir. Le théâtre de Claudel est l'exact contraire du théâtre de l'absurde. L'utilisation du Livre n'est pas, chez Claudel, exotique souvenir du théâtre Bunraku, où un "lecteur", assis sur un côté de la scène, lit tous les rôles. Mettre le Livre au centre de la représentation, c'est montrer le monde comme un texte profondément signifiant, susceptible d'être lu.
A. Le rouleau biblique
22Pas de livre à proprement parler dans La Sagesse, mais toute la pièce est sous le signe du rouleau biblique12. Le personnage principal, d’abord, que Claudel a ajouté à La Parabole pour fournir un rôle à Ida Rubinstein. Le personnage de la Sagesse est associé, dans le Judaïsme, à la Torah, le Livre par excellence. La Torah n'est pas un livre historique, racontant les origines du peuple juif, sa sortie d'une terre d’esclavage et son installation en Israël, puis son exil, mais le plan du Monde. La Sagesse était déjà apparue dans le théâtre de Claudel. Dans Tête d'Or, la Princesse emprunte aux Proverbes les plaintes de la Sagesse :
"Je me tiens sur les marchés et à la sortie des bals, disant :
Qui veut changer des mains pleines de mûrons contre des mains pleines d'or ?
Et se peser avec son cœur humain un éternel amour ?"13.
23Et, alors que Claudel écrit que le thème essentiel de la réalisation plastique est la route, tout, dans ses descriptions, comme dans les notes envoyées à Audrey Parr, évoque le livre :
"C'est [la route], sous la forme d'une longue étole imprégnée de lettres grecques et pareille aux phylactères de l'Ecriture qui se fait aux épaules de la Sagesse le signe de son ordination. C'est le regard au loin sur la perspective qui justifie sa haute coiffure, pareille à un poste d'observation. C'est la Route, personnifiée et entraînée par la distance qui enroule et dévide autour d'une bobine invisible les kilomètres et les heures, et qui emmène toujours plus loin et d'un horizon à l'autre, le groupe des Itinérantes. C’est la Route encore, c’est sa raie innombrable, tour à tour noire et dorée, pareille aux lignes d'un grimoire, qui revêt l'Envoyée du Tout-Puissant et qui s'enroule en une interminable spirale autour du corps de ses servantes"14.
24Avec Margotine, Claudel est plus explicite :
"La Sagesse, 3ème acte. Les trois Vertus ont fait la récolte des bandelettes écrites et en sont toutes enlacées. La Sagesse elle-même en est vêtue. Bandes noires et or avec des caractères. Maintenant c'est la Sagesse écrite. Quand elle ouvre les bras, c’est comme si elle ouvrait les prophéties. Autour de la tête une espèce de pschent égyptien, comme des pages de livre. Tout son vêtement est fait de ces lignes à bandes superposées"15.
25La Sagesse est la Parole divine. Cette "étole imprégnée de lettres grecques" dont le personnage s'enroule représente le rouleau sacré lui-même. Le texte évoque cette image lorsqu'il montre la Sagesse "toute habillée d'écriture"16. Le haut chapeau qu'il imaginait pour Ida ressemble aux "pages d'un livre". Et la spirale que vont mimer les servantes évoque à la fois le rouleau et la route :
"Toutes ne forment plus qu'une ligne. Elles font le geste de dérouler d'un bout à l'autre une bandelette ou un chemin (les bras)"17.
26La structure de la pièce est elle-même en forme de spirale, c'est-à-dire de rouleau en mouvement : le premier tableau nous montre Jérusalem (le Temple détruit) et le dernier tableau Jérusalem des temps à venir (le Temple reconstruit). Le spectacle progresse, dans une évolution spiralique, de la Jérusalem terrestre à la Jérusalem céleste, du Temple détruit au Monde à venir. Le point de départ et le point d’arrivée sont, à deux niveaux différents, identiques.
27Des voix se lamentent sur l’exil d'Israël. Claudel mêle les deux thèmes, celui du fils prodigue et de l'exil juif. Le festin est prêt mais le fils prodigue, errant, comme Israël, n'est pas encore revenu. Ida Rubinstein apparaît. C'est une entrée magnifique. Elle surgit. Du sol. La Sagesse ne se souvient plus de son nom. On le lui rappelle, dans les termes à peine dramatisés des Proverbes18.
28Dans le deuxième tableau, la Sagesse, livre vivant, va lancer ses invitations au "festin" qu'elle a préparé. Elle s'écriait dans Les Proverbes :
"Quiconque a l'esprit faible vienne de ce côté ! A celui qui est dépourvu d'intelligence, elle adresse la parole : Venez, mangez de mon pain et buvez du vin que j'ai mélangé. Laissez là la sottise et vous vivrez, dirigez vos pas dans la voie de la raison”19.
29Dans l'Ancien Testament, la Sagesse parlait aux coins des rues. Claudel la fait s'exiler. Dans son livre Etude sur le thème de l'exil d'Israël dans le théâtre et l'œuvre exégétique de Claudel, Ruth Reichelberg montre à quel point le thème de l'exil est essentiel à la fois chez Claudel parti à la découverte du monde20 et chez le peuple juif. Le livre voyage à travers le monde pour réunir les invités au Monde à venir. C'est un voyage symbolique à travers les passions terrestres. Dans la pièce vont défiler sur des tapis roulants en sens contraire de celui de la Sagesse et de ses servantes, plusieurs groupes, chacun chargé de représenter une passion. "J'ai acheté cinq couples de bœufs et je m'en vais les éprouver” disait l'invité de Luc. Claudel montre ces "bœufs" : ce sont des esclaves enchaînés comme des bœufs, distraits par un joueur de flûte et menacés de l'aiguillon. Le monde du travail (employeurs, employés, amuseurs et police) n'a pas de temps pour la Parole divine. "J'ai épousé une femme, ainsi je ne puis y aller" disait l'autre. Claudel montre ces femmes. Ce sont la Violence, la Vanité, la Luxure21. La guerre : des gladiateurs munis de masques à gaz. Les arts : quatre hommes chevauchés par des folies qui agitent des vessies, des cymbales et des grelots. La littérature : un âne qui lit un livre. Les affaires : un boursier qui regarde un ticket. La science : une longue-vue. Et voici la dernière idole : Dalila, le sexe. Dalila, fascinée par des jongleurs, tient Samson par une corde. Sur leurs tapis roulants, le Livre vivant, dans un sens, l'humanité et ses idoles dans l'autre se croisent sans pouvoir se rencontrer. La Torah comme dans les Proverbes appelle, mais qui songe à la suivre ?
30La troisième partie de la pièce se déroule sur une montagne : celle de l'œuvre humaine. Un tas de caisses surmonté d'une chaîne rouillée. Et la Sagesse, "inutile et rebutée" au sommet du formidable bric-à-brac constate l'échec. L'humanité n'est pas heureuse. Rien ne lie plus les hommes. Du haut de cette montagne de vanités, de cet anti-Sinaï, elle aperçoit en effet le désert. Mais ce n’est plus celui de la révélation, de la solitude d’où jaillit la parole22, c'est le désert d’âmes des grandes villes. Apparaissent, sur un écran de cinéma, les gratte-ciels de New York. Tapis roulants, cinéma, on remarquera la remarquable modernité, en 1934, de ce théâtre biblique. Claudel avait déjà utilisé le cinéma dans Protée et dans Le Livre de Christophe Colomb et entendu parler de Piscator, le metteur en scène allemand qui lui aussi s'était servi du film et du tapis roulant.
31Dans le désert des âmes, du haut de l’anti-parole, du multiple absolu, la Sagesse décide d'employer le Mal pour sauver les hommes malgré eux.
"La Sagesse. Les Fous, les Lépreux, les Boiteux, les Aveugles, les Injustes, s'ils ne veulent pas venir, que ferai-je ?
Répons. Force-les d'entrer !"23.
32Et les infirmes dansent sous l'action du fouet de la Sagesse. Le Mal qui va les forcer à abandonner leur tanière, leurs habitudes, et à se joindre au Festin, n'est ni punition, ni bienfait mais les deux à la fois.
33La pièce commençait dans un Temple en ruines. Elle se termine dans un chantier en construction. "Sur le rebord sept colonnes sont dressées, les unes nues, les autres encore entourées d'échafaudages"24. C'est de cette maison même que la Bible dit que la Sagesse se construit une maison aux sept colonnes. Or, le Temple se dit aussi en hébreu "maison". Cette maison qu'on construit, c'est le Temple qu'on rebâtit. Ce Temple reconstruit par les "infirmes", c'est bien sûr le Monde à venir édifié par les élus de l'humanité entière mais c'est d'abord le retour des juifs malades ("infirmes") en Israël25. Le "festin" dont il est question tout le long de la pièce prend alors une autre signification. Si la maison aux sept colonnes que la Sagesse se bâtit, c'est le Temple, le "festin" peut se rattacher aux sacrifices. Dans la "maison", les prêtres faisaient des "festins" des produits de la terre qu’on leur apportait pour qu'ils les sanctifient. Ces fruits, ces légumes, ces viandes qu'on voit défiler à la fin de la pièce26, c'est le monde que le sacrifice élève du niveau terrestre au niveau céleste. Le sacrifice "répare" le monde. Eclate alors le chœur final, le chœur du Monde à venir, que tous, juifs et chrétiens voient comme un chœur de louange, le multiple s’unissant dans la reconnaissance du Créateur. Le Temple détruit est devenu le Temple futur dans le Monde à venir. Le monde a la structure d'un livre.
B. Le sens de l'insupportable chaos
34Tout commence, dans Jeanne d'Arc au bûcher, par la stupeur devant l'absurde et le chaos. Sa condamnation, Jeanne ne la comprend pas. Dominique, le saint patron de ce dominicain qui accompagna Jeanne jusqu'au bûcher (le rôle était joué dans le film de Dreyer, par Artaud) prend la place un moment de celui qui appartient à son ordre. Il va lui expliquer le sens de ces événements dans un livre qui est le double céleste du "grimoire" composé lors du procès de Jeanne d'Arc. Le livre est donc à la fois livre du procès de Jeanne d'Arc (dont Claudel s'est servi pour écrire le texte) et le Livre où sont écrites, au ciel nos actions. Sans savoir lire, Jeanne va pouvoir revivre son procès et sa vie, qu’elle voit en sens inverse de l’ordre chronologique. D'abord, le procès (Scènes III et IV : Les Voix de la Terre et Jeanne d'Arc livrée aux bêtes). Ce ne sont pas des prêtres qui ont jugé Jeanne. Ce sont des animaux, le tigre, le renard, le serpent, l'âne, et bien sûr, le cochon, qui chante son rôle d'une voix grasse. Ainsi Jeanne "comme jadis ses sœurs sur l'arène de Rome" a été livrée aux bêtes. Quant au jeu politique dont elle a été victime, Frère Dominique le lui explique comme un jeu dont les cartes maîtresses sont la Bêtise, l'Orgueil, la Luxure et la Mort. Et derrière les prêtres, "Toutmouillé-Malvenu-Jean Midi-Coupequesne-Anatole France-La Sorbonne" déclarent que Jeanne s'est trompée. La raison tue Jeanne d'Arc, symbole du croyant et les docteurs qui la condamnent à être brûlée viennent de la Sorbonne. C'est déjà la froide raison matérialiste contre la foi.
35Le jeu politique dont Jeanne d'Arc a été victime est représenté sous la forme d’un jeu de cartes (scène V), où l'on reconnaît le quadrille de Christophe Colomb. Les cloches sonnent (scène VII). Elles sont chantées, comme dans la partition rêvée pour L'Annonce. Ce sont les voix de Jeanne d'Arc, que tous entendent, mais dont Jeanne seule comprend le langage. "Catherine" et "Marguerite", les deux cloches (dont on pressent qu'elles ont une voix puisqu'on leur donne des prénoms) lui parlent. Elles lui disent d’aller chercher le roi. C'est alors la scène VIII, où Claudel se souvient de L'Annonce faite à Marie. Comme dans L'Annonce, en effet, on voit des paysans qui attendent dans la forêt le passage du roi de France, mais les deux géants qu'ils ont préparés pour y mettre le feu au passage du roi, ont pris un sens. Ces deux mannequins sont les deux moitiés de la France, le géant Heurtebise et la Mère aux Tonneaux, le pain et le vin, le blé et le raisin, la Picardie et la Bourgogne, qui désormais ne doivent plus être séparées. Le livre est terminé. Les rôles se renversent. Jeanne explique à Dominique son pays natal et son épée qui faisait peur aux Anglais et aux Bourguignons. Puis, comme dans Christophe Colomb, Jeanne, après l'irruption une seconde de ce public au Ciel qui la guette et qui lui a montré cette pièce que, sans le savoir, elle a jouée, reste seule, liée à son bûcher :
"Le Peuple : Elle se réveille comme d'un rêve.
Jeanne : Et ce prêtre, qui était là tout à l'heure et qui me tenait à lire ce livre où je lisais ?
Il n’est plus là. Il me quitte, il est descendu.
Il n'est plus là et je suis seule.
La Vierge (au-dessus d’elle) : Jeanne, Jeanne, tu n’es pas seule"27.
36Car la Vierge, tout à fait comme dans le Christophe Colomb, où la Reine Isabelle n'est qu'une réplique féminine de la Vierge, prend alors le relais de l'Explicateur (Frère Dominique) et aide la protagoniste à vouloir le sacrifice, à vouloir le bûcher. L’image dernière est celle de Jeanne brisant ses chaînes, les chaînes du bûcher, la chaîne qui la relie à son corps. Ici, comme dans Le Livre de Christophe Colomb, la lecture du livre assigne une autre fonction au théâtre. Il s'agit d'abord d'expliquer le sens d'une vie, de montrer ce dont elle est le double.
37A la représentation, Claudel a substitué une lecture. On va nous expliquer le livre de cette vie-là. Un livre difficile à lire et qui semble au début un informe paquet de lettres. Or, la pièce, dans le cri, nous fait écouter la musique, nous enseigne le sens de l'insupportable chaos.
C. L'histoire de Tobie et de Sara
38Le livre n’apparaît que dans la deuxième version de la pièce :
"Un double chœur de chaque côté de la scène fait le commentaire de l’action. L'un des choristes de chaque côté de la scène tient un gros livre"28.
39Le livre n'est plus au milieu de l'action, comme dans Le Livre de Christophe Colomb. Il n'est pas dramatiquement brandi comme dans Jeanne d'Arc. Doublé, il encadre l'action. Une action qui sera toujours confrontée à des citations de textes bibliques, lues dans ces livres sur scène, souvent sur un ton "nasillard". Les deux Testaments, lus à haute voix, sont confrontés à L'Histoire de Tobie et de Sara pour en expliciter le sens. Et le mouvement de la pièce sera, comme dans La Sagesse, en forme de rouleau biblique. La pièce commence, encore une fois, par l'évocation du Paradis perdu et se termine par l'évocation de la Jérusalem céleste :
"(Ici l'image de l’orgue s’efface peu à peu et vient s'y superposer comme une irisation légère, vert, bleu et rose, l'image de la Jérusalem céleste ci-dessous décrite).
Le chœur : Jérusalem qui est édifiée comme une cité ! Ses édifices sont d'azur, ses parvis sont d'émeraude. Et les chemins qui y conduisent sont de pierres brillantes.
Un torrent d'eau vive, une lymphe inépuisable l'arrose !"29.
40Dans la pièce, l’Explicateur du Livre de Christophe Colomb s'est divisé en trois :
"Entrent les trois Récitants (Rien ne s'oppose à ce que l'un d'eux soit une femme, par exemple tenant un large tambour de basque). Ils se placent à la tribune.
Sur un ton de mélopée
: Les Récitants :
Il y eut en Israël un homme appelé Tobie de la tribu de Nephtali - qui avec les gens de son Peuple fut amené captif en Assyrie par le Roi Salmanassar !"30.
41La "mélopée" qu'indique Claudel est une référence à la mélopée de la prière juive. Et le tambour de la récitante, lorsqu'elle s'en sert, aide à retrouver cette diction spécifique, ce parlé intermédiaire entre le parlé et le chanté dont rêve Claudel. Ces récitants n'ont pas la fantaisie de l'Explicateur du Livre de Christophe Colomb. Ils ne jouent pas de personnage précis, comme le Frère Dominique de Jeanne d'Arc au bûcher. Ce sont des voix. Et le texte seul émerge de ces bouches anonymes prenant successivement la parole selon une typographie proposée par Claudel ("Le tiret indique le passage d'un récitant à l'autre" précise Claudel en note). En quoi consiste leur fonction ? Pont jeté entre le public et l'action, par-dessus le quatrième mur, ils expliquent la narration. Ou, comme dans la partition des Euménides, où Milhaud fait chanter la déesse Athéna par trois voix, ils disent le texte de l'Ange Raphaël :
"(Un immense orgue se découvre, qui avec ses tuyaux d'or, d'argent et de bronze, entrecoupés par les nuages et ses claviers superposés occupe tout le fond de la scène. Tous se prosternent).
Les Récitants : Tobie, quand tu priais avec larmes
Et que tu ensevelissais les morts,
J'étais là pour offrir ta prière à Dieu
Et parce que tu étais agréable à Dieu
Il était nécessaire que vînt la tentation pour t'éprouver"31.
42Certains éléments comiques existent cependant dans la conception de ce chœur récitant. Lorsque, brusquement, ils abandonnent le ton de mélopée pour parler "sur un ton naturel", l'effet voulu par Claudel est de l’ordre du gag32. Et Anna, la femme de Tobie qui les chasse de la tribune et prend, dans un grand moment de bravoure, la responsabilité d’une exposition émaillée de "oï oï oï", est, elle, franchement comique, à la manière des personnages comiques juifs de la même époque, Mangeclous d'Albert Cohen par exemple33.
43Mais le véritable Explicateur est peut-être l'Ange Raphaël, rôle double conçu pour Ida Rubinstein, qui vient à la fin de chaque acte révéler le sens profond de la parabole. Il s’agit, à chaque fois, d'une justification du Mal. La scène 7 de l'acte II est la plus explicite. Azarias (terrestre incarnation de l'Ange Raphaël) invite tous les arbres du Paradis. Plus importante que la Rose, la Vigne, la Pomme-Grenade ou le Cèdre est la Ronce, le Mal :
"Et c'est moi cependant qui relie tout, qui enlace tout, qui fais la couture de tout ensemble, c'est moi qui ai de toute chose investiture, et ce Cèdre puissant lui-même sans ma fibre autour de son front, il n'aurait point de couronne ! Sans la souffrance, il n'y aurait point de charité"34.
44Remarquons que la scène est un développement d'un des numéros du Jet de Pierre (la Rose), mais cette fois-ci l'image est orientée dans un sens précis : la justification de la souffrance. A la fin du premier acte, Claudel réutilisera également un des poèmes plastiques du Jet de Pierre, mais à l’envers. Ce ne sera plus "la main gauche à la conquête de la main droite" mais le contraire :
"Un long rayon de projecteur traverse toute la hauteur de la salle et vient faire apparaître sur la scène une stature éblouissante.
L'Ange Raphaël
(Mimique. Extrêmement lente).
1. L'Ange descend du ciel, les deux mains jointes au-dessus de la tête et les bras encadrant la figure. Dressé sur la pointe des pieds. Verticale. (...)
7. La main droite vient chercher quelque chose dans la main gauche. Equilibre comme au 4, mais les paumes en l'air"35.
45Le monologue de la Ronce permet de comprendre la symbolique de cette gestuelle. La droite est toujours associée au Bien, la gauche au Mal. La main droite qui vient chercher quelque chose dans la main gauche, c'est le Bien qui se sert du Mal. Tout, le Bien, le Mal, doit servir à l'élévation spirituelle (les paumes en l'air). Dans la deuxième version de l'acte III, Claudel propose un effet dramatique dont la signification rejoint celle des deux autres finales. Azarias se dépouille de ses vêtements (comme Aliki dans Le Jet de Pierre) et apparaît "dans sa gloire angélique". Il engloutit la mère dans le flot de ses grandes manches blanches.
"La nuit se fait et quand la lumière revient, Azarias a disparu, il ne reste plus que la mère qui chancelle et tâtonne et fait comprendre qu’elle a perdu la vue. (...)
La mère (criant de toutes ses forces) : Dieu est amour !"36.
46Ce que l'Ange a expliqué à la mère, c'est que l'amour de Dieu peut prendre bien des formes et le Mal (la cécité) en est une.
47Le personnage de L'Explicateur équivaut à la présence, sur scène, de Claudel lui-même. A peine déguisé, le poète, à la frontière entre les deux mondes, nous explique le sens de la Création. La fonction du théâtre et de l'art est pédagogique. A l'inverse de la raison étriquée des enfants de Descartes, la folie du poète est seule en mesure de nous expliquer le monde double.
III. LE CINÉMA
48Claudel a envisagé, dans La Sagesse, d'utiliser le cinéma. La mise en scène que Rossellini fît de Jeanne d'Arc au bûcher se servait des projections cinématographiques. Mais dans L'Histoire de Tobie et de Sara, le cinéma est employé de manière continuelle. Dans le commentaire du Livre de Tobie, Claudel écrit que ce n'est ni un roman qu'il veut bâtir, ni un drame et que la technique du cinéma lui conviendrait mieux. Et dès la première page de la première version, il indique que l'emploi du cinéma serait "continuel".
"L'idée de la mise en scène consiste en un emploi continuel de la projection et du cinéma, qui donne couronnement et perspective à l'action dramatique engagée au premier plan par des personnages réels"37.
49Le cinéma n'est plus, comme dans Le Livre de Christophe Colomb un facteur visuel parmi d'autres. Et, dans la première version, les quatorze interventions cinématographiques doublent l'action scénique. Le cinéma ne va pas nous donner le reflet de la réalité, mais sa signification. Derrière l’action théâtrale, il développe un tissu d'images qui en constitue le double métaphysique. Par exemple, le film commence par un paysage désolé :
"A l'écran, on voit un paysage désolé entrecoupé par des lacs de sel, par des fleuves qui serpentent, par des fumées de naphte, par des montagnes couvertes de neige : ce que l'on voit encore aujourd'hui en avion entre l'Irak et l'Iran"38.
50Ce désert, qui est le Paradis après le péché originel, double le malheur de Tobie. L'histoire de ce riche commerçant emmené en exil dans un pays étranger, ruiné et aveugle, s'écrit autrement dans le monde des Principes que l'écran nous suggère. C'est l'histoire de toute âme, exilée, plongée dans un monde matériel insupportable. L'image du troupeau, parallèlement projetée à la scène 5, évoque celle aussi de l'âme, irrésistiblement attirée vers le ciel.
"(Sur l’écran, on voit apparaître un immense troupeau de moutons, avec les chiens, les ânes et les chameaux en voie de transhumance). (...) Tobie le Vieux : Du cœur de la brebis qui ôtera le désir de l’herbe fraîche ? Du cœur du vieillard qui ôtera le désir de Dieu ? Et du cœur du jeune homme qui ôtera cet autre désir qui n’est pas celui de l’argent ?"39 ;
51A la scène 7,
"toute la toile du fond est occupée par d’énormes volutes et tourbillons de vapeur noire, comme des nuages se déplaçant obliquement de gauche à droite"40.
52On avait déjà entendu Tobie se lamenter et au loin la voix de Sara, que persécutait sa servante. Le cinéma nous montre les deux douleurs, comme de gros tourbillons de fumée et la balance qui les pèse. Car telle est l'idée essentielle de l'Histoire de Tobie et Sara. La douleur de Tobie est pesée au moyen de la douleur de Sara. La douleur, la prière émise à la fois par Tobie et Sara, géographiquement situés très loin l'un par rapport à l'autre, mettent en évidence la présence divine.
"I : Du fond des fabrications de l’Abîme ce sont les âcres
tourbillons de blasphème et de prière que la Douleur humaine envoie jusqu'aux narines de l'Éternel.
II : Le même feu qu'au fond des poitrines
humaines...
I : Il brûle dans les encensoirs éternels !
II : Il est temps !
I : Envoie ton ange !
II : Toi qui décoches la flèche...
I : Toi qui de la roue ailée de ton char rayes l'Abîme d’une raie fulgurante...
II : Envoie Ton ange ! Envoie Ton ange devant Toi qui prépare la
route et qui aplatisse l'obstacle et qui transforme le détour en un chemin
direct"41.
53Le cinéma montre donc ce qui ne pouvait être que cité, l'image de cette balance des deux douleurs, qui détermine la principale péripétie de la pièce, l'intervention de l'ange.
54Comme dans La Sagesse, l’apparition finale de la Jérusalem céleste reprend la première image, celle du Paradis perdu. Du Paradis perdu à la Jérusalem céleste, L'Histoire de Tobie et de Sara, comme La Sagesse ou la Parabole du Festin, nous montre le plan de la création, l'histoire du monde en général. C'est ce que le cinéma nous explique.
55Remarquons que ce qui fascine Claudel dans le cinéma, c'est moins sa capacité de filmer le réel que son immatérialité. Les plans de ce cinéma métaphysique ne sont jamais obtenus à la prise de vues. Ce sont des images inventées, obtenues par trucage ou bien des images prises d'un angle exceptionnel : désert filmé d'un avion42, nuages qui passent43, urne immense d'où se déversent les flots d'un fleuve44, balance en surimpression dans le ciel45, l'Arbre de Jessé dont on voit la croissance46. Surimpressions, fondus enchaînés, accélérés, effets de flou : ce cinéma ne reproduit pas ce monde, mais un autre monde, idéal, des symboles, pas des faits47.
56Cinéma féerique qui, même lorsqu'il montre des images prises à la réalité, les estompe. Raguès et Raguël sont vus "troublement" sur l'écran48. On "devine" Sara49. Le grouillement des fantômes est tour à tour vague et précis50.
"...On voit se dessiner légèrement sur l'écran en ombres la scène dont il est question"51.
57Oui, plus qu'à du cinéma, Claudel pense à du théâtre d'ombres et chaque fois qu'il l'évoque, ce sont les mots d'ombre, d'ombre légère qui viennent sous sa plume52.
58Dans la seconde version, le rôle du cinéma diminuera. Claudel, après les représentations allemandes, supprimera les premières lignes du texte53. Et, dans la seconde version, chaque fois qu'intervient le cinéma, il indique qu'un récitant peut "avec avantage" se charger de la description des plans. Dommage. L'expérience de doublage métaphysique du théâtre par le cinéma est dans L'Histoire de Tobie et de Sara parfaitement réussie. L'utilisation que Claudel propose du cinéma n'a rien de gratuit. Il ne faut pas céder à une sorte d’"illusion de l'histoire", penser que la deuxième version est supérieure à la première parce que Claudel a renoncé à toutes sortes d'effets techniques pour ne se consacrer qu'à l'effet dramatique, dans un texte plus simple et plus dépouillé. Le texte de L'Histoire de Tobie et de Sara a une valeur littéraire inférieure à celle des textes de la maturité, mais du point de vue de la mise en scène, il est encore aujourd'hui novateur. Et la première version est beaucoup plus intéressante que la seconde en ce qu'elle instaure une formule inédite de spectacle métaphysique. En 1938, Claudel, par l'usage qu’il fait du cinéma, propose une solution concrète au rêve qu’Artaud exprime dans Le Théâtre et son Double publié la même année. Le cinéma montre le double de l'action terrestre, son "couronnement" et sa "perspective".
IV. LE DRAME MUSICAL CLAUDÉLIEN
59Ida Rubinstein désirait voir Claudel collaborer avec trois musiciens différents. Et les trois œuvres, écrites pour être exécutées à l'Opéra de Paris, permettent de saisir la spécificité du drame musical claudélien.
A. L'emploi du chœur
60"J’ai toujours été attiré par cette forme primitive du drame, appelée dithyrambe, dont Les Suppliantes d'Eschyle demeurent le seul exemple subsistant. Un personnage unique, je veux dire seul doué de visage, parle
au milieu d'un demi-cercle de voix qui, de par l'assistance qu’elles constituent, l'invitent, le contraignent à l'expression"54.
61Les trois œuvres, écrites pour fournir des rôles magnifiques à Ida Rubinstein, se réduisent souvent au dialogue entre un personnage principal "seul doué de visage" (La Sagesse, Jeanne d'Arc) et un chœur de corps et de voix plus ou moins distincts. Voix du ciel, humanité convulsée, en coulisse ou sur scène, jamais le chœur n'a été, chez Claudel, si présent.
• La Sagesse ou la parabole du festin
62Servantes, ouvriers, la Sagesse est entourée d'une traîne humaine dont l'existence est indiquée dans le texte, comme dans la correspondance avec Milhaud et dans les maquettes d'Audrey Parr. Les rêves de Claudel relatifs à ce groupe de danseurs ou de figurants sont très impressionnants. Dans la seconde partie, pendant que le chœur développe le thème de la parabole, s'effectue un très beau cortège symbolique. La scène est traversée par deux tapis roulants fonctionnant en sens inverse. Sur l'un se tient la Sagesse, entourée de ses "servantes", la Charité, la Foi et l'Espérance, et précédée par la Distance et la Route (ce personnage devait être joué par un homme selon les croquis d'Audrey Parr). Sur l'autre, quatre groupes symbolisant les folies humaines, les "distractions" qui les empêchent de s'asseoir au Festin de la Sagesse. En une sorte de grand mime symbolique, toutes les distractions sont évoquées : les affaires, la guerre, la science et la poésie, l'érotisme. Sur son tapis roulant, la Sagesse tourne sur elle-même en tendant les bras - mais nul ne peut la suivre. Tous sont à la fois entraînés (le tapis roulant) et prisonniers (chevauchés). Le tableau se termine lorsque l'on voit réapparaître le premier groupe. Un peu plus tard, Claudel fera exécuter aux quatre groupes de servantes de la troisième partie un très beau geste où se retrouvent l'image de la route et celle du livre :
"Elles font le geste de dérouler d'un bout à l'autre une bandelette ou un chemin (les bras). (...) La Sagesse au milieu ne fait pas partie de la ligne. Elle soulève les bras des deux servantes devant elle comme si c’était une bandelette où elles lisaient"55.
63Le "chemin", c'est la Sagesse, c'est-à-dire le livre sacré qu'elles déroulent, elles-mêmes, habillées de spirales ("Robes jaunes à bandes noires [en] spirales", lit-on sur les croquis d'Audrey Parr). Quant au chœur en coulisses, invisible, il interpelle la Sagesse et l'Humanité, empruntant ses accents à l'Ancien et au Nouveau Testament. Il demandera aux servantes quel résultat a eu la quête à travers le monde, qui devait réunir les élus, ordonnera à la Sagesse d’inviter n’importe qui, les infirmes, les boiteux, les fous et, "s’ils ne veulent pas venir", de les forcer d'entrer. Il pourra aussi (mais plus rarement) soutenir les voix des groupes ou parler à la place de la Sagesse, à la première personne, fonction que l’on remarque souvent dans le Nô. Enfin, pendant la deuxième partie, où la Sagesse en tapis roulant, fait sa tournée d'invitations, il substitue au théâtre le récit et chante en latin la parabole évangélique. Racontant, interpellant, chantant à la place des acteurs, l'invisible chœur des coulisses est ce qui chante par rapport à ce qui bouge. Sous toutes ses formes, le chœur, dans La Sagesse, fait tout. Le rôle de la Sagesse est réduit à de rares interventions parlées56.
64Victor Garcia, à Bruxelles ou à la Cité Universitaire, a facilement pu inverser les rôles. Dans sa mise en scène, le chœur invisible était omniprésent et la Sagesse devenait invisible. Ce n'était plus qu’une voix au micro, sèche, mauvaise, qui torturait une humanité hagarde. Lorsqu’elle se présentait, des mitraillades retentissaient. Cette "Sagesse” chez Garcia, c'était l'État catholique et policier. Et la Jérusalem future n'a rien de particulièrement céleste. Tout s'organisait, en effet, autour de la construction sur scène d'un bateau (le festin de la Sagesse, le Paradis à construire). Mais une fois le bateau construit, hurlaient des sirènes de police qui se mêlaient au Cantique des Cantiques. Le festin spirituel devenait répression policière, l'action de grâce chant de révolte. La pièce, très exactement, s'inversait. Claudel n'aurait pu passer sur l’inversion du propos mais il aurait sans doute applaudi à plusieurs trouvailles formelles ("composition chorale", travail sur le cri, sur les niveaux intermédiaires entre le parlé et le chanté) fidèles à ses désirs.
• Jeanne d'Arc au bûcher
65Dans Jeanne d'Arc au bûcher, la structure du dithyrambe, qu'on retrouve tout au long du théâtre claudélien, n'a jamais été plus évidente. Il n'y a qu'un seul personnage, Jeanne d'Arc. Frère Dominique, la Vierge sont les coryphées successifs d'un chœur qui, multiforme, dialogue avec la protagoniste comme le chœur liturgique dialogue avec le prêtre. En effet, Claudel fait une Passion de l'histoire de Jeanne d'Arc, dont l'aventure est spirituelle. Il lui faut consentir à une mort horrible. C'est ce passage du sacrifice subi au sacrifice consenti qui intéresse Claudel. Omniprésent, le chœur de cette espèce de messe sera-t-il seulement liturgique ? II semble qu'il faille, comme dans La Sagesse, imaginer deux types de chœurs, l'un jouant et dansant, et l'autre chargé de l'interprétation de la partition. Le chœur acteur n'est pas limité, comme dans la tragédie grecque à un seul rôle. Il joue successivement toutes les voix de la terre dont se souvient Jeanne : juges, paysans, etc. Divisé en deux demi-chœurs, il donne sa voix à la foule autour du bûcher.
66Mais le chœur double surtout la voix de Jeanne d'un commentaire liturgique. Ses interventions élèvent le drame historique de Jeanne au niveau de la parabole. Dans le nouveau prologue que Claudel écrit en 1946, par exemple, la France occupée est comparée au chaos d'avant la séparation de la terre d'avec les eaux.
"Chœur
A (très bas et comme la main sur la bouche) : Ténèbres ! Ténèbres !
B : Et la France était inane et vide et les ténèbres couvraient la face du royaume et l'Esprit de Dieu sans savoir où se poser
Planait sur le chaos des âmes et des cœurs
Planait sur le chaos des âmes et des cœurs sur le chaos des âmes et des volontés sur le chaos
des consciences et des âmes"57.
67Ce texte est d'ailleurs un merveilleux exemple de chœur parlé. Les modifications du son ("très bas et comme la main sur la bouche"), du rythme, de la source du son, font du texte une sorte d’opéra parlé. Et c'est sans doute ce soin apporté à la "partition" du chœur qui distingue le chœur de Jeanne d'Arc de celui de Christophe Colomb. Claudel se souvient, dans l'écriture de Jeanne d'Arc, du travail accompli sur L'Otage et Les Choéphores avec les Chœurs Renaudins.
• L'Histoire de Tobie et de Sara
68De même que dans Le Livre de Christophe Colomb, le chœur, dans L'Histoire de Tobie et de Sara est, à la fois, chœur antique, chœur liturgique, chœur de concert. De plus, bande sonore du film projeté en même temps que la pièce, c'est à lui que revient la tâche difficile de l'explication de la parabole. Ainsi, tel l'Explicateur pompeux du Livre de Christophe Colomb, le chœur sera la présence de l'auteur sur la scène. Claudel évoque l'existence du chœur en même temps que celle du praticable : encadrant l'action de sa masse double, ce chœur, mis sur scène, constitue, selon l'expression dont il se servait en 1912 dans la lettre à Dohm, "un décor vivant et parlant".
69Cette fonction spectaculaire que le chœur assume ici est commune à toutes les formes de chœurs. Le chœur antique, comme la troupe de boys et de girls et comme le chœur d'opéra, fait masse autour du protagoniste qui, privé de cette extension spectaculaire de lui-même, aurait l'air seul sur ce grand plateau. Et si cette fonction spectaculaire se borne ici à une pure présence, puisque le chœur est absolument immobile, c'est que Claudel, qui écrit son Histoire de Tobie et de Sara pour un circuit artistique déterminé, sait qu'on ne peut demander à des chœurs à la fois de chanter et de bouger. De même que dans Les Choéphores, l'immobilité qu'il indique n'est que refus d'évolutions approximatives.
70La présence de cette foule contemplant l'action, et y participant de manière très subtile, comme occulte, rétablit la vision qu'a Claudel de l'action humaine, jamais solitaire, jamais gratuite, mais spectacle symbolique donné à voir à une foule d'anges et de morts, celle dont parle Saint Paul dans ses Epîtres et à quoi Claudel assimile déjà le chœur dans Les Euménides et dans Christophe Colomb. Les personnages de la pièce sont d'abord spectacle pour une foule attentive qu'ils ne voient pas, mais qui guette leurs paroles, qui les reprend, qui parfois leur souffle leur conduite. Dans la scène cinq, voici un exemple de cette action du chœur sur un des personnages, similaire à celle de voix situées à l'intérieur de la conscience. L'image d'un immense troupeau de moutons avec les chiens, les ânes et les chameaux apparaît sur l'écran et le chœur lit des passages de l'Écriture fournissant le sens symbolique du troupeau (le troupeau, c'est le genre humain dont chaque élément, apparemment perdu dans une masse immense, est appelé d’un nom particulier par le Berger divin).
"Tobie le Vieux : Et quel est ce bruit immense qui vient à mes oreilles, ce piétinement confus, innombrable, comme un peuple qui s'est mis en marche ?
Tobie le Jeune : Père, ne le sais-tu pas ? Quand un ange a versé sa coupe sur le soleil, / quand le soleil exaspéré sur nos plaines / brûle et dessèche la terre, / alors le peuple du désert se met en route vers les pâturages.
Le Chœur I : Les pâturages toujours verts !
Le Chœur II : J'ai élevé les yeux vers les montagnes...
Le Chœur I : Les montagnes d’où me viendra le secours.
Tobie le Vieux : Les montagnes d'où me viendra le secours.
Au-delà des montagnes, il y a Ragès, il y a ce dépôt d'argent jadis que j'ai laissé entre les mains de Raguël et de Gabelus"58.
71Le mot pâturage prononcé par le fils de Tobie a été repris par le chœur. Le pâturage, ce vers quoi se dirige le troupeau dans le désert, c'est l'abri, c'est la montagne "d'où viendra le secours". Entendant cette phrase, prononcée par une absence, Tobie le Vieux la continue. Derrière les montagnes, il y a cette somme d'argent qu'il a prêtée, il faut que son fils Tobie aille la récupérer. De même que le chœur de Christophe Colomb, le chœur de Tobie et Sara représente ces personnages, morts ou non encore venus au monde qui contemplent chacune de nos actions.
72Dans la tétralogie du Mal, à la fois chœur liturgique et acteur protéiforme, le chœur commente la parabole et y joue tous les rôles. Mais ses interventions n'ont pas un rôle purement didactique. Le chœur a surtout une fonction musicale.
B. Une nouvelle musicalité
73Paradoxalement, la collaboration avec Milhaud a été un échec absolu. Claudel, dans des lettres à Paul Collaer, un musicien ami de Milhaud, avoue que la musique de La Sagesse lui a paru "catastrophique" :
"Je suis heureux de ce q[ue] vous me dites a[u] s[ujet] du Festin de la Sagesse et particulièrement du IVème acte. Je dois v[ous] avouer franchement q[ue] celui-ci à l'audition m'avait paru catastrophique : je ne trouve pas d'autre mot"59.
74Loin de continuer, comme le désirait Claudel, la voie essayée au Brésil (sous son influence directe, il est vrai !) avec L'Incantation et Les Présages des Choéphores, Milhaud a écrit, comme pour Le Livre de Christophe Colomb, un opéra où la musique noie tout. Et c'est avec Honegger et Jeanne d'Arc au bûcher que Claudel va réaliser son rêve de musique à l'état naissant. Claudel a été conscient de cette réussite :
"Ce que nous avons le mieux réussi, c’est avec Jeanne au bûcher"60.
75On ne peut que regretter que Claudel n'ait pu collaborer avec Stravinsky. Mais lorsqu'il rédige la deuxième version de L'Histoire de Tobie et de Sara, il a dépassé son rêve de drame musical. Il propose alors une version dramatique et, à l’aide d'une typographie spéciale, intervient plus directement dans l’interprétation musicale de son texte.
• L’harmonieuse synthèse
76Honegger n'aurait voulu écrire que des opéras61. Son premier essai a été un triomphe. Il s’agit du Roi David composé en 1921 pour René Morax qui dirigeait le Théâtre du Jorat à Mézières. Mais va suivre une série d'échecs ou de demi-échecs. Antigone (dans l'adaptation de Cocteau) n'est pas un succès, ainsi que Judith (texte de René Morax). Ida Rubinstein fait collaborer le compositeur avec Valéry pour Amphion et Sémiramis qui sont de francs échecs. C'est ainsi qu’en 1931, après le nouvel échec de Cris du Monde, Honegger écrit un article, Pour prendre congé, où il appelle de ses vœux un poète musicien avec qui la collaboration serait effective :
"Je rêve d'une collaboration qui parviendrait à être si totale que souvent, le poète pensât en musicien et le musicien en poète, pour que l'œuvre issue de cette union ne soit pas le hasardeux résultat d'une série d'approximations et de concessions, mais l’harmonieuse synthèse des deux aspects d'une même pensée"62.
77Ce souhait, formulé en 1931, sera exaucé quelques années plus tard. Honegger trouvera en Claudel un poète-musicien, concevant des effets musicaux jusque dans leurs moindres détails ; il tiendra compte des désirs de son collaborateur et Jeanne d'Arc au bûcher sera le meilleur exemple de ce nouveau genre de théâtre lyrique dont rêvaient les deux artistes. Étrange drame musical, où l’interprète principale ne chante pas mais parle, répondant à un chœur qui parcourt tous les niveaux du son.
"Schopenhauer, mal compris par Wagner, a dit profondément que la musique est l'expression de la volonté à la recherche d'une forme, ou disons d'une réponse. Ce n'est point répondre que s'associer à ce soulèvement obscur des forces élémentaires. Tout le monde est conscient du discord douloureux entre l'aire du chant et celle de la parole. C'est de ce discord même qu'Honegger et moi avons essayé de tirer un élément de drame et par là d’émotion"63.
78Claudel et Honegger jouent de l'écart entre la parole et la musique. La parole seule, pauvre, est celle de Jeanne s'opposant aux "forces élémentaires", à la musique des chœurs et de l'orchestre. Depuis longtemps Honegger, comme Claudel, était préoccupé par les problèmes des rapports entre le parlé et le chanté64. La musique, dans Jeanne d'Arc, parcourt tous les degrés, du murmure au chant en passant par le rire, le sanglot, le parlé rythmé.
"Immense éclat de rire dans le Chœur se terminant par des sanglots"65. "Murmure éperdu et confus, comme des gens qui communiquent une nouvelle, à toute vitesse, d'abord assez bas puis crescendo"66.
"Triomphant et presque comme une marche soutenue par les batteries et les cuivres"67.
"Parlé sur un ton plat d’énonciation"68.
79Toutes les intensités de son sont employées. Le chœur murmure, parle sourdement, éclate etc. Claudel peut aussi modifier le mode d’émission du son. Le chœur peut être "à bouches fermées"69. Il peut parler "très bas et comme la main sur la bouche"70. Claudel peut aussi varier la source du son. Les voix peuvent "partir de tous les côtés". Les cris partent "de tous les côtés de la salle"71. D'ailleurs, pour mieux traduire ses désirs, Claudel inaugure dans Jeanne d'Arc au bûcher de nouveaux procédés typographiques. On rencontre pour la première fois dans le texte un tiret, qui correspond à une pause :
"Le Chœur : Jeanne / au-dessus de Jeanne / Flamme au-dessus de la flamme !
Louée soit / notre sœur la flamme / qui est pure - forte - vivante - acérée - éloquente - invincible - irrésistible - !
Louée soit/notre sœur la flamme/qui est vivante !”72.
80L'italique permet de mettre en relief telle ou telle syllabe, tel ou tel son :
"Loué soit / notre frère le feu / qui est puissant à rendre l'esprit et cendre - cendre - cendre - /ce qui est cendre à la terre"73.
81Ou encore :
"Jeanne (clair et triomphal)
Et quand Jeanne au mois de Mai monte sur son cheval de bataille, / il faudrait qu'il soit bien malin celui qui empêcherait toute la France de partir. Les entends-tu ces chaînes de tous les côtés qui éclatent et qui cassent ? Ah ! Ces chaînes que j'ai aux mains, elles me font rire ! Je ne les aurai mie toujours ! On a vu ce que Jeanne peut faire avec une épée. La comprends-tu maintenant cette épée que Saint-Michel m'a donnée ? Cette épée ! Cette claire épée ! Elle ne s'appelle pas la haine, elle s'appelle l'amour !"74.
82De la grande réussite musicale de Jeanne d'Arc au bûcher, plusieurs enregistrements subsistent. L'un d'eux, enregistré en 1943 à Bruxelles sous la direction de Louis de Vocht, donne une idée très précise de ce que Claudel désirait obtenir. Marthe Dugard, qui joue Jeanne, déclame. Beaucoup lui préféreront Claude Nollier, autre Jeanne, à la diction plus parlée. Or, c'est ce parlé intermédiaire entre le chant et la parole, cette mélopée, que l'on retrouve dans l’enregistrement réalisé par les Chœurs Renaudins pour L'Otage, et dans la diction d’Eve Francis, l'actrice préférée de Claudel, qui exprime le mieux cette prosodie dont il rêvait.
• L'Histoire de Tobie et de Sara
83Dans la première version de l'Histoire de Tobie et Sara, destinée à être mise en musique par Stravinsky, les passages chantés qu'indique, par l’emploi de l'italique, la typographie, sont extrêmement nombreux. Dans la seconde version, écrite après les représentations allemandes, Claudel accentuera le côté dramatique, substituant à la plupart des passages chantés en latin leur traduction française, lue dans deux gros livres par le double chœur. Mais il a, dans deux lettres envoyées à Milhaud, défini le genre de musique qu'il désirait.
"Une fois de plus nous aurons à discuter ensemble de cette question si ardue de la musique à l'état naissant et de la jonction de la musique sortant de la poésie comme la poésie naît de la prose, et la prose du silence et du grommellement intérieur. C'est extrêmement ardu et nous aurons besoin de nous entendre complètement à ce sujet. Si vous pouvez passer dans la seconde moitié de septembre, il nous faudra plusieurs jours pour en causer"75.
"La pièce comporte trois grandes scènes parlées et de plus ce que j'appelle des parties lyriques où la musique peut intervenir, mais d'une manière very subdued, un peu comme dans la liturgie ou le Socrate d'Erik Satie. Je voudrais voir l'inspiration monter du murmure, à la voyelle, à la consonne, au mot, à la note, au chant et de là redescendre"76.
84Plusieurs termes, dans ces deux lettres, font bien sentir que Claudel estime que ni dans le Christophe Colomb, ni dans La Sagesse, il n'a obtenu avec Milhaud cette forme lyrique intermédiaire entre l’opéra et le théâtre qu'il souhaite depuis toujours. Et dans l'écriture même de L'Histoire de Tobie et de Sara, la manière dont il décrit les interventions du chœur illustre parfaitement cette théorie de la musique à l’état naissant. La montée de la musique y est graduelle. Du grommellement au chant, le chœur utilise plusieurs possibilités intermédiaires.
"Ici le Chœur comme une multitude faite de toutes sortes d'interrogations et de réponses entrecroisées qui prend conscience d'elle-même et arrive peu à peu à la lettre, à la syllabe et au mot commence à se faire entendre"
77. "Le Chœur (arrivant peu à peu par le murmure à l'élocution) <| ...ses brebis"
78. "Pendant le jeu de scène qui suit, le Chœur qui a fini par se trouver, chante les antiennes suivantes extraites du Livre de Job. Le ton est d'abord plaintif, puis devient de plus en plus intense, fervent, violent et déchirant"79.
85L'entremêlement de tous ces niveaux musicaux est d'ailleurs remarquable. La parole amène le chant, le chant revient à la lecture qui repasse au chant.
"Tobie le Vieux : Dieu connaît ses brebis, chacune de ses brebis, par ce nom qui n'est qu'à elle.
Le Chœur (arrivant peu à peu par le murmure à l'élocution) <| ...ses brebis.
Le Chœur I (chanté) : Le pasteur connaît ses brebis et ses brebis le connaissent.
Le Chœur II (lu) : "Le pasteur connaît ses brebis, chacune de ses brebis par son nom et ses brebis le connaissent : il connaît ses brebis". Le Chœur I (chanté) : Et ses brebis le connaissent.
Anna : Et moi qui n'en ai qu'une, je connais la mienne et elle me suffit. Lève-toi, brebis à deux pattes, il est temps de rentrer à la maison !"80
86Les indications "lu", "chanté", ne figurent pas dans le texte. C'est que, comme dans Jeanne d'Arc au bûcher, Claudel emploie dans L'Histoire de Tobie et de Sara toute une typographie analogue à une notation musicale rudimentaire. Le caractère italique servira à indiquer les passages chantés81. Les passages parlés seront en caractères pleins. Le tiret horizontal (-) indique un changement de partenaire.
"C'est à Toi qu'appartient l'hymne en Sion et c'est à Toi que nos vœux seront rendus en Jérusalem ! - Toute chair vient qui est appelée vers Toi - Mes yeux se sont élevés vers les montagnes d'où me viendra le secours - C'est à Toi que nos vœux seront rendus en Jérusalem ! - Jérusalem qui est bâtie d’émeraude et de saphir et ses parvis sont de pierre éclatante"82.
87Très souvent, Claudel se servira également d'un autre signe <| qui indique la montée de la voix83. Le signe inversé |> (descente de la voix en fading) est surtout employé pour Sara - lorsqu’on l'entend dans la distance. Les deux signes, associés, |><| signifient "que la voix indistincte s'abaisse et puis se relève".
"Le Chœur : Qui |><| captif en Assyrie par le Roi Salmanassar !"84
88Claudel propose d'autres signes qu'on ne rencontre que dans les passages destinés aux acteurs. L'emploi du tiret oblique est substitué à celui du verset : il indique au comédien l'endroit où il doit reprendre sa respiration. Le tiret horizontal situé à l'intérieur d'un mot, la tenue de la voyelle.
"Anna : J'hono____re le bon Dieu ! Je prrrrati____que la religion !"85
89Les blancs situés à l'intérieur d’une phrase indiquent des silences parfois très inattendus :
"Anna : Et maintenant nous n'avons plus même assez de moutons pour notre chien"86.
90ou :
"Tobie le Vieux : Comme on ramasse pieusement, comme on range tout papier que consacre l'Écriture, la Sainte Écriture, c'est ainsi que j'ai rangé pieusement, c'est ainsi que j'ai rangé pieusement tous ces corps morts d'Israélites, vos enfants, tous ces corps morts d'Israélites l'un près de l'autre et qui ressusciteront. Mais maintenant le moment est venu que je ne sers plus à rien et que j'aille m'expliquer directement avec Vous ! Il y a des choses que le sang des boucs et des taureaux et la fumée noire par tourbillons qui s'élève des holocaustes ne suffit pas à Vous expliquer. Vous qui êtes le Dieu non pas des morts, mais des vivants et qui avez à Vous occuper d'autre chose que de cadavres, il y a le cri des innocents qu'on égorge et à qui je mêle mon chevrotement de vieux homme qu'il est temps que j'aille Vous expliquer"87.
91Lorsqu'il écrit la deuxième version de L'Histoire de Tobie et de Sara, Claudel ne croit plus en la possibilité d’un nouveau drame musical. Il préfère intervenir à l'intérieur de la structure dramatique elle-même. Et pourtant, avec Honegger, il avait trouvé le collaborateur idéal. Jeanne d'Arc au bûcher avait triomphé, certes, mais en oratorio. Dès 1937, Claudel se rend compte que le drame musical nouveau peut bien exister sur le papier, mais qu'à la représentation il n'y aura pas, pour l'interpréter, d'artistes sachant à la fois chanter, danser, jouer, déclamer, de metteur en scène capable de se mesurer génialement avec une œuvre lyrique. Encore une fois, Claudel était trop en avance sur son temps. Et lorsqu'il voit Jeanne d'Arc monté comme du théâtre total à Milan, il est déçu :
"Représentation triomphale à la Scala. 4 avril. Vendredi soir, 800 personnes sur scène ! C’est mieux en oratorio"88.
92L’enfant est là. La gestation fut longue mais il est enfin né. D'Epidaure à Tokyo, c'est le drame claudélien, un nouveau système à la fois théâtral et lyrique où se rencontrent la dramaturgie grecque, la liturgie et le théâtre japonais. Ces opéras nouveaux sont didactiques.
93Oublions Jeanne, Christophe, Sara : on ne nous raconte jamais une histoire. Le chœur, le cinéma, l’orchestre, l'explicateur métamorphosent l'histoire particulière. L'humanité entière chante dans un décor dont l'étagement est celui du monde, physique et métaphysique. Claudel substitue à la représentation, une lecture, un acte d'explication. Un groupe d'acteurs/chanteurs/danseurs joue, chante et danse selon les critères d'une musicalité nouvelle. Les cris, les rires, les sanglots, une musique d'origine dramatique qui parcourt tous les niveaux du son, remplace la formule de l'opéra où la musique noie tout. Une âme se libère. Et lorsque, à la fin, l'apothéose se déploie, la scène entière devient l'image de ces triomphants chœurs d'élus dans l'Autre monde.
94L'enfant est là et sur lui se penchent les R. (Reinhardt, Rothschild, Rubinstein), les commanditaires. Sont-ils satisfaits ? Théâtre ou concert ? Messe ou ballet ? L’enfant ne ressemble à rien. Même Jeanne d'Arc au bûcher, incontestable réussite, déconcerte :
"L'Opéra-Comique se récuserait immédiatement, le sujet n'appartenant pas au genre de la maison. A l'Opéra, on vous dira qu'on ne chante guère, du moins pas assez dans cette partition où domine le parlé. Que reste-t-il ? La Comédie-Française puisque la déclamation est trop importante pour l'Opéra. Le thème conviendrait à merveille. Mais elle n’a que faire d'un appareil sonore aussi important. De même, l'Odéon ne peut envisager l'engagement d'un grand orchestre, de masses chorales, de solistes”89.
95Les R. s'éloignent, et les autres producteurs éventuels. On laisse dans son berceau la créature étrange. Le Livre de Christophe Colomb deviendra théâtre (mise en scène de Jean-Louis Barrault) ou opéra (Opéra de Marseille). La Sagesse sera interprétée en concert. Le demi-échec, sur le plan pratique, de ces expériences se double d'un échec sur le plan théorique. Le Livre de Christophe Colomb et La Sagesse ont laissé à l'auteur des doutes sur la possibilité d'une collaboration, même aménagée, entre le théâtre et la musique, à laquelle les œuvres futures laisseront moins de place. Le nouveau schéma qu'à l'ombre du Claudel triomphant, le poète intrépide prépare, intègre les éléments du drame musical claudélien au drame. Dans une cérémonie aux exécutants anonymes, à la place de la musique à l'état naissant, le théâtre à l'état naissant.
V. LA RÉHABILITATION DU MAL
96La Danse des Morts écrite pour Arthur Honegger n'est pas du théâtre total, mais un oratorio. C'est pour la création en langue allemande de Jeanne d'Arc au bûcher que, du 9 au 14 mai 1938, Claudel se rend à Bâle. Il y observe, au Musée des Cordeliers, les vestiges d’une danse des morts qui ornait les murs d'une église ou d’un cimetière90. Aussitôt, il écrit un texte, Une visite à Bâle (daté du 18 mai), vite suivi (le 23) d’un programme pour oratorio destiné à Honegger. Dans La Danse des Morts, Claudel ne voit pas le macabre tableau donné aux vivants d’un anéantissement prochain où tous, pauvres et riches, célèbres et inconnus, rouleront, égaux, dans l'ultime, putride strip-tease. Au fond, c’est de danse qu’il est question, et Une Visite à Bâle jette un regard neuf sur l’allégorie traditionnelle :
"Dans l’esprit de l’artiste, cette admonestation liturgique est une invitation, encore plus qu’à l’humilité et à la componction, à la bonne humeur et à l’allégresse ! Quel bonheur ! Ainsi cette forme chamelle où nous nous trouvons empêtrés et dont nous tirons en somme moins de fierté, de plaisir et de profit que d’embêtements de toutes sortes, bravo ! Elle n’est que provisoire ! Il ne faut pas trop la prendre au sérieux ! Et voici que du tombeau même, sur le rythme de la gambade, sort une promesse de musique et de liberté"91.
97Claudel continue la réhabilitation du Mal commencée avec La Sagesse puis avec Jeanne d'Arc, et qu’il poursuivra avec L'Histoire de Tobie et de Sara. La mort est gaie, c’est l’ultime libération. Il a fallu ôter :
"ces bajoues, ces ventres, ces seins, ces fesses (...) tout cela qui couvre, qui bouche, qui obstrue et qui immobilise, et qui nous empêche d’obéir à la musique"92.
98pour obéir à :
Tunique devoir de la vie qui est de danser"93.
99Le programme pour oratorio qu'il écrit cinq jours après le texte en prose illustrera ce nouveau regard. "Souviens-toi, homme, que tu es poussière” deviendra "Souviens-toi, homme, que tu es esprit", puis "Souviens-toi, homme, que tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église !"
100Il y a sept numéros dans cet oratorio dont le texte est presque entièrement tiré de la Bible. Dans Dialogue (I), un récitant raconte la vision d’Ezéchiel (Ezéchiel, chapitre XVII). Une plaine est emplie d'ossements ("Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière" chante le chœur). Ezéchiel prophétise et les corps se reconstituent. Complets, certes, mais immobiles, inertes.
"Et l’Esprit entra en eux et ils devinrent vivants et ils se tinrent sur leurs pieds. C'était une armée extrêmement nombreuse"94.
101Le deuxième numéro de l'oratorio (La Danse des Morts) s'organise autour du thème suivant, chanté par le "petit chœur" :
"Souviens-toi, homme, que tu es esprit et la chair est plus que le vêtement, et l'esprit est plus que la chair, et l’œil est plus que la chair, et l'œil plus que le visage et l'amour plus que la mort !"95.
102Le grand chœur chante, lui, en en modifiant les paroles Sur le Pont d'Avignon :
"Sur le pont de la tombe tout le monde y danse y danse y danse y danse y danse y danse y danse !
Sur le pont du tombeau tout le monde y danse en rond !"96.
103Pendant ce temps, un appariteur, comme dans Jeanne d'Arc au bûcher, convoque "tout le monde" c'est-à-dire l'humanité à la grande danse.
104"Souviens-toi, homme, que tu es poussière" disait le chœur pendant le récit de la résurrection. "Souviens-toi, homme, que tu es esprit" vient-il de chanter pendant la danse macabre. Ce qui suit va reprendre cette apparente contradiction jusqu'à la finale synthèse. Dans les deux numéros suivants (Lamento et Sanglots), l'humanité, par la voix de Job et celle du chœur, se lamente sur sa condition.
105Le ténor chantant Le Livre de Job cède la place à l'humanité entière dont les sanglots (l'idée est admirable) se développent comme une fugue. Pourquoi la mort, pourquoi le Mal existent-ils ? Le récitant (V) répond à Job et donne l'explication de la première vision (celle d’Ezéchiel, rapportée dans le numéro I). Par la résurrection (et, ou) le retour en Israël, le peuple juif (représentant [de] l'humanité entière) saura dans sa chair l'existence de Dieu97. La mort n'est qu'une étape nécessaire dans le processus de métamorphose du monde, qui doit amener vers les temps messianiques qu'annonce le numéro VI (L'Espérance dans la Croix). L’oratorio se termine alors par la synthèse des deux affirmations contradictoires.
"Souviens-toi, homme, que tu es pierre et sur cette pierre je bâtirai mon église"98.
106Pierre : à la fois matière (caillou) et esprit (Temple). Dans l’Église (le Temple) se rejoignent les deux niveaux, le matériel et le spirituel. La matière (le Mal) a servi au plan divin pour parvenir à un niveau bien supérieur au spirituel (ainsi dit-on que l’homme est supérieur à l’ange). A travers le visage, Claudel nous a montré le crâne. Ce crâne danse. Il se réjouit peut-être de son visage futur ? Voilà pourquoi les sanglots du chœur sont repris, mais cette fois il s'agit d'un "sanglot dans l'émerveillement", de pleurs de joie, manifestation antithétique sur laquelle se termine cette autre antithèse, La Danse des Morts.
107Jamais le dessein de Claudel n'avait été plus clair. Toute l'œuvre va des sanglots (le désespoir devant l'absurde) au sanglot dans l'émerveillement, qui est compréhension extatique du plan divin. Bien des années plus tard, Claudel répond aux questions que désespérément Cébès posait dans Tête d'Or. Toute fiction a maintenant disparu. Il n'y a pas de personnage. L'humanité toute entière dialogue avec son Créateur et comprend le sens de la Mort et du Mal.
108Claudel a beaucoup aimé le travail qu'Honegger a effectué avec La Danse des Morts (et Paul Sacher voudra faire représenter l'oratorio avec Jeanne d'Arc au bûcher). L'œuvre est fidèle à la nouvelle musicalité désirée par Claudel. Le dialogue utilise "toutes les échelles du son" et en particulier ce domaine de l'exclamation que Claudel avait remarqué dans le Nô. Les deux fugues de sanglots des numéros IV et VII, qui reprennent d'ailleurs l'effet final de La Parabole du Festin (où la fugue se faisait à partir d'un éclat de rire se transformant en cri de désespoir) sont très claudéliennes. Comme dans les chorégraphies qu’il suggère, il y a là structuration d'un bruit réaliste, métamorphose d’un donné réel en musique. Ces fugues ont été, écrit Honegger à propos de cette collaboration, pratiquement dictées par Claudel. Même dans le texte, les indications musicales sont toujours très précises et intéressantes ("Roulement de tambour. Puis arrêt brusque de l'orchestre, mais continuation du chœur sotto voce"). Il y avait en Claudel un musicien inassouvi auquel la musique du vers ne suffisait plus.
***
109Claudel va beaucoup plus loin qu’Artaud. Le chaos (et sa théâtralité) n'est pour lui qu'une situation de départ. Oui, le monde semble mauvais, absurde, le Bien toujours puni et le Mal toujours récompensé. Mais il y a le Livre et l’Explicateur-poète qui va nous expliquer. Nous expliquer que le Mal est utile, qu'il lie :
"La Ronce : C'et moi l'interrogation perçante qui demande une réponse liquide ! C’est moi qui lie et qui continue quand la rose est effeuillée et que le ver s'est flétri et que le cèdre sous les libations de la foudre à torrents sacrifie à la tempête"99.
110Les pièces de Claudel commencent toujours par le chaos. Le Père jésuite est attaché au milieu des sœurs massacrées, Christophe Colomb qui a découvert l'Amérique n'a pas de quoi payer l'aubergiste à Valladolid, Jeanne d'Arc la Sainte va être brûlée. La fin de la pièce, apparemment, n'est guère moins absurde. Pas de miracle, pas de divinité sauvant soudainement le monde. Mais nous avons compris que tout est amour. Rodrigue est enchaîné, trahi, vendu mais "que peut-il lui arriver de mal par une nuit si belle ?" On prend sa mule à Christophe Colomb, son dernier bien, mais s'ouvrent devant lui les Portes du Royaume Éternel. Jeanne d'Arc est brûlée mais "personne n'a un plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'il aime". C’est pourquoi toutes les pièces se terminent par des chœurs et souvent, par la vision de la Jérusalem céleste. Chœur du Cantique de l'Apocalypse dans La Sagesse sur la vision de la Jérusalem reconstruite. Chœur de L'Histoire de Tobie et de Sara sur la vision de la Jérusalem céleste. Car Claudel nous invite chaque fois à contempler l'Histoire du Monde, ce mouvement qui va au Paradis perdu à la Jérusalem céleste. Chaque pièce nous montre d'ailleurs la formation d'un chœur, partant du chaos pour arriver à l'unisson.
111Claudel n'a pas rencontré Artaud, mais son théâtre continue de se confronter avec le théâtre du Mal, qui est le théâtre de l’absurde. Sous la clownerie, les grimaces du théâtre de Beckett, le plus profond désespoir. Le monde est mauvais. Sous nos yeux, sous nos rires, Winnie s'enfonce dans la boue. Comme nous, un peu plus tard. Beckett ne nous propose aucune solution — que de rire de l'horreur. Face à ce théâtre du désespoir, le nouveau théâtre sacré de Claudel. Son sujet même est l'absurde, mais il nous apprend à lire dans le chaos la plus prodigieuse musique. Claudel nous montre un voyage, celui du monde terrestre au monde céleste. Ce fouet, cette cécité, ce bûcher sont nécessaires pour atteindre l'éternité.
112Autre point commun entre les deux poètes : leurs grandioses projets ont tous les deux échoué. Après l'échec des Cenci, Artaud part au Mexique où il commence sa descente dans la folie. Les représentations à l'Opéra des drames musicaux sacrés auxquels Claudel a tant rêvé n'auront pas lieu et, en 1936, il est atteint d'une maladie qui risque de lui être fatale. Étrange similitude de destin !
113Or, ces deux échecs nous éclairent encore. On a plus écrit sur le four des Cenci que sur tous les triomphes théâtraux parisiens de l'année 1935. Des rêves d'Artaud est sortie toute une dramaturgie et des œuvres comme celles de Garcia, Lavelli, Brook s'y rattachent. Les rêves de Claudel ont pour le moment un destin moins glorieux. Ce qui précède aura, du moins, montré l'existence et l'unité de ces tentatives allant dans le sens d'un nouveau drame musical sacré. Jouées ensemble, les pièces écrites pour Ida Rubinstein s'éclaireraient l'une l'autre, un peu comme les pièces de Molière que Vitez monte comme s'il s’agissait du même couple, du même homme et de la même femme. Ici, lier les pièces, c'est aller jusqu'au bout des intentions de Claudel qui a écrit ces textes en même temps, pour une même personne et sur des thèmes identiques100. Dans un lieu unique se déchaîne un chœur qui fait tout, les personnages, les danses et la musique. Mêler à ces chaos d'autres tempêtes, celles de Beckett ? Celles de Shakespeare ? Mais qui saura régler le délicat équilibre de ce nouveau drame musical ? Contre l'autre théâtre, celui de l'absurde et du désespoir, édifier ce secret monument du théâtre sacré ?
Notes de bas de page
1 Dans son livre Paul Claudel Bibliste et ses Prophètes, André Espiau de la Maëstre déplore qu'aucune étude n'ait été consacrée à la conception claudélienne du Mal.
2 C'est ainsi que se termine La Danse des Morts.
3 Les trois premières pièces sont étudiées ensemble. Suit l'étude de La Danse des Morts.
4 Théâtre II, op. cit., p. 1510.
5 Or, le croquis ne donne nullement l'impression d'une catastrophe cosmique (l'image du Temple détruit) mais d'un riant paysage italien. On comprend qu'Ida Rubinstein ait été surprise.
6 Ibidem, p. 1508.
7 Beaucoup plus intéressantes que les croquis de décor, sont les idées de costumes : "Festin, acte I. La Sagesse, costume acte I - étoffe d'argent à plis raides, manches à écailles, points de cristal suspendus aux ongles, draperie bleue à rayures blanches, bas argent appliqué de bleu, fente sur la jambe.
La Sagesse, costume acte II : pantalon terminé dans le haut en pétales, corsage et manches en argent, filactères [sic] noirs à lettres grecques d'or, pschent noir, jugulaire rouge.
La Sagesse, costume acte III. Turban noir et jaune à antennes. Boléro à larges dessins jaunes et noirs, robe à fines rayures, tunique noire, avec élytres recourbés dans le bas".
Elytres, psencht, phylactères, gouttes de cristal attachées aux ongles, pantalons en pétales : Claudel et Audrey Pair ont puisé dans leurs mémoires cosmopolites. Et la folie de ces costumes (comme ceux qu'Audrey Parr a dessinés pour L'Homme et son désir) étonne encore.
8 Théâtre II, op. cit., p. 1217.
9 Dans un texte de 1951, sans doute le plus profond qu'il ait écrit sur Jeanne d'Arc au bûcher, Claudel évoque :
"autour d'elle, s'étageant dans la nuit (...) les rangées superposées de ce peuple à qui elle a été livrée pour en être à la fois l'émanation et l'Hostie." Théâtre II, op. cit., p. 1530.
10 Ibidem, p. 1315.
11 Ibidem, p. 1271.
12 Le texte biblique est écrit sur un rouleau double dont la lecture constitue le centre des cérémonies liturgiques.
13 Théâtre I, op. cit., p. 65.
14 Ibidem.
15 Lettre de Claudel à Audrey Parr du 10 juin 1935, Cahiers Paul Claudel XIII, op. cit., p. 323.
16 Théâtre II, op. cit., p. 1206.
17 Ibidem, p. 1204.
18 Théâtre II, op. cit., p. 1201. Ce sont les mêmes images que celles employées dans le texte biblique : "L'Éternel me créa au début de son action antérieurement à ses œuvres, dès l'origine des choses. Dès les temps antiques, je fus formée ; tout au commencement, bien avant la naissance de la terre. Il n'y avait pas encore d'Océan quand je naquis, ni de sources chargées d'eaux. Avant les montagnes plongeant dans les profondeurs, avant les coteaux, je fus douée de vie, avant que Dieu eût fait la terre et ses vastes espaces, la masse des glèbes du sol. Quand il affermit les cieux, j'étais là, et quand il traça un cercle autour de la surface de l'abîme ; quand il consolida les nuées dans les régions supérieures, quand jaillirent avec force les sources souterraines, quand il imposa à la mer ses limites empêchant les eaux d'enfreindre son ordre et qu'il fixa les fondements de la terre. Alors j'étais à ses côtés, habile ouvrière, dans un enchantement perpétuel, goûtant en sa présence des joies sans fin, m'égayant sur son globe terrestre et faisant mes délices des fils des hommes". Proverbes, 8, 22-31 (traduction du Rabbinat français, Paris, Colbo, 1966, p. 953).
19 Proverbes, 9, 4-6, op. cit., p. 954.
20 Ruth Reichelberg fait remarquer qu'en hébreu le mot "Galout" (exil) a les mêmes lettres que le mot découvrir ("Legalot").
21 Théâtre II, op. cit., p. 1511
22 "Midbar" (désert) en hébreu a les mêmes lettres que "Medaber" (parole) fait également observer Ruth Reichelberg.
23 Théâtre II, op. cit., p. 1207.
24 Ibidem, p. 1209.
25 Cf. Paul Claudel, Une voix sur Israël, Paris, Gallimard, 1950, p. 54.
26 Rappelons qu'avant d'être un symbole chrétien, "Tagneau pascal" est un des symboles fondamentaux du judaïsme, celui que les Juifs mangent avant de sortir d'Egypte.
27 Théâtre II, op. cit., p. 1240.
28 Ibidem, p. 1271.
29 L'Histoire de Tobie et de Sara, première version, Gallimard, Paris, 1942, p. 127.
30 Théâtre II, p. 1272.
31 L'Histoire de Tobie et de Sara, première version, Gallimard, 1942, pp. 124-125.
32 Théâtre II, op. cit., p. 1274.
33 Ibidem, p. 1276.
34 L'Histoire de Tobie et de Sara, première version, op. cit., p. 79.
35 Ibidem, p. 43.
36 Ibidem,, p. 1318
37 L'Histoire de Tobie et de Sara, première version, op. cit., p. 17.
38 Ibidem, p. 17-18.
39 Théâtre II, op. cit., pp. 1277-1278.
40 Ibidem, p. 1282.
41 Ibidem, p. 1283.
42 L'Histoire de Tobie et de Sara, première version, op. cit., p. 18.
43 Ibidem, p. 38.
44 Ibidem, p. 48.
45 Ibidem, p. 40.
46 Ibidem, p. 47.
47 Trois exceptions à cet usage métaphysique du cinéma. Le cinéma sert de décor (p. 1287). Il montre la nuit étoilée qui sert de fond à la scène entre Azarias et Tobie. Il nous montre un flash-back (la rencontre d'Azarias au marché, pp. 1288-1289).
48 Ibidem, p. 1274.
49 Idem.
50 Ibidem, pp. 1285-1286.
51 Ibidem, p. 1288.
52 Claudel joue en même temps des deux moyens d'expression, cinéma et théâtre : "Le Chien entre en scène et veut tirer Tobie par un pan de son vêtement. Tous deux disparaissent derrière l’écran où, au même moment, ils apparaissent, luttant, dans un grand tourbillon d'eau boueuse contre le Poisson, tantôt plongeant, tantôt réapparaissant en surface. Tobie, le Poisson et le Chien, tout ruisselants d'eau reparaissent sur la scène où la lutte continue." (Théâtre II p. 1287.)
53 "L’idée de la mise en scène consiste en un emploi continuel du cinéma donnant couronnement et perspective à l'action". (Histoire de Tobie et Sara, première version, op. cit., p. 17).
54 Théâtre II, op. cit., p. 1530.
55 Théâtre II, op. cit., p. 1205.
56 Que penser de la phrase que Claudel écrit à Milhaud ?
"Je crois comme vous que plus il y aura de la musique et moins de parlé, mieux cela vaudra." (Cahiers Paul Claudel III, p. 226).
Précaution prise à l'égard d'Ida Rubinstein dont les interventions parlées dans Amphion ou Sémiramis auraient laissé de fâcheux souvenirs ? Méthodique mise en valeur de la danseuse-tragédienne qui, dans La Sagesse, aurait dansé, et dans Jeanne d'Arc, ligotée tout au long du drame, aurait seulement parlé ?
57 Théâtre II, op. cit., p. 1531.
58 Ibidem, p. 1278.
59 Lettre de Claudel à Collaer du 5 mars 1946, reproduite dans Collaer Paul, Correspondance avec des amis musiciens, op. cit, p. 391.
60 Claudel, Supplément aux Œuvres Complètes, tome II, Annales Littéraires de l'Université de Besançon, Éditions de l'Age d'homme, 1992, p. 374.
61 C'est ce qu’il confie à Bernard Gavoty : "Mon rêve aurait été de ne composer que des opéras" (Écrits, p. 680, cité par Pascal Lécroart, op. cit., p. 18).
62 Arthur Honegger, Pour prendre congé, Ecrits, p. 116, cité par Pascal Lécroart et Huguette Calmel, Jeanne d'Arc au bûcher, op. cit., p. 20.
63 Théâtre II, op. cit., p. 1530.
64 "De m'être trouvé sur ce point en plein accord avec Claudel, ç'a été pour moi un puissant réconfort. Claudel me donnait l'appui le plus précieux : la thèse que je prônais n'était plus une manie, le procédé d'un musicien, mais la conviction étudiée du plus grand poète de l'époque." (Honegger, Ecrits, Paris, Champion, 1992, p. 697, cité par Pascal Lécroart et Huguette Calmel, Jeanne d’Arc au bûcher, op. cit., p. 130).
65 Théâtre II, op. cit., p. 1222.
66 Ibidem, p. 1531.
67 Ibidem, p. 1532.
68 Idem.
69 Ibidem, p. 1217.
70 Ibidem, p. 1531.
71 Ibidem, p. 1528.
72 Théâtre II, op.cit., p. 1242.
73 Théâtre II, op. cit., p. 1241.
74 Ibidem, p. 1238. C'est le même sentiment naturel qui pousse Jeanne et Anne Vercors à partir.
75 Lettre de Claudel à Milhaud du 15 août 1938, Cahiers Paul Claudel III, op. cit., p. 241.
76 Lettre de Claudel à Milhaud du 5 septembre 1938, Cahiers Paul Claudel III. op. cit., p. 241.
77 Théâtre II, op. cit., p. 1311.
78 Ibidem, p. 1279.
79 Théâtre II, op. cit., p. 1312.
80 Ibidem, p. 1279.
81 Ibidem, p. 1312.
82 Ibidem, p. 1280.
83 Théâtre II, p. 1279.
84 Théâtre II, p. 1273.
85 Théâtre II, op. cit., p. 1275.
86 Ibidem, op. cit., p. 1276.
87 Ibidem, pp. 1280-1281.
88 Journal II, op. cit., p. 590.
89 Arthur Hoéré, "La leçon de Jeanne au bûcher", Le mois, 1er juin 1939, p. 193 cité par Pascal Lécroart et Huguette Calmel, Jeanne d'Arc au bûcher, op. cit., p. 154.
90 Les versions de Claudel diffèrent. Dans Une Visite à Bâle (Œuvres en prose, p. 939), il s’agit d’une église appartenant à des dominicains. Dans une communication faite à la radio en 1939 (Théâtre II, pp. 1533-1534), il s'agit des murs d'un cimetière.
91 Œuvres en prose, op. cit., p. 941.
92 Ibidem, p. 942.
93 Idem.
94 Théâtre II, p. 1262.
95 Ibidem, p. 1262-1263.
96 Ibidem, p. 1263.
97 "Et vous saurez que Je suis le Seigneur, lorsque J'aurai ouvert vos sépulcres et que Je vous aurai fait sortir de vos tombeaux, ô mon Peuple : et que Je vous aurai placés en grande paix et dilatation sur la terre qui vous appartient : et vous saurez que Moi, le Seigneur, J'ai parlé et J'ai exécuté, dit le Seigneur Dieu !" (Théâtre II. p. 1265).
98 Ibidem, p. 1266.
99 Histoire de Tobie et de Sara, première version, op. cit., p. 80.
100 Et si on les jouait ensemble, quel ordre adopter ? Ida Rubinstein aurait suivi un ordre imposé par la musique. La plus forte des pièces aurait servi de finale. La plus faible (La Sagesse, sans doute) aurait été mise au milieu. Du point de vue de la glorification du Mal, La Sagesse fournit une sorte d'introduction, L'Histoire de Tobie et de Sara et Jeanne d'Arc au bûcher des cas particuliers.
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