Préambule
p. 51-59
Texte intégral
1C’est un point de méthode discuté que de décider s’il est bien utile, en histoire des sciences, d’exhumer des textes qui n’eurent aucun rayonnement, dont l’audience ne fut pas plus grande que celle d’un carnet intime inédit, et dont tout l’apport se limite à offrir un témoignage inerte : « voici qui fut pensé à telle date, mais personne, sauf l’auteur, n’en sut rien ». Il paraîtra mal à propos de dire des textes de Mersenne qu’on les exhume véritablement. Mais si exhumer signifie : les tirer de l’ombre où ils entrèrent bien vite après avoir été publiés, le mot serait à peine trop fort. Car on ne voit pas, de prime abord, qui, après la mort de Mersenne, gardera vivant le souvenir de ses travaux en analyse combinatoire, qui s’appuiera sur eux pour les poursuivre. Pierre Rémond de Montmort, aussi bien que Jacques Bernoulli, qui furent parmi les plus grands mathématiciens à faire progresser cette matière au début du xviiie siècle, ne les mentionnent même pas lorsqu’ils signalent les noms de leurs précurseurs. L’oubli pourtant ne fut pas complet !
2Le nom de Mersenne apparaît en effet dans l’article « Combinaison » du Dictionnaire de Furetière :
« Le Père Mersenne en son Harmonie Universelle a fait la combination des sons et notes de Musique jusques à 64 qui est contenuë en 90 chiffres1. »
3Grâce à cette vertu de répétition qui fait la force principale des dictionnaires, cette mention qui a quelque chose de dérisoire se retrouve, et dans le Dictionnaire de Trévoux2, et dans l’Encyclopédie3.
4 Après quoi on ne sera pas surpris qu’il ait fallu l’intérêt pris à l’œuvre scientifique de Pascal pour que soient au moins mentionnés rapidement les exposés d’analyse combinatoire de Mersenne4. Cornelis de Waard leur consacra, dans un volume de la Correspondance de Mersenne, un Éclaircissement beaucoup mieux informé, qui en mettait en valeur l’importance5. Peut-être cependant leur aurions-nous accordé moins d’attention sans deux découvertes dont il nous faut faire état dès ce préambule.
1. Sur Aimé de Gaignières
(a) Les recueils manuscrits de la Bibliothèque nationale, fonds français, 12357 et 12458
5À des dates qu’il est difficile de préciser, et sans doute au fur et à mesure que se présentaient à lui une idée nouvelle ou une information originale, Mersenne avait porté (pour beaucoup d’entre elles griffonné !) des notes manuscrites sur son exemplaire de main6 de l’Harmonie universelle. Or il existe à la Bibliothèque nationale un recueil très fidèle de ces notes7 dont jusqu’ici on ignorait l’auteur8, et qui a été souvent utilisé par les éditeurs de la Correspondance de Mersenne.
6On n’avait prêté par contre aucune attention (Lenoble le déclare « sans intérêt9 ») à un autre recueil, écrit de la même main, qui contient des extraits des œuvres de Mersenne10. À examiner de plus près, la composition de ces extraits, et le principe qui a présidé à leur choix, on comprendra pourquoi nous avons tenu à en parler à titre de préambule. Il est inexact qu’il s’agisse seulement de « propositions extraites du “livre des chants” » ; nombreuses sont les propositions tirées d’autres œuvres de Mersenne. Et elles n’ont pas été jointes et associées au hasard... elles sont essentiellement centrées sur deux sujets qui nous intéressent de près, puisqu’il s’agit de problèmes du langage (en particulier de la langue universelle), et en second lieu, de « combinaisons ».
7Avant d’en venir à ces extraits, disons sans plus tarder, que ce recueil comporte, dans une seconde partie11 (séparée de la première par quatre feuillets blancs), la copie d’une œuvre inédite de Mersenne, qui nous est connue par un manuscrit qui se trouve également à la Bibliothèque nationale (fonds français 24 256). Il s’agit d’une suite de huit propositions qui encadrent l’énumération des 40 320 « chants de 8 notes » ; Mersenne y avait posé et résolu un fort curieux problème né de la numérotation de tous ces chants12. La copie qui nous en est donnée ici est fidèle et intégrale.
8Par contre, dans la première partie, nous ne sommes pas en présence de pures retranscriptions. On y trouve regroupées, parce qu’elles traitent du même sujet, des propositions appartenant à des ouvrages différents ; il arrive qu’un énoncé soit détaché du texte pour servir de tête de rubrique ; on lit en marge les numéros des Tables de nombres (restituées avec grand soin) auxquelles il faut se reporter pour comprendre les exemples cités dans le texte. Il apparaît ainsi à l’évidence que nous avons affaire à quelque chose comme des morceaux choisis, établis par quelqu’un qui y trouvait sujet à réflexions personnelles. Notes de travail également que ces pages où des calculs dont Mersenne ne donnait que les résultats ont été effectués et vérifiés ; Mersenne s’y voit même à un certain moment reprocher d’avoir commis une erreur13.
(b) L’identité du copiste. Hommage de Pascal à Aimé de Gaignières à propos d’un problème de combinaison
9Quelle pouvait être l’identité de ce travailleur consciencieux ? Dès lors qu’on savait de lui qu’il avait eu communication de textes manuscrits de Mersenne, on était naturellement conduit à le supposer familier de ce dernier.
10Le tour est vite fait des correspondants de Mersenne qui ont fait écho à ses publications sur l’art combinatoire. Il en est encore moins qui en aient parlé avec précision et compétence. À notre connaissance, une seule lettre contient des détails techniques à ce sujet ; elle est d’Aimé de Gaignières, secrétaire du duc de Bellegarde14 :
« Je viens à ceste heure à vous parler des combinations, sur quoy j’ay plusieurs difficultés que je vous desduiray, l’une après l’autre, vous demandant ceste permission de vous pouvoir dire librement mes petites pensees sur ce subject, où je me suis un peu attaché pour essayer de trouver la verité15. »
11Suit l’examen d’une « première difficulté » où Aimé de Gaignières reprend Mersenne à propos d’un passage du « Livre second des chants » (dans l’Harmonie universelle) relatif au délicat problème des combinaisons avec répétitions, et dit que, selon lui, il y a dans ce passage une erreur de calcul16. Mersenne prit bonne note de la remarque et inscrivit en marge dans la lettre qui lui avait été adressée : « C’est vray contre ce que j’ay dit. »
12La remarque de Gaignières était d’un homme qui lit la plume à la main. La question venait naturellement à l’esprit : n’est-ce pas lui qui aurait, pour sa gouverne personnelle, pris des notes dans les œuvres de Mersenne ? La preuve était facile à faire, car nous possédons de lui des lettres manuscrites. Elle fut concluante : l’écriture est très visiblement la même, les abréviations identiques.
13Si ces preuves graphologiques ne suffisaient pas, voici qui va nous confirmer explicitement l’intérêt porté par Aimé de Gaignières aux annotations manuscrites de Mersenne ; en marge d’un billet du 1er juin 1648, où il s’excuse de n’être pas allé voir le Minime « ce matin des les syx heures », Gaignières a ajouté en marge : « vous ne vous estes pas souvenu de m’envoyer par ce porteur le livre de votre harmonie annoté de votre main17. » C’est donc de leur auteur même que Gaignières avait appris l’existence de ces annotations, et c’est peut-être sur son conseil qu’il entreprit d’en prendre copie. Qu’il se soit adonné à ce travail pour mieux pénétrer les œuvres de son maître, ou, après la mort de ce dernier, pour ne pas laisser perdre des réflexions inédites, ses retranscriptions gagnent déjà du prix à nos yeux, à être non le fait d’un copiste de commande, mais le témoignage de fidélité d’un disciple.
14Mais il est une circonstance singulière qui rend bien plus notable le fait que ce disciple fut justement Aimé de Gaignières. C’est que Pascal, pourtant avare de citations, a donné son nom, dans un passage assez énigmatique de l’opuscule qui traite précisément des combinaisons.
15À la fin de l’opuscule Combinationes, Pascal pose comme problème à résoudre sans se servir du triangle arithmétique la question suivante : étant donnés deux nombres inégaux, trouver de combien de manières le plus petit se combine dans le plus grand. Il donne une première solution tirée du triangle arithmétique18, et ajoute dans un Monitum : « Eruditissimus ac mihi charissimus D. D. de Ganieres, circa combinationes, assiduo ac perutili labore, more suo, incumbens, ac indigens facile constructione ad inveniendum quoties numerus datus in alio dato combinetur, hanc ipse sibi praxim instituit . . .19 ». Pascal, après avoir donné la solution de son ami, abdique, en des termes surprenants devant une difficulté dont il est remarquable qu’elle l’ait effrayée au moment où il écrivait cet opuscule : « Excellentem hanc solutionem ipse mihi ostendit, proposuit ; ipsam ego sane miratus sum, ac etiam demonstrandam sed difficultate territus vix opus suscepi, et ipsi auctori reliquendum existimavi ; attamen trianguli arithmetici auxilio, sic proclivis facta est via20. »
16Cette « voie aisée » par laquelle Pascal retrouve un mode de calcul semblable à celui de Gaignières consiste simplement à profiter de la propriété de symétrie du triangle arithmétique : elle n’est pas la démonstration directe demandée. Et l’opuscule s’achève sur une chaleureuse profession d’amitié qui laisse penser que le charissimus du début était bien plus qu’un simple terme de politesse : « Hac demonstratione assecuta, jam reliqua quae invitus supprimebam libenter omitto, adeo dulce est amicorum memorari21. »
17Ainsi Pascal était lié d’affection avec Aimé de Gaignières ; il savait que son ami s’était consacré, et avec application, à l’étude des combinaisons ; il estimait très haut, à une époque donnée, son savoir en la matière. Par ailleurs, nous avons vu que Gaignières, renchérissant sur ce qu’avait trouvé Pascal, proposa à ce dernier une question plus difficile : non pas tant défi, semble-t-il, qu’interrogation précise d’un homme qui en sait plus long qu’il ne dit, connaît déjà la réponse, mais ne livre pas son savoir d’un coup. Gaignières en a-t-il livré par la suite davantage ? Nous ne pouvons l’assurer, mais il est peu vraisemblable que l’échange en soit resté là. Il est vrai que le souci de précision, sinon l’honnêteté, aurait dû, en fin de compte, faire dire simplement à Gaignières : « Lisez donc les œuvres du Père Mersenne. »
18Pascal, guidé par un conseil de ce genre, ou pour tout autre raison, en est-il venu un jour à prendre connaissance de tous les résultats accumulés par Mersenne, et qui auraient dû le captiver, puisqu’il avait tant admiré l’un d’entre eux, par personne interposée ? Ici apparaît la fragilité des raisonnements qu’il est pourtant si naturel d’admettre sans précautions : de ce que telle personne fut en relations avec un auteur, on va supposer volontiers qu’elle en a lu toutes les œuvres et en a tiré profit.
19Or rien ne certifie que Pascal ait lu effectivement les passages de l’Harmonie universelle ou des Harmonicorum libri auxquels nous pensons : ni la connaissance familière qu’il eut de Mersenne, ni son intérêt marqué pour la musique22. Il n’en reste pas moins que nous sommes maintenant assurés qu’il en eut par Aimé de Gaignières un écho indirect.
(c) Contenu des notes de lecture relevées par Aimé de Gaignières dans les œuvres de Mersenne
20Le témoignage d’Aimé de Gaignières nous est précieux à un autre titre. Des notes de lectures suscitées par une œuvre lors de sa parution : l’historien dispose rarement de tels documents. Consultons rapidement le recueil de Gaignières. Nous pouvons y distinguer d’après leur contenu deux groupes de textes, un premier groupe qui pourrait être intitulé : De la langue, et un second groupe auquel Gaignières a donné lui-même pour titre général Des combinaisons.
Premier groupe
21Il se divise nettement en deux :
22— Nous trouvons tout d’abord la copie des Propositions XII, XIII, XIV, XV du « Livre second des chants » (Harmonie universelle, II). Tout en touchant au problème de la langue universelle, ces Propositions définissent une méthode permettant d’écrire des « lettres tres difficiles à dechifrer », autrement dit un chiffre23.
23Or Gaignières s’intéressait de très près à la cryptographie : nous en avons trouvé la preuve dans des feuillets écrits de sa main que nous avons identifiés dans un recueil de manuscrits consacré à cette discipline24. Il dressait en particulier des « alphabets » à l’intention de ses amis. Certains de ses écrits sur les chiffres sont datés de 1633 ; on peut donc supposer que ce qui a tout d’abord retenu son regard dans l’ouvrage de Mersenne, c’est le procédé cryptographique original que proposait ce dernier ; il en aura recopié l’exposé, pour mieux l’assimiler, tout en refaisant de son côté les calculs (qu’il a notés à part).
24— Les textes qui suivent concernent des questions linguistiques. « A scavoir si l’on peut inventer la meilleure langue de toutes les possibles pour expliquer les conceptions de l’esprit » : Gaignières recueille dans le « Livre de la voix » (Harmonie universelle, II) ce qui concerne ce problème, c’est-à-dire essentiellement la Proposition XLVII. Puis il va relever ce que dit Mersenne de la langue naturelle, et comme, à un certain moment, Mersenne renvoyait son lecteur à un passage des Quaestiones in Genesim25, Aimé de Gaignières s’y est reporté et l’a noté, tout en faisant quelques coupures. Nous voilà ensuite ramenés en arrière vers la « Preface au lecteur » où Mersenne annonçait en particulier que la XIIIe Proposition du « Livre des chants » enseignerait « la maniere de composer tel idiome que l’on voudra ». Enfin, trois propositions, toujours du « Livre de la voix » qui traitent de la voix des animaux, des différents mouvements de la langue et de la production des sons, et des rapports entre les passions et affections humaines avec les manières de parler et de rire.
Deuxième groupe
25Le second groupe de textes porte essentiellement, comme l’indique le titre d’Aimé de Gaignières (« Des combinaisons ») sur des problèmes d’analyse combinatoire. Gaignières a pris tout d’abord des notes sur le chapitre 9 du livre III de La Vérité des sciences ; après quoi il a groupé selon leur contenu des extraits de propositions tirées :
26— de l’Harmonie universelle, « Livre second des chants » : Propositions XI, XII, XVI, XVIII, XX, XI ;
27— des Harmonicorum libri, VII, De cantibus : Propositions V, VI, VII, IX, XI, XII, XIII.
28Cette bibliographie (qu’on croirait dressée à notre intention...) laisse prévoir qu’il nous faudra à notre tour aller de livre en livre, pour glaner et rassembler ce que Mersenne y a dispersé. Au cours de cette enquête, l’exemple d’Aimé de Gaignières pourrait également nous apprendre à rythmer notre lecture. Gaignières était un amateur éclairé qu’auraient sans doute rebuté des spéculations plus élevées sur la théorie des nombres, ou les recherches géométriques par lesquelles se forgeait le calcul infinitésimal. Et il fut sans doute conduit aux « combinaisons » par sa passion pour la cryptographie. L’analyse combinatoire telle que nous allons la rencontrer ne dépasse pas le niveau moyen de la culture mathématique, à cette époque, et on pouvait y être conduit et même préparé par des exercices extérieurs aux mathématiques proprement dites. D’où nous tirerons dès maintenant pour leçon que nous pourrons avoir profit à ne pas nous attacher aux seuls résultats d’arithmétique pure, mais à recenser aussi soigneusement les domaines dans lesquels s’enracinent ces derniers.
2. À propos de Frenicle : L’Abrégé des combinaisons édité en 1693
29En Aimé de Gaignières, Mersenne trouva donc un élève consciencieux. Mais que Mersenne ait été aussi en contact avec un mathématicien de renom qui s’intéressa lui-même de près à l’analyse combinatoire, voilà certes qui compte davantage. On pourrait s’étonner cependant que nous avancions ici le nom de Frenicle26. Car si ce dernier a bien écrit un Abrégé des combinaisons, cet ouvrage ne parut qu’en édition posthume, en 1693, dans un recueil de Divers ouvrages de Mathématique et de Physique par Messieurs de l’Académie royale des sciences. Pour que nous ayons jugé nécessaire de les étudier simultanément, y aurait-il donc un lien entre cette œuvre éditée à la fin du xviie siècle et les recherches de Mersenne ?
30C’est qu’en effet, ayant eu à relever les notes manuscrites portées par Mersenne sur son exemplaire de main de l’Harmonie universelle, il nous apparut que certaines d’entre elles concordaient de manière frappante avec des passages de l’Abrégé ; comme de plus, Mersenne mentionne en ce même lieu, sous une forme abrégée, mais sans ambiguïté, le nom de Frenicle, un fait s’avère certain : Mersenne a eu sous les yeux un écrit de Frenicle. Il en ressort immédiatement, Mersenne étant mort en 1648, que Frenicle s’est donc intéressé à l’analyse combinatoire vers le même temps que ce dernier, et que certaines de ses recherches se trouvent être de loin antérieures à celles de Pascal.
31Cela aurait suffi pour nous engager à comparer les apports respectifs de Mersenne et de Frenicle ; or l’identification et l’analyse de certains manuscrits de Frenicle nous ont révélé des liens encore plus étroits entre nos deux auteurs.
32Nous aurons plus tard à revenir en détail sur ces manuscrits. Disons simplement pour l’instant27 qu’ils se partagent en deux groupes :
- un premier groupe se trouve aux Archives de l’Académie des sciences ;
- un second groupe se trouve au Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale.
33Or, si nous considérons l’Abrégé tel qu’il se présente sous sa forme imprimée, nous pouvons y distinguer très nettement deux parties : la première traite des théorèmes fondamentaux de l’analyse combinatoire ; la seconde est composée d’applications et de compléments. Et il se trouve que les deux groupes de manuscrits mentionnés ci-dessus correspondent précisément à ces deux parties : le premier groupe ne concerne par son contenu que la première partie de l’Abrégé ; le second groupe nous donne, à quelques variantes près, la seconde partie de l’Abrégé. Ces deux groupes de textes nous offrent donc sous une forme manuscrite, dont on pourra constater par la suite qu’elle est riche en enseignements, le texte complet de l’Abrégé.
34Il nous faut ajouter un mot au sujet des manuscrits des Archives de l’Académie des sciences. Ils sont constitués de deux lots que nous désignerons par les sigles F-a et F-b, et qui tout en ayant pour l’essentiel un même contenu (il s’agit, rappelons-le, de la première partie de l’Abrégé) présentent les caractéristiques suivantes :
35— F-a : il s’agit d’un texte autographe de Frenicle. C’est une manière de brouillon qui comporte de nombreuses ratures et corrections, et où, en particulier, Frenicle a biffé après coup un passage où il avait failli verser dans une erreur grave. On peut discerner nettement, d’après les corrections apportées par Frenicle, que ce texte a comporté deux états.
36— F-b : il s’agit de la mise au net, par un copiste, du second état de F-a. Cette copie une fois établie, Frenicle y a ajouté, de sa propre main, des corrections, et par un système de renvois, a modifié le plan qu’il s’était primitivement fixé.
37L’examen des notes manuscrites portées par Mersenne sur son exemplaire de main de l’Harmonie universelle montre que l’écrit de Frenicle qu’il a eu sous les yeux et dont il a recopié certains passages, ou textuellement, ou en les résumant est le manuscrit F-a.
38Comme Frenicle avait mentionné dans cet écrit une table contenue dans les Harmonicorum libri de Mersenne (1636), tout nous porte à supposer que Frenicle a trouvé dans la lecture de Mersenne de quoi l’inciter à réfléchir sur l’analyse combinatoire, et il aura ensuite communiqué à son ami, sous forme manuscrite le résultat de ses réflexions. Sans doute y eut-il là l’occasion de discussions ultérieures, mais nous n’en avons pas relevé de traces.
39Il n’en reste pas moins que la concomitance de leurs recherches, le fait qu’elles aient été très certainement liées tout en restant très distinctes, nous invitaient à mener de front l’étude de Mersenne et de Frenicle. Cela n’ira pas sans entraîner, dans nos Deuxième et Troisième Parties, les lourdeurs de toute étude comparative : au moins y trouverons-nous l’occasion de mieux connaître l’Abrégé des combinaisons qui, jusqu’ici, n’avait fait l’objet d’aucune analyse28.
Notes de bas de page
1 Antoine Furetière, Dictionaire (sic) universel, La Haye et Rotterdam : A. & R. Leers, 1690, vol. I, non paginé.
2 Où l’on retrouve la phrase même de Furetière, à cela près que le mot « combination » y est remplacé par le mot « combinaison » (Dictionnaire universel français et latin vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, nvelle éd., Paris : E. Ganeau, 1771, vol. II, p. 704).
3 « Le P. Mersenne a donné les combinaisons de toutes les notes et sons de la Musique au nombre de 64, la somme qui en vient ne peut s’exprimer, selon lui, qu’avec 60 chiffres ou figures. » (Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, éd. par une société de gens de lettres, Paris : A.-C. Briasson, M.-A. David, L. Durand, A.-F. Le Breton, vol. III, 1753, p. 663.)
4 Pascal 1908 – 1914, vol. III, p. 442.
5 Mersenne 1933 – 1988, vol. V, p. 134 – 140. Cet Éclaircissement contient cependant quelques inexactitudes. Cf. également vol. VI, p. 195, note 7.
6 Cet exemplaire est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque des Arts et Métiers à Paris, et c’est lui qui a été reproduit par les soins du C.N.R.S., en édition fac-similé, en 1963, Mersenne 1636a/1963.
7 Voici la description qui en est donnée dans le Catalogue des manuscrits français de la Bibliothèque nationale, ancien supplément français, (Henri Omont, Paris : E. Leroux, 1895 – 1896, vol. II, p. 507) : « 12357. Remarques tirées du livre de l’Harmonie universelle du P. Mersenne, ainsy qu’il les avoit escrites, de sa main, à la marge et aux feuillets blancs devant et derrière dudit livre.
Fol. 25. Academia Parisiensis viros clarissimos Galilaei Familiares et amicos lyncaeos precatur, uti sequentibus in Dialogorum libros notis respondeant... et ad eximium geometram Genuensem D. Sanctininum mittant..., 1643. [L’Académie parisienne prie les hommes illustres familiers de Galilée et amis lyncéens de répondre à ce qui suit sur les célèbres livres des Dialogues... et de le transmettre à l’éminent géomètre de Gênes, M. Santini.] On a joint en tête du volume (fol. 1-2) des tables des “consonances” et des “dissonances”, et une “Disposition des tons et semi-tons” musicaux.
xviie siècle. Papier. 26 feuillets. 330 sur 220 millimètres. D. rel. (Supplément français 902). »
La « communication » de l’Academia Parisiensis à l’Academia dei Lyncei, que l’on trouve aux fol. 25 – 26, est évidemment indépendante des Remarques (Sur cette communication, cf. Lenoble 1943, p. 430, note 6 et p. 590, note 4). [N. D. É : Le manuscrit 12357 est maintenant en ligne, http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/btv1b90609195.]
8 Cf. Lenoble 1943, p. xxiv et xxxv.
9 Id., p. xxxvi.
10 « 12358. Propositions extraites du “livre des chants du Père Mersenne”.
Même écriture que celle du volume précédent.
xviie siècle. Papier. 44 feuillets. 300 sur 202 millimètres. Couvert. Parchemin. (Supplément français 3819). » (Omont 1895 – 1896, op. cit., vol. II, p. 507.)
11 Fol. 37 v° – 44 r°.
12 Cf. notre Troisième Partie, ch. 1.
13 Fol. 21 r°. Cf. ci-dessous, p. 90, note 102.
14 Sur Aimé de Gaignières, voir la notice que nous lui avons consacrée dans notre appendice.
15 Mersenne 1933 – 1988, vol. VI, Aimé de Gaignières à Mersenne, lettre 585, 17 février 1637, p. 195 – 196.
16 Cf. ci-dessous, p. 201 – 202.
17 B.N., mss., nouv. acquis. françaises, 6204, p. 561 (fol. 274 r°).
18 Soit à calculer C (6, 2). Pascal calcule :
19 Pascal, vol. III, p. 588. « Un savant érudit, et qui m’est très cher, M. de Gagnières, s’étant occupé des combinaisons avec la patience et le succès dont il est coutumier, voulut connaître une méthode simple donnant la multitude des combinaisons d’un nombre dans un autre ; il fut ainsi conduit à la règle suivante... » (Id., p. 591). La solution de Gaignières consiste à calculer :
20 Id., p. 590. « M. de Gagnières me communiqua lui-même cette excellente solution et me proposa même d’en chercher la démonstration ; j’admirai le problème, mais, effrayé par la difficulté, je pensai qu’il convenait d’en laisser la démonstration à son auteur ; cependant, grâce au triangle arithmétique, une voie aisée me fut ouverte pour y parvenir. » (Id., p. 592 – 593.)
21 Id., p. 592. « Ce point étant acquis, je renonce volontiers à publier les résultats qu’il me coûtait d’abord de supprimer : tant il m’est doux de pouvoir rappeler ici le travail d’un ami. » (Id., p. 593.)
22 Sur cet intérêt, cf. Jean Mesnard, « Pascal et la musique », in Blaise Pascal, Textes du tricentenaire, par F. Mauriac, L. de Broglie, ..., Paris : Fayard, 1963, p. 195 – 205.
23 Cf. ci-dessous, Troisième Partie, chap. 2, B, 1.
24 Cf. Appendice.
25 Quaestio LVII, Articulus IV : « De Pronuntiatione eorum, quae canuntur ut distinctè audiri possint, & de litterarum, atque dictionum electione », Mersenne 1623, col. 1566-1570. [ « Question LVII, article IV : De la prononciation de ceux qui sont chantés afin qu’ils puissent être entendus distinctement, et du choix des lettres et des dictions. »]
26 Voir, dans notre Appendice II, quelques indications sur la vie et les œuvres de Frenicle.
27 On trouvera dans l’Appendice III une description plus détaillée de ces manuscrits.
28 Isaac Todhunter, Moritz Cantor (cf. ci-dessous, p. 195) ne le mentionnent même pas.
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