5. La question des origines et de l’évolution de la faculté de langage
p. 139-162
Texte intégral
1L’innéisme de Chomsky n’est pas fondé sur un raisonnement adaptationniste au sujet des origines et de l’évolution de la faculté de langage. Cette question pose ainsi à Chomsky un problème de fond : sa position anti-adaptationniste est-elle compatible avec le naturalisme méthodologique qu’il défend par ailleurs ? Plus généralement, cette position est-elle compatible avec les connaissances en biologie évolutionniste ? Comme on l’a souvent remarqué, c’est un aspect sur lequel Chomsky a peu écrit et s’est relativement peu expliqué. Il n’en reste pas moins qu’il défend une position constante sur cette question, qui lui a valu de nombreuses et virulentes critiques. Il s’agit donc de clarifier cette position, de l’expliquer et de l’évaluer.
1. Chomsky et l’évolution de la faculté de langage : la discontinuité entre le langage humain et la communication animale
1. Mise en perspective : les débats sur les origines et l’évolution de la faculté de langage
2Les discussions actuelles portent sur deux points : l’un concerne les origines de la faculté de langage, c’est-à-dire les pré-adaptations à partir desquelles on suppose que la faculté de langage s’est développée ; l’autre porte sur l’évolution de la faculté de langage et la question de savoir si elle a été façonnée ou non par la sélection naturelle, en d’autres termes si elle est ou non une adaptation. Il s’agit ici, sans être exhaustif, de donner un bref aperçu de ces discussions afin de resituer la position de Chomsky parmi celles-ci.
A. Les origines de la faculté de langage
3Les points de controverse dans la question des origines de la faculté de langage concernent donc la nature des pré-adaptations à celle-ci.
4Il paraît naturel de se tourner vers les comportements des animaux sociaux. Si Lestel (2005) défend qu’il faut rechercher les origines du langage dans les règles et les normes existant dans les sociétés animales, l’hypothèse la plus évidente et la plus courante consiste à faire dériver la faculté humaine de langage des systèmes de communication animale, plus précisément de ceux des primates non humains. Le programme de recherche sur l’apprentissage du langage chez les grands singes s’inscrit dans cette perspective. Cette hypothèse ouvre deux possibilités : la faculté humaine de langage se serait développée à partir de la communication gestuelle ou à partir de la communication vocale. La question de l’évolution de la parole est discutée notamment par Hauser (2001) et Fitch (2000, 2005) à la lumière des données de la psychologie comparative. Cependant, la première possibilité a connu une nouvelle vogue durant la dernière décennie, avec la découverte des neurones miroirs1, que des chercheurs ont mis en relation avec l’évolution de la faculté de langage (Rizzolatti & Arbib 1998 ; Arbib 2002, 2005 ; Corballis 2009).2 D’autres données récentes suggèrent aussi que la communication gestuelle chez les primates est plus flexible et susceptible d’apprentissage que la communication vocale, bien qu’elle ait été moins étudiée que cette dernière (Pollick & de Waal 2007 ; Call & Tomasello 2007).
5On a également cherché quelles structures physiologiques ou anatomiques pouvaient jouer un rôle fondamental dans la perception, la production ou le traitement du langage, en évoquant un meilleur contrôle du muscle de la langue, du débit d’air dans les poumons, et surtout la position descendue du larynx chez l’être humain3, sans que ces hypothèses paraissent finalement convaincantes (voir Coupé 2005 pour une revue de ces hypothèses).
6Ce sont les structures cognitives qui apparaissent décisives (voir Hauser et al. 2007). Des chercheurs pointent ainsi plus particulièrement le rôle de la théorie de l’esprit dans l’émergence de la faculté de langage. Rappelons que ce qu’on appelle en sciences cognitives la « théorie de l’esprit » consiste dans la capacité à attribuer aux autres des états mentaux, autrement dit à considérer les autres comme des agents doués d’intentions, de buts, d’émotions, etc. La question des rapports entre langage et théorie de l’esprit est à la fois complexe et difficile à trancher (sur ces problèmes, voir Malle 2002). Différents auteurs comme Tomasello (1999, 2008) ou Sperber et Origgi (Origgi & Sperber 2000, Origgi & Sperber 2004, Sperber & Origgi 2005)4 ont proposé des scénarios prenant en compte les différents composants du langage et de la théorie de l’esprit. Je vais y revenir dans ce qui suit.
B. L’évolution de la faculté de langage
7La question des origines de la faculté de langage est évidemment étroitement liée à celle de son évolution. Les chercheurs proposent des scénarios évolutifs en accord avec leur conception des origines du langage. L’opposition majeure de ce point de vue se situe entre les théories adaptationnistes et les théories non adaptationnistes de l’évolution de la faculté de langage.
8Du côté des théories considérant que la faculté de langage est une adaptation, l’article de Pinker & Bloom (1990) dans Behavioral and Brain Sciences a joué un rôle important. L’argument essentiel proposé par Pinker et Bloom en faveur de l’idée que la faculté de langage est une adaptation est l’argument dit du « design » : la faculté de langage se présente comme une faculté complexe composée de multiples sous-composants ; or la seule façon d’expliquer l’apparition d’une telle structure est la sélection naturelle. D’autres auteurs partagent avec Pinker et Bloom l’idée que la faculté de langage est une adaptation pour la communication. Ainsi, Sperber et Origgi (voir les références citées plus haut) défendent l’idée que la faculté de langage est apparue et a évolué pour devenir de plus en plus complexe parce qu’elle représentait un avantage adaptatif du point de vue de la communication inférentielle.5
9Cependant, selon d’autres théories, la faculté de langage est bien une adaptation, mais non une adaptation à la communication. Pour Dunbar (1996), le langage a pour fonction le renforcement des liens sociaux à travers la transmission des rumeurs. Dessalles (2000 ; Dessalles et al. 2006), lui, remarque que le langage pose un problème du point de vue de l’évolution parce qu’il implique des comportements altruistes, en l’occurrence le partage d’informations sur le monde. L’explication qu’il propose est que l’individu qui donne de l’information élève son statut social. Le développement de la faculté de langage serait ainsi à mettre en relation avec le développement de l’intelligence et l’augmentation de la taille des groupes sociaux dans la lignée humaine (voir aussi Victorri 2005).
10La conception non adaptationniste de l’émergence de la faculté de langage est minoritaire dans ce champ de recherche. Différentes théories n’en existent pas moins. Tomasello (1999, 2008) défend une conception du langage comme un produit culturel : pour lui, c’est la capacité à comprendre les autres comme des agents intentionnels – la théorie de l’esprit – qui rend possible chez les êtres humains l’apprentissage culturel ; « [l]a communication linguistique n’est donc rien d’autre qu’une manifestation et une extension (certes tout à fait spéciale) des compétences dont l’enfant est déjà doté pour participer à l’attention conjointe et à l’apprentissage culturel » (Tomasello 1999, trad. p. 124). Kirby aussi défend l’idée que les langues sont le produit d’une évolution culturelle et historique, avec des arguments différents qui prennent appui sur des modélisations du langage en intelligence artificielle (Christiansen & Kirby 2003 ; Kirby et al. 2007). Au contraire, Chomsky tout comme Piattelli-Palmarini (1989) soutiennent que la faculté de langage est innée et qu’elle est un sous-produit de contraintes biologiques : elle n’a pas été directement sélectionnée mais est le sous-produit d’autres adaptations. Gould (1991, 1995) reprend et développe la même idée.
2. Chomsky, la théorie de l’évolution et l’évolution de la faculté de langage
11Concernant l’évolution de la faculté de langage, la position de Chomsky peut être circonscrite au moyen de trois idées fondamentales qu’il a défendues depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui.
12Tout d’abord le langage n’est pas essentiellement fait pour la communication mais pour l’expression de la pensée. Avant de concerner le problème de l’évolution de la faculté de langage, cette thèse qu’il défend depuis ses premiers écrits prend sa source dans sa conception de la nature du langage. Comme il le dit dès la critique de Skinner, le langage n’est pas un comportement sous le contrôle des stimuli6, mais au contraire une activité qui met en jeu la créativité et la liberté humaines. Ce qui fait de l’usage du langage un « mystère » pour reprendre son expression, c’est précisément la part de libre-arbitre qu’il implique, part impossible à formaliser, à réduire à des règles, à comprendre scientifiquement. S’opposant à l’idée d’un langage soumis aux besoins ou à des buts pratiques, Chomsky trouve dans la tradition rationaliste une définition qui lui paraît bien plus propre à le caractériser : le langage est essentiellement un moyen d’expression de la pensée, et non de communication (Chomsky 1965, 1966, 1968). Quand il aborde la question de l’évolution de la faculté de langage, Chomsky le fait avec le même souci de ne pas le confondre avec la communication, et les systèmes de communication des autres animaux.
13Cette idée est poussée à l’extrême dans le « Programme minimaliste ». Le minimalisme consiste à réduire la faculté de langage à un nombre extrêmement limité de principes qui obéissent selon Chomsky à des conditions d’économie et d’élégance. Dans ce cadre, Chomsky en vient à dire que le langage est « dysfonctionnel » du point de vue de la communication, parce que les principes qui le régissent sont sous-optimaux par rapport à cette fonction (Chomsky 1991a, p. 49-50 ; 1991b, p. 448 ; 1995a, p. 162).
14La deuxième idée défendue par Chomsky est qu’il est peu probable que la faculté de langage soit une adaptation, façonnée par la sélection naturelle. Nous avons déjà vu que Chomsky fait montre d’un grand scepticisme par rapport aux explications adaptationnistes et qu’il souligne que la recherche des origines évolutives d’un trait ou d’une structure n’implique pas nécessairement d’y voir le résultat de la sélection naturelle (Chomsky 1980a, trad. p. 97 ; 2000a, trad. p. 341 ; 2002, p. 47 et 77). Il insiste sur l’existence d’autres types d’explication (cf. Chomsky 1988, p. 167) et sur l’importance des contraintes physiques qui interviennent dans l’architecture de l’organisme et dans son développement, au détriment des explications adaptationnistes (Chomsky 1982, p. 23 et 1975, trad. p. 75).
15Chomsky considère que le recours aux explications adaptationnistes n’est qu’une déclaration d’intention naturaliste. « On peut sans risque admettre que ce développement [de la structure mentale innée] dépend de la « sélection naturelle », à condition de reconnaître que cette assertion n’a aucun contenu empirique, qu’elle se réduit à croire qu’il doit y avoir une explication naturaliste des phénomènes » (Chomsky 1968, trad. p. 206 modifiée) (voir aussi Chomsky 1972, p. 97).
16Son scepticisme ne tient pas, ou pas seulement, aux limites actuelles de nos connaissances en la matière. Lorsqu’il considère l’avenir possible de la recherche scientifique, c’est dans une autre direction, celle de la biologie moléculaire, autrement dit de l’étude des processus physico-chimiques qui sous-tendent le fonctionnement des organismes, qu’il dirige ses espoirs, revenant constamment sur les limites de l’adaptationnisme.
17Enfin, pour Chomsky, il ne fait pas de doute que le langage est spécifiquement humain, qu’il diffère qualitativement de tous les systèmes de communication animale et plus généralement qu’il possède des traits sans équivalent dans le règne animal. Les principes qui sous-tendent la faculté de langage apparaissent sans analogue aucun (Chomsky 1980a, trad. p. 224-226 ; Chomsky 1988, p. 37). Il s’agit essentiellement de la récursivité et de la capacité à traiter des infinités discrètes (cf. Chomsky 1982, p. 19).
18Chomsky met en relation ce caractère unique et la manière dont la faculté de langage serait apparue dans la lignée humaine (cf. Chomsky 1982, p. 22). La faculté de langage serait le sous-produit d’une réorganisation du système nerveux central : celle-ci aurait fait émerger brusquement cette capacité de récursivité ou d’infinité discrète7 qui est le cœur computationnel de la faculté humaine de langage selon lui, et c’est à partir de cette propriété fondamentale que la faculté de langage se serait mise en place, éventuellement sous la pression de la sélection naturelle (cf. Chomsky 1988, p. 169-70). De fait, Chomsky reconnaît le caractère adaptatif du langage : « Le langage confère très certainement d’énormes avantages en matière de sélection naturelle » (Chomsky 1980a, trad. p. 224). Mais il s’agirait alors d’adaptations ultérieures, ayant contribué à perfectionner la faculté de langage, qui ne changent rien à l’origine non adaptative, selon Chomsky, de la faculté de langage.
19L’idée chomskyenne fondamentale qui ressort de ce qui précède est qu’il existe une discontinuité ou une rupture radicale entre le langage humain et la communication animale. Chomsky a-t-il raison sur ce point ?
3. La discontinuité entre le langage humain et la communication animale
20L’idée d’une discontinuité fondamentale entre le langage humain et la communication animale a été contestée par tout un ensemble de recherches menées sur les grands singes8 et regroupées dans ce qu’on a appelé « The Ape Language Research Program ». La proximité évolutive des grands singes avec l’homme a conduit des chercheurs à mettre en question l’incapacité des grands singes à parler, ou du moins à la mettre à l’épreuve. Ainsi ont commencé les premières tentatives pour leur apprendre le langage. Les critiques à l’encontre de ce programme de recherche ont été nombreuses, et Chomsky notamment a toujours nié la valeur et l’intérêt de ces études pour la linguistique. Je rappellerai d’abord, à titre introductif, les grandes étapes de ce programme de recherche, puis je dégagerai les arguments que l’on peut en tirer concernant l’évolution de la faculté de langage.
A. Introduction : l’histoire du « Ape Language Research Program »
21C’est avec le darwinisme que les premiers chercheurs eurent l’idée de s’intéresser à la communication des grands singes pour la comparer au langage humain. Avant même que des psychologues ne lancent le programme de recherche visant à apprendre le langage à des grands singes dans la seconde moitié du 20e siècle, il y eut quelques précurseurs, comme Richard L. Garner à la fin du 19e siècle, la psychologue Nadia Kohts au début du 20e siècle en Russie (voir Yerkes 1936, qui fit un résumé en anglais de son livre), ou Robert Yerkes, qui créa à la même époque en Floride un centre de primatologie (voir Yerkes & Learned 1925).
Les premières tentatives : apprendre le langage parlé
22Robert Yerkes initia une première grande étape en confiant de jeunes chimpanzés à des couples de chercheurs pour les élever en milieu humain et comparer leur développement à celui d’enfants humains. Cela donna lieu aux premières tentatives systématiques pour apprendre le langage à des grands singes. Cependant, ces expériences furent des échecs. On s’est rendu compte que les singes ne possèdent pas l’anatomie adéquate pour parler : ils n’ont pas un larynx descendu en permanence comme les humains, ce qui ne leur permet pas d’articuler des sons. Les chercheurs de la seconde moitié du 20e siècle en ont tiré les leçons : pour apprendre le langage aux grands singes, il fallait utiliser un autre medium que la parole.
Washoe, Sarah, Lana et les autres
23Allen et Beatrix Gardner débutèrent en 1966 un nouveau programme de recherche avec une jeune chimpanzé femelle, Washoe, âgée d’environ un an au début de l’expérience. Ils utilisèrent la langue des signes américaine (voir Gardner & Gardner 1969). Convaincus de l’importance de l’environnement social dans l’apprentissage du langage, ils firent le choix d’élever Washoe dans un milieu comparable à celui d’un enfant humain, multipliant les interactions, les jeux avec elle. Ils s’appuyèrent sur l’apprentissage par observation et mirent au point une nouvelle méthode dite de « façonnage », qui consistait à corriger la position des mains et des doigts du singe. Après un peu plus de quatre ans d’entraînement, Washoe maîtrisait 132 signes.9
24A la même époque, Ann et David Premack débutèrent une étude avec une femelle chimpanzé, Sarah, qu’ils élevèrent cette fois en laboratoire. Ils cherchèrent à mettre en place des conditions expérimentales très strictes (Premack 1970). Pour lui apprendre le langage, ils utilisèrent non pas la langue des signes mais des symboles en plastique magnétisés qui pouvaient se fixer à un tableau ; chaque symbole représentait un mot, et les signes variaient par leur couleur, leur taille et leur forme. Ils apprirent à Sarah un large vocabulaire, comprenant des concepts comme « le nom-de », « la couleur-de », « le même que » et « différent-de », la négation « non, pas de », ainsi que des règles qui reliaient les mots entre eux. De fait, pour les Premack, enseigner le langage était un moyen d’étudier l’intelligence des primates. En permettant au chimpanzé d’acquérir des mots, il s’agit de rendre apparent son monde conceptuel, d’exploiter l’intelligence et la connaissance qu’il a déjà (Premack 1976 et 2007). Sarah apprit ainsi à produire et décoder des phrases pour lesquelles l’ordre des mots compte (Premack 1976). Ils estimèrent le vocabulaire de Sarah à 130 mots, utilisés avec une fiabilité de 75 à 80 % (Premack & Premack 1972).
25Un autre projet fut conduit par Duane Rumbaugh avec une jeune chimpanzé femelle de deux ans et demi au début de l’expérience, Lana. Pour enseigner le langage à Lana, il conçut un ordinateur avec un clavier électronique composé de « lexigrammes », qui correspondaient à des mots, et une grammaire pour les règles de composition des mots, qu’il appela, en hommage à Robert Yerkes, le « Yerkish ». Pour construire une phrase, il fallait commencer par appuyer sur une touche qui initiait le processus (intitulée « Please »), puis toucher successivement les différents lexigrammes, et terminer par une touche appelée « Period ». L’ordinateur calculait alors la recevabilité grammaticale de la phrase qui s’affichait sur un écran. Rumbaugh souligna certaines prouesses de Lana. Il lui arrivait par exemple quand elle faisait des erreurs d’appuyer sur la touche « Period », ce qui avait pour conséquence de faire disparaître la séquence et de lui permettre de recommencer. Selon Rumbaugh, cela montre qu’elle avait appris à lire ce qu’elle écrivait sur l’écran et qu’elle utilisait la touche de fin pour corriger ses erreurs (voir Rumbaugh et al. 1973. Voir aussi pour d’autres exemples Hillix & Rumbaugh 2004). Sue Savage-Rumbaugh a reproduit l’expérience avec de jeunes chimpanzés mâles, Sherman et Austin, qui apprirent à signer également entre eux et à échanger ainsi de l’information au sujet de la nourriture ou d’outils dont ils avaient besoin dans les tâches qu’on leur demandait.
26Ces expériences sont les plus célèbres, mais il y en eut d’autres, non seulement aux États-Unis, mais aussi, par exemple, au Japon où Tetsuro Matsuzawa élabora un projet avec un chimpanzé nommé Ai. Des expériences ont également été faites avec d’autres espèces que les chimpanzés. Francine Patterson a élevé à partir de 1972 une femelle gorille, Koko, et lui a appris la langue des signes américaine. Après 51 mois, Koko maîtrisait 161 signes, et elle attint finalement plus de 200 signes (Patterson 1981a). Lyn Miles a enseigné, elle, la langue américaine des signes à un orang-outang, Chantek, par le biais d’interactions avec les expérimentateurs et non par entraînement. En huit ans, il a appris 150 signes (Miles 1983).
27La conclusion de toutes ces études fut que les chimpanzés et peut-être les grands singes en général étaient capables de maîtriser le langage dans certaines limites, au même titre qu’un enfant de deux ans.
Nim Chimpsky et les déconvenues de l’« Ape Language Research Program »
28Herbert Terrace, sceptique par rapport aux résultats obtenus avec Washoe, Sarah et Lana, lança son propre projet, le « projet Nim », du nom du jeune chimpanzé, Nim Chimpsky, que lui et son équipe élevèrent. Ils l’exercèrent à la langue des signes américaine à partir de sa deuxième semaine et pendant les quatre premières années de sa vie. La méthode d’enseignement fut celle utilisée par les Gardner, c’est-à-dire la méthode du « façonnage » et de l’imitation. En 44 mois, Nim apprit 125 signes.
29La spécificité de leur projet fut de fournir un corpus des énoncés produits par Nim pendant cette période (le premier corpus d’énoncés produits par un singe) ainsi que des enregistrements vidéo de Nim en train de signer. L’analyse des combinaisons de signes réalisées par Nim a été la première démonstration d’un ordre des mots fiable chez un chimpanzé, selon Terrace (1983). Cependant, la question se posait de savoir si Nim avait simplement imité ses enseignants. Terrace était convaincu que non. L’autre possibilité était que les régularités constatées soient statistiques, mais là encore l’analyse des données montra que ce n’était pas le cas. Une première analyse des énoncés de deux mots montra qu’ils suivaient des relations sémantiques.
30C’est une fois Nim reparti du laboratoire et l’expérience arrêtée, raconte Terrace, qu’une nouvelle analyse des données le conduisit à modifier cette interprétation. En 1979, il publia le résultat de ces recherches dans Science, dans un article co-signé avec Pettito, Sanders et Bever et intitulé « Can an Ape Create a Sentence ? » qui bouleversa ce champ de recherches. La réponse négative que les auteurs apportaient à la question posée dans le titre s’appuyait sur les résultats obtenus avec Nim et mettait en avant les problèmes méthodologiques des études menées jusque là. Je reviendrai plus en détail sur les problèmes mis en évidence dans cet article. Disons simplement ici que l’article a constitué un tournant dans l’histoire de l’« Ape Language Research Program ». En montrant les insuffisances, sur un plan méthodologique, des études menées, il a pour un temps mis fin à l’enthousiasme suscité par ce programme de recherche.
Kanzi : réponse aux critiques et nouvelles recherches
31Même si les auteurs visés par Terrace et ses collègues ont répondu aux critiques, beaucoup de chercheurs ont alors abandonné la partie sur la question du langage. Sue Savage-Rumbaugh relança néanmoins un projet avec un autre type de singe, un bonobo nommé Kanzi, et tenta de produire des données mieux contrôlées sur le langage.
32L’histoire de Kanzi est un peu différente de celle des autres singes dont j’ai parlé. Au départ, l’équipe de Savage-Rumbaugh voulait apprendre l’usage de lexigrammes à la mère de Kanzi, Matata. S’ils ne parvinrent à rien avec Matata, en revanche Kanzi, à deux ans, se révéla avoir appris le sens de nombreux symboles sans qu’on les lui ait enseignés : il accompagnait simplement sa mère et comprit de lui-même ce que les symboles représentaient. Kanzi manifesta des compétences bien plus importantes que celles des autres singes précédemment exercés au langage, tant dans la taille de son vocabulaire, dans sa compréhension de l’anglais, que dans sa compréhension de structures syntaxiques (Savage-Rumbaugh 1996). Ces résultats ont été reproduits avec deux autres bonobos, et en partie avec un chimpanzé, bien qu’à un moindre degré, qui furent exposés à l’usage des lexigrammes et de l’anglais dès leur naissance (Savage-Rumbaugh, Brakke & Hutchins, 1992).
33Pour Savage-Rumbaugh, c’est une preuve que l’environnement culturel est décisif dans l’apprentissage du langage. Elle considère que les performances de Kanzi sont dues à sa culture mi-humaine, mi-bonobo. Voulant fournir des données strictement contrôlées à l’appui de leurs conclusions, Savage-Rumbaugh et son équipe ont comparé les performances syntaxiques de Kanzi à celles d’une enfant de deux ans et demi dans un ensemble de tests qu’ils ont fait passer à la fois au singe et à la petite fille ; ils ont trouvé que les performances sont comparables (Savage-Rumbaugh et al. 1993).
B. Les problèmes méthodologiques généraux soulevés par ce programme de recherche
34Avant d’en venir à la question centrale de savoir si les singes possèdent un embryon de faculté de langage, il faut rappeler brièvement les problèmes méthodologiques généraux posés par le programme d’apprentissage du langage aux grands singes.
35Un premier problème méthodologique, pointé par de nombreux critiques (voir notamment Sebeok & Umiker-Sebeok 1980), touche à ce qu’on appelle l’effet « Clever Hans » (du nom du cheval qu’un Allemand nommé von Osten avait entraîné à répondre à des questions). L’effet « Clever Hans » consiste dans le fait que l’expérimentateur, même de bonne foi, donne involontairement des indices à l’animal sur la réponse ou le comportement qu’il attend de lui. Concernant l’apprentissage du langage aux grands singes, si la capacité nécessaire pour extraire des indices du comportement de l’expérimentateur est distincte de et inférieure à celle qui sous-tend l’usage du langage humain et si ce que les singes apprennent peut être expliqué par cette capacité, il faut appliquer un principe d’économie et conclure que les singes n’ont pas la capacité de langage (Luce & Wilder 1983).
36Cependant, nombreux ont été les défenseurs de l’« Ape Language Research Program » à remarquer que même chez les hommes, le langage n’est pas possible sans effet « Clever Hans » : en apprenant à parler, les enfants s’appuient sur de multiples indices dans le contexte. Ainsi, il ne s’agit pas de dire que les singes n’utilisent pas d’indices contextuels, puisqu’ils y arrivent au contraire très bien, mais que les performances ne peuvent pas être attribuées à ces seuls indices. Ainsi, Deborah Fouts a répondu aux critiques lors de sa soutenance de thèse en montrant des vidéos de chimpanzés qui signent en l’absence d’êtres humains. Les chercheurs qui ont observé les vidéos s’accordent dans 90 % des cas sur la signification de leurs signes (d’après Hillix & Rumbaugh 2004). De même, Savage-Rumbaugh a montré que Kanzi pouvait suivre correctement des instructions qui lui étaient données en anglais par téléphone. Cette première critique sur le rôle majeur des indices n’est ainsi pas apparue décisive.
37Une autre discussion méthodologique concerne la procédure employée pour entraîner les singes. Certains (comme Luce & Wilder 1983) ont mis en cause une forme d’anthropomorphisme dans ces recherches : on considère ainsi que le medium linguistique le plus approprié pour les expériences est la langue quotidienne qu’utilisent les êtres humains, que l’environnement approprié pour l’apprentissage chez les sujets primates est comparable à celui de l’enfant humain acquérant le langage, que l’objectif premier est une étude psychologique comparative du développement cognitif de l’homme et des primates non humains.
38Cependant, certains chercheurs engagés dans les expériences avec les singes rejettent en partie ces présupposés. Par exemple, Miles n’a pas élevé Chantek dans un environnement humain mais a essayé de restaurer en partie son environnement naturel. Surtout, comme le soulignent Hillix & Rumbaugh (2004), il semble que deux exigences méthodologiques en partie contradictoires sont en conflit dans le choix de la procédure d’entraînement. D’un côté, une méthode expérimentale stricte rend moins contestables les données ; d’un autre côté, il n’est pas sûr que cette méthode permette de développer toutes les capacités du singe ni d’en rendre compte comparée à un apprentissage plus contextualisé et spontané.
39Enfin, l’utilisation de la langue des signes par les Gardner et par Patterson a également suscité beaucoup de critiques parce que peu des expérimentateurs possédaient la langue américaine des signes comme langue native. C’est d’ailleurs aussi vrai dans le cas du projet Nim. Ce problème n’est pas sans conséquence sur l’interprétation des résultats. Wallman (1992) et Pinker (1994) contestent que les signes utilisés par les chimpanzés soient d’authentiques signes. Pinker (1994, p. 334sq) rapporte, à la suite de Wallman, qu’un sourd natif voyait moins de signes dans les gestes de Washoe que les soigneurs entendants. Ils considèrent que les Gardner n’ont pas été assez exigeants sur les critères permettant de déterminer quels gestes des chimpanzés comptaient comme des signes. Selon un décompte plus strict, on trouve une moyenne de 25 signes appris et non de 125, selon Pinker. Cependant, selon d’autres études où les enregistrements ont été vus par plusieurs locuteurs natifs de la langue des signes, la lecture par les Gardner des signes réalisés par les chimpanzés semble fiable.
C. Langage ou pas langage ?
40Le point fondamental dans la discussion porte cependant sur la nature des réalisations des singes : peut-on parler à leur propos de langage ou non ? Terrace puis Pinker notamment ont fait valoir que les grands singes ne possèdent pas un langage au sens propre du terme, ni même une faculté de langage embryonnaire puisqu’ils ne font qu’imiter les signes des soigneurs, qu’ils n’engagent pas la conversation, qu’ils utilisent les signes uniquement pour des requêtes, qu’ils ne comprennent pas la nature symbolique des signes et qu’ils ne peuvent pas construire des phrases.
41Une première série de critiques porte donc sur la compétence symbolique et sémantique des singes, c’est-à-dire sur leur compréhension de l’intention communicative liée à l’usage des signes d’une part et de la nature symbolique du signe d’autre part (voir Wallman 1992 ; Seidenberg & Petitto 1987 ; Thompson & Church 1980). Les chercheurs et notamment l’équipe de Savage-Rumbaugh ont répondu à ces critiques (voir Savage-Rumbaugh 1987 ; Beran et al. 1998). Sur ce point, il me paraît difficile de parvenir à des conclusions tranchées. Il semble difficile de nier toute compétence symbolique et sémantique chez les grands singes. D’un autre côté, beaucoup de données en faveur de cette conclusion sont présentées de manière trop peu systématique, voire anecdotique, et n’ont pas été répliquées pour que l’on puisse adopter sans réserve les conclusions des auteurs de ces études.
42Du point de vue de la syntaxe, les choses apparaissent, comme nous allons le voir, plus tranchées, et les problèmes méthodologiques prennent dans ce cas encore plus d’ampleur. Rappelons que c’est la compétence syntaxique qui constitue à proprement parler la faculté humaine de langage selon Chomsky. C’est sur ce point par conséquent que la validité de la thèse chomskyenne d’une discontinuité fondamentale entre langage humain et communication animale doit s’éprouver.
43Il nous faut revenir à l’article de Terrace et al. (1979) que j’évoquais plus haut pour détailler les critiques que ceux-ci formulent à l’encontre de l’attribution aux grands singes d’une capacité syntaxique même élémentaire. Si Terrace et ses collaborateurs reconnaissent la capacité des grands singes élevés par les chercheurs à acquérir un assez large vocabulaire de symboles visuels, ils soulignent la différence entre le mot et la phrase ; la question qu’ils posent consiste à savoir si la capacité à créer et comprendre des phrases est proprement humaine, ce qui est aussi le point de vue de Chomsky. En d’autres termes, Washoe, Sarah, Lana et les autres grands singes utilisent-ils des règles grammaticales pour former des énoncés contenant plusieurs signes ?
44L’équipe de Terrace souligne d’abord que lorsque Nim passe des énoncés à deux signes aux énoncés à trois ou quatre signes, il n’y a pas vraiment d’élaboration syntaxique ou sémantique comme chez l’enfant ; le troisième ou le quatrième signe est emphatique, comme, par exemple, dans « Eat Nim eat » ou « Play me Nim ».
45Ensuite, Terrace et ses collègues montrent que la place des signes dans les combinaisons de deux signes peuvent être expliquées par l’habitude acquise par les singes de placer tel ou tel signe à tel ou tel endroit, plutôt que par l’utilisation de règles sémantiques qui désigneraient, par exemple, le premier signe comme le bénéficiaire et le second signe comme l’objet. Ces résultats sont importants sur le plan méthodologique. En apparence, les données de Terrace et son équipe confortent celles des autres chercheurs, mais leur analyse montre que l’attribution à Nim d’une compétence sémantique est largement extrapolée. Cela remet ainsi en cause les résultats obtenus jusque là.
46L’analyse des enregistrements vidéo ne fait que confirmer l’existence d’importants problèmes méthodologiques dans les études menées. Ces enregistrements ont permis de réaliser que la plupart des combinaisons de signes produites par Nim sont une imitation partielle ou totale des énoncés produits par les professeurs de Nim juste avant, ce qui n’était apparu à aucun des professeurs de Nim sur le moment. Examinant également deux films sur Washoe, avec quelques extraits sur Koko, Terrace et al. relèvent que les combinaisons de signes produites par les singes sont invariablement d’abord signées par l’enseignant, et que les singes les imitent.
47Enfin, Terrace et ses collaborateurs soulèvent un dernier point méthodologique concernant la compréhension cette fois des séquences de mots. Ils prennent l’exemple de Sarah et de Lana qui ont appris tels quels des énoncés comme « please machine give apple ». Sarah et Lana s’avèrent incapables de substituer d’autres symboles dans les positions occupées par « please » ou « machine » ou « give ». Il semble donc qu’il s’agisse pour elles de séquences de symboles dépourvues de sens. De manière générale, la compréhension des séquences de plusieurs mots peut s’expliquer par des indices non syntaxiques sur la signification. Il faudrait exclure ces indices sémantiques extra-linguistiques, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup d’exemples avec les chimpanzés, pour parler d’une réelle compréhension syntaxique.
48Les chercheurs impliqués ont cependant répondu à ces critiques (voir, par exemple, Gardner et al. 1989, p. 50sq). Les réponses les plus convaincantes sont celles qui concernent les capacités de Kanzi (cf. Savage-Rumbaugh et al. 1998). Sue Savage-Rumbaugh et son équipe ont montré par exemple que Kanzi comprend l’ordre des mots dans des phrases avec deux objets, comme « Give a potato to the turtle ». Dans le test qu’ils ont mis au point pour comparer la compréhension syntaxique de Kanzi et celle d’un enfant de deux ans et demi, les conditions sont contrôlées : Kanzi reçoit des instructions qu’il n’a jamais entendues auparavant, et l’expérimentateur qui lui donne ces instructions n’est pas le même que celui qui enregistre les réponses, de sorte que ce dernier ne connaît pas l’instruction. Kanzi a 72 % de bonnes réponses ; même pour les structures imbriquées, il obtient 77 % de bonnes réponses (id.).
49Comment rendre compte des différences constatées dans les résultats des différentes équipes ? Pour Fouts (1983), ces conclusions contradictoires sont dues aux différences dans les procédures de recherche. On peut considérer, selon lui, le sujet comme un organisme passif ou l’on peut considérer le chimpanzé comme un être actif et social. Tous les projets sauf celui des Gardner avec Washoe ignorent les aspects sociaux du langage. Terrace ne s’est ainsi intéressé qu’aux aspects structurels et non sociaux du langage dans son apprentissage et il ne faut pas être surpris de ce qu’il ne trouve pas de productions spontanées chez Nim. Fouts rapporte que d’autres chercheurs, dans un échange conversationnel avec Nim, ont trouvé des résultats différents de ceux de Terrace, témoignant de plus de créativité, de plus de spontanéité, de moins d’interruptions de la part de Nim, alors que dans une situation d’exercice, ces chercheurs ont trouvé des résultats comparables à ceux de Terrace. Pour Fouts, cela montre que les « échecs » expérimentaux constatés sont importants et significatifs aussi pour faire apparaître ce qui est nécessaire à l’acquisition du langage.
50De manière plus générale, que penser des résultats obtenus avec Kanzi ? Les premières recherches souffraient de nombreux problèmes méthodologiques, mais également du manque de systématicité dans la présentation de leurs résultats. Comme le souligne Terrace (1983), il n’y a pas eu de publication des productions exhaustives des singes mais surtout des anecdotes. Les recherches plus récentes menées par Savage-Rumbaugh semblent plus rigoureuses de ce point de vue. Selon elle, Kanzi manifeste une certaine capacité combinatoire ou syntaxique. Cependant, pour établir notamment le degré de compréhension syntaxique de Kanzi, le problème reste de parvenir à des résultats répliqués de manière systématique par différentes équipes. Surtout, les conclusions que tire Savage-Rumbaugh des performances de Kanzi paraissent largement extrapolées, ne prenant pas du tout en compte les limites de ces performances. Le cas de Kanzi, pour ces différentes raisons, ne permet pas, me semble-t-il, à lui seul, d’inverser les conclusions négatives de Terrace et ses collaborateurs.
51L’échec relatif du « Ape Language Research Program » renforce donc l’idée que la faculté de langage et la capacité syntaxique qui la constitue sont non seulement sans équivalent dans le monde animal, mais présupposent un saut cognitif que les espèces qui sont les plus proches de l’homme d’un point de vue évolutif n’ont pas accompli. Cela va dans le sens de la discontinuité, mise en avant par Chomsky, entre le langage humain et la communication animale.
2. Pour aller plus loin : la controverse Hauser-Chomsky-Fitch vs Pinker-Jackendoff
52Pour aller plus loin dans la compréhension de la position de Chomsky sur l’évolution et les origines de la faculté de langage, on peut se référer à un article de Hauser, Chomsky et Fitch paru dans Science en 2002 et intitulé « The faculty of language : What is it, who has it, and how did it evolve ? ». Cet article est à l’origine d’une controverse qui a opposé les auteurs à Pinker et Jackendoff, et qui a, depuis, été abondamment commentée. Dans cette section, je voudrais présenter la controverse en dissipant quelques malentendus. On verra qu’elle apporte des éléments plus précis pour comprendre la position de Chomsky.
1. Présentation de la controverse
53Hauser, Chomsky et Fitch (que j’abrégerai par HCF) proposent de définir la faculté de langage en utilisant la distinction suivante : la faculté de langage au sens large (en abrégé FLB, pour « faculty of language in the broad sense ») serait constituée de ce qui est nécessaire au langage mais n’est ni spécifiquement humain, ni spécifiquement linguistique, c’est-à-dire de ce qui peut avoir des homologues ou des analogues dans le règne animal, ou bien servir à d’autres capacités cognitives humaines ; la faculté de langage au sens étroit (en abrégé FLN, pour « faculty of language in the narrow sense »), qui constitue la faculté de langage au sens propre, est à la fois spécifiquement humaine et spécifiquement linguistique.
54Dans leur premier article, HCF soulignent que la distinction qu’ils proposent entre FLN et FLB est méthodologique, alors que la question de savoir ce dont sont constituées la FLB et la FLN est une question empirique. Leur hypothèse, empiriquement testable selon eux, est que la FLB est composée essentiellement du système sensori-moteur et du système conceptuel-intentionnel, et que la FLN correspond à la récursivité. Dans ce cadre, on peut distinguer trois classes de problèmes : 1) qu’est-ce qui, dans la faculté de langage, est propre à l’espèce humaine et qu’est-ce qui est partagé par d’autres animaux ? ; 2) a-t-on affaire à une évolution graduelle ou par sauts ? ; 3) y a-t-il une continuité dans l’évolution de la faculté de langage, qui émergerait des systèmes de communication préexistants, ou certains éléments de celle-ci ont-ils été exaptés à partir d’autres domaines de la cognition ?
55Les caractéristiques de la FLN sont minimales, ou minimalistes, et c’est pour cette raison que l’existence de la FLN permet d’invalider l’argument par le « design » (voir Pinker & Bloom 1990)10 : point n’est besoin d’invoquer la sélection naturelle si la structure dont il faut expliquer l’émergence n’est pas complexe, mais au contraire assez simple. Si la FLB est probablement une adaptation, et peut-être une adaptation à la communication, la FLN n’est pas, selon les auteurs, un produit de la sélection naturelle ; elle a émergé récemment dans la lignée humaine, séparément de la faculté de langage au sens large, et pour d’autres raisons que la communication.
56Leurs propositions ont été discutées par Pinker et Jackendoff (en abrégé PJ), ce qui a donné lieu à un échange d’objections et de réponses.11 Dans leur premier article, Pinker et Jackendoff se disent d’accord avec cette manière de cadrer le débat et acceptent à la fois la distinction entre la FLB et la FLN, l’hypothèse que la FLB se compose essentiellement des systèmes sensori-moteur et conceptuel-intentionnel, et la distinction de trois grands types de problèmes théoriques (Pinker & Jackendoff 2005, p. 205). Leurs désaccords portent sur deux points : l’idée que la récursivité serait le seul élément composant la FLN et l’idée que la FLN ne serait pas une adaptation. Pour eux, la faculté de langage est bien une adaptation et a évolué en vue de la communication. Cette position les amène, dans leur second article, à proposer une autre caractérisation de la FLN que celle de HCF. On ne peut, selon eux, isoler la récursivité comme un élément qui n’aurait pas la même histoire évolutive que les autres composants de la faculté de langage, et qui permettrait de dire que la faculté de langage, du moins en ce qui concerne l’un de ses composants essentiels, n’est pas une adaptation.
57Si les positions générales dans cette controverse sont aisément repérables, la discussion a fait cependant ressortir certaines difficultés dans la position de Hauser, Chomsky et Fitch, qui viennent de ce que leur hypothèse n’est pas dépourvue d’ambiguïtés. Pour bien la comprendre, il faut ainsi dissiper quelques malentendus.
2. Dissiper un malentendu
58Le principal malentendu12, selon moi, concerne le statut de la FLN pour HCF : s’il ne s’agit pas, pour eux, d’une adaptation, comme cela est clair, peut-on pour autant parler d’exaptation ?
59La notion d’exaptation a été introduite par Gould & Vrba (1982) pour distinguer l’utilité actuelle d’un trait de son origine évolutive. Ils veulent, en proposant un nouveau terme, éliminer une ambiguïté récurrente en biologie de l’évolution. L’ambiguïté consiste à qualifier un trait d’adaptation soit en raison de son utilité actuelle, soit en raison de son histoire évolutive, s’il est le produit de la sélection naturelle. La notion d’exaptation sert précisément à séparer ces deux usages, puisque, comme Gould et Vrba n’ont de cesse de le souligner, l’utilité actuelle d’un trait n’augure pas de son histoire évolutive (cf. Gould & Vrba 1982, p. 12).
60Un caractère est donc qualifié d’exaptation soit quand il est utilisé pour un autre usage que celui pour lequel il a été sélectionné, soit quand il acquiert un usage alors qu’il n’est pas apparu sous l’action de la sélection naturelle. La notion d’exaptation renvoie à l’utilité actuelle du caractère, indépendamment de son histoire évolutive. Dans le premier cas, le caractère exapté est une adaptation dans son origine, alors que dans le second cas, le caractère exapté n’est pas une adaptation, mais est apparu pour d’autres raisons que les pressions de sélection. Dans ce dernier cas, on qualifie les traits qui, sans avoir été eux-mêmes sélectionnés, sont les sous-produits de contraintes physiques ou de l’apparition d’autres traits, de « spandrels ». Cette notion de « spandrel » a été introduite par Gould & Lewontin (1979) pour contrer ce qu’ils appellent le pan-adaptationnisme et souligner le fait que tous les traits n’ont pas leur origine dans la sélection naturelle : un trait biologique ou comportemental peut apparaître non pas parce qu’il présente un avantage sélectif mais parce qu’il est la conséquence indirecte de la sélection naturelle portant sur d’autres traits.
61Qu’un trait soit apparu comme une adaptation ou comme un « spandrel », dans les deux cas, il se peut, et il arrive fréquemment selon Gould et Vrba, que des adaptations qu’on dit secondes contribuent à perfectionner ce trait pour son nouvel usage.
62L’idée que la récursivité dans laquelle consiste la faculté de langage au sens étroit serait une exaptation à partir de fonctions antérieures est en contradiction avec la caractérisation qu’en donnent HCF : la faculté de langage en ce sens ne peut pas être spécifiquement linguistique si elle a été exaptée d’autres domaines cognitifs pour servir au langage. Il serait possible alors qu’elle ne soit pas non plus uniquement humaine (HCF 2002, p. 1578). Si l’on considère que la capacité de récursivité est apparue comme un sous-produit sans fonction particulière, et qu’elle a ensuite été exaptée pour servir au langage, alors on peut bien qualifier la faculté de langage au sens étroit d’exaptation. Il faut donc préciser le scénario évolutif envisagé et ne pas se contenter d’interpréter la position de HCF comme affirmant que la FLN est une exaptation, si l’on ne veut pas rendre incohérente sur ce point leur position. Une interprétation trop générale peut être source de malentendus.
63C’est pourtant cette lecture qu’adoptent PJ. Ils citent HCF envisageant la possibilité que la FLN soit une exaptation à partir de fonctions antérieures, mais pour leur attribuer cette idée, que HCF rejettent pourtant explicitement dans ce passage (PJ 2005, p. 229). Un peu plus loin, PJ écrivent : « Nous sommes d’accord avec HCF pour dire que la récursivité n’est pas propre au langage » (ibid., p. 230, ma traduction) où le malentendu est rendu manifeste, puisque pour HCF, la récursivité est propre au langage. Ainsi, lorsque PJ argumentent pour montrer qu’il est peu probable que la FLN puisse avoir été exaptée des systèmes de navigation ou de la cognition numérique (id.), loin de s’opposer à HCF sur ce point, ils iraient dans leur sens s’ils ne défendaient pas par ailleurs l’existence de la récursivité dans d’autres domaines. Concernant la récursivité dans le langage, l’hypothèse de PJ est qu’elle est dérivée de la récursivité dans la pensée, et que c’est la nécessité d’exprimer des pensées elles-mêmes récursives qui expliquent la récursivité linguistique. Toutes les capacités cognitives dont on montrerait qu’elles requièrent des représentations mentales récursives pourraient alors prétendre au titre de précurseurs du langage et de sources pour une exaptation au langage de cette récursivité.
64Il est vrai que certaines formulations de HCF à ce propos ne sont pas dépourvues d’ambiguïté et peuvent expliquer la lecture qu’ont faite PJ de leur position. Au tout début d’abord, dans leur façon de présenter les grands types de problèmes théoriques concernant l’évolution de la faculté de langage, HCF résument le troisième type de problème par l’alternative : « continuité contre exaptation », demandant « si le langage humain a évolué par extension graduelle de systèmes de communication préexistants, ou si des aspects importants du langage ont été exaptés à partir de leur fonction adaptative antérieure » (HCF 2002, p. 1570, ma traduction). Cela laisse à penser que la récursivité, puisqu’elle n’a pas d’analogue dans les systèmes communicationnels des autres animaux – c’est leur hypothèse –, serait une exaptation à partir d’autres domaines cognitifs. Dans leur second article également, en évoquant à plusieurs reprises les précurseurs plausibles de la FLN dans d’autres domaines cognitifs que la communication, HCF laissent penser que la récursivité pourrait être une exaptation en ce sens (cf. Fitch, Hauser & Chomsky 2005, p. 189).
65Néanmoins, d’autres formulations correspondent mieux à la définition de la FLN qu’ils soutiennent. Ils écrivent : « […] l’aspect récursif central de la FLN apparaît actuellement n’avoir aucun analogue dans la communication animale ni peut-être aussi dans d’autres domaines » (HCF 2002, p. 1571, ma traduction). Leur hypothèse est bien ici celle du caractère uniquement humain et spécifiquement linguistique de la récursivité, même si cette hypothèse est toujours à leurs yeux empiriquement testable et éventuellement amenée à être révisée en fonction des recherches futures. C’est pourquoi ils incitent à la recherche comparative inter- et intra-spécifique, notamment dans les domaines de la cognition numérique, des relations sociales et de la navigation, pour vérifier si des processus récursifs y sont impliqués ou non (voir notamment la fin de l’article, p. 1578, les conclusions). Dans un autre passage où ils détaillent leur hypothèse (ibid., p. 1574), il apparaît clairement que l’hypothèse qu’ils envisagent est que la FLN soit non pas une exaptation de fonctions cognitives antérieures, mais un sous-produit de contraintes biophysiques, ou, en d’autres termes, un « spandrel », qui aurait trouvé une utilité dans le langage. La capacité de récursivité pourrait être le résultat de contraintes développementales et/ ou architecturales s’exerçant sur les tissus nerveux dans le cerveau.
66Hauser, Chomsky et Fitch sont finalement ambigus sur ce point, utilisant la notion d’exaptation sans toujours préciser le scénario évolutif qu’ils envisagent (un « spandrel » trouvant un usage dans le langage), voire endossant dans certains passages l’autre scénario possible, celui d’une exaptation de fonctions antérieures, qui est incohérent avec la thèse de l’unicité de la faculté de langage au sens étroit. J’interprète ces ambiguïtés persistantes comme le signe que les articles de HCF sont le résultat d’un compromis : compromis entre Chomsky d’un côté, dont la position est clairement d’adopter le scénario du « spandrel », et Hauser et Fitch de l’autre, qui seraient plus enclins à admettre que la récursivité a été exaptée à partir d’autres domaines cognitifs. Si l’on devait privilégier cette seconde interprétation, il n’y aurait plus de désaccord avec PJ sur l’idée générale, mais seulement pour déterminer les domaines cognitifs où la récursivité aurait joué un rôle avant d’être utilisée dans le langage. Chomsky ne serait pas d’accord avec cette interprétation, mais celle-ci démystifierait complètement le débat sur le statut de la récursivité.
3. La position de Chomsky sur l’évolution de la faculté de langage est-elle défendable ?
67J’en viens maintenant à l’évaluation de la position défendue par Chomsky. Rappelons que cette thèse requiert pour être vraie essentiellement deux choses. D’abord, elle suppose que la récursivité est bien à la fois spécifiquement humaine et spécifiquement linguistique, mais aussi qu’il n’y a pas d’autres traits de la faculté de langage qui partagent ces deux caractéristiques et qui pourraient faire partie de la FLN. Le deuxième aspect touche au scénario évolutif proposé pour la FLN. L’hypothèse de Chomsky est que la récursivité n’est pas une adaptation pour la communication mais un sous-produit d’une réorganisation cérébrale sous l’effet d’une mutation génétique, qui ne concernerait pas directement le langage. Je défendrai l’idée que la position de Chomsky est empiriquement fausse concernant le premier point, mais qu’elle est défendable sur le second.
1. L’hypothèse empirique de Chomsky : le statut de la récursivité
68Pour commencer par le premier point, c’est notamment dans la controverse avec Pinker et Jackendoff que l’on trouve les arguments pertinents du point de l’évaluation empirique de la thèse chomskyenne13. Sans reprendre in extenso l’examen et le réexamen des données proposés par les deux parties, on peut souligner les points les plus critiques pour la discussion.
69Parmi les données comparatives présentées par HCF dans leur premier article, les plus délicates pour leur position, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, concernent l’imitation vocale et l’apprentissage des mots. L’imitation vocale semble en effet atteindre dans l’espèce humaine un degré inégalé par aucune autre espèce, de sorte qu’on peut dire qu’elle est spécifiquement humaine (HCF 2002, p. 1575). Si elle se révélait spécifique au langage, cela invaliderait l’hypothèse des auteurs. L’apprentissage des mots également semble être spécifiquement humain, et les auteurs reconnaissent que dans ce cas leur hypothèse a besoin d’être étayée par des données comparatives supplémentaires (ibid., p. 1576). C’est notamment sur ces deux points qu’insistent PJ dans leur critique.
70De fait, si PJ acceptent la distinction entre FLN et FLB, ils ne l’interprètent pas de la même manière que HCF, comme ils le soulignent dans leur second article, et cette différence d’interprétation engage l’interprétation de l’ensemble des arguments concernant les précurseurs possibles de la faculté de langage. JP critiquent l’utilisation faite par HCF de la distinction entre FLB et FLN, mais non la distinction elle-même. Selon eux (Jackendoff & Pinker 2005, p. 214sq), HCF l’utilisent en termes absolus : la FLN ne comprend que les mécanismes qui n’ont pas d’homologues ou d’analogues chez les autres espèces ou dans les autres domaines cognitifs. Selon PJ, cela les conduit, dès qu’une fonction du langage présente des similarités avec quelque chose d’autre, à rejeter cette fonction dans la FLB. Eux-mêmes proposent au contraire une interprétation de la distinction FLB/FLN en termes gradués : appartiennent à la FLN les mécanismes qui ont été adaptés pour le langage à partir de précurseurs évolutionnaires, tandis que la FLB comprend les mécanismes issus d’autres facultés qui sont utilisés tels quels, intacts, par la faculté de langage, c’est-à-dire qui n’ont pas évolué spécifiquement pour le langage. Dans cette interprétation, la distinction sert donc à identifier les aspects de la faculté de langage qui ont évolué récemment dans la lignée humaine.
71C’est le même argument qu’ont en vue PJ lorsqu’ils reprochent à HCF de n’envisager pour définir l’adaptation que l’utilité actuelle ou la fonction originelle : selon eux, HCF négligent une troisième possibilité, celle de la fonction actuelle, qui correspond effectivement à la possibilité d’une évolution récente en vue de la communication de certains sous-systèmes de la faculté de langage.
72C’est un point essentiel dans la mesure où il a des conséquences sur l’utilisation que font HCF de l’existence d’homologues ou d’analogues de certains aspects de la faculté de langage chez d’autres espèces ou dans d’autres domaines cognitifs. Tous les arguments qu’ils utilisent pour dire que la FLN est constituée uniquement de la capacité de récursivité sont à revoir à l’aune de cette critique de PJ. Il faudrait évaluer si les traits que HCF relèguent dans la FLB n’ont pas évolué récemment en vue du langage. C’est d’ailleurs ce que suggèrent HCF eux-mêmes au sujet de l’imitation vocale. Sur ce point, la critique de PJ paraît justifiée. Il semble pertinent de distinguer, pour reprendre quelques-uns des exemples cités par PJ, entre une sensibilité au rythme et une sensibilité rythmique propre au rythme de la parole, ou entre la perception de la parole et l’audition générique, entre l’acquisition de la parole et l’imitation vocale en général.
73Deux autres arguments gardent aussi du poids, dans la mesure où HCF n’y répondent pas vraiment. D’abord, PJ mettent en avant le fait que HCF laissent de côté un certain nombre de phénomènes linguistiques, comme la phonologie et la morphologie. Ensuite, la syntaxe n’est pas composée uniquement par la récursivité, mais par un certain nombre d’autres composants formels spécifiques indépendants de la récursivité, comme le cas, l’accord, les auxiliaires, qui ne sont pas non plus discutés par HCF.
74Enfin, si d’autres éléments que la récursivité pourraient à bon droit être considérés comme spécifiques au langage, inversement, la récursivité elle-même ne l’est, en revanche, probablement pas. Jackendoff (2008), qui prolonge la discussion menée avec Hauser, Chomsky et Fitch, souligne que le système visuel implique des procédures récursives. Celles-ci sont également évoquées pour la cognition spatiale chez les animaux (voir Gallistel 1990).14
75Au vu de ces arguments, la position de Chomsky sur le statut de la récursivité n’apparaît donc pas tenable.
2. Défendre Chomsky malgré tout ? La plausibilité du raisonnement de Chomsky sur l’évolution de la faculté de langage
76La position de Chomsky a également été beaucoup critiquée au nom de l’adaptationnisme. Le scénario proposé par Chomsky pour l’émergence de la faculté de langage a paru à de nombreux chercheurs totalement impossible15. Je voudrais néanmoins soutenir que ce scénario possède une plausibilité au moins aussi grande que les alternatives adaptationnistes qui lui sont opposées.
A. Le scénario évolutif de la faculté de langage proposé par Sperber et Origgi : un paradoxe pour la position chomskyenne ?
77Il paraît utile de comparer le scénario chomskyen à une explication adaptationniste de l’évolution du langage pour évaluer les mérites respectifs des deux approches, adaptative et non adaptative, de l’évolution du langage. Je prendrai comme exemple d’une approche adaptative la position défendue par Sperber et Origgi (Origgi & Sperber 2000 ; Sperber & Origgi 2005), parce qu’elle me paraît être l’une des mieux argumentées, et aussi l’une des plus pertinentes pour discuter la position de Chomsky. En effet, Sperber et Origgi adoptent la conception chomskyenne selon laquelle la faculté humaine de langage est caractérisée par un noyau computationnel récursif et repose sur une base innée spécifique. Sperber et Origgi considèrent cependant, contrairement à Chomsky, que la base innée spécifique à la faculté humaine de langage est une adaptation. Ils proposent un scénario évolutif pour expliquer l’émergence de la récursivité, ou, en d’autres termes, de la faculté de langage au sens étroit, comme d’une adaptation.
78Pour Sperber et Origgi, la conception adaptationniste de la faculté de langage soulève un paradoxe : comme pour d’autres compétences sociales, le paradoxe vient de ce qu’il faut que la compétence qu’on considère être une adaptation soit déjà répandue pour qu’elle représente un avantage adaptatif sélectionnable. Dans le cas du langage, le paradoxe a quelque chose de plus spécifique : puisque ce qui est inné est une faculté d’apprendre les langues, à quoi peut servir une faculté de langage en l’absence de toute langue à apprendre ? En d’autres termes, comment la faculté de langage peut-elle représenter un avantage sélectif et ne serait-ce qu’être utile dans une communauté encore dépourvue de langage ? Comment, dès lors, une mutation conférant à un individu la capacité d’analyser les signaux vocaux de manière récursive et structurée a-t-elle pu se stabiliser ?
79Résoudre le paradoxe suppose, selon Sperber et Origgi, de ne pas considérer le langage sur le modèle du code mais sur le modèle inférentiel. Leur position a en effet pour arrière-plan un modèle de la communication inspiré de Grice, que Sperber & Wilson (1986/1995) ont appelé le modèle inférentiel de la communication. Dans le modèle inférentiel, contrairement au modèle du code, les interlocuteurs sont supposés accomplir une inférence. Mais de quelle inférence s’agit-il ?
80Grice (1957, 1968, 1969) a proposé de réduire le concept de signification d’un énoncé linguistique à la notion d’intention, en introduisant la notion d’intention communicative du locuteur. Il définit ce qu’un locuteur signifie ou veut dire par un énoncé e par son intention que e produise un effet sur l’interlocuteur par la reconnaissance précisément de cette intention qui est la sienne (voir par exemple Grice 1957, p. 383). L’intention communicative du locuteur est réflexive en ce sens qu’elle comprend sa reconnaissance par l’interlocuteur. La communication suppose donc de la part des interlocuteurs d’être capables d’inférer leurs intentions communicatives respectives. Cela implique, selon Grice, que la communication est une activité à la fois rationnelle et coopérative.
81L’idée que Sperber et Wilson empruntent à Grice et développent est que la reconnaissance des intentions du locuteur suffit à rendre la communication possible, même en l’absence de code. Selon le modèle inférentiel de la communication, la compréhension d’un message linguistique ne consiste pas à le décoder mais à comprendre l’intention communicative du locuteur. La communication linguistique est donc affaire de « théorie de l’esprit », de compréhension des états mentaux de l’autre, avant d’être affaire de code. Plus précisément, elle suppose de se représenter les représentations mentales de son interlocuteur ; elle engage ainsi, comme le dit Sperber (2000), des « méta-représentations ».
82C’est dans le contexte d’un modèle inférentiel de la communication que Sperber et Origgi proposent une solution au paradoxe concernant l’évolution de la faculté de langage. Une faculté de langage, même embryonnaire et même alors qu’il n’existe encore aucune langue, peut être adaptative, si elle facilite pour l’individu qui la possède sa compréhension du message transmis (voir Sperber & Origgi 2005, p. 253). Sperber et Origgi acceptent le modèle chomskyen de la faculté de langage selon lequel la grammaire est une forme de code. En introduisant des règles de codage dans un signal qui en est dépourvu, en régularisant ainsi le signal, le locuteur doté d’une faculté de langage embryonnaire est susceptible, selon eux, de mieux comprendre le message qu’on lui transmet. Sperber et Origgi remarquent que cela a pu être avantageux, et ce à chaque étape de l’amélioration de cette faculté de langage, jusqu’à l’émergence de la faculté de langage moderne. Chaque amélioration de la faculté de langage a pu améliorer, chez l’individu qui la possédait, la compréhension des messages de ses interlocuteurs.
83Ainsi, pour Sperber et Origgi, la faculté de langage n’est adaptative que dans une espèce qui possède déjà une psychologie naïve et des capacités de communication inférentielle. La théorie de l’esprit a dû précéder le langage. Ils envisagent ensuite une amélioration continuelle du système de communication fondé sur la « lecture de l’esprit » (« mindreading »). La faculté moderne de langage est le dernier produit de cette pression sélective pour améliorer la compréhension inférentielle des messages communicatifs. Dans ce scénario, l’émergence de la faculté moderne de langage est le produit d’une accumulation de changements graduels dans le système de communication qui l’ont amélioré.
84Si, selon eux, il y a eu, à partir d’un certain stade, co-évolution du langage et de la théorie de l’esprit, cette évolution reste relativement séparée et isolable de celles des autres fonctions supérieures spécifiquement humaines. En effet, Sperber & Wilson (2002) argumentent pour défendre l’idée que la compréhension verbale ne repose pas sur des capacités de « mindreading » générales, mais sur l’évolution d’un sous-module spécialisé, dédié spécifiquement à la communication linguistique.
85Une des conséquences que l’on peut tirer du scénario proposé par Sperber et Origgi est que les capacités de « lecture de l’esprit » qui sous-tendent la communication inférentielle doivent être propres à l’espèce humaine, puisque la faculté de langage a évolué de pair avec elles. Les données dont on dispose concernant les grands singes donnent raison à Sperber et Origgi sur ce point. Si les chimpanzés semblent bien avoir une théorie de l’esprit, qui leur permet de comprendre les buts et les intentions des autres, ainsi que la perception et la connaissance que d’autres individus ont, celle-ci est limitée : il n’y a pas de données montrant que les chimpanzés réussissent aux tâches de fausse croyance16, c’est-à-dire qu’ils paraissent incapables de comprendre qu’un autre individu peut avoir une croyance fausse sur le monde et agir en fonction d’elle (voir Call & Tomasello 2008).17 L’échec aux tâches de fausse croyance témoigne d’une impossibilité de former des représentations mentales de second ordre sur les états mentaux des autres individus. L’intention communicative inférentielle réflexive est donc bien, pour cette raison, hors de portée pour les chimpanzés.
86La proposition de Sperber et Origgi est intéressante à plusieurs titres pour l’évaluation de la position chomskyenne. En premier lieu, elle montre que la conception chomskyenne de la faculté humaine de langage (au sens étroit) est compatible avec un scénario adaptationniste (plus précisément, elle montre à quelles conditions elle l’est). Il n’y a pas une incompatibilité de fond entre un tel scénario et la manière dont Chomsky conçoit la faculté de langage. L’incompatibilité ne porte que sur le caractère adaptatif ou non de la faculté de langage. En second lieu, on peut tirer du raisonnement de Sperber et Origgi une forme d’objection contre la position de Chomsky concernant l’évolution de la faculté de langage. Même si l’on suit Chomsky et que l’on affirme que la récursivité n’est pas une adaptation, il faut expliquer pourquoi celle-ci s’est stabilisée et n’a pas été éliminée par la sélection naturelle. C’est la stabilité du trait, indépendamment de son origine adaptative ou non, dont il faut de toute façon rendre compte. Du point de vue de Sperber et Origgi, la seule explication plausible est une explication par la sélection naturelle : le trait présente un caractère avantageux dans le contexte d’une communication inférentielle déjà développée. Le paradoxe qu’ils formulent paraît donc mener à un dilemme pour Chomsky. Si l’apparition de la faculté humaine de langage au sens étroit n’a pas été avantageuse, voire n’a servi à rien, sa stabilisation demeure un mystère. Si elle a été avantageuse, le scénario de Sperber et Origgi est le seul à même, pour l’instant, d’expliquer pourquoi.
87Faut-il en conclure que le refus des explications adaptationnistes conduit finalement Chomsky à une position intenable ?
B. La rupture entre la faculté de langage et les systèmes de communication animaux, une idée qui se tient malgré tout
88Il me semble que ce n’est pas le cas, et je voudrais, dans la fin de ce chapitre, proposer une réponse au dilemme tiré du paradoxe qu’énoncent Sperber et Origgi.
89Le dilemme ne vaut, selon moi, que si l’on considère l’évolution de la faculté de langage isolément, uniquement dans le cadre de l’évolution de la communication. Si, au contraire, l’on prend en compte l’évolution plus générale du cerveau humain, que l’on inscrit l’évolution de la faculté de langage dans le cadre de celle-ci, on peut expliquer la stabilisation de la faculté humaine de langage sans recourir à une explication adaptationniste de celle-ci.
90Pour Chomsky, l’émergence de la faculté moderne de langage est tout à la fois brutale et liée à d’autres changements qui n’ont rien à voir avec la communication. Quand il raisonne sur l’évolution du langage, Chomsky se situe assez clairement dans la perspective d’une réflexion sur l’émergence de l’espèce humaine, même s’il ne développe pas ce point :
Peut-être découvrirons-nous ainsi que cette réussite unique dans le domaine linguistique résulte en partie d’une organisation de capacités individuellement présentes, sous une forme ou une autre, dans d’autres organismes ; en partie, car il y a sans doute plus que cela dans l’évolution d’une espèce telle que la nôtre. (Chomsky 1980a, trad. p. 226)
91En refusant de situer la faculté humaine de langage dans la lignée des systèmes de communication animaux, Chomsky maintient que l’évolution du langage n’est pas séparée de l’évolution générale de l’espèce humaine. Il refuse de considérer l’évolution de la communication isolément, comme conduisant par des perfectionnements successifs à la faculté humaine de langage : l’apparition de la faculté de langage est un sous-produit de modifications plus générales dans l’organisation du cerveau humain (voir les passages cités plus haut, Chomsky 1982, p. 22 ; 1988, p. 169-170).
92C’est là, selon moi, le point fort du raisonnement de Chomsky, et celui sur lequel on peut s’appuyer pour faire valoir la plausibilité de sa conception.
93Il faut souligner que cette conception n’implique pas qu’il n’y ait pas de pré-adaptations au langage : l’article écrit avec Hauser et Fitch montre assez que Chomsky envisage que la faculté de langage au sens large est constituée de telles pré-adaptations. Le langage ne vient pas de rien, et la faculté moderne de langage ne se développe pas sur des bases entièrement nouvelles. L’hypothèse que fait Chomsky est que la récursivité, en tant qu’innovation propre à la lignée humaine, a permis que toutes les pré-adaptations déjà présentes fonctionnent comme un tout et par conséquent différemment. La récursivité rendrait ainsi compte des propriétés spécifiquement humaines du langage. Pour qu’apparaisse la faculté humaine de langage, il a fallu un saut, un changement radical, une discontinuité de rythme (dans la progressivité), comme il s’en est produit manifestement bien d’autres au cours de l’évolution.
94Comme certains passages de Chomsky le suggèrent, on peut envisager cette rupture sous l’angle de la spéciation : la spécificité du langage humain est reliée, d’une manière ou d’une autre, à l’émergence de l’espèce humaine. En mettant en rapport l’émergence de la faculté de langage et le dernier épisode de spéciation dans notre lignée, il ne me semble pas que Chomsky fasse preuve d’irréalisme. Certes, il paraît plus plausible que l’émergence de la faculté de langage soit liée à des épisodes de spéciation antérieurs dans la lignée Homo qu’à celui qui a donné naissance à l’homme moderne, à Homo sapiens. Cependant, ce qui importe dans le raisonnement de Chomsky est que cette émergence soit impliquée dans un processus plus général de changement, dans un épisode de spéciation. Si l’on raisonne dans ce cadre, il est probable que l’émergence de la faculté de langage n’est pas un événement isolé ni le résultat d’un changement graduel et continu à partir de la communication animale.
95Pour que l’hypothèse envisagée par Chomsky soit plausible, il faut non seulement relier l’émergence de la faculté de langage à celle du genre Homo ou d’une espèce du genre Homo, mais également concevoir la spéciation comme un processus global, et non comme la somme de l’évolution séparée de différentes capacités physiques et cognitives comme le langage. Sans doute, un changement d’espèce implique un ensemble de mutations corrélées, apparaissant de manière rapprochée dans le temps (Pagel 2002). Mais quels mécanismes sont responsables de ces changements ? Le processus de spéciation, bien qu’il constitue le phénomène évolutionnaire principal, n’est pas entièrement compris aujourd’hui (voir Ridley 1993/2004 ; Pagel 2002 ; Coyne & Orr 2004). De fait, la question de savoir si la spéciation est nécessairement un changement graduel ne paraît pas encore tranchée. Il s’agit d’une des controverses majeures dans ce champ de recherche qui oppose les partisans du gradualisme (encore majoritaires aujourd’hui) et ceux des sauts évolutifs (dont les mécanismes commencent à être entrevus par le jeu des « gênes régulateurs »), évoqués notamment par la théorie des équilibres ponctués introduite par Eldredge & Gould (1972). Pour autant que je puisse en juger, les débats sur les liens entre micro-évolution et macro-évolution, c’est-à-dire sur le rôle de la sélection naturelle et de l’adaptation dans l’apparition de nouvelles espèces, restent pleinement d’actualité (voir Jablonski 2008 ; Reznick & Ricklefs 2009). Il ne me semble donc pas que ce que l’on sache du processus de spéciation permette d’argumenter contre l’hypothèse chomskyenne.
96Le point fondamental est donc que Chomsky ne conçoit pas l’évolution de la faculté de langage isolément de l’évolution générale du genre humain. Cette ligne de raisonnement me paraît apporter une réponse à Sperber et Origgi, mais aussi plus généralement aux hypothèses adaptationnistes. Tout d’abord, la stabilisation de la faculté humaine de langage peut trouver une explication dans le lien avec d’autres traits de la cognition humaine ; dans la mesure où la faculté de langage dépend d’une réorganisation cérébrale générale, il n’est pas besoin d’imaginer qu’elle a fait l’objet d’une sélection séparée. Ensuite, si l’on raisonne au sujet de l’évolution du langage dans le contexte plus général de l’apparition de l’espèce humaine, la position de Chomsky, considérée du point de vue du raisonnement qu’elle propose sur l’évolution, acquiert une certaine plausibilité. Confronté à la conception plus « catastrophiste » et plus globale de Chomsky, le scénario adaptationniste tel qu’il est présenté par Sperber et Origgi ne me semble pas finalement plus attirant. Chomsky défend un point de vue qui n’est pas moins plausible que le point de vue adaptationniste au regard de ce que l’on sait, mais aussi de ce que l’on ne comprend pas encore, du phénomène de spéciation.
97La position de Chomsky n’est donc pas contradictoire avec l’approche scientifique de la faculté de langage qu’il défend. Contrairement au scénario adaptationniste de Sperber et Origgi, le scénario évolutionniste de Chomsky n’est pas dépendant de l’hypothèse sur la récursivité ; il est seulement dépendant du fait que la faculté de langage constitue un saut cognitif qualitatif important par rapport aux systèmes de communication des autres animaux. Quel que soit ce qui fait la spécificité du langage humain, quels que soient les composants cognitifs nouveaux ou le réarrangement des composants cognitifs existants en un ensemble au fonctionnement propre qui le composent, le point fondamental est que la faculté de langage est qualitativement trop différente des systèmes de communication existant chez les primates pour être conçue comme le résultat de l’évolution, sous la pression adaptative et progressive de la sélection naturelle, de ceux-ci.
98C’est pourquoi il importe, à mon avis, de séparer clairement les deux aspects de la thèse de Chomsky que sont, d’une part, l’hypothèse sur le caractère spécifique au langage et proprement humain de la récursivité et, d’autre part, le refus d’une explication adaptationniste de la faculté de langage. C’est finalement ce que l’article de Hauser, Chomsky et Fitch faisait mal, prêtant ainsi le flanc à des critiques et à des malentendus.
Notes de bas de page
1 Pour le dire de manière très simplifiée, les neurones miroirs sont des neurones qui s’activent non seulement lorsqu’un individu exécute une action mais aussi lorsqu’il observe cette action exécutée par un congénère.
2 Pour une critique du rapprochement entre les neurones miroirs et le langage, voir par exemple Jacob & Jeannerod (2005).
3 Le larynx descendu, qui permet de vocaliser des sons articulés, se met en réalité en place progressivement chez l’homme, les bébés naissant avec un larynx en position haute, comme les grands singes.
4 Pour une discussion générale de la question des rapports entre langage et théorie de l’esprit, ainsi qu’une discussion des positions de Sperber et Origgi, voir le colloque en ligne « La co-évolution du langage et de la théorie de l’esprit » sur le site interdisciplines.org.
5 Je développerai ce point dans la dernière section de ce chapitre, en discutant de la validité de la position de Chomsky.
6 Voir ma première partie.
7 Chomsky (2007, p. 387) souligne que l’infinité discrète implique la récursivité, même si la récursivité signifie davantage que l’infinité discrète.
8 Les grands singes sont le chimpanzé et sa sous-espèce le bonobo, le gorille, l’orang-outang, le gibbon (et bien sûr aussi l’homme, mais je l’exclus ici quand je parle de grands singes).
9 Voir Gardner & Gardner (1974) pour la réplication de l’expérience avec d’autres chimpanzés.
10 Supra, p. 141.
11 Pinker & Jackendoff (2005), Fitch, Hauser & Chomsky (2005) et Jackendoff & Pinker (2005).
12 Un autre malentendu concerne la place du minimalisme dans cette controverse : le minimalisme est-il nécessaire à Hauser, Chomsky et Fitch pour défendre leur hypothèse ? Il semble bien que ce soit le cas. En effet, leur souci est de rendre envisageables des alternatives aux analyses adaptationnistes de la faculté de langage. Pour cela, ils ont besoin d’une caractérisation de la FLN comme composée de mécanismes relativement simples d’un point de vue computationnel. Autrement, l’argument par le design évoqué plus haut resterait, par une sorte d’inférence à la meilleure explication, l’argument par défaut en faveur d’une sélection de la faculté de langage. Or c’est seulement avec le programme minimaliste que la récursivité est décrite d’une manière qui peut passer pour simple : dans le minimalisme, elle se réduit à l’opération « Merge », alors que dans les versions antérieures de la grammaire générative, elle consistait en des ensembles de règles ou de principes beaucoup plus complexes. Voir aussi Berwick (1998) et Jackendoff (2008) qui vont dans le même sens.
13 On peut également mentionner un article plus récent (Berwick et al. 2013) dans la continuité de la position de HCF.
14 Cependant, Uriagereka (2009) pense que ce sont différents sens de la récursivité qui sont impliqués dans ces recherches d’une part et dans la théorie linguistique d’autre part.
15 Outre les articles de Pinker et Jackendoff cités précédemment, voir Dessalles (2000), Newmeyer (1998b) et Origgi & Sperber (2000).
16 La tâche dite de « fausse croyance » a été introduite par Wimmer & Perner (1983), qui ont montré que les enfants n’étaient pas capables avant l’âge de quatre ou cinq ans d’attribuer aux autres des croyances fausses sur le monde, différentes de leurs propres croyances.
17 Voir Kaminski, Call & Tomasello (2008) pour une discussion des hypothèses possibles expliquant les limites de la théorie de l’esprit des chimpanzés.
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