Paul Tannery : « L’organisation de l’enseignement de l’histoire des sciences »
p. 409-435
Remerciements
Revue de Synthèse, 3e série, n° 101-102, janv-juin 1981, p. 87-123. Nous remercions M. Éric Brian, directeur de la Revue de Synthèse, de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.
Texte intégral
1Helléniste autodidacte, mais « de génie », scientifique tôt venu à la philosophie des sciences et à l’histoire de la philosophie, auteur d’ouvrages ayant fait date sur la science grecque, éditeur de Diophante, de Fermat, de Descartes : celui qui par métier fit carrière dans les Manufactures de l’État est célébré par la communauté des historiens des sciences comme une de ses figures patronymiques1. L’édition monumentale des Mémoires scientifiques2 entreprise en 1912, achevée en 1950, et où s’insère une très riche correspondance, rendit plus sensible encore, au fil de sa parution, l’ampleur, la variété d’une œuvre dispersée jusque-là en d’innombrables notices, comptes rendus, communications. « Apôtre de l’histoire de la science », il n’est pas loin d’en être un des martyrs3. Parle-t-on d’enseignement à son propos, vient aussitôt à l’esprit la pénible « affaire », le « scandale de 19034 ». Léon Bourgeois, ministre de l’Instruction publique, avait fondé en 1892, au Collège de France, une chaire d’Histoire générale des sciences ; le premier titulaire fut un disciple direct d’Auguste Comte, Pierre Laffitte ; ce dernier étant mort en janvier 1903, P. Tannery posa sa candidature et fut placé en première ligne par les votes et du Collège de France et de l’Académie des sciences. « La nomination était certaine. Car un usage qui n’avait jamais encore subi de dérogation voulait que le Ministre approuvât le double suffrage […]. Et pourtant Paul Tannery devait échouer au port. Le ministre Chaumié, par un acte sans précédent, usa du droit strict que lui conférait la loi et choisit le candidat présenté en seconde ligne5 », à savoir G. Wyrouboff. « Acte de favoritisme incompréhensible », mesure « bizarre » jusqu’à en être « ridicule6 » : la surprise fut complète pour P. Tannery et violente l’indignation de ses amis ; des protestations s’élevèrent à l’étranger, et l’on n’a cessé ensuite de déplorer et blâmer avec G. Sarton « un déni de justice, à la fois tragique et grotesque ».
2Sur les arcanes de ce qui n’est peut-être pas une machination aussi pernicieuse, nous n’en dirons guère davantage ici7. Notre objectif nous commanderait même de nous en détourner d’emblée : à trop accuser et noircir un pouvoir politique inintelligent et même obscurantiste, on en vient à former l’image d’un chercheur isolé que surprit un rejet brutal et immotivé ; tout se passe comme si le seul contact fructueux que P. Tannery aurait pu avoir avec l’enseignement passait par l’obtention de la seule tribune qui lui convenait ; dès lors l’échec subi au sommet tend à faire perdre leur crédit aux esquisses préparatoires, et bien plus encore jette comme une ombre sur des écrits d’allure modeste relatifs à des degrés beaucoup moins élevés de formation. Or tels sont les écrits auxquels nous voudrions donner ici un nouvel accès : écrits non pas inconnus, mais trop négligés, qu’on ne rencontre pas seulement dans le volume X des Mémoires scientifiques (où sont groupés « des travaux d’un caractère général ou didactique sur l’histoire des Sciences »), mais qu’il faut glaner – leur repérage n’étant pas toujours aisé – dans bien d’autres volumes. Leur simple réunion devrait déjà procurer nombre de documents méconnus à l’histoire de l’enseignement de l’histoire des sciences ; ordonnée selon des pôles d’intérêt assez nettement distincts : enseignements spéciaux, manuels, enseignements élémentaires, interventions dans des assises internationales, elle devrait faire ressortir combien fut constant, profond, attentif, l’intérêt de P. Tannery pour une « organisation8 » ou une chaire, si prestigieuse fût-elle, n’aurait tenu la place que d’une pièce maîtresse9.
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3Resterait tout de même, pour peu qu’on se fie à une relation trop simpliste ou trop biaisée de « l’affaire », que Paul Tannery, faute de chaire, fut mis dans l’impossibilité d’enseigner comme si, pensera-t-on, barrière était mise sciemment entre l’historien persécuté et toute institution d’enseignement. Or il serait faux d’imaginer que fut interdit constamment de parole l’ami de nombreux universitaires, frère lui-même du sous-directeur scientifique de l’École normale supérieure. Avant son échec, il avait eu de fait l’occasion d’enseigner l’histoire des sciences ; bien mieux, par une voie à vrai dire indirecte, c’est en ce lieu tristement connu pour lui avoir été fermé : le Collège de France, qu’il avait consacré « une étude approfondie » aux « travaux de Galilée ». Nous l’apprenons dans l’article de la Grande Encyclopédie qui lui était consacré :
« Il a professé pendant deux ans un cours libre à la Sorbonne sur l’histoire de l’arithmétique ancienne, et a remplacé pendant cinq ans au Collège de France, M. Charles Lévêque dans la chaire de philosophie grecque et latine10. »
4Une lettre à G. Eneström nous donne quelques indications sur l’esprit des cours donnés à la Sorbonne :
« Dans le cours que j’ai l’intention d’ouvrir en France, à la Faculté des Sciences de Paris à partir du 15 mars 1884, je me propose moins de traiter ex professo l’histoire des mathématiques, que d’approfondir certaines questions pour familiariser les auditeurs avec les problèmes que soulève cette histoire et pour essayer de former des travailleurs. Je ne consacrerai à ce cours qu’une leçon d’une heure environ par semaine11. »
5Quant aux enseignements dispensés au long de plusieurs années au Collège de France, on peut s’étonner qu’un remplacement dans une chaire de « philosophie » ait offert liberté de traiter de l’histoire de la science mais tel fut bien ce léger détournement de chaire dont Tannery tire mérite quand il expose ses titres aux professeurs mêmes du Collège :
« Dans les cours que j’ai ainsi professés pendant cinq ans au Collège de France, j’ai cherché, sans modifier outre mesure le caractère de la chaire, de faire la part la plus large possible à la science positive. C’est ainsi, en particulier, que mes leçons sur la Physique et sur le Traité du Ciel d’Aristote12 ont compris une étude approfondie des travaux de Galilée qui ont amené la ruine du système péripatéticien13. »
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6L’histoire des mathématiques est doublement privilégiée : histoire d’une science des plus anciennes, histoire elle-même des plus avancées ; P. Tannery va jusqu’à dire, en 1900, qu’elle est « faite » ; il serait certes absurde de la croire définitivement achevée, mais existe désormais une somme où sont rassemblés études, répertoires et bibliographies ; somme qui évitera les efforts inutiles, comme elle permettra de juger du travail à entreprendre : « les trois volumes des Vorlesungen über Geschichte der Mathematik, de Moritz Cantor, d’Heidelberg, offrent aujourd’hui un remarquable modèle d’exposition historique, d’analyse et de critique des sources et des travaux de première main qui présentent quelque intérêt14 », bref, assurent aux « travailleurs » bases et moyens pour aller plus loin. Mais, ajoute P. Tannery, les historiens des mathématiques ne doivent pas s’en tenir aux seules recherches ; les requiert tout autant une entreprise non moins considérable : la vulgarisation.
« Mais il reste une tâche aussi importante à accomplir que celle de son perfectionnement et de son développement, c’est celle de sa vulgarisation ; il faut que les résultats obtenus, en ce qu’ils ont de plus saillant et de véritablement essentiel, soient rendus accessibles aux étudiants, comme à tous ceux qui ont assez de teinture des mathématiques pour prendre intérêt à l’histoire de la formation des doctrines, sans avoir, soit les connaissances indispensables, soit le loisir nécessaire pour approfondir les trois volumes compacts des Vorlesungen. A côté de la grande histoire, il faut des manuels ou des précis15. »
7Que Paul Tannery ait contribué, en y donnant une sorte d’appendice, à l’élaboration d’un manuel de mathématiques, c’est ce que nous apprend l’énumération la plus sommaire de ses travaux. Ont attiré l’attention sur cette participation à vrai dire discrète et son insertion dans un ouvrage d’enseignement, et la qualité de l’auteur principal : propre frère de Paul Tannery, que distinguaient sa position dans l’Enseignement supérieur comme de célèbres traités d’un bien autre niveau. Jules Tannery (« Sous-Directeur des Études scientifiques à l’École normale supérieure ») présente en ces termes les « Notions historiques » adjointes par son frère à ses propres Notions de mathématiques16 :
« J’ai demandé à mon frère, M. Paul Tannery, les « notions historiques » que l’on trouvera à la fin du livre17. Sans parler de tout ce qui m’attache à lui, je ne pouvais trouver chez personne une science plus sûre, un esprit plus large et plus philosophique […]. Ces “notions historiques” touchent comme on le verra, à des points très importants de l’histoire des mathématiques, et se rapportent d’ordinaire à des sujets tirés du programme18. Toutefois, dans une exposition historique, si l’on ne veut pas qu’elle soit écourtée, quelque liberté est nécessaire. Le lecteur ne regrettera19 peut-être que la discrétion avec laquelle mon frère a usé de cette liberté20. »
8Discrétion de l’érudit n’osant s’aventurer hors de questions déjà bien explorées et ne consentant à livrer que des notes dispersées ? Certes, mais plus encore discrétion délibérée d’un « esprit philosophique » qui avait longuement médité tout ce qui paradoxalement peut rendre si épineuse la tâche à qui veut réduire et abréger :
« J’ai reçu […] la lettre où vous me proposez de collaborer à un Manuel d’Histoire des mathématiques. Je vous remercie de cette offre, mais je me vois obligé de la décliner. D’une part, j’ai beaucoup trop de travaux actuellement en train : d’un autre côté, si je croyais possible de rédiger une histoire mathématique abrégée de façon à me satisfaire, je l’aurais fait depuis déjà plus de dix ans : mais j’ai toujours décliné les propositions qui m’ont été faites à ce sujet de différents côtés, et je ne crois guère que je change jamais de sentiment. Si au reste vous voulez mon avis, je crois que c’est M. Zeuthen qui serait l’homme le plus indiqué pour traiter la partie que vous me proposiez21. »
9Qui savait préciser en termes si pratiques le problème à résoudre ne pouvait se satisfaire de vulgarisations trop légères :
« Étant posé le problème de librairie d’écrire une Histoire des Mathématiques en 250 pages, depuis l’origine jusqu’à nos jours, on ne peut naturellement attendre, comme solution, que la vulgarisation, plus ou moins heureuse, de ce qu’il y a de surtout saillant dans les Ouvrages appuyés sur des recherches originales22. »
10Le rédacteur pointilleux qui avait rendu compte sur une longue période de fort nombreux ouvrages d’histoire des mathématiques et qui se souciait pour ceux d’entre eux point trop spéciaux d’en déterminer l’usage pour les « élèves » et les « maîtres », fit tourner, quand vint l’heure de faire le point, son bilan en réquisitoire :
« Ce qui a été essayé jusqu’à présent dans cet ordre d’idées n’est guère satisfaisant […]. Les auteurs des manuels récemment parus en Amérique, en Angleterre ou en France, malgré la réelle valeur du nombre des pages qu’ils ont écrites, ont trop souvent rencontré l’écueil des œuvres de troisième main ; la compilation se fait trop sentir : l’abrégé est trop succinct pour donner une notion exacte : et s’il y a dans la source utilisée une inadvertance ou une vieille erreur non corrigée, comme par un singulier hasard, c’est ce qu’on reproduira23, en laissant de côté les vérités neuves et importantes. J’estime, d’autre part, que le plan généralement suivi dans ces précis est trop vaste pour qu’il soit réellement possible de le remplir convenablement24. »
11Seules font véritablement exception les œuvres – au demeurant liées dès leur composition, exemple par cela seul notable, à des enseignements – de H.-G. Zeuthen :
« Le savant professeur de l’Université de Copenhague avait publié en danois, dans le courant de 1893, l’œuvre dont une traduction allemande vient de paraître25. Elle était particulièrement destinée aux candidats à l’examen pour le professorat de Mathématiques en Danemark ; on y exige d’eux, en effet, une connaissance générale, de l’histoire de leur Science, ainsi qu’une étude spéciale des Éléments d’Euclide et de la Géométrie de Descartes26. Il y a là un exemple sur lequel je crois inutile d’insister. À côté d’un grand Ouvrage historique comme celui de Moritz Cantor, le besoin d’un bon abrégé se faisait en tout cas sentir, comme le prouvent au reste les essais récemment tentés en Angleterre et aux États-Unis. Je n’hésite pas à signaler le travail de M. Zeuthen comme très supérieur à ces essais ; non seulement il donne avec exactitude tout ce qu’il est essentiel de savoir, mais il s’attache à mettre en pleine lumière le caractère des méthodes et leur développement. Il est ainsi parvenu à éclairer d’un jour tout nouveau un certain nombre de questions obscures, qui, à mon avis, sont précisément celles dont l’intérêt est le plus considérable27. »
12Lorsque parut la « continuation, pour le xvie et le xviie siècle28 » de cette œuvre de H.-G. Zeuthen, P. Tannery redoubla d’éloges et en souligna à nouveau la valeur comme ouvrage d’enseignement :
« Ne s’attachant qu’aux points essentiels, mais en n’en oubliant aucun, écartant les discussions approfondies sur les points obscurs, mais en mettant les résultats en pleine lumière et les appuyant sur des preuves topiques, se débarrassant enfin de tout l’attirail bibliographique (utile seulement dans des livres ayant un autre but), M. Zeuthen a, de la sorte, atteint le maximum de clarté et de savante précision qu’on puisse demander à un ouvrage destiné à l’enseignement29. »
13Que l’auteur poursuive au-delà du xviie et « donne encore un volume, il aura composé la meilleure histoire didactique qu’il soit possible de réaliser aujourd’hui30. »
14Rien d’étonnant que, pour de tels motifs, P. Tannery ait personnellement pesé de son autorité pour qu’au choix on traduise en français plutôt Zeuthen que Cantor31, et que regrettant d’être trop surchargé de besogne pour prendre en charge la traduction »32, il ait veillé du moins à sa réalisation33. C’est qu’en France, un tel livre « peut rendre de grands services dans l’enseignement secondaire, et y développer un peu le goût pour les études d’histoire scientifique34 ». Outre les qualités pédagogiques déjà énumérées, ce que P. Tannery considérait avec faveur, c’était un mode de composition, et même tout simplement un « plan » résolvant avec bonheur un difficile « problème de librairie » ; éloge où peut se lire aussi, plus généralement, une illustration de cette distinction théorique qu’à cette période P. Tannery travaillait à définir, entre « histoire générale » et « histoire spéciale » :
« Le plan de son nouveau volume doit attirer l’attention. M. Zeuthen a, d’une part, condensé dans une introduction de 80 pages tous les renseignements historiques et biographiques, tout ce qui doit être regardé comme appartenant à l’histoire générale de la science. De la sorte, le terrain se trouve déblayé pour l’histoire spéciale, à savoir l’exposé des progrès réalisés, sur chaque question particulière, pendant la période de temps considérée. Chacune de ces questions est traitée dans un chapitre à part, l’ouvrage offrant d’ailleurs, dans son ensemble, seulement deux grandes divisions : Analyse du fini – Origine et premier développement du calcul infinitésimal35. »
15Si réussis que soient les ouvrages de Zeuthen, il y avait encore mieux à faire pour unir plus étroitement enseignement des mathématiques et enseignement historique. Ne conviennent aux élèves des lycées ou aux étudiants ni une histoire d’ensemble des mathématiques bâtie sur des divisions chronologiques, ni moins encore une Histoire trop abrégée36. P. Tannery a élaboré des plans d’« enseignement méthodique » mieux adaptés selon lui aux conditions effectives d’enseignements divers, et incité les « travailleurs » à produire les « petits volumes » qui permettraient aux professeurs de mathématiques « de donner au fur et à mesure de leur enseignement des notions historiques assez étendues pour être profitables à tous les égards37 ». Répondons au vœu qu’exprimait naguère une note des Mémoires38 en reproduisant le projet suivant :
« Prendre, par exemple, le programme actuel des lycées pour l’Arithmétique, et faire, à part, et successivement, l’histoire de chaque question : numération parlée, numération écrite, calcul des quatre règles, etc. : suivre l’évolution de la pratique et de la théorie jusqu’à leur forme présente ; voilà un plan dont l’exécution devrait, ce me semble, tenter un travailleur ; il répondrait à une idée claire, et à un enseignement méthodique dont l’utilité ne serait pas négligeable, même au point de vue strictement mathématique.
Un petit volume de la sorte pour l’Arithmétique, trois autres pour l’Algèbre, la Géométrie et la Géométrie analytique39, joints à un Résumé général chronologique, tel que l’Abrégé de M. Boyer, contribueraient beaucoup à élargir les idées des élèves, sans parler du rappel de nombre de questions curieuses, qui sont passées de mode, mais dont l’oubli n’est pas mérité. Pour les Mathématiques supérieures40, l’intérêt de leur histoire est beaucoup moins actuel ; M. Cantor l’a très bien compris en s’arrêtant à Lagrange ; son œuvre sera continuée, mais les savants dont on étudie encore les écrits n’appartiennent point véritablement à l’Histoire, et pendant un siècle, les Monographies suffiront pour assembler les matériaux que l’avenir mettra en œuvre41. »
16On ne saurait trop souligner à quel point de telles remarques éparses sur programmes ou manuels, loin d’être de simples ingrédients d’une réflexion générale, entrèrent à pleine part dans l’ample discours « De l’histoire générale des sciences ». D’autant que c’est à partir d’un « exemple » que P. Tannery s’y éleva à sa « conception générale » de ce que doit être une telle histoire : « celui de l’histoire de la mathématique pure ». Les conceptions divergentes de G. Eneström et de M. Cantor offrent les points de référence à partir de quoi se caractérisent deux « types idéaux » d’histoire, et à chaque fois se manifestent des soucis pédagogiques qui en orientent les réalisations pratiques. Les vœux de P. Tannery vont ici à l’institution d’un enseignement d’histoire générale, même si dans l’immédiat, « au point de vue didactique », « l’enseignement par histoires particulières » peut être présumé plus efficace :
« II n’est pas moins évident qu’il convient de donner à ces histoires particulières le caractère spécial et abstrait que réclame G. Eneström. Mais si l’on a en vue un enseignement régulier de l’histoire de la mathématique (j’entends une organisation de cours aboutissant à la sanction effective d’un examen), comme cet enseignement s’adressera à des élèves dont les connaissances mathématiques doivent être supposées ne pas dépasser un niveau déterminé, on peut préconiser le maintien du point de vue d’ensemble par époques successives, tout en abandonnant la prétention de faire une histoire totale. Conserver ou même développer les éléments historiques généraux d’un ouvrage comme celui de M. Cantor, élaguer les éléments spéciaux d’intérêt secondaire ou dépassant les connaissances des élèves auxquels on s’adresse, voilà un programme qui ne pose pas cette fois des conditions inconciliables ou impossibles à réaliser. C’est ce programme que j’appellerai celui de l’histoire générale de la mathématique [… ]42 ».
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17Nouveau point : l’enseignement de l’histoire des sciences « dans les lycées ». La question paraît si neuve aujourd’hui qu’on ne manquera pas d’être surpris de la voir posée par Paul Tannery. Bien mieux : s’il la formule, ce n’est pas en solitaire passionné de sa spécialité ; la sollicitation ne pouvait être plus officielle et plus sérieusement administrative :
« Le programme qu’on va lire a été demandé à mon frère43 par M. Rabier, directeur de l’enseignement secondaire, au moment où se préparait l’organisation de l’enseignement moderne (1892). On pensait donner à l’histoire des sciences une heure et demie par semaine dans la dernière classe. Si mes souvenirs sont exacts, il a été imprimé dans les documents remis aux membres du Conseil supérieur de l’Instruction publique, mais n’a pas été publié. Mme Paul Tannery, qui en a retrouvé le manuscrit44 dans les papiers de son mari, a bien voulu en autoriser la publication dans la Revue du mois dont j’ai pensé qu’il intéresserait les lecteurs45. »
18Le programme proprement dit, précédé de « Conseils et directions », se détaille selon un plan chronologique et se distribue en trois trimestres : des origines à l’empire byzantin, de la « période barbare » à la première moitié du xviie siècle, de la seconde moitié du xviie au xixe siècle. Sans doute, Jules Tannery va-t-il trop loin lorsqu’il dit de ce manuscrit : « on peut le regarder comme une table des matières, très abrégée, de ce Discours sur l’histoire générale des sciences que mon frère avait commencé d’écrire ». Pour être ce qu’elles se donnent : « conseils » au professeur de lycée, ces recommandations n’en sont pas moins précieuses, qui sollicitent tant « la saine appréciation des erreurs » que l’heureux équilibre des « idées générales » et des « détails circonstanciés » : « Le but que le professeur devra chercher à atteindre est principalement de montrer l’enchaînement rationnel qui a lié l’évolution de chacune des sciences, soit avec celle des autres, soit avec celle de la civilisation en général.
19Pour chacune des périodes indiquées dans le programme ci-après, il devra s’attacher à définir et à bien faire comprendre l’ordre d’idées, vrai ou erroné, qui dominait dans chaque science, ainsi que le caractère des transformations qu’a pu subir cet ordre d’idées au cours de la période. Il sera d’ailleurs inutile de s’astreindre rigoureusement à l’ordre chronologique ; il est préférable, au contraire, de s’en tenir pour chaque époque aux traits généraux, sauf à remonter aux germes antérieurs des grandes idées ou découvertes nouvelles, quand il s’agira d’en exposer l’histoire, et à indiquer en même temps les conséquences ultérieures de ces découvertes sur lesquelles on ne se proposera pas de revenir à propos d’une autre époque.
20Tout en cherchant ainsi à développer le plus possible chez les élèves des idées générales, il conviendra, pour soutenir leur attention, d’illustrer l’enseignement par des détails circonstanciés donnés dans chaque leçon sur un sujet déterminé. Le programme indique un certain nombre de ces sujets, mais il ne sera pas nécessaire de les développer tous également ; le programme ne doit pas davantage être considéré comme limitatif ; le professeur devra choisir, d’après ses convenances personnelles, pour chaque leçon, la question qu’il se proposera de traiter en détail, sous la condition de la rattacher nettement à un ordre d’idées générales exposé dans la même leçon.
21Toute question de détails ainsi choisie devra être traitée aussi complètement que possible : on aura soin d’ailleurs, soit en l’exposant, soit en développant des thèmes plus généraux, d’éviter toute nomenclature vide, aussi bien que les indications historiques trop sommaires qui, sous une apparence de précision, ne laissent souvent que des notions fausses dans l’esprit des élèves.
22Au lieu d’un sujet relatif à l’histoire d’une question déterminée (comme par exemple l’origine des chiffres modernes ou celle de la machine à vapeur), le professeur pourra choisir la vie d’un savant illustre. Dans ce cas, tout en retraçant les détails intéressants de sa biographie, il devra s’attacher à indiquer ses ouvrages les plus importants et à en donner une analyse suffisante pour provoquer alors chez les élèves le désir d’arriver à les connaître plus complètement.
23Enfin il ne devra pas perdre de vue, en thèse générale, que l’étude historique des sciences ne doit pas seulement s’attacher à retracer les progrès de l’esprit humain dans la connaissance de la vérité ; qu’elle a aussi à en rappeler les erreurs, et que c’est précisément la saine appréciation de ces erreurs qui seule peut bien faire comprendre l’importance véritable des sciences ; sans négliger l’intérêt qu’offrent les applications pratiques, il ne perdra pas une occasion de faire ressortir la nécessité de la science qui seule peut conduire à des conceptions justes, soit de l’univers, soit de la société humaine46. »
24 Ce projet ne fut pas appliqué47. Échec qui anticiperait celui de 1903 ? Rien ne serait plus hasardeux qu’un tel rapprochement entre deux refus ministériels ; à supposer même qu’il y ait eu dans le premier cas ou malveillance ou hostilité, ce n’aurait pas été l’expert mais la discipline qui en aurait été l’objet : comment le penser alors qu’à ce moment précis cette discipline était intronisée au Collège de France ? Qu’on nous permette de suggérer par un raccourci inverse une vue moins superficielle ; notons en quoi concordent et cette intronisation et la requête d’E. Rabier : s’y retrouve ce même sentiment que l’enseignement devait s’ouvrir de quelque manière à l’histoire des sciences. Or sans que puissent en être produits ici les nombreux témoignages, assurance peut être donnée qu’en ces années 1890, un tel sentiment était largement partagé. Un fait plus particulier nous indique au surplus que le programme rédigé par P. Tannery fut davantage qu’une esquisse éphémère n’ayant aucune chance de sortir des cartons ministériels : il fut requis « au moment où se préparait l’enseignement moderne » ; or, ainsi que nous le montrerons dans une autre étude, le caractère spécifique de l’enseignement « spécial », les transformations qui conduisirent de celui-ci à l’enseignement « moderne » furent éminemment favorables à tous ceux qui prônaient « méthodes historiques » d’enseignement ou « historiques de découvertes ».
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25« Vulgarisation » : le mot n’aura pas échappé, et il désignait, à propos d’histoire des mathématiques, non une tâche mineure, mais une entreprise à mener de concert avec la recherche. En quoi Paul Tannery aurait pu se donner en exemple : et non pas seulement parce que ses propres recherches avaient donné lieu chez d’autres à vulgarisation48 ! Il a si peu méprisé les nécessités d’une information accessible et sans hautes ambitions que, sollicité de toutes parts, il a très souvent accepté de livrer notices et écrits circonstanciels ; ainsi a-t-il prodigué des articles dans la Grande Encyclopédie49. Or ces contacts avec le « grand public » donnèrent à l’habitué des sociétés savantes le sentiment que ne pouvait être négligée, même quand la réflexion s’élève aux propositions les plus générales quant à l’histoire des sciences, la distinction entre différents « publics » et dès lors entre niveaux de formation. Avant de relever de telles circonscriptions, faisons ressortir, et c’est plus qu’un simple exemple, l’ampleur d’une collaboration avec des « historiens purs » en vue d’une œuvre destinée à une large audience.
26Soit posé – pour parler comme P. Tannery en une autre occasion – le « problème de librairie » suivant : composer une Histoire générale solide et circonstanciée, aussi complète que possible ; il y faudra traiter d’« un des facteurs essentiels du progrès vers la civilisation » : d’histoire des sciences ; appel sera donc fait à des spécialistes qui, pour chaque grande période, placeront à l’endroit prévu leur propre pierre ; ainsi sera réglé, par simple insertion de chapitres relatifs à des histoires particulières (et tel sera le sort de l’histoire de l’art), un mode de « synthèse » particulièrement simple, mais dont les résultats sont plus ou moins heureux, tant peuvent varier et la qualité des participants, et leur entente. Posez le problème vers 1900 : les directeurs d’une parmi ces Histoires qui connut le plus grand succès et qui fait figure, tant par son patronage que son influence, d’organe privilégié du système d’enseignement, eurent à désigner leur collaborateur pour l’histoire des sciences, et ce fut tout naturellement P. Tannery. Ce fut lui qui donna les chapitres relatifs à l’histoire des sciences dans l’Histoire générale du ive siècle à nos jours, publiée sous la direction d’E. Lavisse et A. Rambaud (12 vol., 1892-1901). Ce travail très étendu qui couvre, volume par volume, selon un plan chronologique, une si longue période, traite à son terme du xixe siècle, sujet difficile lequel P. Tannery sollicita la collaboration de P. Duhem50. Mis bout à bout, ces chapitres51, assortis de conseils bibliographiques, rédigés dans un style sobre mais n’excluant pas des jugements généraux, et voulant aller, selon la loi du genre, à l’essentiel, constituent une sorte de manuel. Et c’est bien ainsi que Mme P. Tannery entendait leur usage, lorsque, soulignant le profit qu’il y aurait à les réunir, elle en dressait, dans le tome X des Mémoires, la nomenclature :
« L’intérêt m’en paraissait évident, car jusqu’ici on ne trouve guère que là cette histoire […]. Je conserve l’espoir52 de réunir le tout en un petit volume qui pourrait servir pour l’enseignement de l’Histoire des sciences53. »
27Vœu en pleine harmonie avec ce qu’on peut présumer des intentions de l’auteur, sauf à préciser qu’un tel manuel aurait pris un tour spécifique, « dans un sens opposé à la direction spéciale que l’histoire des sciences a surtout suivie jusqu’à présent » : à savoir dans le sens de « l’histoire générale ». Ainsi rejoignons-nous par une autre voie une distinction déjà rencontrée à propos de l’histoire des mathématiques et que met en jeu l’organisation générale de toute vulgarisation en histoire des sciences. Relu à cette lumière le célèbre article : « De l’histoire générale des sciences54 », fait paraître, tant y est présente la sensibilité à la multitude des « publics », quelle place majeure P. Tannery faisait tenir à cet aspect de la diffusion des connaissances.
28Intervient tout d’abord le degré d’instruction du public auquel on s’adresse : par ce biais s’imposeront plus ou moins directement des références aux organisations d’enseignement. Dira-t-on que la vulgarisation la plus extensive s’adresse au « grand public » ? P. Tannery a souci de préciser ce qu’il entend par là :
« J’entends ici le public ayant reçu l’instruction générale, telle qu’elle est donnée dans l’enseignement secondaire, et s’étant, depuis, tenu au courant par la lecture des livres de vulgarisation et des articles de la presse scientifique conçus dans le même esprit. »
29L’instruction scientifique se spécifie ensuite selon la division entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, selon aussi les partages en disciplines et spécialisations de plus en plus poussées. Soit à dire ce que sont, pour l’historien, les « éléments généraux, c’est-à-dire ceux qui sont pleinement intelligibles à tous les lecteurs auxquels on s’adressera » ; la caractérisation en sera relative : « le grand public pour l’histoire générale des sciences, le cercle des licenciés pour un groupe de sciences par exemple, si l’on se borne à l’histoire de ce groupe ». Quant aux « histoires particulières », elles mettent surtout en œuvre les « éléments spéciaux » : diversification à nouveau de ce côté, car « les histoires particulières des sciences, celles du moins qui ont quelque valeur, parce qu’elles sont réellement l’œuvre de quelques spécialistes, sont conçues de façon à satisfaire les autres spécialistes ».
30En deuxième lieu, élaborer tel type d’histoire, qu’est-ce, du point de vue pratique auquel veut souvent nous ramener P. Tannery, sinon composer un livre ? Et un livre n’est véritablement bien fait que si son but a été fixé avec soin : « il doit être conçu pour un cercle de lecteurs bien déterminé ». Même Moritz Cantor encourt le reproche discret d’avoir voulu poursuivre conjointement deux objectifs divergents :
« Il suppose implicitement qu’il s’agit de satisfaire pleinement, aussi bien le mathématicien spécialiste, que l’historien de la vie civilisée ; or celui-ci, pour les détails, doit se limiter à ceux qui sont intelligibles au grand public, tandis qu’au point de vue général où il se place, il a de tout autres exigences que le mathématicien en tant que mathématicien. »
31Enfin, le « grand public » lui-même n’est pas homogène ; il faut compter avec les désirs divergents de « cercles » issus de formations distinctes. Relevons simplement ici, mais il est de grande conséquence, « ce double desideratum de l’histoire et de la philosophie » auquel P. Tannery rattache, plutôt qu’à celui de la science proprement dite, « les tentatives dont la France a pris l’initiative » pour créer un enseignement supérieur d’Histoire générale des sciences :
« L’historien pur, auquel font défaut les connaissances scientifiques spéciales, ne se trouve donc pas en mesure d’utiliser directement les livres écrits sur l’histoire des sciences, pour en tirer des indications valables, s’il veut compléter sous le rapport scientifique le tableau du mouvement intellectuel pour telle civilisation ou pour telle époque donnée.
Le philosophe, de son côté, désirerait des ouvrages également destinés au grand public, mais, en ce qui concerne les questions de méthode et la description de l’évolution des idées scientifiques, plus développés que ceux qui suffiraient au pur historien. »
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32À l’occasion de l’Exposition universelle eurent lieu en 1900 à Paris de nombreux congrès internationaux dont un congrès international d’histoire comparée ; P. Tannery obtint qu’une section particulière y fût consacrée à l’histoire des sciences55.
« Cette section a été constituée dans le but de créer un centre de relations entre les personnes qui s’intéressent à l’Histoire des Sciences, de faire ressortir combien il importe de ne pas isoler les différentes branches de cette histoire, afin d’étudier les moyens d’accroître l’activité des documents originaux56. »
33Ainsi, se tint le premier Congrès d’histoire des sciences ; P. Tannery y joua, comme dans deux congrès analogues tenus en 1903 et 190457, une place prédominante ; soucieux de la diversité, du sérieux des communications historiques, il le fut tout autant des moyens que devait se donner une jeune discipline pour délimiter son « domaine propre » et assurer son « autonomie » ; il travailla de toute son énergie à formuler et faire progresser des « propositions pratiques ayant pour but d’activer le progrès de l’Histoire des Sciences58 » ; il fallait au plus vite forger Sociétés et Revues, et bien sûr instituer de nouveaux enseignements. Ce sont les propositions et les débats relatifs à ce dernier point que nous allons suivre dans les trois « congrès internationaux d’histoire des sciences » qui prirent place respectivement dans les trois congrès suivants :
- Congrès international d’histoire comparée (5e section), Paris, 1900 ;
- Congrès international des sciences historiques (8e section) Rome, 1903 ;
- Congrès international de philosophie (5e section), Genève, 1904.
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34Le « vœu » exprimé à l’orée du siècle surprendra à coup sûr : tout n’y est-il pas exigé dès l’abord ? D’être demeuré pieux, ce vœu, selon le jour où on le prend, aura quelque allure aujourd’hui, ou de rêverie irraisonnée ou d’anticipation remarquable.
35Une relation suffisamment détaillées59 du premier congrès nous permet de donner quelques précisions à son sujet.
36La discussion s’était déjà amorcée à l’occasion d’une communication de Daniel Berthelot60, « professeur à l’École de pharmacie, délégué de la Société française de physique » : « Sur l’utilité de l’histoire en physique » :
« Il y aurait grand intérêt, pense l’auteur, à introduire davantage dans l’enseignement de la science celui de l’histoire de la science. Actuellement, rien ne se fait en ce sens parce que les savants manquent de connaissances historiques et d’esprit critique ; les historiens ou les philosophes, des notions techniques qui seraient nécessaires61. Les meilleurs traités sont insuffisants sur ce point, souvent même erronés. Il en résulte que les étudiants croient la science faite, finie et fermée […]. On devrait dans les classes mettre les élèves au contact des ouvrages anciens des sciences […]. Enfin au point de vue de l’esprit général de la philosophie qui doit animer la science, il y aurait tout avantage à les cultiver : si nous justifions mieux nos vues, nous ne pensons pas plus profondément qu’eux62. »
37« M. Tannery, précise le compte rendu, approuve vivement les conclusions de l’orateur et ajoute quelques autres exemples. »« Cette discussion, commencée à la séance du mercredi, a été reprise et développée, le samedi. »
« Sur la proposition de M. Sicard de Plauzoles, un vœu est adopté pour l’introduction de l’histoire des sciences dans l’enseignement. M. Tannery fait connaître que sur la demande du ministère, il en avait rédigé un programme quand on a fondé l’enseignement moderne, mais qu’il n’a pas été utilisé. Il fait remarquer en outre que si l’on veut avoir des professeurs capables d’enseigner cette histoire, il faut d’abord la leur apprendre, ce qui n’a pas lieu actuellement. L’ignorance des étudiants en sciences est très grande sur ce point (M. le Dr Sicard de Plauzoles ajoute qu’il en est de même dans la médecine). […] – M. André Lalande pense qu’en France, où il existe une École normale qui est un séminaire spécial de professeurs, il serait facile d’établir un cours d’histoire des sciences dont l’influence se ferait rapidement sentir sur l’enseignement. Les études dites P. C.N. seraient aussi un terrain favorable pour l’établir. - M. Tannery souhaiterait qu’il en fût de même à l’École polytechnique63, où les jeunes gens ont besoin d’un contrepoids philosophique et critique aux études mathématiques pures. L’histoire et la philosophie des sciences ne devraient pas être négligées dans l’école où se sont formés Auguste Comte et Renouvier64. »
38Voici donc ce vœu si notable :
« Sur la proposition de M. le Docteur Sicard de Plauzoles, et après un échange de vues entre MM. P. Tannery, Dureau, Milhaud, Daniel Berthelot, Lalande et Touche, le vœu suivant est adopté à l’unanimité.
Le congrès d’histoire des sciences émet le vœu :
1° - Que l’histoire élémentaire des sciences, donnée par les professeurs de sciences eux-mêmes, soit développée dans l’enseignement secondaire et reçoive une sanction dans l’examen du baccalauréat ;
2° - Que des cours spéciaux d’histoire générale des sciences soient créés à la Sorbonne, à l’École normale supérieure, à l’École polytechnique et dans toutes les principales universités françaises.
Le Congrès adresse ce vœu non seulement à l’autorité universitaire mais encore à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des sciences, en leur rappelant que la loi de 1896 autorise les universités à recevoir les dons des particuliers destinés à la fondation de cours spéciaux.
Sur la proposition de M. le Docteur Dureau, le Congrès ajoute au vœu précédent celui que les universités soient autorisées à créer un diplôme d’études de l’histoire des sciences, conformément au texte même de la susdite loi65. »
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39Le Congrès international des sciences historiques devait se tenir à Rome en avril 1903 et il fut prévu, comme dans le précédent congrès de Paris, une section consacrée à l’histoire des sciences.
40Dans la lettre à G. Loria du 28 décembre 190266 où il annonce sa venue et commence à préciser ce que sera sa participation, P. Tannery exprime d’emblée son désir de « faire (ou faire faire) une communication, très courte au reste, pour provoquer une discussion sur les points qui ont fait l’objet de vœux » en 1900. Troisième point : « Quels sont les moyens pratiques à employer pour donner, dans l’enseignement secondaire, des notions exactes et utiles sur l’histoire des sciences ? » Or par une rencontre assurément non concertée puisqu’il en fait part dans sa réponse du 2 janvier 1903, G. Loria avait de son côté décidé d’intervenir sur un sujet proche :
« Comme dans vos questions, vous touchez à l’introduction de l’histoire des sciences dans l’enseignement élémentaire, je crois bon de vous faire part que M. Giacosa (spécialiste pour l’histoire de la médecine) et moi nous allons faire un rapport sur son introduction dans l’enseignement supérieur ; nous faisons des propositions particulières à l’Italie, mais il est aisé d’en étendre la portée aux autres pays67. »
41C’est dire quel prix pouvait attacher G. Loria à un sujet « extrêmement intéressant et important » ; il sollicita un « rapport », puis une « conférence générale » ; P. Tannery, après avoir songé à prendre pour titre d’une conférence : « Sur l’histoire générale des sciences », s’en tint à ses premières intentions, tout en étendant la portée des interrogations à soumettre aux congressistes.
42« Propositions ayant pour but d’activer le progrès de l’histoire des sciences68 » : ce texte capital veut « exposer les questions d’intérêt international que soulèvent les vœux de 1900 » ; il traite de trois problèmes : autonomie de l’histoire générale des sciences ; organisation de l’enseignement de l’histoire des sciences ; création d’une Société et d’une Revue d’histoire générale des sciences. Même si l’auteur se prévaut de titres officiels69 pour donner un air anonyme à des propositions qui devraient en prendre plus d’autorité, tout y laisse paraître la fermeté des convictions personnelles : le ton décidé comme la précision des analyses.
43Quant à « l’organisation de l’enseignement » qui doit ici nous retenir au premier chef, voici comment elle est conçue « pour les deux degrés que l’on appelle en France enseignement secondaire et enseignement supérieur » :
« Au premier de ces deux degrés, il s’agit seulement de donner des notions aussi exactes que possible sur l’histoire des théories qui sont enseignées et sur les formes qu’elles ont revêtues. On se bornera strictement aux points les plus importants et les plus intéressants. Il s’agit surtout d’éveiller le goût pour les questions historiques […]. Les essais tentés par quelques professeurs semblent suffisants pour prouver que l’enseignement dans ces conditions peut être utilement dirigé sans surcharge effective des programmes. Les indications historiques plaisent aux élèves, et en ouvrant leur intelligence, facilitent la compréhension des théories abstraites et de la portée des expériences. Mais à cet âge, l’esprit n’est pas assez développé pour aborder avec fruit la synthèse des différentes histoires particulières70. »
« Au degré supérieur, on ne peut espérer la création immédiate, dans les centres où se forment les professeurs, d’autant de chaires qu’il y a de sciences particulières ; il convient donc de se borner à désirer actuellement la création de chaires d’histoire générale, dont les titulaires, en dehors des recherches particulières qu’ils pourront entreprendre, prendront naturellement pour base les travaux de première main et les meilleurs ouvrages de seconde main. On peut, ce semble, aisément combiner un programme, limité aux matières de licence (en France), qui représente en deux ans un enseignement suffisamment complet pour le but à atteindre71. »
44En second lieu, P. Tannery répond à la difficulté qu’il avait lui-même soulevée au Congrès de 1900 : si l’on veut avoir des professeurs de lycée capables d’enseigner cette histoire, « il faut d’abord la leur apprendre, ce qui n’a pas lieu actuellement ». Il conviendra donc de leur ménager cette possibilité « au degré supérieur ». Que prétexte n’en soit pas pris toutefois pour négliger au premier temps l’organisation du degré inférieur : P. Tannery souligne avec vigueur la nécessité, afin de prévenir toute mesure dilatoire, de rendre solidaires ces deux organisations :
« L’organisation de l’enseignement de l’histoire des sciences au degré secondaire exige donc l’organisation simultanée du même enseignement au degré supérieur. Mais j’insiste sur ce point, pour provoquer une décision spéciale au Congrès de 1903, il ne faut pas prétendre organiser d’abord l’enseignement supérieur de l’histoire des sciences, et différer d’organiser l’enseignement secondaire, sous prétexte de l’insuffisance actuelle du personnel des professeurs. Car il importe, si l’on organise l’enseignement supérieur, d’assurer aux cours l’assiduité d’élèves s’instruisant sérieusement de l’histoire des sciences72. »
45Qu’en fut-il de ces précisions mûrement calculées, de ces espoirs qui se voulaient bien mesurés, de ces objurgations pressantes en faveur d’organisations concertées ? La 8e Section73 émit bien deux vœux, et ce fut autant d’acquis ; mais en regard des considérations qui les avaient suscités, leur brièveté surprendra, et plus encore, l’éloignement qui s’y manifeste entre des recommandations où ne figurent que des sciences particulières et le plaidoyer du promoteur de « l’histoire générale ».
« La Section, etc., considérant qu’il est d’une importance exceptionnelle que l’histoire des sciences obtienne dans l’enseignement la part qui lui revient de droit ;
Et tenant compte de la délibération prise par la 5e Section du Congrès international d’histoire comparée, tenu à Paris en juillet 1900 ;
Émet le vœu : que cet enseignement soit institué par la création de cours universitaires divisés en quatre séries :
1° Sciences mathématiques et astronomiques ; 2° Sciences physiques et chimiques ; 3° Sciences naturelles ; 4° Médecine.
La même Section exprime en outre le vœu que des rudiments d’histoire des sciences soient introduits dans les programmes des enseignements particuliers des sciences au degré secondaire74. »
46Qu’était-il advenu pour que les ambitieuses demandes avancées en 1900 aient pris trois ans plus tard un tour différent ? P. Tannery s’en explique lorsqu’il relate le congrès de Rome dans la Revue internationale de l’enseignement75.
« Pour l’enseignement de l’histoire des sciences au degré secondaire, l’unanimité s’est prononcée immédiatement, et le texte du vœu adopté […] a en réalité la même signification que celui de Paris. »
47Les difficultés76 surgirent à propos des cours universitaires :
« Quant à l’organisation de l’enseignement au degré supérieur, le système qui avait prévalu à Paris a soulevé au contraire de sérieuses objections visant son opportunité actuelle et la facilité de la réaliser pratiquement. »
48La constitution, dans les Universités d’un « enseignement historique, véritablement supérieur », s’avère impossible dans l’immédiat :
« Ce desideratum ne pouvait, quant à l’avenir rencontrer aucune opposition, et il reste comme définissant le but à atteindre ultérieurement ; mais, eu égard aux circonstances actuelles, il a paru malaisé de l’atteindre à bref délai, soit en raison des dépenses qu’il entraînerait, soit par suite de la difficulté de trouver immédiatement un nombre suffisant de sujets capables. D’un autre côté, il n’a pas semblé satisfaire à la nécessité urgente de remédier à l’ignorance générale, et souvent étrange, de la majorité des étudiants des Universités, en ce qui concerne les premières notions de l’histoire des sciences auxquelles ils se consacrent.
La grande majorité des membres de la section s’est donc prononcée pour l’organisation de cours d’histoire relativement élémentaires, limités aux matières de licence, et divisés en autant de séries qu’il y a de licences (en comptant la médecine pour une), mais répétés de telle sorte que l’on puisse aboutir, au besoin, à la sanction des examens. Des cours de ce genre semblent pouvoir être facilement organisés dans les Universités allemandes ; en France et en Italie, des subventions de l’État seront plus ou moins nécessaires, mais les frais seront sensiblement moins élevés que s’il s’agissait de créer des chaires nouvelles. Naturellement, les Universités auraient toute latitude pour organiser ces cours et suivant les circonstances, deux, trois ou même les quatre séries pourraient être confiées à la même personne77. »
49Ignorances d’étudiants peu à même de recevoir des leçons qui les dépasseraient, créations trop improbables de chaires, et pour tout dire crédits insuffisants : objections rebattues en cette période d’innovations comme en toute autre ; que P. Tannery les ait plus ou moins prises au sérieux, il se rallia aux vœux de la majorité, les prit pour moyens de son plus proche combat, en travaillant à les faire connaître. Lui qui croyait avoir pris la bonne mesure de qui pouvait aboutir sans mal, s’inclina devant des projets dits plus vite réalisables que les siens ; à les suivre, « le but à atteindre serait beaucoup plus modeste, mais par là même beaucoup plus aisé, et les résultats à espérer sont loin d’être négligeables. C’est donc une solution qui se recommande d’elle-même comme essentiellement pratique78 » ; « but pratique et susceptible d’être immédiatement atteint avec une dépense minime79 ». Toutefois, sous couleur d’exprimer un consensus donné comme sûr quant au but plus lointain à garder en mémoire, P. Tannery trouve moyen de réaffirmer ses propres convictions tant dans la Revue internationale de l’enseignement qu’au nom de la « synthèse » dans la toute nouvelle Revue de Synthèse historique80 ; l’enseignement qu’il faudra dans l’avenir organiser dans les universités sera « destiné à préparer les professeurs du degré secondaire au nouveau rôle qu’on leur imposerait, et en même temps à multiplier autant que possible les centres d’étude pour l’histoire des sciences »81 ; le « couronnement » des enseignements relatifs à des matières particulières, « par la création de chaires d’histoire générale des sciences, est incontestablement le desideratum pour l’avenir, au point de vue où se place la Revue de Synthèse historique82 ».
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50À la fin du Congrès international de philosophie, en 1900, P. Tannery avait insisté sur l’importance qu’avait eue « la section de logique et d’histoire des sciences », et proposé de la scinder à l’avenir en deux sections distinctes83 ; il prit la responsabilité de réunir au Congrès de Genève (4-8 sept. 1904) une section uniquement consacrée à l’histoire des sciences84 : ainsi présida-t-il le « troisième Congrès international d’histoire des sciences ».
51Il n’allait pas perdre cette occasion particulièrement opportune de poursuivre son offensive. Une Commission internationale permanente avait été constituée au Congrès de Rome pour « préparer l’organisation dans les futurs Congrès de Sections autonomes de l’histoire des sciences, et, en particulier, présenter des rapports sur les progrès de son enseignement85 ». Mais un nouveau Congrès d’historiens ne pouvait se réunir dans les deux années qui suivaient 1903 : aussi fallait-il intervenir « d’un autre côté » : « Mon but essentiel est d’agir, au point de vue du renouvellement du vœu du Congrès de Rome, avant 1906, date du Congrès de Berlin »86.
52C’est à la séance de clôture du Congrès de philosophie87 que fut proposé et adopté à l’unanimité un « Vœu relatif à l’Enseignement de l’Histoire des sciences88 ». Sont rappelés dans les préambules les vœux de 1900 et de 1903 dont une habile rédaction forme ici l’amalgame : un paragraphe reproduit le souhait émis en 1903 quant à l’enseignement régulier de l’histoire des sciences « dans les Universités » : quant à l’enseignement secondaire, un autre paragraphe reprend à peu de choses près la partie du vœu de 1900 qui avait un « caractère international » :
« […] Que des rudiments d’histoire des sciences soient enseignés en même temps que les sciences elles-mêmes et par les mêmes professeurs, dans les établissements d’enseignement secondaire : que cet enseignement, tout élémentaire d’ailleurs, soit rendu obligatoire par les programmes, et reçoive une sanction dans les examens […]. »
53Soyons plus attentifs encore à l’argument ad hominem qui dans le premier attendu est estimé le plus propre à entraîner l’adhésion du philosophe :
« Considérant que l’histoire des sciences constitue un des fondements les plus essentiels de l’histoire de la philosophie et que sa connaissance est aussi indispensable pour la pleine intelligence de cette dernière histoire que la connaissance des sciences elles-mêmes est indispensable pour la pleine intelligence de la philosophie. »
54Chacune de ces affirmations appellerait de longs commentaires, et plus encore le jeu argumentatif un peu contourné qui les ordonne. Deux remarques nous suffiront ici pour en suggérer la portée mais aussi les limites. En ces affirmations s’exprimaient des attitudes philosophiques assez communes en cette période, et à coup sûr des convictions profondes de Paul Tannery : élève de Lachelier, ami d’Émile Boutroux, il s’était consacré lui-même à l’histoire de la philosophie ; et l’historien de la science grecque, l’éditeur de Descartes avait des raisons personnelles de croire que ses propres travaux venaient à l’appui des deux premières propositions89. Mais l’argument lui-même pouvait-il emporter la conviction de tous ? Ne disposant pas pour ce congrès de commentaires de P. Tannery90, laissons entrevoir, derrière l’unanimité du vote, des divergences de vues qui, l’heure venue des décisions pratiques, auraient pu aller à l’encontre du vœu. N’y avait-il pas, par exemple, quelque danger à lier le sort de l’histoire des sciences à celui de l’histoire de la philosophie ? Il n’allait pas de soi en effet aux yeux de tous que le rôle de cette dernière fût « capital » dans la formation du philosophe : quelque écho de cette contestation s’entend ici même en ce Congrès91 et d’autres voix s’élevaient ailleurs pour disputer le droit à l’histoire de la philosophie de figurer, en tant que telle, dans les programmes de lycée. Dès lors tombait l’argument principal de l’attendu ; nouvel exemple des résistances auxquelles pouvaient se heurter les vœux qu’on croyait les mieux calculés.
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55P. Tannery est mort le 27 novembre 1904. Peu avant le Congrès de Rome, s’était réuni à Heidelberg le troisième Congrès international des mathématiciens92. Y fut votée une motion signée des plus grands noms, qui reprenait les vœux de 1903 : la précédait un attendu relatif à l’histoire et à l’enseignement des mathématiques93. Dès avant la réunion dés deux Congrès de 1904, P. Tannery songeait, nous l’avons vu, aux Congrès ultérieurs où assurément il aurait continué de mettre les mêmes questions à l’ordre du jour. Au nom de la « Commission internationale permanente », il amorçait dans sa correspondance une enquête sur l’état de l’enseignement de l’histoire des sciences en chaque pays. « De l’histoire générale des sciences », ce manifeste dont les circonstances firent comme un testament, fut publié comme introduction d’un livre annoncé pour 1905 et qui ne put voir le jour94. Bref, c’est au moment où s’intensifiait une véritable campagne qu’intervint une disparition dont il serait malaisé de mesurer exactement les conséquences ; au moins peut-on assurer qu’elle vint s’ajouter à ces « conditions défavorables » dont l’analyste lucide avait prédit qu’elles pourraient faire obstacle à la « transformation radicale » souhaitée95.
56Sur ce que furent facteurs favorables ou défavorables, nous reviendrons ultérieurement dans des études sur les perspectives pédagogiques de l’histoire des sciences en France avant 191496 ; nous y préciserons les allusions ici faites aux transformations du système français d’enseignement, au « concours de volontés actives » qui allaient dans le même sens que P. Tannery, ainsi qu’aux conceptions différentes des siennes, comme aux inerties, obstacles, résistances qui empêchèrent la réussite des projets les plus modestes.
57Pour l’heure, que soient simplement récapitulés les traits les plus saillants d’un rassemblement documentaire au terme duquel devraient être manifestes la constance de P. Tannery au service d’une « cause97 » qui dépassait de loin ses intérêts particuliers, l’énergie employée à poser comme primordiales les questions d’enseignement.
« Dans la vie de l’humanité, les sciences jouent désormais un tel rôle que leur histoire mérite évidemment d’être étudiée et enseignée au même titre que le sont, par exemple, l’histoire de l’art ou celle de la littérature. »
58Que dès la phrase d’envoi du manifeste le plus réfléchi, « enseignée » fasse si vite pendant à « étudiée », rien là qui devrait maintenant surprendre. Pratiques diversifiées de vulgarisation, participations à encyclopédies, collaborations avec historiens, prospections préparatoires à l’occasion de parutions récentes, attentions minutieuses portées à manuels et abrégés, rédactions de programmes : ainsi s’élabora une réflexion maîtrisée sur « l’organisation de l’enseignement de l’histoire des sciences » ; ainsi fut conduit un combat qu’amorça la prise en charge d’enseignements effectifs et que prolongèrent des interventions dans des assises internationales ; ainsi fut menée pour user d’un mot plus juste prononcé en confidence, une véritable « agitation » :
« Ce que je voudrais vous dire en particulier, c’est qu’ayant pris en mains, depuis 1900, la question de l’organisation de l’enseignement de l’histoire des sciences, je veux continuer l’agitation jusqu’à ce que j’aie abouti à quelque chose98. »
59Combat, « agitation » qui mirent à l’œuvre une véritable stratégie d’institutionnalisation, ambitieuse et pragmatique à la fois.
60Une vue d’ensemble de tous les enseignements possibles et souhaitables : c’est à quoi tendaient des « propositions » et des observations ayant pour objet des enseignements tant au niveau supérieur qu’au niveau secondaire, tant à l’adresse des littéraires que des scientifiques ; au plus haut seront formés les futurs professeurs de lycée : ceux-ci au demeurant constituent l’auditoire fourni indispensable au bon avenir de la recherche ; dans le sens inverse, toute tâche de vulgarisation dévoile les lacunes des ouvrages de première main et suscite indirectement des enquêtes originales ; un enseignement de large extension doit procurer « un public de lecteurs et offrir une perspective d’avenir aux travailleurs » ; seront distribués selon des dosages mesurés d’après ordres et finalités de chaque formation différents « types » d’histoires ; enfin tout se tient, et il importe, le succès étant à ce prix, que tout soit mis en route d’un même mouvement. Mais d’un autre côté, réaliste toujours prêt à s’incliner devant les solides raisons d’autres réalistes, P. Tannery travailla à cerner des « conditions d’application », qu’il s’agisse de conditions matérielles (ainsi de crédits, de personnel), ou de contraintes intellectuelles : philosophe des sciences se défiant des définitions purement nominales, il fait constamment le départ entre caractérisations verbales et existence : cessez de disserter sur tel « type » d’histoire, composez un livre, un manuel, et on saura de quoi on parle ; les « histoires particulières » ne sont pas toutes au même état d’avancement ; enfin veut-on préparer pour une jeune discipline la « place qui lui est due », qu’on suppose les alliances qu’elle peut passer avec ses aînées, qu’on tienne compte au plus près des structures pédagogiques existantes et de leurs capacités de changement. En un mot, un pragmatiste soucieux de diagnostics précis surveille le théoricien des « distinctions abstraites ». Et parfois même, trait original qu’on aura pu relever plus haut, ce sont des réflexions pédagogiques qui conduisent à des partages théoriques. Dans nulle thèse plus qu’en celle de haute portée (« l’autonomie de l’histoire générale des sciences ») ne se marque pareille imbrication. Lorsque P. Tannery prit à la lettre l’intitulé d’une chaire d’histoire générale des sciences, ce ne fut pas pour raison de facilité ; on n’a pas assez pris garde à la netteté du verdict : l’histoire générale des sciences n’existe pas encore ; l’existence d’une chaire n’implique nullement celle de la matière qui y devrait être diffusée ; il tiendra donc à un enseignement original de donner corps et consistance à ce qui ne peut être d’abord que « conception individuelle ». En méditant de longue date sur « le caractère de la chaire » nouvellement créée au Collège de France, P. Tannery perçut un problème - difficile et toujours présent - là où d’autres s’en rapportaient à des « synthèses » commodes, et résolut d’aller à contre-courant : les histoires particulières, les histoires spéciales vont et iront leur train, naturellement portées par le développement des sciences qu’elles servent ; cela est bien, mais il faut en même temps, et « à côté », « organiser l’enseignement »« en l’orientant dans un sens opposé à la direction spéciale que l’histoire des sciences a surtout suivie jusqu’à présent ».
61Contrairement à ce qu’on pourrait croire, sa situation « marginale » ne gêna pas P. Tannery dans son combat ; il tira même grand profit, nous semble-t-il, de ce qui n’était qu’apparemment des défaveurs : n’étant pas universitaire, il aurait pu subir des rebuffades lorsqu’il se mêlait de pédagogie ; n’étant maître titré d’aucune spécialité, il aurait pu s’y voir interdire toute intrusion. De fait, s’étant acquis par accumulation de travaux prestige et autorité personnelle, il fut l’expert officieux qu’on consulte officiellement ; il n’était d’aucune corporation mais sa prééminence – position sociale, relations familiales et personnelles aidant – fut assez marquée pour qu’il puisse parler à chacune au nom de toute. À quoi s’ajoutèrent le sens exercé des besoins de « publics » divers, les ouvertures variées sur nombre de pays étrangers. Conjonction remarquable et singulière : d’où la mobilité de l’observateur, et pour nous, la profusion d’un témoignage qui ménage tant de rencontres ; d’où le tranchant de pensée de l’organisateur qui, à l’orée du siècle, agita méthodiquement, pour la première fois, des questions toujours d’actualité.
Bibliographie
Bibliographie
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Sarton (George), 1931, Review of « Paul Tannery, Mémoires scientifiques. Tome X », Isis, vol. XVI, n° 1, p. 155-157.
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Tannery (Paul), 1912-1950, Mémoires scientifiques, Johan-Ludwig Heiberg et Hieronymus-Georg Zeuthen éd., Toulouse, Privat et Paris : Gauthier-Villars.
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Zeuthen (Hieronymus-Georg), 1896, Geschichte der Mathematik im Altertum und Mittelalter, Copenhagen : A. F. Höst and Son.
Zeuthen (Hieronymus-Georg), 1902, Histoire des mathématiques dans l’Antiquité et le Moyen Âge, trad. franç. par Jean Mascart, édition française revue et corrigée par l’auteur, Paris : Gauthier-Villars.
Zeuthen (Hieronymus-Georg), 1903, Geschichte der Mathematik im XVIten und XVIIten Jahrhundert, Leipzig : B. G. Teubner.
Notes de bas de page
1 À titre d’exemples d’un riche florilège : « c’est parce que Paul Tannery offrait, en son intelligence, un mélange fort rare de qualités très disparates et presque discordantes, c’est parce qu’il était, à la fois, mathématicien, philosophe, érudit, helléniste, qu’il put être historien des Sciences », Duhem 1905, p. 217 ; « Paul Tannery représente à lui seul tous les genres d’étude qui peuvent prétendre au nom d’Histoire des Sciences », Boutroux 1938 (conférence donnée en 1920), p. 691.
2 Tannery 1912-1950.
3 Rendant compte du volume X des Mémoires, G. Sarton écrivait : « Il leur prouvera, s’ils ne le savaient déjà, que Tannery n’était pas seulement un érudit, mais un penseur et un philosophe. Je n’hésiterai pas à dire qu’il fut vraiment l’apôtre de l‘histoire de la science, et dans ce domaine l’héritier direct d’Auguste Comte. Quelle ironie cruelle que celle qui fit écarter de la “chaire d’histoire générale des sciences au Collège de France” celui qui était le mieux préparé à l’occuper non seulement par son érudition, mais encore par sa conception même de cette discipline nouvelle et l’orientation de son esprit ! La France a donné naissance à deux historiens de tout premier ordre, Tannery et Duhem, qui ont été également empêchés d’enseigner à Paris par la toute puissante bêtise administrative. », Sarton 1931, p. 155.
4 « The scandal of 1903 » : titre du deuxième paragraphe d’un article de Sarton 1947, p. 34. Cf. tant sur « l’affaire » que sur la vie et l’œuvre de P. Tannery, outre le tome IV d’Osiris déjà cité, la « Biographie de Paul Tannery » par P. Louis (Louis 1950) et le n° 4 du tome VII (oct.-déc. 1954) de la Revue d’histoire des sciences, en particulier, Taton 1954.
5 Louis 1950, p. 37.
6 Cf. la lettre de P. Tannery à H.-G. Zeuthen du 10 janvier 1904, in Tannery 1912-1950, vol. XVI, p. 675, 677, 678.
7 Un remarquable article de Harry W. Paul (Paul 1976) a jeté récemment de nouvelles lumières sur « l’affaire » et, en particulier, par une minutieuse analyse du déroulement des votes, par la prise en considération de l’ensemble des candidats, a montré combien l’interprétation gagnait à prendre du champ par rapport à une vision trop manichéenne de la compétition entre les deux principaux candidats.
8 L’expression que nous avons prise pour titre est, comme on le constatera plus bas, empruntée à des textes de P. Tannery.
9 « Quant à mon aventure, au sujet de laquelle vous voulez me réitérer l’expression de vos sentiments, je vous dirai très franchement que j’en ai pris mon parti, dès le premier jour, comme d’une sottise qui ne m’affectait pas personnellement. Mes regrets ne concernent que l’impossibilité d’exposer par la parole mes idées sur l’histoire des sciences. », P. Tannery au Dr Karl Sudhoff, 18 juil. 1904, in Tannery 1912-1950, vol. XVI, p. 418.
10 Article que cite P. Tannery lui-même dans l’exposé de ses titres (id., X, p. 126).
11 P. Tannery à G. Eneström, 31 janv. 1884 (id., p. 139-140). « Il continua son cours d’histoire des mathématiques en 1885, mais il dut bientôt y renoncer, ayant été nommé Directeur de la Manufacture des tabacs à Tonneins. » (Id., p. 140.)
12 Sujets traités respectivement dans les années 1892-1893 et 1895-1896 (id., vol. XVII, p. 116).
13 Dans le journal Le Radical du 8 février 1904, un correspondant avait, sous la signature : « Un Positiviste », justifié la décision du ministre Chaumié, en arguant que « la majorité qui a placé M. Tannery en première ligne était composée de professeurs de lettres qui désiraient faire de la chaire d’histoire des sciences une chaire d’érudition » ; « M. Tannery est en effet, un érudit, un helléniste très distingué […]. Il a d’ailleurs à plusieurs reprises remplacé des professeurs de lettres au Collège de France. » (Id., vol. X, p. 155-156). Tannery rétorqua : « Pourquoi ce pluriel et cette désignation ? J’ai régulièrement remplacé, de 1891 à 1896, un même professeur, dans une chaire de philosophie, où j’avais la liberté de traiter de l’histoire de la science chez les anciens et de la comparer avec les théories modernes. » (Id., p. 158.)
14 Id., p. 15-16. Au moment où P. Tannery exposait ainsi pour la Revue de Synthèse historique (I, 1900, p. 179-195) « la situation actuelle de l’histoire de la mathématique », les Vorlesungen comportaient trois volumes ; le quatrième volume parut en 1907.
15 Id., vol. X, p. 19-20.
16 Tannery 1903. La page de titre porte, au-dessous du titre principal, en plus petits caractères : « Notions historiques par Paul Tannery » ; celles-ci ont été reprises in id., vol. III, p. 158-187.
17 « Notions historiques », p. 342-348 : 1. Origines de l’Algèbre ; 2. Du sens des mots Analyse et Synthèse chez les Grecs et de leur Algèbre Géométrique ; 3. Quantités positives et négatives ; 4. Sur les courbes étudiées par les Anciens ; 5. Sur l’origine de l’emploi des coordonnées pour la représentation graphique de la variation des phénomènes ; 6. Sur les origines du calcul infinitésimal.
18 La page de titre porte les indications suivantes : « Programmes du 31 mai 1902 » : « Classes de philosophie, certificat des sciences physiques, chimiques et naturelles, etc. »
19 Regret qu’exprime également G. Sarton : « This includes a final chapter, historical notions, by Paul Tannery, an exceedingly brief introduction to the history of mathematics », Sarton 1947, p. 47.
20 Tannery 1903. Préface datée du 18 avril 1903 de Jules Tannery, p. vii-viii.
21 Paul Tannery à G. Eneström, 6 oct. 1910, in Tannery 1912-1950, vol. X, p. 386.
22 Début d’un compte rendu d’une Histoire des Mathématiques (xii-266 p.) parue en 1900 de Jacques Boyer. P. Tannery poursuit en ces termes : « Le mince volume de M. Boyer a l’avantage incontestable de la clarté dans la disposition et dans le style […]. Constater qu’il n’est pas exempt d’erreurs de détails, est assez inutile, alors qu’il y en a dans les travaux de première main les plus justement renommés, et qu’elles se propagent beaucoup plus facilement que leurs corrections : il suffit que ces erreurs ne soient pas graves et qu’elles ne soient pas plus fréquentes que dans les Abrégés analogues (toutefois plus étendus) de Rouse-Ball et de Cajori. M. Boyer a mis d’ailleurs sa marque personnelle dans son Histoire et s’est efforcé de lui donner un caractère particulier en la laissant très élémentaire et en la destinant à ceux qui apprennent les Mathématiques, non à ceux qui les savent. On ne peut que lui souhaiter d’atteindre son but, et d’exciter au moins, dans les générations des élèves, un intérêt pour des questions auxquelles malheureusement trop peu de professeurs sont aujourd’hui capables de répondre », Tannery 1912-1950, vol. XII, p. 167.
23 Cf. à propos de cette « fatalité » dans le compte rendu de l’ouvrage hautement loué de Florian Cajori, (Cajori 1895) : « Ainsi, et pour n’en citer qu’un exemple, il n’y a, je crois, dans le célèbre Aperçu historique de Chasles, qu’une erreur vraiment grave : si M. Cajori copie in extenso un passage de Chasles, ce sera précisément celui-là », id., vol. XII, p. 50.
24 Id., vol. X, p. 20.
25 Zeuthen 1896.
26 Cf. dans la traduction française citée plus bas (note 39), l’avant-propos de l’édition danoise, p. v, et cette précision donnée par H.-G. Zeuthen dans une lettre du 2 juin 1893 (Tannery 1912-1950, vol. XVI, p. 651) : « Je suis occupé de publier – en danois – les leçons que je fais de l’histoire des Mathématiques aux jeunes mathématiciens (qui se destinent pour la plupart aux professorats aux lycées). »
27 Id., vol. XII, p. 11. Dans la lettre qui vient d’être citée, H.-G. Zeuthen poursuit : « J’y borne à un minimum la mention des faits historiques propres, mais je cherche en récompense de représenter clairement l’état de la science, les points de vue, les idées et les manières de les représenter, des époques les plus importantes, et je néglige les temps de décadence. »
28 Zeuthen 1903.
29 Tannery 1912-1950, vol. XII, p. 255-256.
30 Id., p. 255. C’est nous qui soulignons.
31 « Un jeune professeur français, M. Weill, du lycée de Beauvais, m’ayant récemment manifesté l’intention de traduire en français l’ouvrage de Cantor sur l’histoire des Mathématiques, je l’ai engagé à traduire plutôt de l’allemand vos Foreloesning over Mathematikens Historie. Il a trouvé un éditeur et il ne s’agit plus que d’obtenir votre autorisation. » (Paul Tannery à H.-G. Zeuthen, 18 avr. 1899, in id., vol. XVI, p. 656)
32 Id., p. 665. La traduction fut effectuée non par le jeune professeur cité dans la note précédente, mais par Jean Mascart : Zeuthen 1902. Annonçant cette parution, P. Tannery émit le souhait qu’on traduise au plus vite le second livre de Zeuthen : « Faut-il espérer que cette Histoire n’attendra pas un traducteur français aussi longtemps que la première ? » Espoir déçu jusqu’à ce jour.
33 Id., vol. XVI, p. 661, 665. Zeuthen écrit dans l’Avant-propos de l’édition française, p. xv : « les lecteurs sauront gré comme moi à M. Paul Tannery : ses annotations marquées (T.), malgré leur étendue restreinte, comportent toutes des renseignements aussi intéressants qu’importants. »
34 Id., p. 657.
35 Id., vol. XII, p. 255.
36 P. Tannery poursuit en ces termes le commentaire cité plus haut de l’Histoire des mathématiques de J. Boyer : « Mais j’avouerai que, pour mon compte, je ne puis voir bien clairement à quel public s’adresse un Abrégé de ce genre ; pour un candidat à la licence, il y a déjà bien des sujets qui paraîtront trop écourtés ; pour les élèves des lycées, je ne vois point quel sens peut avoir un chapitre sur la Mathématique moderne. Et si l’on veut, d’après le système actuellement en vogue, continuer à pousser jusqu’à nos jours, l’Histoire des Sciences comme du reste, il y aurait, je crois, beaucoup mieux à faire. » (Id., p. 167-188.)
37 Id., vol. X, p. 21, n. 1.
38 « L’éditeur se permet d’appeler l’attention du lecteur sur ce paragraphe parce qu’il exprime un des projets pédagogiques de Paul Tannery. » (Id., vol. XII, p. 168, n. 1.)
39 Id., vol. X, p. 20 : « À mon avis, ce qu’il faudrait, ce serait prendre les différentes branches de la mathématique telles qu’on les enseigne dans nos lycées, arithmétique, algèbre, géométrie, trigonométrie, et écrire pour chacune d’elles une petite histoire, bien à la portée des élèves. »
40 Cf., à la suite de la phrase citée dans la note précédente : « un autre précis, concernant les matières de licence, aurait une utilité non moins évidente, tandis que je ne vois aucun intérêt réel à aller plus loin et à écrire, sur les mathématiques modernes, des chapitres inintelligibles pour les étudiants ».
41 Id., vol. XII, p. 167-168.
42 Id., vol. X, p. 175. Dans une note appelée par le mot “préconiser”, est exprimée la réserve suivante : « Malgré certains avantages évidents de ce système et quel que soit mon désir de la voir adopter actuellement dans l’enseignement des Universités, parce qu’il serait immédiatement réalisable, je crois qu’au point de vue didactique, l’enseignement par histoires particulières donnerait de meilleurs résultats. »
43 Les éditeurs du tome X qui donnent le texte de P. Tannery comme extrait de la Revue du mois (avril 1907, n° 16, p. 385-392), n’ajoutent à son sujet aucun éclaircissement particulier, et reproduisent simplement le préambule par lequel Jules Tannery, après la mort de son frère, avait présenté ce programme aux lecteurs de la Revue du mois.
44 Nous avons relevé la précision suivante dans la liste des travaux de P. Tannery donnée en 1908 par Mme P. Tannery : « Ce programme n’était qu’un brouillon. » (Mémoires de la société des sciences physiques et naturelles de Bordeaux, 6° série, t. IV, 1908, p. 362, n. 1).
45 Id., vol. X, p. 1. Formant le document n° 1 du tome X, le programme est présenté sous l’intitulé suivant : « Programme proposé en février 1892 pour un cours d’histoire des sciences dans la classe supérieure de l’enseignement moderne dans les lycées. »
46 Id., p. 2-3.
47 Cf. dans le relation qu’on pourra lire plus loin d’un débat sur l’enseignement de l’histoire des sciences : « M. Tannery fait connaître que sur la demande du ministère, il en avait rédigé un programme quand on a fondé l’enseignement moderne, mais qu’il n’a pas été utilisé. »
48 Id., vol. X, p. 130-131 : « […] je n’insisterai pas plus longtemps sur mes travaux relatifs à l’Histoire des mathématiques, et je crois inutile de mettre en relief tout ce que j’ai fait dans un domaine où mon autorité est incontestée depuis vingt ans, alors que les résultats auxquels je suis parvenu ont été largement utilisés et vulgarisés soit dans les Vorlesungen über Geschichte der Mathematik de Moritz Cantor soit dans Le Scienze esatte nell’antica Grecia de Gino Loria, pour ne pas énumérer les ouvrages moins considérables ».
49 Berthelot, Derenbourg, Dreyfus et al. 1885-1902, : une centaine de notices réparties dans les tomes II à XXXI et dont quelques-unes seulement ont été reproduites dans les Mémoires scientifiques. Notices soumises à des contraintes qui ont dû coûter à leur auteur, comme le nota G. Loria : « La Grande Encyclopédie mesurait aussi les lignes à ses collaborateurs, de là vient que certains articles n’ont pas eu le développement qu’ils comportaient : nous savons que c’était un regret de P. Tannery. » (Tannery 1912-1950, vol. VI, p. 589).
50 Dans la lettre où il sollicitait cette collaboration, P. Tannery commençait par préciser : « J’ai accepté de rédiger les chapitres consacrés à l’histoire des Sciences dans l’Histoire générale de MM. Lavisse et Rambaud, publiée par A. Colin. À l’origine, je n’avais compté faire ce travail que jusqu’à la fin du dix-huitième siècle ; mais M. Rambaud a tellement insisté auprès de moi pour que je continue jusqu’à la fin, malgré mon incompétence pour les temps modernes, que je n’ai pu refuser. » (Id., vol. XIV, p. 210). P. Duhem ne donna pas suite à l’offre de P. Tannery qui s’assura la collaboration, ainsi que l’indiquent des notes de l’Histoire générale, de « M. Lucien Poincaré pour les Sciences physiques et chimiques et de M. Houssay pour les Sciences biologiques ».
51 Chapitres figurant dans les tomes III à XII, sauf dans le tome VIII.
52 Vœu qui fut réalisé, lorsque ces chapitres furent réédités dans le tome XVII des Mémoires, p. 123-434 ; mais non, et on peut le regretter, sous forme de « petit volume » aisément accessible.
53 Id., vol. X, p. 475.
54 Id., p. 163-182.
55 Id., vol. XII, p. 358.
56 Dans la demande d’adhésion au congrès (id., vol. X, p. 11).
57 Il est un peu délicat de démêler le détail de cette succession, et même G. Sarton a commis quelque légère confusion à son sujet. Aussi paraît-il utile de rapporter ici, d’après un compte rendu de F. Mentré, un rappel donné par P. Tannery, des circonstances dans lesquelles fut organisée une section spéciale, au sein du congrès de philosophie en 1900 : « Au Congrès d’histoire comparée de 1900, il y eut une section d’histoire des sciences présidée par M. P. Tannery ; les communications en furent très goûtées et fournirent la matière d’un recueil important (1 vol. de 400 pages). Il était désormais prouvé que le public savant pouvait s’intéresser à des recherches de ce genre, pourvu qu’elles ne revêtissent pas un caractère trop technique. La même année (1900), si féconde en congrès internationaux, le Congrès de philosophie comprit une section de Logique et d’histoire des sciences : les communications sur l’histoire des sciences, quoiqu’en petit nombre, furent très remarquables et très suivies par les philosophes. À la fin du congrès, M. P. Tannery demanda la division de cette section en deux, de façon à laisser à l’histoire des sciences son autonomie et son domaine propre. Au Congrès des Sciences historiques tenu à Rome en 1903, l’Histoire des sciences fut représentée par la huitième section. Enfin au IIe Congrès de philosophie l’Histoire des sciences eut sa section distincte de celle de la Philosophie des sciences. C’était donc le IIIe Congrès international d’ histoire des sciences qui s’ouvrait à Genève le 5 septembre dernier. » (Id., vol. XII, p. 407-408.)
58 Point 19 du programme du congrès de 1900 (id., vol. X, p. 13).
59 Outre l’analyse des séances que comporte « le volume de la collection qui sous le titre Annales Internationales d’Histoire, offre un tableau des travaux accomplis dans ce Congrès », le tome XII des Mémoires scientifiques donne les « comptes rendus de M. André Lalande dans la Revue philosophique 1900, signalant les interventions de Paul Tannery ».
60 La notice donnée à son sujet dans l’édition de la Correspondance de P. Tannery, nous livre, dans sa dernière phrase, une information notable : « Daniel Berthelot (1865-1925), fils du chimiste Marcelin Berthelot, assistant près la chaire de Physique au Museum puis professeur au Museum et ensuite de la Faculté de Pharmacie : membre de l’Académie de Médecine et de l’Académie des Sciences. Il fit, de 1892 à 1901, un cours d’histoire des Sciences à l’Enseignement primaire supérieur de la Ville de Paris. » (Id., vol. XIII, p. 152).
61 Dans la lettre du 23 janvier 1900 dans laquelle il remerciait P. Tannery de lui avoir adressé « le programme du futur Congrès de l’Histoire des sciences », Daniel Berthelot le soulignait déjà : « Cette étude, malgré le jour qu’elle jette sur le développement de l’esprit humain, est trop délaissée aujourd’hui, car elle exige des connaissances historiques et des connaissances scientifiques dont la réunion est bien rare, par suite du divorce trop grand, dans l’éducation moderne, entre la culture littéraire et philosophique et la culture scientifique. » (Id., p. 152-153).
62 Id., vol. XII, p. 375-376.
63 Faut-il rappeler que P. Tannery fut lui aussi formé dans cette École ?
64 Id., vol. XII, p. 377.
65 Id., p. 367-368 et p. 377-378.
66 Id., vol. XV, p. 462-464.
67 Id., p. 465.
68 Id., vol. X, p. 103-112.
69 « C’est comme président de la commission (constituée par la 5e Section) et en même temps comme ayant été président de la section d’histoire des sciences du Congrès de Paris, 1900, que j’ai demandé à faire cette communication à la section correspondante du Congrès de Rome, 1903. » (Id., p. 104.)
70 Id., p. 108.
71 Id., p. 109.
72 Ibid.
73 Le texte cité plus bas est précédé par ce préambule : « La Section VIII du Congrès des sciences historiques de Rome 1903 (section d’histoire des sciences mathématiques, physiques, naturelles et médicales) a émis le vœu suivant, conforme à un texte proposé par M. Blanchard (présenté de la part de la Société d’histoire de la médecine de Paris) et à la suite de rapports faits par M. Paul Tannery sur les vœux du Congrès international d’histoire comparée de Paris, 1900, et par MM. Gino Loria et Giacosa sur l’enseignement universitaire de l’histoire des diverses sciences […]. »
74 Id., vol. X, p. 113-114 (extrait de la Revue de Synthèse historique, t. VII, 1903, p. 100-101, donné sous le titre suivant : « Un vœu relatif à l’enseignement de l’histoire des sciences »). « L’accord s’est fait sur un texte français, rédigé par M. Blanchard, Président de la Société d’histoire de la médecine de Paris (fondée en 1902) et amendé d’accord avec lui. Dans une séance postérieure, les membres italiens ont fait adopter deux paragraphes spécialement applicables à leur pays. » (Id., p. 120-121).
75 « L’histoire des sciences au Congrès de Rome 1903 », in id., p. 115-123.
76 Quels sont ceux des congressistes qui les soulèvent ? Il est difficile de le dire. Les Actes (Atti del Congresso internazionale di Scienze storiche, Roma, 1904, vol. XII) mentionnent que, sur la proposition de S. Günther, se forme une sous-commission, et énumère les noms d’intervenants surtout italiens au cours des débats de la Section : mais ils sont muets sur la teneur des arguments échangés.
77 Id., p. 119-120.
78 Id., p. 120.
79 Id., p. 114.
80 Henri Berr venait de la fonder : il en « présente le but » précisément dans la séance du congrès de 1900 où fut émis le « vœu » cité plus haut et ajoute « qu’une place importante sera faite à l’histoire des sciences ». P. Tannery y donna très vite de ces « revues générales » souhaitées par H. Berr (id., vol. X, p. 15-101.) « Je n’ai trouvé, pour m’aider à réaliser cette partie de mon programme, personne de plus convaincu et de plus compétent que P. Tannery. » (Témoignage d’Henri Berr relaté par Delorme 1954, p. 297).
81 Id., p. 119.
82 Id., p. 114.
83 Id., XII, p. 386.
84 « Je me suis, en dernier lieu, engagé à organiser une section autonome d’histoire des sciences dans le congrès de philosophie qui se tiendra à Genève […]. » P. Tannery à G. Loria, 23 nov. 1903, in id., vol. XV. p. 473.
85 Id., XIV, p. 627, n. 1.
86 P. Tannery au Dr R. Blanchard, 1er nov. 1903, in id., vol. XIII, p. 161.
87 Ce congrès donna lieu à la publication d’un volume : Claparède 1905.
88 Ce vœu occupe la page 961 du volume Claparède 1905 : il est précédé, sous la rubrique « Clôture du congrès », de cette seule indication : « A la séance de clôture du Congrès, qui a succédé immédiatement à la ve séance générale, le vœu suivant a été proposé par la section d’Histoire des Sciences […]. », Tannery 1912- 1950, vol. XII, p. 405-406, et p. 414.
89 Cf. ce que déclare P. Tannery à propos de son ouvrage Pour l’histoire de la science hellène. De Thalès à Empédocle : « Je puis dire avec fierté que, sans avoir eu une éducation philosophique spéciale, je suis parvenu à faire au moins comprendre, par ce Volume, à ceux qui s’occupent de l’histoire de la philosophie, que la méthode antérieure devait être profondément modifiée pour les questions connexes à la fois à l’histoire des Sciences et à celle de la Philosophie. » Id., vol. X, p. 128.
90 Id., vol. XII, p. 405.
91 Émile Boutroux avait traité du « rôle de l’histoire de la philosophie dans l’étude de la philosophie » et déclaré ce rôle « capital ». F. Rauh s’en prit vivement à cette thèse : voici quelques phrases extraites de son intervention : « je crois que la caractéristique de notre temps est de se placer au point de vue du présent ou d’un passé prochain » : « un savant moderne ne se préoccupe guère que de problèmes scientifiques contemporains, de ceux qui se sont posés il y a cinquante ou même trente ou vingt ans » ; « il peut y avoir opportunité à chercher dans le passé un renouveau. C’est une question d’espèce, de moment. Le savant aujourd’hui ignore trop l’histoire de la science. C’est le contraire qui est vrai de certains philosophes. Nous dirions volontiers qu’ils savent trop bien l’histoire de la philosophie », Claparède 1905, p. 65-66.
92 Moritz Cantor écrit à P. Tannery le 30 juin 1903 : « En 1904, il s’agira du troisième congrès international des mathématiciens qui réunira, je l’espère, un grand nombre de vos collègues à Heidelberg » ; « en suivant l’exemple donné à Zurich, puis à Paris, nous ouvrons ici une section d’histoire des mathématiques, et c’est moi en commun avec M. Paul Stäckel (Kiel) qui sommes chargés des préparatifs pour les travaux de cette section », Tannery 1912-1950, vol. XIII, p. 388-389.
93 Id., vol. XII, p. 401. Voici la liste des signataires : « P. Tannery, A. V. Braunmühl, E. Lampé, G. Loria, M. Simon, D.-E. Smith, P. Stäckel, E. Wölffing. »
94 Id., vol. X, p. 163.
95 « […] il est grandement à craindre que la difficulté ne devienne de plus en plus grave, tant qu’un concert de volontés actives ne s’affirmera pas assez énergiquement pour entraîner une transformation radicale de la situation actuelle », id., p. 166.
96 Cette étude a été amorcée dans un exposé donné au colloque « Enseignement de l’histoire des sciences aux scientifiques » tenu à Nantes en octobre 1980.
97 Id., vol. XV, p. 474.
98 P. Tannery à Gaston Milhaud, 8 nov. 1903, in id., vol. XVI, p. 55.
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