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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Introduction1. Trois concepts : post-normalité, heuristique collective, compétence sur la compétence2. Normal et post-normal3. La science post-normale comme instauration de moyens directs4. Oppenheimer et la bombe H5. Les sciences du climat6. Devrions-nous être gênés par l’incapacité des sciences du climat à convaincre ? Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Science, philosophie, société

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Expertise en temps de science post-normale

    Stephen Turner

    p. 81-101

    Résumés

    La plus grande partie de ce que nous savons sur la façon dont la science corrige ses erreurs et engendre le « consensus » nous vient de l’histoire des sciences et d’une réflexion sur les mécanismes institutionnels de la science académique classique. Cependant, la plus grande partie de la science actuelle est « post-normale » ou de mode 2 ou encore post-académique, et ses mécanismes diffèrent de ceux de la science classique, dépassant en particulier les structures disciplinaires. Ces différences peuvent être comprises comme engendrant des heuristiques collectives nouvelles. De plus, ces nouveaux modes soulèvent de nouveaux problèmes de compétence : contrairement au savoir disciplinaire traditionnel, il n’existe pas d’ensemble fixe de praticiens ou d’expertises qui pourrait servir d’étalon pour évaluer les assertions de la nouvelle science. Le gros de nos réflexions sur les mécanismes institutionnels de la science s’est formé durant le développement de la « Big Science », lorsque des tentatives furent faites de reproduire les mécanismes de la science académique, par exemple, dans les sciences militaires. Cette image classique est comparée à la recherche actuelle sur le changement climatique, où plusieurs normes élémentaires de la science ne sont pas suivies, ce qui mène au scepticisme.

    Much of what we know about how science corrects for error and arrives at “consensus” comes from thinking about the history of science and about the institutional mechanisms of classical academic science. Much present science, however, is “Post-normal” or Mode 2 Science, or Pos-academic which differs in these mechanism, especially by circumventing traditional disciplinary structures. These differences can be understood as producing different collective heuristics. Also, these new modes have novel problems over competence: unlike traditional disciplinary knowledge, there is no fixed body of practitioners or practitioner knowledge against which to judge the claims of this new kind of science. Much of the thinking about the institutional mechanisms of science occurred during the rise of Big Science, when attempts were made to reproduce some of the mechanisms of academic science within, for example, weapons science. The classical picture is compared to current climate science, in which some basic norms of science are not preserved, leading to skepticism.

    Note de l’éditeur

    Ce texte est paru en anglais sous le titre « Expertise in Post-Normal Science » dans Turner (2014, p. 277-297). Il a été traduit par Stéphanie Ruphy.

    Texte intégral Bibliographie Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    Introduction

    1Dans un article récent, Evelyn Fox Keller se demande « ce que doivent faire les scientifiques spécialistes du climat » (2011). Elle s’inquiète du scepticisme que les gens manifestent à l’égard des affirmations énoncées par ces scientifiques comme faisant autorité. Elle invoque l’argument standard faisant valoir que le consensus est large, que les opposants agissent pour défendre des intérêts particuliers et sont rémunérés pour cela, que les décideurs et hommes politiques doivent admettre les faits scientifiques et agir en conséquence. Le problème est qu’ils n’agissent pas ainsi. La question à laquelle il convient dès lors de répondre est la suivante : « Que devrait-être la stratégie des scientifiques spécialistes du climat face aux réticences à admettre les résultats de la science ? » Cette problématique est au cœur de celle, plus générale, du rôle de l’expertise dans une société démocratique, et plus précisément dans une société démocratique libérale où le débat public tient une place importante. Mais elle est soulevée selon une perspective très spécifique, à savoir la perspective stratégique du scientifique engagé dans la défense d’un ensemble particulier d’affirmations pertinent pour une politique publique, ou engagé en faveur de la politique publique elle-même.

    2Au cours des dernières années, les scientifiques et les militants agissant selon cette perspective ont souvent exprimé une demande normative : les hommes politiques devraient s’en remettre au consensus scientifique. Les raisons de le faire ont pu varier, mais l’idée principale est que le consensus scientifique correspond à la vérité ou à la meilleure approximation de la vérité disponible et que les hommes politiques et le public ne sont pas en mesure d’évaluer la validité des affirmations qui sont l’objet du consensus et, par conséquent, ne devraient pas le faire. Dans ses formes les plus extrêmes, une telle argumentation conduit à la conclusion que lorsque les hommes politiques rejettent ledit consensus, ils mettent la Terre en péril. C’est alors tout le système de la démocratie libérale leur permettant d’agir ainsi qui doit être aboli ou radicalement réformé, par exemple en créant un nouveau pouvoir permettant de supprimer tout discours contraire au consensus scientifique.

    3L’idée que le public doive s’en remettre à un « consensus », et non que chacun puisse décider ou évaluer lui-même la crédibilité des scientifiques et de la science, s’ancre dans une vision de la science comme collectif, ou régime, qui produit un « consensus ». Cette vision doit alors être justifiée : pourquoi considérer un tel régime comme une source de connaissances fiable et préférable à d’autres ? Que pourrait être cette justification ? Comment pouvons-nous évaluer les régimes scientifiques du point de vue épistémique ? Les sciences du climat méritent-elles d’être traitées avec une telle déférence ? Ou bien présentent-elles des caractéristiques qui justifieraient qu’on leur accorde moins de considération épistémique ? Ces questions sont d’actualité, mais elles sont relativement confuses, hormis celle de savoir si les affirmations, en elles-mêmes, sont justes. Ces mêmes questions dépassent également le cadre des sciences du climat et renvoient à celle, plus générale, des raisons que nous pourrions avoir d’accepter ce que produisent les différents régimes scientifiques.

    1. Trois concepts : post-normalité, heuristique collective, compétence sur la compétence

    4La plupart de nos connaissances sur le fonctionnement de la science en tant qu’entreprise collective organisée proviennent de son histoire. Or, la science actuelle, en particulier celle mobilisée dans l’étude du changement climatique, diffère de façon significative de la science passée. Ce nouveau type de régime scientifique est désormais souvent qualifié de « science post-normale ». La science normale faisait l’objet des écrits de Karl Popper, de Thomas Kuhn et de son mentor James Bryant Conant, de Michael Polanyi et de Robert K. Merton. Mais au moment de l’émergence de la « mégascience », en particulier quand la physique fut employée à des fins militaires, les conditions de la recherche scientifique avaient changé. La grande question abordée lors du Congrès pour la liberté de la culture en 1953 était de savoir comment organiser, ou même seulement comment comprendre, une forme de science pilotée par des subventions gouvernementales sélectives et conduite dans de grands laboratoires nationaux plutôt que dans de petits laboratoires universitaires. L’effort de compréhension d’une forme de science au sein de laquelle les informations et les prises de décision étaient souvent confidentielles avait déjà rendu caduque la notion même de science normale, qui mettait l’accent sur ce que Merton appelait le « communisme », à savoir le libre partage des résultats scientifiques. Le nouveau régime modifia systématiquement certains éléments de l’ancien régime, avec des conséquences potentiellement significatives sur le plan épistémique.

    5La course aux armements constitue un exemple frappant, mais prêtant à confusion, de cette nouvelle forme de science. Le fait que les Anglo-Américains réussirent à construire la bombe, alors que les Allemands échouèrent, fut invoqué pour justifier une approche « démocratique » de la science, distincte de l’approche « autoritaire » allemande. Les Allemands échouèrent parce que leur figure de proue scientifique commit une erreur basique de calcul et s’engagea dans une mauvaise direction. Mais par la suite, dans la course aux armements et à l’espace, il semblerait que ce soient les Soviétiques qui l’emportèrent assez nettement.

    6La distinction entre science normale et science post-normale est sujette à diverses interprétations. On peut néanmoins noter, à grands traits, d’importantes différences entre la science passée (et la science encore conduite selon l’ancien mode) et les types de science qui relèvent du nouveau régime. Des termes comme « technoscience », « science en mode 2 », « science académique », « science post-académique », etc., ont été proposés pour distinguer la science de naguère, ou la façon dont elle était idéalisée, et la science d’aujourd’hui. Les nouvelles formes de science sont « contextuelles, axées sur les problèmes et interdisciplinaires » (Wikipédia, 2012). En revanche, la recherche traditionnelle est disciplinaire, régie par des paradigmes établis et traite de problèmes proposés par les chercheurs eux-mêmes.

    7La relation entre la science normale et la science post-normale n’est pas seulement temporelle : la science post-normale constitue une réforme de la science normale, une tentative de dépasser certaines de ses limites. Ainsi, la spécialisation, caractéristique de la science normale, incitait à résoudre des problèmes « académiques » valorisés par des spécialistes, mais sans implications pratiques, et n’encourageait pas les scientifiques à travailler sur des problèmes interdisciplinaires susceptibles de déboucher sur de plus grands bénéfices, à la fois sur le plan pratique et sur le plan scientifique. Dès le début, la Fondation Rockefeller considéra les frontières disciplinaires comme un obstacle au progrès, en particulier aux avancées contribuant à résoudre des problèmes pratiques, et adapta son mode de financement en conséquence. Les nouvelles formes de science se développèrent ainsi en lien étroit avec l’adoption de certains types de financement.

    8La science normale était un système dont les propriétés étaient connues, en particulier les propriétés épistémiques. Les propriétés de la science post-normale sont différentes. Nombre de ses caractéristiques découlent de la suppression de limites et de contrôles qui faisaient partie intégrante de la science normale. La spécialisation et l’évaluation par les pairs, par exemple, sont maximisées dans la science normale. Dans la science post-normale, on ne sait pas clairement qui est un pair et le but est de produire ou de construire des connaissances, de répondre à des questions, par exemple à des questions de politiques publiques, auxquelles les spécialistes ne peuvent répondre avec leurs méthodes, leurs théories et leurs compétences spécifiques (Ziman, 2000).

    9Il peut être intéressant de réfléchir à ces propriétés en ces termes : de la même façon que les personnes agissent selon des procédés heuristiques qui leur assurent les résultats les plus rapides, moyennant cependant des biais et des points aveugles, les systèmes institutionnels de production de connaissances peuvent également être considérés comme des moyens d’accélérer l’obtention de résultats. J’appelle cela une « heuristique collective » (Turner, 2012). On peut en général décrire les institutions décisionnelles de la façon suivante : tribunaux, législateurs, bureaucraties, grands projets de technoscience et entreprises, voire même systèmes économiques, tous ont besoin de recueillir des informations, de les regrouper, de les traiter, puis de les appliquer à des cas de prise de décision. Et chacun le fait d’une manière spécifique, avec des résultats différents.

    10Une large part de la première vague de littérature « sociale » sur la science, produite par des écrivains comme Michael Polanyi (1964 [1946] ; 1951 ; 1958) et James Bryant Conant (1947 ; 1952), traitait des propriétés épistémiques de la science en tant qu’activité collective, c’est-à-dire de ce que j’appelle son heuristique collective. La Structure des révolutions scientifiques de Kuhn (1996 [1962]) constitua le point d’orgue de cette littérature, exposant la façon dont la science, en tant que communauté ou groupe de communautés, révise ses points de vue. La description que ces auteurs offraient de ce que j’appelle la science normale (au sens de la science avant l’ère de la bombe atomique plutôt qu’au sens kuhnien de science normale par contraste avec science révolutionnaire) formait elle-même un système, avec ses propres caractéristiques, ses biais épistémiques et ses lacunes.

    11La science normale était un ensemble de pratiques, d’arrangements, de divisions du travail, de spécificités disciplinaires, qui incluait un système de revues, des modalités d’évaluation variable au cours du temps et selon les disciplines, ainsi que divers moyens pour les scientifiques de gagner de l’argent et une réputation. Dans ce qui suit, il sera utile d’aborder, en premier lieu, les caractéristiques générales peu controversées de ce système, de les comparer à celles, mal comprises, du système actuel, puis de se concentrer sur les spécificités institutionnelles de la science, avant de se pencher sur la question du type d’heuristique collective généré par ces systèmes. Certaines tensions qui affectaient l’ancien système se sont révélées avec le cas de J. Robert Oppenheimer et de la bombe H. Les tensions du nouveau système se manifestent dans la controverse sur les causes anthropiques du changement climatique.

    12Avec ces considérations à l’esprit, nous pouvons en revenir à l’énigme soulevée par Evelyn Fox Keller et nous demander quelle question peut être légitimement soulevée à propos des sciences du climat en tant qu’institution et, par extension, à propos d’autres formes de science post-académique. Cela requiert, cependant, un concept supplémentaire en plus de la distinction normale – post-normale et de l’idée d’heuristique collective. Il s’agit de ce que l’on appelle dans les systèmes juridiques continentaux, en anglais « competence competence », en allemand « Kompetenz-Kompetenz » et en français « compétence sur la compétence ». Dans le cas des tribunaux, cela renvoie à la faculté de décider quelles questions peuvent y être décidées. La Cour suprême des États-Unis possède cette compétence. Les juridictions inférieures l’ont également, mais en étant soumises à la compétence supérieure de la Cour suprême qui peut la restreindre tant dans des cas particuliers que par une règle générale. Les cours constitutionnelles en Europe ne possèdent généralement pas cette compétence : elles ne peuvent se prononcer que sur des cas qui leur sont attribués comme relevant spécifiquement de leur autorité. Toutefois, elles peuvent parfois déclarer, – et c’est ce qu’a fait récemment un tribunal allemand –, qu’elles possèdent la compétence pour déclarer que leurs conclusions l’emportent sur celles d’une cour européenne.

    13La science rencontre un problème similaire, mais qui n’a pas de solution formelle. Il existe un système de filtrage par le contrôle des pairs et la publication dans des journaux, auquel s’ajoutent la réplication et le test des conclusions par leur application dans des domaines scientifiques connexes. Comme nous le verrons, ce système fonctionnait d’une certaine façon dans la science normale : il était régi par ce que Merton appelait l’éthos de la science (1973a) ainsi que par d’autres considérations équilibrant l’acceptation et le refus d’idées. Aujourd’hui, les scientifiques sont sollicités ou s’engagent eux-mêmes dans la recherche de conclusions ou de réponses à des questions essentiellement techniques, mais qui ne relèvent pas de la « science » au sens étroit du terme. Et pour ces recherches, il n’existe pas de système de contrôle similaire. Dans de nombreux domaines de la technoscience, les standards en vigueur sont des standards pragmatiques en termes de succès technique : les médicaments ou les machines doivent fonctionner. Mais les mêmes contraintes ne s’appliquent pas à la plupart des travaux réalisés par les scientifiques au nom de la science en dehors de ses frontières traditionnelles. Pire, il y a des communautés « scientifiques » orientées vers des problèmes pratiques et politiques non générés par le développement normal de la connaissance, et des branches entières de la science ayant une fonction de réglementation, qui opèrent dans cette zone hybride.

    14Le problème de la compétence sur la compétence est particulièrement aigu dans ces domaines. La formation des scientifiques concernés est généralement technique et spécialisée. Ils sont supposés utiliser ces connaissances ciblées pour prendre des décisions ou donner des conseils sur des questions incontestablement liées à cette base étroite, mais qui la dépassent largement. Les questions impliquent, en règle générale, des modes d’interactions que l’on pourrait attendre dans un environnement ouvert qui diffère d’un environnement fermé de laboratoire. Mais les processus à l’œuvre dans un environnement ouvert, leurs interactions, ne se réduisent pas aux connaissances délivrables par une spécialité scientifique. Par définition, on attend des scientifiques sollicités qu’ils aillent au-delà de leurs compétences. Se pose alors généralement, dans ce cas de figure, la question de savoir s’ils sont aptes à décider de leur domaine de compétence. Et ce n’est pas une question qui peut être résolue dans le cadre de leur compétence, mais une méta-question qui va au-delà d’une compétence technique particulière.

    15Les scientifiques ont pris assez brutalement conscience de ce méta-problème de compétence, et de la façon même d’en discuter, après Hiroshima. Auraient-ils dû agir différemment ? Leur incombait-il de contrôler les applications de leur travail, et étaient-ils responsables de ce que les hommes politiques en avaient fait ? Était-ce un problème collectif ou une question de conscience personnelle ? Était-ce une question d’éthos de la science, de ce qui était bon pour elle, ou était-ce l’affaire du scientifique en tant que citoyen, soumis à des devoirs politiques ? Mais plus importante encore est la question de savoir si les scientifiques savaient ce qu’il fallait faire, en tant que scientifiques, compte tenu de leurs connaissances spécialisées.

    16Une leçon de cet épisode, mais une leçon obscurcie par la politique, et qui n’a pu être tirée que longtemps après et partiellement, est la suivante : les physiciens nucléaires n’étaient pas des experts en matière de relations internationales, de sécurité, de stratégie, etc., ils n’étaient pas non plus de bons juges de leurs homologues soviétiques. Ils s’imaginaient à tort qu’ils pouvaint leur parler librement de « scientifique à scientifique » dans les échanges internationaux, alors que ceux-ci étaient instrumentalisés par un kgb très subtil. En cela, ils firent preuve d’un orgueil démesuré.

    17Mais cet orgueil émanait d’un très réel problème de compétences : ces scientifiques possédaient effectivement des compétences techniques sur un certain aspect des questions complexes de stratégie nucléaire et de paix dans le monde. Pour autant, cela ne voulait pas dire qu’ils avaient l’aptitude d’apprécier les limites ou la pertinence de leur compétence.

    18Ce problème est très présent dans les processus de prises de décision scientifique. D’innombrables exemples peuvent être cités : je reviendrai sur l’un d’entre eux ultérieurement, mais on peut en mentionner quelques-uns ici. Bernard Lovell, père de la radioastronomie et lauréat du Prix Nobel, a lutté contre le financement de la recherche sur l’ADN dans les années 1950, après sa découverte, au motif que son importance était surestimée et que la découverte ne présentait guère d’intérêt pratique. Était-ce seulement une attitude cynique et égoïste ? Pas du tout. Comme nous le verrons, l’incapacité de Bernard Lovell à appréhender une autre problématique est caractéristique des scientifiques spécialisés de l’ère de la science normale. Cette incapacité courante – manque de véritable compétence sur la compétence – a eu des conséquences problématiques sur l’ensemble de la « mégascience » devenue science post-normale.

    2. Normal et post-normal

    19Comme le terme « mégascience » le suggère, il n’existe pas de ligne de démarcation nette entre science normale et science post-normale : les deux sont des idéalisations ou idéaux-types présentant de nombreuses formes intermédiaires ou transitionnelles. Une partie de la science actuelle relève encore du régime de « science normale » et des efforts ont été déployés pour recréer ce régime pour quelques chercheurs privilégiés, par exemple, à la Hughes Medical Foundation. Néanmoins, le système de subventions et les exigences posées par les bailleurs de fonds de la science conduisent inévitablement celle-ci à aller où se trouve l’argent, et les exigences politiques conduisent l’argent à aller vers des recherches possédant une rentabilité pratique prévisible ou une certaine portée politique.

    20Selon l’idéal de la science normale, rarement pleinement réalisé, les scientifiques compétents devaient pouvoir bénéficier de financements leur donnant la liberté de poursuivre les recherches qu’ils estimaient constituer la meilleure façon de dépenser leur temps et leur énergie. Les structures compétitives de la science elle-même leur imposaient déjà des contraintes : compétition pour être reconnus dans son domaine, nécessité d’être les premiers à réaliser des découvertes, et compétition pour occuper des fonctions élevées – chaires ou postes de direction d’instituts par exemple, leur permettant de financer des programmes de recherche, d’embaucher de jeunes chercheurs et ainsi d’orienter la recherche dans des directions qu’ils jugeaient porteuses de découvertes. Les résultats devaient alors être validés par la « communauté scientifique », c’est-à-dire par des spécialistes qui étaient des pairs compétents et qui reproduiraient et utiliseraient ces résultats, ainsi que par des scientifiques travaillant dans des domaines connexes, qui appliqueraient ou emploieraient ces résultats dans leur propre travail, les testant ainsi indirectement.

    21Ce système fonctionnait dans une large mesure par des « moyens indirects », un autre concept utile découlant de la théorie politique libérale. Les cas étaient rares où la direction ou la prise de décision revenaient ouvertement à des instances collectives représentant la science. Des systèmes de subvention furent instaurés par des groupes, comme la Fondation Rockefeller, dans les années 1920 et 1930, mais il s’agissait avant tout de « subventions générales » et non de subventions allouées à des projets, ce qui permettait à l’institution scientifique, plutôt qu’à la fondation, de décider des directions de recherche. Quand elles furent instaurées, ces subventions vinrent compléter les structures et moyens mis à disposition par l’université.

    22En marge de leurs activités universitaires, les scientifiques gagnaient de l’argent en intervenant comme consultants dans l’industrie ou encore en montant leur propre laboratoire alimenté par des fonds privés, où ils développaient des travaux en lien avec les recherches qu’ils menaient dans leur laboratoire académique. De telles activités, qui pouvaient revêtir des formes étonnamment modernes, étaient courantes en chimie depuis que Justus von Leibig avait ouvert la voie avec le développement commercial d’engrais. Ce type de travail n’était cependant pas considéré comme une fin en soi. On choisissait la science académique par vocation et il arrivait qu’on la quitte pour l’industrie. Les structures étaient distinctes et la réputation était l’unique facteur déterminant de la réussite universitaire. L’université bénéficiait indirectement des liens tissés avec l’industrie, sans en être tributaire et sans institutionnaliser ces accords. Ceux-ci étaient laissés à l’appréciation du scientifique, qui avait la liberté de combiner à son gré ses intérêts financiers et les exigences de la compétition pour assoir sa réputation scientifique.

    23Sans surprise, certains choisissaient l’un au détriment de l’autre, notamment en devenant des chimistes du secteur industriel à plein-temps ou bien en travaillant dans des domaines sans fin commerciale, mais garantissant une bonne réputation, tandis que d’autres optaient pour les deux. Les conflits étaient réels, mais ils n’affectaient pas la validité scientifique des résultats. Dans le domaine pratique, il était attendu que les recherches conduisent à des choses qui fonctionnent effectivement. Et ce n’était pas les chimistes qui en étaient juges, mais le marché. Des problématiques similaires se posaient dans d’autres domaines, comme la géologie, avec le même type de conflits, gérés de la même manière. Mais il fallut attendre la rupture que représenta le projet Manhattan pour que la situation change complètement, ouvrant la voie à l’action et à la direction collectives, ainsi qu’aux moyens directs1.

    24Ce qui est frappant dans la politique scientifique américaine de l’immédiat après-guerre est à quel point les propositions de financement de la science tentèrent d’articuler et de préserver les conditions de la science normale, tout en prenant acte des nouvelles circonstances. Ces dernières conduisirent à des changements significatifs : la mégascience était jugée nécessaire pour la sécurité nationale ; la science en général était considérée comme jouant un rôle primordial dans l’économie nationale et l’État était tenu d’en être la source majeure de financement. La proposition initiale d’une « fondation » gouvernementale, faite par Vannevar Bush, reflétait le souhait de préserver les caractéristiques de la science académique, tout en lui attribuant des fonds. David Kellogg résume ainsi cette proposition :

    La fondation proposée par Bush repose sur cinq principes : (1) un soutien à long terme de la recherche ; (2) une institution administrative composée uniquement de personnes sélectionnées pour leurs « intérêts » et leurs « capacités » ; (3) une structure de subventions attribuées directement aux chercheurs en dehors du gouvernement ; (4) choix en matière de « politique, personnel, méthode et portée de la recherche » laissé entièrement aux bénéficiaires des subventions ; et (5) responsabilité de la fondation (et non des bénéficiaires) vis-à-vis du Président et du Congrès (Bush, 1945 ; cité dans Kellogg, 2006, p. 8).

    25Les caractéristiques de la science académique étaient préservées, en instaurant des barrières la protégeant de toute interférence ou contrôle politique : il s’agissait de sauvegarder ce que Michael Polanyi appelait l’autonomie de la science (1941-43).

    26L’autonomie de la science, sous diverses appellations, était une préoccupation majeure des scientifiques dans les années 1930, en réaction à sa politisation manifeste dans l’Allemagne nazie et à l’affaire Lyssenko. Cette thématique, ainsi que la question plus large de ce que l’on appela les « relations sociales de la science », qui englobait le problème de l’impact de la science sur la société et de la sous-utilisation de la science par l’industrie, ont conduit à toute une série de prises de position, de débats et de manifestes, qui constituèrent la source de nombre d’idées-clés du champ des études sur les sciences. Une de ces idées-clés était l’existence d’un « éthos » spécifique de la science qui la distinguait d’autres formes sociales et justifiait à la fois sa revendication d’autonomie et sa revendication d’autorité intellectuelle. Robert Merton résuma cet éthos par quatre normes ou « impératifs institutionnels » qu’il appela universalisme, communisme, désintéressement et scepticisme organisé (1973b, p. 270). L’« universalisme » signifie qu’il n’existe pas de vérités réservées à un groupe, comme le serait une science nazie ou socialiste, mais également que la science est ouverte aux talents. Le « communisme » signifie que la connaissance scientifique est partagée. Le « désintéressement » signifie que les scientifiques sont à la recherche de la vérité, sans tenir compte de ceux à qui elle profite, ni de l’option ou de l’action politique qu’elle favorise. Le « scepticisme organisé » renvoie lui à l’idée que les scientifiques testent les affirmations d’autres scientifiques et les admettent seulement après un processus d’examen critique.

    27Ainsi, l’« éthos » constitue un guide des normes d’un type de régime épistémique collectif. Si nous voulons savoir comment un régime épistémique génère des résultats, nous pouvons examiner comment ce régime est censé fonctionner et pourquoi il génère des biais qui lui sont propres. Comment la science académique recueille-t-elle des informations, comment les regroupe-t-elle, les traite-t-elle, et comment les applique-t-elle à des situations appelant des prises de décision ? La collecte d’informations – la production de résultats, d’expériences, d’observations, etc. – n’est pas dirigée par une autorité centrale, mais est plutôt le résultat indirect de la compétition entre scientifiques pour assoir leur réputation. Les scientifiques ont leurs intuitions, leurs idées favorites et autres préférences, qui motivent leur programme personnel de recherche. Ces idées sont en conflit avec celles de chercheurs rivaux, ce qui les incitent à tester et à corriger les idées des autres. Il est difficile de faire admettre ses propres idées, en particulier si elles ne sont pas en accord ou ne confirment pas les croyances scientifiques établies.

    28Des penseurs tels que Conant et Polanyi ont mis l’accent sur les difficultés auxquelles les idées et conclusions nouvelles sont confrontées. Ils se sont intéressés aux idées nées prématurément, en avance sur leur temps, c’est-à-dire à un moment où la communauté scientifique n’était pas préparée cognitivement pour pouvoir les admettre ou les comprendre. Les raisons en sont diverses, liées à certains traits de la science, mais le résultat fut le suivant : la science se caractérisait par une sorte de pensée unique et faisait preuve de conservatisme. Un ensemble d’idées fondamentales, une fois établi, était difficile à changer, et la simple existence de faits non conformes, que Kuhn appelait anomalies, ne suffisait pas à modifier significativement des croyances largement répandues, notamment des croyances théoriques qui n’étaient pas directement liées à l’observation et à la pratique expérimentale.

    29Néanmoins, la compétition pour la réputation se nourrissait de découvertes ; l’originalité était donc également valorisée dans ce système. Cette compétition orientait alors la phase de recueil d’informations dans une direction particulière, à savoir celle favorisant les biais de confirmation. Ce qui conduisait à une dynamique de l’heuristique collective bien particulière, dans laquelle un travail original pouvant être testé rigoureusement, mais dans une large mesure conforme à la théorie existante, était très valorisé et recherché. La nouveauté théorique était également valorisée, mais il était plus difficile de faire admettre des idées théoriques nouvelles.

    30Comment un système de connaissance se constituait-il dans ce régime anarchique ? Polanyi proposa une image qui intégrait à la fois la valorisation de l’originalité et les biais de confirmation. La science était conçue comme un grand puzzle auquel un individu pouvait contribuer en ajoutant une pièce au bon endroit, aboutissant ainsi à un résultat cohérent de plus grande ampleur. Les connaissances requises étaient spécialisées : personne n’avait besoin de comprendre le puzzle dans son ensemble. Chacun devait connaître sa propre pièce et la placer au bon endroit. Le fait que la pièce trouve sa place dans le puzzle constituait une sorte de confirmation : cela montrait qu’elle était cohérente avec les autres pièces produites par des spécialistes d’autres domaines.

    31La difficulté soulevée par ce système anarchique, qui n’a jamais pu être résolue par les défenseurs de l’autonomie de la science, était la suivante : des décisions devaient être prises en matière d’allocation de fonds, de choix de directions de recherche à soutenir, etc. Dans un régime de science aux coûts élevés, il n’est pas possible que toutes ces décisions soient prises uniquement en tenant compte du mérite, laissant donc le chercheur libre de choisir, ainsi que cela était le cas dans la science purement académique, financée en interne par des universités ou des instituts.

    32Dans la science académique véritable, préservée du système de subventions, il n’y avait ni nécessité ni possibilité de « consensus » au sens où le terme a ensuite été utilisé. Les scientifiques admettaient ou n’admettaient pas des résultats ou des idées théoriques nouvelles. On s’efforçait de produire des choses cohérentes et les débats et les conférences servaient à résoudre les conflits entre les théories. Des prix étaient attribués quand de nouvelles idées étaient admises, mais il faut souligner que les prix Nobel étaient habituellement décernés à des travaux réalisés des décennies plus tôt : l’acceptation était rarement instantanée. Dans certains cas, les académies des sciences intervenaient pour essayer de résoudre des désaccords majeurs. Mais il n’existait guère de procédés permettant d’évaluer un consensus. Même les manuels, qui pour Kant représentent pourtant le « paradigme », n’échappent pas totalement aux disputes. Les scientifiques ont l’habitude de chicaner sur les formulations retenues par ces manuels, quand ils ne les rejettent pas purement et simplement.

    33Kuhn lui-même a reconnu que c’est avec le temps que des révolutions se sont imposées et que ce fut souvent une question de générations. Dans certains cas, une idée a pu mettre plusieurs générations pour l’emporter : le concept de gène a eu une histoire tortueuse, marquée par un lent processus d’acceptation, des réactions sceptiques, des épreuves de force entre rivaux et la possibilité, sans faire référence à cette idée centrale, de mener une carrière dans le domaine de la sélection des végétaux et de la génétique des populations. D’ailleurs, une enquête récente demandant aux scientifiques leur point de vue sur les définitions du gène révèle qu’un grand nombre d’entre eux ne sont pas d’accord avec les définitions figurant dans les manuels, que des domaines différents définissent le terme différemment, et qu’il existe des désaccords résiduels au sein de chacun des domaines. C’est ce qui a rendu l’affaire Lyssenko possible : le « consensus » était faible et vague. Des actions pratiques en matière de sélection des plantes pouvaient être menées sans un tel consensus, et le furent de fait.

    34La conception de la science que propose Polanyi comme source de contributions individuelles visant à résoudre un grand puzzle est intéressante à titre de comparaison. C’est une vision d’heuristique collective, mais elle ne suppose pas de notion générale de consensus. Les spécialistes dans le domaine en question ou dans des domaines connexes pour lesquels un résultat a des répercussions représentent le seul public qui doit admettre ou refuser le résultat. Le seul consensus pertinent porte sur l’intégrabilité de la pièce au puzzle. Et même ce consensus revient en réalité au fait que suffisamment de scientifiques acceptent de traiter le résultat comme une solution. Il est important de noter que les scientifiques continuent en considérant que la pièce est la bonne et en ajoutent d’autres. Le problème de la compétence sur la compétence se pose à peine. On ne demande jamais à des scientifiques d’émettre des appréciations en dehors de leur domaine spécifique de connaissances ou sur des problèmes qui en sont proches.

    3. La science post-normale comme instauration de moyens directs

    35Le modèle de Polanyi est une manière de saisir le processus d’agrégation des contributions scientifiques en une unité cognitive plus grande. La création de paradigmes telle que conçue par Kuhn offre un modèle de traitement de l’information assurant la transformation de cette unité en un noyau pouvant être transmis et enseigné. Dans la science académique, ceci était réalisé sans direction centrale, selon un fonctionnement similaire à celui du marché. Le fait qu’un manuel représente, ou non, son domaine découlait du fait qu’il soit utilisé, ou non, par de nombreux scientifiques quand ils enseignaient. Les questions d’application étaient également des questions de marché. Les scientifiques gagnaient de l’argent en étant consultants ou en travaillant pour des laboratoires industriels. Le bon fonctionnement du produit faisait office de test.

    36Avec la mégascience et les projets d’armement désormais au cœur de la physique d’après-guerre, un nouveau modèle émergea. Des décisions concernant l’affectation d’importantes ressources durent être prises. Le mérite des chercheurs individuels ne pouvait plus être un critère suffisant : les problèmes allaient au-delà des spécialisations de chacun, impliquaient des collaborateurs et des questions relevant de diverses spécialités, et nécessitaient des appréciations dépassant les compétences individuelles des scientifiques. Le mérite personnel n’était pas suffisant : des jugements sur le contenu de la science, son succès et la probabilité qu’elle délivre les résultats souhaités devinrent un élément important des processus de décision. Ce changement fondamental était difficile à assimiler ou à évaluer par les partisans de l’autonomie.

    37Les scientifiques, comme en témoigna la proposition de Bush, essayèrent de préserver autant que possible l’éthos de la science académique face à cette nouvelle situation. La décentralisation, le contrôle par des spécialistes et la place centrale accordée au mérite scientifique furent préservés dans cette proposition et même, nous le verrons, dans certains domaines relevant de la science appliquée, comme celui de la recherche sur les systèmes d’armes. Cependant, la pression pour produire des résultats et l’importance accrue du système de subventions conduisirent finalement à l’utilisation de davantage de moyens directs. Les raisons de ces changements étaient liées à la lenteur et au manque d’applicabilité systématique de la « science normale ».

    38Les changements ne sont pas faciles à récapituler, ni à comprendre, mais l’idée principale est la suivante : les processus anciennement régis par des moyens indirects, c’est-à-dire lorsque les chercheurs étaient libres de leur choix, motivés par la compétition pour la réputation, se sont retrouvés régis par des moyens directs, comme par exemple des mesures incitatives visant à développer certains domaines de recherche. Chaque remplacement d’un moyen indirect par un moyen direct impliquait également la suppression d’un garde-fou. Le libre choix des problèmes est un garde-fou, certes imparfait, contre les biais de confirmation en science soulignés par Kuhn, et contre la tendance à la pensée de groupe soulignée par Conant. Rendre l’attribution de moyens dépendante du fait que ces moyens permettent d’augmenter la connaissance, mais d’une façon qui confirme la science passée, écarte tout un spectre de projets de recherche possibles, en particulier ceux qui sont les plus susceptibles de générer des perspectives alternatives et des anomalies. L’usage par les scientifiques de critères fondés uniquement sur le mérite, plutôt que des considérations sur les projets ou les idées scientifiques, représente un autre garde-fou contre les préjugés cognitifs de l’agent ou du comité qui attribue les subventions. Cela peut sembler être une différence peu importante, mais diminuer l’influence sur sa décision des préférences et des préjugés d’un comité d’attribution de subventions en faveur de certaines idées et de certains résultats constitue un correctif au biais de confirmation certes limité mais significatif. La suppression de ces correctifs « aide » à surmonter les « problèmes » de l’anarchie et du libre choix, mais a un coût cognitif collectif. Cette suppression crée un nouveau biais dans l’heuristique collective. Supprimer l’un après l’autre ces correctifs, par exemple en dirigeant des fonds vers des thèmes particuliers définis en fonction d’idées spécifiques, augmente ce coût. Et à chaque étape de l’action directe surgissent des problèmes cognitifs liés à la compétence sur la compétence, à savoir : les décideurs sont-ils compétents pour prendre les décisions qu’ils prennent ou pour définir les limites de leurs compétences ?

    39Bernard Lovell est allé au-delà de ses compétences en attaquant la recherche sur l’ADN. Toutefois, ce type de dépassement est endémique à la prise de décision scientifique. Son jugement était non seulement intéressé mais aussi mal informé : il n’était pas au courant des nouveaux résultats à la pointe de la recherche, comme l’aurait été un spécialiste, pas plus qu’il n’avait (mais peut-être personne ne l’avait) la capacité de prédire des résultats futurs. Néanmoins, ces décisions déterminent quel type de recherche sera mené. Et il existe des raisons de prendre des décisions directes. Les critiques de Polanyi défendaient ce point en faisant remarquer, à propos de son refus de « planifier » la science, que le système de décision était lui-même une sorte de planification (Bernal, 1979 [1965] ; Max Born cité dans McGucken, 1984, p. 290-291). Pour montrer aux bailleurs de fonds de la science que leur argent était dépensé judicieusement, il était utile de promettre des résultats mais également de garantir qu’ils seraient obtenus.

    40Cependant, quand on examine les processus de décision, l’illusion de la certitude technique disparaît. Même quand il s’agit simplement d’apprécier des projets scientifiques plutôt que le mérite scientifique de chercheurs individuels, on rencontre des problèmes de compétence sur la compétence. Quand on juge de la fécondité d’un projet, il s’agit d’un jugement prospectif, d’une supposition sur l’avenir. Même si les personnes formulant ces jugements sont les plus compétentes, cela ne veut pas dire qu’elles sont réellement compétentes pour le faire. Les données disponibles portant sur la justesse des avis d’experts indiquent le plus souvent que la prédiction de l’avenir est une affaire hasardeuse, même pour les experts, et que ces derniers surestiment leurs capacités de faire des prédictions correctes (Tetlock, 2006). Un système de régimes concurrents, plutôt qu’une seule autorité directe, évite le risque de faire un mauvais choix, mais au prix d’en faire éventuellement plusieurs. Ce fut le cas pour les projets interdisciplinaires de la Fondation Rockefeller : des idées prometteuses n’ont mené nulle part malgré les grandes sommes investies.

    4. Oppenheimer et la bombe H

    41La compétence sur la compétence devient un problème plus important quand il n’y a pas de compétition, c’est-à-dire quand un choix unique est fait ou doit être fait par le biais d’un processus direct qui n’implique ni marché, ni concurrence, ni alternative. La question est : « Qui est compétent pour prendre de telles décisions et ces personnes sont-elles compétentes pour évaluer leurs propres compétences ? ». Un tel problème fut au cœur de la mise à l’écart d’Oppenheimer et de la décision de construire la bombe H, une idée défendue par Edward Teller. L’histoire est complexe, entre autres parce qu’elle implique toutes les phases mentionnées ci-dessus : collecte, regroupement, traitement et application d’informations, auxquelles s’ajoutent des questions importantes liées à l’emploi de moyens directs, à l’articulation de ces moyens avec des moyens indirects et à des problèmes de compétence sur la compétence.

    42Robert Oppenheimer était le père de la bombe A, physicien vénéré, responsable scientifique de premier plan et sans conteste la personne dont l’avis faisait le plus autorité sur les questions d’armement. Dans la période qui a suivi l’usage de la bombe, il s’est intéressé aux aspects politiques et administratifs de la recherche atomique. Ses écrits sont étroitement liés au mouvement en faveur de l’autonomie de la science. Il défendait la spécificité de la science, la distinction entre la science et la technologie et la nécessité pour la science atomique de se développer dans un contexte académique ouvert. Il a également soutenu des propositions en faveur de l’internationalisation du contrôle de l’énergie nucléaire et a représenté la communauté scientifique auprès des décideurs.

    43La chute d’Oppenheimer fut un événement capital dans les relations de plus en plus fortes entre la science et l’État. En 1953, il fut accusé d’être « selon toute probabilité un agent de l’Union soviétique » par William Liscum Borden, le directeur exécutif de la Commission conjointe du Congrès sur l’énergie atomique, qui venait de démissionner. Son habilitation de sécurité lui fut retirée. Pour tenter de rétablir sa réputation, il fit appel devant le Conseil de sécurité du personnel de la Commission sur l’énergie atomique. Le conseil entendit et examina les allégations selon lesquelles Oppenheimer avait entravé le développement de la bombe H. Les preuves étaient cependant insuffisantes et confuses et, au final, il fut réhabilité. À bien des égards, Oppenheimer semble simplement avoir fait ce que les scientifiques font généralement : s’opposer aux approches nouvelles et faire preuve d’un scepticisme informé. Ce qui, en réalité, lui porta fatalement préjudice est le fait qu’il ait reconnu avoir menti lors d’entrevues sur la sécurité. Son intégrité fut alors remise en question.

    44« L’intégrité » n’était pas une préoccupation particulièrement importante en régime de science normale. La fraude était rare et, comme l’a souligné Conant, même les personnalités excentriques devaient se conformer au contrôle social qui s’exerçait sur les expérimentateurs : les expérimentations devaient être des actes publics et soumis à examen. Mais dans le nouveau régime, l’intégrité devenait un enjeu. On demandait aux scientifiques non seulement d’accepter ou de refuser de nouvelles idées en tant qu’individus, mais également d’exercer une autorité directe sur le développement et l’investissement dans des idées. Dans ce contexte, le scepticisme et la résistance, plutôt que d’être méritoires et faire partie des mécanismes indirects de test des idées scientifiques, pouvaient affaiblir le rôle de contrepoids à la pensée unique ou aux idées reçues qu’assurait la compétition et ainsi compromettre l’efficacité des procédures de test.

    45Edward Teller, le père de la bombe H, était un exemple classique de ce que Conant avait à l’esprit lorsqu’il évoquait le cas de scientifiques en proie à des « marottes ». Teller était obsédé par l’idée d’énergie thermonucléaire depuis 1940 et avait peaufiné ses idées durant tout le projet Manhattan. Celles-ci se sont en fin de compte avérées juste et sont au cœur de l’épisode historique.

    46Oppenheimer et Teller étaient tous les deux pleinement conscients des difficultés qu’il y avait à conserver les avantages épistémiques de l’ancien régime dans les conditions bureaucratiques du nouveau régime. Oppenheimer excellait à la fois dans les discussions scientifiques et dans les débats menés au sein de comités – il était convaincant, vif, autoritaire et respecté. Teller mit l’accent sur la nécessité de la compétition et défendit le projet d’un second laboratoire, de préférence situé au sein d’une université, mais relevant du système des laboratoires nationaux, de sorte que les deux laboratoires puissent entrer en compétition et ainsi limiter le risque que la recherche dans un domaine soit gérée par les idées admises et la bureaucratie d’un seul laboratoire. Comme il l’expliquait :

    Parce que la confidentialité limitait le nombre de scientifiques autorisés à faire part de leurs avis et de leurs critiques, et parce que ceux qui supervisaient le programme au niveau politique n’étaient pas toujours bien informés des différentes possibilités, il semblait d’une importance capitale de mettre sur pied un second laboratoire de recherche militaire, qui serait un concurrent plus jeune de Los Alamos. Étant moins bien établi, un second laboratoire serait davantage susceptible de faire preuve d’innovation… il établirait un équilibre et Los Alamos serait stimulé par cette concurrence (Teller, 2001, p. 333).

    47La discussion scientifique des résultats et des propositions de chaque laboratoire était fondamentale. Si la discussion portait sur les résultats expérimentaux plutôt que sur les résultats attendus de projets, le risque que des pistes prometteuses soient abandonnées par des décisions émanant de comités (décisions qui dépassaient par leur nature même les compétences scientifiques réelles de leurs membres) pouvait être atténué.

    48L’élément qui sous-tendait l’accusation contre Oppenheimer était le suivant : il était clair que bon nombre de scientifiques s’opposaient au développement de la bombe H pour des raisons morales ou politiques. La question était de savoir si les scrupules moraux de ces scientifiques les avaient amenés à émettre des objections techniques, entravant ainsi le développement de la bombe, objections qui étaient politiquement motivées et techniquement incorrectes. Comme on pouvait s’y attendre, la séparation des questions techniques et morales constituait un pare-feu important. Les processus de décision dépendaient de la capacité des décideurs à se fier aux avis techniques, et de l’impartialité ou, selon le langage de Merton, du caractère « désintéressé » de ces avis. Cependant, bien que les critiques et les avis fussent publics, il n’était pas possible de connaître les motivations de leurs auteurs. Il était certes possible d’identifier des intérêts personnels, mais les motivations politiques étaient plus difficiles à saisir.

    49Parce que le processus de fabrication de la bombe remplaçait à toutes étapes les moyens indirects par des moyens directs, ces questions se posaient à chaque étape : la collecte des informations était conditionnée par la décision de fabriquer et tester des bombes et d’investir les ressources nécessaires à la réalisation des calculs (qui prenaient une année) et des simulations effectuées avec les ordinateurs rudimentaires de l’époque. Le traitement des informations était assuré par la présentation et la discussion de documents techniques et d’hypothèses. Les décisions relatives au développement de l’arme résultaient de l’agrégation de connaissances scientifiques et techniques. Les décideurs devaient évaluer les avis techniques donnés par de nombreuses personnes. La décision de produire effectivement la bombe résultait de discussions similaires, qui ne se contentaient pas d’inclure des considérations politiques et militaires mais accordaient à celles-ci une place centrale. Dans chaque cas, un moyen direct (le fruit en général de la décision d’un comité) remplaçait le processus libre d’acceptation ou de rejet d’idées au fil du temps, caractéristique de la science. L’urgence le justifiait, tout comme le but à atteindre. La construction de bombes n’est pas une réalisation naturelle de la science disciplinaire.

    50Le cas de la bombe H nous apprend quelque chose d’important en matière de crédibilité. L’idée même qu’un scientifique puisse ne pas distinguer les points de vue techniques et moraux fut suffisante pour disqualifier son avis. Par conséquent, Oppenheimer fit ce qu’il put pour récuser ces accusations d’attitude biaisée et finit par approuver la bombe qualifiée alors de « techniquement belle ». Les reproches, les doutes, qui l’ont renversé portaient sur le processus de décision lui-même et étaient difficiles à dissiper. Parce qu’il était une figure influente, Oppenheimer fut tenu responsable des effets de ses propos.

    51À bien des égards, il s’agissait d’un modèle de processus de décision ouvert : les deux parties ont pu s’exprimer. Le processus lui-même dépassa largement la personne d’Oppenheimer et impliqua des défenseurs actifs de la bombe. Aucun des participants à ces débats n’était « compétent » pour prendre les décisions nécessaires, du moins dans les premières phases du processus. Oppenheimer, comme Teller l’a souligné, n’était pas un ingénieur et les questions techniques allaient en réalité au-delà de ses compétences. Il aurait mieux valu pour lui qu’il le reconnaisse et qu’il n’intervienne pas dans le processus. Mais la question générale de la faisabilité technique du projet n’était maîtrisée par personne : comme tous les projets complexes, ce projet nécessitait la combinaison de connaissances issues de diverses spécialités techniques.

    5. Les sciences du climat

    52Quelle leçon plus générale peut-on tirer de cet exemple ? Dans le cas de la bombe H, nous sommes confrontés au problème de l’heuristique collective d’un régime dans lequel un grand nombre de garde-fous a été supprimé, où des décisions directes d’attribution de moyens remplacent les processus indirects de décision par les scientifiques, soulevant des questions de compétence sur la compétence. Cependant, cette évolution a maintenu suffisamment de protections, en particulier la mise en compétition de laboratoires et les débats ouverts entre scientifiques, pour que les propriétés fondamentales de l’heuristique collective caractéristique de la physique (qui s’expriment dans les publications, expérimentations et discussions) soient préservées et contrôlent les processus de décision des comités. C’était un système qui intégrait des mécanismes correcteurs, sous la forme d’essais d’armes, mais également sous la forme de discussions publiques de physique, de mathématique, et d’autres sujets. Le processus permettait à des tiers (dans ce cas, des représentants politiques) de participer aux décisions, de prendre partie et de formuler des jugements rétrospectifs fondés sur l’expérience. Le système impliquait bien entendu des intérêts personnels, que les comités devaient contrebalancer. Le caractère ouvert des débats constituait le moyen central de filtrer les biais émanant d’intérêts personnels – en particulier les « marottes » qu’avaient les scientifiques attachés à l’usage de leurs connaissances spécialisées. Ces pratiques et garanties institutionnelles contribuèrent à créer un équilibre entre les différents types de biais.

    53Cependant, l’élimination des garde-fous lors de l’instauration de moyens directs peut facilement induire des changements plus préoccupants dans l’heuristique collective. Un système de subventions fondé sur un consensus erroné quant aux perspectives d’évolution de la science, qui exclut par exemple des alternatives, a tendance à produire des résultats conformes au consensus. Sans contrôle sérieux de cet effet, un biais de confirmation non corrigé s’inscrit au cœur de l’heuristique collective. L’existence d’un tel biais en phase de « science normale » a été abondamment discutée par Kuhn. Un système de subventions accroît ce biais et, par conséquent, la nécessité de le corriger.

    54Que donne une comparaison entre sciences du climat et sciences de la bombe H si l’on s’intéresse aux propriétés qui façonnent l’heuristique collective ? Les différences sont importantes. Examinons les types de considérations épistémiques intervenant dans la conception normative que Teller proposait de l’organisation de la science nucléaire. Teller était soucieux d’un équilibre entre acceptation et résistance aux idées nouvelles : il pensait qu’Oppenheimer avait trop résisté à ses nouvelles idées et le problème de l’institutionnalisation de la compétition le préoccupait. Oppenheimer, pour sa part, encourageait la critique rigoureuse et la discussion publique des idées et soutenait également l’existence de voies alternatives. La réflexion et la pratique de ces personnages reflétaient cette nécessité d’un équilibre et contribuèrent à la mise en place d’institutions de substitution qui imiteraient le régime de science normale sous les conditions d’urgence de la guerre, puis de la course aux armements. Oppenheimer était aux prises à la fois avec des partisans de la bombe H qui n’étaient pas des scientifiques et avec la difficulté de faire une distinction claire entre considérations morales et considérations techniques. Il fallait que les gens acceptent l’idée que pour des raisons d’honneur, il s’interdise de faire des objections techniques motivées par des considérations morales. Si ce ne fut pas le cas, c’est parce qu’Oppenheimer avait avoué avoir stupidement menti à des responsables de la sécurité, ce qui avait compromis son intégrité personnelle dont dépendait la possibilité d’accepter que ses jugements soient tenus pour impartiaux.

    55Dès les tout débuts de l’histoire des sciences du climat, les relations entre science et politique ont été complètement différentes. En 1977, la Conférence mondiale sur le climat fut organisée à Genève pour faire le point sur l’état des connaissances en matière de changement et de variabilité du climat et pour discuter de la possibilité que l’homme ait joué un rôle dans ces évolutions. Le but implicite de la Conférence était de produire des connaissances utiles à la prise de décisions politiques. La déclaration finale alla plus loin : elle appela non seulement à un plan ambitieux de financement des recherches, mais également à la mise en place d’une politique de prévention. En 1985, une conférence qui se tînt à Villach, en Autriche, aboutit à la déclaration qu’il existait désormais un consensus scientifique, qu’il fallait davantage de recherche, y compris sur les conséquences sociales et économiques du changement climatique, et il fut demandé aux décideurs politiques de prendre en considération les politiques d’atténuation. En bref, il s’agissait dès le départ d’une science orientée par la politique, visant l’obtention d’un consensus et d’un certain ensemble de mesures politiques.

    56L’écart entre l’attitude d’Oppenheimer, qui séparait aspects techniques et aspects moraux, et l’empressement des scientifiques spécialistes du climat à faire des recommandations est immédiatement visible. Mais cet écart peut être justifié à la lumière d’affirmations de militants scientifiques, comme James Hansen, selon qui le changement climatique allait condamner l’humanité et qu’il ne pouvait donc y avoir de problèmes plus importants à résoudre. Si tel était le cas, il s’ensuivait qu’établir et promouvoir un consensus scientifique à l’appui des politiques nécessaires n’étaient pas seulement urgent, mais d’une urgence telle que les types de considérations qui régissaient autrefois la pratique scientifique pouvaient être outrepassés.

    57Parvenir à établir un consensus était un objectif à atteindre sans délai. On ne pouvait attendre que la communauté scientifique l’atteigne. Cela signifiait qu’une définition stricte des scientifiques spécialistes du climat, correspondant au consensus, était nécessaire, afin de pouvoir exclure les outsiders et les critiques. Cela signifiait également que le « consensus » devait être créé par des moyens directs : c’était l’objectif du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC). Si l’on compare le GIEC aux agences de l’énergie atomique, les différences sont marquées. Ces dernières toléraient et encourageaient la discussion et la critique vigoureuse, voire la compétition. Elles pouvaient se permettre d’agir ainsi parce que les idées étaient à la fin testées. Dans les sciences du climat, il y a moins de compétition interne et une moindre diversité d’opinions : cela n’irait pas dans le sens de l’idée d’une science parvenue à un consensus. Le domaine est pourtant passablement confus et les tests ne sont pas sans ambiguïté.

    58Les résultats devaient néanmoins être présentés à la fois comme étant de la science réelle et comme étant le produit d’un procédé qui copiait la science réelle. Il était nécessaire d’affirmer l’existence d’une sorte de processus correcteur efficace en cas d’erreur. En physique atomique, les scientifiques avaient recours pour cela à la critique et à la discussion, ce qui a pu ralentir les prises de décisions satisfaisantes. Le GIEC élabora un processus formel comprenant l’examen technique de ses résultats par des spécialistes « indépendants » et aménagea un espace de critiques ouvertes nécessitant une réponse. Toutefois, les évaluations réellement menées permirent aux voix dominantes de la recherche qui soutenaient le GIEC de contrôler le processus d’évaluation. La nécessité d’élaborer un consensus prenait le pas sur de possibles conflits d’intérêts et sur un manque possible d’indépendance du processus d’évaluation. En fait, les anomalies de procédure étaient caractéristiques du GIEC et des sciences du climat en général.

    59La question de savoir s’il s’agit réellement d’anomalies peut être en partie abordée en évaluant les sciences du climat à l’aune de l’éthos de Merton. Le « communisme » implique le partage ouvert de la connaissance scientifique. La norme communiste fait référence au partage entre chercheurs de l’information scientifique, dans l’intérêt de l’entreprise scientifique. Selon la formule éloquente de Merton, « les droits de propriété en science sont réduits au strict minimum en vertu des principes de l’éthique scientifique » (1973a, p. 272). Les résultats de la science sont dans le domaine public et la pratique des scientifiques doit donc affirmer le caractère public des connaissances. Comme l’écrit Merton : « La confidentialité est l’antithèse de cette norme » (1973a, p. 273) ; les scientifiques ne doivent pas stocker pour eux les données qu’ils obtiennent ou les conclusions qu’ils tirent, mais doivent partager librement leurs résultats, leurs méthodes et leurs données (1973a, p. 273).

    60Un des problèmes récurrents en sciences du climat, et qui fut au centre du climategate, est le refus répété des scientifiques de ce domaine de fournir les informations pouvant alimenter la critique et leur revendication de droits de propriété. Comme Phil Jones l’a dit :

    Nous avons investi quelque 25 années dans ce travail. Pourquoi devrais-je mettre ces données à votre disposition, sachant que votre but est d’y trouver quelque chose de faux ? (cité dans Montford, 2011, p. 232).

    61Michael Mann invoqua les droits de propriété :

    Mon programme informatique est une propriété intellectuelle privée, comme le reconnaissent la National Science Foundation et ses avocats. Que le gouvernement ne puisse pas prendre possession d’une propriété privée « sans [un] usage public » et « sans une compensation juste » est un principe fondamental de la loi américaine. (cité dans Montford, 2011, p. 222-223).

    62Sous la pression d’une commission d’enquête, il affirma ensuite que le programme était sur son site ftp. Quand le programme fut accessible, il s’avéra que Mann n’avait pas livré un compte-rendu fidèle de son travail et avait privilégié certains résultats (Montford, 2011, p. 224-226).

    63L’autre version de cette histoire est racontée par Oreskes et Conway dans Merchants of Doubt (2010), qui font valoir que les demandes de données et d’informations étaient tout simplement des formes de harcèlement. Porter une telle accusation équivaut à contester les motifs des critiques, ce qui est au cœur de l’ouvrage rédigé par Oreskes et Conway. La démarche est similaire à celle entreprise contre Oppenheimer. Les deux allèguent un abus de procédure. La norme mertonienne invoquée dans ce cas est la norme de désintéressement. Oreskes et Conway affirment ou laissent entendre que les scientifiques et les critiques – les marchands de doute du titre – sont motivés par des intérêts financiers ou par une idéologie néolibérale. À aucun moment, ils ne réfléchissent au fait que le système de subventions lui-même incite à l’acceptation et au silence, et guère à exprimer un désaccord. Les intérêts partiaux font partie intégrante d’un système qui récompense le contenu plutôt que le mérite : c’était ce problème qui préoccupait Polanyi.

    64En sciences du climat, la norme mertonienne la plus problématique est celle du scepticisme organisé. Comme nous l’avons vu, l’examen des procédures du GIEC et les processus de critique par les pairs sont des moyens mis en œuvre pour soumettre les sciences du climat à cette norme du scepticisme organisé. Mais être sceptique à l’égard du projet général de confirmation du changement climatique anthropique n’est pas admissible et le terme « sceptique » peut ici faire sourire. La notion de scepticisme organisé pose également problème. L’examen par les pairs en est venu à jouer un rôle beaucoup plus antagonique et problématique dans les sciences du climat. Les problèmes dans les processus d’évaluation, l’usage de comités pour promouvoir certains programmes, etc. sont chroniques. Les procédures ont été au départ conçues comme des moyens indirects pour faciliter la discussion : l’examen par les pairs permettait de déterminer si un certain sujet méritait d’être discuté, et non de déterminer ce qui était vrai ou, comme le dit un journaliste du Wall Street Journal, établi « au-delà de tout doute possible ».

    65Instaurer des processus de décision par des groupes et des comités d’experts, alors que les objets de la décision sont de nature telle qu’ils relèvent de la libre adoption d’idées et de résultats par des scientifiques convaincus, constitue un changement radical. Un des membres du groupe d’experts de l’Académie nationale des sciences américaine en charge d’évaluer le graphique en « crosse de hockey » de Michael Mann devenu iconique, décrivit le processus dans les termes suivants :

    Nous n’avons réalisé aucune recherche sur ce sujet, nous avons simplement consulté les articles qui étaient disponibles et essayé de tirer des conclusions. Nous étions ainsi douze personnes réunies autour d’une table pour consulter les documents, toutes avec des expériences et des compétences très différentes… c’est ainsi que cela se passe en réalité dans ce genre de comité d’experts (cité dans Montford, 2011, p. 262-263).

    66Appeler « science » à la fois les résultats de ce type de processus d’expertise et ce qui est validé par le scepticisme organisé est plus que problématique : cela revient à accepter un régime épistémique radicalement différent.

    6. Devrions-nous être gênés par l’incapacité des sciences du climat à convaincre ?

    67Imaginons que la décision de développer la bombe H ait été (comme cela aurait pu tout à fait être le cas dans des circonstances légèrement différentes) une décision prise publiquement, avec Oppenheimer et Teller représentant deux points de vue idéologiques différents, s’associant à des partis et des mouvements sociaux différents, et s’exprimant haut et fort en faveur de leur cause sans abandonner leurs habits de scientifiques. Peut-être se seraient-ils justifiés en disant que le destin de l’humanité était en jeu, ce qui n’était pas loin de la vérité. Cela aurait « politisé » la décision.

    68Il s’en fallut de peu que ce soit le cas, même au sein du monde secret de la science académique, mais Teller et Oppenheimer firent tout pour l’éviter. Teller soutînt jusqu’à la fin qu’il ne croyait pas que les obstructions de Oppenheimer, dont il avait fort bien conscience, fussent politiquement motivées. Si les scientifiques spécialistes de l’énergie atomique s’étaient comportés de cette façon imaginaire, nous aurions été, à juste titre, sceptiques sur ce que l’on nous racontait au nom de la science. Transposons à présent ces considérations à la conduite de James Hansen et d’autres scientifiques spécialistes du climat. Les alliances avec des mouvements politiques sont publiquement affirmées. Des préférences pour certaines solutions politiques (hors du domaine d’expertise de ces scientifiques et non nécessairement liées à leurs affirmations sur le climat) sont exprimées librement et sous des formes radicales. Des personnalités publiques endossent des positions sur le débat scientifique et son degré de consensus en faisant également fi de la séparation entre idéologie et science. Les préférences idéologiques sont visibles et extrêmes. Les exigences imposées impressionnantes. Et comme l’a montré le climategate, l’évaluation par les pairs peut connaître de sérieux dysfonctionnements, et la discussion ouverte sur de nombreuses anomalies de l’explication standard peut être entravée par une attitude très partisane et non désintéressée. Devrions-nous être sceptiques ?

    69Merton a compris un point essentiel en ce qui concerne l’autorité de la science : celle-ci découle, en partie, des contraintes et des normes de désintéressement que les scientifiques s’imposent. L’adhésion à ces normes est, en soi, une solution au problème de la compétence sur la compétence. Les règles sont des moyens pour la science de définir ses propres limites et donc ses compétences. Le scepticisme organisé est un des limiteurs : on ne peut pas considérer comme science établie ce qui n’a pas été soumis à un scepticisme organisé au sein du système institutionnel scientifique. Le désintéressement signifie que l’on ne peut pas prendre parti pour un camp politique au nom de la science : on doit s’en tenir à ce qui a été établi scientifiquement.

    70Teller était irrité par les processus qui se substituaient au scepticisme organisé dans le monde de la recherche sur les armes, mais jamais par la nécessité de devoir répondre à des sceptiques. Il demandait seulement que ses idées bénéficient d’une écoute équitable. Dans les sciences du climat, il en est allé très différemment. Attaquer les critiques, et même les éditeurs autorisant la publication d’articles critiques, stigmatiser les scientifiques qui soulèvent des objections, refuser de fournir des informations pertinentes, sont des agissements que l’on peut observer dans les sciences du climat. Si l’on considère la question de l’adhésion à la norme de la critique par les pairs, indépendamment de la question de la validité des affirmations des spécialistes en sciences du climat, il semble clair, au moins, que la confirmation par le climategate de nombre de suspicions formulées à ce sujet par des critiques suffise à remettre en question l’autorité des scientifiques concernés.

    71En un sens important, la question de l’adhésion à ces normes n’est pas pertinente sur le plan épistémique : la vérité est la vérité, qu’elle soit ou non générée conformément à l’éthos de la science, surtout si cet éthos est aujourd’hui largement une chose du passé. Dans un autre sens, cette question demeure cependant pertinente. Les sciences du climat constituent un test pour la science post-normale. Nous disposons aujourd’hui de connaissances approfondies, certes acquises de façon non systématique, au sujet de la science normale en tant qu’heuristique collective. Nous en savons bien peu sur la science post-normale. Les données ne sont simplement pas disponibles. Le temps nous dira s’il est possible d’obtenir ce que Ziman appelait de la connaissance fiable en contournant les limites imposées par l’éthos et en remplaçant le processus lent de l’acceptation scientifique par l’attribution de moyens directs et par l’octroi des prises de décision à des comités. Et le temps révèlera les biais de cette nouvelle heuristique collective.

    Bibliographie

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    Notes de bas de page

    1 L’emploi de moyens directs peut être d’une grande efficacité, comme cela a été le cas sous des régimes socialistes pendant la guerre. Orienter les financements vers des sujets particuliers peut également permettre de surmonter les biais à l’œuvre dans le système anarchique. Les démarches interdisciplinaires en fournissent des exemples. La compétition pour la réputation est disciplinaire. Elle motive les personnes à mener des recherches « purement académiques » qui impressionnent les pairs, mais qui n’ont pas d’application ou d’intérêt au-delà d’une communauté restreinte de spécialistes. La Fondation Rockefeller dans les années 1920, et après elle de nombreuses agences de moyens, ont combattu cette tendance en allouant des fonds en priorité aux travaux interdisciplinaires ou à des initiatives qui orientaient les scientifiques spécialistes de certains sujets vers de nouveaux domaines. Les activités du « groupe des bactériophages » et l’importation de la physique dans la chimie biologique comptent parmi les grands succès de ces démarches. Dans certains cas, des projets collectifs, dont les heuristiques cognitives et par conséquent dont les biais cognitifs sont différents, constituent une mesure corrective du système disciplinaire.

    Auteur

    Stephen Turner

    Professeur de philosophie éminent à l’Université de la Floride du sud. Ses publications incluent Liberal Democracy 3.0 : Civil Society in an Age of Experts (Sage publications) et plusieurs anthologies d’essais, dont Understanding the Tacit (Routledge) et The Politics of Expertise (Routledge).

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    Turner, Stephen. « Expertise en temps de science post-normale ». Science, philosophie, société, édité par Alexandre Guay et Stéphanie Ruphy, Presses universitaires de Franche-Comté, 2017, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.13607.

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    Guay, A., & Ruphy, S. (éds.). (2017). Science, philosophie, société (1‑). Presses universitaires de Franche-Comté. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.13517
    Guay, Alexandre, et Stéphanie Ruphy, éd. Science, philosophie, société. Besançon: Presses universitaires de Franche-Comté, 2017. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.13517.
    Guay, Alexandre, et Stéphanie Ruphy, éditeurs. Science, philosophie, société. Presses universitaires de Franche-Comté, 2017, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.13517.
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