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    Plan détaillé Texte intégral Jean Reverzy Les types de médecins La pratique de la médecine La confrontation avec la mort Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Littérature et médecine

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Médecins et malades dans Le Passage et dans Place des Angoisses de Jean Reverzy

    Philippe Baron

    p. 269-278

    Texte intégral Jean Reverzy Les types de médecins La pratique de la médecine La confrontation avec la mort Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Les deux principaux romans de Jean Reverzy, Le Passage et Place des Angoisses, se rapportent à la médecine. Ils contiennent d'intéressantes figures de médecins et de malades que nous allons essayer d'étudier. Nous donnerons auparavant quelques renseignements sur Jean Reverzy car, même s'il a encore ses fervents, son nom n'est plus entouré de la notoriété qui a été, un moment, la sienne.

    Jean Reverzy

    2La vie et la personnalité de Jean Reverzy commencent à être assez bien connues. Le pionnier des recherches sur Reverzy a été le docteur Yves Buin qui a soutenu sur lui en 1968 une thèse intitulée Jean Reverzy, écrivain et médecin lyonnais1. La publication de ses Oeuvres complètes2 en 1977 et d'un recueil autobiographique, Le Mal du soir3, préfacé par son fils, le docteur Jean-François Reverzy, en 1986 ont permis d'avoir de lui une image plus exacte. Une exposition et un colloque qui ont eu lieu à son sujet à Lyon en 1994 l'ont évoqué d'une façon vivante4. Il faut cependant rester prudent lorsqu'on l'étudie et se garder de tout jugement trop hâtif.

    3Jean Reverzy naît en 1914 à La Valbonne dans l'Ain. Son père, capitaine d'infanterie, est tué à la guerre en 1915. Sa mère se fixe à Lyon où il fait ses études. Il passe le baccalauréat en 1931. Il voudrait entrer à l'Ecole Navale mais, après une année de Mathématiques Spéciales, il n'est pas autorisé, pour raisons de santé, à se présenter au concours. Il s'oriente alors vers la médecine. Il est reçu à l'externat des hôpitaux de Lyon en 1936 ; il se présente à l'internat en 1938 et est nommé interne provisoire. En 1939 il est réformé et soutient sa thèse de doctorat. Il sympathise à cette époque avec l'Action française. Il effectue des remplacements et entre dans la Résistance en 1941. Il se marie en 1942. Cette union se termine au bout de quelques mois par un divorce qui entraîne de nombreuses complications juridiques. En janvier 1943 il s'installe à Lyon, 58 avenue Lacassagne, comme médecin de quartier. En juillet de la même année, il est arrêté par la Gestapo puis libéré. Il va ensuite dans l'Ailier où il est médecin du maquis. En 1944 il prend part à plusieurs combats. Il change d'orientation politique pendant la guerre et il se sent à la Libération proche du parti communiste. Il recommence à exercer sa profession en août 1945, toujours avenue Lacassagne. Il fait divers voyages et il séjourne notamment avec sa seconde épouse, Marie-Françoise, à Tahiti en 1952 et 1953. Jean Reverzy a depuis sa jeunesse le goût de l'écriture. Il publie à partir de 1953 des articles dans des revues, puis en 1954 Le Passage qui lui vaut le prix Théophraste Renaudot et en 1956 Place des Angoisses et en 1958 Le Corridor. Il meurt en 1959, victime, semble-t-il, d'un infarctus du myocarde.

    4Sans écrire des œuvres tout à fait autobiographiques Jean Reverzy puise dans sa vie la matière de ses romans. Les médecins qui évoquent leurs souvenirs dans Le Passage et dans Place des Angoisses ont le même rapport avec lui que le narrateur de A la recherche du Temps perdu avec Marcel Proust : ils sont des projections de lui-même sans être lui-même. Ils n'ont en particulier aucune vie sentimentale alors que celle de Reverzy a été plus mouvementée. La ville brumeuse décrite par Reverzy est Lyon. La place des Angoisses est la place Belle-cour. Les hôpitaux des deux romans ressemblent à divers hôpitaux de Lyon et en particulier à l'hôpital de l'Antiquaille. L'identité du professeur Joberton de Belleville est difficile à déterminer. Peut-être a-t-il quelques traits des professeurs qui ont siégé au jury de thèse de Reverzy, les docteurs Martin, Sedaillan et Froment5. Il faut cependant être très prudent et ne pas leur attribuer trop vite certains ridicules du professeur Joberton de Belleville. Jean Reverzy a sans doute composé son personnage d’après plusieurs modèles et il a brouillé les pistes. Il a mené la même vie que les médecins de ses romans. Il a été comme eux irrité par le conservatisme de certains médecins de Lyon et il s'est senti du côté du peuple plus que de celui de la bourgeoisie. Il partage leur incroyance qui n'exclut pas un certain sens religieux. Il a peut-être aussi, même s'il s'inspire de quelqu'un qu'il a connu, quelques traits communs avec Palabaud, le malade du Passage. Il a été comme lui élève du collège des Chartreux de Lyon et il lui prête son amour de la mer. Il a, semble-t-il, éprouvé des malaises semblables aux siens.

    5Jean Reverzy a une vision assez triste de l'existence. La mort le hante depuis longtemps. Cette obsession s'explique sans doute par la disparition de son père dont il a cruellement ressenti l'absence. Elle a été renforcée par sa longue fréquentation des hôpitaux. Jean Reverzy ressent un malaise existentiel devant le monde, semblable à celui d'Ionesco ou de Sartre, et, à mesure qu'il avance en âge, il ne croit presque plus à la politique ni à la science. Il ne faudrait cependant pas le figurer dans une image trop sombre. Son fils, Jean-François Reverzy proteste dans un article de 1994 contre une opinion assez répandue selon laquelle il se serait mis à publier des romans parce qu'il se serait senti guetté par la mort. Il semble même affirmer que son décès était imprévisible. Il voit plutôt en lui un homme souffrant qui lutte avec désespoir. “Sa vision du monde, écrit-il, si sombre qu’elle puisse apparaître, n'était pas exempte d'une foi profonde dans l'homme, en la possibilité de le délivrer par la pratique de ses deux métiers, la médecine et l'écriture : espoir attesté également par ses engagements politiques”6. Jean Reverzy doit donc être abordé avec beaucoup de discernement et la discussion reste ouverte à son sujet.

    Les types de médecins

    6Dans ces deux romans, Jean Reverzy décrit deux types de médecins qui sont placés aux deux extrémités de la hiérarchie médicale, le "grand médecin", professeur de faculté et le médecin de quartier, son ancien élève.

    7Jean Reverzy compose un portrait satirique du "grand médecin". Il jouit d’un très grand prestige ; il a la réputation de formuler des diagnostics infaillibles et il passe pour un oracle. Il n'est cependant d'après lui qu'un survivant de temps anciens. "Il est né, écrit-il, à l'époque où la médecine encore informe, imprégnée de sorcellerie et de merveilleux, semblait appartenir à quelques hommes étonnamment doués, marqués par un génie mystérieux, qui furent les grands médecins de leur temps"7. Il n'est pas le magicien que l’on voit en lui et la réalité, très prosaïque, dément souvent la légende. La charge de grand médecin s'obtient souvent plus par l'hérédité que par le mérite. Le professeur Joberton de Belleville a dans Place des Angoisses succédé à son père et il a choisi la même spécialité que lui, la pathologie interne. Il a obtenu son internat grâce à un subterfuge et son fils Henri, bien qu’il ait échoué plusieurs fois au baccalauréat semble prêt à marcher sur ses traces. Le grand médecin a la manie de publier. Il a la plume trop prolixe bien que ses ouvrages, comme le Traité de pathologie interne du professeur Joberton de Belle-ville, puissent faire autorité. Il n'est malgré tout pas un grand savant et les réticences de Joberton de Belleville devant les sulfamides et les antibiotiques font sourire. Le grand médecin malgré ses faiblesses a une certaine utilité : "il symbolisera encore longtemps le côté divinatoire de son art, écrit Jean Reverzy ; cette croyance est peut-être nécessaire au prestige de la médecine".

    8Le grand médecin est un notable lyonnais pénétré de son importance. Il habite dans un bel immeuble place des Angoisses. Elle est ainsi nommée dans le roman parce qu'elle est chargée des angoisses de tous les malades accourus chercher un diagnostic de vie ou de mort. Les appartements des grands médecins sont de "froids sanctuaires encombrés d'un mobilier somptueux et baroque, de commodes obèses, de bahuts creusés de carquois, de trumeaux, de torchères qui, dans le jour rare, ont des airs de bric-à-brac d'antiquaires ou de musée"8. Le grand médecin appartient en effet à la bourgeoisie catholique. La Place des Angoisses est "protégée par un système de couvents hermétiques, de chapelles et d'oratoires". Le professeur Joberton de Belleville a des accointances avec l'archevêché et une préférence pour les malades recommandés par l'Eglise. Un chanoine donne des leçons particulières à son fils. Il semble que pendant la guerre le professeur Joberton de Belleville ait eu des sympathies pour le gouvernement de Vichy.

    9Le médecin de quartier a une vie beaucoup plus modeste que celle du grand médecin. Il compare avec mélancolie la placette sur laquelle il s'installe à la Place des Angoisses. "La placette, écrit Jean Reverzy, en paraissait une miniature grotesque, image de ma déchéance et de ma solitude"9. Son appartement consiste en trois pièces délabrées aux allures de sépulcre. Il va tantôt dans des quartiers assez coquets, tantôt et plus souvent dans des quartiers misérables qu'il compare à un "enfer fumeux"10. "J'étais, dit-il, un petit docteur, attaché à une banlieue triste"11. Il est le médecin des pauvres. Ses débuts sont difficiles puis il réussit petit à petit à se constituer une clientèle de fonctionnaires et d'ouvriers et ses malades éprouvent de l'affection pour lui.

    10Les relations entre le médecin de quartier et le grand médecin, c'est-à-dire le professeur Joberton de Belleville, sont ambiguës. Le petit médecin rêve de marcher sur les traces du grand médecin à qui il doit sa vocation. Le grand médecin l’invite un soir chez lui parce qu’il lui a traduit un article écrit en anglais mais aucune amitié ne naît de ce moment passé ensemble et le professeur Joberton de Belleville le chasse brutalement de son service en 1940 comme tous ceux qui n’ont pas fait la guerre. Malgré cette dureté, le médecin de quartier s’honore de son amitié dans Le Passage. Tout en se moquant avec férocité dans ce roman de son "conformisme rayonnant" et de son "inintelligence qui touchait à la débilité mentale"12, il reconnaît qu’il connaît bien son métier et qu'il a acquis la sagesse car il sait que la médecine est toujours vaincue par le temps. Après sa mort dans Place des Angoisses, il le revoit comme Lazare ressuscité et il comprend qu’il a laissé ses disciples seuls. "Dix ans après sa mort, écrit-il, il manque toujours à la ville où nul encore ne l'a remplacé"13. Il finit par se dire qu'il était bon, simple et secourable, puisqu'on venait de si loin le consulter. Ce professeur, à la fois raillé et admiré, joue sans doute pour lui le rôle d'un père.

    La pratique de la médecine

    11L'hôpital est dans Le Passage et dans Place des Angoisses un lieu presque fantastique. Il ressemble aux bâtiments peints par Piranèse. Les salles sont parfois éloignées les unes des autres par plusieurs centaines de mètres et communiquent par des couloirs sans fin "véritables labyrinthes, écrit Reverzy entrecoupés de passages aériens ou souterrains"14. Le malade Palavaud qui cherche le professeur Joberton de Belleville se heurte parfois "à des murs énormes au fond des passages sans issue" et il ne lui reste plus qu'à rebrousser chemin. L'hôpital est donc avant tout un lieu où l’on s'égare. La description est aussi à certains moments plus réaliste ; ainsi, à la fin du Passage, Jean Reverzy décrit-il avec exactitude la banale chambre d'hôpital dans laquelle meurt Palabaud ; l'essentiel est alors son agonie.

    12Les malades parcourent à l’hôpital un itinéraire lugubre. Ils arrivent déjà quelque peu hébétés et ils échangent ensuite leurs vêtements contre une chemise en gros drap rêche qui est l'uniforme de leur état. Ils suivent la religieuse qui les accueille avec des airs de Christ montant au Calvaire. Ils s'enfouissent ensuite sous des draps qui sont des linceuls et ils ressemblent vite à des morts. Ce sont maintenant des "êtres, numérotés, immobiles comme le bloc de minerai derrière la vitrine du musée, comme le reptile baignant dans le formol, le papillon transpercé sur le carton"15. Ils ne cherchent pas à comprendre leur maladie qui leur paraît provenir d’une décision du médecin. Ils vivent dans une solitude qu’interrompt seule la visite de leurs proches. Leurs nuits se passent dans des insomnies et des cauchemars.

    13L'essentiel de la vie médicale consiste en ce que Jean Reverzy appelle "le cortège". Le mot évoque la suite d'un personnage de haut rang. Le professeur Joberton de Belleville marche en effet en tête du cortège qui comprend une cinquantaine de personnes. Viennent ensuite les chefs de clinique, les internes, les externes, les soeurs de charité et aussi quelques médecins sur le déclin qui "suivent le service”16 pour revivre leur jeunesse. Le cortège sert en partie à la médecine à s'adorer elle-même. Le cortège existe par lui-même et lorsque la guerre survient, écrit Jean Reverzy, "Le Maître était là, pour nous convaincre de l'immuabilité du monde et de la pérennité du cortège"17. Le cortège avance au rythme de la marche du professeur et des incidents ridicules peuvent se produire. La queue du cortège se sépare de la tête et court pour rattraper son retard. Les cortèges se scindent pour visiter différents services et le cortège de chaque professeur croise d’autres cortèges. Lorsqu’un autre professeur prend la tête du cortège, les malades ne s'aperçoivent de rien tant le rituel est immuable. Le médecin de Place des Angoisses, même s'il se moque du cortège, reconnaît qu'il a été très heureux d'en faire partie et il en éprouve plus tard la nostalgie.

    14Les soins donnés aux malades à l'hôpital et dans le cabinet du médecin de banlieue se ressemblent. A l'hôpital le cortège parcourt les salles communes et s’arrête au pied du lit des malades que l'interne a signalés au professeur. Les arrêts sont la plupart du temps brefs. Les médecins posent toujours les mêmes questions. "En trois heures - écrit le narrateur - j'appris tout du dialogue sommaire de la médecine hospitalière et de la maladie populaire" : "Avez-vous des maux de tête ? Etes-vous écœuré le matin ?... Ressentez-vous des points au cœur ?... Etes-vous essoufflé à la marche ?... Voyez-vous des mouches volantes ?... Le patient n'avait qu'à répondre oui ou non"18. Les médecins discutent parfois longuement au chevet des malades et ne comprennent pas leurs angoisses. Les soins que donne le médecin de banlieue ressemblent à ceux de l’hôpital. Il pose toujours les mêmes questions et, écrit Jean Reverzy, reprend le refrain inoubliable : "Respirez fort ! Ouvrez la bouche ! Ne respirez plus !"19. Il est cependant beaucoup plus proche de ses malades que les médecins de l'hôpital et ils se dépouillent, écrit-il, de leurs hardes à son "ordre fraternel".

    15Le métier de médecin est épuisant, chez Jean Reverzy. "L'histoire d'un médecin, écrit-il, est celle de sa lassitude, son drame, celui de l'épuisement surmonté"20. Le professeur Joberton de Belleville paraît accablé de fatigue lorsqu'il marche en tête du cortège et toujours sur le point de tomber. Cette fatigue semble gagner petit à petit tous ceux qui le suivent. Les cortèges sont, d'après lui, composés de silhouettes fuyantes et exténuées. Le médecin de Place des Angoisses semble lui aussi à bout de forces : "Et je repris ma course", écrit Jean Reverzy, docile et raidi sous le fardeau de ma lassitude, le poignet torturé par le poids de ma sacoche21. Le médecin de Place des Angoisses dit cependant qu'il aime cette fatigue comme une vieille douleur et qu’il la regrettera quand il mourra. Cette étrange fatigue, assez rare dans les romans sur la médecine, est la marque de Reverzy. Elle est, au moins en partie, la projection d’un état d’âme.

    La confrontation avec la mort

    16Dans les romans de Jean Reverzy, les médecins sont souvent confrontés à la mort. Elle est pour eux une expérience essentielle qui s’intègre à leur vie jusqu'à ce qu'ils meurent eux-mêmes. Les guérisons sont à peine signalées.

    17Le médecin du Passage raconte assez longuement la mort de son ami Palabaud. Il s’est fixé à Tahiti, où il tient un petit hôtel, par amour de la mer et lorsqu’il se sait atteint d’une maladie de foie mortelle22, il revient mourir dans sa ville. Sujet à des vomissements douloureux, comme si son être même lui échappait, il maigrit et se transforme petit à petit en squelette. Il accepte son sort sans protester et il essaie de vivre le mieux possible ses derniers mois. Il trouve un soulagement à son état dans l’attention qu’il porte au monde. Il se promène dans la ville où il retrouve son passé. Il garde jusqu'au bout la pensée de la mer : "parce qu'il ne luttait pas, écrit Reverzy, sa vie se prolongea : son idée fixe de la mer, paisible au fond et salutaire, maintint sa conscience au-dessus de l'abîme"23. Il meurt calmement, en présence d’une soeur de charité compatissante. "Comme c'est simple et facile de mourir ! écrit Jean Reverzy, Palabaud fut soudain absent de l'après-midi. La soeur, fraternellement ou chrétiennement, lui avait pris la main".

    18Le médecin estime qu’il accomplit, lorsqu'il essaie de soulager les malades voués à la mort sa tâche la plus importante. Reverzy écrit à son propos "Si, jusque-là, son action s'est montrée vaine, elle peut alors devenir infiniment salutaire"24. Le médecin se métamorphose alors en un passeur et il aide le mourant à franchir le dernier seuil". "Et moi, écrit le médecin du Passage, je l'accompagnais ; préoccupé des embûches dressées aux ultimes moments de la vie, je marchais derrière lui". Il l'écoute parler et le fait entrer à l'hôpital dans le service du professeur Joberton de Belle-ville pour adoucir sa fin... Il a la satisfaction d'avoir accompli son devoir. Le médecin de Place des Angoisses témoigne de la même compassion envers Dupupet. Dès le début, lorsqu'il se trouve à son chevet, il comprend que, même si leurs paroles paraissent ne pas se répondre, elles s'harmonisent en réalité tout à fait. "Je crois que nous étions heureux, raconte-t-il et qu'une union presque parfaite était en train de se réaliser : l'homme couché, sa compagne debout. Le médecin assis au bord du lit formaient un choeur à l'unisson"25. Le médecin décrit par Reverzy supporte donc la présence de la mort et ne la vit pas comme un échec personnel. Il l'affronte en philosophe et, malgré son incroyance, comme un prêtre.

    19Le médecin est aussi dans Place des Angoisses confronté à sa propre mort ou à la mort de ses proches. Il se rappelle, bien des années après, la soirée qu'il a passée, quand il était étudiant, chez le professeur Joberton de Belleville. Il devine que le professeur et sa femme ont été pour lui des initiateurs. Il comprend, lorsqu'il se remémore certains mots et certains gestes, que les Joberton de Belleville étaient déjà habités par leur propre mort : ainsi Madame Joberton de Belleville posait-elle souvent sa main au-dessous de sa poitrine comme si elle avait confusément pressenti le cancer qui plus tard l’emporterait. Il se souvient du récit de la mort du professeur Sulpice par Joberton de Belleville. Le professeur Sulpice, malgré un courage éprouvé à la guerre, avait jusqu'au bout refusé de reconnaître qu'il était atteint d'un cancer de l'intestin. Joberton de Belleville en avait conclu que la mort rapproche le médecin des autres hommes puisqu'elle le plonge lui aussi dans "le gouffre sans fond des illusions humaines"26. Madame Joberton de Belleville avait déclaré de son côté "La mort des médecins est plus triste que celle des autres hommes". Elle reflétait ainsi, d'après son auditeur, plus que le point de vue du médecin, celui de son entourage qui a tendance à le croire invulnérable et souffre de sa déchéance.

    20Les médecins méditent sur toutes ces morts et passent, semble-t-il, du pessimisme à une certaine sérénité. Le médecin du Passage croit, peut-être à tort, après la mort de Palabaud, qu'ils sont restés étrangers l'un à l'autre : "Nous étions passés l’un près de l'autre comme deux étrangers, déclare-t-il, comme deux animaux d'une espèce différente. En vain je cherchai un sens à des mots que nous avions échangés, au contact de nos mains qui s'étaient serrées, aux rencontres de nos regards"27. Il lui semble cependant que Palabaud a eu raison de tant penser à la mer puisqu’il a ainsi détourné son regard des vaines agitations des hommes. Le même médecin se souvient encore, dans Place des Angoisses, lorsqu'il apprend la mort du professeur Joberton de Belleville, de leur conversation d’un soir. Il comprend que les mots ont un sens caché et qu'ils subissent dans notre mémoire le même changement que celui des visages qui les ont prononcés. Il découvre alors que Madame Joberton de Belleville ne lui enseignait pas le désespoir, mais lui ordonnait de continuer jusqu'aux "limites ténébreuses de la vie"28 qu'elle avait franchies avant lui. Il continuera donc de marcher sur les traces du professeur Joberton de Belleville maintenant disparu, comme il avait marché derrière lui à l'hôpital et plus tard derrière son dernier cortège, le cortège funèbre, "sans regret, écrit-il d'une façon proustienne à la fin de Place des Angoisses, d'être fait d'une substance moins durable que le Temps"29.

    Conclusion

    21La description des médecins et des malades est donc chez Jean Reverzy très originale. Tout en partant d'une expérience personnelle, elle la dépasse. Elle laisse entrevoir une critique de la société. Elle sert surtout à une méditation sur la condition humaine. Même s'ils paraissent différents, les médecins et les malades se rejoignent dans la mesure où ils mènent une vie difficile et où ils sont voués à la mort. Les romans de Jean Reverzy, si noirs soient-ils, ne sont pas désespérés. Le salut vient, chez eux, de l'acceptation de notre sort et de l'accomplissement du devoir, comme dans La Peste d'Albert Camus.

    Notes de bas de page

    1 Thèse de médecine, 1968, Paris, no 103. Il est possible de consulter cette thèse à la bibliothèque de la Faculté de médecine, rue de l'Ecole de médecine à Paris.

    2 Flammarion.

    3 Actes Sud, 1986.

    4 L'exposition a donné lieu à la parution d'un volume, Jean Reverzy Traces dans la ville (Editions Parole d'Aube 1994). Les actes du colloque ont été publiés par Frédérique Martin-Scherrer sous le titre de Lire Reverzy (Presses universitaires de Lyon 1996). Ce volume contient une bibliographie très complète.

    5 Le médecin de Place des Angoisses déclare au chapitre 5 que le professeur Joberton de Belleville a présidé son jury de thèse. Il présente donc peut-être quelques ressemblances avec le docteur Martin, président du jury de thèse de Reverzy.

    6 Cf. Jean-François Reverzy, "La Spirale du temps" dans Lire Reverzy.

    7 Le Passage, chap. 11 (deux citations).

    8 Place des Angoisses, chap. 1 (deux citations).

    9 Place des Angoisses, chap. 7.

    10 Place des Angoisses, chap. 9.

    11 Le Passage, chap. 10.

    12 Le Passage, chap. 12.

    13 Place des Angoisses, chap. 4.

    14 Le Passage, chap. 12 (deux citations).

    15 Place des Angoisses, chap. 2.

    16 Place des Angoisses, chap. 2. Jean Reverzy écrit "suivaient le service".

    17 Place des Angoisses, chap. 6.

    18 Place des Angoisses, chap. 2.

    19 Place des Angoisses, chap. 8 (deux citations).

    20 Place des Angoisses, chap. 9.

    21 Place des Angoisses, chap. 1.

    22 Le professeur Joberton de Belleville appelle cette maladie cirrhose pigmentaire Le docteur Buin préfère le nom d'hémochromatose.

    23 Le Passage, chap. 12 (deux citations).

    24 Le Passage, chap. ! 1 (deux citations).

    25 Place des Angoisses, chap. 7.

    26 Place des Angoisses, chap. 4 (deux citations).

    27 Le Passage, chap. 13.

    28 Le Passage, chap. 9.

    29 Rappelons que le dernier mot de A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust est aussi "le Temps".

    Auteur

    Philippe Baron

    Université de Franche-Comté

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    Table des matières

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    Aspects de la critique

    Aspects de la critique

    Ian Pickup et Philippe Baron (dir.)

    1998

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    Le docteur Antoine Thibault dans Les Thibault de Roger Martin du Gard

    Philippe Baron

    Le Mythe de Sarah Bernhardt au théâtre

    Philippe Baron

    Préface

    Philippe Baron

    L’évolution de la critique dramatique d'après les comptes-rendus des représentations des Femmes savantes de Molière

    Philippe Baron

    Avant-propos

    Philippe Baron et Anne Mantero

    Quelques pièces naturalistes en un acte du Théâtre-Libre

    Philippe Baron

    La postérité littéraire de Rastignac

    Philippe Baron

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    1 Thèse de médecine, 1968, Paris, no 103. Il est possible de consulter cette thèse à la bibliothèque de la Faculté de médecine, rue de l'Ecole de médecine à Paris.

    2 Flammarion.

    3 Actes Sud, 1986.

    4 L'exposition a donné lieu à la parution d'un volume, Jean Reverzy Traces dans la ville (Editions Parole d'Aube 1994). Les actes du colloque ont été publiés par Frédérique Martin-Scherrer sous le titre de Lire Reverzy (Presses universitaires de Lyon 1996). Ce volume contient une bibliographie très complète.

    5 Le médecin de Place des Angoisses déclare au chapitre 5 que le professeur Joberton de Belleville a présidé son jury de thèse. Il présente donc peut-être quelques ressemblances avec le docteur Martin, président du jury de thèse de Reverzy.

    6 Cf. Jean-François Reverzy, "La Spirale du temps" dans Lire Reverzy.

    7 Le Passage, chap. 11 (deux citations).

    8 Place des Angoisses, chap. 1 (deux citations).

    9 Place des Angoisses, chap. 7.

    10 Place des Angoisses, chap. 9.

    11 Le Passage, chap. 10.

    12 Le Passage, chap. 12.

    13 Place des Angoisses, chap. 4.

    14 Le Passage, chap. 12 (deux citations).

    15 Place des Angoisses, chap. 2.

    16 Place des Angoisses, chap. 2. Jean Reverzy écrit "suivaient le service".

    17 Place des Angoisses, chap. 6.

    18 Place des Angoisses, chap. 2.

    19 Place des Angoisses, chap. 8 (deux citations).

    20 Place des Angoisses, chap. 9.

    21 Place des Angoisses, chap. 1.

    22 Le professeur Joberton de Belleville appelle cette maladie cirrhose pigmentaire Le docteur Buin préfère le nom d'hémochromatose.

    23 Le Passage, chap. 12 (deux citations).

    24 Le Passage, chap. ! 1 (deux citations).

    25 Place des Angoisses, chap. 7.

    26 Place des Angoisses, chap. 4 (deux citations).

    27 Le Passage, chap. 13.

    28 Le Passage, chap. 9.

    29 Rappelons que le dernier mot de A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust est aussi "le Temps".

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    Baron, P. (2000). Médecins et malades dans Le Passage et dans Place des Angoisses de Jean Reverzy. In M. Miguet-Ollagnie & P. Baron (éds.), Littérature et médecine (1‑). Presses universitaires de Franche-Comté. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.1309
    Baron, Philippe. « Médecins et malades dans Le Passage et dans Place des Angoisses de Jean Reverzy ». In Littérature et médecine, édité par Marie Miguet-Ollagnie et Philippe Baron. Besançon: Presses universitaires de Franche-Comté, 2000. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.1309.
    Baron, Philippe. « Médecins et malades dans Le Passage et dans Place des Angoisses de Jean Reverzy ». Littérature et médecine, édité par Marie Miguet-Ollagnie et Philippe Baron, Presses universitaires de Franche-Comté, 2000, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.1309.

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    Miguet-Ollagnie, M., & Baron, P. (éds.). (2000). Littérature et médecine (1‑). Presses universitaires de Franche-Comté. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.1174
    Miguet-Ollagnie, Marie, et Philippe Baron, éd. Littérature et médecine. Besançon: Presses universitaires de Franche-Comté, 2000. https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.1174.
    Miguet-Ollagnie, Marie, et Philippe Baron, éditeurs. Littérature et médecine. Presses universitaires de Franche-Comté, 2000, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pufc.1174.
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