Histoires et légendes des couleurs des maillots en football
p. 243-252
Texte intégral
1Les maillots de différentes couleurs endossés par les joueurs de sports collectifs paraissent être là comme simple décoration, ce qui constitue, nous semble-t-il, une grave méprise. Même si, l’impact et l’utilisation de la couleur dans des contextes sportifs restent un domaine de recherche relativement peu exploré, Attrill, Gresty, Hill et Barton (2005) ont montré que les tenues rouges et bleues ont une influence sur le résultat. En effet, ces couleurs ont été assignées au hasard à des participants de combats de boxe olympique, de taekwondo, de lutte libre ou gréco-romaine et la fréquence des gagnants portant du rouge a été significativement plus élevée qu’une simple répartition due au hasard. Ainsi, la couleur des vêtements de sport pèse sur le résultat des rencontres dans différents sports. Néanmoins, pour un club ou une équipe nationale, le maillot est plus qu’un simple vêtement. Il est également et surtout le symbole de l’histoire et de l’héritage d’une équipe, d’un club, parfois, d’une ville entière. Chez les supporteurs, qui n’a pas rêvé de porter le maillot de football ou l’écharpe de son équipe préférée ? Le maillot de football constitue l’emblème d’une équipe, son signe de ralliement. Manches longs ou courtes, maillot rayé ou uni, ce qui compte c’est que le maillot soit aux bonnes couleurs, celle de son équipe favorite. Il est tout d’abord à noter que suivant les pays, les sports collectifs et la tradition, les couleurs de maillots sont différentes.
2D’un point de vue historique, à l’époque victorienne en Angleterre, il n’y avait pas d’uniformes ou d’équipements spécifiques à porter sur le terrain. Les joueurs exhibaient des maillots blancs de cricket ou tout autre chose qu’ils avaient et les équipes ne pouvaient être distinguées les unes des autres que par des chapeaux de couleurs distinctes, des foulards ou des écharpes. Mais, les journalistes et les supporters assistant aux matchs de football ont commencé à exiger que les équipes portent des équipements particuliers pour rendre plus facile la distinction des équipes, des joueurs et des spectateurs. Pour éviter les confusions, le livre des règles du jeu de 1867 recommanda aux joueurs de la même équipe de porter des maillots de même couleur. Les tout premiers maillots de football britanniques étaient ornés des couleurs de l’école ou du club sportif à partir duquel l’équipe avait été fondée. Ainsi, le premier maillot Blackburn Rovers était blanc orné de la Croix Bleue de Malte de l’école de Shrewsbury. Au Royaume-Uni, à l’époque, le football était presque exclusivement le sport de la classe moyenne supérieure qui pouvait facilement se permettre d’acheter une chemise aux couleurs de son club. Mais, beaucoup de clubs de la classe ouvrière de l’époque arboraient des chemises blanches qui étaient bon marché et faciles à trouver. En 1891, lors d’une tournée dans le Wolverhampton, Sunderland portant le même maillot à rayures rouges et blanches que l’hôte, de nouvelles règles furent introduites indiquant que toutes les équipes devaient avoir un jeu de maillots de rechange d’une autre couleur pour éviter de tels incidents (cf. Tunmer & Fraysse, 1904 ; Pontie, 1905). Au début, c’est l’équipe jouant à domicile qui devait changer de maillot en cas de similitude avec l’équipe visiteuse. Cette règle a été modifiée en 1921 et c’est, maintenant, l’équipe en déplacement qui doit faire le changement. En 1909, afin d’aider les arbitres à identifier le gardien de but, les règles du jeu ont encore été modifiées pour indiquer que le gardien de but doit porter un maillot d’une couleur différente des joueurs de champ de son équipe. Au début, il avait été établi que ce maillot devait être soit rouge soit bleu roi. Mais, quand le vert a été ajouté comme troisième option, en 1912, il est devenu la couleur la plus utilisée. À cette époque, les gardiens portaient généralement une sorte de pull-over qui était plus approprié pour résister au froid que pour la pratique d’un sport. L’ère des équipes avec des jeux de maillots de couleurs distinctes était lancée. En 1953, les joueurs de Bolton Wanderers apparurent lors de la finale de Coupe d’Angleterre avec un équipement fait de tissu synthétique brillant. Bien que peu utilisé à l’époque, le maillot de football moderne était né. Mince, léger, ce type de maillot était, pourtant, porté en Espagne et en Italie depuis longtemps. Manches courtes, maillots plus légers sont devenus la norme et les derniers vestiges des équipements de l’époque victorienne ont disparu.
3Ainsi, à première vue, les couleurs brillantes portées par les joueurs de la « Tribu du football » ont l’air d’être simplement décoratives. (cf. Morris, 1981). C’est vrai, elles constituent une touche attrayante, chatoyante au-dessus du vert du gazon, mais, en fait, l’intérêt visuel n’est pas la fonction première de ces couleurs. En réalité, elles sont des signaux essentiels pour la tribu. Comme les couleurs exhibées par beaucoup d’animaux ou de fleurs, elles envoient des messages essentiels à propos de ceux qui les portent. En conséquence, cette fonction restreint leur variété. Il n’y a aucune équipe, par exemple, jouant avec des maillots couverts de grandes taches roses sur un fond de spirales pourpres. Il n’y a pas non plus de clubs qui envoient leurs « héros » sur le terrain en portant des stries grises et marrons. Ce qui, au début, a l’air d’être une cacophonie sauvage de couleurs et de dessins s’avère à l’examen plus proche d’une gamme sévèrement limitée à peu de choix. En fait, elles autorisent un rapport de complicité infra-consciente, ce « sens pratique » qui, selon Bourdieu, permet à chaque individu d’adapter ses comportements dans la société de manière quasi automatique sans recourir à une réflexion consciente et au discours. Elles sont productrices à l’insu des acteurs eux-mêmes de tel ou tel registre d’actions ou de représentations. Leur choix ne relève donc ni de l’anodin, ni de l’arbitraire mais répond à un processus de constitution d’une équipe de joueurs en un groupe social clairement identifié susceptible de provoquer l’adhésion / répulsion des supporters dans une sorte de « logique pratique produite en dehors de toute intention consciente » (Bourdieu, 1980, p. 160).
4Une enquête sur les meilleures équipes d’Angleterre, d’Écosse, de France et d’Italie révèle que le dessin des maillots le plus populaire est celui dans lequel une seule couleur simple prédomine. Le short et les bas répercutent d’habitude cette couleur ou contraste avec simplement du noir ou du blanc. La couleur la plus populaire de l’Angleterre et de l’Écosse est le bleu. En France et en Italie, on combine souvent deux couleurs mais c’est le rouge qui domine malgré tout.
5Le dessin de maillot le plus prisé, à part la couleur dominante simple, renvoie aux rayures verticales. Les bandes horizontales de couleur sont aussi appréciées quoiqu’avec modération dans quelques régions et elles semblent complètement absentes de certains pays continentaux. Les autres dessins vus incluent une large écharpe en diagonale, deux couleurs séparées verticalement ou une bande verticale sur le côté gauche du corps. Les dessins de maillots avec quatre carrés sont des formes plus rares (Figure 1).
6Pourquoi ces couleurs et ces dessins prédominent-ils ? Pourquoi n’existe-t-il aucun ou peu de dessins avec des fleurs, des pâtés, des taches, des courbes ou des spirales de couleur sur les maillots des héros ? Pourquoi n’existe-t-il aucun maillot multicolore avec d’audacieux dessins ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’analyser les fonctions essentielles des couleurs dans la Tribu foot qui opèrent comme des signaux visuels fondamentaux.
1. Les maillots doivent rendre les joueurs bien visibles
7Cela élimine tous les marrons ternes, les gris, les délavés ou les pastels. Cela exclut aussi une suite chromatique brouillée, comme celle qui conduirait à un camouflage des joueurs. De même, certaines couleurs brillantes ou dessins audacieux sont inappropriés dans le contexte d’un match de football, à cause des caractéristiques spéciales du jeu. La présence d’une grande balle ronde signifie que d’énormes motifs circulaires sont tabous. Il n’y a pas de grandes taches ou des cercles sur les maillots de football (bien qu’ils soient assez communs sur les tuniques de jockeys, dans le monde de courses de chevaux). Le fait que le football soit vu sur un fond vert signifie que même les équipements verts les plus brillants risquent de devenir trop feutrés sur le champ de jeu ; en conséquence, le vert est une couleur rare. Arrivé à ce point, on ne sait pas ce qu’en pensent les Stéphanois !
8L’exigence la plus importante est que les couleurs, surtout les couleurs de maillots, doivent rendre les joueurs aussi visibles que possible à bonne distance. Pour les joueurs proches, il n’y a aucun problème, même un maillot couvert de boue reste assez visible. Mais, quand un joueur fait une longue passe à un coéquipier éloigné, il doit être capable de l’apercevoir, en un clin d’oeil, en un quart de seconde, alors une simple couleur brillante sera, pour le porteur de balle, le meilleur guide. Dans cette optique, un rouge pur est la meilleure de toutes les couleurs. Déjà Mahlo (1969) affirmait que la pratique des jeux sportifs collectifs développe une capacité d’observation permettant de reconnaître des éléments essentiels du point de vue du problème tactique à résoudre. Il faut donc travailler ce type d’observation particulier tout en veillant à ne pas seulement augmenter la quantité d’observables à traiter mais aussi à améliorer la qualité des observations faites tout en préservant la rapidité et la sélection de l’essentiel.
2. Les maillots doivent permettre de différencier les adversaires en présence
9Les pionniers du jeu de football, association au dix-neuvième siècle, jouaient avec leur propre chemise mais ils furent rapidement confrontés au fait de reconnaître leurs coéquipiers. Il fut donc entériné que chaque équipe se devait d’avoir une couleur distinctive. Tant pour les joueurs que les spectateurs, il est, donc, indispensable qu’il y ait un contraste entre les couleurs des deux équipes afin de bien suivre l’évolution de l’affrontement. Il y a deux façons de répondre à cette règle. Dans le monde des courses de chevaux, chaque propriétaire a un ensemble unique de couleurs pour ses jockeys. Cela donne des combinaisons assez compliquées de coloris et de dessins, pour éviter la confusion. Dans le football, il est seulement nécessaire de faire contraste contre un autre jeu de couleurs à la fois. Cela signifie que si chaque équipe porte toujours ses propres couleurs à domicile, elle possède un deuxième jeu de maillots avec d’autres couleurs pouvant êtres portés à l’extérieur ; comme cela, il n’y a aucun problème. Bien des matchs ne nécessitent pas de changer les couleurs familières, mais s’il y a un problème, on a recours au deuxième jeu de maillots. Pour des raisons psychologiques, les joueurs préfèrent jouer dans leurs couleurs habituelles et ne sont pas très heureux quand ils doivent porter leur deuxième jeu de maillots pour les matchs à l’extérieur. Les supporters qui les suivent et qui portent des écharpes ou agitent des drapeaux aux couleurs habituelles, préfèrent aussi voir leurs héros dans leurs costumes familiers. Ainsi, il y a une certaine pression pour éviter de faire trop de changements. Cela a pour effet de garder les équipements aussi simples que possible. Si, par exemple, un club donné avait un maillot éclatant rouge, jaune et bleu, cela entraînerait un changement de maillot contre les équipes dont le maillot habituel contient du rouge, du jaune ou du bleu. Cela couvrirait la majorité des équipes rivales et exigerait du club de jouer à l’extérieur presque toujours avec son deuxième jeu de maillots. Si les couleurs habituelles sont une couleur simple, dominante, disons, bleue, il y a seulement obligation de changer en visitant un « club bleu ». C’est pourquoi, les équipements d’une couleur sont les plus populaires et les plus nombreux ; c’est une raison supplémentaire qui explique pourquoi les teintes compliquées sont extrêmement rares. Les avantages d’avoir un maillot unique bien identifiable sont confortés par le désir de conserver ses couleurs habituelles pour le plus grand nombre possible de matchs à l’extérieur.
10Attrill, Gresty, Hill & Barton (2008) ont montré que, depuis 1947, les équipes de football anglaises vêtues de maillots rouges ont été championnes plus souvent que prévu par rapport à la proportion des clubs jouant en rouge. Pour vérifier si cela indique une amélioration de la performance à long terme au sein d’équipes portant du rouge, nous avons analysé les positions des équipes de la ligue professionnelle de football en fonction des différentes teintes portées. Dans toutes les divisions de la ligue, les équipes rouges ont un meilleur rendement à domicile, avec des différences significatives tant en pourcentage du maximum de points obtenus que leurs positions moyennes dans le classement de la ligue. Aucune différence significative n’a été observée pour des matchs à l’extérieur, alors que, bien souvent, les équipes ne portent pas leurs couleurs habituelles. Une analyse appariée de rouge et de non-rouge portant sur huit villes anglaises montre, aussi, de bien meilleures performances pour les équipes en rouge sur une période de cinquante-cinq ans. Enfin, les effets sur la réussite à long terme pourraient avoir des conséquences pour la sélection des couleurs dans les sports d’équipe. Le port du rouge améliore les performances dans une grande variété de contextes concurrentiels et devrait donner un nouvel élan pour l’étude des mécanismes sous-jacents à ces effets. Hill et Barton (2005) ont proposé une explication au fait que les sportifs qui portent du rouge gagnent plus souvent : cela pourrait refléter un signal de position dominante comme dans une grande variété d’espèces animales.
11Nous allons y revenir plus précisément dans un prochain paragraphe.
3. Les maillots doivent permettre d’être fier de son club
12Contrairement à la France, il y a souvent en Angleterre deux voire plusieurs clubs dans une ville ou un comté. Pour une grande agglomération qui a deux clubs de football importants il doit y avoir un contraste chromatique important dans les maillots que portent les joueurs, pour des raisons de définition de territoires. Les fans des deux clubs veulent être capables de se distinguer les uns des autres, plus particulièrement, lors du derby annuel, quand les deux clubs locaux et rivaux se rencontrent. À ce moment, chacun doit pouvoir porter, fièrement, les couleurs de son champion. Ainsi, Manchester United est en rouge et Manchester City est en bleu ; Liverpool est en rouge et Everton est bleu, Nottingham Forest est en rouge et Notts County est en noir et blanc, etc. Avec la capitale, cela devient un vrai problème. En effet, à Londres, il n’y a pas moins de douze clubs de Ligue professionnels ce qui étend le spectre des couleurs au maximum. Milan AC et Inter de Milan, Real de Madrid et Athletico de Madrid en sont d’autres exemples patents en football. Le Stade Français illustre, aussi, ce fait en rugby. Ce dernier club, ultime provocation arbore parfois depuis 2005, un maillot et un short roses, couleur considérée comme aux antipodes de la virilité affichée des rugbymen. Ce maillot a été endossé par les joueurs de l’équipe fanion du club pour la première fois lors d’un match de championnat à Perpignan. Malgré la défaite sportive de ce jour, le Stade Français vendra cette année-là vingt mille exemplaires de ce maillot.
4. Les maillots doivent donner un avantage psychologique à ceux qui les portent
13Les couleurs extrêmement voyantes ne sont pas simplement faciles à voir pour passer la balle à un coéquipier, elles sont aussi intimidantes pour l’ennemi. Au niveau non conscient, elles envoient un message disant, « Je suis courageux », « Je ne suis pas effrayé par toi ». Plus brillante est la couleur, plus féroce semble son propriétaire. À cet égard les footballeurs ressemblent aux animaux assez dangereux. N’importe quel animal qui possède une arme défensive spéciale, comme le serpent avec son venin ou la guêpe avec son dard annonce ce fait à ses ennemis potentiels. Il le fait en portant une « couleur qui effraie » en quelque sorte, à laquelle les ennemis réagiront aussitôt qu’ils la voient. Les serpents venimeux ont souvent des bandes brillantes d’orange et de noir, les guêpes sont brusquement marquées de jaune et de noir. Presque tous les animaux venimeux ou dangereux annoncent leur présence avec leurs couleurs. Il est surprenant de constater que l’on peut faire le parallèle avec les tenues de football, surtout avec les dessins contenant des stries ou des bandes. L’avantage de porter des pièces de couleurs très contrastées consiste en ce que ces lignes tranchées restent, même si le fond change. Cela s’applique, aussi bien aux animaux qu’aux footballeurs.
14On peut avancer comme explication que les « couleurs d’animaux venimeux » donnent aux adversaires une sensation non consciente qu’ils peuvent être « piqués » ou « empoisonnés » par un contact trop proche. Même si cet avantage psychologique opère à un niveau infra conscient, il ne doit pas être ignoré. Les joueurs eux-mêmes peuvent rire d’une telle suggestion, mais il n’est pas facile d’être certain de l’impact, effectif de différentes couleurs quand elles sont portées par un joueur qui avance vers vous à toute allure. Il y a une forte chance que, si le joueur est habillé dans des couleurs éclatantes agressives et contrastées comme un insecte piquant géant, il semble plus menaçant que s’il est habillé avec un bleu pâle ou un coloris pastel (Morris, 1981).
15Ce fait établi, il pourrait sembler logique de s’attendre à la prédominance du rouge, du jaune ou de l’orange parmi les « couleurs de la Tribu » au lieu du rouge, du bleu et du blanc. Bleu, même bleu foncé, semblent manquer de férocité pour des couleurs si populaires. Blanc semble délavé et incolore. Les jaunes et l’orange sont si répandus parmi les animaux dangereux qu’il est curieux de ne pas les trouver dans de plus grandes proportions. Quelle est l’explication de ces différences ?
16Il semble que ces associations de couleurs entrent en conflit avec d’autres valeurs. Jaune, bien que ce soit une couleur joyeuse, radieuse représentant le soleil et le sable est aussi une couleur associée à la lâcheté et à la quarantaine. L’expression « C’est un jaune » est bien connue et largement utilisée comme insulte ce qui a beaucoup joué contre la popularité de cette couleur. La couleur orange pourrait sembler échapper à cette étiquette nuisible mais elle souffre d’un autre désavantage. C’est une couleur intermédiaire à mi-chemin entre jaune et rouge. Tout intermédiaire colore peu les maillots dans la Tribu du Football ainsi que toutes les versions pâles de fortes couleurs (comme le rouge délavé, le bleu pâle, etc). Une couleur intermédiaire a l’inconvénient psychologique de représenter « l’indécision » : il a du mal à se décider. Orange est-il un rouge jaunâtre ou un jaune rougeâtre ? Cela nuit à la netteté de son image et par conséquent, le réduit à une couleur relativement rare dans la Tribu.
17Si l’on regarde les couleurs les plus répandues, le rouge est facile à comprendre. C’est la plus notable de toutes les couleurs, surtout à distance. Elle a un impact symbolique puissant comme couleur du sang, représentant ainsi énergie, vie, force, pouvoir et intensité. C’est la couleur parfaite pour n’importe quelle équipe sportive et il est difficile de comprendre pourquoi, dans quelques pays, elle n’est pas encore si populaire que cela.
18Le grand attrait du bleu est plus délicat à expliquer. En beaucoup de choses, c’est l’opposé du rouge, c’est la couleur de la paix, du repos, de l’harmonie et de la loyauté. Peut-être son secret en est le sens de son message. Peut-être que son attraction la plus grande est constituée par les signaux calmants qu’il envoie d’un coéquipier à l’autre plutôt que le message agressif transmis par les maillots rouges vers leurs adversaires.
19Le blanc est une autre couleur (ou plutôt, pour être techniquement exact, un manque de couleur) dont la popularité est difficile à comprendre. Symboliquement, blanc est la couleur de la mort et de la peur, la glace, la neige et le froid, ainsi que la pureté et l’innocence qui ne symbolisent pas les qualités les plus nécessaires dans le monde sportif. En plus, c’est vite sale et paraît crasseux pendant tout le match. Pourtant le blanc reste une des trois couleurs les plus privilégiées. La seule explication de sa popularité (à part le fait d’attirer l’attention) est qu’il représente vraiment un autre symbole, à savoir celui du héros. Du temps où beaucoup de clubs devenaient pérennes, à la fin du dix-neuvième siècle ou du début du vingtième, il y avait deux expressions d’usage commun : « Il est blanc comme neige. » et « le côté noir des choses » de l’autre. Dans ce contexte, blanc signifie honorable ou équitable, pendant que noir signifie infâme ou sinistre. La distinction était fondée à l’origine sur une vue raciste de suprématie blanche sur les sauvages noirs qui a survécu dans le symbolisme chromatique même là où le racisme a en partie disparu. Nous parlons toujours de « jours noirs » avec comme sens, jours mauvais. Par contraste, blanc devient la couleur de la valeur, de l’honneur et de l’héroïsme. C’est de cette manière, sans doute, qu’il a survécu comme une des trois premières couleurs du monde du football.
20Quant à elle, l’équipe de France de football suivant les circonstances joue en bleu, en rouge ou en blanc. Hubac (2004) précise que pour son premier match, le 1er mai 1904 face à la Belgique, l’équipe de France portait un maillot blanc avec, en écusson, les deux anneaux rouge et bleu entrelacés de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques. Le 1er novembre 1906, pour le premier France – Angleterre de l’histoire (et une défaite 15-0), la France évoluait avec un maillot rouge. Il est à noter que c’est la première utilisation d’un deuxième jeu de maillots dit de rechange (les Anglais portant aussi un maillot blanc…). Ce même rechange passant du rouge au bleu à partir de la rencontre Angleterre – France (défaite 12-0) du 23 mars 1908, premier match de l’équipe de France avec un maillot bleu, un short blanc et des bas rouges… Un maillot blanc rayé de bleu verticalement avec un col rouge est employé jusqu’à la première guerre mondiale de 1910 à 1914. Ensuite le maillot bleu s’imposera définitivement comme première tenue. Dans les autres pays également, après le rouge, le bleu et le blanc, les autres couleurs les plus privilégiées sont le jaune et l’orange, bien que celles-ci ne soient nulle part particulièrement communes. Les couleurs rarement utilisées incluent le vert, le bordeaux et le noir, le bleu pâle ou le violet. Les rose bonbon, les gris et les marrons sont pratiquement non existants en football.
21Pourtant, le maillot jaune et le short vert du Brésil sont, sans doute, l’assortiment de couleurs le plus connu à l’heure actuelle, ce maillot n’a pourtant pas toujours été si caractéristique. En effet, l’équipe du Brésil a porté longtemps un maillot blanc jusqu’à sa défaite face à l’Uruguay en 1950. Cette finale de la Coupe du monde de football, qui était organisée à domicile, vit l’Uruguay battre le Brésil. Cela fut vécu comme un véritable drame national et marqua la mémoire des 199 854 personnes présentes pour l’occasion. Le Brésil, qui n’avait besoin que d’un match nul pour devenir champion du monde et qui menait 1-0, fut finalement battu 2-1, par l’équipe d’Uruguay. Cette profonde déconvenue a rappelé à l’ensemble du peuple brésilien traumatisé et superstitieux que le blanc était souvent associé au deuil et à la peine. Les dirigeants brésiliens ont donc décidé d’adopter les couleurs verte et jaune du drapeau national qui symbolisent les forêts de l’Amazonie et les réserves d’or du pays. C’est donc avec ces couleurs que le Brésil gagnera cinq Coupes du Monde…
22Une autre tendance très répandue et sans aucun attrait particulier pour le jeu a été l’ajout de publicités sur les maillots des joueurs. Les compagnies importantes sont disposées à payer de grosses sommes pour sponsoriser des clubs et faire écrire leurs noms en travers des larges poitrines des héros locaux. Cela est peut-être une proposition commerciale intéressante mais c’est aussi une attaque de l’image des joueurs, les réduisant ainsi à la condition d’hommes-sandwichs et en les privant d’une grande partie de leur dignité. Néanmoins, aujourd’hui, même le plus petit des clubs amateurs arbore une marque sur son maillot. Très récemment, les derniers résistants à cet état de fait ont cédé. Le FC Barcelone et l’Atletico Bilbao avaient durant plus d’un siècle fièrement porté un maillot vierge de toute publicité. Mais, le train de vie du football business a mis fin à ces belles idées. Pour l’instant, la « réclame » n’a pas atteint les maillots des équipes nationales de football mais dans d’autres sports collectifs, moins puissants économiquement il est vrai, les équipes nationales affichent pour la plupart une ou plusieurs marques.
5. Discussion
23Concernant les jeux de maillots, les choses évoluent aussi pour les équipes de club. Par exemple, pour une rencontre Olympique de Marseille – Milan AC, qu’espère-t-on d’un tel match au-delà d’une victoire ou d’une défaite ? On s’attend à une confrontation de deux clubs importants, chargés d’histoire et de traditions, fiers de leurs couleurs ! On s’attend à voir se confronter les blancs et bleus de Marseille contre le rouge et noir de Milan. Eh bien, le mardi 15 septembre 2009 lors de première journée de Ligue des champions, contre toute logique, Marseille jouait en noir et Milan en blanc. Souvenez-vous, également, de la rencontre Espagne – France préparatoire à l’Euro 2008. Ce soir-là, les Bleus arboraient un nouveau maillot rouge, ce maillot rouge étant le second maillot de l’équipe nationale française comme nous l’avons déjà précisé dans le paragraphe précédent. Puisque le rouge était la couleur traditionnelle du maillot de l’Espagne, les Espagnols ont étrenné ce soir-là, leurs nouveaux maillots prévus pour les matchs à l’extérieur, un maillot de couleur jaune et ocre.
24Alors, me direz-vous, c’est du commerce, des affaires… De façon évidente, l’objectif est de montrer aux supporteurs la nouvelle collection de maillots pour susciter l’envie d’acheter… De façon évidente, cela n’a aucune influence sur la vie du club… et bien sûr, le poids de la tradition ne doit pas nous empêcher d’oser de nouvelles choses ; non mais ! La mise en cause qui est faite ici concerne les fournisseurs d’équipement et les dirigeants qui adoptent une politique commerciale visant à proposer un maximum de produits dérivés aux supporters. Si le maillot n’évoluait jamais, quel intérêt aurait un fidèle supporter à en acheter un nouveau chaque année ? Donc, à part refaire le procès d’un certaine forme de « réclame » et de vente, il est difficile de faire bouger les choses. Ce qui est déplorable, aussi, c’est l’attitude des clubs ou des fédérations qui laissent faire. Bien sûr, un équipementier qui parraine un club ou une sélection nationale pense avoir des droits. A-t-on déjà vu l’équipe nationale anglaise arborer un maillot autre que blanc à Wembley ? Et le Brésil, vous imaginez, maintenant, les joueurs au stade Maracaña de Rio sans leurs couleurs jaunes et vertes, mais en violet ou en rose bonbon. Là aussi, de façon évidente, pour certains clubs ou certaines sélections, le respect des couleurs constitue un point fort d’un protocole d’accord, un élément intangible du cahier des charges. Cet ensemble témoigne que l’identification à un club ne passe pas uniquement par des résultats et des joueurs, mais aussi par un stade et… des couleurs.
25Concernant ce même OM – Milan AC, c’est lorsque que les vingt-cinq joueurs qui sont entrés sur le terrain ce soir-là, ont échangé leurs maillots à la fin du match que les traditions ont été, de nouveau, respectées. D’ailleurs, il est à noter que cette tradition d’échange de maillots date du 14 mai 1931. Ce jour-là, la France battit l’Angleterre 5 à 2. À la fin de la rencontre, afin de garder un souvenir de cette mémorable victoire, les joueurs français proposèrent aux joueurs anglais d’échanger leurs maillots et ceux-ci acceptèrent. Pour clore cette petite histoire, les tenues françaises étaient en coton et les maillots des Anglais étaient des chemisettes en soie d’où le nom « shirt » pour un maillot en anglais alors qu’une traduction littérale serait plus proche de « jersey ».
26S’intéresser ainsi aux histoires et légendes des maillots pourrait, au premier abord, sembler anecdotique, voire trivial, peu importe après tout que les joueurs endossent des maillots rayés ou unis, rouges ou verts. Ce serait toutefois oublier leur fonction emblématique et identitaire. Avec eux, le corps se fait signe et se charge de sens. Il devient le support de représentations et de pratiques particulières qui permettent de délimiter des territoires et de se différencier. Finalement, le maillot exacerbe la puissance sémique du corps. L’intérêt et l’attention que les responsables sportifs accordent au choix de cette parure sont révélateurs de sa force symbolique mais aussi pratique. Sur le terrain, il rend visible, façonne l’identité, marque des appartenances, participe de la fabrication d’un ascendant psychologique dans le rapport d’opposition, bref il oriente la pratique elle-même. Il transforme le corps en « instrument et espace de communication et de signification » dans la mesure où il donne à lire à autrui « les signes et les symboles d’un lignage, d’un rang, d’une condition, d’un engagement » (Berthelot, 1998). Cet usage sémiologique du corps ne se déploie pas uniquement sur les stades de football mais trouve son expression dans d’autres pratiques contemporaines (par exemple le tatouage, la mode dans le prêt à porter). Comme le souligne Berthelot (1998), « l’infinie diversité des formes sociales de mise en jeu du corps humain semble défier l’analyse ». Le choix des maillots en offre une illustration remarquable.
27En conclusion, nous dirons qu’un maillot c’est des couleurs et en même temps c’est bien plus que des couleurs. Un maillot c’est une histoire. C’est aussi des hommes et des femmes qui œuvrent dans les clubs avec peu d’espoir de reconnaissance. C’est encore des supporters, avec de petits moyens, qui paient cher pour pouvoir encourager leurs favoris. Un maillot, c’est enfin ces enfants qui ont les yeux qui pétillent quand ils voient leurs joueurs préférés être performants tous ensemble, en équipe en un mot.
28Pour les joueurs français, il semble que cet idéal a quelque peu été bafoué et trahi lors de la Coupe du Monde FIFA 2010…
Auteurs
GRIAPS. IUFM de l’Université de Franche-Comté. France
GRIAPS. IUFM de l’Université de Franche-Comté. France
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le vampire dans la littérature romantique française, 1820-1868
Textes et documents
Florent Montaclair
2010
Histoires de familles. Les registres paroissiaux et d’état civil, du Moyen Âge à nos jours
Démographie et généalogie
Paul Delsalle
2009
Une caméra au fond de la classe de mathématiques
(Se) former au métier d’enseignant du secondaire à partir d’analyses de vidéos
Aline Robert, Jacqueline Panninck et Marie Lattuati
2012
Interactions entre recherches en didactique(s) et formation des enseignants
Questions de didactique comparée
Francia Leutenegger, Chantal Amade-Escot et Maria-Luisa Schubauer-Leoni (dir.)
2014
L’intelligence tactique
Des perceptions aux décisions tactiques en sports collectifs
Jean-Francis Gréhaigne (dir.)
2014
Les objets de la technique
De la compétitivité motrice à la tactique individuelle
Jean-Francis Gréhaigne (dir.)
2016
Eaux industrielles contaminées
Réglementation, paramètres chimiques et biologiques & procédés d’épuration innovants
Nadia Morin-Crini et Grégorio Crini (dir.)
2017
Epistémologie & didactique
Synthèses et études de cas en mathématiques et en sciences expérimentales
Manuel Bächtold, Viviane Durand-Guerrier et Valérie Munier (dir.)
2018
Les inégalités d’accès aux savoirs se construisent aussi en EPS…
Analyses didactiques et sociologiques
Fabienne Brière-Guenoun, Sigolène Couchot-Schiex, Marie-Paule Poggi et al. (dir.)
2018