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Des signes pour reconnaître, raisonner et comprendre le jeu

p. 55-72


Texte intégral

1En sport collectif, pour les joueurs, porter des chasubles ou des maillots de couleurs différentes permet de bien discriminer, dans l’instant, les partenaires des adversaires. D’ailleurs, Morris (1981) se livre à une analyse des couleurs de maillot pour apprécier le message envoyé à l’adversaire sur laquelle nous reviendrons plus avant dans ce livre. Quand on veut réussir en sport collectif, la vision du jeu permet de comprendre son placement sur le terrain, ses placements et déplacements par rapport à ses coéquipiers, d’anticiper sur l’évolution des configurations… C’est, aussi, ce qui permet d’accumuler les informations pertinentes et seulement elles pour prendre la meilleure décision possible. En effet, nous pouvons dire avec (Mahlo, 1969) que la qualité de la pensée tactique, la rapidité et l’adéquation de la solution mentale d’une situation dépendent essentiellement de la qualité de l’observation du jeu, c’est-à-dire d’une perception tactiquement significative, accompagnée d’une anticipation mentale continuelle de l’événement et d’une bonne qualité des compétences motrices. Néanmoins, il est clair que nous ne disposons pas à chaque instant de tout le contenu de nos connaissances. Nous avons des chemins, des méthodes pour aller rechercher ces données quand la nécessité s’en fait sentir. Il existe donc une différence importante entre le contenu immédiat de notre conscience et l’ensemble de nos connaissances. Ce point nous apparaît comme essentiel pour faire construire par le joueur des connaissances fonctionnelles. Mais dans notre cas, ce n’est pas seulement la possibilité d’accéder à des connaissances mais le temps disponible pour y accéder qui est important. Les résultats visés par les études basées sur une approche technologique sont, le plus souvent, obtenus par l’association stratégique de connaissances, de processus et d’objets de natures très variées. Russo (1986) constate que la technologie utilise massivement :

  • l’observation qui constitue un facteur important de création technique ;

  • l’expérience qui en étant réalisée de nombreuses fois et conduite de façon systématique permet de dégager des solutions techniques performantes ;

  • les mesures pour lesquelles elle élabore fréquemment des outils et des procédures spécifiques ;

  • la rationalité et la théorisation afin de comprendre les phénomènes pour améliorer les systèmes et les processus techniques.

2Ainsi un point important pour l’utilisation d’images pour apprendre en jeu, concerne la nécessité de mettre en relation la représentation imagée ou symbolique et la qualité de l’exécution sur le terrain. Celle-ci implique : la construction d’outils d’observation, la clarté des consignes, la fourniture de procédures d’évaluation formative avec lesquelles les joueurs pourront évaluer leur comportement dans une situation d’opposition (cf. Ripoll, Zoudji & Lluccia, 2009).

3Aussi, dans ce texte, nous allons nous attacher à identifier un certain nombre de signes et de repères qui permettent aux joueurs de reconnaître et prévoir l’évolution d’une configuration de jeu.

1. Rappel de quelques outils d’observation

4Sur quel cadre de référence d’observation prendre appui, lorsqu’on utilise les sports collectifs en éducation physique ? Il est bien sûr question de repérer tel ou tel niveau de jeu dans une situation concrète. En nous appuyant sur les travaux de l’Amicale des Enseignants d’EPS (1977) nous allons présenter des repères liés principalement à l’espace.

1. 1. L’espace de jeu direct

5Le système de repères propre à définir l’espace de jeu direct est constitué par deux lignes divergentes qui vont de chaque poteau de la cible verticale aux extrémités de la ligne du milieu de terrain, délimitant dans le demi-terrain offensif, une surface trapézoïdale appelée espace de jeu direct (Fig. 1). Les variables à observer sont les actions des joueurs et les déplacements de la balle, à l’intérieur ou à l’extérieur de cette zone.

1. 2. Jeu direct (et / ou indirect)

6La délimitation de l’espace de jeu direct repose sur le repère suivant : c’est l’axe ballon – emplacement de la marque à tout moment (Fig. 2) en relation avec l’aire délimitée par deux parallèles à l’axe du ballon tracées à une distance type moyenne de 1,80 m. On définit ainsi des actions de jeu direct (1), toute action (tir ou frappe – passe – dribble – écran etc.) qui maintient le ballon dans l’espace de jeu direct, initialement considéré comme critère. Des actions de jeu indirect (2) : toute action qui, en déplaçant le ballon, modifie l’emplacement sur l’aire de jeu de l’espace de jeu direct. Le dénombrement des actions de jeu direct ne peut être effectué, par définition, qu’au niveau du joueur en possession du ballon. Ces actions sont à distinguer des actions offensives, celles qui, au niveau d’un joueur non-possesseur de balle, visent à lui assurer la possibilité d’entrer en possession du ballon. Quant à lui, le jeu indirect permet :

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Figure 1. L’espace de jeu direct.

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Figure 2. Le couloir de jeu direct.

  • d’amener le ballon vers le fond du terrain pour obliger la défense à reculer ;

  • d’amener la balle vers d’autres espaces privilégiés ;

  • de passer du jeu côté ballon au jeu côté soutien ;

  • de permettre un renversement du jeu en repartant vers l’autre périphérie.

7En fait, c’est ménager l’alternance jeu direct / jeu indirect qui permet à l’attaque d’être efficace en exploitant tout déséquilibre dans la défense adverse.

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Figure 3. Jeu direct (1) et jeu indirect en volley-ball (2).

8Pour le volley-ball (Fig. 3), chez les débutants, le jeu direct existe en renvoi direct en une ou deux passes lorsque les joueurs sont en difficulté sur les réceptions. Le jeu indirect est utilisé à partir d’une passe de réception vers un joueur au milieu en avant qui passe le ballon à droite ou à gauche à un partenaire pour un envoi de l’autre côté du filet.

9En définitive, pour lire des configurations de jeu, cette structuration de l’espace en relation avec les données chères à Téodorescu (1965) (occupation de l’espace d’attaque, circulation des joueurs et de la balle) permet aux élèves de « gagner du temps » dans l’analyse de la situation et entraîne des gains de temps précieux dans la prise de décision. Les espaces à occuper, les axes de pénétration et les déplacements des joueurs sont toujours plus efficaces lorsqu’ils font l’objet d’une représentation mentale bien établie.

1. 3. L’espace de jeu effectif (EJE)

10L’espace de jeu est défini par la surface polygonale délimitée au moyen d’une ligne fermée obtenue en reliant les joueurs situés à la périphérie de l’ensemble des participants (Fig. 4). Cette surface est différente de l’aire de jeu telle que délimitée par le règlement du sport en question. L’espace de jeu effectif, selon le jeu sportif collectif et la phase de jeu envisagée peut être plus petit, équivalent ou plus grand que l’aire de jeu comme au volley-ball par exemple. Dans le jeu en mouvement, on n’inclut pas les gardiens de but dans l’EJE.

11Cette ligne périphérique constitue un repère, en relation avec la zone centrale intérieure de l’espace de jeu, en utilisant comme critère d’observation, les rapports topologiques entre les joueurs d’une même équipe et les positions respectives du ballon. Il est alors possible pour une phase de jeu, de mieux caractériser l’organisation d’une équipe en attaque ou en défense. Cette organisation est précisée en termes de jeu à la périphérie de l’EJE, de la périphérie à la zone centrale ou de la zone centrale à la périphérie. L’élargissement ou le rétrécissement de l’espace de jeu est à envisager du point de vue de la circulation des joueurs et du point de vue de la circulation du ballon.

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Figure 4 a. Configuration du jeu.

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Figure 4 b. Configuration du jeu, espace de jeu effectif et position du ballon.

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Figure 5 A. Espace de jeu effectif et position du ballon.

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Figure 5 B. Espace de jeu effectif décomposé en EJEO (gris) et EJED (noir).

12Dans l’exemple (Fig. 5), le ballon est à l’arrière de l’espace de jeu effectif et on ne tient pas compte des gardiens de but. On peut subdiviser cet espace en deux entités distinctes : l’espace de jeu effectif offensif (EJEO) et l’espace de jeu effectif défensif (EJED), sur lesquels nous allons revenir plus longuement au paragraphe 3.

2. Des signes et des distances

13La volonté continuelle d’optimisation des productions motrices en sport collectif voit le développement d’outils de collecte et d’analyse d’images facilitant l’évaluation de l’écart entre la planification du jeu et l’activité des joueurs (Gréhaigne – Bouthier 1994).

2. 1. Construire la profondeur

14L’image vidéo est un outil fréquemment utilisé par les enseignants ou les entraîneurs en sport collectif avec pour objectif la reconnaissance et / ou l’enseignement de configurations du jeu, de plans de jeu ou de règles d’action. À cet effet, on utilise deux média : soit en ayant recours à des schémas au tableau noir en manipulant des représentations symboliques (adversaires, partenaires, ballon ainsi que des flèches pour illustrer les déplacements) ; soit, de façon plus tangible avec les images d’une bande vidéo. Pour comprendre et utiliser ces images, le joueur doit être capable d’extraire une représentation simplifiée de la réalité ou une image opérative du fait des limites de traitement du cerveau humain. Le passage du dessin à la configuration du jeu suppose, aussi, que le joueur parvienne à passer d’un espace en deux dimensions vers un espace en trois dimensions et à évoluer d’une représentation statique de la configuration du jeu vers une complexion du jeu qui en constitue une représentation dynamique. Pour l’enseignant ou l’entraîneur sur le bord du terrain, il faut également évoluer d’une vision extérieure et de côté du champ de jeu vers une reconstruction de la configuration de jeu en plan avant. Inversement, le passage du jeu à sa représentation est tout aussi complexe. Cette complexité se traduit par la difficulté des débutants à comprendre les explications données à partir d’un schéma au tableau ou l’incapacité qu’ils ont à extraire des informations pertinentes d’une bande vidéo. Enfin, le fait de parler et d’analyser la situation à laquelle on vient tout juste de participer relève, aussi, d’un véritable apprentissage.

15Cependant l’usage que l’élève ou le joueur fait de ces représentations symboliques ou imagées implique des opérations mentales très complexes. En un mot, un des problèmes fondamentaux posés par les outils d’analyse habituellement proposés pour décrire les situations de jeu reste que les élèves doivent constamment effectuer une rotation cognitive du plan « vue d’avion » à une vision dans le plan horizontal. Cela revient à traiter des effets de largeur, de profondeur, de hauteur et de distance qui sont très différents d’une vue de dessus à une vue sur le champ de jeu (Fig 6 et 7).

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Figure 6. Configuration « vue d’avion » dans le sens du jeu.

16De ce point de vue, la production d’images, en plan horizontal et dans l’axe du jeu, nous paraît favoriser l’apprentissage du décodage d’une configuration du jeu. Cela permet de faciliter la lecture des configurations du jeu à l’aide d’un schéma et de rendre la situation plus proche de ce que voit l’élève dans la réalité. Sur cette photo (Fig 7), il est relativement facile d’apprécier l’emplacement des joueurs dans la largeur. Pour la profondeur, cette appréciation est beaucoup plus difficile et reste problématique car la distance entre les joueurs et leur place sur le terrain est difficile à apprécier.

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Figure 7. Photo d’une configuration du jeu.

17Pour bien construire la profondeur, il nous semble qu’il faut avoir construit le lancer long car les partenaires n’existent véritablement que s’ils sont atteignables. Dans notre exemple, la défense est en barrage et le ballon se situe en arrière de l’espace de jeu effectif. La figure 8 schématise ce problème de perception de la largeur relativement établie et de la profondeur qui, par contre, est à construire.

18Quelques thèmes d’étude semblent pouvoir aider le joueur à construire cette profondeur. Par exemple, on peut inciter les élèves à faire des passes longues, à l’aide d’un joker placé en avant dans une zone neutre. Cela donne une existence matérielle à l’aide d’un espace fini pour l’axe profond du jeu en rendant les joueurs qui s’y trouvent « atteignables ». On peut également limiter les actions défensives sur le porteur de balle…

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Figure 8. Modélisation de la vision de la largeur et de la profondeur à construire.

19Il est à noter que chez les débutants, les partenaires sont, le plus souvent, en avant (en appui) dans le couloir de jeu direct (Fig. 9). Le porteur de balle est, aussi, orienté vers l’avant. Lors d’une rencontre équilibrée, on voit souvent se mettre en place un premier type d’organisation privilégiant deux joueurs : un joueur, à l’arrêt, en arrière de l’espace de jeu effectif, qui jouera le rôle de « distributeur », un autre en avant de l’EJE, ayant le rôle de « receveur ». En condition de réussite, ces deux joueurs fonctionnent de la manière suivante : le joueur arrière envoie une longue balle vers l’avant, par-dessus l’ensemble des joueurs, vers son partenaire. Ainsi, l’apprentissage du lancer long en jeu a débuté.

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Figure 9. Chez les débutants, les partenaires sont, le plus souvent, en avant.

20Ces éléments amènent les réceptionneurs à construire l’attraper de la passe longue et ainsi les conditions de l’échange de statut entre passeur et réceptionneur (P – R) se mettent en place. Il reste à construire le jeu en mouvement avec d’abord des réceptionneurs mobiles puis le couple passeur-réceptionneur en mouvement. Alors, la succession et les déformations de l’espace de jeu effectif ainsi que l’élasticité des formes du jeu constituent des indicateurs privilégiés de l’affrontement. Une défense étirée en largeur est fragile dans la profondeur. Une défense concentrée doit être contournée ou encore franchie en tentant de passer par-dessus…

21Un indicateur commode pour l’enseignant est constitué par la profondeur de l’espace de jeu effectif qui illustre l’appréciation, faite par les joueurs sur le terrain, des possibilités supposées en terme de longueur de passe du lanceur qui remet la balle en jeu ou qui est en possession du ballon. Chez les joueurs débrouillés, l’analyse des différents emplacements que le futur réceptionneur du ballon peut occuper par rapport au porteur de balle nous permet de définir plusieurs catégories d’appels de balle en fonction :

  • des rapports topologiques entre le porteur de balle et ses partenaires ;

  • de la direction dans laquelle ceux-ci sollicitent le ballon ;

  • s’ils se rapprochent ou s’éloignent du P de B.

22De ce point de vue, un joueur est en appui (Fig. 9) lorsque, appartenant à la même équipe que le porteur de balle, il se trouve en avant de celui-ci, un joueur est en soutien lorsqu’appartenant à la même équipe que le porteur de balle il se trouve en arrière de celui-ci.

2. 2. La circulation du ballon

23Dans la figure 10, l’origine de la circulation de balle est toujours en arrière par rapport au futur réceptionneur, la progression du ballon pouvant se faire en passes ou en dribbles. La combinaison des différents EJE de la figure 10 permet de définir (Fig. 11) l’espace de jeu occupé (EJo) comme une surface révélant l’espace de jeu dynamique occupé par les attaquants et les défenseurs le temps d’une attaque. C’est l’espace maximum utilisé lors d’une séquence de jeu (entre l’entrée en possession du ballon et sa perte) avec éventuellement une succession de déformations qui montre la façon dont cet espace a été parcouru. Chez les débutants, une forme caractéristique de l’EJo montre que l’occupation du terrain par les joueurs n’est pas optimale puisqu’elle se limite à la zone centrale allant d’une cible à l’autre. Il est vraisemblable que les actions des joueurs sont de type séquentiel, nécessitant pour chaque réception un arrêt plus ou moins bref et le besoin d’un temps relativement important pour choisir le futur porteur de balle. À cause de ce délai, l’équipe adverse peut se rapprocher du porteur de balle pour le gêner ou empêcher la continuité de l’échange permettant ainsi la reconstitution de l’espace de jeu effectif devant le porteur de balle.

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Figure 10. L’espace de jeu parcouru par les EJE.

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Figure 11. Espace de jeu occupé, trajets du ballon et jeu « balle en arrière ».

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Figure 12. Jeu « balle en avant ».

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Figure 13. Trajets du ballon lors du jeu « balle en avant »

24Les figures 12 et 13 montrent qu’à un moment de la circulation de balle, face à la pression défensive, celle-ci recule de l’avant vers l’arrière en direction d’un joueur en soutien. Ce type de circulation permet aussi de créer un décalage qui donne un temps d’avance au futur réceptionneur. Quand la balle recule volontairement un pas a été franchi dans le rapport d’opposition et la conception de l’attaque.

25Cet ensemble d’indicateurs oblige les joueurs à bien reconnaître la zone d’attaque et la zone de défense ainsi que leurs orientations, leurs emplacements et déplacements dans l’action en cours.

2. 3. Défense en barrage ou à la poursuite et autres outils

26Le plus souvent, une circulation du ballon à l’arrière voire au milieu de l’espace de jeu effectif entraîne, lors de la perte du ballon, une situation de défense à la poursuite, tandis qu’un ballon perdu en avant de l’EJE positionne la défense entre le récupérateur du ballon et la cible, d’où une situation de défense en barrage.

27Les situations où la défense est à la poursuite sont des situations momentanées de déséquilibre ; il faut donc en profiter rapidement ! C’est, en conséquence une situation favorable à l’attaque donc une indication fondamentale pour la compréhension du rapport d’opposition. On peut donc dire qu’une défense en barrage est située le plus souvent entre le ballon et la cible. Une défense à la poursuite est une défense momentanément hors de position qui cherche à se repositionner, le plus rapidement possible entre le ballon et le but ; dans ce cas, l’attaque est en avance sur le replacement défensif (Caty, Meunier & Gréhaigne, 2007).

28Néanmoins, ces notions de barrage ou de poursuite (Fig. 14 et 15) sont à mettre en relation avec le mouvement général des joueurs dans une perspective d’équilibre dynamique. En effet, un défenseur peut avoir le temps de revenir d’une position qui pourrait laisser croire, au premier abord, que le point de rupture de l’état d’équilibre était déjà atteint. Alors, il faut bien différencier équilibre / déséquilibre statique et équilibre dynamique car la défense ou quelques défenseurs peuvent aussi être en barrage théorique en fonction de leurs positions mais finalement trop loin de l’action de jeu pour revenir et être vraiment utiles à la défense près du ballon. Le tout est donc à comprendre dans son évolution et son développement. Face à une défense en barrage, on est dans le cas d’une attaque de position ; avec une défense à la poursuite, on est le plus fréquemment dans une contre-attaque.

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Figure 14. Défense en barrage (les ronds) et attaque de position (les carrés).

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Figure 15. Défense à la poursuite (les carrés) et attaque en avance (les ronds).

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Figure 16. EJE en compression puis en extension dans la profondeur.

29Enfin, une vision dynamique de l’affrontement, comme le passage d’un EJE « concentré » à un EJE en « comète », entraîne la nécessité d’utiliser d’autres concepts pour rendre compte du jeu en mouvement. À cet effet, nous avons proposé (Gréhaigne, 1989) les concepts d’espaces de jeu effectif en étalé ou resserré c’est-à-dire en extension et / ou en compression afin de préciser l’analyse du rapport de forces entre deux équipes (Fig. 16). Combiné avec les notions de largeur et de profondeur, cela fournit un excellent outil pour décoder l’action en cours.

3. Espace de jeu effectif offensif (EJEO) et espace de jeu effectif défensif (EJED)

30Classiquement, la différence entre l’attaque et la défense tient à la possession du ballon ou non. Dans notre conception, le groupe dominant est celui qui est à l’offensive car nous différencions le fait de posséder le ballon en l’attaque et la notion de dominant / dominé. On peut faire circuler le ballon à la périphérie arrière de l’espace de jeu effectif en étant incapable de pénétrer le système défensif adverse. Attaquer l’attaque devient une arme tactique très intéressante. Ici, on cherche à faire commettre des fautes aux adversaires. Cette tactique est étroitement liée au principe de l’entrée en possession du ballon. Ceci suppose des actions correctes, opportunes et agressives, au moyen desquelles le joueur en possession du ballon est amené à commettre des fautes sanctionnées par le règlement ou des fautes d’orientation du jeu, ayant pour résultat l’interception de la balle. Ces fautes doivent être immédiatement exploitées par une contre-attaque ou un tir au but rapide, surtout au handball, basket-ball ou en football dans le demi-terrain offensif.

31Néanmoins, quand on parle de réhabiliter l’offensive cela ne veut pas dire que l’équipe ne défend plus mais simplement que l’on s’attache avant tout à marquer pour obtenir un résultat en sa faveur et non pas à défendre coûte que coûte son but. De ce point de vue, on adopte une certaine conception de l’éthique du jeu. Choisir de récupérer la balle à un endroit stratégique du terrain pour enchaîner rapidement une contre-attaque est un choix offensif. Dans une autre logique, celle du championnat, on organise d’abord la défense du but avec la mise en place d’une défense en barrage le plus souvent adossée à la ligne de but. L’important devient alors de ne pas perdre, mais on marque peu.

32Dans le paragraphe suivant, nous allons illustrer concrètement les notions de défense en barrage ou à la poursuite que nous avons présentées plus avant. Le plus souvent, la possession du ballon à l’arrière ou au milieu de l’espace de jeu effectif entraîne, lors de la perte du ballon, une situation de défense en barrage, tandis qu’un ballon en avant de l’EJE positionne la défense derrière le récupérateur du ballon, d’où une situation de défense en poursuite. Les situations où la défense est à la poursuite sont des situations momentanées de déséquilibre ; il faut donc en profiter rapidement ! C’est, en conséquence, une indication fondamentale pour la compréhension du rapport d’opposition. Nous avons vu que les configurations du jeu avec leurs formes diverses peuvent apparaître dans diverses parties du terrain en fonction des rapports d’opposition. Nous allons étudier les configurations du jeu en séparant les espaces de jeu effectif de l’attaque et de la défense. En analysant les emplacements et formes réciproques des EJEO et EJED sur un terrain non défini mais qui relève des jeux d’invasion ou interpénétrés.

33Avec des EJE plutôt étalés dans la largeur, la figure 17 A, montre un EJE défensif décalé vers l’arrière et latéralement par rapport à l’EJE offensif. Le ballon est en avant de l’EJE dans le demi-terrain offensif. Le porteur de balle est en avance sur les adversaires et, bien souvent va tirer depuis un espace favorable de marque. Concernant la figure 17 B, nous avons la même configuration, mais l’EJE étant dans le demi-terrain défensif, il reste beaucoup d’espace à parcourir pour espérer tirer au but.

34Dans la figure 18 A, l’EJE défensif est décalé vers l’arrière et latéralement par rapport à l’EJE offensif. Le ballon est en arrière de l’EJE dans le demi-terrain offensif mais près de la ligne médiane avec une défense en place. Le porteur de balle, face à une défense en barrage doit construire l’attaque. Concernant la figure 18 B, nous avons la même configuration, mais l’EJE étant dans le demi-terrain défensif, il reste beaucoup d’espace à parcourir pour espérer tirer au but et le danger principal viendrait d’une interception des adversaires qui alors se retrouveraient en excellente position pour tirer.

35Avec des EJE plutôt étalés dans la profondeur, la figure 19 A, montre un EJE défensif décalé vers l’arrière de l’EJE offensif. Le ballon est en avant de l’EJE qui s’étend au milieu du terrain. Le porteur de balle est en avance sur les adversaires et, bien souvent va tirer depuis un espace favorable de marque. Concernant la figure 19 B, nous avons la même configuration, mais le ballon est en arrière de l’EJE, il reste beaucoup d’espace à parcourir et d’obstacles à franchir pour espérer tirer au but. Le principal danger est toujours constitué par une interception des adversaires qui alors se retrouveraient en excellente position pour tirer.

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Figure 17. Espaces de jeu effectif et balle en avant.

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Figure 18. Espaces de jeu effectif et balle en arrière.

36Avec des EJE plutôt étalés dans la largeur au milieu du terrain, la figure 20 A, propose un EJE défensif englobé par l’EJE offensif. Le ballon est en avant de l’EJE dans le demi-terrain offensif. Le porteur de balle est en avance sur les adversaires et, bien souvent va tirer après un déplacement en dribble. Concernant la figure 20 B, nous avons la même configuration, mais le ballon étant dans le demi-terrain défensif, il reste à construire l’attaque avec une défense en barrage.

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Figure 19. Espaces de jeu effectif au milieu du terrain, l’axe principal est la profondeur.

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Figure 20. Espaces de jeu effectif au milieu du terrain, l’axe principal est la largeur.

37Avec des EJE plutôt étalés dans la largeur, la figure 21 A, montre un EJE défensif, dos au but, en barrage entre la cible et l’EJE offensif. Le ballon est en arrière celui-ci dans le demi-terrain d’attaque. Pour le porteur de balle et ses partenaires, il reste à initier une attaque en amenant le ballon en avant de l’EJED. La figure 21 B propose un EJE défensif en barrage, adossé à la cible faisant front à l’EJE offensif. Le ballon est au milieu celui-ci dans le demi-terrain d’attaque. Pour le porteur de balle et ses partenaires, il reste à initier une attaque de position face à une de zone bien en place qui bien souvent passe par un jeu à la périphérie.

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Figure 21. Les espaces de jeu effectif défensif sont en barrage.

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Figure 22. Les espaces de jeu effectif sont séparés.

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Figure 23. L’EJE défensif englobe l’EJEO.

38Avec des EJE plutôt étalés dans la largeur, la figure 22 A, montre un EJE offensif très aplati en avance entre la cible et un l’EJE défensif concentré et en retard. Le ballon est en avant de l’EJEO dans le demi-terrain d’attaque. Pour le porteur de balle, il reste à tirer très vite pour que les défenseurs ne reviennent pas. La figure 22 B présente un EJE défensif en barrage, étalé dans la largeur faisant front à l’EJE offensif. Le ballon est à l’orée du demi-terrain d’attaque. Pour le porteur de balle et ses partenaires, il reste, sans doute, à initier une attaque dans la dimension faible de la défense : ici, la profondeur.

39Dernier cas d’espèce, les figures 23 A et B illustrent un EJED englobant totalement L’EJEO au milieu du terrain avec un ballon soit à l’avant ou à l’arrière. Le risque d’interception et de contre-attaque reste relativement important si la défense met la pression sur l’attaque et récupère le ballon.

4. Schéma de fonctionnement

40Dans la figure 24, nous caractérisons le potentiel offensif des attaquants (en gris) et le potentiel défensif des défenseurs (en noir) en regard de l’espace (largeur / profondeur, emplacement, barrage / poursuite) et du temps (vitesse du jeu, extension / compression, retard / avance). Par convention, la défense est positionnée en barrage.

41La réversibilité des configurations du jeu représente un aspect primordial des sports collectifs. Pour les bons joueurs, un des moyens pour bien se préparer à récupérer la balle consiste à mettre en place une organisation de jeu dite à double effet (Deleplace, 1966 ; 1979). Cette organisation de l’équipe vise, quand on est en défense, à prévoir déjà une organisation qui permet de lancer la contre-attaque dès la récupération du ballon à l’aide de joueurs placés en appui. Si l’on est en attaque, les joueurs placés en soutien doivent penser qu’ils constituent la première ligne de défense en cas de perte de balle.

42Un objectif important de l’étude des systèmes complexes dans les sports collectifs reste la description d’états, temporairement, stationnaires du système. Pour nous, cela renvoie aux configurations du jeu qui momentanément n’évoluent plus avec le temps. On peut penser que certains de ces points fixes sont attractifs (par exemple le jeu sur espace stabilisé en basket-ball), ce qui signifie que si le système parvient à leur proximité, il va converger vers cet état d’équilibre. De même, on s’intéressera aux aspects périodiques, c’est-à-dire les états du système qui se répètent au bout d’un certain temps. Les configurations prototypiques nous paraissent être une illustration particulièrement probante de ce type de phénomène (Caty, Meunier & Gréhaigne, 2007). Enfin les transitions entre deux états sont toujours porteuses d’informations notables sur l’évolution du jeu. Ici, la description d’états dynamiques permet de mieux comprendre, à un instant donné, comment les joueurs sont en mouvement. Chacun possède une position mais cette position est en train d’évoluer car l’ensemble des joueurs possède une vitesse instantanée différente. Ainsi, l’évolution du système dynamique ne peut alors se modéliser qu’en concevant une évolution discontinue dans le temps. Il nous semble que la mise en relation de cinq critères, l’emplacement sur le terrain de l’EJE, la position et la circulation du ballon, les positions respectives de EJEO et EJED, la défense en barrage ou à la poursuite et enfin, l’extension ou la compression de l’EJE, permet d’obtenir une représentation immédiate du rapport d’opposition (Fig. 25).

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Figure 24. Schéma de fonctionnement pour l’analyse des configurations du jeu (cf. Gréhaigne, 2009, Ed.).

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Figure 25. Critères d’analyse d’une configuration momentanée du jeu en relation avec les possibilités de lancer ou de tirer du joueur en possession du ballon.

43Pour l’étude des systèmes complexes à un niveau plus macroscopique, l’opposition, la continuité et la réversibilité sont trois autres concepts qui s’avèrent également essentiels. L’opposition renvoie à l’affrontement des deux groupes dans un système dynamique spatialement défini par une aire de jeu et un temps limité dans un match. La continuité du jeu et le jeu en mouvement engendrent du désordre provoquant des désorganisations qui tendent à être compensées tant que la défense peut s’adapter. Bien souvent, ce désordre est un désordre apparent où l’on a toutes les raisons de supposer qu’il existe une forme d’ordre caché à qui sait le décoder. Enfin, la réversibilité se produit quand la perturbation n’a pas pu être régulée par les attaquants, entraînant la perte de la balle et le recours ou non à l’organisation à double effet. Dans le jeu en mouvement, au principe de circulation dans les lignes défensives de la matrice défensive correspond un principe de transformation des mouvements dans la matrice offensive. De ce point de vue, les matrices offensives et défensives sont basées sur des principes dynamiques d’organisation.

44Néanmoins, pour ces situations complexes reposant sur des processus dynamiques, la modélisation en terme de boucle de régulation peut se compliquer de plusieurs façons. Par exemple, il faut introduire plusieurs boucles de régulation qui fonctionnent non plus séquentiellement, mais en parallèle, avec des coordinations plus ou moins difficiles (reconnaissance, décision, exécution, etc). Ces boucles pourront porter sur des durées plus ou moins longues en fonction de l’évolution ou non du jeu, avec une hiérarchie de priorités variées. D’où une certaine difficulté dans les rapports signes / reconnaissance / compréhension / exécution.

5. Conclusion

45Ainsi, il apparaît clairement que toutes stratégies de construction d’expertise reposent sur l’extraction de faits stables, singuliers de la réalité environnante. Dans cette optique, la valeur adaptative de certaines observations peut être sélectionnée et conservée par le joueur en vertu de l’intérêt qu’elles présentent en regard des problèmes posés. Ici, ce n’est plus la quantité d’informations qui est importante mais la qualité de certains faits évocables par le joueur. Ce sont ces éléments qui, extraits de l’expertise des joueurs et formalisés, devraient devenir le contenu de la formation pour les joueurs de haut niveau. En ce qui concerne les décisions en jeu, pour mieux comprendre comment cela s’opère, il faut se centrer sur un inventaire le plus exhaustif possible des éléments qui interviennent dans la construction du joueur. Sur le chemin menant à ce début d’expertise, le temps constitue sans doute un élément fondamental. Mais aussi, il semble que les rapports réciproques entre les différents items constitutifs de la compétence à bien choisir évoluent au cours de la construction du joueur. En particulier, l’acquisition de routines dans le relevé des indices utiles aux traitements des configurations du jeu exerce une profonde influence sur ce processus.

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