Postures, échange de balle et rapport de vitesse dans le jeu
p. 39-54
Texte intégral
1Le premier élément qui vient spontanément à l’esprit, quand on envisage d’apprécier plus finement la valeur de l’activité d’un joueur en sport collectif, concerne les savoir-faire ou plutôt les capacités gestuelles particulières permettant de réaliser des opérations pour résoudre les problèmes posés par le jeu. Cette vision réductrice est à dépasser car elle tend à limiter les savoirs du joueur aux gestes ou aux comportements types organisés en difficulté croissante. De plus, il ne faut pas rêver et Marsenach (1991 ; 2000) l’indique bien : les transformations motrices et les apprentissages moteurs réels sont peu importants à l’école du fait du temps disponible restreint pour apprendre en sport collectif. Néanmoins, jamais nos élèves qui ne pratiquent pas en club ne réussiront réellement en sports collectifs si on ne les laisse pas jouer un temps important en jeu réduit avant de leur enseigner à se servir de leur corps et de leurs appuis dans toutes leurs potentialités. Bien sûr, ce travail doit être inclus dans des configurations de jeu dynamique, privilégiant le mouvement, caractérisé par un enchaînement des actions, des changements fréquents de statut où la circulation du ballon et des joueurs est privilégiée. Avec Cécile Vigneron, nous avons déjà défendu l’idée que pour aider les filles en sports collectifs, il ne faut pas simplement les familiariser à des jeux de balle mais aussi les confronter systématiquement à une culture du duel, de l’affrontement. Dans ce cas, la réussite peut passer par l’utilisation d’atouts plus spécifiquement féminins comme l’évitement, le mouvement, la feinte mais aussi et surtout la reconnaissance des espaces libres, la précision du temps d’engagement, un décodage rapide des configurations du jeu…
2Construire le lancer long permet, également, de lire le jeu différemment, ce qui sera une aide à la constitution d’un répertoire de compétences motrices disponibles. Celles-ci doivent être construites en jeu ou à l’aide de situations d’apprentissage qui font appel à des alternatives : passe ou tir, pénétration ou contournement, conduite de balle ou passe. Il s’agit d’aider les élèves à construire une véritable matrice tactique de la technique (Deleplace, 1979).
3Dans cette introduction, il nous semble également utile de rappeler quelques définitions pour bien fixer le cadre de notre étude. Ces véritables guides d’observation datent des années 70 et il n’est pas toujours facile d’en retrouver l’origine (AEEPS, 1977 ; Mérand, 1977). Tout d’abord celle de l’aire de jeu qui est fixée et limitée par les règles primaires du règlement du sport collectif considéré. Quant à lui, l’espace de jeu effectif est défini par la surface délimitée au moyen d’une ligne fermée obtenue en reliant les joueurs situés à la périphérie de l’ensemble regroupant la totalité des participants. Cet espace de jeu, selon le jeu sportif collectif et la phase de jeu envisagée peut être plus petit, équivalent ou plus grand que l’aire de jeu. Cette ligne périphérique est un repère ainsi que la zone centrale intérieure de l’espace de jeu en utilisant comme critères les rapports topologiques des joueurs d’une même équipe et les positions respectives du ballon. Il est alors possible pour une phase de jeu, de caractériser l’organisation d’une équipe en attaque ou en défense. Cette organisation est précisée en termes de jeu à la périphérie, de la périphérie à la zone centrale ou de la zone centrale à la périphérie. L’élargissement ou le rétrécissement de l’espace de jeu est à envisager du point de vue de la circulation des joueurs et du point de vue de la circulation du ballon.
4La délimitation de l’espace de jeu direct repose sur les repères suivants : axe ballon – emplacement de la marque en relation avec l’aire délimitée pour deux parallèles à l’axe du ballon marque tracée à une distance type moyenne de 1,80 m. On définit ainsi des actions de jeu direct, toute action (tir ou frappe ; passe ; dribble ; écran, etc.) qui maintient le ballon dans l’espace de jeu direct, initialement considéré comme critère. Il existe aussi des actions de jeu indirect qui sont les plus courantes. En effet, toute action qui, en déplaçant le ballon, modifie l’emplacement sur l’aire de jeu, de l’espace de jeu direct conduit à du jeu indirect. Le dénombrement des actions de jeu direct ne peuvent être effectués, par définition, qu’au niveau du joueur en possession du ballon. Elles sont à distinguer des actions offensives ou des appels de balle qui, au niveau d’un ou plusieurs joueurs non-possesseurs du ballon, visent la possibilité d’entrer en possession du ballon et à assurer la continuité de l’attaque.
5Le cadre de référence lorsqu’on utilise les sports collectifs à l’école est fixé par les programmes EPS. Mais pour l’enseignant, il est bien sûr question de repérer tel ou tel niveau de jeu dans une situation concrète et, après avoir situé le niveau de jeu, de faire évoluer cette situation bien identifiée. Nous allons donc revenir dans ce paragraphe sur des éléments déjà publiés ou non mais qui devraient servir de base à une réflexion didactique et pédagogique pour l’enseignement / apprentissage des sports collectifs. En effet, pour l’observateur que ce soit l’enseignant ou l’élève, le joueur en situation de jeu en sportif collectif produit une collection de réponses, diversifiées et variées. Rapportées aux actions essentielles (réception, dribble, déplacement sans ballon, passe, frappe, tir, etc.), les caractéristiques du comportement révèlent l’existence de stéréotypes de jeu en même temps qu’une variabilité dans la succession des réponses en fonction du niveau de jeu ou du rapport d’opposition. L’étude des aspects observables de ces réponses devrait permettre de dégager des caractéristiques du comportement du joueur et nous fournir un cadre d’analyse pour l’enseignement des sports collectifs.
1. Des postures et des attitudes significatives
6Les modalités de l’échange de balle représentent d’autres éléments qui sont à observer attentivement car elles renseignent objectivement sur le niveau du jeu dans un rapport de forces donné. On va du plus facile en face à face à l’arrêt au plus difficile quand un joueur se déplace rapidement et reçoit une balle suite à une trajectoire orthogonale par rapport à son déplacement.
1. 1. Le lancer
7Le lancer long constitue un des éléments fondamentaux dans l’évolution des formes de jeu permettant d’utiliser à bon escient le jeu long et le jeu court (cf. Amicale – ENSEP, 1977). Mérand (2005) affirme, concernant la possession du ballon, que « substituer au tenu à deux mains devant la poitrine une mobilité du ballon allant de la balle à la nuque à la balle à la hanche » constitue un contenu essentiel en basket-ball. Cette manipulation de la balle peut être observée et analysée à partir de postures et d’attitudes très significatives.
8Les principales postures que l’on peut voir sur un terrain, représentées figure 1, sont mises en relation avec les différentes formes de trajectoires de balle et une estimation des distances qui y sont associées (Fig. 1).
9Pour les joueurs, il est bien évident que la capacité à lancer le ballon loin est un atout pour le porteur de balle. D’ailleurs, dans les jeux où l’on manie la balle avec les mains, les élèves ont tôt-fait de repérer le type de posture utilisée par un lanceur et ainsi de prévoir où la balle risque d’être envoyée. Les principales postures que l’on peut voir sur un terrain sont représentées figure 1 avec les différentes formes de trajectoire de balle et une estimation des distances qui y sont associées (Fig. 2). En fonction des postures que le joueur utilise, différentes longueurs et formes du lancer sont obtenues. Une règle est évidente : plus le tir est long, plus le chemin de lancement est important. Concernant les lancers avec le pied, le problème est similaire. Pour un exemple, on peut consulter Gréhaigne, Billard & Laroche (1999).
1. 1. 1. Construire le lancer long
10Pour les jeux et les jeux sportifs collectifs, le lancer long apparaît comme un apprentissage incontournable. En fonction des postures que le joueur utilise, différentes longueurs et formes du lancer sont obtenues. Une règle est évidente : plus le tir est long, plus le chemin de lancement est important. Le lancer long constitue un des éléments fondamentaux dans l’évolution des formes de jeu permettant d’utiliser à bon escient le jeu long et le jeu court (cf. Amicale – ENSEP, 1977).
11En fonction des formes de trajectoires le temps mis par le ballon pour franchir la distance est très différent. Dans les cas 1 et 2, le temps est long et la distance courte ce qui fait qu’à la réception du ballon il y a toujours de nombreux joueurs partenaires et adversaires confondus pour tenter d’attraper le ballon. Dans ces cas, c’est une concentration de réceptionneurs potentiels attirés par le ballon et la règle d’action utilisée c’est que « pour avoir le ballon, il faut être à proximité du porteur de balle ». C’est une règle à déconstruire. Pour les trajectoires 3 et 4, bien souvent le joueur qui réceptionne la balle possède un temps d’avance sur le replacement défensif. Cette fois-ci, le temps de passe est un peu long et la distance est importante. La lecture de la posture du porteur de balle reste fondamentale pour assurer la continuité de l’action.
1. 1. 2. L’espace proche
12Le système de repères de l’espace proche est constitué par un cylindre de révolution dont l’axe de rotation serait la verticale passant par le centre de gravité du joueur et dont la base aurait pour diamètre l’envergure maximale du joueur. Horizontalement le volume ainsi délimité est découpé par deux plans : un plan passant au niveau de la ceinture pelvienne et un plan passant au niveau de la ceinture scapulaire (Cam, Crunelle, Giana, Gorgeorge, & Labiche, 1979).
13Les critères retenus sont ceux relatifs au contrôle du ballon quand s’établit le contact : emplacement du contact dans le système de repères. On tiendra compte également des modalités gestuelles du contact et celles relatives au contrôle du ballon pendant toute la durée de la possession. La variation des emplacements du ballon par rapport au système de repères, l’action sur le ballon lors l’échange P – R ainsi que dans l’action de marque seront à prendre en compte si besoin est. Bien sûr, le tout est à apprécier dans un rapport d’opposition donné (AEEPS, 1977).
1. 2. Le lancer / attraper
14Si l’on fait une synthèse des principales façons de lancer, d’attraper et de réceptionner que l’on rencontre, on obtient les postures proposées dans les figures.
15Le volume de manipulation dans le lancer et l’attraper est incompatible avec un déplacement vers l’avant, ce qui entraîne des échanges à l’arrêt. Le passage de l’attraper au lancer nécessite un arrêt. Un indicateur important est constitué par le ou les coudes sous le ballon et la ligne des épaules dans le lancer.
16Le volume de manipulation s’agrandit progressivement vers les zones latérales et vers le haut. Le lancer autorise un déplacement à faible vitesse. Par contre la réception se fait toujours à l’arrêt. Ici, l’indicateur à prendre en compte est constitué par les coudes au-dessus de la ligne des épaules dans le lancer.
17Le volume de manipulation s’étend vers l’arrière et s’éloigne de plus en plus de l’axe du corps. La progression vers l’avant à une bonne vitesse est possible. Ici, un indicateur à prendre en compte est constitué par le coude derrière la ligne des épaules dans le lancer Pour les joueurs et les joueuses, il est bien évident que la capacité à lancer le ballon loin est un atout pour le porteur de balle. Dans les jeux où l’on manie la balle avec les mains, les élèves ont tôt-fait de repérer le type de posture utilisé par un lanceur et ainsi de prévoir où la balle risque d’être envoyée. Le placement des joueurs sur le terrain lors d’une remise en jeu est en relation directe avec la capacité supposée du lanceur ce qui produit des espaces de jeu occupés très différents.
1. 3. Conserver le ballon
18Recevoir, maîtriser, conduire, passer sont les principales actions motrices que l’on retrouve au niveau du maniement du ballon. Un bon échange de balle entre passeur et réceptionneur suppose trois conditions essentielles pour ce dernier :
- être dans le champ visuel du passeur ;
- être à distance de passe ;
- sortir de l’espace d’interception du ou des défenseurs.
19Dans le duel, la distance et ses caractéristiques à propos du porteur de balle et du défenseur direct peuvent faire l’objet d’une analyse. Avec les deux premières catégories, on retrouve les éléments étudiés dans le figure 3 et le volume de manipulation. L’espace intime (1) représente une bulle qui est très proche du joueur ; l’espace proche (2), le volume de manipulation ; la distance de sécurité (3) constitue l’espace nécessaire pour agir sans contrainte ; la distance d’affrontement (4) est établie par l’éloignement du premier adversaire. Cet ensemble constitue des indicateurs commodes pour apprécier la manière dont est vécu l’affrontement par le porteur de balle. Il est à noter que, chez les débutants, l’espace proche est le plus souvent confondu avec l’espace intime et que, pour pouvoir agir, un joueur novice a besoin d’une importante distance de sécurité.
20Dans l’échange de balle, des conditions strictes régissent le passage de passeur à réceptionneur. Les réceptionneurs proposent au porteur du ballon, par une course ou un geste, d’assurer la continuité de l’action. Alors, le porteur de balle choisit la réponse la plus pertinente pour lui. Ensuite, il doit à la fois passer la balle au bon endroit et au temps juste pour que le réceptionneur choisi puisse se saisir du ballon (cf. Frantz, 1975).
1. 4. La loi de compatibilité
21Cet ensemble de données repose sur l’échange de statut passeur-réceptionneur avec les problèmes liés à l’appel de balle qui consiste à solliciter le ballon par une course que nous venons de voir plus avant. Le déplacement d’un joueur, ses repères visuels et la trajectoire de balle doivent être le plus alignés possible. Quand ces trois aspects sont réunis, le joueur est dans les conditions de réussite maximum. Le système de repères est donc constitué par l’axe Passeur – Réceptionneur ainsi que l’orientation du P et du R par rapport à cet axe et de la distance entre le P et le R. La forme de la trajectoire du ballon peut apporter une indication supplémentaire en cas de besoin. Les critères utilisés pour caractériser la loi de compatibilité reposent sur l’arrêt ou le déplacement des joueurs et les postures respectives du P et du R au moment du lancer. En conséquence pour l’échange de balle, du plus facile au plus difficile. Nous présentons dans la figure 11 les différentes configurations d’échanges que l’on peut repérer avec ce type d’analyse.
22Les postures respectives du réceptionneur et du Passeur au moment de rattraper la balle peuvent également être prises en compte. Les progrès dans l’échange vont du lancer simple à l’arrêt, action ponctuelle exclusive de toute autre, à un lancer long et tendu, cette action étant intégrée dans une circulation tactique en mouvement coordonnant plusieurs actions de jeu simultanées.
1. 5. L’échange de statut Passeur / réceptionneur (P -- R)
23Si l’on approfondit l’échange de statut Passeur / réceptionneur (P -- R), différents statuts de joueurs peuvent être regroupés en quelques catégories : P = possesseur du ballon ; R = joueuse non-possesseur du ballon impliquée dans la possession proche du ballon ; N.R. = joueur non-possesseur du ballon et non impliqué dans la possession proche du ballon. Pour l’équipe adverse, il existe d’autres rôles I = intercepteur ; N I = défenseur non-intercepteur. On peut définir l’échange de statut Passeur (P) – réceptionneur (R) lorsque le joueur en possession du ballon (P) lance celui-ci à un partenaire (R), les deux joueurs concernés échangent leur situation respective passeur et réceptionneur : P devient R (ou Nr) ; R devient P. Lorsqu’un porteur du ballon lance celui-ci à un non-porteur de ballon, dans une situation où l’échange s’opère strictement à deux c’est-à-dire hors du contexte de l’équipe des partenaires et de celle des adversaires, il pourrait être symbolisé par un L (lanceur) et le non-porteur de ballon par un A (attrapeur) soulignant par là que l’échange ne comporte qu’un lancer et un attraper. Le porteur de ballon est un joueur et le non-porteur de ballon également lorsque l’échange s’opère dans un contexte de jeu. Le lancer devient une passe et l’attraper devient une réception d’où la symbolisation P – R. L’intérêt de cette distinction réside dans le fait qu’elle permet de souligner que le stéréotype d’échange P -- R au niveau « débutant » présente les caractéristiques de l’échange L -- A. Le système de repères proposé : axe P – R par rapport à l’axe de déplacement ; orientations de P et de R sur cet axe ; distance P -- R et forme de la trajectoire du ballon. Les critères reposent sur les postures respectives P et R au moment du lancer et les postures respectives R et P au moment de rattraper. Le continuum de l’échange va du pôle L-- A (action ponctuelle exclusive de toute autre) au pôle P-- R (action intégrée dans une circulation tactique complexe coordonnant plusieurs actions de jeu simultanées).
24Les modalités de l’échange de balle représentent des éléments qui sont à observer attentivement car elles renseignent objectivement sur le niveau du jeu dans un rapport de forces donné. Dans les exemples qui suivent nous allons du plus facile, en face à face à l’arrêt, au plus difficile quand un joueur se déplace rapidement et reçoit une balle suite à une trajectoire orthogonale par rapport à son déplacement.
25Attitude classique (Figure 12) chez les débutants, le lanceur et l’attrapeur sont immobiles en face à face et rapprochés (3 à 4 mètres). Cela donne lieu parfois à des déplacements en pas chassés latéraux avec toujours un angle très ouvert entre l’axe d’échange et l’axe de déplacement. La première différenciation (Figure 13) vient d’un début de mobilité du réceptionneur avec une balle lancée en avant de celui-ci. La distance entre les joueurs est faible avec un alignement dans la profondeur. Ce type d’échange de balle peut faire dire que les débutants jouent en jeu direct ou jouent dans l’axe quand le couloir de jeu direct est confondu avec l’axe but attaqué / but défendu.
26La figure 14 montre un porteur de balle qui est à l’arrêt ou en mouvement modéré et un receveur en mouvement dans la profondeur du terrain partageant ainsi la même orientation. La distance entre les joueurs est plus grande avec un angle légèrement ouvert. Le ballon est donné un peu en avant dans la course du joueur.
27La figure 15 illustre le fait de lancer le ballon dans un espace vide en avant du réceptionneur où celui-ci sera dans un instant. Ici, l’angle est très ouvert entre l’axe d’échange et l’axe de déplacement. La difficulté de ce type d’échange provient du timing très précis. En effet, la réception en course suppose de la part du passeur une lecture de la direction et de la vitesse de course du réceptionneur. Celui-ci propose par un déplacement orienté un espace disponible où il peut recevoir le ballon. On voit bien que la construction du lancer et de ses règles n’est pas une chose anodine mais un élément qui permet de déplacer le jeu en aidant à construire la profondeur.
28Ces différentes phases de jeu posent des problèmes au niveau des compétences motrices mais aussi des problèmes d’attention et de perception. Les compétences motrices pour l’attraper renvoient à des actions motrices du type amorti, blocage, aller chercher le ballon, le ramener vers soi qui sont bien décrites dans la littérature technique. La construction du point mort d’une trajectoire de balle constitue un élément clé pour fonder le point de rencontre entre soi et la balle. Des répétitions de petits jeux, des situations spécifiques en présence d’adversaires plus ou moins gênants entraînent l’ébauche de rudiments techniques. Ils permettent de passer d’un jeu qui nécessite un arrêt entre chaque échange à un jeu en mouvement qui bien sûr prend toute sa valeur en jeu sous contrainte temporelle. Cela permet de pouvoir passer d’un jeu indirect à un jeu direct voire à un jeu dans l’axe.
1. 6. Lancer et latéralité
29La conception classique de la « droiterie » et de la « gaucherie » amène l’observateur à privilégier, le travail de l’une ou de l’autre main, en fonction de son cadre de référence qui est devenu implicite au fil du temps. Or, si l’on cherche comment fonctionne une préférence dans une situation concrète, face à une tâche précise, on ne peut pas se contenter d’étudier tel mouvement abstrait de l’ensemble des attitudes du corps. Comment lance-t-on ? La réponse est qu’on lance différemment quand on lance une fléchette et lorsqu’on lance un ballon. La variabilité ne dépend pas que de l’objet, mais aussi des motivations attachées à la tâche. Dans le cas du lancer de fléchettes, ce qui compte, c’est la précision ; d’où l’importance attachée à la coordination main-oeil. Mais, ce qui frappant, c’est que, chez 95 % des sujets, c’est le pied homologue qui est en avant : pied droit pour le lanceur droitier, pied gauche pour le lanceur gaucher ; conclusion, quand on veut être précis, on lance à l’amble.
30Dans le cas du ballon, la précision est, certes importante, mais plus secondaire. Ce qui est important, c’est d’avoir une bonne force avec un chemin de lancement long pour obtenir si nécessaire un lancer puissant. Ici pour les droitiers, le pied d’appui est dans presque 100 % des cas le pied gauche.
31Néanmoins, avec un ballon, lancer à l’amble presque sans armer permet de tirer vite, précis et de surprendre les adversaires car ce n’est pas une forme de tir courante à laquelle s’attend l’adversaire direct.
2. L’échange de balle et les rapports de vitesse
32Pour représenter ces données temporelles dans le plan, nous proposons la notion de secteur d’action pour les attaquants et de secteur d’intervention pour les défenseurs. Ces secteurs définissent spatialement, les limites de l’action possible des différents joueurs par rapport à trois paramètres. Pour chaque joueur, sa position, le sens de son déplacement et sa vitesse définissent les changements possibles de direction et une quantité de terrain pouvant être parcouru en une seconde. La figure 16 illustre les différentes formes que peuvent prendre les secteurs en fonction de la vitesse des joueurs (cf. Gréhaigne & Bouthier, 1994). Il est à noter que le secteur qui permet l’intervention la plus grande correspond à la vitesse de 6 m/s, c’est donc la vitesse qui offre le meilleur rapport temps / espace.
33Nous allons envisager maintenant quelques situations d’affrontement qui assurent la conservation de la balle en situation d’échange de balle. Dans une analyse préliminaire, les configurations suivantes doivent être respectées dans une séquence de jeu pour que le ballon soit conservé.
34Cas n° 1 : sur ce type de passe, aucun défenseur n’est en barrage entre les deux secteurs d’action d’où les joueurs s’échangent la balle (Fig. 17). La balle ne traversera aucun secteur d’intervention car le porteur de balle et le réceptionneur sont soit libres de tout mouvement, soit en avance sur le replacement des défenseurs.
35Cas n° 2 : pour un échange de balle plus risqué quand le ballon traverse (entre et sort) la limite d’un secteur d’intervention, le temps mis par la balle entre la frappe et le franchissement du secteur (noté à une seconde sur le dessin) doit être inférieur au temps mis par le défenseur pour couper la trajectoire de la balle. La balle doit arriver dans un secteur d’action libre ou partiellement libre dans le cas d’une passe (Fig. 17).
36Cas n° 3 : une balle non interceptable doit partir d’un secteur d’action libre ou partiellement libre et parvenir dans un autre secteur d’action lui aussi libre ou partiellement libre. Le ballon doit être passé quand le défenseur est à même de le récupérer. Dans le cas d’une frappe amenant un but, seul le secteur d’action buteur doit être libre ou partiellement libre (Fig. 18).
37Cas n° 4 : le secteur d’action avant ou latéral d’un joueur décidant de se déplacer avec la balle, avant de la passer, doit être libre ou partiellement libre (prise d’avance) pour permettre la réussite de l’action. En général, le porteur de balle fait, plus ou moins, corps obstacle entre le ballon et le défenseur (Fig. 19). Parfois, il se sert d’un écran fait par un partenaire.
38Cette méthode d’analyse permet d’objectiver les choix tactiques des porteurs de balle dans le cadre d’un mouvement collectif. Cette modélisation (secteur d’action et d’intervention) établie en fonction de la position, du sens de déplacement et de la vitesse des différents joueurs ainsi que la mise en place de configurations assurant la conservation de la balle, peut permettre de déterminer si les joueurs réalisent effectivement les choix qui s’imposent pour assurer la continuité de l’action. En effet, dans le cas de l’échange de balle passeur / réceptionneur, les différents états du système attaque / défense sont indissociablement liés à des décisions individuelles. Certes la circulation du ballon est une chose importante en sport collectif, mais dès que l’équilibre entre les deux équipes se met en place, la circulation des joueurs devient prépondérante. En une seconde la distance parcourue par un ou plusieurs joueurs en fonction de leur vitesse ou de leur accélération peut être importante d’où l’intérêt de ce type d’observables.
3. Discussion
39Du point de vue de l’analyse de la pratique, Bourdieu (1980, p. 136) met en garde contre des analyses mutilantes. « Passer du schème pratique au schéma théorique, construit après la bataille, du sens pratique au modèle théorique, qui peut être lu soit comme un projet, un plan ou une méthode, soit comme un programme mécanique, (…), c’est laisser échapper tout ce qui fait la réalité temporelle de la pratique en train de se faire ». En effet, la technique se déroule dans le temps, sa structure temporelle, c’est-à-dire son rythme, son tempo et surtout son orientation, est constitutive de son sens. Dans les activités physiques et sportives, toute manipulation de cette structure, par un simple ralentissement ou une accélération, lui fait subir un changement fondamental. Les compétences motrices sont entièrement immergées dans le temps, non seulement parce qu’elles s’utilisent dans le temps, mais aussi parce qu’elles jouent stratégiquement du temps, en particulier en utilisant les variations de vitesse dans les rapports d’opposition.
40Dans ce chapitre, nous avons donc choisi de décrire les compétences motrices à partir des postures et des aspects dynamiques que l’on doit mettre en œuvre pour réussir. Au plan individuel, les catégories utilisées pour rendre compte des actions de jeu du joueur ont été l’espace moteur des actions avec / sur le ballon, l’échange de statut passeur / réceptionneur et enfin, les rapports de vitesse. Ici, la technique au sens courant du terme n’est pas assimilée « à un geste, une expérience individuelle (ou collective) dépersonnalisée, transmise et capitalisée, en une manière de faire séparée de ses raisons de faire, l’acte dépouillé de ses motifs » (Fabre, 1972, p. 39). En effet, dans les sports collectifs, à côté de la tactique collective, il y a aussi une tactique individuelle, dénommée improprement par certains spécialistes « technique individuelle ». La technique sportive ne peut être qu’individuelle, car elle concerne le joueur, et elle a comme fondement la connaissance des procédés spécifiques de la manœuvre du ballon, ainsi que l’accomplissement de certains mouvements sans ballon en relation avec l’évolution des configurations du jeu. La tactique individuelle, suppose l’intervention du raisonnement dans l’utilisation des procédés techniques connus des joueurs. La tactique individuelle, c’est donc choisir la « bonne technique », bien exécutée et appliquée au bon moment en fonction de l’évolution du jeu. Un bon joueur engagé dans le jeu, pris par le jeu, s’ajuste non seulement à ce qu’il voit, mais aussi à ce qu’il prévoit, passant la balle non point où se trouve son partenaire mais au point que celui-ci atteindra dans un instant (à condition bien entendu que le réceptionneur soit à distance de passe). Il décide aussi en fonction des probabilités d’évolution du jeu, avec, autant que possible, une appréciation globale et instantanée de l’ensemble des adversaires et des partenaires.
41Tout cet ensemble donne du sens à la trame dynamique de transformation que constitue le jeu dans les sports collectifs. Néanmoins, pour des joueurs, une même adaptation à un affrontement donné dépendra de la combinatoire de différents facteurs donc de niveaux d’organisation où la hiérarchie entre les habitudes perceptives, les compétences motrices, les règles de l’organisation du jeu et les règles d’action sera fort différente pour un résultat apparemment semblable. Pour pouvoir jouer ensemble, un sens partagé, une enveloppe commune dirait Deleplace (1979) est à construire par les partenaires pour pouvoir lire le jeu de façon collective.
4. Conclusion
42Le modèle de fonctionnement, de développement et d’évaluation du joueur de sport collectif qui vient d’être esquissé met l’accent sur la pluralité des réponses et sur la nature des relations qu’elles entretiennent dans le fonctionnement du sujet. Cette vision du joueur semble universelle dans la mesure où le répertoire des processus est le même pour tous les sujets. Elle est différentielle dans la mesure où la hiérarchie entre les éléments du système de variables est changeante selon les équipes et / ou selon les individus. Ce type de fonctionnement fait de l’interaction entre ces processus et les modes de traitement une source de développement du joueur. Cette approche pluraliste admet, par construction, qu’un même problème puisse être résolu par des réponses différentes. Elle ne situe pas les différences entre joueurs seulement dans les propriétés des situations mais aussi dans les modes de représentation et de traitement qu’elles sollicitent en un mot au sens que le joueur leur attribue.
43Un autre facteur limitant bien connu est que l’exécution motrice d’un choix tactique est coûteuse en énergie mais, depuis une décennie, il apparaît que l’activité mentale est elle aussi consommatrice d’énergie. Le potentiel athlétique du joueur est donc important à la fois au regard de la charge physique mais aussi de la charge mentale représentée par son activité (Bouthier, 1989). La fatigue est en effet non seulement perturbatrice de la maîtrise d’exécution, elle affecte aussi surtout la lucidité des choix.
Auteurs
GRIAPS. IUFM de l’Université de Franche-Comté
GRIAPS. IUFM de l’Université de Franche-Comté
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