Des poèmes mis en bouche, gestualisés et chorégraphiés pour la classe de langue1
p. 165-175
Texte intégral
Je n’enseigne rien à mes élèves.
J’essaie seulement de créer des conditions
dans lesquelles ils peuvent apprendre.
A. Einstein
1Donner la possibilité aux sujets apprenants d’investir la multidimensionnalité de l’oral en Langue étrangère a toujours été au cœur de mes recherches (Agnès Marcelli) en tant que praticienne et didacticienne. Il m’importe donc que les dimensions verbales, non verbales, vocales, communicatives, et situationnelles puissent être abordées et expérimentées au sein même de de l’espace classe.
2Mon implication gestuelle et physique dans l’enseignement du Français Langue Étrangère (FLE) d’abord intuitive et spontanée, nourrie de ma formation au Conservatoire d’Art Dramatique de Besançon et de ma pratique de la danse m’a naturellement conduite à détourner des techniques usitées dans le cadre de ces pratiques artistiques pour mieux aborder et développer l’oral en Langue étrangère (LE).
3Par ailleurs, ma volonté de comprendre le processus d’ancrage de la LE au cœur même de l’entité vivante, physiologique, individuelle et particulière des sujets apprenants (SA) m’a amenée à questionner les processus mnésiques en jeu dans la classe de langue2, d’où mon intérêt pour les neurosciences et la neurodidactique. En effet, les recherches actuelles en neurosciences qui recouvrent la neurophysiologie du langage, les sciences cognitives et ses transferts en didactique des LE permettent aujourd’hui à la neurodidactique de fonder et d’accompagner scientifiquement l’action de l’enseignant dans sa fonction agissante et transformationnelle sur le SA.
4Ainsi, penser l’intégration d’une LE dans un espace-temps limité et inviter l’éphémère de l’oralité à s’y exercer implique la mise en œuvre d’un dispositif complexe qui convoque et active simultanément le SA à différents niveaux : physique à travers la conscience et la mobilité de son corps et de sa voix ; perceptif et mnésique à travers ses facultés auditives et vocales, visuelle, auditive, kinesthésique auxquelles viendront s’ajouter ses dimensions psychologiques, identitaires et culturelles. Ainsi, la LE est-elle amenée à s’inscrire intimement dans l’histoire de chaque SA.
5Cependant, aussi intime soit-elle, l’inscription profonde de la langue s’exerce essentiellement à travers l’altérité et la relation au monde qui nous entoure. C’est pourquoi, j’ai très tôt ressenti le besoin d’investir l’espace-temps de la classe comme un lieu privilégié, un laboratoire des échanges, espace sécurisé où l’ensemble des tentatives pour produire des sons, habiter la parole dans son corps, déraper, buter, sentir l’ambigüité d’une situation, questionner l’erreur et déjouer les malentendus sont rendus possibles en toute simplicité. Jouer à comprendre, à parler, à s’exprimer en LE pour mieux éprouver la langue et ses usages, sa portée mais aussi les règles, les rites et les cadres qu’elle présuppose au sens de Erving Goffman.
6C’est dans cette intention que j’ai introduit la poésie dans ma classe de FLE et que j’ai ensuite affiné cette pratique en observant de multiples effets sur les SA et le groupe classe.
7L’invitation à participer aux journées d’études consacrées à François Migeot m’a permis de continuer et de partager l’exploration menée en classe et d’aller bien au-delà en imaginant l’ensemble du travail didactique dans le cadre d’une performance collective poétique, chorégraphique et plastique retranscrite à la fin de cet article.
Corporéité et sonorité
8Pour pouvoir entrer en relation avec l’autre, le SA doit d’abord entrer en relation avec sa propre corporéité. Il s’agit pour lui d’explorer l’ensemble de ses outils internes et externes, corps, voix, mémoires dont il fait usage naturellement dans sa Langue Maternelle (LM) et qui peuvent affecter sa performance en LE.
9Tout d’abord le corps. Identifier le corps comme outil. Lever le corps, sortir de la posture assise et d’homme-tronc que propose l’aménagement traditionnel de l’espace-classe. Être avec son corps sans outils transitionnels, crayons, stylos, cahier, écran, pour être disponible et réceptif à son environnement. Car on pratique une langue dans toutes les postures qui soient, assis, debout, couché, voyant, à l’aveugle, seul ou à plusieurs.
10Actualiser la posture du corps avec la voix car « La voix émane du corps entier et pas seulement de l’appareil phonatoire. Le corps est un organe vocal.»3. Créer les possibles et se sentir libre d’ajuster l’ensemble de ces outils naturellement, tel est, pour moi le chemin vers l’appropriation en LE.
11Comme l’ont montré différents travaux en phonologie, avoir une perception de sa propre voix est toujours difficile, et entrer dans un nouvel univers linguistique et donc sonore nécessite tout à la fois une attention fine à cette nouvelle matière sonore et un apprivoisement de sa voix « autre » dans cette LE. Ainsi, le paysage sonore doit-il être donné, entendu, reconnu pour être reproduit et la reconnaissance, la discrimination, la récurrence des sons suffisamment pertinente pour devenir préhensible et familière par le SA dans la chaîne sonore parlée. La prosodie, telle que les recherches de R. Llorca4 et les travaux sur l’Imagerie cérébrale fonctionnelle (ICf) le montrent, permet de dégager des unités de sens impliquées dans le processus d’appropriation d’une LE.
12Les données de l’ICf et les Potentiels Evoqués (PE) accordent aux éléments prosodiques, tels que la durée, la mélodie des sons, le rythme, l’intonation, l’accent etc. une importance primordiale dans l’acquisition et l’apprentissage du langage. La prosodie nous permet de séparer les uns des autres lors de l’audition d’une phrase5.
13L’ensemble de ces recherches prouvent que la prosodie qui sollicite les mêmes circuits neuronaux que la musique, joue un rôle fondamental dans le traitement du langage, en particulier dans l’exploitation de la syntaxe. La prosodie est aussi intimement liée à la sémantique et l’ICf montre aussi les rôles majeurs des fonctions émotionnelle et de l’attention. Ainsi, l’écoute s’accompagne d’une capacité attentionnelle et d’une ouverture émotionnelle qui sont favorables à l’intégration et à la reproduction des sons. Cette double disponibilité doit donc être prise en compte pour l’introduction d’activités orales en LE. Comme le fait que notre cerveau soit d’abord plus réceptif à l’oral qu’à l’écrit.
14Enfin, l’organe vocal agit rarement seul ; l’émission de la voix s’accompagne d’un ensemble de gestes, mimiques, à même d’accompagner, réguler, illustrer, ponctuer la transformation d’une pensée en langage et s’actualisant en temps réel :
La gestuelle, les attitudes et la mimique sont indissociables de l’expression orale car elles la complètent. Leurs aires corticales respectives sont d’ailleurs contigües et interconnectées. La même zone du cerveau pour la valeur symbolique des mots, des gestes et des expressions du visage. (Ibid.)
15De même l’interdépendance de la dimension prosodique, articulatoire et kinésique est indispensable au processus cognitif et au traitement de l’information. Cette plongée pluridimensionnelle en LE met en éveil l’ensemble des sens, auditif, visuel, kinesthésique des SA et permet de poser les fondations expérientielles nécessaires à l’intégration et à l’individuation des SA dans cette LE. L’oral en classe de langue ne peut donc faire l’économie d’une approche multimodale de la langue, c’est-à-dire de son « jaillissement » où l’interconnexion gestes, paroles, mouvements se crée et s’exprime en soi, face à un autre ou d’autres.
16C’est dans le but d’entraîner et d’aborder l’ensemble de ces éléments corporels, gestuels, verbaux, non verbaux, émotionnels, culturels et sensibles que j’ai développé une pratique poétique pour la classe de langue.
17Pour transmettre au mieux cette pratique de classe, je m’appuierai à partir de maintenant sur le texte de Sylvie Lidolf, étudiante en Master 2 venue observer ma classe d’expression et de compréhension orales au Centre de Linguistique Appliquée (CLA) pendant un semestre, avec laquelle j’ai pu échanger, et qui a bien retranscrit et analysé cette activité pédagogique menée ici avec des étudiants de nationalités différentes, de niveau C1.
Apprendre un poème dans une classe de FLE
L’espace du texte oral
18Les étudiants, à leur entrée en classe, sont assis derrière leurs tables qui se font face : une rangée sous les fenêtres, l’autre adossée au mur opposé de la salle. Le bureau de l’enseignante se trouve à l’extrémité, de façon perpendiculaire, mais elle est toujours debout, et jamais derrière son bureau qui ne sert en réalité qu’à déposer ses effets personnels.
19Pour Agnès Marcelli, il y a un lien fort entre apprentissage de la langue et façon d’occuper l’espace de la classe. Effectivement, se positionner physiquement dans un espace donné conditionne notre prédisposition mentale à communiquer, ou non, avec les autres, tout comme la disposition des éléments dans cet espace conditionne les interactions interindividuelles (d’ordre hiérarchique par exemple), comme la modalité des échanges (registre de langue par exemple).
20Dans son cours d’oral, A. Marcelli est attentive à supprimer tout ce qui peut constituer un obstacle à la communication. Elle veille à trouver la juste distance entre les étudiants et elle, et entre les étudiants eux-mêmes. Ainsi, l’invitation à se lever et à se mettre en rond dans un cercle formé par tous est un élément-clé. Cette disposition spatiale particulière incite à une qualité d’attention, individuelle et collective, ainsi qu’à une plus grande disponibilité mentale et physique. Chacun est présent aux autres, en occupant une place d’importance égale. Pas moyen de se cacher derrière un plus imposant, pas moyen de se tourner vers un plus charismatique : tous se voient dans l’intégrité de leur corps individuel, mais avec une vision simultanée de l’ensemble des corps.
21Dès la première séance, l’enseignante a proposé de mémoriser un texte poétique de la façon suivante : tous les étudiants étaient invités à se mettre en cercle, debout, dès le début du cours. L’activité est reprise rituellement à chaque nouvelle séance. Elle dure environ 15 minutes. L’enseignante est, elle aussi, dans le cercle formé par tous.
22Elle a au préalable, découpé en syntagmes phonétiques et sémantiques les phrases qu’elle veut faire mémoriser par les étudiants. Elle commence en donnant à écouter le premier syntagme : « Le monde » ; chacun à son tour répète ; puis elle ajoute : « Le monde a rendez-vous », et chacun reprend. À chaque nouveau tour, elle ajoute un segment qu’il s’agit d’intégrer au début déjà mémorisé, sur le principe surréaliste du cadavre exquis. À la fin de la première séance, c’est-à-dire au bout des 15 minutes de début de cours consacrées à cette activité, les étudiants ont appris : « le monde/ a rendez-vous / encore / Bonnard / lui a toujours / tenu tête ». Au cours des séances suivantes, une fois la chaîne sonore mémorisée, l’enseignante explicite le sens de chaque mot et demande qu’un geste soit proposé. Le geste peut être illustratif ou complètement abstrait. Ensuite un étudiant répète les mots et les gestes qu’il choisit à l’intérieur du cercle, devenant le leader temporaire du groupe qui reprend après lui le texte dit et mis en gestes, par imitation, comme en écho. Le circuit choisi part donc du son vers le sens pour arriver à une expression vocale et gestuelle, avec des variations individuelles et collectives.
Un rituel d’ouverture pour être dans la classe
23L’aspect ritualisé de cette activité permet à l’ensemble des étudiants et à l’enseignante de se mettre en place sans perdre de temps, sans avoir à répéter les consignes, comme une base de travail, un échauffement auditif, vocal et gestuel. La dimension ludique, coopérative et dynamique de l’activité entraîne l’adhésion naturelle des étudiants.
24La stimulation de tout le corps génère un réveil de toutes les facultés sensorielles et des capacités mentales et intellectuelles de chacun. Au lieu de ne stimuler qu’un circuit cognitif à la fois, des interactions sont sollicitées entre les différents circuits sensoriels entraînant très certainement une circulation d’énergies différentes : chacun devient présent dans le groupe de façon entière, avec tout son corps, son mental, debout dans la stabilité de cette position qui permet à l’énergie de jaillir de soi, mais qui favorise aussi l’émergence du mouvement, des interactions avec les autres, et donc la possibilité d’une évolution, la naissance de quelque chose de vivant, de créatif.
25Enfin, une concentration particulièrement aiguisée est nécessaire pour mener à bien cette activité, contribuant à rendre chacun intensément présent. La mémorisation du texte fondée exclusivement sur l’écoute à l’oral, exige de la part des étudiants une attention accrue dans la circulation des sons et des mots qui cheminent dans le cercle. Il est à noter que le texte écrit ne sera découvert par les étudiants que la veille de la représentation en public, à la fin des répétitions : aucune prise de notes n’est demandée par l’enseignante, aucun support écrit n’est distribué.
Répétition…
26On pourrait faire le rapprochement avec la musique jazz qui d’ailleurs se transmet beaucoup par l’oreille. Il s’agit d’écouter d’abord, avant de reproduire la musique des autres, puis d’improviser. Les répétitions (moment où les musiciens se retrouvent pour s’entraîner) servent donc à apprendre à s’écouter les uns les autres, pour développer ensuite chacun son propre langage, essayer des choses nouvelles, s’entraîner à improviser ensemble, en accord avec les autres sur un thème commun à tous.
27Il s’agit donc de faire exister d’abord un espace-temps d’écoute et de répétition des sons de la langue sans intention particulière, presque pour leur matérialité brute, pour le plaisir des sons et de leur tempo propre. L’aspect répétitif permet de gagner en assurance, en confiance, mais génère également des tentatives différentes à chaque fois, faisant vivre de façon plurielle les mêmes paroles, dans une créativité collective dont le but prioritaire avoué est d’expérimenter en s’amusant. André Breton disait de même du cadavre exquis : « Bien que par mesure de défense, parfois cette activité ait été dite, par nous, « expérimentale », nous y cherchions avant tout le divertissement. Ce que nous avons pu y découvrir d’enrichissant sous le rapport de la connaissance n’est venu qu’ensuite »6.
28L’objectif implicite, non conscient, de cette activité développée par A. Marcelli, procède de la même façon : l’absence d’explicitation sémantique engendre un cheminement plus durable car intimement vécu par chacun qui est perturbé dans sa nécessaire quête de sens.
29Par ailleurs, la mise en abyme de la répétition d’une séance sur l’autre permet l’incorporation du texte et fortifie la mise en mémoire. La reprise du texte d’une semaine sur l’autre (car la séance est hebdomadaire) met en marche une intériorisation et une maturation inconsciente qui opèrent dans ce temps de veille entre deux séances, temps essentiel dans l’apprentissage dont on oublie souvent de prendre la mesure.
… et variations sur le même thème
30Une fois la mémorisation amorcée, il va s’agir pour A. Marcelli de proposer des variations amenées sous la forme de contraintes, à même de faire travailler les étudiants sur la matière sonore : prosodie, intonation, émotions, intentions, espace de la communication verbale et non verbale. La matière textuelle est travaillée en chœur, en quatuor, en trio, en duo, en solo. Il s’agit de la travailler avec des émotions différentes : la colère, la peur, la joie, la tristesse, la surprise, le dégoût ; en jouant sur le tempo : lent, rapide, en échos ; avec des postures variées : face à face, comme dans un miroir, ou à l’aveugle, dos à dos, en écho, en s’imitant ou par un jeu d’opposition. Ainsi s’entendent, s’accordent des voix différentes : sa propre voix travaillée dans des nuances, des couleurs, des sonorités qui peuvent différer à chaque fois, confrontée à celles des autres.
31Ici, le poème n’est plus du tout utilisé dans une structure qui fait sens mais comme matière sonore où la prosodie et la mimogestuelle vont donner une couleur émotionnelle aux mots. Cette pratique permet aux étudiants d’improviser et d’éprouver cette production en étant détachés de la dimension sémantique, la prise de distance d’avec le sens va ainsi révéler l’étrangeté entre mots et émotions recherchées. Cette géométrie variable implique une qualité d’écoute, des distances de travail et des collaborations diverses qui fondent l’histoire et l’expérience du groupe-classe propice à la création d’entraides et de réflexions communes où les particularités individuelles viennent nourrir les échanges et ne cherchent pas à être standardisées.
Goûter la langue de l’autre
32À travers cette activité, il s’agit surtout de répéter les paroles d’un autre, absent physiquement : le poète. Par là, chacun est amené à cheminer pour décrypter, interpréter les sens de ses paroles, écouter les résonances de ses mots dans sa propre histoire, sa singularité, tout comme à trouver les significations possibles. Ainsi la répétition de paroles qui n’émanent pas de soi, dont on n’a pas besoin d’imaginer le sujet, le propos, la syntaxe, la grammaire, la correction, évite une communication « molle », dénuée d’échanges véritables. L’activation de la parole contrainte par des consignes de recherches qualitatives engendre un détournement de l’attention : plus besoin de réfléchir sur la fabrication du matériau qui sort de sa bouche, celui-ci, dans sa matérialité acoustique se donne comme une nourriture qu’on peut choisir d’avaler toute crue, ou de savourer en la laissant fondre ; c’est de l’art de l’incorporation de la langue qu’il s’agit ici ! Et c’est dans la répétition de cet acte que l’étudiant prend goût, ou non, à avoir cette langue en bouche, pour finalement l’intégrer mentalement avec le plaisir qu’il y a attaché durablement. C’est de cet engagement dans la langue, à la fois physique et affectif, dont il est finalement question ; et c’est à petites doses, mais dans la répétition, et à travers la multiplication d’essais désinhibés que la langue s’installe progressivement et durablement parce que chacun a pu se l’approprier.
33Si l’on questionne la perception que les étudiants ont de cet exercice, ils citent l’aspect ludique et le gain en confiance que leur a apporté cette activité : « Chaque proposition individuelle pourrait paraître ridicule, absurde ou banale, mais quand on met toutes les propositions, les idées de chacun ensemble, ça devient intéressant, original, amusant… C’est ensemble qu’on finit par créer quelque chose d’intéressant. »
34Ils disent être davantage à l’aise au sein de la classe, avoir appris à travailler ensemble, à coopérer ; la gêne de parler français entre eux s’est peu à peu estompée et ils se sont sentis plus confiants pour prendre la parole en français en dehors de la classe.
35Enfin, cette activité leur a permis de découvrir leur capacité de mémorisation et, au bout du compte, on ressent leur fierté. « D’avoir pu mémoriser un texte poétique aussi long en français : ça m’a étonnée ! », dit une étudiante à la fin du semestre.
36On pense à un passage de Chagrin d’école, de Daniel Pennac, dans lequel le maître, comparé à un maître nageur, découvre l’autonomie de ses élèves face au texte étudié en classe :
Ils commençaient à jouir de leur mémoire. Ils ne s’y attendaient pas du tout. On eût dit la découverte d’une fonction nouvelle, comme s’il leur était poussé des nageoires. Tout surpris de si vite se souvenir, ils répétaient le texte une deuxième fois, une troisième, sans accroc. C’est que l’inhibition levée, ils comprenaient ce dont ils se souvenaient. Ils ne se contentaient pas de réciter une suite de mots, ce n’était plus seulement dans leur mémoire qu’ils s’ébrouaient, c’était dans l’intelligence de la langue, la langue d’un autre, la pensée d’un autre.7
En guise de conclusion
37Habituellement, la pratique de cette activité en classe est restituée par le groupe pendant la fête des étudiants qui marque la fin du semestre au CLA. Cette présentation publique est toujours un moment important, c’est un moment de partage où la performance des étudiants est gratifiée par l’écoute et les applaudissements. Les poètes choisis diffèrent selon les années.
38À l’occasion des journées d’études autour des travaux de François Migeot au CLA, j’ai choisi d’exploiter son livre de poésie sur Bonnard, Maintenant, il est temps . En m’immergeant dans cet univers textuel et pictural, j’ai très vite été sensible à la composition des images, j’ai donc choisi de constituer mon intervention comme une lecture à plusieurs voix et en tableaux vivants et mobiles, en hommage à ces deux artistes. Mes étudiants, ayant eu François Migeot comme enseignant en littérature, étaient très motivés à l’idée de participer à cet événement et de lui faire un cadeau, une surprise. La performance publique s’est déroulée dans la médiathèque du CLA qui constituait un cadre magnifique pour notre projet8. Ce fut un très beau moment.
Bibliographie
Bibliographie
BRETON, A., 1954, « L’un dans l’autre », in Médium : Communication surréaliste, n° 2.
FUENTES, V., 1994, « La voix du corps », in O. Aslan (éd.) Le corps en jeu, Arts du spectacle, CNRS Éditions, Paris.
HUC, P. ; VINCENT SMITH, B., 2008, « Naissance de la neurodidactique », in Le Français dans le Monde, n° 357, p. 30-31.
LIDOLF, S., 2016, Le carnet de voyage, un outil didactique innovant au service de l’interculturalité, Master 2 Ingénierie de la formation (Didactique du FLE-FLS), Université de Franche-Comté.
LLORCA, R., 1998, « Rythme et création une recherche musicale sur le français parlé », in Le Français dans le Monde, n° 296, p. 35-37.
MARCELLI, A., 1998, Temps, apprentissage, mémoire et enseignement en contexte endolingue, Diplôme d’Études Approfondies, Université de Franche-Comté.
MIGEOT, F., 2011, Maintenant, il est temps. Pierre Bonnard, Besançon, Virgile.
PENNAC, D., 2007, Chagrin d’école, Paris, Gallimard.
Annexe
Annexe. Transcription de la performance artistique
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Bonjour et bienvenue dans ce magnifique lieu où s’échangent silencieusement et patiemment les mots, les idées, les langues vivantes. Nous sommes ici pour jouer avec François Migeot et Pierre Bonnard. Ce dernier cherche, déploie les couleurs pour dire son regard sur le monde. François cherche, déploie les mots pour dire, sentir, ressentir les couleurs au monde.
Dans ce jeu, car il s’agit bien d’un jeu, où poète et peintre exposent leur âme d’enfant éclairée par la sagesse première d’une vie qui passe, Pierre et François dialoguent. Ce qui m’intéresse chez ces deux artistes, c’est la dimension expérientielle, sensorielle, temporelle de leur œuvre qui fait de chaque son, chaque mot, chaque regard, chaque geste un tableau singulier pour celui qui lit, qui regarde. Il m’intéresse d’observer la résonance chez moi, chez l’autre… C’est pourquoi j’ai invité, pour jouer avec nous, des étudiants, amis explorateurs, malaisiens, brésiliens, koweitiens, syriens pour ce partage, car poésie et peinture n’existent, pour moi, que dans le regard partagé.
Nous allons traverser, fréquenter ensemble, non des thèmes comme l’a dit Pierre-Yves Soucy, mais les conditions mêmes de cette poésie, de cette peinture. Nous vous proposons de baigner dans les mots et de goûter les couleurs de la vie quotidienne, vivante, vivace même, avec son alphabet du geste.
Nous sèmerons les détails qui font le charme d’un instant « dans la voix qui se fera entendre, fond musical de la langue, esquisse rythmique », mots que j’emprunte à Claude-Louis Combet.
Nous évoquerons la puissance de la beauté du corps, essentiellement féminin, et d’un regard amoureux, essentiellement masculin, quoique…
Enfin, nous partagerons, dans l’espace et le temps, l’originalité essentielle et vitale de la nature qui n’est jamais usée, ainsi que l’explique Rolf Borzide, décorateur de Pina Bausch, et qui s’offre perpétuellement, gratuitement, simplement à la contemplation.
La règle du jeu est : écouter, regarder, goûter.
C’est le temps du jeu.
Maintenant, il est temps !
Gong
Premier tableau : Autoportrait
Portrait du peintre par lui-même.
Bonnard assis se regarde dans un miroir.
Scène de passants, arrêts sur image.
Bonnard part en appelant Marthe et Judith.
Second tableau : Le bol de lait ; La veillée ; Marthe à la pendule
Déplacement d’objets pour marquer les tableaux.
Le bol est posé, fin.
Lecture du texte en demi-cercle, un mot chacun.
Troisième tableau : Corps féminins.
Les garçons lisent, les filles reproduisent les postures peintes par Bonnard.
Installation en musique, un étudiant au piano joue Erik Satie, Gymnopédie n° 1. Quatrième tableau : Nature morte / Latelier au mimosa.
Objets, vases, fleurs jaunes, corbeille de fruits.
Lecture gestualisée.
Les textes sont déposés au sol.
Fin.
Musique, au piano, Claude Debussy, Clair de lune.
Notes de bas de page
1 Cette contribution ne reprend pas une communication prononcée lors des journées d’étude, mais rend compte de la présentation par les étudiants d’Agnès Marcelli-Ratte d’une performance poétique lors de ces journées de mai 2015. Elle intègre une description des pratiques de classe (« Apprendre un poème dans une classe de FLE ») élaborée par Sylvie Lidolf dans son mémoire de master 2 en Ingénierie de la formation (Didactique FLE/FLS). Ce mémoire, préparé au CLA sous la direction de Régine Llorca et soutenu en 2016 est intitulé Le carnet de voyage, un outil didactique innovant au service de l’interculturalité (Note des éditrices).
2 Agnès Marcelli, Temps, apprentissage, mémoire et enseignement en contexte endolingue, Diplôme d’Études Approfondies, Université de Franche-Comté, 1998.
3 Vincent Fuentes « La voix du corps » in O. Aslan (éd.) Le corps en jeu, Arts du spectacle, Paris, CNRS Éditions, 1994, p. 60-62.
4 Régine Llorca, « Rythme et création une recherche musicale sur le français parlé », in Le Français dans le Monde, n° 296, 1998, p. 35-37.
5 Pierre Huc et Brigitte Vincent-Smith « Naissance de la neurodidactique », in Le Français dans le Monde, n° 357, p. 30-31.
6 André Breton, « L’un dans l’autre », in Médium : Communication surréaliste, n° 2, 1954, p. 17.
7 Daniel Pennac, Chagrin d’école, Paris, Gallimard, 2007.
8 Voir annexe ci-après.
Auteurs
Formatrice, plasticienne. UFC-CLA-ELLIADD
Docteur en sciences du langage (2004) ; ses recherches portent sur l’optimisation de l’espace / temps d’enseignement et d’apprentissage en Français Langue Étrangère. Plasticienne et praticienne en danse et en théâtre, elle étudie depuis 2008 l’impact d’une mobilisation physique des apprenants et des gestes poétiques en relation avec les mémoires : kinesthésique, sensorielle, affective et esthétique pour l’appropriation de l’oral en FLE. Membre de l’Institut de Neurodidactique International, elle est professeur contractuel pour l’Éducation Nationale.
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