Égalité des sexes et EPS : quelles représentations dans les textes officiels de l’Éducation Nationale pour quelles situations d’apprentissage ?
p. 201-215
Texte intégral
Introduction
1En 2012, l’arrivée de François Hollande à la présidence de la République a ouvert au sein de l’Éducation Nationale une séquence politique marquée par la réaffirmation des objectifs d’égalité des sexes dans le champ scolaire. Prenant acte de la non-application des textes officiels incitant depuis les années 1980 les enseignant.e.s à promouvoir l’égalité des filles et des garçons dans leur classe et à questionner les stéréotypes de sexe (IGEN, 2013), l’institution, en partenariat avec le ministère des droits des femmes dans un premier temps, a cherché à se doter d’outils à même d’aider les enseignant.e.s à prendre en compte cette question, en mettant tout d’abord l’accent sur le premier degré. Suite à un certain nombre d’oppositions qui se sont exprimées avec force dans l’espace public, elle a toutefois été amenée à réajuster ses ambitions. En trois ans, de 2013 à 2016, au gré de ces rapports de force politiques, un certain nombre de textes portant sur l’égalité des sexes à l’école a ainsi été publié, notamment pour l’EPS, au sein des programmes, dans des documents d’accompagnement, ou séparément, dans des documents spécifiques.
2Ce chapitre se propose de les étudier, en se centrant sur le premier degré supposé être le fer de lance de la politique mise en œuvre. Quelle prise en compte des questions relatives à l’égalité des sexes dans les textes produits par l’Éducation Nationale pour la discipline Éducation Physique et Sportive (EPS) pour ce niveau d’enseignement ? L’objectif de cet article est d’analyser les différentes propositions afin de mettre en évidence les orientations choisies, les manques éventuels, les points de tension et les leviers de transformations des pratiques identifiés dans ces textes. Nous faisons en effet l’hypothèse que derrière une ligne directrice commune - promouvoir l’égalité des sexes -, elles recourent à des représentations non unifiées de ce à quoi renvoie cette égalité et s’inscrivent dans des conceptions différentes de la discipline, notamment pour ce qui concerne les références culturelles, en lien avec la lutte contre les inégalités. Ce sont ces représentations implicites que nous souhaitons mettre à jour afin d’envisager ce qu’elles sous-tendent en terme d’incitation de mises en œuvre dans les classes.
1. Corpus et méthodologie
3Trois groupes de textes sont étudiés. Ils s’inscrivent tous dans la séquence politique initiée en 2013 par le ministère de l’Éducation Nationale dans le cadre de la Refondation de l’école voulue par le ministre Vincent Peillon, visant, à rendre effective l’application des textes officiels en faveur de l’égalité des sexes à l’école.
4Les premiers textes ont été proposés dans le cadre du programme « expérimental » des ABCD de l’égalité. Mis en œuvre dans le premier degré à la rentrée de septembre 2013 dans 10 académies sur les 30 académies métropolitaines et d’Outre-mer, ce projet entend favoriser « la transmission des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, […] une des missions essentielles de l’école » (MEN, 2014, p. 1). Son objectif est de « lutter contre la formation [des] inégalités dès le plus jeune âge en agissant sur les représentations des élèves et les pratiques des acteurs de l’éducation » (p. 1). Outre des conférences d’universitaires et de formateur.rice.s diffusées en ligne sur le site consacré au dispositif, l’institution propose dans ce cadre un certain nombre d’outils pédagogiques à destination des enseignant.e.s, qui prennent le plus souvent la forme de séquences pédagogiques. Celles-ci devaient être étoffées progressivement, ce qui n’a pas été fait suite à la non-reconduction du projet. Les fiches mises en lignes durant l’année scolaire 2013-2014 portent sur l’enseignement artistique (5 fiches en histoire des arts, littérature…) et l’EPS (5 fiches). Une grille d’observation portant essentiellement sur les interactions en classe est également proposée ainsi qu’une bibliographie. Ce sont les cinq fiches pédagogiques consacrées à l’EPS qui nous intéressent ici.
5Les polémiques autour de l’enseignement de ce que ses opposant.e.s ont appelé « la théorie du genre » ont amené le ministre de l’Éducation Nationale à supprimer les ABCD de l’égalité à la fin de l’année scolaire 2014. Pour autant, il n’est pas officiellement mis un terme aux actions en faveur de l’égalité des sexes à l’école. Les ABCD sont ainsi remplacés1 par un Plan d’action pour l’égalité des filles et des garçons à l’école, lancé en décembre 2014 et concernant cette fois-ci toutes les académies et tous les niveaux. S’il est possible d’être sceptique sur la mise en œuvre réelle de ce plan, de nouveaux outils à destination des enseignant.e.s sont toutefois publiés pour le premier et le second degrés. Il ne s’agit pas cette fois-ci de propositions de séquences mais de simples pistes d’actions données pour l’ensemble des domaines d’apprentissages. Ce sont celles proposées pour l’EPS pour l’école maternelle et élémentaire qui retiendront notre attention.
6Enfin, durant cette période, de nouveaux programmes d’enseignement ont également été conçus et publiés par le ministère pour l’école dite maternelle en mars 2015, et pour l’école élémentaire (cycle 2 et 3) en septembre 2015. Ces programmes ont été dotés de documents d’accompagnement pour certains domaines d’apprentissages concernant la maternelle, dont celui intitulé « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » qui propose un texte spécifiquement consacré à l’égalité des sexes (MEN, 2015). Ils ont été publiés en septembre 2015.
7Il importe ici de préciser que l’auteur de ces lignes a participé au groupe de rédaction du projet de programme pour « l’école maternelle », mais non à l’étape de sa transformation en programme officiel suite à la consultation à laquelle il a donné lieu. Nous avons également fait partie du groupe de rédaction des documents d’accompagnements pour le domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique ». Notre position n’est donc pas neutre et doit donc aussi être perçue comme celle d’un acteur engagé dans la rédaction de certains de ces textes et dans les débats publics auxquels ils ont pu donner lieu dans les champs médiatiques et scolaires.
8Deux axes de questionnements ont été retenus pour l’analyse. Le premier, propre à l’égalité des sexes, porte justement sur les représentations de l’égalité et de la différence des sexes qu’ils véhiculent. Les textes officiels en faveur de l’égalité des filles et des garçons à l’école sont en effet depuis longtemps traversés par une tension qui divise également le mouvement féministe entre ce qu’il est possible de nommer différentialisme et universalisme (Hermann, 2007 ; Ferrand, 2010 ; Pasquier, 2013). Cette tension a par ailleurs été réactivée sous une autre forme par le mouvement d’opposition à « la théorie du genre »2 et se retrouve également au sein de la discipline EPS (Ottogalli, 2015). Le premier courant insiste en effet davantage sur la spécificité et la complémentarité supposée des sexes et cherche à naturaliser les différences, lorsque le second soutient que la biologie n’est pas pertinente pour expliquer les différentes positions sociales des hommes et des femmes, pas plus que leurs comportements. C’est dans cette dernière approche que s’inscrit notre propos, qui entend le concept de genre au sens où le définit Cendrine Marro comme un système de normes de sexes bicatégorisant et hiérarchisant qui légitime les inégalités en les naturalisant (2012).
9Le second axe s’inscrit davantage dans des débats internes à la discipline EPS entre une dimension culturaliste qui insiste sur l’importance des références aux sports institués et à leur logiques internes pour penser les enseignements et une dimension que l’on peut situer dans la logique des travaux de Pierre Parlebas destinés à créer une « science des conduites motrices », et de la critique radicale du sport qui perçoit dans le sport et la compétition une logique capitaliste dont elle entend dégager la discipline EPS3.
10Notre objectif est d’envisager comment les textes publiés par l’Éducation Nationale pour les questions relatives à l’EPS et l’égalité des sexes durant cette période marquée par des polémiques importantes vis-à-vis des questions de genre en éducation, se positionnent implicitement ou explicitement vis-à-vis de ces axes et la manière dont ceux-ci s’articulent ou non dans la façon dont sont pensées par l’institution les questions d’égalité, à destination des professeur-e-s des écoles pour les aider à concevoir leurs enseignements. La méthodologie d’analyse retenue s’inscrit dans les cadres de l’analyse critique de discours définis par Rogers (2011).
2. Quelle conception de l’égalité des sexes dans les textes institutionnels du premier degré concernant l’EPS ?
2. 1. Les ABCD de l’égalité : articuler une approche culturaliste de l’EPS avec la question de l’égalité des sexes.
11Les cinq fiches pédagogiques proposées pour l’EPS dans le cadre des ABCD de l’égalité ont été conçues par Claire Pontais, formatrice à l’Ecole Supérieure du Professorat et de l’Éducation de l’Académie de Caen-Basse-Normandie, responsable de la revue Contre Pied (EPS et Société) éditée par le SNEP, un syndicat d’enseignant.e.s en EPS, avec pour l’une d’entre elles, la collaboration de Philippe Delamarre, conseiller pédagogique départemental spécialisé en EPS dans le département de la Manche. Elles se déclinent en deux temps : tout d’abord une introduction intitulée « Enjeux et petits riens qui changent tout. Eléments de réflexion pour enseigner les mêmes pratiques sportives aux filles et aux garçons ». Cette fiche est accompagnée d’un exemple de débat outillé pour questionner les représentations des élèves : « Débattre de l’égalité dans le sport ou comment faire évoluer les comportements des enfants et leurs représentations ? ». Trois séquences pédagogiques sont ensuite proposées : en Gymnastique Rythmique et Sportive (« Réaliser des exploits avec un ballon ou un ruban »), en danse (« Danser : le petit chaperon rouge »), dans le domaine des jeux collectifs d’opposition (« Gendarmes et voleurs »). Ces séquences sont toutes trois extraites d’un ouvrage conçu et dirigé par Virginie Houadec et Michèle Babillot, 50 activités pédagogiques pour l’égalité filles-garçons à l’école (2008).
12Le principal intérêt de la démarche mise en œuvre par les ABCD, notamment par l’intermédiaire de ces fiches pédagogiques, est de ne pas faire de la question de l’égalité des sexes et du questionnement des stéréotypes de sexe un domaine à part dont les enseignant.e.s auraient à se saisir en plus des objectifs d’apprentissage visés par les programmes. L’égalité des sexes est clairement envisagée comme une entrée permettant de poser des questions pédagogiques essentielles (sur les objectifs d’apprentissage, le rapport au savoir des élèves, la gestion de l’hétérogénéité des classes, la possibilité de faire réussir et progresser tous les enfants, etc.). Les pistes pédagogiques présentées n’entendent donc pas travailler spécifiquement l’égalité des filles et des garçons. Elles montrent au contraire que chaque situation d’enseignement porte en elle le risque de la reproduction des inégalités si certains paramètres importants sont ignorés par l’enseignant.e.s, et qu’il est en conséquence nécessaire d’adopter un regard critique sur la mise en œuvre de la mixité si l’école entend répondre à ses missions.
13En EPS, les outils élaborés par Claire Pontais et Philippe Delamarre, rappellent en introduction, dans la lignée des travaux de recherche sur le genre en éducation, que « la mixité ne garantit donc ni l’égalité, ni la lutte spontanée contre les stéréotypes sexués » et qu’en EPS, « la différenciation garçons-filles reste souvent forte avec l’idée que les filles ne peuvent pas être aussi sportives que les garçons ». Ils écartent d’emblée la question de « possibilités physiques » différenciées selon le sexe, d’autant moins pertinentes que « jusqu’en sixième, il y a peu de différences morphologiques entre garçons et filles ». Ils rappellent en revanche qu’« historiquement, les APSA ont été inventées par les hommes » autour de valeurs traditionnellement considérées comme masculines, ce poids de l’histoire et des normes de sexes étant toujours opérationnel aujourd’hui, comme l’indiquent les différences et inégalités de pratiques physiques et sportives entre les femmes et les hommes à l’âge adulte4. L’objectif de l’école est donc de donner à tous les élèves, quel que soit leur sexe, la possibilité d’expérimenter des APSA diversifiées, afin de faire de l’école un réel « lieu d’émancipation, facteur de démocratisation et de culture commune ».
14Les enseignant.e.s sont donc invité.e.s à réfléchir à la programmation des différentes activités, aux modes de groupement proposés… Toutefois, bien que ce ne soit pas le projet des auteur.e.s, en insistant régulièrement sur la composition de dyades mixtes dans certaines activités, sans en expliciter les enjeux, ces fiches peuvent involontairement sembler promouvoir certaines formes de complémentarité entre les sexes. De la même manière, en qualifiant maladroitement de « plutôt masculin » ou de « plutôt féminin » certains objets (ballons et rubans), elles risquent de laisser entendre que le masculin et le féminin pourraient être définis universellement, alors que leurs caractéristiques doivent être envisagées à l’aune des croyances de sens commun dont ils sont l’objet. Une telle conception, qui est sans doute sous certains aspects entrée dans le discours de la discipline, ne peut qu’être préjudiciable à des avancées pour l’égalité en EPS dans la mesure où elle essentialise des situations tout en demandant aux élèves des deux sexes de s’y investir et donc de transgresser les normes qui leurs sont involontairement rappelées.
15La particularité de ces fiches est enfin d’insister sur la dimension culturelle des activités, tant pour ce qui concerne les liens entre l’EPS et d’autres apprentissages poursuivis à l’école (importance accordée à la littérature de jeunesse), que pour ce qui relève des APSA qui sont présentées comme l’horizon à partir duquel doivent être pensés les enseignements. La référence à ces dernières (GRS, activités de cirque, danse, jeux et sports collectifs) est explicitement envisagée comme un outil permettant aux élèves de saisir les enjeux des situations d’apprentissages qui leur sont proposées. Elles sont ainsi présentées comme déterminantes dans la construction de l’égalité, notamment parce qu’en permettant le décryptage de leur logique interne en lien avec les normes de sexe, elles rendent lisibles les pistes de vigilance et d’actions pour réduire les écarts sexués entre enfants.
2.2. Les outils pour l’égalité entre les filles et les garçons de 2014 : des représentations ambigües de la différence des sexes au sein des situations d’apprentissage
16Ces nouveaux outils publiés en novembre 2014 remplacent les fiches pédagogiques des ABCD de l’égalité dont la qualité pour l’EPS a pourtant été relevée par le rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale consacré au projet (2014, p. 10). Ils sont qualifiés par le ministère d’« outils améliorés, plus efficaces pour aider les enseignants dans leur classe, disponible[s] sur un site rénové » (MEN, 2014). La conception d’une mallette pédagogique est également annoncée mais elle n’a pour l’instant pas été rendue publique. Dans les faits, ces nouveaux outils, qui ne sont pas nominativement signés, renoncent aux partis pris des fiches conçues dans le cadre des ABCD. Il s’agit de pistes d’actions d’ordre général. Aucune séance ou séquence pédagogique n’est proposée. De fait, malgré les ambitions affichées, les objectifs sont beaucoup plus modestes et moins ancrés dans le quotidien de la classe et des enseignements. Ainsi, en maternelle, sans être citée, la fiche intitulée « Danser : le petit chaperon rouge », qui proposait une séquence avec des pistes de progressivités adaptées à l’âge des enfants, est résumée en quelques lignes :
17« Danser est souvent une activité corporelle qui pose problème aux petits garçons qui ont déjà intériorisé des stéréotypes. Pour lever ces obstacles, l’élaboration d’un projet qui permet une identification à des personnages valorisants du point de vue de l’enfant, le passage par les rondes et jeux dansés dans lesquels l’action corporelle est étayée par une narration contribuent à une reconfiguration de l’image de soi à la mesure de la découverte du plaisir de l’expression de son corps dans la relation à l’autre » (p. 6). Une piste pédagogique est également indiquée : « Réaliser une chorégraphie à partir d’un conte dont les rôles sont a priori sexués. En fonction des choix, débattre/faire des compromis pour une répartition équitable des différents rôles, en prenant en compte la volonté de chacun » (p. 6).
18En élémentaire, la fiche des ABCD consacrée à la GRS est également résumée, sans pour autant qu’il en soit fait mention, par les propositions suivantes :
19« Pratiquer la GRS ou comment associer des préoccupations stéréotypiques, par exemple réaliser un exploit/prendre des risques avec un ballon dans le cadre d’un spectacle collectif (dimension esthétique). » (p. 13)
20Dans les deux cas, l’approche est toutefois différente. Les fiches des ABCD proposaient un projet étayé, argumenté, dont les écueils étaient identifiés, mais aussi des déclinaisons pratiques envisagées dans le cadre de progressions, afin de réellement outiller les enseignant.e.s dans une visée formative. Il nous semble toutefois qu’il serait abusif de parler de séances « clés en main » ; ces fiches entendaient exemplifier certaines approches possibles, doter les professeur.e.s des écoles de représentations sur ce qu’ils/ elles pouvaient mettre en œuvre mais les séances exposées ne constituaient pas en elles-mêmes leur propre fin. Il s’agissait avant tout d’initier un questionnement, l’essentiel se jouant dans les points de vigilance qui étaient signalés et l’explicitation de la démarche au regard des objectifs poursuivis. En revanche, les nouveaux documents prennent le parti d’aller à l’essentiel, au risque de laisser les professeur.e.s des écoles démuni.e.s. D’une manière générale, les références culturelles des activités, toujours présentes, sont par ailleurs moins centrales.
21En outre, concernant le Cycle 1, l’accent est uniquement mis sur les danses et les jeux dansés, ce qui ne manque pas d’étonner. Ces activités, souvent répandues en maternelle, occasionnent bien souvent peu de résistances chez des enfants en bas âge, et dans tous les cas bien moins qu’en élémentaire. Il n’est en revanche pas fait mention du maniement des balles et ballons auxquelles les filles sont pourtant moins souvent confrontées. La question de l’évitement de certains ateliers par certains élèves, les moins familiers des attendus scolaires dans ce domaine et les moins enclins aux prises de risques mesurées dans les temps de « parcours », dits de grande motricité, n’est pas non plus mentionnée. En outre, certaines pistes pédagogiques données souffrent d’implicites qui ne sont pas décryptés pour les enseignant.e.s et peuvent donner lieu à des interprétations divergentes. Ainsi, toujours en Cycle 1, ces documents présentent une activité qui consiste à « proposer des activités diverses (course, danse, jeu de ballon…) et demander aux élèves de choisir les activités qu’ils aiment réaliser en positionnant leur étiquette prénom ». Il s’agit ensuite d’« élaborer un constat en triant et regroupant les choix des élèves et [de] constater par dénombrement les activités qui ont le plus de succès. Quels sont les élèves inscrits ? Pourquoi ces choix ? Demander aux élèves de repérer des situations « sportives » qui leur paraissent non égalitaires » (p. 6). Enoncée ainsi, cette piste de travail situe la réflexion sur différents niveaux. Le premier consiste à constater les préférences des enfants. Ce qui est ici en jeu n’est donc pas tant la capacité à concevoir que des activités habituellement considérées comme féminines ou masculines, puissent s’adresser aux filles et aux garçons, mais la possibilité de s’y projeter soi, en tant qu’individu et d’assumer ce choix face au groupe, si tant est qu’il puisse s’avérer problématique aux yeux des camarades de classe. En second lieu, il est possible de supposer qu’en fonction des activités proposées par l’enseignant.e, les choix des élèves risquent d’être sexués, que les enfants soient sincères ou sensibles à la pression des normes de sexe potentiellement véhiculées par leurs pair.e.s. Il est donc en effet intéressant, une fois le constat effectué de tenter de l’expliquer comme y invite le document. Toutefois, en l’absence de piste de réflexions, les explications fournies par les enfants, mais aussi celles qui seront validées par les enseignant.e.s, peuvent tout aussi bien être de l’ordre de la naturalisation des différences (force et technicité pour les garçons, grâce et légèreté pour les filles) que de leur questionnement afin de déconstruire certaines représentations. Là où les fiches pédagogiques des ABCD cherchaient à étayer les débats, les nouveaux outils laissent les enseignant.e.s livré.e.s à eux-mêmes, à leurs propres représentations et capacité d’autoformation sur un sujet qui n’est pas sans susciter de fortes résistances (cf. l’article de Sigolène Couchot-Schiex dans le présent ouvrage). Certes, les élèves doivent également être incités à repérer « les situations « sportives » qui leur paraissent inégalitaires » mais selon la réponse donnée à la question précédente, peut être considérée comme inégalitaire n’importe quelle situation où un garçon serait confronté à une fille, si l’un et l’autre sont envisagés comme étant de natures différentes, voire disposant de capacités physiques par nature différenciées.
22Cet aspect est d’autant plus problématique que ces documents, qui ne concernent pas uniquement l’EPS, ouvrent en bien des points de telles possibilités d’interprétation diverses, « y compris dans le sens d’un renforcement des stéréotypes de genre, voire de leur naturalisation », ainsi que l’ont relevé en janvier 2015 plusieurs chercheur.e.s et militant.e.s (Buscatto & al., 2015). Les enseignant.e.s sont ainsi régulièrement invités à faire réaliser à leurs élèves des constats, sur les rôles attribués aux femmes et aux hommes dans les ouvrages de littérature de jeunesse par exemple, dont les objectifs ne sont pas explicités. Les observations des enfants peuvent donc tout aussi bien être utilisées à des fins critiques, pour chercher collectivement en quoi les différenciations masquent des inégalités (Marro, 2011) que dans une perspective de légitimation d’un ordre social hiérarchisé.
23En élémentaire, les outils proposés souffrent de la même ambiguïté. D’un côté, ils rappellent qu’il faut exiger pour tous les élèves une tenue de sport adaptée, intervenir « pour réguler d’éventuelles remarques sexistes », faire pratiquer aux filles et aux garçons les mêmes activités, quelles que soient les représentations qui y sont traditionnellement associées, représentations qui peuvent donner lieu à débat (p. 12). De l’autre, ils indiquent que les activités de danse, de mime, de gymnastique rythmique « sont propices à une meilleure connaissance, en tant que garçon ou fille » (p. 13). Il est difficile de comprendre ce que les concepteur.rice.s de ces outils ont à l’esprit à la lecture d’une telle phrase. Souhaitent-ils-elles indiquer que la sexuation des corps a une incidence nécessaire sur les manières de danser des individus, défendre une représentation essentialiste de la différence des sexes ? De la même manière, si les vestiaires de gymnases et de piscines sont envisagés comme des lieux où « l’intimité de chacun doit pouvoir être respectée », c’est justement en référence à cette « différence des sexes » régulièrement mobilisée par ces outils, comme si ce besoin d’intimité ne pouvait pas être entendu à l’intérieur d’une même catégorie de sexe, au sein de laquelle les individus semblent supposés tellement semblables que de telles considérations paraissent superflues. Une telle représentation est d’autant plus gênante qu’elle tend par ailleurs à occulter les rapports de pouvoir informés par le système de genre au sein des groupes unisexes. Or les vestiaires non-mixtes constituent bien souvent des espaces de rappel à l’ordre quant au respect des normes de sexe mais aussi d’humiliation pour celles et ceux qui ne les respectent pas (Joing & Vors, 2015), phénomènes qui ne semblent pas envisagés par le document.
24Enfin, sur le plan pédagogique, certaines considérations surprennent. Ainsi, il est bien précisé pour les jeux collectifs ou duels, que l’« on fera varier les paramètres de l’action motrice à effectuer qui ne sont pas nécessairement liés à la mixité mais parfois à des traits physiques (taille au basket, taille et poids pour la lutte, compétences techniques et stratégiques), permettant de répartir les forces entre les deux équipes indépendamment du sexe ». Mais quelques lignes plus loin, le document précise : « Déterminer qui assume les rôles d’arbitre, de capitaine d’équipe, de gardien de but, etc. est aussi l’occasion de parler de l’égalité de droit entre garçons et filles sans a priori et de faire réfléchir les élèves sur les compétences des uns et des autres (rigueur, précision, impartialité, dynamisme…) et sur les critères sur lesquels peuvent s’opérer des choix objectifs ». Outre qu’une telle phrase peut donner lieu à une interprétation différentialiste des compétences des filles et des garçons, en évoquant les « critères sur lesquels peuvent s’opérer des choix objectifs », elle semble oublier qu’il devrait être question ici d’apprentissage. Dès lors, il ne s’agit pas tant de constater que tel ou tel élève, quel que soit son sexe, est en mesure d’assurer certains rôles du fait de ses compétences acquises pour placer chacun.e à la place qui lui convient le mieux, que de s’interroger sur la manière dont il est possible de doter l’ensemble des élèves de ces compétences au cours du cycle d’apprentissage, et ce même, voire surtout, s’il/elle ne manifeste pas au premier abord de disposition particulière pour être gardien, arbitre, etc. Or cet extrait semble recourir à une représentation étonnamment figée des enfants, oubliant que l’école a justement un rôle essentiel à jouer pour permettre à chacun.e d’acquérir des pouvoirs cognitifs et moteurs, de progresser, et ce alors même qu’il est question dans d’autres paragraphes d’« émancipation ».
25Le moment politique au cours duquel ces nouveaux outils pour l’égalité ont été écrits n’est sans doute pas étranger à leur orientation. En effet, suite aux polémiques suscitées par les ABCD de l’égalité, dans la lignée de celles auxquelles a donné lieu la loi dite du « mariage pour tous », l’institution entend s’inscrire dans une perspective d’apaisement. Bien que cela n’ait jamais été formulé de cette manière, il semble possible de considérer que l’objectif ici poursuivi est d’apporter satisfaction aux deux camps, celui favorable à l’égalité des sexes entendant dénaturaliser les différences, comme celui qui défend l’importance des stéréotypes de sexe dans la construction de l’identité psychique de l’enfant. Dès lors, en fonction des phrases et des paragraphes, le texte se laisse interpréter selon ces deux logiques différentes. Celui-ci souffre donc d’une absence de cohérence évidente, risque d’attiser les oppositions autant qu’il souhaite les contourner, mais surtout de mettre en difficulté les enseignant.e.s censé.e.s s’en inspirer dans leur propre pratique.
2.3. Les nouveaux programmes et les documents d’accompagnement de 2015 : construire l’égalité sans mobiliser les APSA ?
26Le nouveau programme de l’école maternelle indique dès sa première partie intitulée « une école qui s’adapte aux jeunes enfants » que « l’école maternelle construit les conditions de l’égalité, notamment entre les filles et les garçons » (p. 3). Ce principe est réaffirmé pour le domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » qui précise : « La participation de tous les enfants à l’ensemble des activités physiques proposées, l’organisation et les démarches mises en œuvre cherchent à lutter contre les stéréotypes et contribuent à la construction de l’égalité entre filles et garçons » (p. 9). Il l’est également dans les programmes de Cycle 2 et de Cycle 3 qui comprennent l’un et l’autre la phrase : « L’EPS répond aux enjeux de formation du socle commun en permettant à tous les élèves, filles et garçons ensemble et à égalité, a fortiori les plus éloignés de la pratique physique et sportive, de construire cinq compétences travaillées en continuité durant les différents cycles » (p. 49 et 154). Le programme de Cycle 3 complète ces indications en rappelant que « l’éducation physique et sportive permet tout particulièrement de travailler sur ce respect, sur le refus des discriminations et l’application des principes de l’égalité fille/garçon » (p. 94). La formulation utilisée, « les élèves, filles et garçons ensemble et à égalité, a fortiori les plus éloignés de la pratique physique et sportive », est intéressante car elle indique une exigence de mixité mais aussi que la question de l’égalité des sexes croise celle de la familiarité avec la discipline. Toutefois, la question de l’égalité des sexes n’est mentionnée qu’en EPS et dans les connaissances, capacités et attitudes visées par l’Enseignement moral et civique, comme si seules ces disciplines étaient concernées.
27Pour autant, ces programmes ne donnent aucune autre indication destinée à mettre en œuvre ces affirmations. Seules deux phrases du projet de programme de l’école maternelle remis en juillet 2014 par le Conseil Supérieur des Programmes proposaient une piste pratique : « Certaines danses traditionnelles pré-supposent des rôles sociaux différents pour les filles et les garçons. À l’école, l’enseignant propose des modes d’organisation (foulards, dossards…) qui permettent aux enfants d’expérimenter tous les rôles » (p. 38). Elles ont été supprimées du programme définitif. Pourtant, la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire (DGESCO 2014-2015) note dans la synthèse des différents avis émis lors de la consultation organisée sur ce projet concernant le domaine « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » que le projet de programme « ne fait pas référence à l’égalité filles/garçons, alors qu’il s’agit d’une préoccupation importante et que ce domaine d’apprentissage se prête facilement à cette question. Lors de la consultation nationale, la contribution d’une association a été reçue, via le site Eduscol, sur ce sujet. Elle indique que les rédacteurs « ont compris la fréquence et la nuisance des stéréotypes pour la classe d’âge des filles et des garçons qui fréquentent l’école maternelle. Il nous semble que toutes ces avancées doivent être affichées plus nettement et plus souvent dans le programme final et de manière plus transversale » (p. 30). Si l’on peut s’étonner que la DGESCO précise tout d’abord qu’il n’est pas fait référence à l’égalité fille/ garçon dans ce programme avant de constater le contraire, il n’en reste pas moins que l’avis rapporté invitait à la multiplication des pistes d’opérationnalisation plutôt qu’à la suppression de celles qui étaient proposées5.
28Les documents d’accompagnement du programme de l’école maternelle consacrent toutefois un texte spécifiquement dédié à l’égalité des sexes intitulé « Construire les conditions de l’égalité entre les filles et les garçons » (p. 27-30). Ce texte s’inscrit dans une optique clairement universaliste et reprend certains aspects de la fiche des ABCD intitulée « Enjeux et petits riens qui changent tout ». Il prend dès sa première phrase ses distances avec la dimension naturalisante de l’appellation « école maternelle » en utilisant la formule « l’école, dite « maternelle » (p. 27). Il relève ensuite la socialisation différentiée des filles et des garçons qui engage « des apprentissages cognitifs et moteurs distincts », avant d’attirer l’attention des enseignant.e.s sur leurs conséquences dans le champ scolaire, que ce soit en récréation ou en éducation physique. Il invite ainsi « l’enseignant.e » à prendre « garde à ne pas considérer que les dispositions manifestées par les enfants s’expliqueraient par leur sexe ou auraient une origine naturelle, [à les inscrire] toujours dans une dynamique d’apprentissage et de progrès. [L’enseignant.e] questionne ses propres représentations, est attentif[.ve] à celles des enfants » (p. 28). Les professeur.e.s sont ainsi amené.e.s à s’intéresser à la manière dont les enfants investissent ou non la dimension compétitive des activités, à sensibiliser les parents d’élèves quant à l’importance d’une tenue adaptée pour les apprentissages moteurs, à questionner leurs modes de regroupements habituels et à jouer sur différentes variables didactiques pour favoriser l’engagement et la réussite de toutes et de tous. Enfin, le texte insiste sur l’importance de la démarche de questionnement engagée par les professionnel.le.s de l’éducation dans le cadre de la lutte contre les inégalités, afin de ne pas se contenter de recettes toutes faites qui sont rarement opérantes si elles sont mises en œuvre sans discernement.
29Il importe enfin de relever qu’il n’est jamais fait mention de la dimension sportive des activités physiques dans le programme et les documents destinés à l’école maternelle, bien que la question de la compétition soit mentionnée pour appeler les enseignant.e.s à la vigilance. Cette dimension sportive est ignorée, ce qui semble impliquer qu’aux yeux des rédacteur.rice.s, y avoir recours dans le cadre de la lutte contre les inégalités peut être problématique. Ces références culturelles réapparaissent toutefois dans le cadre des programmes de Cycle 2 et 3, sans pour autant retrouver la centralité qu’elles avaient dans les fiches des ABCD. Elles y sont mobilisées d’une manière similaire aux partis pris des programmes autour « de quatre champs d’apprentissage complémentaires » (Produire une performance optimale, mesurable à une échéance donnée ; Adapter ses déplacements à des environnements variés ; S’exprimer devant les autres par une prestation artistique et/ou acrobatique ; Conduire et maitriser un affrontement collectif ou interindividuel), articulés à « cinq compétences travaillées en continuité durant les différents cycles » : Développer sa motricité et apprendre à s’exprimer en utilisant son corps ; S’approprier par la pratique physique et sportive, des méthodes et des outils ; Partager des règles, assumer des rôles et des responsabilités ; Apprendre à entretenir sa santé par une activité physique régulière ; S’approprier une culture physique sportive et artistique (p. 49 et 154).
3. Discussion conclusive : à l’école primaire, les référents culturels des activités, outils ou obstacles à la promotion de l’égalité ?
30Les textes publiés pour l’école primaire dans le cadre du processus de « refondation » de l’école voulue par le ministère de l’Éducation Nationale témoignent donc d’une attention accrue portée à la question de l’égalité des sexes, notamment pour la discipline EPS. Pour autant, bien que tous reconnaissent qu’il est nécessaire de distinguer mixité et réalisation de l’égalité, la manière dont doit être entendue cette égalité est diverse selon les documents : alors que certains d’entre eux (les fiches des ABCD, les nouveaux programmes et les documents d’accompagnement s’y rapportant) s’inscrivent clairement dans une perspective universaliste qui interroge le primat accordé au biologique dans la discipline, d’autres, sans doute par opportunisme politique, maintiennent une ambiguïté forte quant à leurs orientations, entre universalisme et différentialisme déclaré. Pour cette dernière orientation, autour des questions d’égalité se jouent ainsi celles de la différence des sexes et des identités sexuées, deux dimensions que les fiches des ABCD et les nouveaux programmes cherchent à dépasser, niant leur pertinence en termes d’objectifs d’apprentissage et d’enseignement. Dès lors, les différents chantiers lancés par l’institution de manière concomitante ou successive (ABCD de l’égalité, nouveaux outils pour l’égalité des filles et des garçons, nouveaux programmes, documents d’accompagnements mais aussi Convention pour l’égalité de 2013) semblent refléter les différentes orientations de leurs auteur.e.s, que ceux/celles-ci soient ou non identifié.e.s, sans que la question de la cohérence des textes n’ait été posée par les différences instances qui les ont publiés (CSP, DGESCO, Ministère). Aussi, sous une apparente homogénéité des intentions politiques et pédagogiques affichées, les enseignant.e.s sont confrontés de manière implicite à des représentations non conciliables de l’égalité, sans que des clefs de lecture leur permettant de se repérer entre ces injonctions contradictoires ne leur soient fournies. Dès lors, il leur revient seul.e.s de faire le tri, de déchiffrer les approches théoriques sous-jacentes à ces orientations et de choisir la direction dans laquelle ils/elles souhaitent travailler. Les élèves à leur tour risquent d’être confrontés au cours de leur scolarité à des enjeux différents et des objectifs opposés selon les représentations de sens commun de leur enseignant.e.s ou des équipes pédagogiques des écoles.
31Dans la manière de concevoir la construction de l’égalité, le programme de l’école maternelle et les documents d’accompagnement qui s’y rattachent se distinguent également fortement des fiches conçues dans le cadre des ABCD et ce malgré une conception relativement proche de l’égalité des sexes. D’un côté en effet, les fiches des ABCD insistent sur la dimension culturelle des activités qu’elle perçoit comme un outil susceptible de rendre lisible pour les élèves les attendus de l’école, de les doter d’un réel pouvoir d’agir et de compréhension de ce qui est en jeu en termes d’apprentissage. De l’autre, les programmes de l’école maternelle et les documents d’accompagnement n’emploient jamais le terme « sport », ne parlent pas d’« éducation physique et sportive » et semblent tenir à distance les référents culturels. Cette différence d’approche est d’autant plus sensible que pour le domaine intitulé « Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques », la nécessaire mobilisation des références culturelles est affirmée à de nombreuses reprise par le programme de maternelle6. Elle apparaît également mais de manière moins affirmée avec les programmes de cycle 2 et 3 (Pontais, 2015).
32Cette distinction ne peut toutefois se réduire à une différence d’approche liée à l’âge des élèves, qui considérerait que les référents culturels se justifient moins à l’école maternelle qu’à d’autres niveaux d’enseignement. Elle s’inscrit en effet dans une controverse récurrente autour des programmes d’EPS et de la façon dont peuvent/doivent être conçus les enseignements dans cette discipline ; il est intéressant de constater que c’est au nom du même objectif, l’égalité des sexes, qu’elle est ici réactivée. Là où les ABCD envisagent les référents culturels (la gymnastique, le cirque ou la GRS par exemple) comme des outils propres à éviter les malentendus scolaires dans la lignée de certains travaux en sciences de l’éducation (Bautier, 2006 ; Bautier & Rayou, 2009) et à construire sur le long terme l’égalité des filles et des garçons mais aussi une égalité sociale entre enfants plus ou moins familiers des attendus de l’école, le programme de l’école maternelle semble implicitement envisager ces référents comme des obstacles. L’horizon culturel n’est ainsi pas pensé ici comme structurant pour les élèves, bien que cette conception ne soit pas explicitée. Il est néanmoins possible de reconstruire une partie de l’argumentation sous-jacente. Cet horizon culturel est envisagé comme susceptible d’apporter des perturbations, que ce soit en termes de représentations qui risquent d’empêcher les un.e.s et les autres de se projeter dans les activités proposées ou d’introduire des écarts entre ce que pense enseigner le.la professeur.e et ce que font effectivement les élèves7, qu’en termes d’ouverture des possibles puisque ces référents semblent considérés comme sclérosant et appauvrissant dans la mesure où ils limitent les expérimentations possibles, les mélanges (escalader un parcours comme si l’on dansait par exemple) ; et ce d’autant plus que les élèves comme les enseignant.e.s en ont bien souvent une représentation appauvrie. En conséquence, les APSA ne sauraient être considérées comme des aides pour entrer dans les apprentissages, sans pour autant que le programme de maternelle puisse se résumer à une conception hygiéniste des activités physiques telle qu’elle a pu être historiquement prônée à des époques antérieures.
33L’objectif de ce chapitre n’est pas de trancher cette controverse mais de mettre en évidence les approches théoriques qui traversent ces textes car celles-ci ne sont pas sans conséquences sur la manière dont ces instructions officielles, au caractère plus ou moins contraignant selon qu’il s’agisse de programmes ou de pistes pédagogiques, peuvent se traduire en termes concrets sur le plan didactique et pédagogique. Il est ainsi singulier que ces textes penchent tour à tour pour des orientations différentes et opposées sans que celles-ci ne soient jamais décryptées à destination des professeur.e.s des écoles. Les enseignant.e.s du premier degré ne sont pourtant pas, le plus souvent, des spécialistes de la discipline. Ils et elles sont ainsi généralement amené.e.s à enseigner ce qu’ils/elles ne connaissent pas (Massot-Leprince 2014) s’appuyant sur leurs propres représentations de l’activité pour concevoir des situations d’apprentissage plus ou moins à même de faire progresser leurs élèves. Dès lors, la question des référents culturels apparaît, en effet, essentielle. Ils peuvent d’un côté outiller les professionnel.le.s, à l’instar de leurs élèves, en leur permettant d’affiner leurs objectifs et de percevoir ce qu’ils-elles font réellement travailler dans les situations mises en œuvre ; mais ils peuvent également de l’autre induire des représentations appauvrissantes et caricaturales des savoirs visés, faute d’une fréquentation suffisante de ces activités à titre personnel. En ce sens, les références aux différentes APSA peuvent être perçues comme des éléments propres à parasiter la représentation que les enseignant.e.s du premier degré se font de l’EPS et de sa spécificité par rapport au sport. A la rentrée 2013, le rapport de la consultation sur les programmes de l’enseignement primaire de 2008 notait ainsi que « certains [enseignants d’élémentaire] font le vœu d’une disparition de[s] enseignements [d’EPS] au profit du temps qu’ils pourraient consacrer à d’autres disciplines. [Plusieurs contributions] suggèrent de laisser l’EPS aux mains des animateurs dans le cadre des activités hors temps scolaire, voire qu’on enlève l’EPS des programmes. » (MEN-DGESCO, 2013, p. 30). Ces discours doivent être rapprochés du rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation Nationale de 2012 consacré à la pratique sportive à l’école primaire qui estimait la moyenne du temps consacré à l’EPS sur les 24h d’enseignement hebdomadaire à 2h au lieu des 3h préconisées par les programmes. Alors que du côté de l’école maternelle, les enseignantes et les enseignants semblent en général reconnaitre l’importance pour l’enfant de ce qu’ils nomment la « motricité ». Mais il n’en reste pas moins que le temps accordé à ces activités y reste faible et qu’un certain nombre d’observateur.rice.s regrettent que la spécificité de cet enseignement en maternelle ne fasse pas toujours, voire rarement, l’objet d’un temps de formation particulier dans les nouvelles ESPE. C’est bien parce que la légitimité de l’EPS pose question pour le premier degré que loin d’être désuète, la question des APSA et des référents culturels en lien avec celle de l’égalité des sexes mais aussi de l’égalité sociale, aurait dû être posée explicitement. Car quelle que soit la réponse qui lui est donnée, elle peut permettre aux enseignant.e.s de cerner les enjeux de débats qui leurs sont bien souvent invisibles, pour, à défaut de prendre position, ce qui ne doit pas nécessairement constituer un objectif de formation, être à même de concevoir des situations d’apprentissages éclairées, propres à réduire les écarts existants entre les élèves, à partir des points de tensions identifiés dans les recherches et les pratiques. Ce point est d’autant plus essentiel, que les textes officiels ne constituent jamais un aboutissement : ils interrogent toujours les façons dont les enseignant.e.s se les approprient et les font vivre, in situ, au cours même des situations de classe, des interactions didactiques, et du rapport au savoir qu’elle construisent, qui ne sont pas sans importance dans la fabrication ou la perpétuation des inégalités.
Notes de bas de page
1 Les fiches conçues dans le cadre des ABCD de l’égalité sont retirées du site du ministère.
2 Celui-ci a ainsi pu solliciter la philosophe Sylviane Agacinski pour appuyer ses positions au moment du débat en faveur de l’extension du mariage aux couples composés de personnes de même sexe et mobiliser à travers certains slogans (« la parité dans le mariage ») la manière dont celle-ci avait conceptualisé la parité en politique (Scott 2005).
3 À titre d’exemple pour le premier degré, se référer à Lamouroux (2009). Notons que nous ne reprenons volontairement que deux conceptions parmi les trois identifiées par Delignières et Garsault (1997), celles-ci nous semblant les plus pertinentes pour notre propos.
4 Sur cette question, cf. Davisse et Louveau, 1998.
5 Sur le caractère problématique du choix d’un texte de programme court pour l’école maternelle, cf. Pasquier et Passerieux, 2015.
6 Je remercie Claire Pontais de m’avoir transmis un document de comparaison de ces deux domaines selon cette grille de lecture, accompagné de pistes de réécritures du programme actuel pour une meilleure prise en compte de la dimension culturelle des APSA.
7 A titre d’exemple, Stéphane Bonnéry (2007) décrit une situation d’EPS où les représentations et les pratiques sociales de l’élève concernant l’PSA football entrent en concurrence avec celles de l’enseignant : le premier y perpétue ses habitudes de jeu entre pairs « dans un esprit de détente et d’immersion dans le jeu comme il le fait dans le quartier » (p. 117) alors que le professeur cherche à travailler certains éléments spécifiques, enjeux d’apprentissages qui ne sont pas identifiés par son élève. Sur cette question, cf. également Bonnéry, 2016.
Auteur
Université Paris Est Créteil, LIRTES - EA 7313 Observatoire Universitaire International d’Éducation et Prévention (OUIEP)
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