Guidage différentiel et problématisation dans la formation à la recherche des étudiants en master MEEF parcours E.P.S
p. 171-186
Texte intégral
Introduction
1La recherche exploratoire présentée dans ce chapitre s’intéresse aux manières dont sont envisagées les problématiques de construction des inégalités dans la formation initiale des enseignants d’Éducation Physique et Sportive (EPS) et à la façon dont il serait possible de former les enseignants à cette problématique. Cette contribution livre un projet de recherche en cours qui s’appuie sur la mise au point d’un scénario expérimental de formation dans le cadre de la « formation à et par la recherche » d’étudiants/stagiaires de master, professeurs d’EPS débutants. Ce scénario prend la forme d’un séminaire de recherche qui s’inscrit dans un processus de formation par alternance. Nous nous intéressons aux effets de ce séminaire de recherche et au développement des activités des enseignants novices pour mettre en œuvre en classe un guidage plus différencié des apprentissages des élèves. Ce guidage se rapporte à la prise en charge de problèmes d’apprentissage dans différentes APSA pour lesquelles les élèves doivent transformer leur activité corporelle et leurs modes d’organisations usuels.
2Nos travaux antérieurs (Ouitre, 2011) ont mis en évidence les difficultés récurrentes des enseignants débutants dans les phases de régulation des apprentissages. Ils montrent notamment les centrations de ces enseignants sur le produit des apprentissages attendus au détriment de démarches de guidages qui sollicitent une activité réflexive ajustées aux processus d’apprentissages des élèves. Parallèlement, ces guidages réflexifs examinés en formation sont fortement questionnés par les travaux sur les malentendus didactiques (Rochex, 2001). Leurs mises en œuvre en classe sont soupçonnées d’être potentiellement porteuses d’inégalités d’accès au savoir. Les régulations sollicitant des activités réflexives, les situations d’entraide ou de débats entretiennent le doute. Elles tendraient à masquer les contenus et, par le brouillage qu’elles génèrent, profiteraient davantage aux élèves les plus débrouillés (Bautier & Rayou, 2009). Le séminaire de recherche qui réunit ces stagiaires met au travail cette problématique des régulations didactiques dans l’enseignement de différentes APSA. Il l’examine principalement dans le cadre de la problématisation. Cette approche, à la fois pragmatiste et rationaliste, a la particularité d’envisager la contribution des activités réflexives dans une exploration des possibles qui passe par un examen de l’expérience et des exigences liées au savoir en jeu. Le projet de formation qui porte ce séminaire postule donc que s’intéresser au guidage des apprentissages et aux régulations didactiques, c’est d’emblée s’inscrire dans une logique de différenciation et d’aide différenciée aux élèves afin de faciliter leurs apprentissages en mobilisant les contenus d’enseignement en situation.
3Les objectifs de formation et d’apprentissages professionnels dans ce séminaire visent à amener les stagiaires à problématiser leur pratique professionnelle de deux points de vue prioritaires : 1) Construire des données de lecture de l’activité d’apprentissage des élèves dans les différentes APSA pour permettre à l’enseignant d’aider les élèves au plus près de leurs expériences 2) Conceptualiser des nécessités différenciatrices pour envisager des actions de régulations ajustées aux processus d’apprentissage de chaque élève. Au cours de ce séminaire, les stagiaires travaillent à la conception du scénario d’apprentissage support de leur recherche, au projet de recueil de données et par la suite à l’analyse de ces données. En cela, ils sont confrontés à un examen de l’appropriation par les élèves des contenus disciplinaires dans le cours des régulations didactiques. L’objectif de notre recherche, dont ce chapitre livre les premiers résultats, est d’examiner l’avancée et les résistances des participants de l’atelier de recherche dans la manière dont ils se « débrouillent » des positions différentielles des élèves dans cette forme spécifique de régulation des apprentissages qu’est la problématisation. Dans un premier temps, nous présentons le cadre théorique de notre travail. La deuxième partie de l’article présentera le contexte de la recherche et la nature des données recueillies. La troisième partie fera état des premiers résultats et les mettra en discussion.
1. Référents théoriques et cadre conceptuel de la recherche
1.1. Interactions didactiques et régulations didactiques
4Notre travail s’intéresse aux régulations et guidages différentiels des apprentissages en classe menés par des enseignants débutants. Cet intérêt porte sur la façon dont ces éléments de régulation et de guidage sont anticipés ainsi que sur la manière dont ils sont concrètement mis en œuvre dans les interactions avec les élèves. Plus globalement, la notion de régulation didactique s’inscrit dans le paradigme socioconstructiviste d’interactions favorables aux apprentissages développées dans la Zone Proximale de Développement (Vygotsky, 1934). Ces interactions peuvent être de nature variée. Le préfixe « socio » peut en effet revêtir des aspects différents qui recouvrent soit des échanges entre les élèves, soit des échanges entre l’enseignant et les élèves. Cette théorie socioconstructiviste suppose aussi que ces interactions soient a minima contrôlées, voire provoquées par l’enseignant dans et par les situations d’apprentissage qu’il propose. Ces interactions sont portées par un cadre didactique où les enjeux de savoirs sont déterminants. Dit autrement, apprendre nécessite des interventions de l’enseignant et de nombreux auteurs s’accordent à lui attribuer un rôle de régulateur des apprentissages afin de les rendre plus efficients dans un cadre scolaire où le temps est compté et les apprentissages à réaliser nombreux et ambitieux au regard des compétences à acquérir. Notons enfin que ces modalités d’apprentissages se justifient pour des savoirs épistémologiquement consistants nécessitant de « fortes bascules » conceptuelles et/ou comportementales. Elles n’évacuent pas d’autres façons d’apprendre propres à des savoirs d’une autre nature ou à des phases d’apprentissage dites de stabilisation et/ou d’entrainement.
5Les travaux d’Amade-Escot (2003, p. 342) nous aident à préciser ce que sont les interactions didactiques. Elle définit ces dernières comme « les relations qui se nouent, se développent et s’achèvent entre les personnels enseignants et des élèves autour des contenus d’enseignement ». Par ailleurs, l’auteure (Amade-Escot, 2001) retient l’idée d’envisager l’activité enseignante comme l’une des conditions du « didactique ». Elle s’appuie sur les travaux de Clot (1999) qui pense le travail humain d’un double point de vue. Le premier met en avant que c’est dans ses dysfonctionnements que l’activité humaine fait la preuve de ses adaptations créatrices. L’incident critique est alors envisagé comme un révélateur et un amplificateur de la logique didactique de l’acteur. Le second considère que le travail de l’homme doit être envisagé comme un processus de récupération permanent et invisible. Ce processus est constitutif des activités dites professionnelles. C’est dans le contexte de ces récupérations qu’Amade Escot (1993, p. 62) définit les « procédures de régulation didactique » (PRD) comme « l’ensemble des activités didactiques qui consistent à organiser les contraintes et les variables de l’environnement et à réguler les sources scolaires d’information de façon à maintenir les conditions optimales de l’interaction élève-savoir afin que les apprentissages soient réalisés ». Elle définit alors une typologie de procédures révélatrices de compétences professionnelles didactiques. Nous ne retiendrons ici que les PRD1 qui servent notre propos, soit celles en lien avec un enseignement par dévolution d’un problème sollicitant de façon délibérée des apprentissages par adaptation. Dans cette modalité d’intervention didactique, l’enseignant doit, au travers de ses situations, provoquer et créer les conditions d’une adaptation au milieu pour obtenir l’apprentissage souhaité. Cependant, ici, la situation ne se suffit pas à elle-même et l’enseignant continue dans ses interventions à permettre un dialogue élève/milieu didactique qui reste efficace du point de vue des apprentissages. La problématisation s’inscrit dans la même logique. Les interventions de l’enseignant prolongent le dialogue élève/milieu didactique pour faire vivre les contenus d’apprentissage (Lebouvier & Lhoste, 2013). Dans la même optique, Boudard et Robin (2012), précisent que les « régulations didactiques sont des tentatives d’influence des intentions cognitives et métacognitives des élèves. Elles ne visent pas obligatoirement une réduction de l’écart à une norme, mais une réorientation de l’action vers des voies plus prometteuses » (p. 4).
6Cette réorientation de l’activité et ces tentatives d’influence de l’activité cognitive des élèves ne flottent pas dans le vide. Elles supposent un « fond épistémique » relatif aux différentes APSA qui permet d’interpréter l’activité d’apprentissage des élèves et de la comprendre dans son organisation et dans ses intentions pour mieux la transformer. Cette activité d’apprentissage est envisagée ici comme une réponse des élèves aux problèmes posés par la confrontation aux APSA. Les régulations et les ajustements didactiques supposent pour les étudiants-stagiaires d’apprendre à lire la dynamique des activités d’apprentissage des élèves (Lebouvier, 2015).
7Dans ce chapitre, l’activité de problématisation se décline à deux niveaux différents. D’un côté, les stagiaires en formation sont invités à faire problématiser leurs élèves et à faire en sorte que les régulations qu’ils mènent en classe s’effectuent de manière différenciée. De l’autre côté, l’atelier de recherche et les formateurs qui l’animent vise à faire problématiser les stagiaires sur leurs activités de guidage différencié des apprentissages de leurs élèves.
1.2. Gestion du système didactique, problèmes professionnels des stagiaires et régulations didactiques
8Les travaux de notre équipe (Le Bas, 2005 ; Le Bas, Lebouvier & Ouitre, 2014) mettent en relation les interactions et les régulations didactiques que nous venons de définir avec l’un des problèmes professionnels lié à la gestion du système didactique. Le système didactique auquel nous nous référerons est augmenté d’un pôle en intégrant aux trois autres pôles plus classiques, le pôle de la commande institutionnelle et plus largement celui de la société dans laquelle et pour laquelle l’école existe. Dans ce système à quatre pôles, nous situons les problèmes professionnels aux interactions entre les pôles du système didactique (élèves, savoir, commande institutionnelle) et faisons de l’enseignant le « gestionnaire » de ce système dont le fonctionnement est finalisé par l’apprentissage de tous les élèves. Cette modélisation définit trois classes de problèmes2. Dans ce contexte les régulations didactiques sont une solution possible au problème professionnel qui se joue à l’interaction entre le pôle de l’élève et le pôle du savoir nommé plus loin processus/ produit. Un obstacle empêche la prise en charge de ce problème. Il renvoie à la croyance qu’il suffit de faire et de réussir pour apprendre.
9Ce problème professionnel et les solutions qu’il appelle pour mieux le prendre en charge relève bien d’une problématique de l’intervention qui s’inscrit entre ostensions et réticences (Sensevy, 2011). Afin de ne pas mettre les élèves en trop grande difficulté et de ne pas leur faire tout redécouvrir, il s’agit bien pour l’enseignant de trouver un difficile compromis entre des éléments que l’on donne, qu’on choisit de donner et d’autres qu’on ne souhaite pas apporter, qu’on omet délibérément d’apporter. L’enjeu est de permettre l’appropriation des contenus par les élèves. A cet égard, le corpus de notre recherche prend appui sur la mise en œuvre d’objet de savoir en demi-fond, en badminton et en natation. Dans le champ de l’Éducation Physique et Sportive, les contenus d’enseignement sont définis par Marsenach (1991) comme « les conditions à intégrer/intérioriser pour transformer ses actions. Ces conditions doivent être organisées pour que progressivement l’élève connaisse au mieux les propriétés du milieu dans lequel il interagit, les propriétés de ses actions et les propriétés de l’outil qui lui permet d’agir, c’est-à-dire son corps ». Ce sont des conditions que l’élève doit intérioriser pour construire les nouveaux savoirs visés pour lui. Les contenus d’enseignement sont de l’ordre des conditions de la transformation des modes de pensée et des comportements des élèves. La mobilisation effective des contenus d’enseignement dans les régulations didactiques est une façon de prendre en charge de manière optimale le problème professionnel évoqué en amont.
1.3. Régulations didactiques et problématisation des élèves
10Dans cette étude nous envisageons les régulations didactiques dans le cadre de la problématisation autour des travaux de Fabre (2009) et Orange (2002). Les régulations didactiques sont liées au problème professionnel « processus/produit » et au guidage des apprentissages. Du point de vue de la formation (et notamment dans l’atelier de formation « à et par la recherche »), il s’agit de poser et de reconstruire ce problème professionnel pour en envisager une meilleure prise en charge. La problématisation pour les stagiaires comme pour les formateurs est envisagée comme une démarche d’intervention. Elle permet de guider les apprentissages des élèves et/ou des formés. Elle est une forme de conceptualisation et s’apparente à un contrôle de l’activité par les connaissances. Elle convoque pour se déployer différentes modalités d’argumentation et d’interprétation de la situation. Elle met étroitement en relation les apprentissages et l’appropriation des savoirs avec la re-construction des problèmes qui leur sont associés. Dans le cadre des pratiques professionnelles, la problématisation vise la construction de techniques d’enseignement problématisées susceptibles d’assurer une gestion plus efficiente du système didactique.
11Le processus de problématisation est caractérisé par trois aspects dynamiques : l’exploration des possibles, l’articulation des données et des conditions du problème et l’examen de ces conditions. Nous étayons notre propos en nous appuyant sur un problème de régulation didactique en demi-fond vécu par les stagiaires. Ces derniers font état chez leurs élèves d’une course irrégulière. Ils souhaitent leur apprendre à la réguler par une intériorisation de repères égocentrés qui les amènent à se passer des repères extérieurs liés au chronomètre. Les stagiaires tentent de réguler les apprentissages des élèves à l’aide d’une fiche qui les questionne sur leurs « sensations », leur projet de course et la performance qu’ils visent. Le problème posé aux élèves est : comment parcourir une distance optimale en course fractionnée qui soit supérieure à celle réalisée sur une course en continu ?
12Pour l’exploration et la délimitation des possibles, il convient de voir comment le « phénomène » étudié fonctionne ainsi et pas autrement. Pour les deux autres aspects, la problématisation s’inscrit dans la logique de l’enquête de Dewey (1967) et se réalise dans l’articulation de données et de conditions du problème. Les données du problème relèvent des faits et des expériences et possèdent une valeur empirique. Les conditions du problème sont à mettre en relation avec les idées et les théories. Elles ont valeur de raisons, permettent d’expliquer les possibles et prennent un caractère de nécessité. Problématiser consiste alors à construire et spécifier les données du problème et à examiner/discuter ses conditions en les explicitant.
13Dans l’exemple évoqué, les données du problème de régulation didactique que rencontrent les stagiaires sont liées à l’activité réelle d’apprentissage des élèves en lien avec les interventions de l’enseignant et les activités qu’il a prescrites. Ainsi dans l’usage que les élèves font de la fiche suite à leurs tentatives, ils constatent chez ceux-ci l’absence de mise en relation entre : 1) La distance réalisée et les sensations de fatigue que la course provoque ; 2) L’usage des temps de récupération et la possibilité d’augmenter la performance.
14Les conditions sont liées, elles, aux théories organisatrices de l’activité enseignante ; des théories de l’apprentissage, des théories du savoir et des théories de l’enseignement et de l’école. Les théories mobilisées spontanément par les enseignants débutants sont alors questionnées. Poursuivons l’exemple de la course de demi-fond. Ici les stagiaires ont à construire la nécessité d’une construction progressive des apprentissages en course longue et la nécessité d’envisager les objets de savoirs en demi-fond en relation à des problèmes.
15La formation fait ainsi valoir de nouveaux principes qui n’étaient pas mobilisés dans les régulations initiales. Ainsi elle remet en cause un enseignement basé essentiellement sur le développement physiologique des élèves (amélioration de la VMA) au profit d’un apprentissage des modes de gestion de l’effort de durée.
16Dans la situation sur laquelle l’enseignant intervient, les élèves doivent courir la plus grande distance possible en neuf minutes et en trois fractions de trois minutes. La distance réalisée sur la course fractionnée doit être supérieure à la distance réalisée dans la course continue courue à une intensité minimale (85 % de VMA). Le temps de récupération entre les fractions est d’une minute. Le problème que doivent traiter ces coureurs qui s’engagent trop prudemment dans la course est de réguler leur vitesse de course pour maintenir une intensité optimale. La prise en charge par l’enseignant du problème du guidage des activités d’apprentissage des élèves l’amène à articuler des nécessités relatives à des conceptions de l’apprentissage ou du savoir, des pistes d’action et d’intervention, des données construites par exemple à partir des difficultés récurrentes des élèves. La construction de ces différents registres, l’exploration des possibles, la mise en relation des données et des nécessités, l’explicitation-discussion des raisons permettent de construire une « technique » de régulation des apprentissages sur ce problème de course.
17L’atelier de recherche vise donc une problématisation des pratiques professionnelles des stagiaires en lien avec le problème « processus/produit » lui-même orienté par la problématisation de l’activité des élèves de ces enseignants.
18Problématisation, argumentation, controverse et débat d’idée sont étroitement liés. La démarche de problématisation et les régulations didactiques qu’elle porte s’inscrivent dans des activités langagières spécifiques.
19La figure 1 ci-dessous illustre de manière générique le processus de problématisation que nous venons d’évoquer relatif aux techniques de guidage des apprentissages et qui renvoie au problème professionnel processus/produit évoqué en amont. La modélisation présentée s’inspire du losange de la problématisation (Fabre & Musquer, 2009) et des espaces de contraintes (Orange, 2003). Ce que nous nommons « espace technique problème » a la particularité de formaliser sur un axe central les tentatives et les hypothèses d’action sur la situation.
1.4. Régulations didactiques, problématisation et approches différentielles
20Les directions d’étude liées à la problématisation et les régulations didactiques qu’elle porte n’échappent pas au soupçon de générer des inégalités d’apprentissage et des malentendus scolaires et didactiques (Bautier & Rayou, 2009). Le fonctionnement interne du système didactique ne peut se penser indépendamment de l’externe de la classe et des contextes sociaux qui l’entourent. S’il est nécessaire de prendre en compte d’un point de vue didactique ce que l’élève « sait » (ses connaissances), il s’avère tout aussi pertinent de prendre en compte ce qu’il « est » (ses affects, ses sensibilités, sa culture et son milieu socioculturel) et d’avoir en tête, pour mieux les dépasser, les déterminismes que ces différentes positions font peser sur sa scolarité.
21Les soupçons évoqués en amont s’appuient désormais sur la notion de malentendus scolaires et didactiques qui dépassent l’explication mécanique des difficultés scolaires en se référant uniquement aux incapacités cognitives des élèves ou au désintérêt qu’ils manifestent à l’égard de l’école. La notion de malentendus permet de changer de point de vue et croise dans une même analyse un regard sociologique et un regard didactique. Les malentendus s’apparentent donc à des « constructions conjointes » de l’enseignant et des élèves que certaines formes de pratique provoquent et renforcent souvent à l’insu des acteurs. Le constat est fait que des mécanismes différenciés d’appropriation des savoirs et des situations scolaires s’opèrent et participent alors à la construction des inégalités. Parallèlement, il est observé un certain renoncement et une adaptation aux programmes par le bas qui aboutit à une distribution différenciée des activités scolaires. D’un côté l’école offrirait aux élèves d’origine favorisée les apprentissages et la culture et de l’autre côté elle participerait davantage à socialiser les élèves de profil moins favorisé au détriment de leur émancipation. Pour Rochex (2001, p. 347), « On tenterait de répondre à une absence ou une perte de sens des apprentissages et de leurs contenus par la promotion ou le développement d’une sociabilité et d’une convivialité sans objets ».
2. Le contexte de la recherche et sa méthodologie
2.1. Le recueil de données
22Le recueil de données est lié à un atelier de « formation à et par la recherche » réalisé dans le cadre du Master MEEF3 second degré parcours EPS à l’ESPÉ4 de l’Académie de Nantes. Cet atelier, proposé parmi d’autres, ancre les travaux de recherche des stagiaires dans le cadre théorique de la problématisation et des situations forcées (Orange, 2010). Ces dernières sont l’occasion pour les stagiaires de concevoir et de mettre en œuvre un certain nombre de régulations didactiques entendues comme des procédures de guidage des apprentissages des élèves dans différentes APSA. Les savoirs professionnels envisagés dans ce dispositif de formation visent à permettre aux stagiaires de construire une lecture des activités d’apprentissage de leurs élèves (conduites typiques, difficultés récurrentes, tentatives prometteuses, avancée des contenus d’apprentissage...) dans la confrontation aux APSA.
23C’est le travail de recherche des stagiaires (définition de la problématique et des questions de recherche, conception et mise en œuvre des situations, recueil des données et ajustements pour un nouveau recueil de données...) qui est mis sous observation dans la recherche présentée ici. L’idée est d’apprécier au fil du dispositif de formation « à et par la recherche » l’évolution et les résistances quant à la prise en charge des guidages différentiels par les stagiaires.
24L’atelier de formation « à et par la recherche » a aussi la particularité de réunir avec les stagiaires des collègues professeurs d’EPS qui travaillent dans des établissements de l’académie. Ils ont effectué ou sont en train d’effectuer pour certains dans un autre contexte un travail de recherche autour de la problématique de l’atelier5.
2.2. La méthodologie
25Pour saisir ce travail autour des régulations didactiques, notre recueil de données se situe à cinq niveaux différents que nous présentons ici de manière synthétique :
Les données de type 1 sont issues d’un travail des stagiaires à l’ESPE sur leur projet de recherche qui consiste à élaborer un scénario d’enseignement pour problématiser les apprentissages. Les chercheurs disposent alors du projet d’enseignement initial (S1) et des échanges enregistrés (E1) entre les stagiaires sur la manière dont ils envisagent cette problématisation et les régulations didactiques qu’ils vont mettre en œuvre.
Les données de type 2 sont des observations des stagiaires en cours d’EPS lorsqu’ils guident in situ les apprentissages de leurs élèves. Les chercheurs disposent alors de premières vidéos (V1) montrant ces tentatives de régulations.
Les données de type 3 sont issues d’un travail des stagiaires à l’ESPE où leurs tentatives de régulations sont mises en discussion à partir des vidéos dans le groupe de travail ce qui aboutit à un ajustement des situations d’enseignement. Les chercheurs ont alors de nouveaux enregistrements (E2) et de nouvelles situations d’enseignement (S2).
Les données de type 4 correspondent à de nouvelles observations des stagiaires en cours d’EPS lorsqu’ils régulent l’activité d’apprentissage de leurs élèves. Cela se traduit pour les chercheurs par de nouvelles vidéos (V2).
Les données de type 5 sont de même nature que les données de type 3. La mise en discussion à partir des vidéos des régulations effectuées par les stagiaires est enregistrée (E3).
26L’étendue du corpus ne nous permet pas un traitement systématique de toutes les données.
27Certaines données (type 1 et type 3) ne sont pas spécifiques aux doublettes de stagiaires qui travaillent ensemble, car elles sont liées aux interactions entre les différents protagonistes du séminaire.
28Les données de type 3 et 4 feront l’objet d’un traitement plus systématique en termes d’analyse de contenus. Les autres données seront traitées plus superficiellement.
29Nous analysons au fil du scénario de formation « à et par la recherche » les évolutions liées aux techniques de régulation/aux guidages des apprentissages conçus puis mis en œuvre par les stagiaires.
30Le traitement des données s’effectue en quatre temps :
Mise à plat des discours sur les régulations didactiques en amont de leur mise en œuvre et lors des phases de régulation dans le séminaire et/ou dans des sessions de travail avec le directeur de mémoire.
Mise à plat (retranscription) des régulations didactiques effectivement menées dans les situations d’enseignement-apprentissage.
Codage au regard des éléments constitutifs de la problématisation (données, nécessités, hypothèses) et de leur mise en relation.
Mise en chronologie et repérage des avancées et des résistances à la prise en charge des régulations didactiques et à leurs différenciations.
31Précisons ici que les analyses réalisées portent sur la manière dont les stagiaires interviennent pour guider les contenus d’apprentissage. Elles recoupent une variété de contextes d’enseignement, d’APSA enseignées et d’expériences professionnelles des stagiaires. À cet égard, la comparaison entre ces différents éléments amène les participants du séminaire à conceptualiser ce guidage, c’est l’objet du séminaire. Ce qui explique les interprétations parfois assez génériques exposées dans la partie suivante.
3. Quelques éléments saillants autour de premiers résultats
32La figure 2 fait état d’un premier niveau de résultat. Il s’agit de la mise en chronologie reconstruite à partir des échanges d’un groupe de stagiaires. Ici le losange de la problématisation (cf. figure 1) est déployé et détourné pour inscrire la problématisation dans la temporalité de son déroulement. L’axe du haut fait valoir des nécessités fonctionnelles qu’il faut mettre en relation avec ce que nous avons appelé dans les développements précédents les conditions du problème. La ligne du bas renvoie elle aux données du problème qui s’apparentent à des contraintes empiriques issues de la situation d’enseignement-apprentissage. Enfin l’axe du milieu représente l’exploration des possibles, qui ici, dans une problématisation de nature technique, se traduit par des hypothèses et des tentatives qui visent à produire des effets sur la situation. La mobilisation des nécessités fonctionnelles peut se faire sans leur explicitation et sans leur examen critique. La problématisation est alors incomplète et les hypothèses d’action ne sont pas fondées en raison. Les solutions construites peuvent avoir une certaine fonctionnalité, mais les conditions de leur efficacité restent implicites. On peut alors avoir des doutes sur la construction d’apprentissages professionnels durables et réinvestissables. Rappelons que ces apprentissages sont à mettre en relation avec les savoirs professionnels qui permettent de gérer le système didactique (tel que nous l’avons défini dans la partie 1.2.) : 1) Intégrer la fonctionnalité des techniques liées aux différentes APSA ; 2) Intervenir au regard de l’activité d’apprentissage déployée par les élèves dans leurs tentatives pour construire ces techniques spécifiques ; 3) Chercher l’engagement des élèves dans des pratiques significatives pour dresser un diagnostic partagé de ce qu’ils sont capables de faire et construire le sens du travail à réaliser pour progresser.
33La recherche est en cours. Nous ferons état dans cet article de premiers résultats liés au fonctionnement des premières séances de l’atelier de formation « à et par la recherche » et aux premières tentatives menées sur le terrain par les étudiants dans le but de recueillir des données pour leur mémoire de master.
34La figure 2 issue de l’analyse des premiers échanges reflète globalement ce qui fait accord entre les stagiaires du groupe. Elle rend compte de leur mode de fonctionnement dominant en lien avec l’obstacle lié au problème professionnel que l’atelier de formation « à et par la recherche » est sensé prendre en charge par la thématique qu’il aborde et met au travail dans leurs travaux de recherche. Pour les formateurs comme pour les chercheurs, ce « déjà-là » est à envisager comme un obstacle. Il faut l’accueillir dans sa positivité (il permettra l’action dans un cadre donné), mais aussi dans son ambiguïté et son intériorité (il sera à l’origine de résistances à sortir de ce cadre d’action).
35Les premières analyses font valoir les doutes des stagiaires sur la nécessité de ces régulations didactiques pour apprendre. Ainsi en badminton, la proposition initiale des étudiants consiste en un aménagement du terrain avec des zones bonifiées pour permettre aux élèves l’ajustement des trajectoires et des cibles sur la profondeur du terrain. Dans la gestion de ce dispositif, les stagiaires ne prévoient aucune intervention et aucun questionnement spécifique vers les élèves en termes d’aide sur la prise d’indices nouveaux, d’actions nouvelles et de principes qui les organisent. La construction des contenus est envisagée dans une simple logique d’adaptation. Ces doutes se manifestent de différentes manières et se résument par deux tensions. Elles transparaissent de façon assez systématique dans les discussions au sein de l’atelier de recherche (données de type 1 et données de type 3) dans son déroulement à l’ESPE où les situations forcées, support des travaux de recherche, sont conçues et exposées avec les stagiaires et les collègues professeurs d’EPS.
36La première tension est liée aux enjeux de la discipline. Les moments de débats entre les élèves sont conçus prioritairement comme une occasion de développement du vivre ensemble et de compétences méthodologiques et transversales, et non comme une régulation des apprentissages spécifiques pour se transformer dans les APSA. Le lien n’est pas fait entre les apprentissages dans les APSA et la problématisation. Dans cette hésitation, les compétences méthodologiques et sociales sont souvent privilégiées au détriment des compétences propres aux APSA. En termes d’activités concrètes, nous observons l’organisation de moments d’interactions entre les élèves afin de faire en sorte qu’ils échangent entre eux (« des pauses réflexives », « des zones de débat technique »). Les discussions portent alors exclusivement sur l’organisation de l’activité (la constitution des équipes, les modalités d’organisation des rencontres, l’arbitrage...) et non sur les contenus d’apprentissage pour transformer l’activité des joueurs. Des fiches de travail permettant de récolter des informations sur les comportements des élèves sont renseignées, commentées et discutées. L’alternance entre des phases d’action et de réflexion sur l’action est concrètement anticipée et organisée (voir figure 2 ci-dessus). Des rôles sociaux (observateurs, coachs, aides à la parade, juges...) sont distribués aux élèves, mais la façon de faire vivre l’ensemble de ces éléments s’inscrit davantage dans le registre du pédagogique que du didactique. Le développement des compétences méthodologiques et sociales est pensé indépendamment des apprentissages en badminton. Les étudiants disent être satisfaits des échanges qui se produisent entre les élèves et les évaluent quantitativement indépendamment de leur contenu (« Il faut les faire verbaliser »). Ils font valoir leur attachement aux dimensions interactive et réflexive des apprentissages, mais ces mobilisations se font bien souvent indépendamment des contenus d’apprentissage et survalorisent les relations sociales et l’expression de chacun dans l’absolu. Dans les différents rôles dévolués aux élèves, ce qui est important c’est de tenir les rôles et d’assurer les échanges qui vont avec. Cependant l’ancrage des discours dans des préoccupations didactiques délimitées par la signification des activités et leur transposition est aléatoire. Ces rôles et ces statuts sont plutôt des prétextes pour provoquer des échanges et des interactions et sont peu connectés à la construction des savoirs.
37La deuxième tension exprime, elle, un doute entre privilégier des temps moteurs de pratique effective longs et/ou organiser des temps de réflexion sur cette pratique qui pourraient diminuer la quantité de travail/d’action des élèves à laquelle les stagiaires sont fortement attachés. Les données du problème mentionnées dans la figure 2 évoquent à leur façon ce que les stagiaires perçoivent des contraintes de la situation et qui sont potentiellement l’expression de freins à la prise en charge de la problématique du guidage différentiel des apprentissages. La donnée « les bons élèves parlent plus que les élèves en difficultés » croisée avec la nécessité de « faire vivre des activités communes à toute la classe » se conjugue par des hypothèses d’action sur la situation où le stagiaire s’adresse uniformément à toute la classe entendue comme un collectif.
38Les deux exemples suivants illustrent ces doutes et ces hésitations.
39Dans le premier exemple, le travail de recherche du stagiaire vise à « Comprendre en quoi l’alternance de situations jouées et de simulations en badminton, en réponse à une situation problème, peut aider des élèves à problématiser et ainsi favoriser l’appropriation de contenus d’enseignement ». A l’occasion d’un travail dans une autre UE6, ce stagiaire a déjà tenté de mettre en œuvre au cours de son stage une démarche de problématisation en badminton. Lors de l’atelier de formation « à et par la recherche » qui consiste à construire les projets de séquence supports de la recherche des étudiants, il émet sans ambiguïté dans les échanges ses doutes : « Je me demande si la problématisation c’est pas réservé aux bons élèves. Ils ne parlent pas tous et c’est surtout les bons qui parlent ».
40Dans notre second exemple, deux binômes de stagiaires au cours d’un atelier de recherche reviennent sur leurs recueils de données et leurs tentatives de faire problématiser les élèves. Pour A et B, le travail porte sur une séquence de « demi-fond » en collège REP, pour C et D dans une séquence de natation en première ES (Economique et Social).
41Nous relatons ici un extrait des commentaires entre les stagiaires et le formateur à partir du film de la séance dans laquelle ils ont effectué leur recueil de données.
B : En fait, les élèves ne discutent pas tous, ils ne tiennent pas forcément compte des fiches qui doivent les aider. Soit ils veulent faire, soit ça les barbe. On se demande si la problématisation c’est le bon moyen ?
Formateur : Il faudrait essayer de voir ce qui fait que ces élèves ne sont pas « en recherche », parce que là, ils ne sont pas en recherche.
B : C’est peut-être aussi des difficultés de la part de l’enseignant, je sais que moi je ne sais pas trop comment les faire avancer…
Formateur : Ou alors est-ce que c’est pas long à installer ce type de démarche.
B : Peut-être aussi, ce sont des choses qui ne sont pas automatisées chez eux et…
Formateur : Toi (D) ton public c’est des premières éco, c’est ça, ils ont accepté de discuter assez vite
D : Oui c’est ça.
A : Nous c’est pas du refus, mais, oui dans ton groupe (vidéo de D) ça se voit tout de suite ils rentrent dans le débat et puis ils enchainent les questions
D : Oui il n’y a pas de problème de verbalisation, ça avance tout de suite.
A : Alors que nous ; c’est le blocage.
Formateur : Ils n’y arrivent pas pour l’instant, est-ce pour autant une raison pour arrêter ?
A : Ben non, il faut essayer de trouver d’autres variables ou une autre façon pour les amener à problématiser.
Formateur : Et puis pour votre recherche ça va être l’occasion de réfléchir et de discuter de ce phénomène et puis à d’autres hypothèses ou d’autres conditions qui amèneront ces élèves à problématiser.
42L’observation des premières mises en œuvre de « situations forcées pour problématiser » dans les leçons d’EPS en lien avec le premier recueil de données des stagiaires (données de type 2) fait valoir des difficultés à réguler en situation et dans le direct les interactions avec les élèves. Lorsque ces interactions se font, nous faisons le constat de régulations didactiques « en bloc » qui s’adressent à tous les élèves ou plus exactement à un élève prototypique qui serait représentatif des élèves de la classe.
43Dans le détail des interactions et des régulations didactiques et en cohérence avec les premières observations, nous constatons pour beaucoup d’étudiants :
Une mobilisation de régulations pensées du point de vue de l’entrée des élèves dans la tâche et non du point de vue de leur activité d’apprentissage. La quantité de travail, le temps de pratique sont à l’origine de nombreuses régulations et les étudiants-stagiaires se satisfont de cette unique composante de l’activité de leurs élèves.
Une mobilisation de régulations centrées sur la valorisation ces relations sociales et ces rôles sociaux au détriment des contenus liés aux transformations motrices. Ces relations sociales et ces rôles sociaux sont devenus un but en soi alors qu’ils sont plutôt à envisager comme des moyens d’accéder à l’épaisseur des pratiques physique et aux conditions authentiques de leur production.
Une mobilisation de régulations didactiques de l’enseignant potentiellement minorées au profit du dispositif qui « fait apprendre » (magie de la tâche). La tentation est grande de laisser les choses se faire entre les élèves par l’intermédiaire de la situation et de ce que sa structure provoque.
44L’expérience des stagiaires dans la situation forcée ainsi que les régulations dans les séminaires de recherche nous permettent cependant de pointer quelques avancées sur ce qui fait l’objet des régulations et sur la définition des contenus d’enseignement qui permettent aux stagiaires d’aider les élèves à spécifier les données du problème. En demi-fond par exemple, les contraintes de la situation sont telles qu’elles permettent aux élèves de se rendre compte rapidement que le fractionnement de la course en trois périodes avec des petits temps de récupération nécessite malgré tout d’envisager la course dans sa globalité si on veut être performant. Les stagiaires évoluent et appréhendent progressivement la situation au regard du problème qu’elle pose aux élèves. Ils reconsidèrent la situation du point de vue des contraintes qui vont amener les élèves à explorer de nouvelles stratégies de course et donc de nouvelles façons de s’organiser dans l’activité. Progressivement les étudiants ne raisonnent plus uniquement en termes de performances chiffrées. Ils commencent à envisager des questionnements pour aider les élèves à mettre en relation vitesse de course, rythme des foulées et rythme respiratoire pour réguler cette vitesse. Leurs discours mettent en évidence un questionnement nouveau non plus en fonction d’activité à « faire faire », mais davantage en termes d’activité qui pose un problème de course de demi-fond et de régulation de la vitesse à leurs élèves. Dans les phases de conception des situations forcées support de leur recueil de données (Données de type 1 et de type 2 pour notre recherche) leurs échanges montrent qu’ils intègrent l’idée qu’il faut qu’individuellement les élèves passent d’une régulation de leur course à partir de repères essentiellement exocentrés à des repères égocentrés susceptibles de leur donner les clefs d’une régulation efficace de leur course quelle que soit la distance qu’ils auront à parcourir. Ces activités nous semblent révélatrices d’une évolution vers la mobilisation des contenus d’enseignement comme outils d’intervention et de régulation.
45La nature des données recueillies par les stagiaires pour leur recherche et les conditions dans lesquelles elles sont prélevées, sont questionnées à l’issue du premier recueil de données. Les conditions de production des échanges et des débats réflexifs sur l’activité sont (ré)-interrogées et transformées à la lumière de nouveaux apports didactiques qui ne manquent pas de cibler et de préciser les objets d’apprentissages et les conditions de leur appropriation par les élèves. Pour autant, les interventions restent globales et s’adressent à tous. Les gains en précision sur la définition des contenus d’apprentissage révèlent quelques tentatives prometteuses dans la conception et le guidage, mais ne se traduisent pas encore radicalement par des préoccupations de différenciation effective.
4. Conclusion
46Les premiers résultats de cette recherche en cours mettent en évidence une véritable difficulté quant à la prise en charge du problème professionnel « processus-produit » lié au guidage des apprentissages. Conjugué avec une problématique de différenciation, obligeant à rompre avec une intervention en bloc adressée à l’élève-collectif ou l’archi-élève, les choses se compliquent encore plus. Dans l’état actuel des analyses, le constat est fait que les premiers guidages différentiels, s’ils sont faits, s’adressent à tous les élèves sans distinguer de manière explicite là où ils en sont par rapport à la construction des savoirs disciplinaires en jeu. L’intervention quand elle existe relève de la « cote mal taillée ». Si les espaces et les temps de débats techniques sont anticipés et deviennent constitutifs des situations proposées aux élèves, leurs usages se trouvent parfois détournés au profit d’une valorisation des rôles sociaux que les élèves vont devoir tenir afin de favoriser l’acquisition de compétences méthodologiques et sociales. Les débats, l’argumentation et le langage ne servent pas prioritairement les apprentissages spécifiques de la discipline. Ils sont davantage l’occasion de construire et de tenir des positions sociales dans le groupe dans l’optique d’un « meilleur vivre ensemble ». Il convient cependant de nuancer ces premiers résultats. En effet, même chez des enseignants plus expérimentés cette problématique de l’intervention différenciée reste assez floue et emprunte d’implicites dans la mesure où elle est peu formalisée. Dit autrement, il se peut que les collègues interviennent et que cela « marche » avec les bons élèves comme avec les élèves de positions scolaires plus faibles, mais pour autant les conditions de ces réussites restent engluées dans l’expérience. Les premiers résultats, notamment à travers le travail de conceptions effectué en commun dans l’atelier de recherche, mettent aussi en évidence des besoins en didactique des APSA sur la définition des contenus d’enseignement en lien avec une lecture fonctionnelle de l’activité des élèves (Amade-Escot, 1993 ; Le Bas, 2005 ; Ouitre, 2011). Cette lecture de l’activité des élèves en termes de modes d’organisation référée à une progressivité des apprentissages pour les élèves semble déterminante pour penser les guidages différentiels. Si les étudiants-stagiaires deviennent progressivement convaincus qu’il faut intervenir pour aider les élèves à apprendre, le contenu de ces interventions reste un peu énigmatique pour eux. Dans les développements à venir de notre recherche, nous orienterons plus spécifiquement nos investigations pour saisir les relations entre la formation développée, la construction progressive d’une lecture des activités d’apprentissage des élèves et les possibilités de régulations différenciées des enseignants débutants. Enfin, nos premiers résultats font valoir une certaine efficacité de cet atelier de formation « à et par la recherche » en termes de professionnalisation. Il organise de fait une véritable alternance entre un travail collectif de conception orchestré dans l’atelier à l’ESPE, des mises en œuvre accompagnées sur le terrain et des régulations visant à ajuster les situations destinées aux élèves au regard de la problématique des recherches centrées sur le guidage différentiel. Ce scénario de formation « à et par la recherche » nous semble prometteur. Ses priorités et leurs déclinaisons concrètes dans le dispositif de formation nous paraissent propices à l’atteinte des objectifs que l’on assigne à la recherche dans la formation des enseignants. Ce scénario est aussi l’occasion de mettre au travail de façon systématique la problématique des régulations différentiées pour faire le constat que, malgré les bonnes intentions, leur mise en œuvre reste difficile et nécessite des outils didactiques qui vont dans le détail de la mobilisation des contenus d’apprentissage par les élèves.
Notes de bas de page
1 Chantal Amade-Escot envisage aussi des PRD de type 1 en rapport avec un enseignement formel de modèles gestuels ; des PRD de type 2 en rapport avec un enseignement par aménagement du milieu ; des PRD de type 3 en rapport avec un enseignement par dévolution d’une activité ludique.
2 Pour des raisons de place, nous n’évoquerons que le problème professionnel qui intéresse notre propos et renvoyons le lecteur à d’autres publications plus exhaustives sur le sujet (Le Bas, 2005 ; Ouitre, 2011).
3 Métier de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation.
4 École Supérieure du Professorat et de l’Éducation.
5 La participation de professionnels en exercice est à notre sens une condition favorable à l’implication des étudiants dans le processus de formation « à et par la recherche ». Cette problématique des régulations didactiques et du guidage des apprentissages n’est pas de ce fait l’unique préoccupation des deux enseignants-chercheurs. Des professionnels s’y intéressent.
6 Unité d’Enseignement
Auteurs
Université de Caen Normandie, CIRNEF - EA 7454
Université de Nantes, CREN - EA 2661
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le vampire dans la littérature romantique française, 1820-1868
Textes et documents
Florent Montaclair
2010
Histoires de familles. Les registres paroissiaux et d’état civil, du Moyen Âge à nos jours
Démographie et généalogie
Paul Delsalle
2009
Une caméra au fond de la classe de mathématiques
(Se) former au métier d’enseignant du secondaire à partir d’analyses de vidéos
Aline Robert, Jacqueline Panninck et Marie Lattuati
2012
Interactions entre recherches en didactique(s) et formation des enseignants
Questions de didactique comparée
Francia Leutenegger, Chantal Amade-Escot et Maria-Luisa Schubauer-Leoni (dir.)
2014
L’intelligence tactique
Des perceptions aux décisions tactiques en sports collectifs
Jean-Francis Gréhaigne (dir.)
2014
Les objets de la technique
De la compétitivité motrice à la tactique individuelle
Jean-Francis Gréhaigne (dir.)
2016
Eaux industrielles contaminées
Réglementation, paramètres chimiques et biologiques & procédés d’épuration innovants
Nadia Morin-Crini et Grégorio Crini (dir.)
2017
Epistémologie & didactique
Synthèses et études de cas en mathématiques et en sciences expérimentales
Manuel Bächtold, Viviane Durand-Guerrier et Valérie Munier (dir.)
2018
Les inégalités d’accès aux savoirs se construisent aussi en EPS…
Analyses didactiques et sociologiques
Fabienne Brière-Guenoun, Sigolène Couchot-Schiex, Marie-Paule Poggi et al. (dir.)
2018