Analyse de l’enseignement de l’EPS sous l’angle du contrat didactique différentiel, dans une classe intégrant des enfants en surpoids
p. 99-112
Texte intégral
1Considérée comme un problème de santé publique, l’obésité touche 16 % des enfants (INSERM 2004). Dans un ouvrage récent, Vigarello (2011) analyse les raisons et les conséquences du syndrome d’obésité qui n’épargne pas les pays occidentaux. Les causes évoquées résident dans les mauvaises habitudes alimentaires et dans la sédentarité, qui touchent préférentiellement les classes populaires. De nombreux travaux ont en effet été réalisés pour expliquer les conditions sociales de la recrudescence de l’obésité (Poulain, 2009 ; Thibault de Saint Pol, 2008a, 2008b, 2011). Des études ont également discuté le rôle de l’activité physique et de l’Éducation Physique et Sportive (EPS) scolaire pour les jeunes personnes en surpoids (études INSERM, 2008) : l’activité physique doit être convoquée dans la lutte contre l’obésité, à condition toutefois que le plaisir de pratiquer soit mis en avant (Perrin, 2003, 2007). Toutefois certains travaux interrogent les aspects normatifs des politiques éducatives qui donnent au système éducatif un rôle fort dans l’éducation à la santé et la prévention, et qui instrumentalisent l’EPS et les Activités Physiques, Sportives et Artistiques (APSA) (Guiet Sylvain & al., 2011 ; Marsault & Cornus, 2014). Dans cet article, nous nous intéressons non pas à l’intérêt des pratiques physiques pour des élèves à besoins particuliers, mais à l’analyse de pratiques pédagogiques et didactiques mises en œuvre dans des classes comptant des enfants obèses et / ou en surpoids. Notre travail réside dans une étude de cas c’est-à-dire dans l’analyse de situations d’enseignement mettant en rapport une enseignante et ses élèves au cours de six séances d’EPS. Elle a été effectuée dans un collège qui accueille en internat de jeunes adolescents en surpoids dans le cadre des politiques d’inclusion mises en place par le ministère de l’Éducation Nationale. Ces élèves sont scolarisés dans les classes correspondant à leur niveau d’âge. Ils sont suivis médicalement, par des spécialistes (médecin, infirmier scolaire, diététicien, psychologue) afin de traiter leur surpoids et de leur donner des habitudes de vie saines. Leur scolarité se veut au plus proche de celle des autres collégiens. Ils participent donc au cours d’EPS avec leur classe mais ils ont également trois séances d’activités physiques supplémentaires hebdomadaires, proposées par le professeur d’EPS de l’établissement en collaboration avec des intervenants extérieurs (maître-nageur, moniteur d’équitation, etc.).
2 Cet article rend compte de l’analyse des intentions didactiques et des modalités d’intervention d’une enseignante d’EPS ; analyse destinée à identifier d’éventuelles spécificités de l’action d’enseignement auprès d’élèves en situation de surcharge pondérale. Le professeur adapte-t-il pour eux les objectifs envisagés pour la classe ? Comment agit-il pour favoriser la participation et l’apprentissage de ces élèves ? Comment réagissent les élèves concernés ? Peut-on observer des particularités dans les interactions ?
1. Regard sur l’obésité : du médical au didactique
3Nous proposons ici d’expliquer le cheminement qui nous a conduits à poser un regard didactique sur une thématique de santé publique.
1.1. Quelques considérations relatives à la relation activité physique/santé
4Selon le dossier « Obésité » de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale, 2014), « l’obésité correspond à un excès de masse grasse qui entraîne des inconvénients pour la santé et réduit l’espérance de vie » (p. 1). L’indice de masse corporelle (IMC), correspondant au poids (en kilogrammes) divisé par le carré de la taille (en mètres), permet de rendre compte du degré d’obésité. Selon la classification de l’OMS, on parle de surpoids lorsque l’IMC est supérieur à 25 et d’obésité lorsqu’il dépasse 30. De nombreuses études s’intéressent aux liens entre activité physique et surpoids. Au registre médical, les conclusions des études de l’INSERM (2008) vont dans le sens de la promotion d’une activité physique raisonnée pour tous, y compris pour les personnes souffrant de pathologies (diabète, obésité, cancers…). De son coté, dans ses travaux relatifs aux liens entre activité physique et santé, Perrin (2003, 2007) montre la nécessaire relation de plaisir que les individus doivent éprouver lors de la pratique pour que celle-ci devienne habituelle.
5En outre, la relation santé / pratique des activités physiques questionne certains sociologues qui s’intéressent aux liens entre surpoids et conditions sociales. Les travaux de Poulain (2009) et de Saint Pol (2008) montrent ainsi qu’il y a moins de personnes en surpoids chez les cadres que chez les ouvriers ou agriculteurs, et qu’il y a davantage d’obèses chez les non diplômés et dans les ménages les plus pauvres. De Saint Pol (2011) pointe également les conséquences collatérales de cette situation de surpoids : l’obésité est souvent associée à d’autres soucis de santé, à des problèmes orthopédiques, psychologiques et à des difficultés d’intégration, et elle génère des processus de stigmatisation.
1.2. Les politiques publiques en matière de santé
6Selon le Plan Obésité 2011-2013, un enfant français sur six présente un excès de poids. Cet état des lieux a conduit à la mise en place de politiques sanitaires destinées à la prévention mais aussi à la prise en charge des personnes atteintes de surpoids ou d’obésité. Une des préconisations concerne « la promotion de l’activité physique et sportive adaptée (APA) chez les populations en situation de handicap, défavorisées, âgées ou atteintes de maladies chroniques » (Plan National Nutrition Santé, 2011-2015, p. 28).
7Pour les enfants pour lesquels la pathologie est installée, le Plan Obésité 2011-2013 envisage des moyens. Certains d’entre eux sont relatifs à l’accompagnement des enfants en surpoids en milieu scolaire : « des mesures doivent être prises et des dispositifs mis en place pour favoriser une activité physique adaptée » (axe 2 mesure 2.3, p. 27). Parmi ces mesures, on note la création de réseaux RePOP (Réseaux de Prévention de l’Obésité Pédiatrique) qui réunissent des professionnels de santé chargés de faire de la prévention ou de l’accompagnement des personnes souffrant de surpoids ou d’obésité. L’Ecole doit aussi apporter sa contribution à la prise en charge de cette situation. Cela peut prendre la forme d’actions de prévention et d’information sur les dangers d’une alimentation trop riche et sur les risques de l’inactivité physique. Cela consiste aussi à faire que les élèves à besoins éducatifs particuliers, dont ceux concernés par le surpoids ou l’obésité, puissent suivre les cours d’EPS, avec une adaptation des exigences si nécessaire (programme collège 2008). En effet, les situations de surpoids ou d’obésité peuvent constituer des freins à la pratique physique et sportive, et peuvent même entrainer, de la part des adolescents atteints, des demandes de dispense du cours d’EPS. Les textes officiels (programmes EPS école 2008, collège 2008, lycée 2010) pointent l’importance du plaisir associé à la pratique pour instaurer chez les sujets un rapport positif à l’activité physique, une propension à s’adonner à l’exercice physique. Il s’agit de donner à l’élève l’envie et les moyens d’entretenir ou de restaurer son capital santé tout au long de sa vie : « À l’adolescence [...], l’EPS peut aider à prendre conscience de l’importance de préserver son capital santé » (programme Collège, 2008).
8Dans le monde scolaire, le terme d’intégration a aujourd’hui tendance à être discuté dès lors qu’il signifie l’effort que doit faire l’individu pour intégrer la communauté scolaire (Rapport Lachaud, 2003). L’exigence d’intégration semble d’ailleurs avoir migré vers une volonté d’inclusion. Selon Gardou (2013), l’intégration agit spécifiquement sur l’individu pour lui permettre de s’inscrire dans un collectif, tandis que l’inclusion agit sur la situation pour permettre à tous d’être à égalité de traitement au-delà des différences et renvoie aux efforts consentis par l’institution pour accueillir chacun.
1.3. Les pratiques professionnelles relatives à l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers
9La question des modalités de la prise en charge par les enseignants des enfants présentant des difficultés fait l’objet de réflexions professionnelles. Dans le Dossier EPS numéro 62 (2004), les auteurs (des enseignants, des inspecteurs, un médecin) s’interrogent sur la façon de faire partager aux enfants obèses des expériences motrices dans le cadre des cours d’EPS. En premier lieu, l’enseignant doit faire preuve d’empathie et s’efforcer de comprendre le regard que ces enfants portent sur l’EPS. Ensuite, il doit imaginer les adaptations spécifiques nécessaires pour chacune des APSA prévue dans sa programmation au cours de l’année scolaire. Ainsi, les situations d’apprentissage et d’évaluation sont conçues pour être adaptées aux possibilités des élèves obèses et leur permettre de pratiquer au sein de leur classe. Les ajustements envisagés peuvent porter sur le choix des activités physiques sportives et artistiques, sur l’aménagement des dispositifs, les exigences, les critères d’évaluation, les formes de groupement ou encore « les contenus et les situations d’apprentissage » (p. 17). Les difficultés auxquelles les enseignants peuvent être confrontés sont également évoquées car « l’élève obèse vit souvent une situation conflictuelle puisqu’il se sait différent et moins performant que ses camarades : « Il semble donc important de proposer plusieurs choix à l’élève : les mêmes épreuves avec des barèmes plus faciles, des épreuves et évaluations différentes, un contrat décidé entre élève et enseignant » (Groupe Académique de Versailles Obésité et EPS, 2004, p. 17).
10Enfin, en 2014, Lefèvre et Marsault s’interrogent sur les représentations que les enseignants d’EPS ont des élèves obèses ou en surpoids, et sur le rôle de ces représentations relativement à la façon d’intervenir auprès de ces élèves. « Quatre registres de sens » permettent, selon ces auteurs, de différencier les manières dont les enseignants analysent les besoins de l’élève obèse, selon que sont valorisés la performance, l’intégration et l’égalité, l’esthétique ou le médical.
1.4. Une étude inscrite dans le paradigme de l’action conjointe en didactique
11Nous inscrivons notre étude dans le paradigme de l’action conjointe en didactique qui permet d’analyser, à partir d’une situation concrète d’enseignement, l’activité qui se déploie entre une enseignante d’EPS et des enfants en surpoids dans une classe ; ceci afin de mettre en évidence les possibles et les contraintes du fonctionnement du système didactique relativement à la démarche inclusive préconisée par les textes institutionnels vis-à-vis des élèves en surpoids. Ainsi il sera intéressant d’interroger les processus de contextualisation didactique définis par Poggi et Brière (2016) comme « le produit des relations interactives entre le contexte et la situation ». Nous analyserons donc en quoi l’activité de l’enseignante est dépendante des cercles contextuels dans lesquels elle s’inscrit.
12Le travail didactique de l’enseignant s’organise autour du maintien de la relation des élèves avec le savoir enseigné, sachant que de nombreux aléas participent à la modification ou à la différenciation du contenu visé, parfois à l’insu du professeur comme des élèves. Comme le préconisent Schubauer-Leoni et Leutenegger (2005) qui privilégient « la logique ascendante pour traiter des phénomènes transpositionnels » (pp. 417- 418), c’est au cœur des phénomènes d’enseignement-apprentissage que l’on peut repérer ces adaptations. C’est en particulier dans l’étude des phases interactives entre enseignant et élèves, et plus particulièrement dans les étapes de définition et de régulation des tâches (Sensevy, 2007), que se donnent à voir les contenus enseignés.
13Dans ce paradigme de recherche, le processus d’enseignement-apprentissage est envisagé comme une « transaction didactique » mettant en présence un enseignant et des élèves, engagés dans des situations coopératives porteuses d’objets et d’enjeux de savoirs (Sensevy & Mercier, 2007). Engagés dans cette transaction didactique, les acteurs sont liés par des attentes réciproques, identifiées sous le concept de « contrat », qui renvoie aux négociations, explicites ou implicites, entre un élève (ou un groupe d’élèves) et un enseignant insérés dans un milieu auquel ils sont assujettis (Brousseau, 1998). Depuis sa position d’élève ou de professeur, chacun attend de l’autre certaines conduites : des rôles par rapport au savoir sont implicitement définis et des responsabilités sont explicitement mais surtout implicitement posées et particularisent la coutume de la classe. Dès 1996, Schubauer-Leoni a montré le caractère différentiel du contrat didactique. Elle avance en effet que le « contrat n’est pas négocié uniquement entre l’instance du maître et celle que représente l’ensemble des élèves, mais entre le maître et des sous-groupes d’élèves correspondant à diverses positions relatives au sein de la classe » (p. 160). Ces chercheurs montrent que tous les élèves d’un même groupe ne sont pas confrontés au même milieu, dans la mesure où ils ne sont pas sollicités de la même façon par l’intervenant. Le concept de « contrat didactique différentiel » permet au chercheur d’embrasser les dynamiques différentielles qui cohabitent au sein d’un même système comme révélatrices des processus différenciateurs introduits par l’enseignant en lien avec les différentes positions d’élèves. Il permet également d’approcher la manière singulière dont les élèves s’approprient les objets culturels et les contenus proposés dans le cadre d’une situation d’enseignement.
1.5. Problématique et questions de recherche
14Dans notre étude, nous tentons de repérer si existent des contrats didactiques différentiels entre une enseignante d’EPS et certains de ses élèves qui, dans ses classes, sont en situation de surpoids. Nous cherchons donc à repérer les éventuelles interactions spécifiques entre ces deux catégories d›acteurs. Nous souhaitons identifier les domaines dans lesquels s’exercent ces hypothétiques différences : en termes d’objectifs visés, d’organisation du milieu, de savoirs mis à l’étude et de leur négociation avec les élèves, d’aide à l’étude, d’évaluation. Permettant ainsi de rendre compte des modalités d’intégration ou d’inclusion de ces élèves dans les classes ordinaires d’EPS.
2. Méthodologie : analyse des pratiques déclarées et effectives de l’enseignante
2.1. Contexte de l’étude
15Le contexte de notre étude est un collège rural, adhérant au réseau RéPOP (Réseau de Prévention de l’Obésité Pédiatrique), accueillant en internat une dizaine d’enfants en surpoids. Ces adolescents sont répartis dans les différentes classes du collège en fonction de leur âge et de leur niveau scolaire. Ils bénéficient d’un encadrement particulier par un personnel spécialisé (nutritionniste, médecin, psychologue, etc.) et quelques professeurs de l’établissement, dont une enseignante d’EPS. Celle-ci est expérimentée (22 ans d’expérience professionnelle en collège), et participe au dispositif RePOP depuis 4 ans ; elle peut même être considérée comme un « pilier » dans la mesure où c’est elle qui fréquente le plus ces élèves-là dans l’établissement. Elle déclare avoir suivi des formations, mais également s’être beaucoup documentée personnellement sur la question de l’obésité. Quant aux élèves en surpoids, ils participent aux cours d’EPS avec leur classe, ils bénéficient par ailleurs de créneaux d’activité physique supplémentaires assurés par le professeur d’EPS et par des intervenants extérieurs spécialistes des APS proposées (équitation, natation, etc.). Dans cette étude, nous rendons compte de l’analyse d’épisodes issus des séances observées dans deux classes de 4ème et 3ème en cycles hand-ball, volley-ball et course longue (deux séances par classe et par activité).
16Ces séances mettent en scène l’enseignante Patricia (que nous nommerons Mme P) ainsi que six élèves en surpoids âgés de 13 à 15 ans inclus dans le dispositif mis en place par l’établissement. Nous les nommerons comme suit : Amélie (A), Coralie (C), Laurent (L), Mathilde (M), Stéphane (S) et Vivien (V).
2.2. Les données recueillies
17Notre souci a été d’accéder à la fois au discours de l’enseignante sur ses pratiques et à la réalité des pratiques effectives. De fait, nous avons procédé au recueil de trois types de données.
18Un entretien ante séances a été réalisé. Cet échange visait à connaître le profil de Mme P, sa conception de l’EPS, son rapport à la santé, au surpoids, son analyse du contexte d’intervention et de son public. Il a également permis d’accéder à ses objectifs, ses intentions didactiques, et à sa propre analyse de son activité professorale.
19Nous avons également réalisé des observations (filmées) in situ de séances de hand-ball, de volley-ball et de course longue dans deux classes comportant des élèves en surpoids. L’objectif était d’analyser les tâches proposées, les interactions entre les différentes instances à savoir le professeur, les élèves, les élèves en surpoids. Il s’agissait également de pointer les éventuelles spécificités des interactions concernant les élèves en surpoids. Nous avons enfin pris des notes au vol (NV) pour consigner d’une part les échanges ponctuels que nous avons eus avec l’enseignante à l’issue des différentes séances observées - échanges au cours desquels elle nous confiait spontanément ses sentiments sur leur déroulement -, et d’autre part, les quelques échanges que nous avons initiés avec les élèves.
2.3. Le traitement des données
20Les interactions ont été finement décryptées à partir des enregistrements vidéo : nous avons traduit dans un tableau de condensations des données les conduites verbales et non-verbales de l’enseignante et des élèves pour chacune des séances observées. Nous avons retenu des épisodes significatifs qui impliquaient l’enseignante et les élèves en surpoids, parfois au sein de groupes plus larges (par exemple au sein d’équipes de sports collectifs). Amade-Escot et Dugal (2010) définissent comme épisodes significatifs « des moments particulièrement révélateurs et riches d’éclairages sur les préoccupations de recherche dans l’étude de cas » (p. 116). Ces données permettent d’objectiver l’activité didactique de l’enseignante (à qui elle s’adresse : à la classe, à des individualités, à propos de quel contenu), les conduites des élèves lors des tâches (en focalisant en particulier sur chacun des élèves en surpoids), et les interactions entre élèves et entre les élèves et l’enseignante. Ceci nous a permis de documenter l’action conjointe entre l’enseignante et ses différents élèves et d’élucider les spécificités des interactions avec les élèves en surpoids (nombre, nature, contenu). La triangulation des données issues des différents corpus (entretien, notes au vol, observations), le croisement des points de vue intrinsèque (celui de l’enseignante et des élèves auquel on accède par les entretiens et notes au vol) et extrinsèque (celui du chercheur) sont à l’origine des résultats proposés ci-dessous.
3. Résultats : la spécificité du contrat enseignante/élèves en surpoids
21L’analyse des données de l’entretien ante et des observations de séance met au jour des processus différenciateurs relativement aux enjeux de formation, aux milieux d’étude et à l’évaluation, mais révèle également les doutes et tâtonnements de l’enseignante au regard de la prise en charge de ce public.
3.1. Spécification des enjeux de formation
3.1.1. Préserver l’adhésion au cours d’EPS des élèves en surpoids : une priorité pour l’enseignante
22Au cours de l’entretien ante, Mme P indique qu’elle ne considère pas les élèves en surpoids comme les autres : c’est assez difficile parce que c’est un public qui est particulier, certes il y a des problèmes de poids, mais aussi beaucoup d’autres problèmes. Des élèves difficiles souvent en rupture, en échec scolaire, en décrochage même, des problèmes sociaux très important... on est complètement dans le relationnel. Le souci de maintenir la relation avec chacun s’actualise dans les observations. Ainsi lorsqu’une élève en échec dans le travail en passe en volley-ball, renonce à la tâche et va s’asseoir, Mme P se rend auprès d’elle pour discuter et tenter de la convaincre de reprendre la tâche avec elle sous une forme simplifiée, différente de celle proposée à l’ensemble de la classe. Une forme d’interaction qui isole certes cette élève et l’engage dans une tâche particulière mais qui a le mérite de l’impliquer physiquement.
23Mme P nous explique par ailleurs qu’elle est convaincue de l’intérêt de l’activité physique pour ces élèves-là. Son souci est qu’ils adhèrent au cours d’EPS, ne s’en détournent pas, ne s’en dispensent pas et en tirent bénéfice. Le plaisir de pratiquer lui apparaît comme une condition à leur investissement dans des pratiques physiques facultatives extérieures à l’école. Elle éprouve de la fierté de voir certains élèves en surpoids intégrer des équipes UNSS (sport scolaire). Pour d’autres, plus rétifs à l’activité physique, son objectif est moins ambitieux : faire qu’ils ne se détournent pas du sport, qu’ils soient capables de s’investir dans une activité, de se mettre en activité tout simplement : il faut essayer de trouver là où ils s’engouffrent, quitte à accepter qu’ils ne se confrontent pas aux mêmes exigences que les autres élèves. Pour maintenir cette adhésion, Mme P nous indique qu’elle consent parfois à déroger à la programmation prévue par le projet d’EPS : souvent les classes où j’ai le plus de RéPOP justement, je ne mets pas en place toutes les activités prévues… .une année, en acrogym, j’ai eu trois filles (sous-entendu en surpoids) qui ne voulaient rien faire en classe, elles m’ont simplement demandé de ne pas passer devant les autres, j’ai accepté qu’à la place elles fassent un enchaînement de rock. Ainsi cette analyse des données d’entretien témoigne des négociations autour des tâches et activités proposées aux élèves en surpoids, négociations consenties afin de maintenir leur adhésion à une pratique physique.
3.1.2. Lutter contre l’exclusion des élèves en surpoids
24Mme P accorde une grande importance à la façon dont ces élèves sont insérés dans le groupe classe et pointe également de grandes différences interindividuelles dans les relations que nouent ces élèves avec leurs pairs : leur intégration dans les classes, pour certains très très bien, mais pour d’autres… Il faut essayer de les faire passer un peu avec tout le monde. Parce qu’ils auraient tendance à rester ensemble. Il faut faire accepter aux autres de jouer avec eux, y en a certains y a aucun problème parce qu’ils sont relativement sportifs… le cas de S, le cas de L, personne ne les veut dans les équipes… L’analyse des interactions, notamment lors de la constitution libre des groupes de travail ou des équipes sur les séances de sport collectif, confirme la propension des élèves en surpoids à s’isoler, mais aussi celle de leurs camarades de classe à les exclure. Ainsi, dans une situation d’échauffement, alors que Mme P demande de réaliser des montées de balles à 3 sur le terrain de hand-ball, 3 élèves en surpoids s’associent spontanément. Lorsque la composition des équipes est confiée à quatre élèves désignés par Mme P, les élèves en surpoids sont effectivement choisis en fonction de leur niveau de jeu. Mme P nous expliquera que accepter l’élève V dans son équipe n’est pas un problème car il est capable de performances motrices tout à fait honorables : V, en course de durée il fait pratiquement les mêmes choses que les autres, il joue au rugby le week-end, c’est un gamin très investi au niveau sportif même s’il est peut-être plus gêné corporellement que d’autres (NV).
25Cependant suite à la désignation d’un élève en surpoids dans leur équipe, certains élèves de la classe manifestent ouvertement leur désapprobation : alors il ira dans les buts ! L’élève en question peu impliqué dans le jeu reste spectateur à l’arrière de l’équipe, et se laisse surprendre quand on lui adresse un ballon. Certains élèves en surpoids anticipent ce rejet par le groupe classe et préfèrent s’auto-exclure. Au cours d’une situation d’apprentissage en volley-ball, l’élève A prend de sa propre initiative le rôle subalterne de « ramasseur de balle » au service de ceux qui sont engagés dans la tâche. Ses difficultés motrices repérables dans la qualité de réalisation des passes et dans la lenteur des déplacements peuvent expliquer cette auto-exclusion.
26Au-delà de la spécificité des enjeux de formation, des processus différenciateurs sont repérables au sein des milieux proposés aux élèves en surpoids.
3.2. Spécification des milieux d’étude proposés aux élèves en surpoids
27Dans la section qui suit, nous montrons comment les tractations menées entre l’enseignante et les élèves en surpoids, notamment à propos de l’investissement consenti dans les tâches, à propos des rôles tenus et des modalités d’aide à l’étude ont finalement pour conséquence de placer ces élèves dans des milieux différents de ceux initialement proposés à l’ensemble de la classe.
3.2.1. Entre tolérance et exigence par rapport à l’investissement consenti
28Au sein de plusieurs épisodes, nous observons que Mme P entre en négociation avec les élèves en surpoids sur leur niveau d’engagement dans les situations d’apprentissage proposées à la classe.
29Au cours d’une phase de définition d’une situation d’apprentissage à l’ensemble de la classe, deux élèves en surpoids, L et M, sont les seuls à être assis sur le banc et non au sol en face d’elle comme leurs pairs. Elle les rappelle une première fois : M, viens te mettre en place, puis une deuxième fois : allez-vous mettre en place, puis elle abandonne cette exigence. De la même façon, elle accepte que l’élève L ne porte pas de dossard, alors que tous les autres en ont un. Quand celui-ci se fait remarquer en criant, ça me soule, en donnant de grands coups de pieds dans le ballon, Mme P ne sanctionne pas mais encourage : allez un peu de courage, témoignant par-là de son empathie et d’une forme de compréhension de ce que peut vivre et ressentir l’élève. Lorsque ce dernier va s’asseoir au cours du jeu, le professeur accepte implicitement puisqu’elle désigne un élève pour le remplacer ; elle va ensuite discuter avec lui sur le banc. Les échanges avec l’enseignante à l’issue de la séance (NV) fournissent une explication sur la façon dont Mme P construit ses interactions avec cet élève : L, c’est un gamin, quand il est arrivé, je pense que le sport pour lui, c’était complètement inexistant, c’était quelqu’un qui faisait rien, au niveau sportif… je vois quand on court, lui c’est catastrophique, il a pas envie, il faut le traîner. Au regard de ce qu’elle sait et connaît de lui, elle formule à son égard de modestes exigences, cherche à éviter le conflit et négocie sa participation, celle-ci fut-elle plus modeste.
30Dans d’autres cas Mme P manifeste moins d’empathie. Lors d’un échauffement en hand-ball, des échanges de balle en déplacement sont proposés. Deux élèves en surpoids initialement associées pour réaliser cet exercice se soustraient partiellement aux tâches proposées : elles parlent entres elles, passent leur tour, observent sans arrêt si l’enseignante les regarde, pour, dès que celle-ci a le dos tourné, ne plus s’impliquer dans la situation. Mme P prend acte de leur attitude d’évitement. Elle intervient une première fois en se rendant à proximité de ces élèves pour les encourager et leur donner des conseils techniques. Dans un deuxième temps, estimant certainement qu’une limite est franchie, elle les rappelle à l’ordre et montre une certaine exaspération envers M qui ne s’investit pas comme attendu : « aie le courage d’avancer jusqu’au trait au moins ! C’est incroyable, j’ai jamais vu ça de ma vie ! Et assure ta première passe ! »
31Mais, dans certains cas, Mme P fait le choix de feindre de ne pas voir plutôt que de rentrer en négociations. Au cours d’une séance de course longue, nous observons que l’élève C qui aurait dû être en train de courir, se dissimule dans le groupe des observateurs qui relèvent le nombre de tours effectués par les coureurs. Cette jeune fille négocie en douce avec son observatrice pour qu’elle lui marque un nombre factice de tours, ce que celle-ci d’ailleurs ne fera pas. Mme P, nullement dupe, n’intervient pas, ne sanctionne pas. Elle nous commente l’évènement en fin de séance : « elle avait déjà couru sur les 2 premières périodes de course » (NV).
32L’analyse de ces épisodes relatifs aux stratégies de contournement ou de négociation mises en place par ces élèves nous indique le degré de tolérance déployé par l’enseignante. Il semblerait que pour Mme P il y a un seuil limite d’engagement dans les tâches en deçà duquel aucune négociation ne serait possible elle exige que les élèves viennent en cours et y soient un minimum actifs ; mais elle montre aussi son souci de ne pas rompre le dialogue.
3.2.2. Négociation des rôles
33Tout comme pour l’engagement dans l’activité, les rôles tenus par les élèves en surpoids sont négociables. En acrosport (activité dont Madame P nous a parlé au cours de l’entretien mais que nous n’avons pas pu observer), Mme P indique qu’elle joue sur les différents rôles pris par les élèves pour rendre cette activité accessible et motivante pour tous : on accepte que l’élève en difficulté soit plus porteur que voltigeur, puisse aider les autres. On voit ici poindre la possibilité que ces élèves ne soient pas placés face aux mêmes savoirs, aux mêmes compétences à développer. Le problème lié à cette activité, soulevé par Mme P, est qu’elle donne lieu à des prestations soumises au regard des autres, évaluées esthétiquement et sur ce registre-là, des adaptations lui semblent impératives : tant que l’on travaille les exercices tout le monde ensemble, ça va. Mais s’il faut passer par groupe, non. Là, il y a vraiment une image du corps à montrer… En même temps, elle nous confie son souci de ne pas montrer de différences, de ne pas discriminer, révélant par-là les dilemmes auxquels elle se trouve confrontée : adapter ses exigences à leur égard pour maintenir leur implication, sans que ces élèves se sentent traités différemment des autres. De même dans l’activité hand-ball, lors de situations d’opposition collective proposées en fin de séance, trois élèves en surpoids ont une propension à prendre le rôle de gardien de but. Ce choix peut être motivé par le fait que ce poste suppose moins d’investissement énergétique. Mais l’équipe peut également influencer l’élève en surpoids pour qu’il prenne ce rôle. Mme P, consciente de cela, tente de négocier avec les intéressés pour qu’ils jouent aussi sur le champ, en tant qu’attaquant et défenseur, chacun à leur tour : L, tu feras goal après. Mais dans ce rôle d’attaquant/défenseur, L ne s’implique pas, ne participe pas à l’action collective et ne se déplace pas sur le terrain en fonction des phases d’attaque et de défense. Aussi décide-t-elle de le renvoyer dans les buts. Comme elle le dit dans l’entretien, elle décide en contexte, en fonction des évènements et tâtonne pour trouver des solutions : c’est toujours comme ça, on teste, on essaye, c’est par tâtonnement, il y a des choses qui vont marcher avec un élève, qui ne vont pas marcher avec d’autres (NV). Ces résultats mettent en évidence que les négociations à propos des rôles à tenir se jouent dans l’interaction et relèvent de l’évolution des tractations spécifiques entre l’enseignante et un élève engagé de façon personnelle dans le milieu.
3.2.3. Individualisation de l’aide à l’étude
34Précisons que nous appelons « aide à l’étude » toute action de l’enseignante (accompagnement, évaluation formative, aide, questionnement, correction, etc.) en direction des élèves alors qu’ils sont en train de réaliser les tâches proposées.
35Comme nous l’avons vu précédemment, Mme P fait preuve de tolérance à l’égard de ces élèves relativement à leur degré d’investissement. Mais ce professeur accorde une forme d’aide à l’étude spécifique pour ces élèves, lorsqu’ils sont engagés dans des situations d’apprentissage. Le nombre d’interactions et d’échanges verbaux avec eux est plus important qu’avec les autres élèves, les registres d’interactions sont le plus souvent positifs, très fréquemment elle valorise leurs réussites (une passe opportune, un tir tenté, un but arrêté) : M, tire, c’est bien, pas mal…, elle pointe ouvertement leurs progrès, les encourage à rester investis : M, quand même un peu d’énergie. Elle ne s’interdit cependant pas des reproches : M, tu es plantée, secoue toi ! C’est pas possible, j’ai jamais vu ça ! Du point de vue des postures et déplacements, elle est souvent située à leur proximité pour les maintenir engagés dans l’activité. De plus, pour favoriser la quantité et la qualité de leur investissement physique, elle s’implique activement à leur côté dans certaines tâches motrices. Par exemple, elle s’engage physiquement lors d’une tâche d’échauffement en volley-ball, où il s’agit d’enchaîner des frappes de balle hautes de type « passes ». Elle échange des ballons par-dessus le filet avec une élève qui n’a pas été intégrée lors de la constitution des paires de joueurs et qui reste en marge du groupe où elle a finalement été placée.
36Nous avions repéré son souci de ne pas discriminer. Mais on voit bien là qu’elle est amenée à isoler cette élève des autres, à lui donner un statut particulier en lui accordant son aide. Ces stratégies d’individualisation évoquées dans l’entretien, engendrent des dilemmes à gérer entre, d’une part le souci d’intégrer ces élèves dans la classe et de les impliquer physiquement, et d’autre part, la volonté de ne pas discriminer.
37Ces processus différenciateurs à propos des rôles tenus dans les tâches proposées, de l’aide à l’étude mettent au jour que non seulement les négociations menées entre l’enseignante et les élèves en surpoids engendrent un milieu spécifique pour ces élèves, mais aussi que ce milieu se co-construit dans l’interaction.
3. 3 Adaptation de l’évaluation
38En prenant exemple sur les séquences de course en durée proposées dans ces classes, Mme P explique les adaptations consenties en termes de contenus et d’évaluations pour les élèves en surpoids. En course de durée, les exigences et les barèmes sont aménagés : la course de durée je l’ai mise, parce que je pense que c’est vraiment une base mais j’adapte pour les élèves du RéPOP, y’a des intervalles de course, des intervalles de marche, … le barème soit je mets une part moins importante à la perf et une plus importante à la capacité/VMA et justement de ce fait comme ils sentent que ce n’est pas infaisable ils font... Mais il y en a qui veulent pas qu’on aménage. Enfin suivre l’aménagement. Donc c’est un peu compliqué… ça dépend vraiment des élèves. Mme P nous révèle ici ses tâtonnements, ajustements, « arrangements » (Merle, 1996 ; David, 1998) consécutifs à l’analyse de la situation spécifique à chaque élève à un moment donné.
39Ainsi les tractations et négociations enclenchées entre l’enseignante et les élèves en surpoids, engendrent des processus différenciateurs relativement aux enjeux de formation, au milieu didactique et à l’adaptation de l’évaluation. Il s’agira à présent de mettre en discussion si ces processus produisent des contrats didactiques différentiels.
4. Discussion : des contrats didactiques différentiels individualisés
40Dans le paradigme de recherche ici choisi, les études se focalisent classiquement sur des situations de transmission des savoirs, examinées en contexte « ordinaire ». Le propos n’est pas de porter un jugement sur le fonctionnement de l’enseignement mais de tenter de comprendre les ressorts de l’action de l’enseignant observé dans les moments où il est engagé dans des interactions avec les élèves : « Expliquer l’action du professeur, identifier les déterminations de cette action, suppose une analyse spécifique, de nature épistémique, qui permet de comprendre ce que le professeur reconnaît et comment il résonne à ce qu’il reconnaît » (Amade-Escot, 2014, p. 27). Ainsi, dans un contexte institutionnel qui préconise l’inclusion des élèves à besoins spécifiques l’objectif de cette étude de cas à visée descriptive et compréhensive, était de repérer les processus différenciateurs à l’œuvre à l’égard d’élèves en surpoids.
41Les résultats relatifs au choix des APSA et à l’évaluation de ces élèves attestent de la prise en compte des préconisations officielles relatives à l’inclusion des enfants inaptes partiels en EPS. Parmi les enjeux de formation stipulés par ces textes l’enseignante retient la dimension plaisir pour susciter leur adhésion aux pratiques physiques. Leur participation et leur implication dans les cours d’EPS constituent un souci permanent. À la lumière des catégories établies par Lefèvre et Marsault (2014), nous pouvons analyser ses représentations : « Lorsque l’enseignant intervient auprès d’élèves obèses, il traduit cette caractéristique en lui donnant un sens particulier qui oriente son intervention pédagogique » (p. 175). En l’occurrence, Mme P perçoit leurs difficultés à la production de performances, et à ce titre propose des objectifs ou des aménagements adaptés : « les enseignants proposent des remédiations visant à diminuer les attentes énergétiques (autorisation de marcher, vitesse moyenne plus basse...) ou à augmenter le temps autorisé » (Lefèvre & Marsault, 2014). Ses représentations empruntent au « registre égalitaire » puisqu’elle évoque le souci d’intégration sociale qu’elle formule pour eux. Souci dont l’actualisation est complexe voire contradictoire puisqu’elle est parfois amenée à isoler l’élève qui s’exclut ou qui est exclu par le groupe. Les accommodements proposés se donnent à voir jusque dans les adaptations de contenus. Dans les situations proposées, les élèves en surpoids prennent préférentiellement des rôles particuliers (gardien de but par exemple), ce qui engendre pour eux le développement de compétences spécifiques, et ce qui les empêche de se confronter à certains savoirs dont l’acquisition est envisagée pour l’ensemble des élèves.
42Selon les activités pratiquées, leur dimension collective ou individuelle, nous avons vu que la participation des élèves en surpoids peut être plus ou moins influencée par les réactions du groupe. Etre choisi ou pas dans une équipe de sport collectif, en tant que joueur de champ ou seulement pour tenir le rôle de gardien impacte nécessairement l’engagement de l’élève en surpoids qui se sent plus ou moins « autorisé » par ses pairs. Il en va différemment dans l’activité course longue où la performance est individuelle et où celle-ci est le fruit de tractations entre l’enseignante et l’élève en question, sans que les pairs n’interfèrent.
43Nous avons enfin montré la singularité des relations professeur/élève, qui sont en lien avec la connaissance que Mme P a de chaque individualité, de ses possibilités et de l’investissement consenti par chacun. Ils reçoivent davantage de régulations, des négociations s’opèrent fréquemment. Son souci majeur d’éviter toute rupture et tout décrochage avec la pratique physique, témoigne de son incorporation des préconisations en faveur de l’activité physique, portées par les « programmes prévention santé » et de sa croyance dans les vertus de l’EPS en matière d’éducation à la santé. La prise en considération de l’appartenance et donc de l’assujettissement (Chevallard, 1989) de l’enseignante à la fois à l’institution EPS et au réseau RéPOP apporte des éléments de compréhension sur sa préoccupation relative au maintien des élèves en activité pour préserver leur santé. L’intervention de Mme P s’explique et se comprend pour partie à la lumière des cercles contextuels au centre desquels se déploie son action.
44La notion de « transaction didactique » proposée par Sensevy et Mercier (2007) a servi de référent théorique pour analyser les interactions et expliciter la manière dont l’enseignante prend en compte la spécificité de l’élève (telle qu’elle se la représente), pour mettre au jour des processus différenciateurs. Merle (1996) avait introduit le terme d’« arrangement » pour évoquer l’action de médiation, les compromis trouvés et les accommodements du jugement professoral. Se révèlent ici des arrangements négociés entre l’enseignante et ces élèves autour des modalités de leur implication, des concessions autour de l’évaluation. Ils sont au service du maintien de l’investissement, fragile chez certains de ces élèves. Au final, existent autant de contrats didactiques différents qu’il y a d’élèves en surpoids parce que l’enseignante, à partir de sa connaissance des individualités, s’engage dans des transactions originales avec chacun. Mais en diminuant les exigences des tâches, en singularisant les contenus auxquels ils sont confrontés sous couvert d’adaptation, certains de ces élèves se trouvent finalement privés de l’acquisition de savoirs mis à l’étude pour l’ensemble de la classe.
45La confrontation des pratiques effectives avec le discours de l’enseignante nous a permis de mettre en évidence l’existence de formes de différenciation, dans un souci de prise en charge des positionnements spécifiques de certains de ses élèves. Ces acteurs apparaissent au final engagés dans des tractations/négociations originales qui nous autorisent à parler de contrats didactiques différentiels au sens de Schubauer-Leoni (1996) : tous les élèves d’une classe ne jouent pas au même jeu didactique, ne sont pas confrontés aux mêmes milieux. L’enseignement se particularise en fonction des « positions » d’élèves, comme l’ont montré Verscheure et Amade Escot (2004, 2007) qui analysent les contrats différentiels au regard des positions de genre.
46Dans ce collège, la scolarisation et le suivi médical d’élèves en surpoids sont au cœur du projet d’établissement. « Participer d’une humanité commune, être comme les autres, avoir accès à des droits identiques, n’exclut pas que soit reconnue une identité singulière » (Garel, 2005, p. 92). Cette étude, centrée sur l’analyse de l’action conjointe au sein des dyades constituées par l’enseignante et chacun des élèves en surpoids, nous a permis une objectivation de démarches concrètes pensées et mises en œuvre par une enseignante engagée dans la recherche de solutions pour la préservation d’un collectif inclusif, qui relève selon Gardou (2013) « d’une organisation sociale (qui) se fait flexible et modifie son fonctionnement » (p. 14).
Auteurs
Université Toulouse 2 Jean Jaurès, UMR EFTS - MA 122
Université Toulouse 2 Jean Jaurès, UMR EFTS - MA 122
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