Introduction
p. 95-97
Texte intégral
1Trois textes originaux constituent cette partie 2 intitulée « Effets de contextes sur les choix curriculaires et les pratiques d’enseignement en fonction du genre et/ou du profil scolaire des élèves ». Chacun apporte un éclairage particulier à l’étude de la dynamique différentielle des interactions didactiques mais tous ont en commun de mettre en évidence les dynamiques de co-détermination entre l’interne et l’externe de la classe. Si l’on peut admettre que les compétences opérationnelles et les capacités réflexives des acteurs sont limitées par le « sens pratique » (Bourdieu, 1980), on peut également constater que, simultanément, ce dernier s’affaiblit ou se reconfigure au contact de ce qui émerge en situation. Selon Bourdieu (Ibid.), le sens pratique c’est ce qui permet d’agir comme il faut sans poser, ni exécuter un « il faut », il traduit donc directement l’actualisation des dispositions incorporées à condition de se trouver dans une situation qui autorise ou facilite cette éclosion. Or, la situation d’enseignement engendre fréquemment des distorsions voire des ruptures entre l’univers des prérequis sociaux et celui des exigences de formation. Même si nos actions ont plus souvent pour principe le sens pratique que le calcul rationnel (Bourdieu, 1997), il ne fait aucun doute que l’intention d’enseigner crée de la perturbation dans cette mécanique en apparence bien huilée. Ainsi, l’interaction conflictuelle entre disposition à apprendre et intention d’enseigner est susceptible d’engendrer des rapports aux savoirs renouvelés, qu’une stricte logique d’habitus rendait très prévisibles. Enfin, des déterminants institutionnels, par le biais des prescrits, participent également à cette dynamique évolutive.
2Loin d’être figée, la situation didactique est en proie à des déterminants soumis à des forces convergentes ou contradictoires mobilisables en situation allant du déjà là dispositionnel au déploiement des intentionnalités pilotées par la subjectivité de chacun. De nombreux travaux en didactique pointent la forte influence des déterminants épistémiques, institutionnels et culturels sur le curriculum tels qu’il se co-construit dans la classe (Brière-Guenoun & Amade-Escot, 2014). L’épistémologie pratique du professeur revêt une place particulière en ce qu’elle traduit comment le professeur reconfigure dans l’action conjointe les prescrits institutionnels et culturels en lien avec les différents niveaux de la transposition didactique, et plus largement de l’échelle de co-détermination du didactique (Chevallard, 2007).
3Chacune des recherches présentées dans ce chapitre montre de quelle manière, en prise avec des contextes prégnants, enseignants et élèves contribuent à faire émerger des formes de pratiques innovantes et différenciées mais parfois inégalitaires. En effet, on observe que les déterminants externes liés au profil socio culturel des élèves constituent à la fois des contraintes et des ressources pour l’action : d’un côté, leur prise en compte engendrent des réajustements du contrat didactique profitables aux élèves les plus en difficulté, de l’autre elle les expose à des traitements inégalitaires. Repenser les pratiques d’intervention dans cette perspective nous oblige à les considérer dans leur dimension aussi bien « contextualisées », par l’impact des déterminants contextuels, que « contextualisantes » par leur participation à la lutte contre les inégalités (Bru, 2004). Les cinq textes de ce second chapitre ont pour point commun d’analyser et de comprendre les façons dont les acteurs, enseignants comme élèves, s’octroient des marges de manœuvre et s’emparent des contraintes du contexte sans pour autant totalement y échapper. Qu’il s’agisse de la façon d’enseigner à des élèves en surpoids, des processus de co-construction des savoirs en milieu difficile, de la prise en compte des marqueurs de la socialisation socio-motrice ou encore des modalités de co-production du curriculum en acrosport, les cinq recherches présentées révèlent les processus à l’œuvre lorsque s’enchevêtrent effets dus au contexte externe et effets dus aux pratiques. Toutes s’appuient sur des données prélevées à l’échelle de la classe, au cœur de l’interaction en train de se faire. Enfin, dernier point de convergence à mentionner, ces cinq recherches prennent pour objet les choix curriculaires et les pratiques d’enseignement.
4Le texte d’Amans Passaga et Montaud intitulé « Choix curriculaires et profils d’élèves en EPS au collège : analyse de l’enseignement de l’EPS sous l’angle du contrat didactique différentiel, dans une classe intégrant des enfants en surpoids » met en évidence les effets de différenciation du contrat didactique en situation d’inclusion scolaire d’élèves en surpoids. Loin d’une « indifférence aux différences » (Bourdieu, 1966) nécessairement productrices d’inégalités, l’enseignante définit le contrat didactique au regard de cette particularité limitant les pouvoirs moteurs des élèves. Les résultats révèlent une tension entre l’efficacité dans la construction de solutions pour préserver un collectif inclusif et les risques inégalitaires liés à la diminution des exigences des tâches, la particularisation des contenus proposés ainsi que l’isolement de ces élèves à profil particulier.
5Dans « Forme scolaire d’étude en EPS en milieu difficile : le cas d’une classe de Seconde de lycée professionnel », Dietsch et Brière-Guenoun prennent pour objet d’analyse un dispositif d’enseignement, le débat d’idées (Gréhaigne & Deriaz, 2007), qui privilégie un apprentissage par la réflexion et la compréhension. Les auteurs s’intéressent à la façon dont les élèves s’approprient et utilisent ce dispositif à des fins d’apprentissage dans un contexte difficile. Les résultats semblent contrastés. En effet, si l’on peut constater une influence positive sur les transformations des conduites collectives des élèves, des obstacles s’opposent à leur engagement véritable dans ce dispositif de dévolution. Les déterminants contextuels orientent de façon différentielle l’implication des élèves dans cette modalité d’étude. Une fois de plus, s’installe une tension entre effets de contexte et émergence de nouvelles dispositions, liées à l’acquisition de compétences, au moment où les élèves entrent en contact avec le dispositif.
6Enfin, dans la dernière contribution de ce chapitre, Musard, Le Paven et Wane interrogent à leur tour le curriculum en actes. Le titre de cet article « Quelles dynamiques différentielles dans la co-production du curriculum in situ ? Le cas de cycles d’acrosport et de lancer en classe de terminale » dévoile très clairement le projet des auteurs : étudier les différenciations à l’œuvre lors de la co-production du curriculum par l’enseignant et les élèves au cours de deux cycles d’APSA au sein d’une même classe. Cette fois ce qui différencie les contextes, ce sont les enjeux de savoir dont ils sont porteurs mais également l’épistémologie pratique de l’enseignant (Sensevy, 2007) ainsi que les ressources différenciées des élèves ; autant de variables à prendre en compte si l’on veut comprendre et exploiter efficacement, sans dérives inégalitaires, les dynamiques différentielles dans la coproduction du curriculum in situ.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les inégalités d’accès aux savoirs se construisent aussi en EPS…
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3