Introduction
p. 23-26
Texte intégral
1Les contributions de la partie « Interactions didactiques et processus différenciateurs en termes de position scolaire ou de genre » cherchent à comprendre les mécanismes de différenciation tels qu’ils s’actualisent et se co-construisent dans la classe. Les contributions mettent en évidence que certains déterminants socioculturels, notamment le genre, influencent les trajectoires scolaires des élèves mais que la mise en œuvre des actions didactiques au sein de la classe conditionne pour partie les apprentissages effectifs des sujets. Ces actions didactiques peuvent être vues sous la forme d’un jeu coopératif où « le professeur gagne à son jeu d’enseignement à condition que l’élève gagne à son jeu d’apprentissage » et à condition que l’élève « se prenne au jeu » (Sensevy, 2007). Ces jeux prennent place dans un milieu. Selon Brousseau (2003, p. 3), le milieu didactique est « tout ce qui agit sur l’élève [ou l’enseignant.e] et tout ce sur quoi l’élève [ou l’enseignant.e] agit ». Sensevy (2007, p. 23) l’envisage à la fois comme un contexte cognitif commun rendant possible l’action conjointe et comme un contexte antagoniste résistant aux actions et pensées des élèves. Il inclut des éléments matériels et conceptuels amenés par les élèves ou le professeur au cours du jeu, mais aussi le résultat du processus sémiotique co-construit au cours des interactions. Ces éléments ont à la fois des composantes locales (situationnelles) et institutionnelles (socioculturelles) (Amade-Escot & Venturini, 2009). La définition princeps de Brousseau inclut seulement l’élève, Amade-Escot & Venturni y ajoutent l’enseignant.e, en référence à l’action conjointe.
2Dès lors, les questions didactiques différentielles semblent capitales pour appréhender la construction des différences au sein de la classe. Ces questionnements trouvent un écho dans l’analyse du contrat didactique différentiel. La fonction différentielle du contrat didactique (Brousseau, 1986) a été introduite par Schubauer-Leoni (1996) à propos des élèves forts et faibles en mathématiques. Elle précise que c’est « un contrat qui n’est pas « négocié » uniquement entre l’instance du maître et celle que représente l’ensemble des élèves, mais entre le maître et des sous-groupes d’élèves correspondant à diverses positions relatives au sein de la classe » (p. 160). Ce concept nous parait tout particulièrement heuristique pour repérer les processus différenciateurs du fait que « ces positions se rapportent aux diverses hiérarchies d’excellences en présence et sont partiellement tributaires de l’origine sociologique des élèves » (Schubauer-Leoni, 1996, p. 160). Ainsi, en tant qu’outil conceptuel, le contrat didactique invite à focaliser l’analyse des processus d’enseignement/apprentissage sur leur dimension interactive relativement au positionnement scolaire ou de genre des élèves. Si le contrat didactique vient prendre en charge la dynamique qui préside au développement des compétences, les contenus d’enseignement à l’origine de ces compétences sont quant à eux encapsulés dans le milieu didactique. Ce dernier est l’outil du professeur pour mettre en scène le contrat didactique, et dès lors que l’on s’intéresse au contrat didactique, ses relations avec le milieu sont interrogées.
3Dans cette optique sont particulièrement questionnés les choix des savoirs enseignés, les modalités d’étude proposées, les stratégies d’enseignement, l’alternance des responsabilités par rapport au savoir entre élèves et professeur (distribution topogénétique), sans perdre de vue leurs incidences en termes de processus différenciateurs. Les dynamiques à l’œuvre et les mécanismes, le plus souvent implicites inscrits au cœur même de l’activité professorale, sont étudiés finement dans les situations d’apprentissage, les leçons, les cycles. Dans cette optique, ces contributions s’intéressent à l’actualisation des savoirs co-construits en classe selon les positions scolaires et/ou de genre des élèves. La dynamique du contrat didactique différentiel est ainsi mise en évidence et met en exergue les modalités différentielles de co-construction des savoirs en EPS, qu’elles relèvent des modalités communicationnelles, dans ses dimensions verbales et non verbales (praxiques, gestuelles, attitudes, etc.) ou de la conduite des tâches mises à l’étude (définition et réaménagement des dispositifs, régulations de l’activité des élèves, etc.) en lien avec les savoirs retenus pour l’étude.
4Les contributions s’inscrivent théoriquement dans des analyses didactiques et plus particulièrement dans les études de l’action conjointe en didactique pour le chapitre de Marrot et Poggi et celui de Verscheure et Vinson alors que Mayeko et Brière croisent ce cadre avec une approche ergonomique. La contribution de Lebouvier et Ouître s’inscrit quant à elle dans le cadre de la problématisation didactique. Chacune d’entre elles cherche à rendre compte des dynamiques évolutives lors des interactions didactiques enseignant.e.s/élèves.
5Pour ce faire, des méthodologies qualitatives ont été privilégiées : des observations de séances filmées ainsi que des enregistrements d’entretiens. La triangulation méthodologique a permis de croiser le point de vue des acteurs et des chercheur.e.s.
6Les APSA étudiées (tennis de table, badminton, jeux collectifs et natation) et les publics observés (maternelle, collège (4ème) ou lycée – 2nde et terminale) sont variés, mais mettent en évidence des processus différenciateurs identiques, confirmant là différentes hypothèses avancées il y a bien longtemps déjà sur les contraintes du système didactique qui pèsent sur les enseignant.e.s.
7L’étude exploratoire de Lebouvier et Ouître, intitulée « Guidage différentiel vers un savoir problématisé en sport collectif à l’école maternelle » s’intéresse à la façon dont les élèves vivent de façon différenciée les guidages réflexifs des apprentissages selon leur position scolaire en mobilisant le cadre de la problématisation. Les objectifs sont de comprendre comment, à travers les différentes formes de débats, les élèves prennent en charge un problème technique mais aussi d’examiner les différenciations qu’opèrent les enseignants et les enseignantes dans les aides à la problématisation qu’ils développent auprès d’élèves de positions scolaires différentes. Les résultats mettent en évidence que les positions scolaire (supposées) des élèves engendrent des guidages différents de la part des professeurs. Les auteurs concluent sur le fait que lorsque l’élève est considéré comme faible, l’aide est directe et porte sur des pistes d’action alors que les guidages des élèves en position scolaire haute leur laissent plus de responsabilités et d’incertitudes quant à la recherche des solutions et des nécessités.
8Dans la contribution intitulée « La différenciation didactique active : entre progression individualisée et construction implicite des inégalités », Mayeko et Brière Guenoun s’inscrivent au croisement d’une approche didactique et ergonomique. La recherche s’intéresse aux gestes didactiques de l’enseignant.e afin d’observer la dynamique différentielle de co-construction des savoirs en collège en utilisant la différenciation didactique active qui a pour objectif de différencier les modalités de transmission et/ou les objets de savoir appréhendés à partir d’une analyse fine du contexte d’enseignement. Les résultats de l’étude montrent que l’activité didactique différentielle de l’enseignant est contrariée non seulement par la nécessité de gérer le déroulement temporel du cours mais aussi d’accompagner les élèves en difficulté dans les dispositifs d’apprentissage. De plus, les auteur.e.s concluent sur le fait qu’au regard de leurs résultats, le recours à un mode de catégorisation destiné à classer les élèves pour les faire progresser de manière individualisée peut enfermer certains d’entre eux dans un format d’apprentissage prédéterminé, et les empêcher de s’inscrire dans une évolution de leur position scolaire tout au long de leur trajectoire didactique.
9Le chapitre de Marrot et Poggi intitulé « Dynamique communicationnelle conjointe, position des acteurs et apprentissages en éducation physique et sportive » s’inscrit dans le courant théorique de l’action conjointe en didactique, et cherche à rendre compte des dynamiques évolutives des transitions codiques (c’est-à-dire les passages d’un canal de communication à un autre) et de leur ajustement lors des interactions enseignants/ élèves. Ces transitions codiques sont des outils de description du doublet contrat-milieu didactique dans sa perspective différentielle. Les auteur.e.s mettent en évidence que chez l’enseignant.e, les transitions codiques s’inversent en fonction de la position occupée par les élèves (niveau de réussite et genre) et qu’elles évoluent tout au long du cycle, confirmant la dynamique du contrat didactique différentiel. Ils montrent que la dynamique des transitions codiques se différencie en fonction du moment didactique et ils relèvent des similitudes de fonctionnement chez les deux enseignants observés. Dans la phase de régulation, il existe un équilibre temporel entre interventions verbales et coverbales alors que dans la phase de définition, davantage de temps est accordé aux interventions coverbales. De plus, les enseignants font une différenciation dans leurs interventions selon qu’ils s’adressent aux filles ou aux garçons, révélant un milieu didactique différentiel où il y a une quantité et une qualité d’interventions inégales envers les filles et les garçons, conduisant à des apprentissages inégaux.
10S’intéressant également au genre, Verscheure et Vinson, dans leur contribution intitulée « Effets de l’action didactique conjointe des professeurs et des élèves sur la construction différentielle des « positions de genre » en badminton », montrent précisément la façon dont les inégalités scolaires se construisent lors des situations d’enseignement-apprentissage. Elles analysent les effets de l’action didactique conjointe des professeurs et des élèves sur la dynamique différentielle de construction des « positions de genre » en éducation physique. En s’intéressant aux éléments ténus et invisibles, les auteures mettent en perspective les possibilités de transformation des élèves dans le sens du savoir visé. Ainsi, le positionnement de genre des quatre élèves observés s’est actualisé en fonction des contextes, des interactions, des attentes réciproques des unes et des autres. Finalement, les filles et les garçons n’ont pas exploité les possibilités des dispositifs de la même façon alors même que ces élèves ont été présentés comme ayant un niveau équivalent par l’enseignante. Ainsi (et contre toute attente), l’analyse pointe que les filles ont davantage tiré profit du milieu didactique que les garçons ont pourtant contribué à construire, mettant ainsi en évidence des formes de résistances aux assignations de genre, qui leur sont parfois souvent imposées par l’enseignement en mixité.
11En conclusion, l’analyse du contrat didactique différentiel permet d’observer dans les interactions didactiques enseignant.e-élèves, les « positions » (scolaires et/ou de genre) des élèves telles qu’activées au fil des situations d’enseignement-apprentissage. Elle met au jour des guidages et des trajectoires didactiques d’étude différenciés, en lien avec les potentialités des élèves de tirer profit ou non des milieux didactiques dans lesquels ils évoluent. Ces contributions confirment l’exclusion des élèves en position scolaire faible des activités estimées comme trop complexes par les enseignant.e.s. Elles défendent l’idée que décrire dans le détail des dynamiques différentielles du contrat didactique selon les positions scolaires et/ou de genre est à même de fournir des points d’appui pour allier ambition culturelle des objectifs scolaires et lutte contre les inégalités à l’école.
Auteur
Université de Toulouse 2 Jean Jaurès, UMR EFTS - MA 122
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