Préface
Analyses didactiques et sociologiques de la construction des inégalités d’accès au savoir dans les pratiques d’enseignement et de formation en EPS en France
p. 13-16
Texte intégral
1Se livrer à la rédaction d’une préface est un exercice délicat. Souvent, ce sont des ami(e) s ou des collègues proches qui ont écrit le livre alors il est difficile de se livrer à une critique trop préjudiciable à la diffusion du manuscrit mais, aussi, une trop grande complaisance tournerait à une flatterie dénuée de tout intérêt. Alors, comme il faut quand même répondre à la demande et présenter un point de vue sur l’ouvrage, allons-y !
2D’emblée, le titre du livre fait très sérieux et peut donc apparaître comme un énoncé qui, à la fois, agace par sa méticulosité mais questionne, pour finalement inciter à une délibération à propos de l’action. Ce débat entre plusieurs auteurs ambitionne, donc, l’étude de la construction des inégalités d’accès aux savoirs et aspire à comprendre de quelle manière se joue, au sein de la classe et du système scolaire, la construction d’hétérogénéité vis-à-vis de la diffusion/appropriation des savoirs scolaires. Immédiatement, le thème du livre est posé. L’ensemble des textes proposés vise à mettre en tension ces différents regards scientifiques afin de comprendre comment les inégalités peuvent se construire dans la classe selon le contexte scolaire, la configuration scolaire, selon la position de genre des élèves et d’envisager les implications en termes de formation des enseignants. Le projet émane des ex-membres de l’équipe de l’Université de Franche-Comté déjà engagés sur une dynamique collective de travail, Marie-Paule Poggi, Ingrid Verscheure et Fabienne Brière-Guenoun auxquelles vient s’ajouter Sigolène Couchot-Schiex. Au-delà de ce noyau de base, cet ensemble de textes vise aussi à impliquer d’autres collègues didacticiens et sociologues dont le terrain d’étude concerne l’enseignement et/ ou la formation en éducation physique et sportive (EPS). Cette composition du groupe d’auteurs rassemble au-delà des appartenances institutionnelles des chercheur(e) s en vue de contribuer à la pérennité et au développement d’une ligne de recherche bien vivante mais dispersée car ce type de recherche parfaitement accepté au plan international a eu bien du mal à se faire reconnaître au sein de « l’establishment » franco-français… Cet ouvrage interroge, à partir d’une approche socio-didactique, les liens entre recherches en intervention, formation des enseignants et construction des connaissances. Les travaux conduits dans ces divers contextes de recherche et d’intervention didactique pointent des enjeux décisifs à l’heure où s’engagent des mutations profondes de la formation, en relation avec l’analyse des modalités de coexistence des pratiques au sein de ces institutions. Ce questionnement pose ainsi des problèmes relatifs aux conditions des apprentissages scolaires, à leur pertinence, à leur progressivité et à leur place et parfois dérange les idéologies dominantes.
3L’ouvrage est divisé en trois grandes parties qui portent sur :
les interactions didactiques et processus différenciateurs en termes de position scolaire ou de genre ;
les effets de contextes sur les choix curriculaires et les pratiques d’enseignement en fonction du profil scolaire des élèves ;
la formation initiale et les inégalités : rôle, savoirs, outils, dispositifs, transformations ?
4N’étant pas spécialiste pointu des inégalités, je ne vais pas commenter plus avant les différentes parties laissant aux lecteurs, en fonction de leur goût et de la présentation qui en est faite au début de chaque partie ou de leur préoccupation, le loisir de construire leur chemin personnel à l’intérieur de l’ouvrage. En conséquence, je vais en revenir à mon terrain de prédilection : les apprentissages des élèves et ce qu’enseignent les professeurs. Je vais « jouer à domicile » en quelque sorte…
5À propos de l’éducation physique et sportive (EPS), le plus souvent, les décisions didactiques d’un enseignant se fondent, explicitement ou non, sur une modélisation de la pratique sociale de référence dont il est « spécialiste ». Pour l’essentiel il enseigne comme il a été enseigné et entraîné. Souvent, il utilise trait pour trait des formes et contenus en vigueur dans les pratiques sociales ou produits d’analyses multiples qui visent à assurer la transposition la mieux à même de satisfaire aux spécificités des objectifs de l’EPS. Bien que ces modélisations constituent des réponses concrètes, elles ne sont pas toujours adaptées à un public scolaire et parfois évitent trois questions qui traversent l’histoire de notre discipline.
Quels rapports l’éducation physique doit-elle entretenir avec la culture physique contemporaine ?
Comment ne pas tomber dans un formalisme de la construction d’une motricité sans racine culturelle ?
Comment, à l’école, dépasser un éclectisme à propos des APSA ?
6Néanmoins, un certain nombre d’obstacles s’opposent au changement des pratiques concrètes, de ce qui est effectivement enseigné en EPS aujourd’hui et plus particulièrement à l’acquisition, par les élèves, de réelles compétences précisées par les textes institutionnels. Il s’agit bien d’identifier et de hiérarchiser les obstacles à la conception et à l’animation de séquences d’apprentissage générant de réelles compétences nécessaires à une effectuation efficace. Ainsi, il faut faire un choix clair entre modernité et éclectisme versus innovation et apprentissage, ce qui conditionnera fortement le contenu de la formation initiale et de la formation continue. Par modernité et éclectisme, on entendra l’introduction systématique, dans le milieu éducatif de l’école, du plus grand nombre possible d’activités actuellement plus ou moins en vogue dans le monde du sport de performance, de rue ou du loisir actif de l’adulte. Avec innovation et apprentissage, on offrira aux élèves une conception de l’enseignement où l’intégration des résultats d’une véritable éthologie de l’activité motrice et des données récentes de la recherche en termes de contenus, d’attitudes et d’actes pédagogiques soit effective.
7Un dernier obstacle et pas des moindres reste la relative difficulté pour les enseignants à analyser leur propre pratique. Bien sûr, le discours sur la pratique n’est jamais la pratique réelle mais il faut tenir compte également de la résistance aux changements, d’une réticence certaine à l’auto-analyse et aux difficultés engendrées par le travail en équipe. Les obstacles s’accumulent avec des conceptions linéaires et cumulatives de la progressivité en relation avec une difficulté persistante à lire la motricité des élèves dans l’action et à dire ce qu’ils ont réellement fait.
8Enfin, tout apprentissage prend du temps et à l’école aussi il faut donner du temps au temps si l’on veut que les élèves apprennent quelque chose. Alors donnons du temps aux élèves avec des cycles suffisamment longs ou rapprochés pour leur permettre de stabiliser les nouveaux apprentissages. Si on veut suivre cette logique un peu plus loin, on devrait arriver à la conclusion qu’un objectif majeur de notre programme d’éducation physique scolaire devrait être le développement « d’apprenant réflexif ». Il est à noter toutefois, que les connaissances qui permettent de passer, à l’école, du débutant au débrouillé voire à l’expert, dans les pratiques sociales de référence sont encore largement à explorer. C’est sans doute pour les années à venir, un des défis majeurs en tant que chercheur en didactique et en technologie des pratiques physiques sportives et artistiques, de développer l’impact et la diffusion des produits de la recherche en intervention s’agissant des connaissances et compétences motrices à enseigner. Cela suppose que ce type de recherche existe pour un large spectre d’élèves et qu’il se développe tout en restant pertinent et utile. Les enjeux d’accès à l’égalité mais, je préfère parler ici des enjeux d’une inégalité contrôlée qui serait compatible avec les diverses expressions de la personne, constituent un aspect majeur des différents textes proposés. Cette posture permet de combattre le fatalisme ambiant à propos de ces enjeux tout en cherchant à comprendre où sont les réponses porteuses de changement.
9À ce propos, le contenu de cet ouvrage articule dans la succession des articles et, souvent, à l’intérieur de chaque article des dimensions de recherche, d’enseignement, d’apprentissage, répondant par voie de conséquence à des exigences de formation. En fonction d’un cadre d’analyse clairement exposé et revendiqué, le lecteur trouvera ici des réponses concrètes à des questions professionnelles que se pose un enseignant car il est en mesure d’y percevoir non seulement des choix explicites mais également leur fondement. Plus généralement, ce livre est riche de beaucoup d’éléments d’informations fondés sur l’expérience, sur des manières d’agir ou de penser. Il témoigne de l’intérêt majeur à fédérer le travail d’équipe autour de conceptions/représentations à la fois distinctes et partagées. Il propose une vision à la fois utile pour prolonger la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage, mais aussi des outils précis pour tenter de conduire un processus d’apprentissage signifiant pour l’élève, tout en offrant à l’enseignant des pistes en vue d’un enseignement réfléchi. Néanmoins, l’éducation physique et sportive - discipline d’enseignement- doit se poser la question de ce qu’elle enseigne et de ce que les élèves apprennent et retiennent car en dernier ressort et quelles qu’en soient les raisons, c’est l’élève qui apprend ou n’apprend pas. C’est bien là que commence la construction des inégalités ! Pourtant, des enseignements authentiques où les savoirs à acquérir sont clairement identifiés et une évaluation fiable et fidèle, en fin d’un cycle suffisamment long, doivent solliciter les connaissances et compétences motrices des élèves. Cela permet de juger de la capacité des apprenants à mobiliser ces nouvelles ressources en situation réelle surtout celles qui sont en cours de stabilisation. Il me semble que ces dispositions constituent bien une assurance pour éviter un système enseignement/apprentissage qui propose des techniques, des règles ou des principes dévitalisés sans fondement culturel, voire sans signification pour les élèves et basés sur des conceptions « applicationnistes » de la matière enseignée.
10Au moment où les performances physiques des élèves sont en chute libre, cet ouvrage vient rappeler opportunément qu’il n’y a pas de fatalité dans la construction des inégalités mais une inégalité fonctionnelle à prendre en compte et à gérer. Cela est un défi à relever pour l’école publique qui, comme les textes et les réformes éducatives en cours le lui demandent, enseigne à chacun et accueille tout le monde…
Auteur
Professeur des Universités (retraité) en STAPS Chercheur associé au GRIAPS, Université Bourgogne Franche-Comté
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