Introduction
p. 9-19
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier la Faculté des Sciences ainsi que les enseignants-chercheurs et chercheurs de l’Université de Montpellier qui ont permis l’organisation de la « Journée d’Épistémologie » à l’origine du projet de cet ouvrage collectif. Ils souhaitent également remercier les unités de recherche et d’enseignement, dont le soutien financier a rendu possible son édition : l’Institut Montpelliérain Alexander Grothendieck (IMAG, UMR du CNRS et de l’Université de Montpellier) et la Faculté d’Éducation de l’Université de Montpellier.
Texte intégral
1Bien que l’intérêt de l’épistémologie pour la didactique des sciences expérimentales et des mathématiques soit aujourd’hui largement reconnu, il convient néanmoins de s’interroger sur la nature des liens entre ces deux domaines. Le chercheur en didactique des sciences s’intéresse à la construction des savoirs scientifiques dans un sens large et cherche à comprendre les liens entre la constitution de ces savoirs au sein des communautés scientifiques de référence et leur appropriation par des sujets apprenants (élèves, étudiants, adultes en formation…). Il est ainsi amené à chercher dans les études épistémologiques des appuis pour comprendre les processus d’enseignement et d’apprentissage des concepts scientifiques et pour nourrir des élaborations didactiques permettant d’agir sur ces processus, ceci tant en contexte d’éducation formelle qu’informelle. En outre, comme le souligne Michèle Artigue, « L’analyse épistémologique [aide] la didactique à se déprendre de l’illusion de transparence des objets qu’elle manipule au niveau du savoir » (Artigue, 1990, p. 245).
2Dans cet ouvrage, nous avons choisi de distinguer deux axes de recherche en didactique des sciences dans lesquels l’épistémologie joue un rôle majeur. Les travaux que nous avons inscrits dans le premier axe mettent au cœur de leurs questionnements la construction des connaissances scientifiques elles-mêmes et leur transposition pour la classe, tandis que ceux inscrits dans le second s’intéressent prioritairement au mode d’enseignement des sciences.
3Précisons que nous entendrons ici le terme « épistémologie » comme synonyme de l’expression « philosophie des sciences » et non comme la traduction du terme anglais « epistemology » (lequel désigne le domaine de la philosophie de la connaissance qui a pour objet les connaissances en général et non uniquement les connaissances scientifiques). Comme le soulignent Laugier et Wagner (2004, p. 12), « la philosophie des sciences est […] marquée par la multiplicité des approches effectives et par celle des types de questionnement possibles », de sorte qu’il est difficile d’en donner une définition précise et non réductrice. Dans ce qui suit, nous nous limiterons à en évoquer certains objets d’étude et certains apports.
L’épistémologie et la construction des connaissances scientifiques
4L’épistémologie, en s’appuyant sur l’histoire des sciences, permet de comprendre comment ces connaissances ont été constituées : dans quel contexte scientifique, socio-culturel et économique, sous l’impulsion de quelles motivations, suivant quelles méthodes, quelles étapes et en surmontant quels problèmes. Elle permet également de cerner le statut et les fonctions des différents concepts, modèles et théories scientifiques. En mettant ces analyses en regard avec les conceptions des apprenants et avec les pratiques enseignantes, l’épistémologie offre un éclairage précieux pour repérer les obstacles aux apprentissages et déterminer les étapes possibles de l’appropriation par les élèves des connaissances scientifiques (Bachelard, 1938 ; Piaget, Inhelder, 1966 ; Martinand, 1986 ; Brousseau, 1998 ; Viennot, 2008).
5Certains auteurs ont mis en lumière l’existence de similarités entre l’évolution des conceptions des enfants et l’évolution des théories scientifiques dans l’histoire. C’est le cas de Piaget qui, dès la première partie du xxe siècle, a soutenu l’existence d’une « unité des lois d’adaptation intellectuelle à l’objet » (1973 [1949], p. 105). À partir des années 1970, plusieurs travaux de didacticiens des sciences ont ainsi établi empiriquement un certain nombre de parallèles : par exemple, entre la conception récurrente de la force chez les élèves du secondaire et de l’Université et la notion d’impetus en vogue au Moyen Âge et jouant le rôle d’intermédiaire entre la cause motrice d’Aristote et la force de Newton (Viennot, 1979, p. 213). Cependant, l’hypothèse piagétienne d’un parallélisme fort a été critiquée par divers auteurs. Comme le souligne Gauld (1991, p. 135), les processus de développement cognitif chez un enfant sont inconscients et non volontaires, contrairement aux développements en sciences qui relèvent de processus conscients, rationnels et contrôlés. Les deux types d’évolution sont en un sens « incommensurables » (Giannetto, 1993, p. 228).
6Pour autant, des études dans le domaine de l’épistémologie et de l’histoire des sciences permettent de mieux comprendre les filiations et les ruptures entre les connaissances sur un thème donné. À titre d’exemple, les différentes études épistémologiques et historiques qui ont été menées sur le concept d’énergie éclairent la différentiation progressive qui s’est opérée entre les formes d’énergie et les modes de transfert d’énergie ; elles permettent de souligner le rôle constitutif que joue le principe de conservation de l’énergie ; ou encore, elles nous font prendre conscience de la fonction d’unification que le concept d’énergie a rempli dans le contexte d’une physique morcelée au milieu du xixe siècle (cf. Bächtold, Guedj, 2014). À cet égard, l’épistémologie et l’histoire des sciences constituent des sources très utiles pour les didacticiens des sciences. Ils les aident, pour un réseau donné de concepts, à envisager différentes organisations et formulations possibles (ou « transpositions didactiques » au sens de Chevallard, 1985) et à construire des genèses artificielles dans le cadre d’ingénieries didactiques adaptées (Margolinas et al., 2011).
7Ces études peuvent en outre relever de l’épistémologie contemporaine lorsqu’il s’agit d’étudier les pratiques professionnelles des chercheurs du domaine ou des domaines concernés afin de nourrir les études de transposition didactique, au-delà du seul savoir de référence académique.
8Elles constituent ainsi un domaine privilégié sur lequel reposent les études en didactique visant à comprendre les processus d’apprentissage et d’enseignement des connaissances scientifiques en classe ordinaire ou visant à élaborer des activités d’enseignement innovantes.
L’épistémologie et le mode d’enseignement des sciences
9Le second axe de recherche en didactique dans lequel l’épistémologie occupe un rôle déterminant est celui du mode d’enseignement des sciences. Les études épistémologiques convoquées à cet égard sont celles qui portent sur les différentes méthodes scientifiques et plus généralement sur les processus de constitution et de validation des connaissances scientifiques. Selon la manière de considérer ces processus dans le domaine des sciences, l’enseignement scientifique peut être envisagé de façon très différente. Ainsi, au cours du xxe siècle, deux approches opposées ont été privilégiées pour enseigner les connaissances scientifiques. La première, que l’on rencontre encore fréquemment dans l’enseignement supérieur, est de type déductif (expression employée par Rocard et al., 2007) : l’enseignant introduit d’abord des définitions de grandeurs et énonce les lois avant de proposer aux étudiants d’en étudier des applications particulières à travers des exercices. La seconde approche, qui a été préconisée dans le primaire et le secondaire depuis la fin du xixe siècle jusque dans les années 1970, incarnée par la « Leçon de choses » (Kahn, 2000), est de type « inductif » : les élèves doivent d’abord observer attentivement certains phénomènes survenant dans la nature ou dans le cadre d’expériences et sont invités ensuite à en tirer des lois. Il a été reproché à la première approche d’être trop abstraite et de présenter les connaissances de façon trop dogmatique (Lemeignan, Weil-Barais, 1993). Quant à la seconde approche, elle a fait l’objet de vives critiques basées sur plusieurs points d’épistémologie mis en avant et étayés durant le xxe siècle (Robardet, Guillaud, 1995 ; Johsua, Dupin, 2003 ; Bächtold, 2012). À l’encontre de l’approche inductive, les chercheurs en didactique des sciences ont notamment invoqué le fait que l’expérience ne précède pas la théorie, dans la mesure où toute expérience est motivée par des problèmes qui se posent dans un cadre théorique préalable et vise bien souvent à tester des hypothèses. Un second point d’épistémologie qui a été opposé à l’approche inductive est que l’expérience n’est pas l’unique démarche que mettent en œuvre les scientifiques pour établir des connaissances : l’activité de modélisation, en particulier, occupe un rôle important en sciences.
10En se tournant ainsi vers l’épistémologie, les chercheurs en didactique des sciences ont été conduits à prendre en compte et discuter le rôle de l’expérience, de la problématisation, de l’émission d’hypothèses et de la modélisation dans le cadre de l’enseignement des sciences. Cette réflexion épistémologique a contribué dans les années 1990 à l’émergence d’une nouvelle approche d’enseignement des sciences appelée « démarche d’investigation » (ou Inquiry-Based Science Education), laquelle est actuellement préconisée par de nombreux pays dont la France au niveau du primaire et du secondaire. En tenant compte des conceptions initiales des élèves et en étant structurée par la résolution de problèmes, celle-ci intègre de fait plusieurs points consensuels dans le domaine de l’épistémologie. En outre, la démarche d’investigation privilégie les phases de travail collectif, que ce soit sous forme de confrontation d’idées ou de coopération entre élèves. Ce faisant, elle permet également de transposer dans la classe la dimension sociale de la pratique scientifique mise en avant par l’épistémologie et la sociologie des sciences. À noter que de multiples définitions de la démarche d’investigation ont été proposées dans les textes officiels et dans la littérature en didactique des sciences (Cariou, 2015). La discussion sur la forme précise que peut prendre ce mode d’enseignement, sur ses objectifs et sur les modalités de sa mise en œuvre demeure très vive (Calmettes, 2012 ; Grangeat, 2013 ; Calmettes, Matheron, 2015).
11La question des objectifs de l’enseignement des sciences a été renouvelée ces dernières années autour de la notion de « culture scientifique » (ou scientific literacy, OCDE, 2011) que tout élève devrait acquérir pour devenir un citoyen éclairé capable de participer aux choix de société mettant en jeu les sciences. Il est aujourd’hui admis qu’une telle culture scientifique repose non seulement sur la maîtrise de connaissances et de méthodes scientifiques, mais aussi sur une certaine compréhension du fonctionnement des sciences. Ainsi, depuis les années 2000, de nouvelles recherches ont été menées pour étudier la vision des sciences (ou nature of science) des élèves et des enseignants ainsi que les modes d’enseignement favorisant son développement (Lederman, 2007 ; Hodson, 2014). Ces recherches ont notamment pointé qu’il n’est pas suffisant de proposer aux élèves de mener des investigations et qu’une discussion explicite sur le fonctionnement des sciences est nécessaire (Khishfe, Abd-El-Khalick, 2002). L’épistémologie, à travers ses multiples approches (qu’elles portent sur le statut des connaissances, sur les méthodes de constitution ou validation des connaissances, sur le travail coopératif entre scientifiques, sur le contexte socio-culturel de l’émergence des connaissances, etc.) constitue à l’évidence un domaine de référence privilégié sur cette question de la vision des sciences des élèves et des enseignants.
Présentation de l’ouvrage
12L’épistémologie et l’histoire des sciences restent encore peu présentes aujourd’hui dans les Universités scientifiques françaises, malgré l’initiative prise en ce sens par le gouvernement suite au rapport « Lecourt » (Lecourt, 1999). À l’Université Montpellier 21, l’épistémologie est présente à la fois comme domaine de recherche et comme domaine d’enseignement et de formation, mais elle reste encore peu visible pour la majorité des acteurs de l’Université. Pour pallier cet état de fait, des « Journées Épistémologie » annuelles ont été mises en place dans cette Université depuis mai 2012 à l’initiative de la Faculté des Sciences. Ces journées sont ouvertes aux enseignants-chercheurs, étudiants, enseignants du secondaire et du primaire, médiateurs scientifiques… ; elles visent à faire mieux connaître l’épistémologie et à montrer comment des connaissances dans ce domaine permettent d’éclairer les pratiques d’enseignement comme de recherche, et de prendre du recul sur les disciplines. Cet ouvrage fait suite à la 3e Journée Épistémologie de l’Université Montpellier 2, qui s’est tenue en mai 2014 et qui portait sur les liens entre épistémologie et didactique. Son succès et l’intérêt soulevé par cette journée ont motivé les organisateurs à développer les échanges à travers un livre. Cet ouvrage présente, sous une forme approfondie, une sélection des contributions des participants à cette rencontre. Les contributions sélectionnées rendent compte de la diversité des interventions : conférences de synthèse par des chercheurs expérimentés dans le champ de l’épistémologie et de la didactique des sciences, communications orales ou posters présentés par des jeunes chercheurs. Elles portent sur des domaines variés des sciences expérimentales et des mathématiques, et sur des niveaux d’enseignement allant de l’école primaire à l’Université.
13L’objectif de ce livre est ainsi d’explorer la question de l’apport de l’épistémologie pour la didactique des sciences expérimentales et des mathématiques. Les contributions de Jean-Marie Boilevin et Jean-Luc Dorier visent à donner un panorama d’ensemble sur cette question. Celles des autres auteurs présentent des études de cas donnant à voir la manière dont l’épistémologie peut être convoquée de manière féconde dans les recherches en didactique des sciences sur des contenus d’enseignement variés.
14La première partie de l’ouvrage, intitulée « Épistémologie et recherches didactiques sur les connaissances scientifique enseignées » présente des textes relevant du premier axe. Elle s’ouvre avec le texte de Jean-Luc Dorier qui rappelle qu’à l’origine certains voulaient désigner la didactique des mathématiques par « épistémologie expérimentale » en référence à l’épistémologie historique et à l’épistémologie génétique de Jean Piaget. C’est cette dimension que l’auteur a choisi de développer dans ce texte, en montrant la place de l’épistémologie dans les principales théories de référence en didactique des mathématiques (transposition didactique, théorie des situations didactiques, théorie des champs conceptuels, théorie anthropologique du didactique). La dernière partie du texte est consacrée à la présentation des travaux de l’auteur en algèbre linéaire, qui sont emblématiques des interactions fécondes entre didactique, épistémologie et histoire des sciences.
15Les neuf autres textes qui constituent cette partie sont organisés suivant trois grandes entrées : les textes qui accordent un rôle central à l’histoire des sciences, ceux qui relèvent essentiellement d’une étude des conceptions et ceux qui s’intéressent aux phénomènes de transposition didactique. Benoît Rittaud et Laurent Vivier revisitent la question, classique en didactique des mathématiques, du développement décimal impropre du nombre 1 sous la forme 0,999… L’originalité de leurs travaux tient à l’introduction de nouveaux objets mathématiques – les mots circulaires – que l’on retrouve chez les comptables anglais pour proposer des procédés de calcul alternatifs à ceux impliquant les fractions. Ceci leur permet de proposer des réalisations didactiques visant à donner du sens à cette surprenante égalité. Le texte de Julie Jovignot présente une étude historique et épistémologique comme prolégomènes à une étude didactique de la notion d’idéal en mathématique, un concept central de la théorie abstraite des anneaux. Elle montre, à partir de l’étude épistémologique de l’émergence de ce concept en algèbre linéaire, son caractère formalisateur, unificateur, généralisateur et simplificateur (FUGS). Elle présente ensuite les principaux résultats d’une étude de manuels, conduite à la lumière de l’étude épistémologique, qui laisse présager des difficultés des étudiants à identifier l’intérêt de l’introduction de ce concept. La contribution de Michel Roland porte sur la grandeur vitesse instantanée, laquelle peut être définie soit en recourant à la notion de dérivée soit à celle de différentielle. L’auteur pointe le fait que les élèves font ainsi face à deux approches, physique et mathématique, ce qui peut générer un obstacle épistémologique. Son étude consiste à puiser dans l’histoire des sciences pour comprendre la manière dont se sont constituées les deux notions mathématiques de dérivée et de différentielle. À partir de cet éclairage, Michel Roland analyse différentes méthodes de résolution de problèmes de cinématique proposées aux élèves.
16Les trois textes qui suivent s’intéressent aux conceptions des élèves et des enseignants de sciences et de mathématiques. Quelles conceptions de la mesure en physique et en mathématiques peuvent/doivent développer les élèves à l’école élémentaire et au collège, et au-delà au lycée et à l’Université ? Le texte de Valérie Munier, Aurélie Chesnais et Karine Molvinger met en évidence les enjeux épistémologiques et didactiques liés à cette question délicate et pointe les difficultés des élèves. Ces auteurs s’intéressent à la prise en charge des enjeux didactiques et épistémologiques liés à la mesure dans l’enseignement. Elles soulignent que cette prise en charge en classe suppose pour les enseignants la maîtrise de compétences disciplinaires, épistémologiques et didactiques, ce qui nécessite de développer des outils de formation. Dans leur texte, Viviane Durand-Guerrier et Martine Vergnac mettent en perspective les conceptions des nombres réels observées chez des élèves de fin de lycée avec certaines des élaborations théoriques de l’ensemble des nombres réels développées au xixe siècle, en particulier celle de Dedekind qui repose sur l’intuition géométrique de la droite numérique. Les analyses des données empiriques montrent que la correspondance entre l’ensemble des nombres réels et la droite numérique ne semble pas être reconnue par les élèves qui assimilent l’ensemble des nombres réels à une extension de l’ensemble des nombres décimaux auxquels s’ajoutent quelques nombres emblématiques comme π ou √2. Pour étudier les questions d’ordre épistémologique et didactique soulevées par l’introduction du concept d’algorithmique dans l’enseignement secondaire, Simon Modeste s’appuie, pour développer un outil d’analyse, sur le modèle cognitif et épistémologique ck¢ développé par Nicolas Balacheff et Claire Margolinas, qu’il articule avec la dialectique outil/objet introduite par Régine Douady. Ceci lui permet de mettre en évidence les conceptions erronées potentiellement induites par les programmes, et d’envisager des situations susceptibles de développer des conceptions davantage en adéquation avec le concept d’algorithme visé.
17Enfin, les trois derniers textes de cette partie s’intéressent aux phénomènes de transposition didactique. Dans sa contribution, Valentin Maron revient sur les difficultés d’apprentissage du concept de force et pointe le fait que celui-ci est souvent associé à l’idée de causalité et envisagé de façon chronologique, en rupture avec la physique. Il développe alors une stratégie d’enseignement consistant à transposer le concept physique en plusieurs étapes. La première étape, centrale pour l’auteur, consiste à recourir à l’histoire des sciences : il s’agit de discuter l’explication du mouvement naturel de la physique d’Aristote, laquelle ne nécessite pas la notion de force, et de la mettre en contraste, avec l’explication newtonienne du changement de mouvement qui fait appel, pour sa part, à la notion de force. Le texte de Konstantinos Grivopoulos porte sur la transposition didactique de la notion de spin en mécanique quantique à la fin du secondaire. L’auteur analyse la manière dont cette notion est introduite dans un ensemble de manuels de physique-chimie grecs. Il constate que la plupart d’entre eux a recours à l’image erronée d’une boule en rotation sur elle-même. L’auteur discute le recours à cette image et souligne en particulier qu’elle peut constituer un obstacle au développement chez les élèves d’un mode de pensée abstrait, pourtant caractéristique de la mécanique quantique. Dans son texte, Marie-Line Gardes présente une étude d’épistémologie contemporaine conduite selon une méthodologie originale consistant à suivre dans la durée le travail de deux chercheurs engagés dans la résolution d’un problème non résolu en théorie des nombres. Ceci lui a permis de développer la notion de geste de la recherche qu’elle a réinvestie dans l’analyse des travaux de recherche d’élèves dans le cadre d’une expérimentation hors classe construite autour du même problème. Elle met ainsi en perspective les gestes des élèves et ceux des chercheurs, l’objectif à terme étant d’envisager la transposition du travail du chercheur en situation de recherche en classe. La seconde partie de l’ouvrage présente des textes relevant du second axe : « épistémologie et recherches didactiques sur les modes d’enseignement des sciences ». Le premier texte, celui de Jean-Marie Boilevin, présente une vue d’ensemble de l’enseignement des sciences par démarche d’investigation. Il précise d’abord comment le développement de cette méthode d’enseignement a été favorisé par les institutions internationales et françaises, lesquelles ont redéfini les finalités et les orientations de l’enseignement des sciences, en accordant une importance plus grande aux démarches scientifiques mais aussi aux démarches d’apprentissage. Jean-Marie Boilevin invite ensuite le lecteur à une réflexion épistémologique sur la manière dont les démarches scientifiques peuvent être envisagées en contexte scolaire, par exemple sur la place des expériences ou sur le rôle du problème en classe. Il propose une synthèse des multiples travaux de recherches portant sur l’enseignement des sciences par démarche d’investigation, avant de rediscuter les finalités de l’enseignement des sciences. Dans le second texte, Estelle Blanquet et Éric Picholle s’intéressent à la compréhension de la nature de la science par les élèves et les enseignants de l’école primaire. Nombre de didacticiens des sciences considèrent l’absence de représentation claire de la science comme un obstacle significatif à son enseignement. Ces auteurs proposent une alternative aux méthodes classiques (top-down) destinées à aider les enseignants et leurs élèves à acquérir une représentation opératoire de la science. Ils proposent une approche complémentaire, bottom-up, basée sur la notion de critère de scientificité. Ils présentent un jeu de critères de scientificité et étudient d’une part la manière dont ils permettent une construction évolutive de la science chez les élèves et d’autre part comment ils sont reçus et utilisés par les enseignants du primaire dans le cadre de la démarche d’investigation. Dans le troisième texte de cette partie, Sonia Yvain s’intéresse à la question de la modélisation en sciences, en questionnant la possibilité de transposer le processus de modélisation mathématique des pratiques de recherche en laboratoire à la classe. Elle étudie, en s’appuyant sur des entretiens, les pratiques effectives de chercheurs engagés dans des recherches en mathématiques appliquées aux sciences du vivant pour éclairer la place de la mathématisation dans le processus de modélisation. Elle questionne ensuite les conditions de la dévolution du processus de mathématisation aux élèves. Enfin, dans le dernier texte, Lionel Scotto d’Appolonia questionne l’intérêt, voire la nécessité, pour une éducation scientifique citoyenne, d’« enseigner » des questions scientifiques qui font l’objet de controverses socioscientifiques. Il présente une étude de cas portant sur les controverses climatiques qui croise approches didactique et sociologique. Cela l’amène à interroger la façon dont la didactique peut aborder des objets épistémologiquement soumis à des incertitudes, de l’ignorance et des controverses dans un contexte où les dimensions politiques peuvent difficilement être occultées. Il discute notamment la nécessité d’accorder une nouvelle place à l’épistémologie dans les démarches d’investigation des controverses socioscientifiques.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Depuis le 1er janvier 2015, les Universités Montpellier 1 et Montpellier 2 ont fusionné pour donner naissance à l’Université de Montpellier.
Auteurs
LIRDEF, EA 3749. Université de Montpellier et Université Paul Valéry de Montpellier.
IMAG, UMR 5149. CNRS et Université de Montpellier.
LIRDEF, EA 3749. Université de Montpellier et Université Paul Valéry de Montpellier.
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