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2. Les images négatives de la femme

p. 45-74


Texte intégral

1. La mère

Le rejet de la mère

1Alors que l’amour maternel compte habituellement parmi les plus beaux sentiments humains, V. Segalen ne présente, dans toute son œuvre, que des figures négatives de la mère. Ce n'est que dans les descriptions de paysages, comme nous l'avons précédemment noté, que le mythe de la bonne mère est implicitement évoqué. En revanche, toute éthopée1 de personnage maternel est péjorative, à l'instar de ces mauvaises, et parfois funestes mères, de la mythologie, telles Clytemnestre, Phèdre, Médée. Par voie de conséquence, l'écrivain se livre à une apologie à mots couverts du sort de l'orphelin :

Il a eu le malheur... (on n'ose jamais appeler ceci d'un autre nom), il a eu le malheur de perdre sa mère à l'âge où l'on refait ses premières dents. (Je ne saurai donc pas si cette mère valait la peine d'être gardée.) (RL, 44).

2Le rejet de la mère n'est pas inconscient chez V. Segalen. Cette image de la mère négative, qui oscille entre la fiction et la réalité de l'auteur, est profondément intériorisée en lui. Il n'est pas inutile de rappeler ici qu'il a vécu plus de la moitié de son existence sous la coupe maternelle et a souffert de cette emprise. Le milieu familial des Segalen était particulièrement austère et il évoluait sous la régence, parfois tyrannique, de la mère. Voici un passage éloquent d'une lettre, dans laquelle V. Segalen porte un regard rétrospectif sur sa vie :

Rien, rien ne m'a déçu, sinon ma mère morte depuis longtemps à une affection qui se cabre2.

3S'il est inévitable que V. Segalen traduise son expérience personnelle, sa vision du monde et des êtres, il ne nous parle jamais directement de lui, mais il se dévoile à travers l'Autre. Si l'œuvre fictionnelle se nourrit de la biographie de son auteur, elle ne peut aucunement s'y réduire. Toutefois, l'étude biographique peut éclairer les ouvrages. Nous remarquons alors que V. Segalen a été fréquemment confronté à des exemples de mères autoritaires et même abusives, telle la mère tyrannique de son ami H. Manceron ou la femme du président Yuan-Che-Kai qui entrave les projets de son fils. V. Segalen relate cette intransigeance et puissance maternelle à sa femme :

De nouveau la Mère présidentielle est intervenue pour décommander le voyage. J'ai demandé à Yuan quand il comptait se mettre en route et il a répondu que sa mère « préférait qu’il restât ici » et avait répondu « Non ! »3

4Maurice Roy, jeune homme rencontré à Pékin, écrit à V. Segalen :

Si Maman apprend que j'ai reçu une lettre, elle me demandera de suite à la voir4.

5Ce n'est pas innocent si V. Segalen élimine par la fiction la mère de René Leys, dont la figure est la transposition littéraire de Maurice Roy. Outre la propre expérience de V. Segalen, ces trois cas extrêmes de pouvoir maternel apportent une lumière sur la dévalorisation systématique de la mère dans l'œuvre ségalénienne. La dénonciation de la négativité de la mère par l'écriture permet à V. Segalen de s'en libérer.

6Le rôle de la mère se limite souvent à celui de la génitrice, essentiellement dans sa fonction biologique. La mère dans Les Immémoriaux est avant tout un mammifère humain femelle destiné à la reproduction comme l'indique la locution verbale "mettre bas" (IM, 17) employée pour les femmes. Dans Briques et Tuiles, V. Segalen décrit l'accouchement d'une chinoise avec la distance froide du médecin :

Elle est mi-assise, mi-accroupie sur un petit escabeau juché sur le lit de camp. Aucune pudeur, certes, primipare ; accouchement hâté par l'intervention morale étrangère, évidemment. En une heure à peine c'est fait. Mais l'enfant est vexé de ces longs efforts. Trois heures de soin. Il consent à goûter de la vie. Cependant qu'Augusto s'est chargé d'extirper le délivre dont les membranes sont intactes (BT, 78).

7Bien qu'il ait assisté cette femme, V. Segalen ne semble éprouver aucun émerveillement devant la magie de l'enfantement. La brièveté de la description trahit le peu d'intérêt que V. Segalen porte à ce don de la vie. Dans Les Immémoriaux les naissances évoquées ne sont que les séries originelles interminablement redoublées (IM, 52) de la généalogie fondatrice du peuple maori.

8Le personnage de la mère est aussi confondu avec son rôle social. Les impératrices, principaux personnages maternels des œuvres chinoises, sont aussi les "Mères du Royaume". L'impératrice du Combat pour le Sol, puisqu'elle est "Mère de l'Empire",

se doit de n'être point le délassement de l'Empereur, mais le premier des Grands-Fonctionnaires-Femelles (CS, 41).

9Seule sa présence force le respect des concubines et impose une gravité ; mais en son absence, elle fait l'objet des moqueries de ces mêmes concubines qui la réduisent sardoniquement à sa seule fonction :

C'est une « Mer » de vertu. Et sa fonction ! Sa très grande fonction dans l'Empire ! (CS, 44).

10V. Segalen, par le jeu homonymique, raille l'absence de la femme derrière ces devoirs de mère. La Mère de l'Empire est celle qui veille et qui protège (FC, 58). Nous verrons par la suite comment ces impératrices remplissent cette fonction.

11Dès l'incipit du Fils du Ciel et dans tout le roman, Ts'eu-Hi est présentée et désignée uniquement par ses titres glorieux : elle est la Personne Impériale (FC, 93), Sa Majesté l'Impératrice-Douairière (FC, 156), la très Vénérée Mère du Royaume (FC, 123), l'Auguste Mère de l'Empereur (FC, 143). Ces dénominations sont des formules consacrées, conformes aux conventions impériales. Bien que V. Segalen use ici du Wen, langage protocolaire, rhétorique chinoise, ces appellations de l’Impératrice n'en demeurent pas moins des antiphrases. Les paroles de Kouang-Siu à l'égard de sa "Mère" sont dénuées de toute affection, mais répondent à la bienséance. Leur seul lien est celui du Ciel familial (FC, 116).

12V. Segalen a certainement mis en scène cette figure impériale de la mère pour illustrer la régence domestique maternelle, incontournable, qui contrôle tout, telle qu'il l'a connue...

13V. Segalen montre, par son éloge des vahinés dont

les hanches ne s'affichent point comme une raison sociale de reproduction, la raison d'être de la femme (HG, 110),

14que le caractère féminin existe en dehors de la maternité. Béatrice Marbeau-Cleirens signale que dans la tradition catholique, la femme a une seule mission, celle d'être maternelle physiquement et spirituellement5. Mais V. Segalen ne consent pas à cette réduction de la femme : la maternité n'est pas sa vocation première. Il s'oppose ici à P. Gauguin écrivant que

l'homme aime la femme s'il a compris ce que c'était une mère6.

15Selon V. Segalen, la maternité pervertit, dénature la femme. C'est pourquoi les femmes, dans son œuvre, sont célébrées en tant que femmes et non en tant que mères. Il évoque même le lait aigre des mères (P, 139). Le poète offre la stèle Éloge de la Jeune Fille

À celle qui a des seins et n'allaite pas ; un cœur et n'aime pas ; un ventre pour les fécondités, mais décemment demeure stérile (S, 85).

16On ne compte pas moins de sept occurrences de stérilité dans Les Immémoriaux. La vahiné se caractérise par cette infécondité :

Les femmes étaient stériles ou bien leurs déplorables grossesses avortaient sans profit (IM, 16).

17Elles sont d'ailleurs mises en regard avec l'île, qui est, au contraire, prolifique. Il est même fait état, dans Les Immémoriaux, de femmes qui désiraient la stérilité (IM, 84). Ce thème est doublement développé dans Le Combat pour le Sol puisque la Mère de l'Empire est stérile et que l’Étrangère se meurt alors qu’elle porte un enfant. On célèbre alors

les funérailles de la mère future du seul grand prince héritier... et qui ne le sera plus... (CS, 121).

18La beauté du personnage de l’Étrangère est préservée, sauvée de l'avilissement d'être mère.

Mère et pouvoir

19"La main sur le berceau domine le monde". Cette assertion se vérifie dans l'œuvre de V. Segalen. L'enfant est en effet un moyen pour la mère d'accéder à une haute position sociale. Les impératrices chinoises élargissent leur pouvoir par la "possession" d'un fils. Dans René Leys, on apprend que l'Impératrice Long-Yu, veuve de Kouang-Siu, pourrait devenir l'égale de feue Ts’eu-Hi, et parvenir au même rang qu'elle, si elle donnait tout simplement un enfant au trône. Dans Le Combat pour le Sol, l’Impératrice cherche à prendre le fils à naître de l’Étrangère pour se garantir un pouvoir encore et toujours plus grand. Elle tente alors d'exercer un chantage sur la future mère promise à la gloire et à la souveraineté :

Enfin, tu vivras si je le veux... Mais donne-moi le Fils à venir... [...] Crois-moi, laisse-le à mon adoption. [...] Donne-le moi et c'est le Fils héritier. Le Grand-Fils ! Donne-le moi : C'est le Prince à venir ! (CS, 102).

20La répétition des verbes injonctifs révèle l’autoritarisme de l’Impératrice. Elle veut imposer sa volonté et ne tolère aucune résistance. L’Impératrice qui se veut mère est une femme intéressée, ambitieuse.

21Les mères, chez V. Segalen, sont souvent dotées d’un pouvoir social : ce sont des femmes qui règnent. La mère est associée à l’autorité politique. Elle est, bien entendu, réactionnaire. Dans toute l'œuvre n'apparaissent que peu de figures du père. La puissance paternelle est d'ailleurs effacée, amoindrie. La mère récupère cette vacance et fait sienne l’autorité masculine. V. Segalen, qui préconisait un voyage de convalescence au fils de Yuan-Che-Kai, consigne dans son Dossier pour une fondation sinologique la

Réponse provisoire du Président : demander à la Vieille7 (p. 15).

22L'écrivain a été sensible à cette autorité impérieuse de décision dévolue à la mère. Par son écriture, il virilise la mère, c'est une mère phallique qui a tous les attributs du pouvoir. Ainsi, dans Le Fils du Ciel, la voix narrative de Ts'eu-Hi n'est présente que dans les décrets. La volonté inflexible de l’Impératrice se découvre à travers ses écrits politiques qui s'achèvent par des formules péremptoires comme "Respect à ceci" ou "Obéissance immédiate" (FC, 142). Ts'eu-Hi se réserve un droit de regard sur les édits de l'Empereur, elle les transforme parfois avant de les laisser promulguer car

seul appartient à la Mère de l'Empire le pouvoir de décider ce qui doit être dit (FC, 126).

23Ce commentaire de l’annaliste informe sur l'omnipotence de l'Impératrice.

24Cette terrible vieille Douairière constitue un pôle et exige que tout gravite autour d'elle, sous son contrôle. Tous lui doivent une soumission absolue, du plus petit de ses sujets jusqu'à l'Empereur. Elle est une manipulatrice habile, comme le constate l'annaliste :

Il convient d'admirer à la fois et l'attention attentive et puissante de la Mère qui sait obtenir une juste modification, et la piété de l'Empereur qui revient finalement sur ses décisions (FC, 127).

25Tout individu, qui appartient à la cour impériale, est une marionnette entre les mains de l’Impératrice. Cette mère despote s’insinue jusque dans l'intimité d’une relation amoureuse par l’intermédiaire de Ts'ai-yu, qui parvient finalement à avouer son rôle à Kouang-Siu :

Que l'Empereur oublie tout ce que je lui ai dit jusqu'à ce jour. Cela n'était pas de moi ; mais de son ordre... et presque de son pinceau... [...] Elle voulait ainsi. Elle m'a dit ce qu'il fallait faire... Elle a menacé, si je n'obéissais pas... (FC, 145).

26Afin de neutraliser la curiosité, l'intelligence de l'Empereur, Ts'eu-Hi fait donc intervenir à dessein la femme dont il est épris. Kouang-Siu comprend alors avec douleur la suprématie de sa mère adoptive et la trahison de Ts'ai-yu :

Et Elle vous a envoyée comme une esclave, vers moi, devant les Eunuques, pour m'empêcher de tout savoir, pour me tromper, pour m'aveugler, pour dire ce qu'Elle voulait que je fasse... oh ! Esclave ! (FC, 144).

27Pour asseoir sa domination, l'Impératrice oblige le monde à trembler devant sa personne. Elle engendre la peur chez ceux qui la côtoient. C'est à voix basse que la jeune Impératrice rapporte à son époux Kouang-Siu les craintes que Ts'eu-Hi lui inspire :

Elle est partout. Elle me fait peur... peur... peur... (FC, 57).

28V. Segalen note dans les didascalies du Combat pour le Sol que

l’Étrangère regarde l'Impératrice avec des yeux pleins d'épouvante... (CS, 101),

29alors même que cette dernière déclare la veiller. Les impératrices se caractérisent par leur malveillance et leur cruauté machiavélique. Dans les "Peintures dynastiques", V. Segalen nous décrit de nombreuses impératrices sanguinaires. C’est donc avec humour qu'il évoque une Douairière intimidée (P, 180). Toutefois certaines souveraines sont elles-mêmes victimes de leurs rang et fonction, telle cette Princesse Impériale Chinoise faite, par raison politique, Reine barbare (P, 57).

30La mère est une intrigante qui ourdit des actions secrètes. Le Fils du Ciel s'ouvre sur un acte d'hypocrisie, qui est le décret d'abdication de Ts'eu-Hi. Cette passation du pouvoir impérial, en faveur de Kouang-Siu, est déniée par la Décision secrète (FC, 37) qui lui fait suite : l'Impératrice ordonne une surveillance assidue de l'Empereur, ce qui lui permet de contrôler son développement intellectuel, affectif et son évolution politique, afin de canaliser et ainsi de paralyser la vitalité naturelle de son fils. L'Impératrice décrète donc

qu'un annaliste particulier soit attaché à Sa Personne (FC, 38).

31Tout le roman démasque l'Impératrice, perfide, qui feint d'abandonner son autorité politique et qui dispose finalement de l'Empereur lui-même. C'est elle qui nomme son successeur, c'est elle également qui le dépossédera. Elle n’est donc pas celle qui donne, conformément au rôle maternel traditionnel, mais celle qui ne regarde que son propre intérêt. L'ouvrage, composé essentiellement des annales officieuses, est le témoignage même du pouvoir occulte de l'Impératrice.

32L'annaliste, attaché secrètement à Kouang-Siu,

ne doit rien laisser perdre que l'Empereur même promulguerait qu'on oubliât. Les petits mouvements, les courtes poésies, les décrets intimes du cœur, il a l'ordre, à l'encontre d'eux-mêmes, de les empêcher de périr (FC, 38).

33La fonction de l'annaliste est celle d’un espion politique. Il brille d'ailleurs par son zèle :

Tout cela a été fidèlement rapporté à l'Impératrice Douairière afin qu'elle décide [...] (FC, 201).

34L'annaliste est donc un instrument du pouvoir. L'idéologie conservatrice de Ts'eu-Hi apparaît dans ses commentaires, conformes à l'orthodoxie impériale. Selon l'annaliste, sa charge reflète une douce bienveillance maternelle. Il qualifie souvent Ts’eu-Hi de "Mère Attentive", ce qu'elle revendique puisqu'elle délègue au conseiller de l'Empire le soin d'expliquer à Kouang-Siu que

L'affection de la Mère de l'Empire traverse les murailles et transparaît derrière les murs de briques et de soie (FC, 73).

35Cependant, l'Empereur ne saisit pas la portée de ce propos car il déclare plus tard avec naïveté :

qui donc saurait ce que je dis si je ne le veux pas (FC, 158).

36Épié, trompé par son entourage, il ne possède aucun pouvoir réel. L'annaliste, quant à lui, est l'incarnation de la toute-puissance de l'Impératrice. C'est par lui qu'elle se manifeste comme omniprésente, qu'elle jouit d'une forme d'ubiquité, propriété des dieux.

Mère et religion

37La mère impériale est présentée comme une instance divine. Elle est décrite comme vénérable et vénérée. Ces adjectifs, souvent précédés d'un superlatif, foisonnent dans Le Fils de Ciel. Cette vénération, que la très haute Impératrice (FC, 92) inspire, relève plus d'un respect religieux fait d'adoration protocolaire et de crainte que d'un sentiment d'affection. On retrouve ici la conception catholique de la divinité, entre autres, que l'on craint et respecte, conformément à une forme de religiosité répandue à l’époque de V. Segalen. Garante des traditions, Ts'eu-Hi porte le titre d'Ancestrale-Impératrice (FC, 43). Elle est alors haussée au rang de l’Éternel. Le phénix est l'allégorie des impératrices du Fils du Ciel, de René Leys et de Peintures, ouvrage dans lequel V. Segalen décrit le Niddu-Phénix, demeure des deux Impératrices (P, 118). Le phénix est, dans la culture chinoise, l'emblème des impératrices. Celle de René Leys est désignée comme la Phénix éternelle, maternelle (RL, 162). Oiseau fabuleux, le phénix symbolise la splendeur, la supériorité, l'unicité, mais aussi la capacité de renaissance après la mort. Chaque impératrice renaît des cendres de celle qui l'a précédée. Elles sont donc toutes invincibles puisqu'inscrites dans l'éternité. L'Impératrice apparaît comme une déesse mère triomphante. Or V. Segalen dénonce, avec ironie, la majesté céleste accordée à l'Impératrice de Portrait ancestral dans Peintures. Cette femme adultère, quatre fois meurtrière, barbare et qui a perverti jusqu'aux principes Yin et Yang, tréfonds de l'Univers (P, 193), est désignée par ces trois mots doux : « Sainte Mère surnaturelle » (P, 192).

38Contrairement à des écrivains catholiques de son temps, V. Segalen ne sublime pas la Vierge Marie. Il n'adopte pas la vision chrétienne de la femme qui concilie en elle l’image de la mère et celle de la vierge. La femme idéale, pour P. Claudel, est représentée par le personnage de Violaine dans L'Annonce faite à Marie : elle est à la fois la jeune Mlle, la vierge, l'épouse (du Christ) et la mère. Charles Péguy célèbre, dans Ève, la mère dans son absolu, la mère de tous les hommes. V. Segalen, quant à lui, conteste ce qui lui apparaît comme des clichés de la perfection de la femme, diffusés par la religion ; il les critique dans la majorité de ses ouvrages à l'aide de procédés divers. Dans la stèle Sur un hâte douteux, il compose une parodie païenne du christianisme :

Ses disciples chantent : Il revient le Sauveur des hommes : Il vêt un autre habit de chair. L'étoile, tombée du plus haut ciel, a fécondé la Vierge choisie. Et il va renaître parmi nous (S, 34).

39La vierge, qui est positivement connotée chez le poète, ne l'est pas lorsque virginité et maternité sont associées. La stèle Éloge d'une vierge occidentale, depuis son titre jusqu'au dernier verset, est une antiphrase qui se veut satirique. Si la couleur est chinoise, il n'est cependant pas équivoque qu'il s'agit ici d'une condamnation de la religion catholique. Le sens figuré porte la véritable signification de la stèle. La vierge-mère est tournée en dérision car est justifié par un pseudo-raisonnement ce qui est insensé. Le récit explicatif, extravagant, est enclavé entre la phrase anaphorique qui ouvre et ferme le poème :

La raison ne s'offense pas. Certainement une vierge occidentale a conçu (S, 36).

40Ch. Doumet souligne que

la relation du locuteur à sa parole est immédiatement pervertie par le caractère dénégatif de l'incipit. Dire que « la raison ne s'offense pas », c'est poser d'abord le témoignage de la raison du locuteur, et c'est impliquer qu'elle pourrait s'offenser ; c'est-à-dire ne pas croire en ce qu'elle affirme8.

41Par cette distance, le poète ridiculise finalement la crédulité favorisée par la religion.

42V. Segalen amoindrit le caractère créateur de la femme, comme celui de Dieu. H. Bouillier remarque que

Segalen retranche du inonde toute signification religieuse, et refuse de distinguer la marque du Créateur dans la beauté de la Création et des créatures (HB, 201).

43L’écrivain dénie la réalité de la Vierge Marie, car il ne peut accepter que l’homme soit évincé de la conception d'un enfant. Il repousse l’idée d'une surpuissance créatrice de la femme et, par conséquent, le mystère de la Nativité. Il se moque, dans Les Immémoriaux, du culte dévoué à la mère de "Iésu-Kérito",

cette femme, génitrice du dieu, d'une race tellement inouïe que sa chair était demeurée libre de l'homme (IM, 180).

44Lors de la fête, religieuse, mais hérétique pour les protestants, les prières adressées à la Paréténia s'achèvent en un hommage à la volupté. On célèbre alors la femme divine [...] que nul homme jamais n'avait touchée (IM, 180) par une fête sexuelle au cours de laquelle se décèle la joie ironique de V. Segalen. La création n'est pas un fait exclusivement maternel. V. Segalen n’éprouve d'ailleurs pas de reconnaissance à l'égard de celle qui l'a mis au monde car ce qui prime, c'est la découverte multiple et continue du monde par soi-même, comme il l'affirme dans Essai sur soi-même9 :

C'est pourquoi la naissance n'est pas une mais répétée.

45V. Segalen établit un parallélisme constant entre mère et religion. Toutes deux représentent les interdits et réfrènent l'élan vital de leurs fils par l'obsession du sacrilège. Les devoirs imposés par toute religion asservissent l'homme et la mère veille à ce que ces devoirs soient respectés. C’est elle qui transmet la religion à sa progéniture. V. Segalen doit ainsi ménager sa mère, inquiète de ses positions par rapport aux missions religieuses, afin d'obtenir une aide financière pour publier Les Immémoriaux. Il feint alors avec diplomatie :

rassure-toi, ma bien chère maman, les religieux n'ont rien à voir avec mon livre dont l'action se passe entre 1800 et 1820 à Tahiti. C'est le vieux passé maori que j'oppose à la « civilisation » représentée à ce moment-là par les missionnaires protestants10.

46Pour V. Segalen, le refus de la religion est inhérent à une révolte contre sa mère et réciproquement.

Un amour ambigu

47V. Segalen a découvert, par son expérience personnelle, l'instinct de possession de la mère et ses pulsions d'emprise, et il les a transcrits dans son œuvre. Afin de réduire l'ambiguïté des mots de sa mère : Ne me trompe plus !, V. Segalen lui explique, dans une de ses lettres qui se font de plus en plus rares :

Tu sais bien que la jalousie n'est pas possible chez une mère, et que c’est un peu d'elle que Ton aime en aimant d'autres personnes qu'on n'aurait jamais pu aimer si elle ne nous avait aimé, et fait ce que vous êtes11.

48Cette formulation flatteuse ne suffit pas à endormir le sentiment de possession de sa mère. Cet excès d'amour maternel, qui devient un carcan, se retrouve dans l'œuvre de V. Segalen. La mère de Siddhârtha, qui le désigne avec un adjectif possessif : Mon Siddhârtha, tend à s'accaparer l'enfant :

ta mère s'est emparée de ton sommeil. Elle t'entoure (SID, 64).

49La mère cherche à garder l'enfant dans la dépendance absolue du nouveau-né. V. Segalen donne sa version du proverbe "qui trop embrasse, mal étreint", et il montre dans son œuvre que la mère exclusive est destructrice pour le fils.

50Cette mère passionnée est une entrave aux amours de son fils. Elle refuse d'être abandonnée pour une autre, lorsque son enfant est en âge de quitter le giron maternel. V. Segalen, qui a connu cette imago maternelle surpuissante et frustrante, a maintes fois cédé à ses chantages affectifs avant de se rebeller. L'aspect totalitaire de l'amour de sa mère l'a conduit à de graves dépressions. Le poète fait indirectement allusion à ses drames sentimentaux dans la stèle On me dit qui commence par :

On me dit : Vous ne devez pas l'épouser (S, 76).

51Le pronom impersonnel, par son indétermination, permet à V. Segalen de régler tardivement ses comptes avec ceux qui ont empêché ses amours de jeunesse. À ces impératifs négatifs, le locuteur oppose d'autres verbes injonctifs et un style volontaire et lapidaire. Il ne souffre plus que ce "on" dirige sa vie : il se libère. Le poète déclare que l’amour doit triompher sur les raisonnements et les "présages", ce qui n'est malheureusement pas le cas dans Juges souterrains où le poète se souvient :

Mes beaux désirs tués pour quelle trop juste cause (S, 123).

52Il déplore l'influence de ce pouvoir de l'ombre, de celle qu’on ne peut explicitement nommer.

53La mère consent parfois aux relations amoureuses de son fils à condition de choisir elle-même la ou les femmes qui partageront ses nuits. Ts'eu-Hi choisit les concubines pour Kouang-Siu :

Le grand Eunuque alors, les a conduites en présence de la très Vénérable Impératrice-Douairière, dont elles ont reçu les recommandations et les conseils. Car elle ne néglige aucun souci de la maternité ni ne cesse de s'intéresser à ses pensées les plus vives et à ses jeux les plus secrets (FC, 5 I).

54Malgré la réalité de ces pratiques dans la Chine impériale, V. Segalen juge que ce rôle tenu par la mère est déplacé. La mère est une menace de castration puisque son fils ne peut s'identifier à un homme viril et autonome capable de gérer lui-même sa vie affective et sexuelle.

55La mère abusive est parfois mue par les meilleures intentions. Mais son amour et sa sollicitude sont si grands qu'ils étouffent l'enfant. La mère se veut protectrice et elle cherche souvent à préserver son fils de dangers fantasmés. L'enfant ne doit donc pas voir le monde tel qu’il est. Dans le prologue de Siddhârtha, Maya-Dévi, en mère attentive, berce son enfant pour qu'il n'ouvre pas les yeux et ne découvre pas la réalité du monde. L'enfant est maintenu dans le mensonge. Ts'eu-Hi agit de même, mais à des fins politiques. Elle entrave la connaissance de Kouang-Siu et ne lui offre que les perspectives de la Cité Interdite. Toute démarche orientée vers l'extérieur ou l'altérité est conçue comme une transgression. Or l'Empereur désire voir au-delà car il étouffe dans son univers clos. Kouang-Siu et Siddhârtha sont enfermés dans une ville qui est censée les protéger, ou plutôt les écarter de la vérité. Ces héros ségaléniens souffrent de claustrophobie, géographiquement et spirituellement, et tentent d'échapper à cette clôture. Si Siddhârtha y parvient, Kouang-Siu échoue. Le premier peut se réaliser car sa mère meurt. L'Empereur, prisonnier de la forteresse, ne peut s'émanciper de sa mère, malgré ses tentatives. L'encerclement des murailles est le signe visible de la réclusion maternelle. La clôture est ici négative. Le palais impérial, dans lequel Kouang-Siu est séquestré, est

le lieu de son sacrifice, l'enclos où l'on avait muré sa personne, cette ville violette interdite (RL, 14).

56Il est victime de l'oppression maternelle qui brise sa personnalité. Bien qu'absente corporellement, Ts'eu-Hi se distingue par son omniprésence étouffante dans Le Fils du Ciel. Elle encadre tout le roman qui débute par son décret et s'achève par sa mort.

57V. Segalen fait régresser la mère dévorante vers une violence archaïque. Elle devient infanticide comme cette impératrice de Peintures,

meurtrière de sa fille au berceau pour en accuser sa rivale ; meurtrière de son fils trop intelligent (P, 193).

58L'écrivain fait part à sa femme de sa fascination pour l'histoire de Kouang-Siu, qui motive son projet de roman :

Et ce serait, dans le plus haut sens du terme, le Roman de Kouang-Siu, qui régna effectivement quelque cent jours, fut souffleté par l'Impératrice, enfermé, puis mourut étranglé d'un lacet de soie jaune, présenté par ordre de l'Impératrice agonisante. (Belle scène) (LC, 192).

59Cette scène, qui le captive, est développée deux fois dans René Leys et c'est elle qui conclut Le Fils du Ciel. Ts'eu-Hi conduit donc son fils à la folie, puis à la mort. Alors que

l'Empereur refuse toujours et ne veut pas mourir [...] Elle s'est relevée dans son agonie pour venir comme une Mère « assister » son enfant (FC, 215).

60Sa présence génère l'effroi de Kouang-Siu. Jusqu'au bout, il ne sera jamais libre puisque

Il est mort au milieu d'eunuques et de femmes, sous les yeux terriblement maternels de l'Impériale Vieillarde veillant son dernier geste ! (RL, 55).

61L'Impératrice a voulu "s'assurer" de la mort de l'Empereur car elle ne peut supporter l'idée que son règne prenne fin et que Kouang-Siu lui survive. Le Fils du Ciel se termine donc sur l'image de cette mère qui entraîne son fils dans sa chute, dans la mort.

2. Le danger féminin

La dimension tragique de la femme : la femme fatale

62La première prise de conscience de la femme, comme un être différent, autre, s’effectue pour l'homme à travers l'image de sa mère. Or, chez V. Segalen, cette représentation est si noire qu'elle induit naturellement une vision négative de la femme en général. La féminité est plusieurs fois associée à un avilissement. Dans la civilisation maori, si la femme n'a effectivement pas le même statut social que l'homme, V. Segalen sait en rendre compte avec une certaine insistance :

Se peut-il que des hommes dignes, des chefs, surtout des gens qui parlent aux dieux, tolèrent qu'une femme, être impur et profanateur, vienne souiller un festin de sa présence obscène ! (IM, 82).

63La Maori est exclue du monde rituel masculin, car elle est jugée bien moins spirituelle que l'homme. Ses aspirations ne sont ni essentielles ni même profondes. Le regard porté sur l'esprit de la femme est très réducteur :

Quant aux femmes, on sait bien que le inoa12 leur est superflu pour s'entendre avec les autres femmes, – si elles peuvent chanter, rire et parler aussi (IM, 166).

64Un passage inachevé, néanmoins éloquent, de Siddhârtha présente le dévoué Channa qui tente de préserver son seigneur de la menace féminine :

Enfin, maître, le devoir d'un bon disciple est de garder son maître de toutes les souillures ; et la souillure qui [ ] (sic) des femmes, tu sais mieux que moi comme elle est profonde ! (SID, 77).

65De même, ce sentiment de dégoût se décèle dans le rapprochement de la femme et de la boue. C'est avec répulsion qu'Orphée s'adresse à la méprisable Ménade :

Quoi ! Tu fais des signes... comme une femme ! Tes pieds s'enlisent dans la boue... Ta main est souillée... Arrache-toi de la fange (O, 321).

66La femme devient boue elle-même : la stèle Mon amante a les vertus de l'eau, parcourue par la métaphore femme/eau, s'arrête sur ce vers laconique :

Et j'avale une poignée de boue (S, 77).

67Ce retournement brutal accuse la femme d'être la cause de la désillusion et de la souffrance du locuteur.

68Sans faire jamais expressément mention du péché originel, V. Segalen recourt cependant au motif traditionnel de la responsabilité de la femme dans le malheur de l’homme. À la fois tentatrice et corruptrice, elle provoque la perte de ce dernier. Le poète explique le projet de ses "Peintures dynastiques" :

Ce ne sont pas les Bons Empereurs que j'ai charge de peindre ici (P, 134)

69mais ceux dont le règne, l'empire s'est dissipé, et la grande majorité sous l’influence néfaste de la femme. La peinture Perdition de Chang-Yin nous donne à voir les étonnantes in ventions d'une femme et les multiples jeux de l'ingénieuse, la fille aux délices nombreuses (P, 142) qui entraînent l'Empereur dans la décadence. Cette femme est désignée par ces douces formules allégoriques : elle est ici Éducatrice, Inspiratrice, Poète de la Perdition de Chang-Yin (P, 143) ou encore Princesse avisée, Médiatrice entre la chute dynastique et Lui (P, 148). Par son œuvre, la femme attire l'Empereur dans la luxure et la dépravation et le détourne ainsi de ses devoirs, de la vertu et du remords. Elle donne à jouer neuf musiques "non conformes" :

des airs de danses fardées, airs de joies, airs de danses nues, airs de jeux, airs pour l'amour des femmes, airs à boire le vin, airs réservés aux mâles, airs pour gonfler les appétits, airs pour inviter les génies à se remplir de débauches... (P, 144).

70Elle pervertit de cette manière l'Empereur, le plongeant dans l'insouciance et la lascivité. Ces exemples de femmes dévastatrices, V. Segalen les emprunte à l’histoire et aux légendes de la Chine antique, à laquelle il est sensible13.

71Mais derrière la mise en accusation explicite de la femme, se manifeste la reconnaissance paradoxale d'une grandeur née de la participation féminine au déclin dynastique. Cette double attitude s'exprime dans la conclusion de la peinture Humiliation du Tchea :

Dans cette fin sans orgueil, dans cette ruine sans beauté, on chercherait en vain la comparse, la femme. Tout au moins la décence est sauve ici ; il n'y a point de femme ici (P, 152).

72Pouvons-nous parler d'une célébration de la faute d’Eve chez V. Segalen ? Toujours est-il que le poète se montre attiré, voire fasciné par cet archétype de femme, à la fois premier amour cl origine des maux de l'homme. Il découvre l'existence d'un vertige dans l'hésitation entre la résistance ou l'abandon à la séduction de la femme :

renonçons pour nous à la dépeindre, – par trop grand désespoir de nous en éprendre aussitôt ; – ou, bien pis, par crainte que l'incomparable, vue tout d'un coup dans son corps dépouillé, ne se montre semblable et pareille à toutes ses comparses (P, 148).

73Il ne condamne alors plus l'ivresse de la chute et disculpe par là-même la nature de la femme qu'il conçoit universellement redoutable.

74La puissance féminine réside dans la séduction. Plus la femme est belle, plus ses charmes deviennent violents pour l'homme. Cette description des

divines Ornées-pour-plaire, aux belles cuisses, aux dents luisantes comme les dents vives des atua-requins (IM, 80)

75souligne l'aspect attirant mais dangereux du corps des vahinés. La beauté se transforme alors en un don funeste. V. Segalen peint de préférence la femme séductrice et agressive. Elle peut être un instrument du mal. Térii, qui cherche à se débarrasser des colonisateurs européens, choisit de leur envoyer sa femme en tirant profit du corps de celle-ci comme d'une arme :

marquée de signes au ventre et au front, enjolivée de couronnes et de colliers parfumés, et les seins parés, elle irait vers ces hommes en provoquant leurs désirs : sans méfiance, ils dormiraient près d'elle. Mais elle, aussitôt – l'Ornée-pour-plaire devenue incantatrice – se lamenterait sur ces étrangers comme on se lamente autour des morts : ils mourraient avant qu'elle soit mère (IM, 20).

76Le corps féminin est un piège : il inspire le désir aux hommes qui sont alors en péril. Par son pouvoir destructeur, la femme représente un danger de mort. Son aptitude à la séduction s'apparente à un pouvoir occulte, proche de la magie noire. La femme opère un charme offensif. Orphée se juge victime d'un sortilège lancé par la femme, être malfaisant :

Tout est vide autour de moi. Tout est rempli de stupeur en moi. Qu'elle soit fière de son maléfice de femme (O, 289).

77La femme est capable de damner un homme. Le locuteur de la stèle Pour lui complaire se soumet : il tend son

[...] âme usée : déchirée, elle crissera sous ses doigts (S, 74).

78Les sifflantes de ce dernier vers s'ajoutent au "cri" de la soie que la femme en question aime lacérer. Ch. Doumet précise que l'épigraphe chinoise signifie littéralement "déchirer la soie, verser le sang"14. Le critique explique que

la soie prend aussi, traditionnellement, le sens de lien, et en particulier de liens du mariage15.

79Si V. Segalen a employé ce sens figuré, c'est qu'il voulait accentuer la cruauté de la femme. Au paroxysme de la barbarie, nous retrouvons l'Impératrice infanticide de Portrait ancestral :

meurtrière de l'autre Impératrice qu'elle fit écourter des pieds et des bras et confire dans une jarre pleine de vin tueuse de son époux Empereur dont la tête gonfla par maléfice ; sacrilège en sacrifiant fémininement au Ciel par l'investiture de la montagne (P, 193).

80Les actes de cette femme se situent au-delà du supportable. Plus qu’insensible, elle est véritablement inhumaine. V. Segalen n'oublie pas de souligner que ce type de femme a l'esprit de maternité : stérile, elle éventre de futures mères pour

voir de ses yeux comment l'homme s'enfante et naît (P, 145).

81Le poète se délecte de prêter ces atrocités à la femme. Il reprend sur le modèle ci-dessus d'autres paradoxes ironiques : Cette femme a l'esprit de justice (P, 144), nous dit-il, lorsqu'elle condamne l'innocent, Cette femme a l'esprit de logique lorsqu'elle vérifie de ses propres doigts le dicton selon lequel un sage possède toujours sept orifices à son cœur (P, 144).

82Partant, la femme entretient avec la mort un rapport étroit. La passion dévorante de la Ménade pour Orphée est mortelle. Elle proclame :

Tu es en moi. Dans mon piège, dans mes bras. Tu es sans force et sans voix.... (O, 323),

83cette voix qui est l'essence même d'Orphée. Celui-ci, désigné maintes fois comme une proie, ne peut que répondre :

J’étouffe... J'étouffe... Ce poison... Ce chaos... dans ma poitrine... Ce combat qui n'est pas le mien [...] Non ! ne caresse pas ainsi ! Ce n'est pas l'étreinte humaine (O, 323).

84Les Ménades, ces femmes possédées, en furie, qui réclament la mort d'Orphée et qui dépècent sa voix toute vivante (O, 399) sont la personnification des Enfers. H. Bouillier montre qu'Orphée

n'aspire qu'à sauver la spiritualité de son chant. Cette descente aux Enfers est donc hautement symbolique. Les Enfers ne sont qu'un décor pittoresque, le véritable enfer, c'est la Ménade qui l'incarne (HB, 166).

85On mesure ici combien le mythe de la femme fatale est ancré dans l'imaginaire de V. Segalen.

86La stèle Pour lui complaire décrit le rapport de force inégal qui existe entre la femme et le locuteur. Celui-ci reprend comme un écho ce syntagme "pour lui complaire", et il énumère ce qu’il est prêt à offrir à sa bien-aimée : sa vie, ses forces, son âme. Il accepte pour elle le don total de sa personne. Or voici ce qu'il obtient en retour :

Un sourire, alors, sur moi se penchera (S, 74).

87Ce vers qui clôt la stèle marque la disproportion entre cette abnégation de soi pour la femme et l'attitude dérisoire de celle-ci. Le pathétique naît ici moins de cette douloureuse disparité que de ce témoignage lucide de la résignation du locuteur. Sans se "complaire" pourtant dans sa souffrance, il ne cherche pourtant pas à la vaincre. Il semble manquer de force morale. V. Segalen aborde également dans d'autres œuvres le sujet de la faiblesse de l'homme. Le narrateur des Immémoriaux, sorte de représentant de la conscience collective maori, fait part de son incompréhension face au suicide d'un homme à la "peau blême", motivé par l'infidélité de sa femme. Ce n'est pas l'épouse adultère qui est réprouvée ici, mais la faiblesse de l'homme. Ce dernier devrait toujours être puissant, dans toutes les acceptions du terme, auprès des femmes. La jalousie d'Aüté est considérée comme une sensiblerie. Avec une voix pleine d'angoisse [...], les yeux rouges (IM, 142), il appelle Éréna, qui s'étonne :

Mais voici qu'il pleurait maintenant, son amant chéri ! et c'était une autre affaire : les larmes ne sont bonnes que pour les petites filles (IM, 135).

88Par ses pleurs, il perd sa virilité. De même, lorsque le narrateur de René Leys se rend au Palais des "Délices Temporelles", il n'éprouve aucun mépris pour les femmes vénales mais de la peur : la prostituée attachée à sa personne est aussi une policière. Virilisée par sa fonction, elle détient un pouvoir castrateur. L'homme ne domine plus :

Je voudrais bien retirer mon choix : l'amour policier me trouble par avance : je vais être fouillé, déshabillé, retourné jusqu'au fond de l'âme ; je vais être dénoncé, inculpé, impliqué dans des forfaits gratuits, alors que je médite tout au plus un attentat – payant – à l'impudeur ! (RL, 71).

89Selon Ch. Doumet, le choix des trois premiers adjectifs

indique la hantise d'un érotisme de la pénétration – pénétration mentale, certes ; mais mental, ici, n'est que métaphorique ; le sens dénoté est bien d'abord physique – orienté vers la condamnation du moi16.

90Si la crainte d’être livré à la femme est bien présente, l’homme reste cependant velléitaire. Il ne sait, ou ne veut, ou ne peut se rebiffer. Le narrateur de Dans un Monde sonore critique avec virulence l'effet perturbateur de la femme sur l'homme, et la renonciation de celui-ci. André abandonne sa passion pour le sens auditif pour rejoindre celle qui ne partage pas son univers :

Il se reniait ! Sa femme le considérait avec une joie béate et satisfaite, en bonne épouse rassurée... Volontiers je les aurais étranglés tous les deux (MS, 49).

91Cette nouvelle démontre que la femme n'hésite pas à entraîner l’homme vers la médiocrité pour satisfaire ses intérêts.

La femme aimée : une entrave

92Après avoir célébré le corps et l’acte amoureux dans ses œuvres polynésiennes, V. Segalen adopte une position inverse. Sans toutefois renier totalement les joies sexuelles et poursuivant toujours sa quête de la sensation, il introduit une dimension plus spirituelle de l’amour. La chair se vide alors de sens et le plaisir, en tant que fin, est déprécié. La relation sexuelle complique désormais le rapport entre les êtres et se transforme en un obstacle à l’épanouissement de chacun. L'homme, surtout, aspire à élever son esprit et son âme, tandis que la femme est toujours attirée par les fonctions physiologiques de l’amour. Eurydice, cette femme en amour de chair, telle que la définit V. Segalen dans la préface d'Orphée-Roi (O, 221), n’est dans un premier temps

rien d'autre que la femelle assoiffée d'étreintes primitives,où l'on se choque, où l'on se mord, où l'on se pénètre... (MS, 36),

93avant de transcender sa nature terrestre. Dans un Monde sonore n’évoque que l’aspect obscène du personnage d’Eurydice. Impudique, en souriant elle ouvrait sa tunique (MS, 36) pour espérer recevoir enfin les baisers charnels d’Orphée, car elle était restée insensible aux efforts du chantre qui

répandait ses hymnes de caresses, et s'efforçait et s'épuisait, par le rythme de son Verbe, par les sursauts des cordes éveillées, par tout le frémissement de sa lyre nuptiale, à mener son amante jusqu'à l'émoi conjugué de leur double entendement (MS, 35).

94Eurydice ne rejoint pas le monde sensuel et beau d'Orphée et lui préfère la lourdeur de la chair. L'homme, tel Orphée ou Siddhârtha, cherche à se dégager de l'emprise du corps, devenu fardeau, et pour lequel il éprouve un dégoût insurmontable. Si le couple du Combat pour le Sol est animé d'un amour véritable, le champ lexical de l'enfermement caractérise pourtant leur relation. L'Étrangère se confie à l'Empereur :

Je t'aurais entouré, Maître... Je t'aurais noué mes bras comme des liens... (CS, 72).

95La femme, lien de chair, enchaîne l'homme. Il est étouffé par l'amante exclusive. La stèle À celui-là, panégyrique de l'ami, cite par contraste l'instinct dévorant de la femme aimante. Le poète déclare qu'il ne peut partager ni sa « tendresse » ni ses « émois ». Il explique :

[...] sachez qu'elle les garde et bois jalousement toutes les fraîches gouttes écloses de mon âme (S, 65).

96Tel Ulysse retenu par Calypso, l'homme tente de fuir. V. Segalen repense le mythe d'Orphée puisque le héros ne recherche plus Eurydice mais est poursuivi par elle. Devant son corps offert,

Orphée s’enfuit ; et ne se retourna point (MS, 36).

97Dans Orphée-Roi, le musicien est constamment en fuite, talonné soit par Eurydice, soit par les Ménades. Or l'échappée se révèle impossible : Krisha parvient toujours à retrouver Siddhârtha. V. Segalen prend conscience, lors de son voyage en Chine, de la ténacité du simple souvenir de "sa dominatrice". Il montre que c'est une erreur à la fois naïve et ancienne que de croire que le grand voyage a toujours été l'antidote des chagrins amoureux (E, 85). "L'obsédante" apparaît à chaque détour. Les parades sont inefficaces pour se dérober au pouvoir de la femme aimée. V. Segalen manifeste sa crainte de l'amour totalitaire de la femme et de la dépendance de l'homme à l’égard du sentiment amoureux.

98Lorsqu'on lit la thèse médicale Les Cliniciens ès Lettres, on est surpris d’y rencontrer un passage insolite sans rapport direct avec le sujet général. V. Segalen apporte en effet une touche très personnelle, peut-être liée à ses expériences sentimentales, puisqu'il s'intéresse à une toxicologie mentale particulière : "l'lntoxication-Amour". Il cite les travaux du docteur Maurice de Fleury et précisément son Introduction à la médecine de l'esprit où l'amour est défini comme suit :

C'est un poison tout de même et se comportant comme un poison (CL, 86).

99L'amour possède les symptômes communs aux drogues, à savoir la dépendance et la souffrance, prix lourdement payé pour de brefs instants de satisfaction. V. Segalen se doute-t-il qu'il rejoindra les adeptes

bénévoles ou passifs [...] de l'intoxication-amour dans le monde des lettres (CL, 86) ?

100On trouve effectivement au cœur de son œuvre le thème des problèmes psychiques dus au sentiment amoureux. Le médecin, puis l'écrivain, s'est intéressé de près aux troubles de l'esprit, étant lui-même sujet à des crises neurasthéniques.

101Force est de constater que les phases critiques de perturbations psychologiques de V. Segalen coïncident avec ses conflits sentimentaux. Sa première crise, au début de l'année 1900, est très certainement liée à un sentiment de culpabilité par rapport à sa mère, parce qu'il entretient une liaison avec une jeune fille, Savéria. Tiraillé entre deux femmes, la mère et l'amante, il choisit de rompre avec la dernière. Il écrit pourtant, le 27 septembre 1900, à Émile Mignard, à propos de Savéria :

À l'intensité de ma souffrance j'ai mesuré exactement à quelle puissance je l'aime17.

102Le poète connaît de nombreuses difficultés dans sa vie affective. Son état dépressif de l'été 1918 est occasionné par l'intimité, ambiguë, entre le couple Segalen et Hélène Hilpert. Dans une lettre à sa femme, du 19 mai 1909, l'époux se livre sur sa fragilité psychologique à une certaine époque :

J'étais à ce moment en évolution continuelle, confidente à l'excès, très aiguë, très instable et très affective (LC, 36).

103Qu'on se rappelle les sentiments du poète à l'égard du mariage. Jeune homme, il plaint trois de ses collègues médecins déjà courbés sous le joug du mariage18. Et alors qu'il est marié lorsqu'il écrit René Leys, il ne résiste pas à la tentation d'ajouter au récit et entre parenthèses :

(On n'est jamais certain de ne jamais devenir mari, à son heure...) (RL, 127-128).

104Cette insertion est prise en charge autant par l'auteur que par le narrateur. Conçu ici avec humour comme une fatalité, le mariage n'a pas manqué de plonger V. Segalen dans une nouvelle crise neurasthénique. Sa décision de se marier avec Yvonne Hébert a été surprenante de rapidité pour un homme a priori contre cette institution. Le poète s'est posé de nombreuses questions perturbatrices quant à sa future vie de couple : serait-il capable de résister à l'autorité maternelle, de s'engager à long terme, d'assurer la sécurité financière de la famille et de préserver son ambition poétique ?

105Kouang-Siu, qui, en vertu de son statut, n'est pas semblable au commun des mortels, est pourtant le personnage le plus touché par les troubles neurasthéniques. Le Fils du Ciel est assurément le roman d'une angoisse, d’une crise de l'individualité et d'une quête de l'identité. Mais le premier désordre de l'Empereur est lié essentiellement à l'être aimé. Le grand bouleversement est dû à l'absence de Ts'ai-yu :

Parmi toute l'absence heureuse il y a pourtant ce grand vide,
Qui fait qu'une absence est plus grande que toute autre.
Parmi le chagrin, les désarrois, les pleurs,
Une venue suffirait à tout combler (FC, 124).

106Les troubles de Kouang-Siu correspondent à la disparition de Ts'ai-yu, comme si sa folie était un succédané de l'amour volé. L'Empereur ne peut s'apaiser, et devient incapable de diriger son Royaume. Puis il perd la notion du temps, confond le jour et la nuit, il s'abîme dans les dynasties antérieures...

107Orphée, Siddhârtha et le poète des Stèles aspirent tous trois à un dépouillement de soi afin de parvenir à une ascèse intérieure. Or leurs proches et les femmes, en particulier, sont des impedimenta à leur quête respective. Dans Peintures, V. Segalen déclare :

Vous savez bien que l'amour, même paternel est une entrave, et qu'un descendant prolonge seulement l'ignorance et la douleur de vivre... (P, 175).

108Siddhârtha ressent la nécessité de rompre avec les membres de son entourage pour pouvoir se réaliser. Il respire enfin lorsqu'il sent se desserrer leurs liens insupportables d’affection... (SID, 40). La stèle Perdre le midi quotidien trace la démarche à suivre pour atteindre la connaissance de soi. Pour ce faire, il faut, entre autres, échapper à la société, rejeter l'autre qui est une menace. Le poète cherche à s’isoler :

Tout cela, – amis, parents, familiers, et femmes,tout cela, pour tromper aussi vos chères poursuites [...] (S, 115),

109tout cela donc

pour atteindre l'autre, le cinquième, centre et Milieu
Qui est moi (S, 116).

110L'enfant même est une gêne. Siddhârtha nomme son fils "Entrave". G. Manceron fait remarquer que V. Segalen imagine cette dénomination au moment de la venue au monde de son propre fils, en avril 190619. Le rôle de père serait-il lui aussi incompatible avec les projets littéraires ?

111Mais la cible de V. Segalen est plus précise : il rectifie la citation de Peintures précédemment citée :

Non. La femme surtout est le fardeau, l'arrêt, l'obstacle à la Grande Délivrance (P, 176).

112La femme serait insensible à la quête spirituelle de l'homme dont elle est éprise. Krisha, Eurydice et Mathilde, personnage de Dans un Monde sonore, sont toutes des obstacles au salut de l'homme, attirées qu'elles sont par un bonheur médiocre. Mais seule la dernière parviendra véritablement à ses fins. Leur amour trop charnel, trop humain contrarie la recherche d'ascétisme de leurs bien-aimés. Puisqu'elle exige de lui tout ce qu'il ne peut accorder, Krisha souhaite que Siddhârtha régresse : elle veut lui voiler les yeux. Un dialogue de sourds s'établit entre la Ménade qui tente de corrompre Orphée et celui-ci qui lui fait part de ses aspirations. Il y a bien une impossibilité de communiquer entre la femme et l'artiste, le mystique. Eurydice souffre de l'incapacité de partager la passion d'Orphée. Elle devient alors catégorique :

Mais je ne veux plus que tu rêves si je ne peux pas aimer ton rêve aussi ! Ah ! (0, 272).

113Eurydice, puis les Ménades considèrent Orphée comme tout autre homme, ordinaire, terrestre et n'accordent aucun crédit à son art :

Il dépouillera sa folie. Il deviendra comme les autres (0, 310).

114Le narrateur de Moi et Moi. L'ami d'un soir20 s'est détourné de ses écrits à cause d'une femme. Il reprend ici son cahier :

17 novembre 1909. Oui ce soir, je crois vraiment me retrouver moi-même ; et je reviens à ce journal, à ces notes lâchées depuis si longtemps... et pourquoi... pour « elle » (I, 85).

115À la fin du texte, il procède à une autoscopie et comprend rétrospectivement qu’il a été inconscient de se laisser captiver par la femme et de négliger sa création artistique. Dans Peintures, est affirmé qu'il faut savoir s'éloigner, se détacher de la femme pour découvrir le vrai chemin :

Avez-vous obtenu de vous l'oubli de vos femmes et, plus que de toutes vos femmes, de celle-là qui, n'étant pas la vôtre, s'empara d'autant plus de vous ? (P, 111-112).

116Orphée abandonne Eurydice pour se tourner vers sa lyre à laquelle il parle comme à une femme. Siddhârtha lutte contre ses sentiments :

Épouse que je ne connaîtrai point, je te désire et je t'abandonne... [...] Je me délivre, je me délie, je te délaisse... (joyeusement) Ha ! Je ne t'aime plus ! (SID, 62).

117Libéré de la femme, Siddhârtha est sur la voie de la sérénité et de la sagesse. Or ce n'est que grâce à l'intercession de Krisha qu'il pourra atteindre l'extase et l'illumination qui feront de lui le Bouddha. De même Eurydice prend conscience de la pesanteur de son amour pour Orphée :

Maître que mon indigne amour enlaçait au rang des hommes (O, 291)

118et se transfigure désormais par un amour sublime. V. Segalen, quant à lui, fait confiance à l'intelligence de sa femme et choisit de lui donner accès à son univers artistique tout en la mettant en garde :

Garde-toi forte et toi-même, ou bien ces Idées, ces Formes et tout cet Art que j’ai trop vécu, peut-être te disperseraient, te disloqueraient aussi21.

Notes de bas de page

1 L’une des sept catégories de la description établies par P. Fontanier. L'éthopée est la description qui a pour objet les mœurs, le caractère, les vices, les vertus, les talents, les défauts, enfin les bonnes ou les mauvaises qualités morales d'un personnage réel ou fictif. P. Fontanier, cité par Jean-Michel Adam et André Petitjean, Le Texte descriptif, Éditions Nathan, Paris, 1989, p. 75.

2 Lettre à Jean Lartigue, du 18 août 1913, citée par Gilles Manceron, op. cit., p. 91.

3 Lettre à sa femme, du 24 mars 1913, citée par Gilles Manceron, op. cit., p. 395.

4 Lettre de Maurice Roy à Victor Segalen, 1911, citée par Gilles Manceron, op. cit., p. 347.

5 Béatrice Marbeau-Cleirens, Imagos maternelles chez les hommes, thèse de doctorat d'État, Paris V, 1983, A.N.R.T. Université de Lille III, p. 279.

6 Paul Gauguin, Avant et Après, op. cit., p. 148.

7 Les connotations négatives que des critiques ségaléniens prêtent à ce terme "Vieille", également présent dans Le Fils du Ciel pour désigner Ts'eu-Hi, nous laissent dubitative. Ce mot, dans les langues asiatiques, est empreint d'un sens respectueux à l'égard des anciens. Il est probable que Segalen, au fait de la culture chinoise, et qui, de plus, fait parler l'Autre, a employé sciemment ce terme, sans l'altération du sens occidental.

8 Christian Doumet, Le Rituel du Livre, op. cit., p. 167.

9 La pagination est absente de cet ouvrage publié par les Éditions Fata Morgana, Montpellier, 1985.

10 Lettre à sa mère, 1904, citée par Henry Bouillier, Victor Segalen, op. cit., p. 83.

11 Lettre à sa mère, du 10 juin 1899, citée par Gilles Manceron, Segalen, op. cit.. p. 75.

12 l'esprit sacré.

13 Nous invitons le lecteur à se reporter à l'article d'Yvonne Hsieh, Les femmes historiques et légendaires de la Chine chez Victor Segalen in Europe, no 696, op. cit., p. 54-62.

14 Christian Doumet, Le Rituel du Livre, op. cit., p. 150.

15 Ibidem.

16 Christian Doumet, L'Origine et la Distance, op. cit., p. 77.

17 Lettre à Émile Mignard, citée par Gilles Manceron, Segalen, op. cit., p. 86.

18 Lettre à sa mère, du 19 février 1902, citée par Gilles Manceron, Segalen, p. 125.

19 Gilles Manceron, Segalen, op. cit., p. 521.

20 Texte inédit qui suit les trois nouvelles qui composent Imaginaires.

21 Lettre à Yvonne Hébert, du 13 mai 1905, citée par Gilles Manceron, op. cit., p. 221.

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