Chapitre XII. Cyclodextrines réticulées pour traiter des eaux contaminées
p. 341-371
Texte intégral
1. Introduction
1Dans le domaine du traitement des eaux polycontaminées à la fois par des substances minérales (dont les métaux) et/ou organiques, une des méthodes couramment employées dans l’industrie consiste à utiliser des matériaux dits filtrants et/ou adsorbants capables de retenir ces polluants.
2Les matériaux commerciaux les plus utilisés sont le charbon actif, les résines organiques et des systèmes filtrants comme le sable, les alumines ou encore les zéolites. Généralement, pour améliorer les performances d’élimination, on utilise successivement plusieurs médias filtrants, comme par exemple les systèmes mixtes sable-charbon ou charbon-résines (Cooney, 1998).
3Il existe deux grandes technologies d’utilisation de ces matériaux filtrants : la méthode dite en batch (dans le secteur industriel, on utilise le terme de « méthode en vrac ») et la méthode en colonne ou en réacteurs (Cooney, 1998 ; Yang, 2003 ; Crini et Badot, 2007). Ces technologies font appel à des procédés par filtration (sur du sable par exemple), adsorption (sur du charbon actif) et/ou échange d’ions et chélation (sur résines organiques).
4La méthode batch est une technique statique de décontamination qui consiste à mettre en contact un volume fixe de solution ou d’effluent industriel à décontaminer avec une masse donnée de matériau (appelé média filtrant, adsorbant ou résine), dans des conditions préalablement établies pour plusieurs paramètres (granulométrie du matériau, pH, vitesse d’agitation, temps de contact, force ionique, température, etc.).
5Pour ce faire, on utilise un réacteur discontinu. L’ensemble (solution + adsorbant) est alors agité pendant un certain temps de contact, puis séparé par une étape physique (centrifugation, sédimentation, décantation ou filtration). La comparaison du surnageant de l’eau traitée et de l’eau initiale permet de déterminer l’efficacité du matériau (McKay, 1995).
6Ces techniques en batch sont couramment utilisées car elles sont simples, faciles à mettre en place, et rapides. De plus, elles permettent de faire varier un nombre important de paramètres tout en obtenant des résultats reproductibles. Ces procédés de traitement des eaux ont néanmoins des limites (McKay, 1995 ; Cooney, 1998 ; Crini et Badot, 2007) :
Coût des médias filtrants (surtout des résines chélatantes) non négligeable ;
Nécessité d’utiliser différents médias selon les polluants à traiter (les plus utilisés sont, généralement, des charbons actifs, mais la grande variété de charbon disponible sur le marché rend le choix difficile pour un industriel) ;
Technologie économiquement non viable pour des volumes importants d’effluents peu concentrés ;
Problèmes pour éliminer des polluants présents à l’état de traces dans des mélanges complexes (effet de compétition, manque de sélectivité, etc.) ;
Problème de colmatage des filtres-presses ou des décanteurs utilisés pour séparer l’eau traitée des matériaux filtrants ou adsorbants ;
Production de grandes quantités de boues (humides) qui posent des problèmes d’élimination, etc.
Remarques :
- En faisant varier, par exemple, le temps de contact, la masse d’adsorbant ou encore la concentration du ou des polluants, on peut également déterminer expérimentalement, à l’équilibre du procédé, différentes isothermes et cinétiques d’adsorption et les modéliser ; ces données sont importantes pour transférer cette technologie de traitement sur site industriel ;
- Dans le milieu industriel, les techniques batch sont, par exemple, utilisées pour « neutraliser » des pics anormaux de charges polluantes en entrée station ; elles peuvent également permettre d’obtenir des boues beaucoup plus compactes ; généralement on utilise des charbons actifs bon marché et à large spectre de polluants (qui seront ensuite transférés dans les boues) ; on utilise également des résines organiques synthétiques (qui ont un coût beaucoup plus élevé que les charbons) en vrac pour récupérer, par exemple, des métaux précieux (les résines seront alors incinérées).
7La seconde technologie de décontamination consiste à utiliser des réacteurs continus consistant à faire passer l’effluent à traiter à travers différents réacteurs (colonnes) successifs. En général, on utilise un triple chaînage constitué, par exemple, de trois réacteurs remplis de sable, de charbon actif et d’une résine organique type polymère réticulé (McKay, 1995).
8Ce type de technologie en mode dynamique, qui couple trois méthodes de séparation (filtration, adsorption et échange d’ions) utilisant trois matériaux commerciaux distincts afin d’obtenir les abattements de polluants désirés, est connu pour son efficacité chimique.
9Dans cette triple technologie de traitement, le filtre à sable, positionné en premier (lui-même précédé d’un filtre poche ou d’un filtre cartouche), sert à protéger le réacteur à charbon, et à enlever, par exemple, les matières en suspension et les colloïdes ; le charbon activé sert à éliminer principalement la charge organique résiduelle et à protéger également les résines vis-à-vis de celle-ci (en effet, la présence de cette charge peut fortement impacter les performances des résines) ; enfin, la résine est utilisée pour complexer/ échanger/chélater, les métaux et/ou les anions dissous présents dans les rejets (Crini et Badot, 2007).
10Ce type de chaînage, en tant que traitement de finition, est également connu pour sa simplicité technique, son automatisation et sa viabilité économique (bien que le coût des adsorbants bruts ne soit pas négligeable), et peut être envisagé sur une eau de rejet relativement propre (peu turbide) et « peu » concentrée en substances en sortie, par exemple, d’une filière classique physico-chimique ou biologique (Cooney, 1998 ; Yang, 2003).
11Cependant, cette triple technologie pose surtout des problèmes de saturation et d’élimination après usage. En effet, les adsorbants classiques tels que les charbons et les polymères organiques présentent l’inconvénient de se saturer assez rapidement, diminuant l’efficacité des filtres.
12Leur renouvellement doit être régulièrement pratiqué, soit en les changeant (cas des charbons et des sables) soit en les régénérant (cas des résines et des alumines). De plus, ces médias filtrants, et en particulier les charbons, présentent également des problèmes de performances lors de l’élimination de substances se trouvant à l’état de traces dans des eaux polycontaminées complexes (McKay, 1995 ; Cooney, 1998 ; Yang, 2003 ; Crini et Badot, 2007).
13Depuis la fin des années 1990, de nombreuses recherches ont été axées sur l’utilisation de matériaux à base de substances naturelles (biomasses, polysaccharides, tourbe, déchets agricoles, etc.) capables d’éliminer en une seule fois tous les types de substances présentes dans les rejets, tout en étant à la fois économiquement viables et sans impact sur l’environnement (McKay, 1995 ; Wase et Forster, 1997 ; Crini, 2005). Ces substances naturelles, considérées comme bon marché et issues de ressources renouvelables, peuvent être utilisées, soit dans leur état brut, soit après avoir subi des étapes de modifications chimiques.
14Ces recherches sont pertinentes car il n’existe pas de méthode unique de traitement des eaux capable de fixer la totalité de la charge polluante (substances minérales et organiques) présente dans les mélanges polycontaminés industriels. De plus, un autre point important doit être soulevé. Actuellement, le renforcement des réglementations dans le domaine des eaux de rejets impose de mieux traiter les eaux afin de tendre vers du rejet zéro polluant.
15Or, d’un point de vue plus général, il est difficile d’extraire des contaminants présents à faibles voire très faibles concentrations dans des effluents hétérogènes et variables en utilisant les systèmes conventionnels (Cooney, 1998). Il convient donc de trouver de nouveaux adsorbants capables d’éliminer en une seule fois tous les types de substances présents dans des rejets.
16Parmi les substances les plus étudiées, on peut citer les matériaux à base de cyclodextrines réticulées (Crini, 2005 ; Morin-Crini et al., 2015c). Les cyclodextrines (CDs) sont des oligomères cycliques du glucose d’origine naturelle obtenues à partir de la dégradation enzymatique de l’amidon, et appartenant à la famille des molécules cages (au même titre que les cryptants, les cyclophanes, les éthers couronnes ou encore les calixarènes). Plus précisément, ce sont des oligosaccharides cycliques composés d’unités glucopyranoses reliées par des liaisons de type α- (1→4) [Szejtli, 1982, 1998].
17Les CDs comportent au sein de leur structure une cavité hydrophobe qui leur permet d’encapsuler une large gamme de polluants (dérivés aromatiques, phénoliques, chlorés, etc.) par la formation de complexes d’inclusion. Elles présentent également des propriétés hydrophiles intéressantes dues à la présence de nombreux groupes hydroxyles des unités glucose et une chimie très réactive.
18Dans la littérature, elles sont considérées comme des candidats potentiels à la synthèse de nouvelles résines organiques adsorbantes (Crini, 2014). Cependant, les CDs sont des substances solubles dans l’eau, et par conséquent, pour être utilisées dans le domaine du traitement des eaux par filtration ou adsorption, il faut les rendre insolubles. Une des méthodes proposées dans la littérature, connue depuis le milieu des années 1960 et les travaux du suisse Jürg Solms, consiste à les réticuler (Morin-Crini et Crini, 2012, 2013 ; Crini, 2014).
19Après un bref rappel de quelques généralités sur les CDs natives et leurs polymères réticulés insolubles, nous présenterons, dans ce chapitre, les propriétés d’adsorption de réseaux macromoléculaires obtenus par réticulation des CDs par un acide tétracarboxylique vis-à-vis de polluants environnementaux présents dans des mélanges polycontaminés, en insistant tout particulièrement sur les mécanismes d’adsorption.
2. Quelques généralités sur les cyclodextrines
2.1. Structure
20Les CDs se présentent sous forme de godet (cylindre conique) ou d’abat-jour, conséquence de la conformation en chaise des résidus glucopyranoses et de leurs liaisons glycosidiques (figure 1).
21Cette structure toroïdale tronconique est constituée, à l’extérieur, de groupes hydroxyle primaires portés par les carbones C-6 bordant le petit diamètre (un hydroxyle par glucose sur la face la plus étroite) et de groupes hydroxyle secondaires portés par les carbones C-2 et C-3 bordant le grand diamètre (hydroxyles situés à l’opposé sur la partie la partie large de la couronne), et dans la partie interne, d’atomes d’hydrogène, de carbone et de liaisons du groupe acétal C5-O-C1-O-C4 (figure 1), produisant une densité électronique élevée, ce qui permet aux CDs d’avoir des propriétés de base de Lewis (Bender et Komiyama, 1978 ; Szejtli, 1982, 1998).
22Les propriétés hydrophiles de la face externe et hydrophobes de la cavité confèrent aux CDs leurs propriétés très particulières. Les CDs les plus étudiées et produites industriellement sont l’alpha-CD (α-CD), la béta-CD (β-CD) et la gamma-CD (γ-CD), contenant respectivement 6, 7 et 8 unités glucose.
Remarques :
- La surface hydrophile des CDs fournit une relativement bonne solubilité dans l’eau, bien que la β-CD soit la moins soluble des CDs dans l’eau ;
- Les hydroxyles primaires en position 6 sont plus réactifs que les hydroxyles secondaires et ils sont plus basiques ; les hydroxyles en position 2 sont les plus acides et ceux en position 3 sur le cycle sont les plus encombrés et les moins réactifs.
Figure 1. Structure des cyclodextrines α-CD (n = 6), β-CD (n = 7) et γ-CD (n = 8).

Source : Morin-Crini et al., 2015c, avec l’aimable autorisation de Marc Fourmentin © 2015, PUFC.
2.2. Complexes d’inclusion
23La propriété la plus remarquable des CDs est celle de pouvoir former des complexes d’inclusion. On parle de phénomène d’encapsulation moléculaire.
24Les substances invitées concernées sont de nature variée, allant des molécules de l’ordre d’une centaine de grammes par mol jusqu’aux macromolécules (formation de polyrotaxanes), en passant par des ions (Bender et Komiyama, 1978 ; Szejtli, 1982, 1998).
25Les CDs forment ainsi des complexes avec les hydrocarbures aliphatiques, les acides, les amines, les substances aromatiques et phénoliques, les structures organométalliques, les polymères (polymères synthétiques, polypeptides, etc.), les minéraux ou encore les métaux.
26Les complexes d’inclusion sont des entités comprenant deux ou plusieurs molécules, dans lesquelles la molécule hôte inclut totalement ou partiellement (dans ce cas, on parle de complexe d’association) une molécule invitée uniquement par le biais de forces ou interactions physiques, sans formation de liaisons covalentes.
27C’est un équilibre dissociation-association : la molécule invitée est maintenue à l’intérieur de la cavité par des forces non covalentes, et donc faibles, ce qui rend possible la réversibilité du système (Szejtli, 1982, 1998).
28Les interactions en jeu sont les forces de van der Waals (interactions dipôle-dipôle), les interactions hydrophobes (la partie la plus hydrophobe de la molécule invitée est préférentiellement incluse dans la cavité de la CD), les liaisons hydrogène (ces interactions sont considérées comme stabilisatrices) et les interactions électrostatiques (Crini, 2014 ; Morin-Crini et al., 2015c).
29Chaque type d’interaction joue un rôle dans la complexation et la stabilité des complexes dépend de la capacité de la molécule invitée à pénétrer à l’intérieur la cavité de CD. On parle de compatibilité géométrique.
30L’inclusion va ainsi dépendre de la taille relative de la cavité de la CD par rapport à la taille de la molécule invitée : si l’invité est de taille trop importante, il ne pourra pas pénétrer à l’intérieur de la cavité. Par contre, s’il est de trop petite taille, il aura peu d’interactions avec la CD. L’effet stérique joue donc un rôle important dans le phénomène de complexation.
31Aussi, l’α-CD complexe plus facilement des petites molécules comme des chaînes aliphatiques, la β-CD peut complexer les composés aromatiques ou les hétérocycles et la γ-CD s’accommode de macromolécules (macrocycles, stéroïdes, etc.). À titre d’exemple, le naphtalène est trop volumineux pour l’α-CD mais forme un complexe stable avec la β-CD, alors que l’anthracène n’entre que dans la γ-CD [Szejtli, 1982].
32La grande majorité des études décrivent principalement des complexes de type 1/1 : à une molécule de CD correspond une molécule invitée. Mais, il existe également d’autres complexes. En effet, quand une molécule est trop grande pour être totalement incluse dans une seule cavité, son autre extrémité peut alors également être encapsulée par une seconde molécule de CD (Morin-Crini et al., 2015c).
33La figure 2 schématise la formation d’un complexe d’inclusion entre une molécule de CD et l’isomère para du nitrophénol en solution dans l’eau.
Figure 2. Illustration de la formation d’un complexe d’inclusion entre le p-nitrophénol et une molécule de cyclodextrine.

Source : © 2016, American Chemical Society.
Remarques :
- Les liaisons hydrogène (interactions entre un atome d’hydrogène lié à un atome donneur électronégatif et un atome accepteur électronégatif) font partie des interactions électrostatiques ; il faut distinguer les liaisons induites par le polluant et celles induites par l’eau ;
- Les CDs natives ne sont pas ioniques mais les interactions électrostatiques avec le polluant à encapsuler sont possibles car les CDs possèdent un moment dipolaire ;
- La complexation dépend également de la polarité de la molécule invitée ;
- Selon la nature de la CD et de l’invité, un complexe d’inclusion possède des propriétés propres comme sa stœchiométrie, sa constante d’association et sa structure spatiale.
34Trois grands noms de la chimie des CDs se sont illustrés pour leurs travaux sur les complexes d’inclusion (Crini, 2014). Il s’agit de Cramer en 1956, Saenger en 1976 et de Szejtli en 1982. Ces chercheurs ont décrit plusieurs étapes élémentaires dans la formation des complexes (ces étapes sont décrites en détail dans l’ouvrage de Morin-Crini et al., 2015c) :
L’invité ou substrat s’approche d’abord de la molécule de CD et les molécules d’eau contenues dans la CD s’échappent ;
Les interactions de Van der Waals et le nombre de liaisons hydrogène diminuent alors, tandis que les degrés de liberté de translation et de rotation des molécules d’eau libérées augmentent ;
La molécule invitée se libère de la couche d’eau qui l’enrobe et acquiert aussi un état différent ;
La couche d’eau se disperse et se réarrange ;
La molécule invitée pénètre à l’intérieur de la cavité et le complexe est stabilisé par des interactions de Van der Waals et/ou par des liaisons hydrogène ;
Les molécules d’eau expulsées se réarrangent et créent entre elles des liaisons hydrogène ;
Enfin, la structure de l’eau est restaurée autour de la partie de la molécule invitée qui reste en contact avec le solvant, et intégrée à la couche d’eau hydratant la CD.
2.3. Exemples d’applications des cyclodextrines
35Pratiquement, tous les domaines industriels utilisent les CDs dans des applications allant de la pharmacie à l’agroalimentaire, en passant par le biomédical, les cosmétiques, l’hygiène, l’agriculture, la chimie, la catalyse, les biotechnologies et le textile (tableau 1).
36La grande majorité de ces applications est basée sur la capacité des CDs à former des complexes d’inclusion (Szejtli, 1982, 1998 ; Morin-Crini et al., 2015c).
37Les CDs peuvent également jouer un rôle important dans le domaine de la protection de l’environnement en termes de solubilisation des polluants organiques pour mieux les éliminer, d’enrichissement et de déplacement de polluants organiques et métalliques du sol, de l’eau et de l’air, ou encore de traitement des eaux usées.
38Cependant, comparés aux autres secteurs industriels, et en particulier à ceux à forte valeur ajoutée comme les domaines pharmaceutique et médical, il existe peu d’applications industrielles concrètes dans le domaine de l’environnement, surtout dans le domaine de l’eau. C’est pourquoi, c’est encore un domaine en pleine exploration (Morin-Crini et Crini, 2012 ; Morin-Crini et al., 2015c).
Tableau 1. Exemples de propriétés améliorées par l’utilisation de cyclodextrines dans divers domaines industriels.
Domaine industriel | Exemple de propriétés | Exemple de substances concernées |
pharmacie | ▪ amélioration de la biodisponibilité | ▪ indométacine |
cosmétologie | ▪ stabilité des parfums | ▪ essence de citron |
agroalimentaire | ▪ clarification de produits | ▪ jus de fruits |
agrochimie | ▪ amélioration du temps d’action | ▪ pesticides |
chromatographie | ▪ séparation de molécules | ▪ stéréo-isomères, diastéréo-isomères |
chimie | ▪ synthèse organique | ▪ contrôle de la régiosélectivité de réactions |
autres | ▪ textile | ▪ fixation de parfums sur des fibres |
39Les CDs peuvent intervenir dans la dépollution des sols en raison, d’une part, du fait qu’elles sont non toxiques et biodégradables, et d’autre part, qu’elles ne présentent pas de concentration minimale d’activité comme c’est le cas pour les surfactants usuels.
40Les CDs natives ont également un coût comparable aux surfactants usuels, contrairement aux CDs modifiées qui ont un coût supérieur bien que leur solubilité soit intéressante, de même que leur effet accélérateur dans les phénomènes de dégradation.
41Dans les domaines de la pollution et dépollution de l’air, les CDs sont utilisées comme agent destructeur et/ou masquant de mauvaises odeurs, dans des désodorisants commerciaux comme FEBREZE™.
42Les CDs peuvent également être employées dans différentes méthodes de traitements des polluants pour améliorer leur efficacité comme, par exemple, en photocatalyse assistée par des CDs pour accélérer les réactions et/ou mieux dégrader les polluants ou en filtration membranaire pour mieux les solubiliser et/ou augmenter leur taille afin de mieux les retenir.
Remarques :
- L’un des dérivés solubles les plus étudiés et utilisés est l’hydroxypropyl-béta-cyclodextrine (HPβCD) ; c’est un adjuvant de formulation très intéressant pour le secteur pharmaceutique notamment ;
- Ce dérivé est actuellement très étudié pour ses potentielles applications dans le domaine du traitement des sols et des eaux ; des formulations commerciales utilisent déjà ce dérivé dans le traitement de l’air.
43Les études sur la complexation de polluants environnementaux présents dans des eaux usées par des matériaux à base de CDs sont très nombreuses et variées dans la littérature (Morin-Crini et Crini, 2012, 2013 ; Morin-Crini et al., 2015c).
44On distingue d’une part les dérivés solubles pour l’extraction sélective de polluants environnementaux (la CD est utilisée comme un transporteur moléculaire), la floculation de substances chimiques (agent floculant) et pour accélérer des réactions biologiques (favoriser la dégradation microbiologique de polluants organiques) ou catalytiques.
45D’autre part, les matériaux insolubles (gels, résines organiques, silices modifiées, polymères synthétiques greffés, fibres textiles enrobées, etc.) sont employés pour des applications dans le domaine de la filtration ou de l’adsorption. Malgré ces études, les CDs peinent à trouver des applications concrètes dans le domaine du traitement des eaux (Crini, 2014).
3. Polymères insolubles de cyclodextrines
3.1. Réticulation des cyclodextrines
46En raison de leur richesse en fonctions alcools, les CDs peuvent donc être facilement modifiées par des réactions chimiques. Ces modifications consistent généralement à introduire des substituants spécifiques qui permettent, par exemple, de renforcer les propriétés de complexation des CDs natives ou d’élargir leur champ d’utilisation.
47Il existe de nombreux dérivés des CDs, solubles ou insolubles dans l’eau, parmi lesquels les architectures macromoléculaires réticulées (figure 3) : on parle de polymères de CDs (Bender et Komiyama, 1978 ; Szejtli, 1982, 1998). Ces structures sont constituées d’un réseau covalent macromoléculaire formé par les molécules de CD connectées entre elles par des liaisons covalentes, et donc fortes, introduites par l’agent réticulant.
48Les principaux réactifs de réticulation utilisés pour synthétiser ces réseaux macromoléculaires sont essentiellement de deux types : des réticulants à base d’époxyde comme l’épichlorohydrine et des dérivés isocyanates (Mocanu et al., 2001 ; Crini et Morcellet, 2002 ; Crini, 2005). Ces agents réticulant bifonctionnels sont très réactifs et permettent d’obtenir facilement des polymères réticulés à base de CDs.
49Le polymère réticulé le plus connu et le plus étudié est celui obtenu par réticulation des molécules de béta-cyclodextrine (β-CD) par l’épichlorohydrine (EPI). En effet, l’EPI est l’agent réticulant le plus utilisé car il donne les matériaux les plus efficaces d’un point de vue rétention de polluants (Crini et Morcellet, 2002). Il est à souligner que ces matériaux sont d’ailleurs les seuls à être commercialisés (Crini, 2014).
50Le réactif de réticulation (EPI) réagit avec les groupements hydroxyle de la CD en milieu fortement basique pour former le réseau réticulé reliant les molécules de CDs entre elles, et peut également polymériser sur lui-même formant des chaînes pendantes d’EPI comme l’illustre la figure 3 (Crini et al., 1998).
Figure 3. Illustration schématique d’un matériau à base de cyclodextrine (CD) réticulée par l’épichlorohydrine (EPI) : 1. Les molécules de CD sont reliées entre elles par des chaînes carbonées introduites par l’EPI ; 2. la présence de longues chaînes hydroxyalkylées dues à l’homopolymérisation de l’EPI est également possible.

Source : Réalisée par G. Crini.
51Morin-Crini et Crini (2013) ont récemment décrit, dans une revue critique, l’ensemble des résultats sur la synthèse, la caractérisation et les applications environnementales de ces matériaux. Plusieurs équipes reconnues à travers le monde étudient ces matériaux depuis une vingtaine d’années pour des applications dans le domaine du traitement des eaux usées (tableau 2).
Tableau 2. Les principales équipes travaillant actuellement sur des polymères de β-cyclodextrine réticulée pour des applications environnementales.
Auteur correspondant | Pays |
Christopher H. Evans | Canada |
Robert Hausler | Canada |
Lee D. Wilson | Canada |
Ning Li | Chine |
José Ramon Isasi | Espagne |
Grégorio Crini | France |
Sophie Fourmentin | France |
Bernard Martel | France |
Eva Fényvesi | Hongrie |
Giangiacomo Torri | Italie |
Shoji Murai | Japon |
Mustafa Yilmaz | Turquie |
Principaux avantages des polymères de CDs
52D’un point de vue de la synthèse, les matériaux à base de CD réticulée sont intéressants pour plusieurs raisons (Szejtli, 1982 ; Crini et al., 1998 ; Mocanu et al., 2001 ; Crini et Morcellet, 2002 ; Crini, 2005 ; Morin-Crini et Crini, 2013) :
Leur synthèse est en effet simple, facile à mettre en œuvre (équipement courant de laboratoire qui peut être appliqué à l’échelle industrielle), réalisée dans des conditions douces (chimie dans l’eau, à température peu élevée (50-80 °C), (généralement) à pression atmosphérique, et utilisant des réactifs classiques et bon marché, etc.) ;
Différentes formes de matériaux peuvent être obtenues avec des textures physiques et des propriétés mécaniques variables selon leur forme : poudres, hydrogels et gels, billes, nanobilles, nanoparticules ; dans des conditions de synthèse particulière (synthèse hétérogène biphasique, utilisation d’un agent porogène, etc.), une taille sphérique bien définie et une distribution homogène contrôlée peuvent être obtenues pour des applications spécifiques ; néanmoins, pour des applications dans le domaine de l’eau, des particules non sphériques suffisent pour avoir des résultats (en outre, ces poudres ont un coût beaucoup plus intéressant) ;
Certaines formes (hydrogels et gels) peuvent gonfler dans l’eau, propriété fonction du degré de réticulation ;
Les matériaux obtenus sont des réseaux à poids moléculaire élevé, généralement non poreux (à l’exception des nanoparticules et des nanobilles) et possédant une très faible surface spécifique (généralement entre 0,5 et 10 m2 g-1) ; ils sont amphiphiles car ils possèdent à la fois des propriétés hydrophiles (des unités glucosidiques) et hydrophobes (propriétés dues notamment aux motifs carbonés de l’agent réticulant et aux ponts éther-oxydes entre chaque unité glucose des CDs) ;
Les réseaux macromoléculaires ont une structure principalement amorphe (peu ou pas de zones cristallines ; perte de la cristallinité des CDs à cause de la réaction de réticulation) : ce caractère amorphe est très important car il favorise les phénomènes d’adsorption ;
Les polymères réticulés peuvent être facilement modifiés, soit pendant la réticulation en utilisant des réactifs ioniques en complément de l’agent réticulant, soit après réticulation par greffage de ligands spécifiques utilisant des réactions telles que la carboxyméthylation ou l’aminoalkylation (réactions hétérogènes), bien connues dans la chimie des polysaccharides ;
La caractérisation (physique, microscopique, spectroscopique, etc.) des réseaux macromoléculaires est bien connue.
53D’un point de vue des propriétés d’adsorption de polluants, ces matériaux sont également intéressants pour plusieurs raisons (Mocanu et al., 2001 ; Crini et al., 1998 ; Crini et Morcellet, 2002 ; Crini, 2005 ; Morin-Crini et Crini, 2013) :
Les CDs conservent leurs propriétés de complexation malgré la réaction de réticulation qui est susceptible de provoquer une augmentation de l’encombrement stérique des entrées des cavités des molécules de CDs ;
Il est connu que les constantes de stabilité des complexes polluants-matériau sont souvent plus importantes que celles des complexes polluants-CD natives ; il peut en effet y avoir un effet coopératif entre les cavités et le réseau polymère tridimensionnel, mais aussi entre les cavités elles-mêmes (notamment vis-à-vis des plus grosses molécules) ;
Il n’est pas nécessaire d’avoir des quantités importantes de CD introduites dans les matériaux pour avoir des résultats en termes d’adsorption ; toutefois, ce point pose débat dans la littérature ;
La réaction de réticulation crée une structure macromoléculaire tridimensionnelle particulière (néanmoins difficile à contrôler) formant des mailles susceptibles elles aussi de retenir des polluants ;
Ces matériaux sont capables d’interagir avec des polluants (organiques) présents à l’état de traces dans des solutions complexes ;
Les polluants, en particulier ceux ayant des propriétés hydrophiles, sont moins facilement libérés (donc plus efficacement séquestrés) par les polymères de CDs que par les CDs elles-mêmes ;
Les polluants de structure complexe et de poids moléculaire élevé sont plus facilement complexés ;
Certains matériaux réticulés et/ou fonctionnalisés peuvent avoir également des propriétés amphotères, et être ainsi utilisés sur une large gamme de pH.
Principaux inconvénients des polymères de CDs
54Il existe bien évidemment des inconvénients à synthétiser et à utiliser ces polymères (Mocanu et al., 2001 ; Crini et al., 1998 ; Crini et Morcellet, 2002 ; Morin-Crini et Crini, 2013 ; Morin-Crini et al., 2015c) :
Les réactifs utilisés pour la réticulation (notamment époxydes, isocyanates et organochlorés) sont non écologiques puisqu’ils sont toxiques et engendrent donc des problèmes lors de leur manipulation ;
Il est très difficile de disposer de sources reproductibles de matériaux CDs réticulés ; la seule disponible commercialement est celle à base d’épichlorohydrine fabriqués par la société hongroise CYCLOLAB ;
Les performances des matériaux dépendent fortement des conditions expérimentales utilisées lors de la réticulation (température de la réaction, quantité de soude, dose d’épichlorohydrine, volume d’eau, phase homogène ou hétérogène, etc.) ;
Cette étape de réticulation fait toujours l’objet de débats dans la littérature : il y a deux « écoles », ceux qui sont favorables à une faible réticulation (produit de type hydrogel) et ceux favorables à une forte réticulation (type bille organique), fonction du type d’application désirée ;
La structure du réseau macromoléculaire est en effet principalement fonction du degré de réticulation : plus ce degré est élevé, plus le réseau sera réticulé (il devient rigide), ce qui diminuera à la fois la capacité de gonflement du matériau dans l’eau et l’accessibilité des cavités des CDs ;
Ainsi, les propriétés des matériaux, et donc leur performance, peuvent varier d’un lot à un autre, ce qui peut en limiter l’application à des cas spécifiques ;
Pour obtenir des systèmes capables de traiter efficacement à la fois les minéraux (dont les métaux) et les organiques, il est nécessaire de modifier ou d’activer les réseaux en greffant différents types de ligands spécifiques (neutres ou ioniques) ; ces multi-étapes peuvent être fastidieuses et elles engendrent des coûts supplémentaires ;
Les mécanismes d’adsorption ne sont pas encore entièrement élucidés même si le rôle des CDs est souvent mis en évidence pour expliquer les performances de ces matériaux.
3.2. Polymères de cyclodextrine réticulée par un acide polycarboxylique
Synthèse
55Récemment, l’équipe de Martel de l’université de Lille a proposé des acides polycarboxyliques utilisés comme agents réticulants pour préparer des matériaux à base de CDs (en particulier le dérivé hydroxypropyl-béta-cyclodextrine ou HPβCD) en une seule étape de synthèse, capables à la fois de complexer les polluants organiques et les métaux (Brevet 1,157,156, B1, 2004).
56La synthèse de ce polymère est un procédé de chimie verte de par la nature biosourcée de la CD d’une part, et de par l’utilisation d’eau qui sert à solubiliser les réactifs de départ, d’autre part, c’est-à-dire la CD, un catalyseur (l’hypophosphite de sodium) et un acide polycarboxylique (BTCA) [figures 4 et 5].
57La réaction de polymérisation se produit sous vide à 140 °C avec un rendement de 90 % et conduit à un matériau qui se présente sous la forme d’un hydrogel présentant une très forte capacité d’absorption d’eau. Le polymère, noté polyBTCA-CD ou polyCD, absorbe en effet plus de 100 % de son poids en eau.
Figure 4. Réaction de synthèse du polymère de cyclodextrine (CD) réticulé l’acide 1,2,3,4-butanetétracarboxylique (BTCA).

Source : Réalisé par Bernard Martel.
Figure 5. Structure chimique détaillée du polymère d’hydroxypropyl-béta-cyclodextrine réticulé par l’acide 1,2,3,4-butanetétracarboxylique.

Source : Réalisé par Bernard Martel.
RMN des polymères de cyclodextrine réticulée
58La RMN du solide à haute résolution du noyau13C est une méthode spectrale de routine qui permet de caractériser des matériaux d’un point de vue de leur structure chimique. On utilise une méthode particulière dite de polarisation croisée associée à la rotation à l’angle magique et au découplage dipolaire des protons, méthode spectrale qui permet notamment de s’affranchir d’un certain nombre d’inconvénients responsables de l’élargissement des raies et de la chute de la sensibilité. Il s’agit de la RMN DD-CPMAS pour dipolar decoupling cross polarization magic angle spinning ou plus simplement CPMAS (Crini et al., 1998).
Figure 6. Comparaison des spectres CPMAS de deux matériaux réticulés par du BTCA : une hydroxypropyl-béta-cyclodextrine et une maltodextrine (spectromètre Bruker opérant à 75,47 MHz ; T = 303 °K ; rotor 4 mm de diamètre et 21 mm de hauteur ; vitesse de rotation = 10 KHz ; temps de contact = 1,5 ms ; temps de répétition = 8 s ; pulse 1H p/2 = 4 µs ; acquisition 2 048 points).

59La polarisation croisée (CP) proton-carbone permet une augmentation du signal des spins rares tels que13C grâce à l’interaction dipolaire avec les spins abondants1H. La seconde phase permet de découpler ces deux espèces. Ce découplage (DD) supprime les interactions dipolaires responsables de la largeur des raies. La contribution anisotrope au déplacement chimique est éliminée par la technique de l’angle magique dite MAS (rotation de l’échantillon autour d’un axe faisant un angle de 54,7° par rapport au champ magnétique) qui a pour conséquence de rétrécir le signal. On accède alors dans les solides (matériaux) à une information de qualité comparable à celle fournie par l’étude des liquides (solutions).
60La figure 6 compare les spectres CPMAS d’une hydroxypropyl-béta-cyclodextrine et d’une maltodextrine (courte chaîne d’amidon de structure non cyclique et qui ne présente donc pas de cavité ; substance commerciale Glucidex D19®, Roquettes, Lestrem), toutes deux réticulées par le BTCA.
61Le spectre de la maltodextrine est un spectre classique d’un matériau amorphe qui montre une perte de résolution et un élargissement des pics dus à la réaction de réticulation (perte de mobilité des groupements). On retrouve les pics classiques des unités glucose, en particulier les pics attribués aux carbones C1, C4 et à l’ensemble C2, C3, C5, et ceux du BTCA (a, b, c et d), notamment les carbonyles (voir figure 5).
62Sur le spectre de la CD (figure 6), on remarque également l’apparition d’un pic à 15,27 ppm dû au CH3 du substituant hydroxypropyle de la CD. L’attribution des pics dus aux autres CH2 est facilitée par le spectre CPPI (figure 7) : celui-ci est un spectre CP avec une inversion de phase utilisant un temps de dipolar diphasing variable qui permet de mettre en évidence le type de carbone (c’est un spectre similaire à une séquence DEPT en solution).
Figure 7. Comparaison des spectres CPMAS, MAS et CPPI d’une hydroxypropyl-béta-cyclodextrine réticulée par du BTCA (spectromètre Bruker opérant à 75,47 MHz ; T = 303 °K ; rotor 4 mm de diamètre et 21 mm de hauteur ; vitesse de rotation = 10 KHz ; temps de contact = 1,5 ms ; temps de répétition = 8 s ; pulse 1H p/2 = 4 µs ; acquisition 2 048 points ; pour le CPPI, P16 = 40 µs).

63Sur un spectre CPPI, les CH2 donnent en effet des pics négatifs, alors que les CH3, CH et C donnent des pics positifs. Souvent, sur ce type de séquence, on a également l’annulation des CH, ce qui peut simplifier l’interprétation.
64Enfin, il est à noter que, sur le spectre MAS sans polarisation croisée (figure 7), les groupements CO et CH3 sont très mobiles, ce qui suppose qu’une partie des fonctions acides se trouvent à la surface des matériaux et que ces dernières sont accessibles. Au contraire, une forte diminution de mobilité est observée pour les signaux des carbones C1 et C4 impliqués dans les liaisons entre les unités glucose constitutives de la CD.
Propriétés acido-basiques des polymères de cyclodextrine réticulée
65Parmi les acides polycarboxyliques possibles, le BTCA présente l’avantage de posséder quatre fonctions carboxyliques, dont deux restent disponibles après la réaction de polyestérification avec la CD (figure 4), conduisant à sa réticulation.
66Ces fonctions libres sont initialement acides (forme COOH), et peuvent être converties en fonctions basiques (carboxylates, forme COO-Na+) lors d’une étape de prétraitement avec une base faible tel que l’hydrogénocarbonate de sodium (voir figure 8).
Figure 8. Réaction de neutralisation du polyCD acide par l’hydrogénocarbonate de sodium en polyCD basique, conférant ainsi au polymère une capacité d’échange d’ions améliorée.

Source : Réalisé par Bernard Martel.
67Les fonctions carboxylates de sodium obtenues via cette réaction ont un caractère ionique prononcé, qui est beaucoup plus favorable au mécanisme d’échange ionique. Ainsi, le matériau (polyCD basique) mis en présence d’espèces cationiques (comme les métaux) piégera celles-ci par échange ionique de ses ions sodium (Martel et al., 2002, 2005 ; Ducoroy et al., 2007).
68Par ailleurs, ce polymère contient dans sa structure jusqu’environ 75 % en poids de CD qui lui apporte la propriété de capture de molécules organiques via la formation de complexes d’inclusion, sans négliger que son réseau tridimensionnel offre également au polymère la possibilité de piéger celles-ci par interactions non spécifiques dans les mailles du réseau tridimensionnel du polymère. Ainsi, ce matériau présente a priori toutes les caractéristiques pour dépolluer des effluents pollués simultanément par des métaux et par des composés organiques.
4. Application dans le traitement des eaux
69Les résultats d’adsorption que nous présentons ont été obtenus par la méthode batch, dans des conditions expérimentales préalablement définies (dose de polymère = 2 g L-1 ; temps de contact = 4 h ; vitesse d’agitation = 250 rpm). Avant utilisation, le matériau de CD (polyCD acide) a été activé par réaction avec de l’hydrogénocarbonate de sodium (polyCD basique).
70Le point de charge nulle du polyCD acide et de polyCD basique est respectivement de 3,4 et 6,4. Les matériaux ont été mis dans de l’eau osmosée (pH = 5,5) pendant un certain temps : le pH libre de ces polymères est respectivement de 4,3 et 7,2 au bout de cinq minutes (ce pH ne varie plus sur deux jours). Le polymère activé confère donc un caractère basique à la solution.
Figure 9. Structure chimique des trois alkylphénols.

71Il est à noter que le pH initial des solutions batch n’a pas été maintenu pendant l’adsorption. Celui-ci a, en effet, tendance à augmenter comme nous le verrons. Afin de démontrer le rôle des cavités de CDs, nous avons également utilisé un matériau à base de maltodextrine réticulée (noté polyMD) dans des conditions de synthèse et d’activation similaires (polyMD acide et polyMD basique ou activé).
72L’efficacité épuratoire est évaluée en comparant les solutions avant et après traitement. Les polluants étudiés sont cinq métaux (Al, Co, Cr, Ni et Zn), trois alkylphénols (APs, figure 9) et seize hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) [figure 10]. Ces molécules ont été choisies comme modèles car elles se retrouvent souvent dans les rejets de la filière traitement de surface (TS ; Morin-Crini et al., 2015b, 2015d). Les solutions initiales ont été préparées à partir d’eau osmosée (pHi = 5,5).
73Les seize HAPs sont répartis en deux groupes en fonction de leur masse moléculaire, les HAPs légers comprenant le naphtalène, le fluoranthène, le phénanthrène, l’anthracène, l’acénapthène, l’acénaphtylène, le pyrène et le fluorène et les HAPs lourds comprenant le benzo (b) fluoranthène, le benzo (k) fluoranthène, le benzo (a) pyrène, le benzo (ghi) pérylène, l’indéno (1,2,3, cd) pyrène, le chrysène, le dibenzo (ah) anthracène et la benzo (a) anthracène.
Figure 10. Structure chimique des seize hydrocarbures aromatiques polycycliques.

4.1. Résultats d’adsorption
74Des tests préliminaires ont été réalisés sur des solutions polymétalliques synthétiques contenant 5 métaux (Al, Co, Cr, Ni et Zn) à une concentration pour chacun des métaux de 1 mg L-1. Les deux polymères, polyCD et polyMD, ont été étudiés sous leur forme acide (non activée) et basique (activée).
75La figure 11 montre les résultats obtenus pour le nickel dans ce mélange polymétallique. On remarque en premier lieu l’intérêt de l’activation des matériaux, et donc le rôle déterminant des fonctions carboxylates dans les performances d’élimination : pour le polyMD basique, l’abattement passe de 25 % à plus de 99 %.
76Dans un second temps, les deux matériaux présentent des performances similaires une fois activés, indépendantes du type d’oligosaccharide utilisé (MD ou CD) : ils éliminent en effet complètement le Ni présent dans la solution à plus de 99 %.
77À noter que, pour le Ni en solution monométallique à la même concentration, le taux d’abattement obtenu pour les deux polymères basiques est également supérieur à 99 %. Ce résultat démontre l’efficacité des matériaux pour ce métal, même lorsqu’il est en mélange polymétallique.
78En outre, il est important de signaler que les pH varient fortement pour les deux polymères basiques. Il passe, par exemple, de 4,5 (pH initial de la solution) à 7,2 (après adsorption), ce qui suppose la présence d’interactions de type acide-base et une compétition avec les protons. Cette augmentation de pH peut également entraîner des phénomènes de microprécipitation des métaux.
Figure 11. Comparaison des abattements obtenu pour le nickel présent dans des solutions polymétalliques synthétiques contenant 5 métaux en mélange (Al, Co, Cr, Ni et Zn) après traitement par deux polymères acides ou basiques : un polymère de cyclodextrine (polyCD) et un polymère de maltodextrine (polyMD) (temps d’agitation = 4 h, concentration du polymère = 2 g L-1 ; pour chaque métal, Ci = 1 mg L-1, pHi = 4,5 et pHf = 7,2).

79Ces conclusions sont confirmées par les résultats décrits dans la figure 8 obtenus pour des solutions synthétiques contenant séparément les trois types de polluants étudiés (métaux, HAPs ou APs) à des concentrations susceptibles d’être rencontrées dans des rejets industriels de la filière TS, à savoir 1 mg L-1 pour les métaux (solution 1), 500 ng L-1 pour les HAPs (solution 2) et 100 µg L-1 pour les APs (solution 3) en présence de polyCD basique.
80En effet, ces résultats montrent respectivement un abattement moyen de 80 %, 78 % et 88 % pour les cinq métaux, les seize HAPs ou les trois APs. Le polyCD basique est donc efficace pour éliminer ces trois types de polluants. Des différences peuvent cependant être notées dans l’adsorption de ces polluants.
81Pour les métaux en mélange à la concentration de 1 mg L-1 (solution 1, figure 8), le polymère semble avoir une affinité plus importante pour Co, Ni et Zn avec des abattements supérieurs à 99 %. À cette concentration initiale, les abattements pour Al et Cr sont toutefois moins importants (60 % pour Al et 40 % pour Cr). Cette différence de comportement est sans doute à relier à la taille des éléments, à leur charge et à leurs propriétés d’électronégativité différentes.
82Il est à noter un comportement différent de l’Al et du Cr pris séparément en solution synthétique pour une concentration initiale identique : les abattements obtenus sont cette fois supérieurs à 99 %. Ceci traduit des phénomènes de compétition lorsqu’ils sont en mélange. Des résultats similaires ont été obtenus pour les mêmes solutions monocontaminées et polycontaminées en utilisant le polymère polyMD.
Figure 12. Abattement obtenu sur des solutions synthétiques contenant des métaux, des HAPs ou des APs après traitement avec un polymère réticulé à base de cyclodextrine sous forme basique (temps d’agitation = 4 h, concentration du polyCD = 2 g L-1; pour les métaux, Ci = 1 mg L-1, pHi = 4,5 et pHf = 7,2 ; pour les HAPs Ci = 500 ng L-1, pHi = 5,6 et pHf = 7,6 ; pour les APs Ci = 100 µg L-1, pHi = 6,1 et pHf = 8 ; n = 3).

83Dans le cas des HAPs, on note une meilleure élimination des HAPs lourds par rapport aux légers (solution 2, figure 12). En revanche, le polymère retient de manière identique les différents APs (solution 3), indépendamment de leur structure.
84Ces premières expériences prouvent l’efficacité du polymère à traiter des solutions contenant soit des métaux, soit des polluants organiques. Ces résultats ont également été confirmés par la suite avec la réalisation de mélange comprenant à la fois les métaux et les substances organiques (résultats non présentés).
85Enfin, dans toutes les expériences (solutions monocontaminées ou polycontaminées), le pH final a augmenté, ce qui suppose la présence d’interactions de type acide-base. Ce point sera discuté en détail ultérieurement.
86La figure13 compare les pourcentages d’abattement obtenus pour un mélange polycontaminé constitué de cinq métaux, seize HAPs et trois APs par les deux polymères de cyclodextrine et de maltodextrine basiques.
87Pour les métaux, on constate les mêmes résultats en termes d’abattement et une tendance similaire à celle obtenue en mélange polymétallique (Ni - Co - Zn > Al > Cr), indépendamment du polymère. Cependant, pour les HAPs et les APs, on constate de meilleurs abattements pour le polymère de CD par rapport à celui de maltodextrine, mettant en évidence le rôle de la cavité des molécules de CD.
Figure 13. Comparaison des abattements obtenus pour un mélange constitué de 5 métaux, de 16 HAPs et de trois APs présents en solutions, après traitement avec deux polymères réticulés, un polymère de cyclodextrine (polyCD) et un polymère de maltodextrine (polyMD) [temps d’agitation = 4 h, concentration du polymère = 2 g L-1 ; pour les métaux, Ci = 1 mg L-1, pHi = 4,5 et pHf = 7,2 ; pour les HAPs Ci = 500 ng L-1, pHi = 5,6 et pHf = 7,6 ; pour les APs Ci = 100 µg L-1, pHi = 6,1 et pHf = 8].

88En moyenne, les supports à base de CD adsorbent 33 % en plus que ceux à base de dextrine, ce qui met bien en évidence le rôle joué par la cavité des CDs dans les phénomènes d’adsorption des polluants organiques, contrairement aux composés métalliques pour lesquels ce paramètre n’a pas d’influence, car seul l’échange ionique intervient.
89De plus, les taux d’abattement vis-à-vis des espèces organiques relatifs aux supports à base de dextrine ne sont toutefois pas négligeables, et mettent bien en évidence le fait que le réseau polymère tridimensionnel, et les liaisons hydrogène jouent également un rôle dans l’adsorption.
90Le polymère a également été testé sur des rejets industriels polycontaminés. Ces rejets contiennent une pollution particulaire (principalement colloïdale) et une charge dissoute (Euvrard et al., 2014, 2015). Cette dernière est constituée d’un mélange de métaux, d’autres minéraux et anions, et de molécules organiques.
91Les gammes de concentration de ces éléments présents dans les rejets sont généralement de quelques centaines de µg L-1 à quelques mg L-1 pour chaque métal, du µg L-1 au ng L-1 pour les molécules organiques, et de quelques centaines de mg L-1 à quelques g L-1 pour certains minéraux (cations autres que les métaux et anions). C’est le cas, par exemple, du calcium qui atteint des concentrations comprises entre 500 et 850 mg L-1.
92Les résultats sur des rejets réels sont représentés par la figure 14. On remarque que différentes substances sont éliminées. Contrairement aux solutions synthétiques, les valeurs d’abattement des métaux Al (24 %), Co (12 %), Ni (17 %) et Zn (44 %) sont faibles.
93En revanche, les substances organiques semblent toujours bien retenues par le polymère. D’autres substances sont également éliminées comme les sulfates, les cyanures ou encore le calcium, bien que certaines de ces substances soient présentes en très fortes concentrations (sulfates, calcium, soufre, magnésium, sodium, potassium, etc.) dans les rejets.
Figure 14. Abattement obtenu pour des substances minérales et organiques présentes dans un rejet industriel après traitement avec un polymère réticulé à base de cyclodextrine polyCD basique (temps d’agitation = 4 h, concentration du polymère = 2 g L-1; pHi = 7,9 et pHf = 7,7.

94Il semble qu’un phénomène de compétition se mette en place entre les différents cations présents dans le rejet pour interagir avec les sites actifs anioniques du polymère, ce qui peut expliquer les abattements plus faibles pour les cations métalliques.
95L’hypothèse selon laquelle les autres cations dont le calcium, vont venir saturer ces sites actifs, les rendant moins disponibles pour les cations métalliques faiblement concentrés en solution (comme c’est le cas pour le zinc ou le nickel) est avancée, ce qui pourrait expliquer les abattements plus faibles par rapport à la solution synthétique polycontaminée.
96Afin de confirmer cette hypothèse, des tests en solution synthétique (trois réplicats) ont été conduits en présence ou non de calcium, à des concentrations susceptibles d’être retrouvées dans un rejet (tableau 3).
97Ces tests ont confirmé l’effet néfaste d’une forte concentration en calcium sur l’abattement des métaux Co, Ni et Zn. En effet, leur % d’abattement diminue fortement : par exemple, pour le Co, il passe de 99,6 % à 17,1 %. Toutefois, dans le même temps, on remarque que le polymère est capable de complexer 11 % de Ca, soit environ 55 mg. En revanche, la présence de Ca semble favoriser l’adsorption des métaux Al et Cr pour lesquels les taux d’abattement croissent.
Tableau 3. Impact de la présence de calcium (à la concentration de 500 mg L-1) sur la rétention des métaux (abattement exprimé en %) par le polymère polyCD basique (temps d’agitation = 4 h, concentration du polymère = 2 g L-1, concentration de la solution initiale en métal exprimé en µg L-1, n = 3).

4.2. Mécanisme d’adsorption
98Au vu des résultats obtenus, se pose la question de leur interprétation en tenant compte de l’aspect des mécanismes d’adsorption mis en jeu. Il est évident que, pour discuter de ce point, il faut s’intéresser non seulement à la structure du matériau polymère et à son caractère ionique (figure 8) mais également à celle des substances à éliminer (figures 9 et 10).
99De par la structure macromoléculaire du matériau et de ses caractéristiques physiques (pas de porosité, surface spécifique très faible, présence des cavités de CD et de nombreux groupes fonctionnels hydroxyles et carboxyles), le processus d’adsorption fait principalement appel à un mécanisme de chimisorption (Crini, 2005).
Figure 15. Résumé des principales interactions mises en jeu lors de l’adsorption de cations métalliques (Men +) et de molécules organiques (ORG) sur des polymères de cyclodextrine réticulées.

Source : Réalisé par Grégorio Crini.
Figure 16. Phénomène de piégeage par le polyCD de cations métalliques via une réaction d’échange ionique, et de molécules organiques dans le réseau tridimensionnel du polymère, et via la formation de complexes d’inclusion dans les cyclodextrines.

Source : Réalisé par Bernard Martel.
100La chimisorption inclut des forces de type complexation (interactions électrostatiques), échange d’ions, et/ou complexe d’inclusion (phénomène de complexation). D’autres interactions peuvent également intervenir comme des liaisons hydrogène, des forces hydrophobes, des interactions acide-base (avec des phénomènes de microprécipitation) ou encore des interactions plus spécifiques comme les interactions de Yoshida (Crini, 2005 ; Crini et Badot, 2007).
101La figure 15 résume les principales interactions mises en jeu lors de l’adsorption de cations métalliques et de molécules organiques sur des polymères de cyclodextrine réticulées. Ce caractère polyvalent unique de capture à la fois d’espèces cationiques et de molécules organiques par cet adsorbant est schématisé dans la figure 8.
Complexation
102Les résultats d’adsorption ont montré que les métaux sont retenus par les deux types de polymères basiques (cyclodextrine et maltodextrine) grâce à un phénomène de complexation entre les fonctions carboxylates et les cations métalliques et/ou d’échange d’ions.
103La complexation est généralement basée sur le partage d’une paire d’électrons entre un cation métallique et un agent complexant, le ligand, comme la fonction carboxylate. Cette complexation implique l’établissement de liaisons covalentes de coordination (liaisons datives) et/ou de liaisons électrostatiques (liaisons non covalentes, et donc plus faibles) entre les cations métalliques, accepteurs d’électrons (acide de Lewis) possédant des lacunes électroniques, et les ligands carboxylates, riches en électrons (donneurs d’électrons, base de Lewis).
104Dans notre cas, il s’agit d’interactions électrostatiques, plus précisément d’attractions électrostatiques (figure 15), qui se créent spontanément entre les charges positives des noyaux des cations métalliques et les charges négatives de deux atomes voisins des fonctions carboxylates (liaisons non directionnelles où chaque espèce est soumise au champ de ses voisins).
105Les espèces adsorbées, principalement à la surface des matériaux, gardent les molécules d’eau qui leur sont associées. Les énergies mises en jeu dans ce type d’interactions sont, en effet, relativement faibles, ce qui peut être intéressant pour la régénération des matériaux.
106En solution monométallique et à la concentration de 1 mg L-1, les résultats obtenus sont confirmés par la théorie HSAB de Pearson (Pearson, 1963, 1968). Cette théorie indique, d’une part, que les espèces métalliques dites dures (surtout) et les espèces métalliques intermédiaires se lient préférentiellement aux bases dures (comme les fonctions carboxylates), et d’autre part, que l’affinité mutuelle est principalement de nature ionique (interactions de courte distance et d’énergie faible).
107Les cinq métaux que nous avons étudiés (Al et Cr classés parmi les acides durs, et Co, Ni et Zn classés parmi les intermédiaires) présentent en effet des comportements similaires en solution monométallique.
Remarques :
- La théorie HSAB (Hard and Soft Acids and Bases) est un concept qui explique la stabilité de complexes métalliques et leur réactivité ;
- Cette approche propose que les réactions (interactions) se produisent plus facilement entre espèces qui se correspondent en termes de dureté ;
- Les espèces métalliques sont ainsi classées en trois catégories : les acides durs (Na+, Ca2+, Al3+, Cr3+, etc.), les acides mous (Ag+, Cd2 +, Hg2+, etc.) et les acides intermédiaires (Co2+, Ni2 +, Zn2 +, etc.).
108Par contre, en solution polymétallique, nous avons constaté des différences d’abattement plus faibles pour Al et Cr que pour Co, Ni et Zn. Or, dans la théorie HSAB, les acides durs (cas d’Al et Cr) tendent à avoir les rayons ioniques les plus faibles, les états d’oxydation les plus élevés, la polarisabilité la plus faible (orbitales petites), une forte électropositivité et une charge électronique très localisée. Ils devraient donc interagir plus facilement avec les fonctions carboxylates que les métaux intermédiaires tels que Co, Ni et Zn, ce qui n’est pas le cas dans notre étude.
Échange d’ions
109Lors du phénomène d’adsorption, les espèces ioniques métalliques s’échangent (se fixent) également à la place des contre-ions cationiques, à savoir les ions Na+ associés aux groupes anioniques carboxyliques des polymères basiques adsorbants, qui sont alors libérés dans la solution : c’est le mécanisme par échange d’ions.
110En effet, nous avons constaté une augmentation systématique des concentrations en Na+ dans la solution du surnageant après adsorption en même temps que la diminution des concentrations métalliques, quel que soit le matériau basique (MD ou CD).
111La comparaison des matériaux bruts (acides) et activés (basiques) a montré également le rôle important des fonctions carboxyliques ionisables. D’autres résultats, non décrits dans ce chapitre, montrent que les états d’ionisation et les propriétés d’adsorption des groupes fonctionnels vis-à-vis des cations métalliques sont fortement dépendants du pH. En effet, en fonction de celui-ci, il peut y avoir compétition entre les cations métalliques et les protons de la solution (surtout si le pH est acide).
112De plus, si on fait varier la capacité d’échange ionique (CEI) des matériaux (en jouant sur les paramètres de synthèse, on peut effectivement faire varier le nombre de fonctions carboxylates), on montre que, plus elle augmente, plus les métaux sont complexés, mettant encore une fois en avant le rôle prépondérant de ces fonctions carboxylates.
113En outre, malgré la forte concentration en calcium retrouvée dans les rejets et la compétition possible de cet élément avec les cations métalliques, le polymère permet l’élimination d’une partie non négligeable de la charge minérale (et organique) présente dans l’effluent industriel.
114Enfin, nous avons remarqué que la quantité de cations métalliques retenus par le polymère excédait largement la CEI de ce dernier, mettant en avant que les interactions électrostatiques et/ou l’échange d’ion, au niveau des fonctions carboxylates, n’était pas le seul mécanisme qui permettait la rétention des cations.
Complexe d’inclusion
115Pour les molécules organiques, leur élimination est principalement due à la présence des cavités de CD et à la structure macromoléculaire du réseau polymère (figure 16). Dans la littérature, les performances en termes de capacité de complexation des matériaux de CD réticulée (quel que soit l’agent réticulant utilisé) sont, en effet, attribuées principalement à la formation des complexes d’inclusion.
116Morin-Crini et Crini (2013) ont montré, dans leur état de l’art, que l’inclusion est souvent mise en avant pour expliquer l’adsorption. En outre, il est connu que ces matériaux sont non poreux et présentent des surfaces spécifiques très faibles, ce qui suppose que les mécanismes de physisorption peuvent ainsi être négligés, et donc que la chimisorption est prépondérante.
117Dans nos résultats, la comparaison de l’adsorption sur les deux polymères a montré que les APs sont mieux retenus par le polymère de CD que celui de MD, mettant en évidence le rôle des cavités des molécules de CD.
118D’autres forces peuvent également intervenir :
Les oligosaccharides (et les polysaccharides), possèdent de nombreuses fonctions hydroxyles qui peuvent former des interactions spécifiques (interactions de Yoshida) avec les noyaux aromatiques des molécules de HAPs et APs (figure 15) ;
Les CDs réticulées par le BTCA possèdent également des groupes fonctionnels (hydroxyles, carboxyles) susceptibles d’interagir par liaisons hydrogène, ce qui peut être le cas avec les molécules phénoliques (APs) ;
Les interactions hydrophobes et les forces de van der Waals sont possibles : le cœur des matériaux présente des propriétés hydrophobes du fait de la présence de nombreux groupes éther-oxydes entre chaque unité glucose, et cette densité électronique peut jouer également un rôle dans le mécanisme d’adsorption.
119Nous avons remarqué que les maltodextrines réticulées par le BTCA, bien qu’elles ne comportent pas de cavités, présentent également des capacités d’adsorption intéressantes qui ne peuvent s’expliquer que par la structure même du réseau macromoléculaire tridimensionnel qui forme des mailles capables de retenir le polluant organique via les interactions décrites.
120Nous avons également noté que les HAPs lourds, qui sont plus hydrophobes que les légers, présentaient une affinité plus forte pour les polymères de CD (formation de complexes d’inclusion et/ou diffusion dans la structure macromoléculaire du matériau). En revanche, le polymère de CD retient de manière identique les différents APs, indépendamment de leur structure.
Autres interactions
121D’autres interactions que les attractions électrostatiques et l’échange d’ions peuvent intervenir dans le mécanisme d’adsorption des métaux. Les fonctions carboxyles (non protonées, figure 15) peuvent former avec les métaux des attractions de type cation-dipôle, ce qui peut également expliquer les abattements obtenus à partir des matériaux non activés.
122Les métaux peuvent également diffuser et s’adsorber au sein du réseau macromoléculaire tridimensionnel. De plus, les matériaux peuvent jouer le rôle de donneurs d’électrons vis-à-vis de certains cations métalliques dont les potentiels rédox sont supérieurs aux leurs.
123Les cavités des CDs peuvent également inclure les métaux. Plusieurs équipes ont montré que les molécules de CDs sont capables d’interagir avec les cations métalliques pour former des complexes grâce à deux types de mécanismes, des complexes d’inclusion et des attractions cation-dipôle grâce aux nombreuses fonctions hydroxyles présentes sur les unités glucosidiques (Szejtli, 1990 ; Sliwa et Girek, 2003 ; Haider et Pikramenov, 2005 ; Bellia et al., 2009).
124Enfin, des microprécipitations des métaux sont également possibles. Sur ce dernier point, nous avons constaté que le pH final après adsorption augmentait systématiquement (supérieur à 6 voire 7 dans certains cas), ce qui peut aider à insolubiliser les métaux. Cette augmentation du pH est due au comportement du polymère dans l’eau. En effet, les polymères basiques confèrent un caractère basique aux solutions.
Remarques :
- Ce phénomène de microprécipitation est complexe et peut avoir lieu lors de l’adsorption mettant en jeu de nombreux paramètres (pH, concentration en métaux, potentiel rédox des éléments étudiés, présence d’anions, etc.) ;
- Dans les phénomènes d’adsorption mettant en jeu des biomasses, ces microprécipitations jouent un rôle important dans le mécanisme (Crini et Badot, 2010).
125Les colloïdes d’hydroxydes métalliques, qui se forment par précipitation, peuvent également se comporter, à leur tour, comme des adsorbants capables d’interagir avec les cations métalliques encore libres en solution (Crini, 2005).
126Toutes ces interprétations démontrent que, bien que les rôles des fonctions carboxyliques, des cavités des molécules de CD et de la structure réseau macromoléculaire soient évidents, les mécanismes d’adsorption sont toutefois plus complexes qu’ils n’y paraissent.
5. Conclusion
127Les matériaux à base de cyclodextrine réticulée par du BTCA sont efficaces en tant qu’adsorbants vis-à-vis de la complexation de polluants environnementaux, à la fois pour abattre des métaux et des molécules organiques, présents en solution polycontaminée. L’adsorption est principalement chimique, mettant en jeu différentes interactions : des interactions électrostatiques, de l’échange d’ions, des complexes d’inclusion, et d’autres phénomènes et forces (microprécipitation, liaisons hydrogène, etc.).
128Plusieurs avantages peuvent être cités : une synthèse facile dans l’eau en une seule étape (chimie verte), des performances en termes de capacités d’adsorption intéressantes et des cinétiques rapides. Ces résultats obtenus en laboratoire sont encourageants. Il reste maintenant à réaliser des études pilote afin d’évaluer la faisabilité industrielle sur des effluents complexes et variables. Récemment, un projet mené en région Nord-Pas-de-Calais a consisté à immobiliser le polymère de cyclodextrine sur un géotextile à des fins de décontamination de lixiviats provenant de sédiments portuaires et fluviaux, qui laisse entrevoir d’autres applications potentielles.
6. Remerciements
129Nadia Morin-Crini remercie l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, le Fonds européen de développement régional (FEDER) et la région de Franche-Comté pour leur soutien financier à travers le programme NIRHOFEX. Bernard Martel remercie le FEDER, la région Nord-Pas-De-Calais et le Fonds unique interministériel pour leur soutien financier à travers le projet DEPOLTEX.
Auteurs
26 ans, diplômée d’un master « Traitement des eaux » de l’université de Franche-Comté (2013), est actuellement doctorante au laboratoire Chrono-environnement de Besançon sous la direction de Nadia Morin-Crini et Grégorio Crini. Sa thèse est axée sur l’utilisation de matériaux innovants à base de cyclodextrine pour la complexation de polluants environnementaux dits émergents présents dans des rejets industriels polycontaminés à l’état de traces.
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
44 ans, est diplômée de chimie analytique (1995) et docteure en chimie physique (1998) de l’université de Franche-Comté. Elle est actuellement ingénieure de recherches, responsable de la plateforme d’analyses chimiques environnementales à l’UMR Chrono-environnement de Besançon. Sa recherche actuelle est axée sur le développement de méthodes analytiques innovantes (ICP-MS, GC-MS/MS) et l’analyse à l’état de traces de substances chimiques présentes dans différentes matrices (eau, sols, sédiments, matrices biologiques, etc.). Elle s’intéresse également depuis de nombreuses années à l’élimination de polluants environnementaux (métaux, HAP, PCB, COV, colorants, fongicides azolés, etc.) par des substances naturelles (gels de cyclodextrines). Elle est auteure et coauteure de plus de 70 publications nationales et internationales, et coordinatrice d’un ouvrage sur les cyclodextrines (2015).
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
51 ans, a soutenu un doctorat en chimie organique et macromoléculaire en 1993 à l’université de Lille 1. Il a obtenu un poste de maître de conférences en 1994 après avoir passé une année au Textile Technologies Center à Saint Hyacinthe au Canada. Professeur depuis 2002, il anime actuellement le groupe de recherche « Systèmes polymères fonctionnels » de l’équipe « Ingénierie des systèmes polymères » du laboratoire UMET CNRS de Lille 1. Sa thématique de recherche est axée sur l’utilisation de polymères de cyclodextrines et de matériaux (textiles, hydrogels, biocéramiques, etc.) fonctionnalisés par les cyclodextrines pour l’immobilisation et la libération contrôlée de substances actives pour des applications dans les domaines environnemental, pharmaceutique et biomédical. Il enseigne la science des polymères (chimie, physico-chimie, polymères de spécialités) en licence et en master à Lille 1. Il a dirigé dix-neuf thèses et il est auteur de 86 publications et huit brevets.
Adresse : UMETCNRS 8207, faculté des sciences et technologies, université de Lille, 59655 Villeneuve d’Ascq.
Diplômé de chimie (1981) de l’Université de Milan. Il a suivi et obtenu deux formations universitaires en science et technologie des macromolécules (1992) et en spectroscopie de caractérisation des polymères (2005). Il est depuis 1989 technicien chimiste à l’Institut de chimie et de biochimie G. Ronzoni de Milan où il est responsable de la plateforme spectroscopique de résonance magnétique nucléaire du solide. Il développe notamment des méthodes RMN innovantes (HRMAS, relaxation) pour la caractérisation de polymères synthétiques, de polysaccharides et de matériaux divers (charbons, résines, fibres, gels, etc.). Il est coauteur de plusieurs articles dans le domaine des polymères et de la RMN.
Adresse : Istituto di Chimica e Biochimica, G. Ronzoni, 81 via Giuseppe Colombo, 20133 Milano, Italie.
50 ans, anime actuellement l’équipe de chimie environnementale de l’UMR Chrono-environnement de Besançon où il développe des activités de recherches orientées sur le traitement, l’ingénierie et l’impact des eaux usées industrielles et urbaines. Sa recherche est principalement axée sur l’utilisation de ressources naturelles (oligosaccharides, polysaccharides, cyclodextrines) dans les domaines de la filtration, la bioadsorption et la biofloculation pour complexer des polluants environnementaux (colorants, métaux et métalloïdes, HAP, COV, PCB, alkylphénols, etc.). Son expertise dans ces domaines est fréquemment demandée par des institutions internationales (Canada, Lituanie, etc.), nationales, des éditeurs scientifiques et des entreprises privés. Il est auteur d’un brevet et a publié plus de 150 publications dans des revues internationales (dont une revue en 2014 dans le journal Chemical Reviews de l’American Chemical Society, impact factor > 46,5) et des ouvrages, et plus d’une centaine de communications dans des congrès nationaux et internationaux. Il a coordonné quatre ouvrages sur le traitement des eaux industrielles (2007), le chitosane (2009), les procédés d’adsorption (2010) et les cyclodextrines (2015). L’ensemble de ses publications a été cité plus de 6000 fois et son h-index est de 29 selon ISI Web of Science. Il a codirigé et dirigé quinze thèses de doctorats, cinq stages postdoctoraux, et plusieurs projets de recherches régionaux, nationaux, internationaux et privés (agence de l’eau, région de Franche-Comté, INRA Transfert, FEDER, contrats industriels, etc.).
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
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