Chapitre XI. Du chanvre pour dépolluer des eaux polycontaminées en métaux
p. 323-340
Texte intégral
1. Introduction
1En Europe, depuis le début des années 2000 et la mise en place de la directive-cadre sur l’eau (DCE, 2000), la nécessité de mieux dépolluer les eaux contaminées a conduit au développement de nouvelles technologies de traitement faisant appel à des méthodes de décontamination plus écologiques et moins énergivores (Crini et Badot, 2007).
2Ces technologies sont également nées d’une demande de plus en plus croissante du public en matière de techniques et de produits ayant peu ou pas d’effet sur notre environnement et notre santé.
3Parmi ces technologies, on peut citer par exemple la phytoremédiation, le lagunage naturel ou industriel, les réacteurs biomembranaires ou encore la bioadsorption (Crini et Badot, 2007, 2010). L’idée directrice est de puiser dans les ressources renouvelables de la nature (matières premières ou énergies), de façon à s’inscrire dans une démarche de développement durable et écocitoyen.
4Par exemple, la phytoremédiation des eaux usées repose sur des écosystèmes dans lesquels les végétaux (on utilise certaines plantes dites hyperaccumulatrices de polluants) et les énergies renouvelables occupent une place importante. Ces technologies utilisent la capacité de certaines ressources naturelles à complexer, à extraire, à piéger (« bloquer ») et/ou à transformer (dégrader) des polluants.
5Une technique de traitement des eaux, relativement récente, s’inscrit dans cette exigence de développement responsable, la bioadsorption (ou biosorption), qui utilise des substances naturelles (Volesky, 1990 ; McKay, 1995 ; Wase et Forster, 1997 ; Crini, 2005).
6La bioadsorption, comme l’adsorption, est une technique de séparation liquide-solide au cours de laquelle des contaminants présents dans l’eau viennent se fixer sur la surface d’un matériau solide, appelé bioadsorbant (ou biosorbant), par des mécanismes physiques et/ou chimiques (Cooney, 1998 ; Yang 2003).
7Ce transfert de masse, à partir de la phase liquide vers la surface du solide adsorbant, met en jeu généralement des charbons actifs, matériaux conventionnels dans le traitement des eaux (McKay, 1995 ; Wase et Forster, 1997 ; Yang, 2003). Ces matériaux carbonés sont en effet les plus utilisés à l’échelle industrielle.
8Dans le cas de la bioadsorption, des matériaux tels que les agroressources ou agromatériaux provenant de la chimie du végétal (produits biosourcés, coproduits agroalimentaires, fibres végétales, produits de la sylviculture…), les exopolymères d’origine marine, les biomasses ou encore les micro-organismes sont proposés et utilisés (Crini, 2005, 2006).
9Ces substances naturelles sont des matériaux intéressants étant donné qu’elles sont issues de ressources abondantes, renouvelables, biodégradables et exploitables dans de nombreux pays. De plus, elles présentent un intérêt particulier par rapport aux produits synthétiques dans la mesure où elles n’induisent aucun danger pour la santé humaine (certaines substances extraites jouent des rôles structurels chez les plantes et les animaux) contrairement aux formulations d’origine pétrolière pour lesquelles des doutes ont été émis quant à leur toxicité. Elles sont également bon marché, faciles à manipuler, et bénéficient d’une opinion favorable du grand public (Crini, 2005).
10Les agromatériaux sont également une réserve de ressources naturelles intéressantes pour plusieurs raisons : ils possèdent des structures macromoléculaires particulières et de nombreuses propriétés physico-chimiques et biologiques ; ils présentent une chimie particulièrement réactive ; leur utilisation diminue la dépendance à l’égard des matériaux fossiles ; ils répondent aux exigences de développement durable et s’inscrivent dans le cadre d’une chimie verte ; les avantages socio-économiques plaident en leur faveur, etc.
11Actuellement, l’utilisation d’agromatériaux dans le domaine du traitement des eaux fait l’objet d’une recherche très active. Parmi ces matériaux, le chanvre, plante annuelle cultivée dans de nombreux pays, pourrait être une nouvelle voie opportune et étonnante pour traiter des eaux contaminées.
12Ce chapitre débute par une présentation générale du chanvre et de ses applications. Nous présentons ensuite des résultats tirés de la littérature et de nos travaux de recherche sur l’utilisation du chanvre pour traiter des solutions contaminées par des métaux.
2. La matière première chanvre
2.1. Généralités
13Le chanvre est une plante originaire d’Asie Centrale, connue depuis plus de 2 500 ans et introduite en Europe au xiie siècle par les musulmans (Benhaim, 2003 ; Bouloc, 2006, 2013 ; Amaducci et Gusovius, 2010 ; Wertz et Vanderghem, 2011).
14Cette plante était cultivée pour sa fibre et utilisée pour ses nombreuses applications, notamment dans le cordage et le textile. Elle a été pendant des siècles la principale matière première (avec la laine) pour vêtir l’homme. Notons également que Gutenberg a imprimé sa première bible sur du papier de chanvre.
15À la fin du xixe siècle, la disparition de la marine à voile ainsi que la concurrence des fibres textiles vont faire disparaître cette culture. Il faudra attendre les années 1960, et surtout les années 1990 avec l’augmentation des surfaces de culture, pour que le chanvre retrouve une seconde vie.
16La France est le premier producteur européen de chanvre : environ 10 000 hectares cultivés chaque année, soit plus de 70 % de la production européenne. En Franche-Comté, sa culture a été réintroduite par la coopérative INTERVAL en 1992, et c’est l’une des régions d’excellence dans la production. À noter que c’est une culture très réglementée.
Remarques :
- On utilise également les définitions de chanvre textile, chanvre agricole, chanvre industriel ou chanvre technologique ; dans la suite, nous utiliserons le terme de chanvre ;
- Les autres pays européens producteurs de chanvre sont la Roumanie, la Serbie, la Pologne, la Hongrie et l’Italie ;
- Le Canada, la Turquie, l’Australie et le Japon produisent également du chanvre ;
- La culture du chanvre est interdite dans de très nombreux États aux États-Unis ;
- Le chanvre (Cannabis sativa) est associé (à tort) à la marijuana (Cannabinus indica) dont la résine renferme la principale molécule psychotrope de la plante, à savoir le THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) ;
- Les variétés de chanvre industriel contiennent une quantité négligeable de THC.
17Le chanvre fait partie de la famille des Cannabacecae comme le houblon. C’est une plante annuelle, à cycle de développement très court (110 à 130 jours), composée de fibres et de graines oléagineuses, dont la culture possède de nombreux atouts.
18C’est, en effet, une culture rustique (ayant les caractéristiques des plantes sauvages) qui pousse dans toutes les conditions. Elle ne nécessite pas de protection phytosanitaire (peu d’intrants) et elle est bien adaptée à la plupart des climats en Europe (Benhaim 2003 ; Kostić et al., 2003, 2008 ; Wertz et Vanderghem, 2011 ; Bouloc, 2013).
19En outre, c’est une excellente tête de rotation (au même titre que la pomme de terre) et aucune intervention n’est nécessaire avant la récolte. Le chanvre permet une diversification agricole.
20Sa culture est également intéressante pour les agriculteurs car elle améliore la structure du sol, ameublit la terre grâce à son système radicalaire important et rend également possible la fertilisation organique. Elle est très résistante aux mauvaises herbes et il n’y a pas de prédateur dangereux qui puisse mettre la culture en danger (quelques attaques de larves de tipules sont parfois possibles).
21Enfin, l’agriculteur est sûr d’obtenir des récoltes présentant un bon rendement en fibres (Bouloc, 2006 ; Wertz et Vanderghem, 2011). La plante est semée au printemps et récoltée en fin d’été, début d’automne (figure 1). Les récoltes se font en battu (on récolte la graine puis la fibre) ou en non battu (on récolte la plante entière sans la graine). Un léger inconvénient à la culture du chanvre reste la forte résistance de ses fibres, qui complique la récolte.
22La plante dite chanvre industriel (Cannabis sativa) peut être cultivée pour produire deux types de matières premières avec des applications commerciales bien distinctes, à la fois pour sa paille (ses fibres) et pour sa graine, ce qui présente un double intérêt sur une même plante.
Remarque :
Une étape importante dans le développement du chanvre a été la découverte de la monoécie (Bouloc, 2006) : le chanvre est en effet une plante dioïque (pieds mâles et pieds femelles) ; néanmoins, on sélectionne des variétés monoïques (fleurs mâles et femelles sur le même pied) car plus faciles à cultiver.
23Une valorisation de toutes les parties aériennes de la plante est ainsi possible. On parle du chanvre comme une plante technologique dans le sens où tous ses composants peuvent faire l’objet d’applications.
24Sa transformation est essentiellement mécanique, sans produits chimiques. Le chanvre s’inscrit donc dans une dynamique de développement durable (Bouloc, 2006, 2013 ; Wertz et Vanderghem, 2011).
25La plante est constituée d’environ 8 % de graines, 32 % de fibres, 42 % de chènevotte et 18 % de poudre. Les graines (de 3 à 5 mm selon le cultivar) appelées chènevis sont très riches en huile et en protéines (Benhaim, 2003 ; Wang et al., 2003 ; Bouloc, 2006, 2013 ; Amaducci et Gusovius, 2010 ; Wertz et Vanderghem, 2011). Elles sont utilisées sous forme d’huiles, de farine ou de graines écalées.
26Les tiges de chanvre présentent deux zones tissulaires bien distinctes : le bois central et l’écorce en périphérie. En effet, la tige de la plante, connue pour sa robustesse et sa durabilité, est composée de deux éléments : la fibre ou la filasse composant la couche extérieure de la tige, et la chènevotte, qui se trouve dans la partie centrale.
27La hauteur de la tige est généralement comprise entre 2 et 4 m, mais elle peut atteindre des hauteurs bien supérieures, et son diamètre moyen entre 1 et 3 cm. La tige, constituée d’entre-nœuds de longueur variable, est une source de fibres aux propriétés physico-chimiques remarquables.
28L’écorce de la tige (filasse), contient des fibres corticales longues et solides qui sont les plus prisées et destinées pour la production de textile. Ce sont les fibres dites primaires ou fibres techniques. Suite au processus de séparation de la filasse, la matière ligneuse restante, appelée chènevotte, est composée de petits copeaux rigides d’une longueur souvent inférieure à 3 cm.
2.2. Structure chimique
29La composition chimique du chanvre comprend principalement des polysaccharides (environ 55 % de la matière sèche), des lignines insolubles (15,5 %) ou solubles (2 %) à l’acide, des protéines (5,5 %), des cendres (6,5 %) et de diverses substances extractibles (Wertz et Vanderghem, 2011).
30Les fibres de chanvre sont, en effet, constituées de plusieurs architectures macromoléculaires : par ordre d’importance décroissant, cellulose, hémicellulose, pectines et lignines (Mark, 1954 ; Benhaim, 2003 ; Wang et al., 2003 ; Bouloc, 2013).
31Les parois végétales contiennent également d’autres substances appelées extractibles telles que des sucres (glucose), oligosaccharides, cires, protéines, acides gras, polyphénols, alcaloïdes, ou encore terpènes. Ce sont des substances solubles dans l’eau, dans l’éthanol ou dans d’autres solvants (éther, acétone, dichlorométhane).
32Ainsi, de nombreuses fonctions chimiques peuvent se retrouver dans les matériaux extraits du chanvre : saturées, insaturées, acides carboxylique, hydroxyle, aromatique, phénol, éther oxyde, etc.
Remarques :
- On trouve dans les tiges de chanvre des monosaccharides (environ 50 % de la matière sèche) : du glucose surtout (environ 40 %) et d’autres sucres (xylose, galactose, mannose, arabinose) dans une moindre proportion ;
- La cellulose est un homopolymère constitué de chaînes de motifs glucose reliés par des liaisons glucosidiques de type β- (1,4) ; ces macromolécules sont linéaires et forment des fibrilles (zones organisées cristallines) et des microfibrilles ; les microfibrilles présentent des zones cristallines et des zones amorphes ;
- Les hémicelluloses sont des glycanes de structure hétérogène ;
- Les pectines sont des polymères riches en acide galacturonique, rhamnose, arabinose et galactose ; ce sont des chaînes ramifiées et associées entre-elles par des liaisons ioniques ; il y a également la présence de polysaccharides neutres ;
- Les lignines sont des structures macromoléculaires complexes qui résultent de la polymérisation de trois unités phénylpropènoïdes (alcool coumarylique, alcool coniférylique et alcool sinapylique).
33La figure 2 montre le spectre RMN à l’état solide d’une feutrine de chanvre sur lequel on remarque les principaux pics dus à la structure cellulosique (les six carbones d’une unité glucosidique).
2.3. Principales applications
34De nombreux domaines d’applications industrielles utilisent le chanvre, du secteur du bâtiment à celui de l’industrie du papier et des emballages, en passant par le textile, la cosmétologie, l’alimentation humaine ou animale (dont l’oisellerie, la pêche et l’élevage), ou encore les matériaux composites (figure 3, tableau 1).
35Ces multiples applications répondent aux normes du développement durable alliant technologie, innovation, rentabilité et environnement. Les deux domaines les plus importants sont ceux de la papeterie et celui du bâtiment et de la construction (écohabitat) [tableau 2].
36De nouveaux domaines sont en pleine expansion comme l’alimentaire ou la thérapeutique, ou en cours d’exploration comme les biotechnologies, les biocarburants ou la phytoremédiation.
37Malgré ces nombreuses applications, il n’existe pas, à notre connaissance, d’applications concrètes dans le domaine de l’environnement (Ranalli, 1998 ; Benhaim, 2003 ; Bouloc, 2006, 2013 ; Wertz et Vanderghem, 2011). Il est donc intéressant de mener des recherches sur cet aspect.
38Notre équipe s’intéresse depuis plus de 20 ans sur l’utilisation de substances naturelles (amidon, dextrines, cyclodextrines, cellulose, chitine, chitosane, alginates et chanvre) dans des applications environnementales, et plus particulièrement dans le traitement des eaux, en partenariat avec l’institut de chimie G. Ronzoni de Milan, qui est spécialisé dans le rouissage et le défibrage, ainsi que dans la caractérisation spectroscopique et microscopique de fibres naturelles.
Remarque :
Le rouissage est une opération qui facilite la séparation des fibres en détruisant la matière collante (gommeuse) qui les soude ; on pratique deux types de techniques : le rouissage au champ (pratiqué en Europe) et le rouissage à l’eau (pratiqué en Chine et dans le reste de l’Asie).
3. Du chanvre pour adsorber des métaux
39Pour rappel, la capacité d’adsorption d’un matériau (autrement dit sa performance) dépend principalement des caractéristiques du solide utilisé. L’excellent pouvoir d’adsorption des charbons actifs est, par exemple, attribué à leurs excellentes propriétés texturales intrinsèques telles que des surfaces spécifiques très élevées, des porosités importantes et une large gamme de granulométrie. Les mécanismes d’adsorption souvent cités sont principalement de type physisorption (Crini, 2005).
40Dans le cas des matériaux à base de substances naturelles, les procédés de séparation mettent à profit à la fois leur structure chimique macromoléculaire complexe et la présence de nombreux groupements réactifs naturellement présents dans cette structure, susceptibles d’interagir par chimisorption avec des polluants organiques et/ou minéraux dont les métaux, même lorsque ceux-ci sont présents à l’état de traces dans des mélanges complexes (Crini, 2005, 2006) ; c’est le cas du matériau chanvre.
3.1. État de l’art
41Il existe peu d’études dans la littérature sur le traitement de solutions polluées, utilisant des matériaux de chanvre. À notre connaissance, seules deux équipes européennes travaillent sur ce sujet. En outre, il faut préciser que leurs résultats ne concernent que l’utilisation de fibres pour dépolluer des solutions synthétiques monométalliques.
42Ces résultats ont été obtenus par une technique batch qui consiste à mettre en contact la solution métallique à traiter avec une masse de matériau chanvre donnée, dans des conditions expérimentales (pH, concentration en métal, etc.) préalablement définies. L’ensemble [solution + chanvre] est agité pendant un certain temps. Le surnageant est alors analysé pour quantifier la concentration résiduelle, et la capacité maximale d’adsorption du matériau calculée.
43Il y a une dizaine d’années, l’équipe roumaine de Carmen Păduraru (université de Iasi) a publié les premiers travaux sur la complexation des métaux par des fibres de chanvre (Tofan et Păduraru, 1999, 2000, 2004 ; Tofan et al., 2001a, 2001b, 2009, 2010a, 2010b, 2010c, 2013 ; Păduraru et Tofan, 2002, 2008). Les métaux étudiés en solution monométallique sont le cobalt, le plomb, le cadmium, le chrome et l’argent.
44Cette équipe a montré que 1 g de fibre, préalablement lavée dans de la soude à chaud pendant quatre heures, est capable de complexer 15 mg de cobalt à pH 5 (Tofan et al., 2013). Les performances sont dépendantes du pH et de la concentration initiale en métal. En outre, les cinétiques sont lentes (temps d’équilibre de six heures). Des conclusions similaires ont été publiées pour le cadmium (Tofan et al., 2009) et le plomb (Tofan et al., 2010a, 2010b).
45L’ordre d’affinité est le suivant : Co > Cu > Cr > Cd > Ag (I) ; les capacités maximales d’adsorption étant respectivement les suivantes : 15, 9, 4, 2,5 et 1,2 mg par g de fibre. Les mécanismes d’adsorption sont expliqués par des phénomènes de chimisorption entre les ions métalliques et les sites actifs à la surface des fibres (adsorption de surface en monocouche).
46Afin d’augmenter ces capacités d’adsorption, les auteurs ont proposé de prétraiter les fibres et de greffer des groupements sulfhydryle – SH (Tofan et Păduraru, 2004 ; Tofan et al., 2009). Les capacités obtenues sont alors plus importantes : 23 mg g-1 pour Pb, 14 mg g-1 pour Cd et 10,7 mg g-1 pour Ag (I). L’équipe roumaine de Carmen Păduraru a conclu que les fibres de chanvre sont des matériaux non conventionnels efficaces pour traiter des pollutions métalliques.
47L’équipe serbe de Mirjana Kostić (université de Belgrade) a également publié des conclusions similaires en termes de capacité maximale concernant les métaux Pb, Cd et Zn sur des fibres lavées à la soude (Pejić et al., 2009, 2011).
48Cependant, les cinétiques sont beaucoup plus rapides : en cinq minutes, 80 % du métal est adsorbé, indépendamment du métal étudié. Les deux publications de cette équipe montrent que les performances d’adsorption des matériaux de chanvre sont principalement reliées aux taux d’hémicellulose et de lignine présents dans les fibres brutes (Pejić et al., 2009). Plus ces taux sont importants, plus les performances des fibres chutent.
49L’étude du mélange des trois métaux a montré l’affinité suivante : Pb > Cd > Zn. Dans cette étude, les performances du Pb sont identiques à celles en solution monométallique, mais celles de Cd et de Zn chutent d’un facteur 2 en mélange. Ceci a été attribué à des phénomènes de compétition entre les métaux en mélange.
50Les auteurs ont conclu que les fibres de chanvre sont des matériaux innovants, plus efficaces que les charbons actifs commerciaux pour éliminer ces trois métaux.
3.2. Résultats d’adsorption
51Les résultats que nous présentons ont également été obtenus par batch. Le chanvre sédimentant rapidement, cette méthode de décontamination est intéressante par sa simplicité d’utilisation. En outre, elle permet de faire varier plusieurs paramètres expérimentaux (dose de chanvre, concentration en métal, pH, force ionique, température, etc.) tout en donnant des résultats reproductibles.
52Les métaux en solution aqueuse étudiés sont Ag, Al, Cd, Co, Cr, Cu, Ni et Zn. Deux types de solutions synthétiques ont été préparés, des solutions aqueuses monocontaminées et des solutions polycontaminées. Le pH des solutions initiales est proche de 5 ; celui-ci n’a pas été maintenu à cette valeur pendant le batch.
53Les concentrations résiduelles dans le surnageant ont été mesurées par photométrie (kits tests) et/ou ICP-AES, ce qui permet de déterminer l’efficacité du matériau vis-à-vis du métal considéré.
54Les matériaux ont été fournis par la coopérative Eurochanvre d’Arc-les-Gray (Haute-Saône). Nous travaillons avec plusieurs formes de chanvre (figure 4) : chènevotte, deux types de fibres, et feutrine.
55La fibre papetière, d’une qualité inférieure à la fibre technique, est supposée être moins efficace car moins propre. En effet, la différence entre la fibre papetière et la fibre technique réside dans le rouissage de cette dernière. La fibre technique est ainsi de meilleure qualité car elle a été rouie avant la récolte, ce qui entraîne un lavage des plantes et donc des fibres plus propres.
Tests de relargage
56Le chanvre, étant un produit de la terre, nous avons étudié ce que relarguaient les différents matériaux après agitation dans de l’eau osmosée. Il est également intéressant de savoir s’il est nécessaire de laver les matériaux avant toute expérience d’adsorption.
57Pour cela, des échantillons de 2 g de chanvre sous ses différentes formes ont été agités séparément dans 100 mL d’eau osmosée pendant quatre heures et à température ambiante. Ces eaux de lavage ont ensuite été analysées par ICP-AES (recherche de 25 éléments minéraux).
58Les matériaux, n’étant pas forcément homogènes sur un échantillon donné, les expériences ont été répétées trois fois pour chacun des matériaux et la moyenne des trois analyses est présentée dans le tableau 3.
59Seules 16 substances sur les 25 recherchées ont été quantifiées (les teneurs des autres substances étant inférieures à la limite de quantification). Comme attendu, les résultats décrits dans le tableau 3 montrent que le chanvre relargue des éléments dits « majeurs », en quantités importantes pour le calcium, le potassium, le magnésium, le sodium, le phosphore et le soufre, et en quantités moins importantes pour le bore et le silicium.
60Les métaux Al, Cu, Fe, Mn, Ni, Sr, Ti et Zn sont également relargués mais en quantités moins importantes. Seuls les métaux Al et Fe sont en quantité non négligeable (295 μg L-1 d’Al dans les eaux de lavage de la fibre technique et 201 μg L-1 de Fe dans les eaux de lavage de la feutrine), les autres métaux étant à l’état de traces.
61Au vu de ces résultats, dans la suite des expériences, les matériaux ont été testés soit bruts, soit préalablement lavés plusieurs fois à l’eau osmosée ou dans une solution de bicarbonate de sodium.
62Kozlowski et al. (1997) ont montré que le chanvre, cultivé dans des zones plus polluées en Pologne, absorbe plus de métaux qui se trouvent dans le sol que d’autres plantes telles que le lin, le seigle ou l’avoine, avec des quantités qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de mg de métaux par kg au m2 cultivé. Dans cette étude, ce sont les graines qui contiennent le plus de métaux (Cu, Pb, Zn et Cd) par rapport aux tiges et aux racines.
Solutions monométalliques
63Des études préliminaires ont été réalisées de manière à connaître le pouvoir adsorbant de nos matériaux et d’établir un ordre d’affinité du chanvre envers différents métaux. Des expériences ont été mises en place utilisant des solutions monométalliques, de concentrations connues, pour tester l’efficacité d’adsorption d’une dose donnée de matériau (2 g L-1).
64Trois métaux (Cd, Ni et Zn) ont été testés sur de la chènevotte et de la feutrine dans leur état naturel, c’est-à-dire non lavé. Une concentration initiale de 1 mg L-1 a été choisie pour se rapporter aux ordres de concentrations trouvés dans les eaux de rejets industriels avec lesquelles nous travaillons habituellement. Le temps de contact est de deux heures sous agitation relativement faible (150 rpm), suivi d’un temps de décantation d’une heure sans agitation.
65Les résultats du tableau 4 montrent que les métaux Cd, Ni et Zn sont adsorbés avec des abattements très différents, le zinc présentant la meilleure affinité pour les deux matériaux. En utilisant, 2 g de matériau, la concentration initiale en zinc peut être réduite de moitié. Le pH des solutions après adsorption change systématiquement, ce qui laisse supposer des phénomènes d’échanges chimiques. De même, les variations importantes dans les valeurs de conductivité supposent des phénomènes d’échanges d’ions.
66Une nouvelle série d’expériences sur solutions monométalliques a été réalisée avec les matériaux chènevotte et feutrine préalablement lavés à l’eau. Plusieurs métaux ont été testés : Ag, Al, Cr, Cu, Ni et Zn. Les résultats sont décrits dans le tableau 5 et la figure 5. La limite de quantification de l’argent étant très élevée (0,5 mg L-1), il est difficile de commenter l’adsorption de ce métal.
67Pour ce qui est des autres métaux, nous observons, dans tous les cas, un meilleur abattement par la feutrine par rapport à la chènevotte, avec des abattements allant jusqu’à 80 % pour Cr et Al par exemple, après traitement par la feutrine. Les ordres d’affinité pour la feutrine et la chènevotte sont respectivement les suivants : Al - Cr > Cu > Ni - Zn et Cr > Cu > > Zn > Ni > Al.
68La comparaison des résultats des tableaux 4 et 5 montre une légère augmentation de l’adsorption, après lavage des matériaux. À noter que, pour ces expériences réalisées avec du chanvre lavé, les valeurs de pH varient peu.
Solutions polymétalliques
69Des expériences mettant en jeu plusieurs métaux dans la même solution aqueuse ont été réalisées afin de mettre en évidence d’éventuels phénomènes de compétition. Ainsi, de l’eau osmosée a été dopée avec, dans un premier temps, les six métaux préalablement testés en solutions monométalliques (Ag, Al, Cr, Cu, Ni et Zn). La même concentration a été gardée, c’est-à-dire environ 1 mg L-1 pour chaque métal et la même dose de matériau (2 g L-1).
70Aucun changement de pH n’a été observé : le pH de la solution initiale (pH = 4,6) a en effet été retrouvé dans les solutions traitées. La conductivité a légèrement augmenté passant respectivement de 41 μS cm-1 dans la solution initiale à 50,3 et 52,9 μS cm-1 dans les solutions traitées à la chènevotte et à la feutrine.
71Les résultats ont montré une préférence d’adsorption des métaux Al, Cr et Ni pour la chènevotte et Al, Cr et Cu pour la feutrine (tableau 6, figure 6). L’ordre d’affinité pour la feutrine est le suivant : Al - Cr > Cu > > Ni - Zn.
72Contrairement aux solutions monométalliques, les métaux Ni et Zn sont peu retenus, lorsqu’ils sont en mélange, ce qui montre des phénomènes de compétition en mélange.
73Bien évidemment, en augmentant la dose de chanvre, la quantité de métal retenue augmente sensiblement. Pour une concentration totale de 5 mg L-1 de métaux (soit 1 mg L-1 pour chaque métal), on remarque, en effet, sur la figure 7, que l’adsorption maximale est obtenue avec une dose de feutrine de 10 g L-1.
74Les résultats montrent une meilleure adsorption des métaux par la feutrine que par la chènevotte ; c’est pourquoi l’étude de cette dernière n’a pas été poursuivie. Les capacités d’adsorption de deux différentes fibres, papetière et technique, ont été étudiées et comparées entre elles, mais également avec celle de la feutrine.
75Ces deux fibres ainsi que la feutrine ont été testées dans leur état brut, et après avoir subi différents traitements (lavage à l’eau osmosée ou au bicarbonate de sodium). Le mélange de métaux Al, Co, Cr, Cu, Ni et Zn a été étudié, chacun ayant une concentration de 1 mg L-1 pour une dose de matériau de 10 g L-1.
76Les résultats de la figure 8 montrent que l’adsorption des métaux par les matériaux de chanvre à l’état naturel est fortement variable car les abattements varient entre 0 à 87 % selon les matériaux utilisés. Néanmoins, les valeurs dans certains cas sont élevées : la fibre technique adsorbe 87 % de zinc et la feutrine 85 %.
77En revanche, l’aluminium est peu voire pas du tout adsorbé ; mais ceci peut s’expliquer par le relargage d’aluminium lors du lavage à l’eau des matériaux bruts de chanvre. Dans l’ensemble, nous observons de meilleurs résultats d’adsorption par la fibre technique par comparaison aux deux autres matériaux testés dans leur état brut.
78Après un lavage à l’eau des matériaux, on constate une nette amélioration de l’adsorption quel que soit le matériau étudié (figure 9). Tous les métaux sont en effet adsorbés à au moins 55 %, avec en moyenne pour les six métaux 81 % d’adsorption pour les fibres papetière et technique, et 91 % dans le cas de la feutrine. Cette étape de lavage est donc importante.
79Le lavage des matériaux par une solution de bicarbonate de sodium à 4 g L-1 pendant quatre heures permet également d’augmenter les capacités d’adsorption des matériaux, notamment pour la feutrine et la fibre papetière. On constate 94 % d’adsorption en moyenne pour les six métaux, pour ces deux matériaux. La fibre technique semble néanmoins donner de moins bons résultats après un tel lavage (figure 10).
80L’ensemble des résultats a montré que les matériaux de chanvre, même à l’état brut, sont capables d’adsorber une quantité non négligeable de métaux, lorsqu’ils sont mis en contact avec une solution d’eau polycontaminée en métaux. Cette capacité peut être améliorée en lavant les matériaux.
81Les mécanismes mis en jeu font appel non seulement à de l’adsorption chimique induite par les nombreux groupes fonctionnels des unités de polysaccharides, qui permettent de créer des interactions chimiques (échange d’ions, interactions électrostatiques, complexation, interaction dipôle-cation), mais également à de l’adsorption de surface et à de la diffusion à travers le réseau macromoléculaire du chanvre (forces de Van der Waals).
82Le lavage des matériaux conduit à deux types de conséquences. La première est de permettre l’élimination des substances extractibles, et donc de modifier la composition chimique des matériaux. La seconde a trait à la structure chimique : l’amélioration d’adsorption par des matériaux préalablement lavés à l’eau osmosée peut être expliquée par un gonflement du réseau du chanvre, ce qui rendrait les sites actifs plus accessibles et donc favoriserait le contact avec les ions métalliques ; le lavage des matériaux par une solution de bicarbonate de sodium modifie la structure cristalline du chanvre, ce qui lui donnerait un caractère amorphe plus marqué, et donc plus favorable pour l’adsorption (ce dernier point fait l’objet d’études par diffraction X et d’une caractérisation par RMN solide) ; en outre, une autre hypothèse peut être émise, à savoir, que le bicarbonate, en tant que base faible, pourrait activer les fonctions carboxyliques des matériaux (dosage en cours).
4. Conclusion
83À ce jour, le chanvre n’a pas d’application dans le domaine environnemental, et plus précisément dans le domaine des eaux usées. Cependant, ce matériau possède un pouvoir adsorbant intéressant envers les métaux présents dans des solutions synthétiques polycontaminées. En outre, c’est un matériau écologique, de faible coût et abondant. Tout ceci laisse présager des recherches plus intenses sur le sujet (reste maintenant à prouver son efficacité sur des mélanges industriels réels) et sans doute une voie de développement innovante possible dans les prochaines années.
5. Remerciements
84Les auteurs remercient la coopérative Eurochanvre d’Arc-les-Gray pour la fourniture des matériaux de chanvre.
Auteurs
25 ans, est diplômée d’un DUT chimie de l’université de Franche-Comté (2009) et d’un master en chimie organique de l’université de Lyon (2012). Elle est actuellement ingénieure CDD en chimie environnementale à l’UMR Chrono-environnement, dans le groupe de Grégorio Crini. Ses travaux concernent l’utilisation de matériaux à base de polysaccharides pour le traitement des eaux.
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
44 ans, est diplômée de chimie analytique (1995) et docteure en chimie physique (1998) de l’université de Franche-Comté. Elle est actuellement ingénieure de recherches, responsable de la plateforme d’analyses chimiques environnementales à l’UMR Chrono-environnement de Besançon. Sa recherche actuelle est axée sur le développement de méthodes analytiques innovantes (ICP-MS, GC-MS/MS) et l’analyse à l’état de traces de substances chimiques présentes dans différentes matrices (eau, sols, sédiments, matrices biologiques, etc.). Elle s’intéresse également depuis de nombreuses années à l’élimination de polluants environnementaux (métaux, HAP, PCB, COV, colorants, fongicides azolés, etc.) par des substances naturelles (gels de cyclodextrines). Elle est auteure et coauteure de plus de 70 publications nationales et internationales, et coordinatrice d’un ouvrage sur les cyclodextrines (2015).
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
Diplômé de chimie (1981) de l’Université de Milan. Il a suivi et obtenu deux formations universitaires en science et technologie des macromolécules (1992) et en spectroscopie de caractérisation des polymères (2005). Il est depuis 1989 technicien chimiste à l’Institut de chimie et de biochimie G. Ronzoni de Milan où il est responsable de la plateforme spectroscopique de résonance magnétique nucléaire du solide. Il développe notamment des méthodes RMN innovantes (HRMAS, relaxation) pour la caractérisation de polymères synthétiques, de polysaccharides et de matériaux divers (charbons, résines, fibres, gels, etc.). Il est coauteur de plusieurs articles dans le domaine des polymères et de la RMN.
Adresse : Istituto di Chimica e Biochimica, G. Ronzoni, 81 via Giuseppe Colombo, 20133 Milano, Italie.
50 ans, anime actuellement l’équipe de chimie environnementale de l’UMR Chrono-environnement de Besançon où il développe des activités de recherches orientées sur le traitement, l’ingénierie et l’impact des eaux usées industrielles et urbaines. Sa recherche est principalement axée sur l’utilisation de ressources naturelles (oligosaccharides, polysaccharides, cyclodextrines) dans les domaines de la filtration, la bioadsorption et la biofloculation pour complexer des polluants environnementaux (colorants, métaux et métalloïdes, HAP, COV, PCB, alkylphénols, etc.). Son expertise dans ces domaines est fréquemment demandée par des institutions internationales (Canada, Lituanie, etc.), nationales, des éditeurs scientifiques et des entreprises privés. Il est auteur d’un brevet et a publié plus de 150 publications dans des revues internationales (dont une revue en 2014 dans le journal Chemical Reviews de l’American Chemical Society, impact factor > 46,5) et des ouvrages, et plus d’une centaine de communications dans des congrès nationaux et internationaux. Il a coordonné quatre ouvrages sur le traitement des eaux industrielles (2007), le chitosane (2009), les procédés d’adsorption (2010) et les cyclodextrines (2015). L’ensemble de ses publications a été cité plus de 6000 fois et son h-index est de 29 selon ISI Web of Science. Il a codirigé et dirigé quinze thèses de doctorats, cinq stages postdoctoraux, et plusieurs projets de recherches régionaux, nationaux, internationaux et privés (agence de l’eau, région de Franche-Comté, INRA Transfert, FEDER, contrats industriels, etc.).
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
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