Chapitre IX. Le traitement des eaux et le chitosane
p. 275-306
Texte intégral
1. Introduction
1Les procédés de traitement des effluents industriels et urbains (contenant des charges minérales et/ou organiques) mettent en jeu différentes stratégies en fonction de la nature des contaminants (ions métalliques, colorants, composés pharmaceutiques, etc.), l’intérêt à les recycler (et/ou à valoriser les sous-produits du traitement), et leur toxicité.
2Les procédés de précipitation sont fréquemment employés mais se heurtent régulièrement à des limitations techniques (pour atteindre par exemple les niveaux requis d’abattement des charges polluantes) ou environnementales (production de grandes quantités de boues toxiques difficilement valorisables).
3Les procédés membranaires sont très efficaces mais souvent coûteux et limités à des traitements de finition ou pour des effluents très spécifiques (ils sont ainsi fortement impactés par la présence de matières en suspension et de substances qui contribuent, en précipitant, au colmatage des membranes).
4Les procédés d’extraction liquide/liquide sont réservés à la valorisation de solutés spécifiques (haute valeur ajoutée, métaux stratégiques et très toxiques) dans des solutions relativement concentrées (supérieures à 500 mg L-1) : les pertes d’extractants (coûteux et toxiques) par dispersion ou solubilisation représentent un inconvénient environnemental majeur pour ces techniques.
5Les procédés électrochimiques présentent des limitations relativement similaires ; ils sont souvent employés en traitement de concentration ou de finition (beaucoup moins que dans le traitement d’effluents dilués).
6L’adsorption représente une technique alternative en traitement d’effluents dilués : elle est utilisée pour des effluents de concentration « intermédiaire » (de l’ordre de la centaine de mg L-1, ou inférieure).
7De nombreux matériaux sont utilisables : résines chélatantes et résines échangeuses d’ions, supports minéraux (zéolites, argiles, alumines et silices), charbons actifs, résidus de l’industrie chimique (oxydes métalliques, boues), de l’agriculture ou de la pêche (bioadsorbants : résidus, matière algale, champignons filamenteux, etc.).
8Les procédés de biosorption mettent à profit la présence de groupements réactifs à la surface des matériaux : ce sont des groupements spécifiques similaires à ceux présents sur les résines synthétiques industrielles, mais issus de ressources renouvelables et généralement moins coûteuses.
9Le choix du bioadsorbant doit toutefois prendre en compte non seulement le coût de la matière première mais aussi l’efficacité intrinsèque d’adsorption du matériau. En effet, un coût marginal associé à des performances limitées d’adsorption conduit à des masses importantes de déchets difficilement valorisables et à impact environnemental significatif.
10Le chitosane est un biopolymère obtenu par désacétylation partielle de la chitine, l’un des polysaccharides les plus abondants dans la nature. En effet, la chitine est présente dans la carapace des crustacés, la paroi de certains champignons filamenteux et dans la cuticule des insectes. Ce biopolymère est le précurseur acétylé (unités de N-acétyl-D-glucosamine associées par des liaisons β (1→4)) du chitosane, un hétéropolymère constitué d’unités D-glucosamine et d’unités N-acétyl-D-glucosamine.
11Le chitosane est rarement présent dans la nature (identifié seulement dans quelques organites de crustacés ou dans la paroi des Mucorales) et il est obtenu commercialement par désacétylation de la chitine. À ce titre, il conviendrait plutôt de parler des chitosanes, tant les propriétés du biopolymère peuvent varier en fonction de ses caractéristiques : le poids (ou masse) moléculaire (PM) affecte la viscosité du biopolymère (solubilisé en milieu acide), son degré (ou taux) de désacétylation (DD) la solubilité de la macromolécule, et son taux de cristallinité sa capacité d’hydratation. Ainsi, changer son DD et/ou son PM va considérablement modifier son mode d’utilisation et ses performances.
12La présence de nombreux groupes hydroxyle lui confère des propriétés d’hydratation importantes alors que les fonctions aminées influent sur la capacité à modifier le polymère physiquement (solubilisation et mise en forme) et chimiquement (greffage de groupes réactifs, réticulation etc.). Ces fonctions aminées confèrent au chitosane des propriétés cationiques uniques parmi les polysaccharides.
13La protonation de ces fonctions aminées conduit à la solubilisation du biopolymère qui pourra être utilisé sous forme dissoute pour des opérations de traitement des eaux (coagulation-floculation CF, ultrafiltration assistée par complexation UFAC), ou en vue de préparer des formes originales (billes d’hydrogel, membranes, éponges/mousses, fibres, fibres creuses, etc.). Cette protonation assure également des propriétés d’échange d’ions au matériau, vis-à-vis, par exemple, de solutés anioniques.
14Ainsi, le matériau peut être utilisé directement sous forme solide pour des applications en adsorption en mettant à profit la présence des fonctions aminées (complexation de cations en milieu proche de la neutralité, attraction électrostatique/échange d’ions en milieu acide pour la fixation d’anions sur les fonctions aminées protonées).
15Il peut être également utilisé à l’état liquide (dissout en milieu acide) pour la neutralisation de charges et la CF de composés anioniques (matières dissoutes, aloïdes et particules en suspension) et pour la complexation d’ions métalliques (associé à une rétention par membranes semi-perméables dans le cas de l’UFAC).
16Différents exemples d’application de ces matériaux sont illustrés de manière non exhaustive dans les sections suivantes. Dans la première partie seront abordés quelques exemples d’utilisation en adsorption (forme solide du polymère) alors que dans la partie suivante seront discutés quelques exemples d’utilisation du biopolymère sous forme liquide (dissoute en milieu acide) pour la CF de suspensions et de solutions contenant des aloïdes minéraux, organiques ou des composés solubles et l’UFAC.
2. Le chitosane et l’adsorption
2.1. Mécanismes d’interaction à la base de l’adsorption par le chitosane
17L’adsorption est la conséquence d’interactions spécifiques entre le substrat et le composé à adsorber. Ces interactions sont très fortement corrélées à la structure chimique du composé étudié, le chitosane. Les groupements susceptibles de créer des interactions sont, pour ce biopolymère, principalement les groupements hydroxyle et amine.
18Les groupements amine sont susceptibles d’être ionisés en fonction du pH, compte tenu de la valeur du pKa, égale à 6,0. Ils permettent d’une part au chitosane d’avoir un caractère polycationique et ainsi de pouvoir interagir par des interactions électrostatiques avec des composés anioniques comme certains colorants. D’autre part, non ionisés, ils possèdent un doublet électronique libre sur l’atome d’azote, susceptible d’interagir avec des entités chimiques pauvres en électrons tels que les cations.
19Il sera alors possible d’interagir avec des composés hydrophiles, chargés (anioniques ou cationiques) ou neutres principalement. Le paramètre structural primordial est le degré d’acétylation (DA). Un film obtenu par N-acétylation de chitosane ne forme pas de complexe avec des ions métalliques tels que Cu (II), Co (II) ou Ni (II) [Yaku et Koshijima, 1978]. Cette complexation est plus facile avec des chitosanes de fort degré de désacétylation (DD) [Kurita et al., 1979].
20Enfin, un certain caractère amphiphile dû à la présence de ces groupements acétylés a été mentionné par certains auteurs (Philippova et al., 2001). Cela ajoute ainsi la possibilité d’interagir avec des composés présentant un caractère légèrement hydrophobe.
21Toutefois, les mécanismes mis en jeu lors de ces différents types d’adsorption ne sont pas encore complètement élucidés. Les principaux travaux ont été menés jusqu’à maintenant pour étudier les mécanismes qui interviennent lors de l’adsorption d’ions métalliques.
22Bien que la contribution des groupements hydroxyle dans l’adsorption de métaux soit citée dans certaines études, il est maintenant accepté que cette adsorption ait lieu principalement par les groupements amine. Les groupements hydroxyle contribuent essentiellement à stabiliser les interactions entre le groupement amine et le métal.
23Ces groupements réactifs peuvent interagir avec les métaux selon différents mécanismes :
Complexation de l’atome d’azote par le doublet électronique libre ;
Formation de complexes ternaires (cas de l’adsorption de la paire d’ions Sr (II)/ carbonate sur la chitosane) ;
Attraction électrostatique (échange d’ion).
24Cette protonation du groupement amine induit une compétition entre l’adsorption de cations métalliques et la formation des complexes ternaires. Le rôle du pH est alors important, tant pour ce qui concerne la spéciation des espèces métalliques que la forme ionique ou neutre de ce groupement amine.
25Différents modèles ont été proposés afin d’élucider le mécanisme de coordination impliqué dans la formation de ces complexes. Le premier, appelé « modèle de pont », suppose que l’ion métallique est lié à plusieurs atomes d’azote de la même ou de plusieurs chaînes. Le second, appelé « modèle pendant », considère que l’ion métallique est lié au groupement amine comme une entité pendante.
26Si l’on considère les ions Cu (II), les observations durant la variation du pH (à un rapport R défini comme [Cu2 +]/chitosane exprimé en mol d’ion métallique/monomol de chitosane, égal à 0,22 démontre que la fixation des ions cuivre sur le chitosane est négligeable lorsque les groupements amine sont sous la forme protonée (Domard, 1987).
27Des signaux de dichroïsme circulaire apparaissent lorsque le pH devient supérieur à 5. Des courbes potentiométriques de neutralisation de solution de chitosane par NaOH en présence d’ions Cu (II) (R = 0,25) permettent de déterminer le nombre moyen de molécules coordinées fixées par ion métallique, n, en fonction du pH (figure 1).
Figure 1. Courbe de formation des complexes à partir des courbes de neutralisation du chitosane par l’hydroxyde de sodium en présence de cuivre (R = 0,25 ; pL = - log [Ligand]).

Rhazi et al., 2002, fig. 2 © 2001, Elsevier Science Ltd. All rights reserved.
28Il tend vers une valeur égale à 2, démontrant ainsi la présence essentiellement de deux types de complexe (figure 2) :
[Cu (-NH2)]2 + dont la formation débute pour un pH égal à 5,3 (complexe I) ;
[Cu (-NH2)2]2 + qui est formé dès que le pH est supérieur à 5,8 (complexe II).
29En outre, le degré de polymérisation (DP) joue un rôle dans les interactions des oligomères de chitosane avec les ions Cu (II) [Rhazi et al., 2002]. Le DP moyen en nombre de 6,5 est la limite inférieure pour laquelle la complexation devient effective.
Figure 2. Structure des complexes Cu-chitosane.

30Pour d’autres ions métalliques, des structures similaires de complexe de type I et II sont proposées en utilisant des techniques spectroscopiques (infrarouge ou XPS). Par exemple, il a été montré que les groupements hydroxyle des positions C-3 et C-6 ne sont pas impliqués dans la complexation des ions métalliques des terres rares telles que Er3 + et Nd3 + (Jiang et al., 1997).
31Pendant que le chitosane complexe fortement les métaux alcalins et alcalino-terreux, des dérivés du chitosane (tels que les dérivés phosphorylés) sont capables de complexer Mg (II), Sr (II) et Ba (II) [Nishi et al., 1987].
32La formation d’un complexe ternaire entre les ions calcium, le chitosane et l’undé-cylènate de sodium a aussi été observée (Demarger, 1990). Il a été ainsi montré qu’un ion calcium impliqué dans la formation d’une paire d’ions avec deux groupements carboxylate était ensuite complexé avec les groupes amine du chitosane.
33En conséquence, il semble que l’interaction entre le chitosane et les ions alcalino-terreux est possible à travers la formation d’un complexe ternaire au lieu d’une coordination directe comme dans le cas des métaux lourds (figure 3). Cela a été le cas du strontium pour lequel aucune interaction particulière n’a été détectée entre le strontium et le chitosane seul.
34Par contre, les ions carbonate jouent un rôle particulier pour favoriser ces interactions (Piron et Domard, 1998). La paire d’ions Sr2+, CO32- est tout d’abord formée et est ensuite complexée avec un groupe amine du chitosane selon la structure donnée dans la figure 3.
Figure 3. Complexe ternaire entre le chitosane, le strontium et les ions carbonate.

Source : Piron et Domard, 1998 © 1998 Elsevier Science B.V. All rights reserved.
35Pour ce qui concerne les colorants, bien que les groupements hydroxyle du squelette macromoléculaire puissent être impliqués dans l’adsorption des molécules de colorants, les groupements amine restent les groupements les plus actifs et influent sur les performances des polymères.
36Guibal et al. (2003) ont observé qu’une augmentation du DD implique une augmentation de la proportion relative de groupements amine, qui sont susceptibles de se protoner, favorisant ainsi l’adsorption des colorants. Toutefois, ils indiquent que la variation des propriétés d’adsorption n’est pas proportionnelle au DD, mais qu’elle change avec la nature du colorant.
37Saha et al. (2005), en étudiant l’adsorption d’un colorant portant un groupe azo sur des flocons de chitosane, ont rapporté que les résultats étaient très dépendants du DD du polymère. Plus il est élevé, plus l’adsorption est importante.
38Plus récemment, il a été observé que les propriétés du chitosane ne dépendaient pas seulement de la valeur du DD, mais également de la répartition des groupements acétyle le long de la chaîne macromoléculaire (Rinaudo, 2006).
39Dotto et al. (2015) ont montré, en utilisant des colorants alimentaires tels que le FD & C Rouge 2 ou amaranthe (figure 4), que les ramifications, le nombre de groupes sulfate et la masse molaire du colorant jouent un rôle important sur les propriétés d’adsorption ; les groupements sulfate sont plus importants que les autres groupes pour ce qui concerne l’adsorption des colorants alimentaires synthétiques sur le chitosane.
40De nombreuses revues et articles ont été rédigés sur l’adsorption d’ions métalliques (Guibal, 2004) ou de colorants (Crini et Badot, 2008) et nous avons orienté les exemples d’application sur les contaminants organiques tels que les médicaments, les pesticides (herbicides) ou encore les perturbateurs endocriniens.
Figure 4. Structure de l’amaranthe.

2.2. Adsorption de composés organiques par le chitosane
41Les contaminants organiques (colorants, pesticides et herbicides, médicaments, etc.) sont devenus un des problèmes environnementaux les plus sérieux, et leur élimination des solutions aqueuses est un souci majeur car ils sont récalcitrants et deviennent persistants dans l’environnement.
Médicaments
42La France est le quatrième consommateur mondial de médicaments. Plus de 3 000 médicaments à usage humain et 300 médicaments vétérinaires sont actuellement disponibles sur le marché français. Les substances actives contenues dans ces médicaments se caractérisent par des structures chimiques très variées.
43Une fois que ces médicaments ont agi dans l’organisme, ils sont excrétés, essentiellement dans les selles et les urines, puis sont rejetés dans les réseaux d’eaux usées (médicaments humains) et dans les sols (médicaments vétérinaires).
44Ces résidus de médicaments se retrouvent d’une manière ou d’une autre dans l’environnement et potentiellement dans nos sources d’eau potable. Une fois que ces substances pharmaceutiques se retrouvent dans l’environnement, elles peuvent contaminer les organismes vivants et potentiellement les affecter, surtout si elles sont bioaccumulables.
45Il est donc important de mieux traiter les eaux usées afin d’éliminer les résidus de médicament et ne plus les rejeter dans les milieux aquatiques.
46Les produits pharmaceutiques peuvent être éliminés par adsorption par des polymères synthétiques ou naturels. Parmi les polymères naturels, la cellulose, l’alginate de sodium ou le chitosane sont parmi les polymères les plus testés. En effet, ils contiennent un grand nombre de groupements hydroxyle ou amine capables de former des interactions hydrogène avec les groupes fonctionnels des antibiotiques par exemple.
47Parmi ces polymères, le chitosane apparaît comme le plus efficace. Si la céfopérazone est considérée (figure 5), le chitosane permet d’éliminer 13 % de la quantité totale durant les trois premières heures alors que la cellulose n’est pas active durant ce laps de temps (El-Shafey et al., 2014).
48Les groupements amine présentent une activité supérieure par comparaison aux groupements hydroxyle ou carboxylique. De même pour ce qui concerne la tétracycline (figure 5), le chitosane démontre de très bonnes capacités d’adsorption (Caroni et al., 2009).
49Toutefois, la solubilité du chitosane en milieu acide peut porter préjudice à son utilisation. La réticulation permet de répondre à ce problème, mais cette réaction fait intervenir les groupements fonctionnels du chitosane, et ainsi réduit le nombre de sites susceptibles d’adsorber le médicament.
50De même, la porosité qui est un paramètre important dans le phénomène et l’efficacité d’adsorption d’un matériau seront réduites. Pour répondre à cette problématique, des particules magnétiques ont été incorporées durant l’élaboration du matériau qui sont ensuite récupérées à l’aide d’un champ magnétique externe (Figueroa et al., 2004).
51En suivant la même stratégie, Oladoja et al. (2014) ont réticulé des chaînes de chitosane par du glutaraldéhyde (GLU) en présence de coquilles de gastéropode, agent porogène dérivé des coquilles d’escargot d’Afrique Achatina achatina à la suite de leur dissolution dans HCl et de magnétite. Le temps court (deux heures) nécessaire pour atteindre l’équilibre démontre plutôt un mécanisme cinétique de chimisorption plutôt que diffusionnel (Lazaridis et al., 2003), et le processus est réversible. Cette adsorption est favorisée en milieu acide.
52Un second exemple choisi est le diclofénac et le dipyrone (figure 5), anti-inflammatoires non stéroïdiens, dont la consommation mondiale est extrêmement importante. Dans ce cas, ce sont plutôt les interactions entre les groupements amine du chitosane et carboxylique du diclofénac d’une part, et sulfoxyde du dipyrone d’autre part (Carvalho et al., 2011) qui sont à l’origine de l’adsorption.
53Les valeurs maximales d’adsorption de ce composé par des microsphères de chitosane s’élèvent à 5,25 x 10-4 mol par g pour le diclofénac et 4,83 x 10-4 mol par g pour le dipyrone. Le mécanisme est alors plus complexe et ferait intervenir les ions sodium.
54La modification du chitosane permet alors d’ajuster les conditions d’élimination de ces composés. Par exemple, sa réaction avec de l’acétylacétone et de l’éthylènediamine permet d’ajuster le pH afin d’optimiser les conditions de récupération du diclofénac (Pereira et al., 2014) et réduire ainsi le temps nécessaire à l’élimination de ce composé à 45 minutes par comparaison avec 80 minutes avec le chitosane non modifié (Antunes et al., 2012).
Figure 5. Structure chimique de quatre médicaments.

Perturbateurs endocriniens
55Durant ces dernières années, les perturbateurs endocriniens (PE) sont devenus les molécules les plus étudiées quant à leur élimination à cause de leur potentiel à causer des effets négatifs sur les systèmes endocriniens humains, de la faune et la flore (Liu et al., 2009 ; Bicchi et al., 2009). Les bisphénols (tels que le bisphénol-A ou bisphénol-F) comme les chlorophénols (tels que le 2,4,6-trichlorophénol, le 2,4-dichlorophénol ou le pentachlorophénol) sont les plus typiques utilisés dans les activités industrielles ou agricoles (figure 6).
56De manière générale, la technique d’adsorption est efficace et économiquement faisable pour l’élimination de ces familles de molécules (bisphénols, chlorophénols) [Sun et al., 2010]. Le carbone actif est le composé le plus utilisé pour cette application. Mais l’usage d’argiles ou de composites à base d’argile a été développé récemment (Tsai et al., 2006 ; Hameed, 2007).
57La combinaison de particules magnétiques et d’adsorbants conventionnels est, dans ce cas aussi, très étudiée. Pan et al. (2011) ont élaboré des composites chitosane/ nanoparticules d’oxyde de fer (Fe2O3) ou des particules de cendres volantes. La présence de magnétite permet de séparer facilement ces particules après l’adsorption à l’aide d’un champ magnétique extérieur. Les quantités adsorbées sont de 31,92 mg g-1 pour le bisphénol-A et 68,89 mg g-1 pour le 2,4,6-trichlorophénol.
58Un autre type de PE d’importance concerne les phtalates ou esters de l’acide phtalique. C’est une classe de composés industriels largement utilisés connus comme les esters aryle-alkyle ou dialkyle de l’acide 1,2-benzènedicarboxylique. Ce sont des plastifiants utilisés pour améliorer la flexibilité des matières plastiques telles que le poly (chlorure de vinyle) par exemple (Julinova et Slavik, 2012).
59Certains sont fournis comme des composés purs comme le di (2-éthylhexyl) phtalate (DEHP) alors que d’autres sont des mélanges complexes d’isomères tels que le di-isodé-cylphtalate (DIDP). Ils sont utilisés pour de nombreuses applications telles que les revêtements de sols, les meubles ménagers, l’emballage alimentaire, les tubulures industrielles et médicales, etc.
60Au regard de leur production importante et de leur usage, ces composés chimiques sont régulièrement libérés dans l’environnement car ils ne sont pas liés de manière permanente aux chaînes polymères et ils peuvent alors migrer des matières plastiques vers l’environnement.
61La production actuelle mondiale est de l’ordre du million de tonnes (Julinova et Slavik, 2012) et environ 25 000 tonnes se retrouvent dans l’environnement. Fromme et al. (2002) mentionnent des concentrations de DEHP dans l’eau de surface de 98 mg L-1, et jusqu’à 8,44 mg kg-1 dans les sédiments et 154 mg kg-1 dans les boues de traitement des eaux usées.
62Bien que les phtalates soient rapidement excrétés par l’organisme, certains d’entre eux, à cause de leurs propriétés lipophiles, se déposent dans les tissus graisseux. La plupart des phtalates présentent une faible toxicité aiguë mais l’exposition chronique à ces esters peut engendrer de sérieux effets toxiques envers les animaux rongeurs, voire les êtres humains.
63Les phtalates sont connus pour exercer des effets hépatotoxiques, tératogènes et mutagènes (Seth, 1982) : le DEHP a été associé à des symptômes respiratoires et des maladies des poumons. Ils sont également bien connus pour interférer avec le système de reproduction et le développement de certains organes (Cabana et al., 2007).
64La méthode de suppression des phtalates la plus appliquée est la dégradation microbienne. Mais, cette technique est très consommatrice en temps et les phtalates à longue chaîne sont faiblement dégradés (Ejlerstsson et al., 1997).
65L’adsorption par du carbone actif s’est révélée non sélective et chère, ses performances dépendant fortement du type de carbone utilisé (Crini, 2005). En outre, ces technologies sont susceptibles d’éliminer les phtalates de l’eau, mais peu de technologies sont connues pour éliminer leurs métabolites tels que les monoesters de phtalate et l’acide phtalique lors de leur hydrolyse.
66Il a été prouvé que les billes de chitosane peuvent efficacement éliminer certains esters de phtalates des solutions aqueuses (Chen et Chung, 2006, 2007). Si les groupements amine du chitosane peuvent interagir avec les groupements carbonyle des monoesters et de l’acide phtalique, il serait alors possible que ces billes puissent éliminer ces métabolites (Salim et al., 2010) [figure 6].
Figure 6. Adsorption de trois esters de phtalate (DEHP = di- (2-éthylhexyl) phtalate, DMP = diméthylphtalate et DBP = dibutylphtalate) sur des billes de chitosane en solution à 25 °C et à pH 7.

Source : Salim et al., 2010, fig. 2 © 2010, Elsevier Science Ltd. All rights reserved.
67Pour ce qui concerne les diesters, les résultats montrent une rapide adsorption initiale suivie d’une stabilisation progressive et la capacité d’adsorption des diesters par le chitosane est de l’ordre de 0,01-0,02 mg g-1.
68Le DEHP montre une adsorption plus lente et plus faible que le DBP, ce qui est expliqué par une hydrophobie plus importante lui rendant plus difficile le contact avec les chaînes de chitosane. Les monoesters sont moins adsorbés que les diesters malgré la présence de groupements carboxylate au-delà de leur pKa, en relation avec leur hydrophobie importante.
69Par contre, l’acide phtalique est plus fortement adsorbé (capacité d’adsorption de 0,03 mg g-1) grâce à la présence des groupements carboxylate qui interagissent avec les groupements amine du chitosane (Salim et al., 2010). Les mécanismes d’adsorption sont alors différents : le chitosane adsorbe les diesters principalement par interaction hydrophobe et par interaction entre groupements polaires avec l’acide phtalique.
70L’adsorption des substances organiques dépend de la taille de ces molécules, de leur structure chimique et de leur polarité. Généralement, plus la molécule est grande, meilleure est l’adsorption. L’influence de la structure est forte à travers la présence de groupements fonctionnels qui peuvent s’adsorber sur différentes surfaces, selon les interactions qu’ils peuvent avoir avec elles, selon le pH par exemple, et leurs ionisations respectives.
71Les premiers tests d’adsorption des phtalates par le chitosane datent du début des années 2000 (Chen et Chung, 2006). Les tests statiques ont permis d’étudier l’influence de paramètres tels que le pH, la température, les ions Ca2 + (dureté de l’eau) et la salinité sur l’adsorption des phtalates par le chitosane.
72Ces résultats ont montré que l’adsorption décroît pour des températures supérieures à 40 °C et que le pH optimal est de 8. Aucun effet de la salinité n’a été observé et il faut des concentrations en ions calcium supérieures à 400 mg L-1 pour que l’adsorption des phtalates soit affectée.
73Salim et al. (2010), comparant l’adsorption des phtalates et de l’acide phtalique, ont montré que le chitosane adsorbe les phtalates par interaction hydrophobe et l’acide phtalique par interaction entre groupements polaires.
74Afin d’améliorer l’adsorption des phtalates, l’usage de chitosanes sur lesquels des a-cyclodextrines sont greffées a été testé (Chen et Chung, 2006). Enfin, des billes de chitosane imprégnées de molybdène ont aussi été testées (Chen et Chung, 2007), et dans tous les cas, l’adsorption des phtalates a été améliorée et l’influence du pH, de la salinité et des ions calcium a été minimisée.
Figure 7. Structure chimique de quatre perturbateurs endocriniens.

Herbicides
75Un dernier exemple concerne les herbicides. Ces substances deviennent biologiquement actives lorsqu’elles sont appliquées à des plantations et elles sont transportées plus tard vers les sols et les systèmes aquatiques (Nunez et al., 2002).
76L’usage excessif des pesticides en général a mené à des effets néfastes à court et long terme sur la santé humaine tels que des anormalités de reproduction, des cancers, des perturbations hormonales, ou encore des immunosuppressions (Singh et al., 2010).
77Agostini de Moraes et al. (2013) ont étudié l’adsorption d’herbicides tels que le diquat (DQ), le difenzoquat (DF) et le clomazone (CLO) par le chitosane (et/ou l’alginate) sous forme de membrane (figure 8). Ces composés diffèrent en particulier par leur polarité (DQ est très polaire avec deux charges positives alors que DF n’en a qu’une et le CLO aucune).
78Les membranes de chitosane n’adsorbent pas ces herbicides de par leurs charges positives communes et la répulsion électrostatique qui en résulte, au contraire des membranes d’alginate ou contenant les deux polymères.
Figure 8. Structure chimique de quatre herbicides.

79Par contre, lorsque le glyphosate est considéré l’effet inverse est observé. Cette substance est un herbicide non sélectif qui est efficace contre tous les types de mauvaises herbes et elle est utilisée depuis de nombreuses années. Elle est disponible depuis 1973 et c’est actuellement l’herbicide le plus utilisé.
80Son usage intensif a mené à ce que certaines mauvaises herbes deviennent résistantes et tolérantes envers certains composés chimiques. Il en résulte une augmentation continue des quantités de glyphosate utilisées dans les cultures.
81Différentes techniques ont été développées pour son élimination des ressources aquatiques incluant les techniques membranaires (microfiltration, ultrafiltration, osmose inverse), l’adsorption par le charbon actif et la dégradation biologique.
82Des membranes à base de polysaccharide (chitosane et alginate) ont été aussi testées (Carneiro et al., 2015). La membrane contenant du chitosane seul montre la plus forte capacité d’adsorption par comparaison à la membrane à base d’alginate ou composée de chitosane et d’alginate avec un ratio 1 : 1 (figure 9). Cela s’explique par le fait que la molécule de glyphosate est anionique (en fonction du pH) alors que le chitosane possède des charges positives, ce qui facilite les interactions électrostatiques attractives entre le polymère et l’herbicide, au contraire de l’alginate, anionique.
83Les isothermes d’adsorption sont le mieux modélisées par le modèle de Freundlich (par comparaison avec celui de Langmuir). Cela permet de proposer que l’adsorption du glyphosate ne s’effectue pas par la formation d’une monocouche sur une surface homogène mais plutôt sur une surface hétérogène et non réduite à une monocouche. La quantité maximale de glyphosate adsorbée est de 10,9 mg g-1 pour les membranes à base de chitosane et de 8,7 mg g-1 pour les membranes à base de chitosane et alginate (1 : 1).
Figure 9. Courbes cinétiques de l’adsorption de glyphosate par des membranes de chitosane (CS) et de chitosane/alginate (CS/AG) à T = 25 °C et à pH = 6,5.

Source : Carneiro et al., 2015, fig. 1 © 2015, Elsevier Science Ltd. All rights reserved.
3. Le chitosane en coagulation-floculation et en ultrafiltration assistée par complexation
3.1. Coagulation et floculation
Principe
84Le chitosane est soluble en milieu acide (à l’exception de l’acide sulfurique et en moindre proportion en milieu acide phosphorique). Cette propriété est liée à la protonation des fonctions aminées et à la rupture des interactions hydrogène interchaînes qui contribuent à la structuration solide du biopolymère. Cette solubilisation est fonction de la concentration du biopolymère, du pH et de la structure chimique du chitosane (et plus particulièrement son DD).
85Les caractéristiques acido-basiques du chitosane dépendent notamment du DD (Sorlier et al., 2001) : le pKa des fonctions aminées varie entre 6,3 et 6,8 pour la majorité des chitosanes commerciaux (taux de désacétylation intermédiaire compris entre 75 et 95 %).
86Pour un pH inférieur à 4,5 (contrôlé par l’acide acétique ou l’acide chlorhydrique), la grande majorité des fonctions aminées sont donc protonées et le chitosane commence généralement à se solubiliser.
87Cette protonation confère au biopolymère un potentiel d’attraction électrostatique vis-à-vis de composés anioniques à l’identique des phénomènes intervenant dans l’adsorption d’anions métalliques tels que le molybdate, le vanadate, et les espèces chloro-anioniques (tétrachloropalladate ou hexachloroplatinate) [Chassary et al., 2004].
88Les composés anioniques peuvent alors interagir avec les fonctions aminées pour provoquer une neutralisation de charge. Cette interaction est la base du mécanisme de coagulation qui peut être mis en place pour éliminer des composés anioniques dissous ou des aloïdes anioniques dont la sédimentation est trop lente pour permettre un traitement compétitif.
89Rappelons le principe de la coagulation-floculation (notée CF). Les matières en suspension aloïdale sont des particules intermédiaires entre les suspensions et les solutions vraies. Elles sont généralement stabilisées par la présence de charges de même nature qui conduisent à une répulsion limitant leur agrégation.
90Leur densité et leur taille conduisent alors à des temps de décantation et de sédimentation extrêmement longs qui limitent la possibilité de les éliminer naturellement dans des conditions compétitives de traitement.
91La coagulation a pour objectif de neutraliser les charges de surface de ces aloïdes afin de limiter les forces de répulsion et de permettre leur agrégation (sous agitation). En augmentant la densité et la taille de ces particules neutralisées, on accélère très significativement leur capacité à sédimenter.
92Cette action de neutralisation peut s’effectuer, en fonction des caractéristiques des aloïdes (cationiques, anioniques, neutres), de l’application (potabilisation, traitement primaire, agroalimentaire) par des sels métalliques ou des coagulants (cationiques, neutres, anioniques) organiques.
93Parmi les réactifs les plus fréquemment employés, il convient de signaler les cations métalliques (sels de fer ou d’aluminium), le chlorure de polyaluminium (PAC), le chlorure de poly-diallyldiméthyl-ammonium (PDADMAC) et les polyacrylamides.
94Certains de ces composés présentent des inconvénients techniques (production de boues potentiellement toxiques en volumes importants) ou environnementaux (relargage de monomères d’acrylamide, d’aluminium avec des effets néfastes, encore débattus, sur la santé humaine et animale).
95Il y a donc « la place » pour développer des systèmes alternatifs utilisant des substituants plus écocompatibles à partir de matières premières renouvelables (tannins, chitosane, alginate, etc.).
96La deuxième phase du processus de CF consiste à floculer les matières en suspension agrégées. La neutralisation des charges en réduisant les phénomènes de répulsion conduit généralement à faciliter l’agrégation de ces particules et aloïdes qui, par la taille et la densité acquises peuvent décanter plus facilement.
97Ce phénomène peut toutefois être favorisé par l’utilisation d’un floculant (polymère de haut PM) dont le réseau va contribuer à emprisonner les particules, à favoriser leur agglomération en jouant le rôle d’un « filet » qui facilitera, à son tour, la sédimentation des agrégats.
98Le chitosane, ayant la propriété d’être lui-même un polymère potentiellement de haut poids moléculaire, peut donc jouer ce double rôle de coagulant et de floculant. Son efficacité en termes de CF va donc être directement impactée par ses caractéristiques intrinsèques telles que le DD (qui influence sur les propriétés acido-basiques et de neutralisation de charge) et le poids moléculaire (qui influence sur les propriétés floculantes).
99Une lecture directe des propriétés du chitosane en CF en lien avec les caractéristiques du biopolymère se révèle toutefois complexe dans la mesure où ces propriétés peuvent être significativement modulées par la distribution des groupes acétylés/désacétylés sur la chaîne du biopolymère.
Figure 10. Illustration d’un appareil de jar-test.

Source : © Velp Scientifica.
100Les principaux avantages additionnels de ces matériaux portent sur la nocivité réduite des déchets obtenus en fin de traitement (comparativement à d’autres coagulants et floculants qui peuvent générer des relargages de métaux ou de composés potentiellement toxiques tels les monomères d’acrylamide), et la diminution significative des boues produites (en comparaison avec les coagulants minéraux conventionnels, par exemple).
101En pratique, en laboratoire, les essais sont réalisés en utilisant un jar-test (figure 10) ; le procédé CF s’effectue en trois étapes :
Une agitation intense (200 rpm) de la suspension en présence de l’ajout de coagulant pendant une durée limitée à 3-5 minutes ;
Une agitation lente (à une vitesse de 40-50 rpm) de la suspension (précoagulée) en vue de la « maturation » (agglomération) des agrégats (pendant une vingtaine de minutes) ;
Une décantation de la suspension pendant 30 à 60 minutes (en fonction de la taille des flocs formés, de leur capacité à décanter).
Exemple du traitement des suspensions minérales
102Les unités industrielles de préconditionnement des eaux de procédé sont parfois amenées à alecter des eaux de surface dont la charge en matières en suspension (MES) peut être significativement élevée. Il s’agit souvent de matières minérales aloïdales en suspension (telles des argiles de type bentonite ou montmorillonite), en particulier à la suite de fortes pluies : la remise en suspension des alluvions conduit à des eaux de surface qui « charrient » (forte turbidité liée à ces aloïdes minéraux).
103Cette charge peut influencer la qualité des procédés de fabrication et un prétraitement est généralement requis pour clarifier ces eaux. Cela peut représenter également une étape cruciale de prétraitement des prélèvements d’eau dans les eaux de surface alimentant les stations de potabilisation.
104L’élimination des MES est donc un créneau particulièrement porteur. La charge portée par ces matières minérales en suspension (argiles) au pH naturel est généralement négative (ce qui permet d’expliquer les phénomènes de répulsion et la « stabilisation » en suspension de ces particules).
105L’utilisation du chitosane (de caractère cationique en milieu acide) se justifie d’évidence pour procéder à la neutralisation des charges de surface de ces aloïdes minéraux et en faciliter l’agglomération.
106Différentes études ont montré que les performances de CF de suspensions de bentonite sont fortement affectées par des paramètres comme le pH, la charge en MES, la concentration du chitosane, et la charge ionique de la solution (présence de sels vs. eau pure) [Roussy et al., 2004]. Ces paramètres doivent être ajustés de manière très « fine ».
107En effet, ajouter un excès de charges cationiques peut conduire à « restabiliser » la suspension. L’efficacité relative du procédé de coagulation est améliorée quand la charge en MES est augmentée : l’agrégation est facilitée par la densité de particules (à partir du moment où la neutralisation des charges est réalisée).
108La figure 11 illustre l’effet du pH et de la concentration en chitosane sur la décantation des matières en suspension d’une eau turbide « synthétique ».
109Un excès de chitosane protoné peut conduire à donner aux particules aloïdales en suspension une charge positive qui provoque à nouveau leur répulsion. Ce phénomène est particulièrement important dans le cas des colorants (cf. paragraphe sur les colorants). Cet excès de charges positives peut résulter d’un ajout excessif de biopolymère mais aussi du pH (qui influence la protonation des fonctions aminées).
110La présence de sels (salinité de la solution, dureté de l’eau) peut également impacter la performance de CF, par un effet d’écran de charges. Ainsi, toutes conditions égales par ailleurs, la comparaison des profils cinétiques d’abattement de la turbidité pour des suspensions préparées respectivement dans de l’eau déminéralisée et de l’eau de ville montre que des forces ioniques faibles (eau déminéralisée) limitent l’efficacité du procédé à pH proche de la neutralité (faible protonation du chitosane) alors qu’à pH légèrement acide (i. e., pH 5) l’impact de la force ionique est plus limité (Roussy et al., 2005b).
111Il est frappant de constater que les doses de coagulant-floculant à introduire dans la suspension sont particulièrement faibles : pour les « suspensions synthétiques » réalisées dans leur étude, Roussy et al. (2005b) ont observé que, pour des suspensions légèrement acidifiées (à pH proche de 5), des concentrations de chitosane de l’ordre de 0,1 mg L-1 sont suffisantes pour abattre la turbidité de suspensions préparées avec des teneurs initiales de quelques g L-1 de bentonite à des valeurs inférieures au seuil requis de turbidité (i. e., 5 FTU, formazine turbidity unit).
Figure 11. Effet du pH d’une suspension synthétique d’eau turbide et de la concentration en chitosane (comparé au processus de décantation naturelle, symboles fermés, échelles spécifiques) sur l’évolution de la turbidité dans le surnageant (T0 représente la turbidité initiale de la suspension).

112Outre ces paramètres intrinsèques à l’effluent ou à la prise d’eau, d’autres paramètres plus spécifiques au biopolymère peuvent influencer ces performances. Toujours sur des « suspensions synthétiques », Roussy et al. (2005b) ont mis en évidence l’importance des caractéristiques propres au chitosane :
Le DD (et donc les propriétés acido-basiques du biopolymère et sa capacité à se protoner) affecte la densité de charges cationiques apportées pour la neutralisation des charges des aloïdes minéraux ;
Le PM qui influence davantage le rôle floculant du biopolymère (capacité à réaliser des pontages entre les aloïdes neutralisés et à favoriser leur agrégation).
113La figure 12 présente la comparaison des profils cinétiques de décantation pour six échantillons de chitosane de même DD (i. e., 89,5 %) avec des masses molaires décroissantes de B1 à B6 (cf. légende de la figure 11). Ces essais réalisés sur des suspensions « synthétiques » (dont la turbidité initiale variait entre 144 et 162 FTU) illustrent de manière très claire l’effet important de la masse molaire sur l’efficacité de la décantation à faible concentration en chitosane (i. e., 0,085 mg L-1) : l’efficacité du procédé diminue avec la masse molaire du biopolymère.
114Augmenter le dosage d’adsorbant (i. e., 0,17 mg L-1) permet toutefois de niveler cet effet : en doublant la concentration du biopolymère, le classement entre les différents chitosanes est maintenu mais les écarts entre les turbidités résiduelles (quel que soit le temps de sédimentation) sont considérablement réduits.
115Augmenter la concentration augmente la densité de la solution du biopolymère, sa viscosité, et favorise en retour le « maillage » de la solution (effet « filet »).
116La dernière partie de la figure corrèle la turbidité résiduelle dans le surnageant des suspensions après 30 minutes de décantation avec la viscosité des échantillons de chitosane (mesurée dans une solution à 1 ou 2 mg L-1 dans une solution tampon 0,2 M acide acétique/0,15 M acétate d’ammonium à pH 4,5, et à 25 °C), dans le cas de l’expérience réalisée avec le dosage de chitosane de 0,085 mg L-1. Cette courbe illustre l’effet important du poids moléculaire sur l’efficacité de coagulation-floculation.
117Enfin, la figure 13 illustre l’effet du DD sur l’efficacité de traitement d’une suspension « synthétique » de bentonite (préparée avec de l’eau de ville et de l’eau déminéralisée) à pH 5 et à pH 7 pour des échantillons de chitosane de DD variable entre 78 et 95 % (combiné avec une variation simultanée de la masse molaire, toutefois dans le même ordre de grandeur ; i. e., entre 182 300 et 308 300 g mol-1).
118Les différences dans les profils cinétiques de décantation sont peu marquées quand le taux de désacétylation varie (tout au moins entre 78 % et 95 %). Les différences les plus significatives sont observées à pH 7 dans l’eau déminéralisée (l’effet d’écran de charges de l’eau de ville, et des ions présents, limite l’impact de ce paramètre).
Figure 12. Effet de la masse molaire du chitosane (DD = 89,5 %) sur la vitesse de décantation d’une suspension de bentonite préparée à pH 7 dans de l’eau de ville (dosage de chitosane 0,085 et 0,17 mg L-1) et corrélation de la turbidité à 30 minutes de décantation avec la viscosité de la solution (fonction de la masse molaire du biopolymère ; MWw B1-B6 : 308 300/235 200/222 000/155 000/94 300/80 100 g mol-1).

Source : Données personnelles et Roussy et al., 2005b© 2005 Elsevier Ltd. All rights reserved.
Figure 13. Effet du taux de désacétylation sur la vitesse de décantation de suspensions de bentonite à pH 5 et pH 7 pour des dosages en chitosane de 0,17 mg L-1 (DA (%)/MWw (g mol-1) : pour A : 78/230 700, pour B1 : 89,5/308 300 et pour C1 : 95/182 300 ; symboles vides : eau de ville, échelle de turbidité 0,25 FTU ; symboles pleins : eau déminéralisée, échelle de turbidité 0-150 FTU.

Source : Roussy et al., 2005b© 2005 Elsevier Ltd. All rights reserved.
119Des conclusions similaires ont été récemment rapportées dans la coagulation-floculation par le chitosane de suspensions de kaolinite (Li et al., 2013a) et de bentonite (Li et al., 2013b). Cela peut s’expliquer par l’impact de la force ionique sur :
La conformation du polymère en solution (la limitation de l’effet de répulsion entre segments améliore la flexibilité de sa structure) ;
Le pKa des fonctions aminées (effet d’écran de charges) [Strand et al., 2001].
120L’efficacité du chitosane pour coaguler et floculer des suspensions de bentonite peut être améliorée par un préconditionnement du chitosane avec des sulfates ou bisulfates de sodium, de potassium et d’ammonium (Chatterjee et al., 2009). Parmi les différents traitements appliqués, l’amélioration la plus significative a été obtenue en préconditionnant le chitosane avec de l’hydrogénosulfate de sodium.
121Les dérivés quaternarisés du chitosane permettent également d’améliorer les performances de traitement en jouant à la fois sur la solubilité améliorée du biopolymère et sur ses propriétés cationiques (sur de plus larges plages de pH) [Yang et al., 2014b]. Les performances de traitement de suspensions minérales ont été également améliorées par l’insertion de groupements sulfate sur le chitosane (Rios-Donato et al., 2012).
Exemple du traitement des effluents colorés
122Les effluents colorés (ou les agents de teintures : pigments et colorants) se rencontrent souvent sous forme parfaitement dissoute (et non plus sous forme d’aloïdes) et peuvent présenter une affinité pour le chitosane.
123Le procédé le plus classique de traitement des effluents colorés par le chitosane consiste en une adsorption des composés anioniques (typiquement les colorants portant des groupements sulfoniques) sur les fonctions aminées protonées en milieu acide par un mécanisme d’attraction électrostatique ou d’échange d’ions (Guibal et al., 2003 ; Gibbs et al., 2003, 2004 ; Crini et Badot, 2008 ; Barron-Zambrano et al., 2010).
124Il convient toutefois de noter que ce mécanisme d’échange ionique et/ou d’attraction électrostatique peut également se produire directement en solution entre le colorant et le chitosane dissout. Cette interaction se traduit alors par la CF du colorant.
125La neutralisation des charges anioniques du colorant et leurs interactions avec les chaînes polymères chargées (cationiques) du chitosane provoquent la précipitation des complexes chitosane-colorant, leur agglomération sous forme de flocs (de quelques dizaines de µm), suivie de leur précipitation/décantation (figure 14).
Figure 14. Microphotographie optique de flocs de colorant/chitosane : a) flocs simples et b) agglomération de flocs.

Source : Szygula et al., 2009, fig. 8 © 2009, Elsevier Science Ltd. All rights reserved.
126Ces mécanismes forment la base des procédés de coagulation et de floculation des colorants par le chitosane (Guibal et Roussy, 2007 ; Szygula et al., 2008, 2009 ; Renault et al., 2009 ; Jiang et al., 2011 ; Patel et Vashi, 2012 ; Wang et al., 2012).
127La figure 15 illustre l’impact de la concentration en coagulant sur l’efficacité de coagulation-floculation d’un colorant anionique, le Reactive Black 5 (Guibal et Roussy, 2007). Ces essais, réalisés pour différentes concentrations à pH 3 (mais des tendances similaires sont observées aux autres valeurs de pH), montrent un profil en V typique du phénomène de déstabilisation/restabilisation.
Figure 15. Effet de la concentration en chitosane sur la décroissance relative (C/C0) de la concentration du colorant Reactive Black 5 à pH 3 pour différentes concentrations en colorant.

Source : Guibal et Roussy, 2007, fig. 5 © 2006, Elsevier B.V. All rights reserved.
128À faible concentration en coagulant, l’ajout de concentrations croissantes de biopolymère améliore l’efficacité de traitement. Lorsque la quantité de coagulant (donc de charges cationiques apportées) atteint la quantité stœchiométrique de charges anioniques portées par le colorant (quatre groupes sulfoniques), la concentration résiduelle du colorant atteint un minimum.
129Dès lors qu’un ajout supplémentaire de coagulant est introduit, la suspension se restabilise (excès de charges cationiques) et l’efficacité du coagulant diminue. Quand la concentration de colorant augmente, logiquement la concentration limite de chitosane (concentration optimale) augmente. Cette augmentation s’effectue en proportions stœchiométriques.
130Il convient de noter que l’optimum de concentration (concentration limite) est très précis et que la pente de la courbe de restabilisation est plus forte que celle de la courbe de stabilisation : l’optimisation du dosage d’adsorbant est donc relativement délicate. Dans ces conditions (notamment pH 3), toutes les fonctions aminées sont protonées et en capacité de réagir avec les fonctions sulfoniques portées par le colorant (quatre par molécule).
131La proportion optimale de chitosane à ajouter approche de la relation stœchiométrique théorique de 0,2-0,3 entre le RB5 et le chitosane. Le coefficient stoechiométrique (i. e., [n] ou mol colorant/mole de fonctions aminées protonées) est obtenu en prenant en compte la concentration optimale, la pureté du colorant, le DD du chitosane, ainsi que son hydratation, etc.) [Guibal et Roussy, 2007].
132Le même type d’expérimentations a été réalisé sur trois colorants de structures chimiques différentes et le coefficient stœchiométrique, [n], a été déterminé à différentes concentrations de colorant (tableau 1) [Szygula et al., 2008].
Tableau 1. Structure de trois colorants anioniques et coefficient stœchiométrique [n] à concentration optimale en chitosane et à pH 3.

Source : Szygula et al., 2008 © 2008, Elsevier B.V. All rights reserved.
133Dans le cas des colorants Acid Violet 5 (AV 5) et Reactive Black 5 (RB 5), le coefficient stoechiométrique est cohérent avec la stœchiométrie attendue (sur la base du nombre de groupes sulfoniques présents sur le colorant), alors que pour le colorant Acid Black 1 (AB 1), la quantité requise de chitosane est inférieure à la quantité nécessaire pour la neutralisation effective des groupes sulfoniques.
134Cela a été attribué à un phénomène d’autoagrégation des molécules de colorant qui conduit à réduire la quantité de colorant effectivement nécessaire. Il n’est donc pas systématiquement possible d’adapter la dose de coagulant en fonction de la concentration du colorant mais, dans la majorité des cas, la stœchiométrie est respectée.
Figure 16. Effet de la concentration en chitosane sur l’efficacité de coagulation-floculation du Reactive Black 5 à pH 5 (et ponctuellement pH 3) pour deux types de chitosane (taux de désacétylation : 89,5 % ; MWw : 308 300 g mol-1 pour B1 et 80 100 g mol-1 pour B6 ; les profils sont comparés pour le traitement sans et avec filtration du surnageant (f)) : (a) évolution de la concentration optimale, (b) évolution du coefficient stœchiométrique ([n]).

Source : Guibal et Roussy, 2007, fig. 5 © 2006, Elsevier B.V. All rights reserved.
135L’effet de la masse molaire du chitosane a été également testé sur la coagulation-floculation du RB 5 (figure 16). Le dosage de chitosane optimal croit linéairement avec la concentration initiale du colorant avec une pente du même ordre, quelle que soit la masse molaire du chitosane ; la filtration du surnageant (qui pourrait améliorer la séparation physique des agrégats) n’affecte pas significativement la performance du traitement (figure 17a).
136Le coefficient stœchiométrique ([n]) n’est pas davantage affecté, ni par la filtration, ni pas la masse molaire du chitosane (figure 17b). Cette conclusion contraste avec les observations faites sur la CF des suspensions minérales.
137Dans le cas de solutions de colorants, la neutralisation de charge (liée aux DD et aux charges portées par le biopolymère) a, définitivement, un effet plus marqué sur la performance de traitement que l’effet « filet » (effet de floculation lié à la masse moléculaire).
138Des tests réalisés sur des effluents industriels (complexes) contenant des encres ont confirmé l’intérêt du chitosane. L’ajout d’autres biopolymères (tels que les tannins) se révèle particulièrement bénéfique pour améliorer la performance de traitement (Roussy et al., 2005a).
139La combinaison du chitosane avec les tannins permet d’assurer la CF de l’effluent avec des performances comparables à celles d’un traitement conventionnel de coagulation par le chlorure ferrique mais avec un avantage non négligeable lié à la diminution du volume de boues générées.
Exemple du traitement d’effluents contenant des suspensions organiques
140Le chitosane peut également être utilisé pour le traitement de suspensions contenant de la matière organique (provenant, par exemple, du secteur agroalimentaire) [Dong et al., 2014 ; Chen et al., 2015 ; Fast et Gude, 2015].
141L’utilisation dans ce secteur industriel d’un biopolymère pour le traitement de suspensions organiques conduit naturellement à la production de boues moins toxiques que celles pouvant résulter de l’utilisation de sels métalliques ou de polyacrylamide. Comme corollaire, les boues produites lors de ce traitement peuvent éventuellement faire l’objet d’une valorisation.
142Les propriétés floculantes du chitosane ont également été testées pour le traitement d’effluents de l’industrie papetière : le chitosane (dans les conditions utilisées se révèle plus efficace que le PDADMAC) et la polyéthylèneimine (Nicu et al., 2013).
143Des suspensions organiques ont été préparées par mélange de déchets d’industrie agroalimentaire (production d’arômes alimentaires, déchets de champignons de culture) et leur traitement par CF en présence de chitosane a été étudié (Roussy et al., 2005c).
144Dans ce cas également, le pH a un effet très marqué sur l’efficacité du traitement : en diminuant le pH à 5 la quantité de chitosane à introduire dans la suspension peut être réduite de moitié. En effet, l’analyse par zétamétrie a confirmé le caractère anionique de la suspension. L’effet du DD et de la masse molaire dépend du pH et de la concentration du chitosane.
145En milieu acide, à faible concentration de chitosane le taux de désacétylation et la masse molaire n’ont qu’un impact limité. À très faible concentration en chitosane, l’efficacité du traitement augmente avec la masse molaire. Au contraire, à pH proche de la neutralité, il convient d’utiliser des dosages plus importants de chitosane, d’augmenter le DD et de diminuer la masse molaire.
146Un compromis semble être obtenu en utilisant des dosages de chitosane de l’ordre de 5 mg L-1, en milieu légèrement acide (afin de limiter l’impact des caractéristiques du chitosane).
147Le chitosane a naturellement un effet antimicrobien ou bactériostatique (lié notamment aux fonctions aminées protonées). Cet effet peut être amélioré en le quater-narisant (en donnant au chitosane une structure d’amine quaternaire par greffage de réactifs). Ce traitement a comme corollaire d’augmenter également la solubilité du chitosane en milieu neutre ou alcalin.
148Cette propriété a été mise à profit pour synthétiser un coagulant-floculant à visée antimicrobienne à base de chitosane (par greffage d’une amine quaternaire sur du carboxyméthyl chitosane) [Yang et al., 2014a].
149Cette modification chimique du chitosane a effectivement conduit à augmenter la zone de solubilisation du chitosane. Elle a permis d’obtenir de bonnes performances de coagulation de suspensions chargées en bactéries (de type Escherichia coli) tout en contribuant à l’inhibition et la destruction des parois cellulaires des micro-organismes (rupture des parois, libération des organites cellulaires et mort des cellules).
3.2. Ultrafiltration assistée par complexation
Principe
150L’ultrafiltration assistée par complexation (UFAC) associe l’interaction entre une macromolécule (ici le chitosane) et un soluté avec la séparation physique de la macromolécule chargée (par des réactions de complexation, d’échange d’ions, etc.) au moyen d’une membrane semi-imperméable.
151La force motrice est apportée ici par une mise sous pression du compartiment amont (figure 17). La macromolécule chargée se concentre dans le rétentat alors que la solution traitée est alectée dans le perméat.
152À l’issue du traitement la réaction de complexation (ou d’échange d’ions) peut être inversée (par exemple par changement de pH), la macromolécule peut être récupérée par ultrafiltration, reconditionnée et recyclée, tandis que le soluté peut être récupéré, concentré, éliminé ou valorisé.
153Le chitosane a été testé en UFAC pour la récupération de différents ions métalliques comme le chrome (Aroua et al., 2007), le mercure (Kuncoro et al., 2005 ; Carreon et al., 2010), le cadmium (Llorens et al., 2004), le cuivre et le zinc (Juang et Chiou, 2000), ainsi que le cobalt et le nickel (Juang et Shiau, 2000).
154La figure 18 illustre l’impact du pH sur la rétention à la fois du chitosane et du mercure (complexé au chitosane) dans un dispositif de séparation statique (de type Amicon). Le cut-off des membranes semi-perméables utilisées (50000 et 100000 Da) n’affecte pas significativement les performances de séparation et de rétention qui restent entre 94 et 99 % pour le chitosane (baisse de l’ordre de 2-3 % quand le cut-off de la membrane augmente).
Figure 17. Principe de l’ultrafiltration assistée par complexation et modules discontinu (batch) et continu (module plan à membrane organique) utilisés à l’échelle laboratoire.

155La rétention du mercure est fortement impactée par le pH. Entre pH 2,2 et pH 3,8, la rétention du mercure est négligeable : le chitosane est protoné et présente peu d’affinité pour les ions Hg (II) ; au-delà de pH 4, le chitosane se déprotone progressivement et le rendement de rétention du mercure (immobilisé sur la macromolécule) augmente. Au-delà de pH 5,5-6, le chitosane est susceptible de commencer à précipiter avec un risque de colmatage des pores de la membrane.
156Il est intéressant de noter qu’à pH 2 une faible rétention du mercure est observée : elle est probablement liée à l’interaction entre les amines protonées du chitosane et les espèces chloro-anioniques du mercure (illustration de l’importance d’une bonne connaissance de la spéciation des métaux dans la solution).
157L’effet de la précipitation du chitosane se traduit notamment par une diminution du flux de perméation quand le pH augmente (figure 17b) : le flux de perméat est maximal à pH proche de 4.
158La reprécipitation du chitosane lorsque le pH augmente et approche de la neutralité représente un inconvénient majeur pour le procédé UFAC. Il peut être utile de modifier le chitosane pour accroître sa stabilité et sa solubilité à des pHs pour lesquels la complexation des ions métalliques (en particulier les cations) par les fonctions aminées du biopolymère est forte.
Figure 18. Effet du pH sur a) la rétention Rp du Hg (II) et du chitosane, et b) le flux de perméation J (module statique AMICON équipé d’une membrane Amicon M50 [△/▲, MWCO, molecular weight cut-off : 50 000 Da] et d’une membrane Amicon M100 [○/●, MWCO : 1 0 000 Da] ; à titre de comparaison le même test est réalisé avc de la polyéthylèneimine, PEI.

Source : Kuncoro et al., 2005 © 2005, Taylor & Francis.
159Carréon et al. (2010) ont procédé à la modification chimique du chitosane en vue d’améliorer sa solubilité à pH proche de la neutralité. La sulfatation du chitosane a ainsi permis d’utiliser le biopolymère à pH 8.
160Le challenge dans cette modification chimique (qui consistait à faire réagir sélectivement l’acide chlorosulfonique sur les fonctions hydroxyle) résidait dans la nécessité de protéger les fonctions réactives aminées pour maintenir une bonne affinité pour les ions Hg (II) [figure 19].
Figure 19. Greffage de fonctions sulfoniques sur le chitosane pour l’élaboration de dérivés solubles de chitosane (réaction partiellement régio-sélective).

Source : Carréon et al., 2010 © 2010, Techno-Press.
161La figure 20 compare l’effet du pH sur la rétention du mercure seul, en présence de chitosane et en présence de chitosane modifié. Le milieu acide nitrique est plus favorable à la rétention du mercure : les ions nitrate ne complexent pas le mercure qui reste ainsi plus disponible pour la complexation avec les fonctions aminées du polymère.
162Par ailleurs, la courbe de rétention est déplacée vers des pHs plus acides en présence d’acide nitrique (comparé à des milieux acide chlorhydrique). La modification chimique du biopolymère permet d’assurer la rétention des ions mercure sur des plages de pH plus élevées (déplacement du pH optimal vers des pHs neutres ou alcalins) pour lesquelles le chitosane non modifié est insoluble.
Figure 20. Effet du pH sur la rétention du Hg (II), seul sans ajout de polyélectrolyte, en présence de chitosane, et de chitosane modifié par l’acide chlorosulfonique (module AMICON ; MWCO de la membrane : 10 000 Da ; [Hg] : 10 mgHg L-1 ; [polyélectrolyte] : 100 mg L-1 (sauf SC* : 300 mg L-1) ; C : chitosane dissout en milieu HCl ; C* : chitosane dissout en milieu HNO3.

Source : Carréon et al., 2010 © 2010, Techno-Press.
Comparaison des performances en adsorption (solide) et en CF/UFAC (liquide)
163Les principes d’interaction entre le biopolymère et les solutés sont globalement identiques pour les deux types de procédés ou d’utilisation du biopolymère : solide (adsorption) versus liquide (coagulation-floculation CF et ultrafiltration assistée par complexation UFAC).
164Cette analogie de mécanisme ne conduit pourtant pas à des performances identiques tant en termes de rendement d’utilisation des groupements réactifs qu’en termes de cinétique réactionnelle.
165En effet, pour certains solutés (colorant, Hg (II)), le chitosane a été utilisé sous ses deux formes pour l’adsorption et pour la CF (ou l’UFAC) et la comparaison des performances des différents systèmes montre de substantielles différences (Guibal et al., 2005, 2006).
166Ainsi, les capacités maximales d’adsorption (qm, exprimée en mg de soluté par g de polymère) peuvent être converties (en fonction du nombre de groupes réactifs du soluté) en prenant en compte la concentration en groupes aminés dans le biopolymère en un coefficient [n] (mol fonction du soluté mol-1 amine) qui peut être comparé au rapport molaire optimal entre le soluté et les groupements aminés en CF et en UFAC.
167Systématiquement, la comparaison du [n]liquide et du [n]solide montre une meilleure utilisation des fonctions aminées lorsque le biopolymère est utilisé dans sa forme en solution. Cette observation peut être corrélée aux différences de disponibilité et d’accessibilité des fonctions aminées dans les deux formes.
168La structure solide du chitosane est une structure compacte associée à des interactions hydrogène entre les fonctions aminées : il y a donc à la fois des limitations diffusionnelles (liées à la compacité de la structure) et des contraintes de réactivité (fonctions aminées engagées dans des liaisons interchaînes).
169Au contraire, dans le cas du chitosane utilisé sous forme dissoute (liquide) en CF et UFAC, la structure du biopolymère est très ouverte (répulsions interchaînes liées à la protonation des fonctions aminées) et les fonctions aminées protonées sont accessibles et disponibles pour interagir avec les colorants ou pour se complexer avec les ions métalliques tels que Hg (II) [Guibal et al., 2005].
170En termes cinétiques, le fait d’utiliser le biopolymère sous sa forme dissoute améliore également la vitesse de réaction. Dans le cas de la CF, l’unité de temps de procédé est liée à l’étape d’agitation rapide (phase de dispersion de quelques minutes), à l’étape d’agitation lente (de l’ordre de 20 minutes) et à l’étape de sédimentation (1-2 heures). C’est donc globalement bien plus rapide que le temps de contact nécessaire pour atteindre l’équilibre dans le cas de l’adsorption sur chitosane solide (24 à 48 heures).
171De même, dans le cas de l’UFAC, l’unité de temps de procédé est limitée au temps d’ajustement du pH, à la réaction (quasi instantanée de complexation en solution) et à la phase d’ultrafiltration. Le temps de procédé de deux heures est bien plus court que le temps requis pour atteindre l’équilibre d’adsorption du mercure.
4. Conclusions
172Le chitosane est un composé qui est de plus en plus utilisé pour traiter les eaux et éliminer les polluants présents, de quelque nature que ce soit. Différents procédés sont considérés. L’adsorption est très développée et de nombreux progrès ont été réalisés durant ces dernières années, ce qui permet d’envisager un développement industriel dans les années à venir dès lors que les conditions d’approvisionnement et la caractérisation des échantillons de chitosane seront assurées.
173La coagulation-floculation des matières en suspension (qu’elles soient de nature minérale ou organique) ou des substances dissoutes (colorants) par le chitosane est une technique très prometteuse. Elle met à profit à la fois :
Les caractéristiques acido-basiques de ce polysaccharide (unique par ses propriétés cationiques en milieu acide) pour assurer la neutralisation de charges d’aloïdes anioniques (coagulation) ;
Les caractéristiques floculantes du matériau (liée à sa haute masse molaire).
174Le fait de mettre en solution le chitosane (en milieu acide) permet « d’ouvrir » la structure compacte du polymère, de rendre plus facilement disponibles et accessibles les groupes aminés réactifs et d’améliorer leur utilisation tant en termes de performances à l’équilibre qu’en termes de cinétiques de transfert ou de temps réactionnel.
175Les performances peuvent (en lien avec les conditions opératoires) significativement varier en fonction des caractéristiques intrinsèques du biopolymère (à commencer par les taux de désacétylation et la masse molaire).
176C’est probablement un frein à leur utilisation à l’échelle industrielle : la variabilité du matériau, la difficulté à disposer de sources reproductibles et constantes de biopolymère sont de nature à « inquiéter » l’opérateur industriel au moment de substituer des techniques éprouvées par ce type de nouveau procédé. Par ailleurs, le coût non négligeable de ces biopolymères (bien qu’issus de ressources abondantes et renouvelables) conduit à en limiter l’application potentielle à des « niches ».
5. Remerciements
177Jacques Desbrières remercie les chercheurs avec lesquels il a collaboré sur l’adsorption (université Cadi-Ayyad et École normale supérieure de Marrakech, Maroc). Éric Guibal remercie les équipes avec lesquelles il a collaboré sur l’adsorption et la coagulation-floculation de colorants (université Polytechnique de Catalogne, Espagne) et sur l’ultrafiltration assistée par complexation (université de Guanajuato, Mexique).
Auteurs
59 ans, est professeur à l’université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), ingénieur de l’ENSC Paris et docteur-ingénieur de l’université de Grenoble. Il est auteur et coauteur d’environ 170 publications et d’une dizaine de brevets. Après avoir débuté comme ingénieur de recherche dans l’application des polymères aux opérations sur les puits d’hydrocarbures au sein de Dowell Schlumberger, il a rejoint l’université de Grenoble en 1990 puis l’UPPA en 2004. Sa thématique de recherche est orientée vers la modification chimique contrôlée des polymères naturels et les relations entre leur structure chimique, leurs propriétés fonctionnelles spécifiques et leurs applications.
Adresse : Université de Pau et des Pays de l’Adour, IPREM UMR 5254, Hélioparc Pau Pyrénées, 2 avenue P. Angot, 64053 Pau cedex.
52 ans, est enseignant-chercheur à l’École des mines d’Alès (EMA). Ingénieur de l’EMA et titulaire d’un doctorat de l’Institut national des sciences appliquées de Lyon, il a contribué à plus de 180 publications et il est associé à cinq brevets. Après avoir préparé sa thèse au sein de la Compagnie Française de Mokta (Groupe COGEMA), il intègre l’EMA en 1990 comme enseignant-chercheur au sein du laboratoire Génie de l’environnement industriel, avant de rejoindre le Centre des matériaux des mines d’Alès en 2013. Les thématiques de recherche développées portent sur l’utilisation de biopolymères pour le traitement des effluents (notamment métallifères), la mise en forme de ces matériaux, leur application à la synthèse de matériaux avancés (catalyse supportée, supports antimicrobiens) et à l’encapsulation d’échangeurs ioniques (solides et liquides) pour la synthèse de nouveaux adsorbants.
Adresse : École des mines d’Alès, Centre des matériaux des mines d’Alès, 6 avenue de Clavières, 30319 Alès cedex.
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