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Chapitre VII. Les larves de Chironomidae dans les approches écotoxicologiques d’évaluation de la qualité des milieux aquatiques

p. 207-240


Texte intégral

1. Introduction

1L’industrialisation, l’urbanisation, l’agriculture intensive et leurs cortèges de produits chimiques (éléments traces métalliques, hydrocarbures, pesticides, médicaments, etc.) ont accru la contamination des eaux continentales de surface et souterraines de manière chronique ou aiguë. Aujourd’hui, plus de 67 millions de substances chimiques sont connues dont environ 100 000 sont considérées d’utilisation courante.

2Véhiculées par les pluies, les eaux de lessivage des sols, rejetées accidentellement ou de manière chronique par les industries et les stations d’épurations, elles sont toutes susceptibles de contaminer plus ou moins rapidement et de manière plus ou moins durable les écosystèmes d’eau douce.

3Grâce aux progrès des techniques de chimie analytique, il est aujourd’hui possible de détecter et doser un très grand nombre de micropolluants dans les écosystèmes aquatiques et de définir des niveaux de contamination des milieux. Cependant, cette étape de caractérisation des contaminations n’est en aucun cas suffisante pour évaluer leurs possibles impacts sur le fonctionnement des écosystèmes ou encore les risques pour la santé humaine.

4L’écotoxicologie est une discipline de la biologie qui vise à établir les effets des polluants chimiques sur les organismes à différents niveaux d’organisation biologique (moléculaire, individuelle, populationnelle et biocénotique [communautaire]), comprendre les mécanismes de transfert des polluants de l’environnement aux organismes (biodisponibilité et transferts dans les réseaux trophiques) et les facteurs de variabilité de leur toxicité (espèces, bioaccumulation, conditions environnementales, cocktails de polluants).

5Les principaux objectifs de l’écotoxicologie sont :

  1. D’évaluer l’importance des atteintes subies par les écosystèmes à la suite de leur contamination ;

  2. De prédire les effets futurs de la libération dans un écosystème d’un contaminant déterminé (ou d’un mélange de contaminants) ;

  3. De déduire de l’observation des réponses biologiques, les types de molécules induisant la toxicité d’un milieu.

6L’atteinte de ces objectifs est un prérequis à la mise en place de législations concernant l’utilisation et le rejet dans l’environnement de telles molécules, à l’évaluation des risques environnementaux et des risques pour la santé humaine, à la mise en œuvre de programmes de surveillance et de restauration des milieux aquatiques mieux ciblés.

7Les recherches en écotoxicologie sont basées sur trois grands types d’approches complémentaires (figure 1) :

  1. Exposition en laboratoire, en conditions contrôlées, d’organisme(s) à une ou plusieurs molécule(s) toxique(s) ou à des échantillons d’un milieu naturel (tests toxicologiques) ;

  2. Exposition in situ d’organisme(s) introduits dans un milieu dont on souhaite évaluer la toxicité (bio-indication active) ;

  3. Analyse des caractéristiques des populations et peuplements présents dans le milieu aquatique (bio-indication passive).

8Quelle que soit l’approche considérée, le choix de l’espèce ou des espèces testées est particulièrement important afin d’apporter des informations transposables à des biocénoses complexes et très diverses. Ce choix ne peut résulter que d’un compromis entre représentativité et faisabilité. Les espèces utilisées (espèces sentinelles) doivent répondre à certains critères :

  • avoir un rôle important dans la structure et le fonctionnement des biocénoses ;

  • être susceptibles de coloniser des milieux différents ;

  • présenter un cycle de vie et de développement assez court (quelques heures à quelques semaines) ;

  • avoir un régime alimentaire et une physiologie connus ;

  • présenter une facilité de maintenance et d’élevage.

9De nombreux organismes aquatiques répondent à ces critères et sont à la base de tests et bioessais normalisés au niveau français (normes AFNOR) ou européen (normes OCDE). Les plus fréquemment utilisés sont les bactéries, algues unicellulaires, microcrustacés et poissons.

10Un des maillons des chaînes trophiques est encore peu représenté dans les bioessais normalisés, celui des macro-invertébrés aquatiques. Parmi ces derniers, une famille de diptères, les Chironomidae, renferme de très nombreuses espèces répondant parfaitement aux critères des espèces sentinelles.

11L’objectif de ce chapitre est de montrer en quoi cette famille constitue un modèle biologique pertinent dans les études écotoxicologiques d’évaluation de la qualité des milieux aquatiques. Différents types d’approches (de laboratoire, de terrain ; à différents niveaux d’intégration biologique) seront ainsi développés et illustrés à l’aide d’exemples d’application dans des études de cas précis.

Figure 1. Principaux types d’approches en écotoxicologie et effets potentiels selon le niveau d’organisation biologique étudié et le temps d’exposition aux substances toxiques. 1 : tests toxicologiques, 2 : bio-indication active (bioessais), 3 : bio-indication passive.

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2. Les Chironomidae : intérêts en écotoxicologie

12Les Chironomidae sont des insectes (pancrustacés hexapodes) du groupe des diptères dont les larves se développent dans les milieux aquatiques. Avec plus de 5000 espèces, dont plus de 600 ont été répertoriées en France, c’est le groupe des insectes le plus représenté dans les eaux douces.

2.1. Cycle vital

13Le cycle vital des diptères Chironomidae se déroule en quatre stades biologiques (œufs, larves, nymphes et imago) et dans deux milieux (aquatique et aérien, figure 2). En milieu naturel, le cycle vital est généralement annuel ou semestriel. En conditions optimales d’élevage et pour l’espèce la plus fréquemment utilisée en bioessais et tests toxicologiques, Chironomus riparius, le cycle complet est de 22 jours.

14Le cycle court des Chironomidae permet de rechercher des effets toxiques létaux et sublétaux aux différentes étapes de leur développement : nombre de masses d’œufs, nombre d’œufs par masse, temps d’incubation des œufs, pourcentages d’éclosion des larves, survie larvaire, croissance larvaire, mobilité larvaire, émergence des adultes (OCDE, 2004a, 2004b, 2010, 2011) et de mettre en place des tests d’exposition multigénérationnels (Stefani et al., 2014).

Figure 2. Cycle de vie des diptères Chironomidae et durée des quatre stades biologiques en conditions contrôlées optimales de développement pour l’espèce Chironomus riparius.

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Source : Olivier, 1971 © 1971, Annual Reviews.

2.2. Milieux de vie

15Les Chironomidae colonisent tous les milieux aquatiques lotiques (avec de forts courants) ou lentiques (avec de faibles courants), permanents ou temporaires. Les larves se développent en contact étroit avec les substrats constituant les fonds des écosystèmes aquatiques (organismes benthiques), parfois même en s’enfouissant à l’intérieur des substrats meubles tels les sédiments (espèces endopéliques).

16De nombreuses espèces présentent également des exigences écologiques faibles (espèces euryèces) vis-à-vis de facteurs environnementaux comme la température, l’oxygénation des eaux ou les teneurs en matière organique.

17L’ubiquité des Chironomidae et l’euryécie de nombreuses espèces sont des caractéristiques facilitant leur maintien en élevage, leur utilisation en exposition in situ et l’étude d’effets écotoxicologiques sur les populations et peuplements résidents.

18De plus, de nombreux polluants sont peu hydrosolubles et sont adsorbés sur les particules organiques sédimentaires. Ainsi, les larves chironomidiennes endopéliques sont particulièrement exposées à ces polluants et leur utilité dans l’évaluation de la toxicité des sédiments est désormais largement reconnue (US EPA, 2000).

2.3. Les Chironomidae dans les réseaux trophiques

19Les différentes espèces de Chironomidae appartiennent à tous les niveaux des consommateurs : phytophages brouteurs ou collecteurs de microalgues, détritiphages mangeurs de sédiments et prédateurs.

20Selon leur niveau trophique, les espèces présentent des capacités de bioaccumulation des polluants dans leurs tissus plus ou moins importantes dont vont également dépendre les réponses aux différentes pollutions toxiques. Les larves sont également des proies pour de nombreuses autres espèces de macro-invertébrés et de poissons et constituent donc des vecteurs de molécules toxiques pour les niveaux trophiques supérieurs (Ferrington, 2008).

21De par leur positionnement trophique, les larves de Chironomidae peuvent constituer des bioaccumulateurs, bioamplificateurs et biovecteurs des pollutions toxiques. Leur étude est donc particulièrement pertinente afin d’évaluer la biodisponibilité et le transfert des polluants dans les réseaux trophiques.

3. Les différents niveaux d’intégration des réponses biologiques

22Les stress toxiques sont susceptibles de provoquer des perturbations du fonctionnement des organismes à différents niveaux d’intégration biologique : moléculaire, cellulaire, individuel (physiologique) et populationnel. De nombreux biomarqueurs, i. e. des indicateurs biologiques d’exposition à des substances xénobiotiques ou d’effets toxiques liés à ces molécules, ont ainsi été développés au cours de ces dernières décennies (Forbes et al., 2006). Beaucoup ont fait l’objet de développements méthodologiques et d’applications chez les larves de Chironomidae.

3.1. La bioaccumulation

23La bioaccumulation peut se définir comme l’accumulation nette d’une substance par un organisme, résultant de son assimilation, à partir de différentes sources environnementales (eau, matières en suspension, sédiments, nourriture), et de son élimination (US EPA, 2000). Cette capacité conduit, dans les organismes exposés, à des concentrations internes supérieures à celles d’organismes non exposés, mais pas forcément supérieures à celles du milieu.

24Un facteur de bioaccumulation (FBA), rapport de la concentration interne de la substance étudiée sur sa concentration dans le milieu (eau, sédiments ou nourriture), peut ainsi être calculé. Selon la valeur de ce rapport, et donc du potentiel d’accumulation et de transfert de la substance étudiée, il est possible de définir des organismes macroconcentrateurs (FBA > 2), microconcentrateurs (1 < FBA < 2) ou déconcentrateurs (FBA < 1) (Bohac et Pospisil, 1989).

25Les Chironomidae (et en particulier le genre Chironomus) sont globalement des concentrateurs de substances, qu’elles soient organiques (Katagi, 2010) ou métalliques (Desrosiers et al., 2008). Ainsi, certaines approches écotoxicologiques utilisent les concentrations internes comme une variable clé dans l’induction d’effets toxiques (Péry et al., 2005). C’est le cas, par exemple, des concentrations internes critiques (CBR pour critical body residues) qui correspondent à une mesure définie de la toxicité (mortalité, inhibition de croissance, etc.) [McCarty et al., 1993].

26Cependant, si une substance s’accumule, elle n’induira une certaine toxicité que si elle atteint et interagit avec les sites d’action toxiques. Autrement dit, seule une fraction de la concentration bioaccumulée est toxicologiquement active (Rainbow, 2007). Un modèle physiologique général de la dynamique interne de la bioaccumulation et de l’induction de la toxicité des xénobiotiques est proposé en figure 3.

Figure 3. Schéma généralisé montrant les différents compartiments dans lesquels les éléments traces métalliques peuvent être présents et s’accumuler à l’intérieur d’un organisme, schéma modifié de Rainbow, 2002 ; ([M]métab. est le pool de métal métaboliquement disponible ; [M]exc. est le pool de métal en excès par rapport aux besoins métaboliques ; [M]détox. est le pool de métal détoxiqué et [M]stock. est le pool de métal (détox) stocké ; † symbolise le seuil de toxicité).

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Source : © D’après Rainbow, 2002.

27Après absorption, la substance sera d’abord disponible pour le métabolisme (éléments métalliques essentiels, biotransformation de substances organiques, etc.). Si l’exposition et l’absorption se poursuivent, la substance excédant les besoins métaboliques devra être détoxiquée, soit via son excrétion à l’extérieur de l’organisme, soit via son stockage sous une forme soluble ou insoluble (métallothionéines, granules etc.).

28Dans le cas contraire, des formes libres de la substance pourront diffuser aux tissus où elles pourront interférer avec des réactions biochimiques et induire des effets toxiques (Rainbow, 2007). Sur cette base, Wallace et Luoma (2003) ont proposé un fractionnement de l’organisme en trois compartiments : la fraction détoxiquée (BDM pour biologically detoxified metal), la fraction sensible (MSF pour metal sensitive fraction) et la fraction transférable au réseau trophique (TAM pour trophically available fraction).

3.2. Les réponses moléculaires

29Pour lutter contre les stress oxydatifs et les déséquilibres homéostasiques cellulaires (la capacité de la cellule à conserver son équilibre interne en dépit des variations extérieures) liés à la présence de la substance dans les compartiments sensibles, les organismes, y compris les Chironomidae, possèdent un système de défense antioxydant comprenant de nombreuses enzymes antioxydantes mais également des piégeurs de radicaux libres (vitamines C et E, caroténoïdes et glutathion) [Doyotte et al., 1997].

30L’accumulation d’un toxique dans les fractions subcellulaires sensibles peut inhiber ou activer les activités des enzymes impliquées dans ce système (ou d’autres types de protéines) et entraîner une augmentation des niveaux cellulaires de molécules oxygénées fortement réactives (ROS, reactive oxygen species).

31Les mécanismes de défense peuvent alors être rapidement surpassés, entraînant des peroxydations lipidiques (la dégradation oxydative des lipides avec formation de radicaux libres) des membranes cellulaires, voire des dommages à l’ADN. De nombreux travaux ont ainsi montré que l’étude de la réponse antioxydante et des altérations cellulaires et moléculaires pouvaient permettre de révéler un stress toxique chez les larves de Chironomidae (Di Giulio et al., 1989 ; Choi et al., 2000).

Enzymes antioxydantes

32De nombreuses enzymes antioxydantes ont été identifiées et font l’objet d’études de caractérisation chez les larves de Chironomidae pour leur utilisation dans l’évaluation des stress chimiques lié à la contamination des écosystèmes aquatiques. Citons, par exemple, la superoxyde dismutase (SOD), la catalase (CAT), la peroxydase (Px), reconnues comme marqueurs de stress oxydatif, mais aussi la glutathion peroxydase (GPx) ou la gluthathion-S-transférase (GST), considérées comme des indicateurs de détoxification.

33Les réponses des enzymes impliquées dans le système de défense antioxydant varient largement en fonction du toxique considéré et des concentrations d’exposition. Par exemple, l’exposition de Chironomus riparius au nonylphénol n’entraîne que peu de variations de l’activité d’enzymes marqueurs d’un stress oxydatif (Lee et Choi, 2006).

34Aucune variation de l’activité de la GST n’a été observée en présence d’un insecticide, le lindane, chez C. riparius (Hirthe et al., 2001), ou d’un élément trace métallique (ETM), le cadmium (Cd), chez Propsilocerus akamusi (Zheng et al., 2011). Par contre, cette même enzyme, ainsi que la CAT, sont activées chez C. riparius lors d’une exposition à deux perturbateurs endocriniens, le bisphénol A (BPA) et l’éthynylestradiol (EE) [Lee et Choi, 2007].

35La GPx, la SOD et la CAT sont également activées chez C. riparius en présence de dichromate de potassium ou de fenitrothion, un insecticide (Choi et al., 2000). De plus, Lee et Choi (2009) observent chez Chironomus tentans exposé à de l’octachlorostyrène, un polluant industriel, une activation de la CAT et de la Px.

Expression génique

36Plus précoce que la mesure des concentrations des enzymes antioxydantes, l’étude de l’induction (ou de la répression) des gènes codant pour ces protéines de défenses a pris beaucoup d’essor ces dernières années. Ainsi, Nair et al. (2011) ont montré que les gènes de la CAT et de la GST étaient surexprimés chez C. riparius après 24 à 48 heures d’exposition au paraquat, au Cd et au nonylphénol. La même équipe a également montré des réponses inductives similaires suite à une exposition à des nanoparticules d’argent (Nair et Choi, 2011).

37Park et al. (2012) ont mis en évidence des inductions ou répressions de l’expression du gène de la SOD chez des larves de C. riparius exposées au paraquat, Cd, benzo [a] pyrène et chloropyrifos. Cependant, les enzymes ne sont pas les seules protéines de défenses impliquées dans la lutte contre les stress chimiques. Les protéines de choc thermique (HSP) sont des protéines chaperonnes impliquées dans les processus de maintien homéostasique qui assurent le repliement tridimensionnel adéquat d’autres protéines.

38Plusieurs travaux ont rapporté une amplification de leur expression après une exposition à un stress toxique. Ainsi, Morales et al. (2011) ont mis en évidence une augmentation des niveaux d’ARNm de l’HSP 70 chez C. riparius après une courte exposition à différents perturbateurs endocriniens métalliques (Cd) ou organiques (nonylphénol, bisphénol A, éthinylestradiol, diéthylhexyl phtalate et butyl-benzyl phtalate).

39De la même façon, après une exposition aiguë à 10 μg L-1 d’un herbicide (Park et al., 2010a), à 1 μg L-1 de nonylphénol (Lee et Choi, 2006), à 0,25 mg L-1 de cuivre (Cu) [Karouna-Renier et Zehr, 2003] ou à 10 mM de chlorure de cadmium (Planelló et al., 2010), l’expression de l’HSP 70 est activée chez Chironomus sp. A contrario, le tributylétain n’entraîne aucun effet sur l’expression du gène de l’HSP70 chez C. riparius (Morales et al., 2011).

40Enfin, de plus en plus de travaux proposent l’hémoglobine (Hb) des Chironomidae comme molécule cible de l’exposition à des xénobiotiques (Ha et Choi, 2008a) et plus particulièrement les patrons d’expression des gènes de l’Hb comme biomarqueurs d’écotoxicité (Ha et Choi, 2008b). Ces derniers ont ainsi montré l’induction ou la répression de certains gènes de l’Hb après exposition de larves de C. riparius à différents xénobiotiques organiques possédant des modes d’action différents (nonylphénol, bisphénol A, benzo [a] pyrène, chlorpyriphos et paraquat). Ainsi, les réponses varient largement en fonction du toxique et des gènes cibles considérés.

41C’est également le cas pour les métaux, le Cd entraînant une diminution de l’expression des gènes de l’Hb chez C. riparius (Choi et Ha, 2009), le Pb ayant lui un effet plutôt inverse (Ha et Choi, 2008b).

Cytotoxicité et génotoxicité

42Lorsque le système de défense antioxydant se révèle insuffisant pour contenir les effets délétères des substances toxiques, des dommages peuvent apparaître au niveau des membranes cellulaires (Ercal et al., 2001).

43De nombreux travaux ont ainsi montré une augmentation du malondialdéhyde (MDA), un produit de dégradation des membranes cellulaires par peroxydation lipidique, chez des organismes aquatiques en présence de différents xénobiotiques (Valavanidis et al., 2006).

44Plus précisément chez les larves de Chironomidae, une augmentation du MDA a été observée chez P. akamusi exposés à du Cd (Zheng et al., 2011) et chez C. riparius exposés à du plomb (Pb) [Arambourou et al., 2013] ou au nonylphénol (Park et Choi, 2009). En revanche, aucun effet sur cette espèce n’a été noté, ni en présence d’octachlorostyrène ni en présence de bisphénol A (Park et Choi, 2009 ; Lee et Choi, 2009).

45La génotoxicité d’un composé est quant à elle évaluée par l’étude des dommages au matériel génétique comme les chromosomes ou les molécules d’ADN. Les larves de Chironomidae possèdent des chromosomes géants dans leurs glandes salivaires, qui, du fait de leur facilité d’observation au microscope, ont été proposés dans les années 1990 pour détecter une exposition toxique chez des espèces appartenant au genre Chironomus (Aziz et al., 1991 ; Bentivegna et Kooper, 1993).

46Ainsi, Michailova et al. (1998) ont observé des altérations structurales (inversions et délétions) et fonctionnelles (activation) de ces chromosomes chez des larves de C. riparius prélevées dans un affluent multicontaminé du Po, en Italie.

47Par ailleurs, des relations dose-réponse entre aberrations chromosomiques et exposition à des éléments métalliques dans l’eau ont été mises en évidence pour le Cr, le Cu ou le Pb (Michailova et al., 2001a, 2001b, 2006). Ainsi, l’analyse des aberrations des chromosomes géants pourrait se révéler être une mesure sensible et peu coûteuse de la réponse génomique précoce des larves de Chironomidae à une exposition à des agents de stress chimique (Michailova et al., 2012).

48Des dommages peuvent également être provoqués directement sur le matériel génétique sous la forme de cassures au niveau des brins d’ADN. Ces altérations sont visualisables grâce au test des comètes (ou single cell gel electrophoresis assay) [Kumaravel et al., 2009]. Ce test est basé sur l’aptitude des fragments d’ADN, chargés négativement, à migrer dans un gel d’agarose sous l’impulsion d’un champ électrique.

49L’étendue de la migration dépend directement des dommages de l’ADN présent dans les cellules (figure 4). Si l’ADN n’a pas été endommagé, il reste sous forme compacte dans la cellule (sphère nette, classe 0) ; plus l’ADN a été endommagé, plus les fragments vont migrer en dehors de cette sphère, formant un halo d’ADN qui s’étire en direction de l’anode en dessinant la queue de la comète (classes 1 à 4).

Figure 4. Classification visuelle des comètes proposée par Collins et al. (1995) : les images représentent les classes 0 – ADN intact – à 4 – ADN très fragmenté.

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Source : Adapté de Kumaravel et al., 2009 © 2007, Springer Science + Business Media B.V.

50Ce type d’approche a été employé avec des larves de Chironomidae d’abord pour évaluer le potentiel génotoxique d’une substance. Ainsi, Al-Shami et al. (2012) ont observé des dommages à l’ADN de C. kiiensis en présence d’un métal non essentiel, le Cd, ainsi qu’en présence de deux métaux essentiels, le Cu ou le Zn. Ces auteurs ont classé ces métaux dans l’ordre de leur potentiel génotoxique : Cd > Cu > Zn.

51De la même façon, des dommages à l’ADN ont été associés, chez C. riparius, à la présence d’un perturbateur endocrinien, le nonylphénol, à partir de concentrations d’exposition de 10 μg L-1 (Lee et Choi, 2006).

52Enfin, le test des comètes a également été utilisé pour évaluer le risque environnemental lié à la présence de matrices contaminées. Al-Shami et al. (2013) ont ainsi pu évaluer, avec C. kiiensis, les propriétés génotoxiques importantes de sédiments provenant de plusieurs rivières polluées de Malaisie.

3.3. Les réponses individuelles

53Le changement d’échelle d’organisation biologique est un des éléments clé de l’écotoxicologie, en particulier pour passer des conditions de laboratoire aux conditions environnementales réelles (prédiction). Ainsi, certaines études utilisant les larves de Chironomidae comme modèle biologique ont mesuré à la fois les réponses toxiques à l’échelle moléculaire et à l’échelle individuelle. Généralement, les altérations enzymatiques ou génomiques sont corrélées avec des réponses sublétales affectant la croissance ou la reproduction des larves (Crane et al., 2002).

54Il reste cependant difficile d’établir des relations de cause à effet mécanistiques entre les deux échelles. En effet, il peut être difficile de déterminer si, par exemple, l’altération de l’expression d’un gène est une réponse au maintien de l’homéostasie de l’animal ou, au contraire, une réponse toxique qui conduit secondairement à des conséquences physiologiques (Choi et Ha, 2009).

55Néanmoins, qu’il s’agisse de réponses directes ou indirectes, les effets observés à l’échelle de l’individu ont l’avantage d’être intégrateurs des perturbations aux échelles biologiques inférieures. En ce sens, ils se sont révélés être des indicateurs pertinents de la perturbation des systèmes aquatiques et des critères utilisables dans les procédures d’évaluation et de gestion de la qualité des milieux.

Survie, croissance et reproduction

56Le taux de survie des larves de Chironomidae (le nombre de larves survivantes à la fin de l’exposition sur le nombre total de larves introduites) est un critère simple et facilement mesurable. La mort est déterminée par deux critères : l’immobilité et l’absence de réaction à un stimulus mécanique.

57Le taux de survie présente néanmoins l’inconvénient d’être assez peu sensible, certaines espèces de Chironomidae présentant, de par leurs caractères évolutifs, une certaine polluo-tolérance (Beck, 1977).

58D’autres caractères biologiques, sublétaux cette fois, ont alors été étudiés. Il s’agit d’abord de la croissance des larves. Le suivi de l’évolution temporelle de la longueur ou de la biomasse des larves au cours d’une exposition à un xénobiotique permet de déterminer une vitesse de développement (en j-1), qui représente la portion de développement larvaire qui s’effectue par jour.

59Comparé à la vitesse de développement d’individus témoins, ce critère permet d’identifier des effets, parfois peu contrastés, mais potentiellement problématiques à l’échelle des individus mais aussi des populations. En effet, chez les insectes à stade adulte court, comme chez les Chironomidae, la fécondité dépend de la taille de la larve au moment de la métamorphose (Péry et al., 2002).

60Ceci est particulièrement vrai pour les femelles dont la fin du développement larvaire s’effectue plus en termes de gain de masse que de longueur, en lien avec la mise en place de réserves pour le développement des ovocytes. C’est pourquoi la vitesse de croissance est généralement associée à la détermination d’un taux d’émergence (le nombre d’imagos émergés sur le nombre total de larves introduites).

61Enfin, la reproduction fait également partie des caractères biologiques sublétaux dont le suivi est informatif. Après émergence, les adultes sont conservés et laissés à reproduire. Les masses d’œufs sont alors récupérées, comptabilisées et mises à éclore. Les effets sur la reproduction sont évalués en termes de fécondité (le nombre de masses d’œufs par femelle) et de fertilité (le nombre de masses d’œufs fertiles par femelle). Une masse d’œufs est considérée comme fertile lorsqu’au moins un tiers des œufs éclot (au maximum six jours après la ponte).

62Des protocoles pour l’obtention et l’utilisation de ces critères d’écotoxicité avec les larves de Chironomidae ont été développés sous la forme de lignes directrices et normalisés à l’échelle européenne (OCDE). Il en existe quatre :

  1. OCDE (2004a). Ligne directrice de l’OCDE pour les essais de produits chimiques 218 : Essai de toxicité sur les chironomes dans un système eau-sédiment chargé ;

  2. OCDE (2004b). Ligne directrice de l’OCDE pour les essais de produits chimiques 219 : Essai de toxicité sur les chironomes dans un système eau chargée-sédiment ;

  3. OCDE (2010). Ligne directrice de l’OCDE pour les essais de produits chimiques 233 : Essai de toxicité sur le cycle de vie des chironomes dans un système eau-sédiment chargé ou eau chargée-sédiment ;

  4. OCDE (2011). Ligne directrice de l’OCDE pour les essais de produits chimiques 235 : Chironomus sp., essai d’immobilisation immédiate.

63Ces biotests de laboratoire permettent, dans des approches aiguës (24-48 heures), subchroniques (10 à 28 jours) ou chroniques (cycle de vie), de couvrir différents stades de développement des Chironomidae, depuis le stade larvule (jeunes éclos), jusqu’au stade imago (adulte) et de cibler différentes réponses biologiques létales ou sublétales.

64Ces lignes directrices stipulent également les modalités d’obtention de valeurs seuil de toxicité vis-à-vis des différents caractères biologiques, qu’ils soient létaux ou sublétaux. Citons par exemple les concentrations sans effet observé (CSEO) ou les concentrations minimales avec effet observé (CMEO), métriques utilisées ensuite, via l’intervention d’un facteur de sécurité, pour la détermination des PNEC (Predicted No Effect Concentration), seuil utilisé en évaluation des risques environnementaux des substances chimiques.

65Néanmoins, depuis quelques années, les CSOE et CMOE, très dépendantes de la gamme de concentration choisie (Jager, 2012), sont progressivement remplacées par les CE10 et CE20, c’est-à-dire les concentrations efficaces de la substance testée qui entraînent une réduction de 10 ou 20 % du caractère biologique considéré (survie, croissance, etc.).

66Ce type de données est classiquement utilisé dans l’évaluation de la toxicité d’une substance, par exemple dans le cadre de la réglementation européenne sur l’enregistrement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques (REACH).

67Entré en vigueur en 2007, ce règlement (n° 1907/2006) a pour objectif de sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne. Il s’agit d’évaluer et de contrôler les substances chimiques mises sur le marché européen afin de protéger la santé environnementale et humaine face aux risques potentiels des substances chimiques.

68Pour les substances fabriquées antérieurement et déjà présentes dans l’environnement, l’évaluation des risques passe par une évaluation de la qualité des matrices (eau ou sédiments) qui peut se faire :

  • ex situ : prélèvements d’eau et/ou de sédiments ramenés et testés au laboratoire selon les protocoles normalisés ;

  • in situ : campagnes de biosurveillance qui consistent à suivre dans le temps et l’espace l’exposition ou les effets de contaminants sur des organismes sentinelles transférés dans des sites à surveiller (bio-indication active ; Faria et al., 2008 ; Ferrari et al., 2014) ou sur des organismes résidents collectés directement dans l’environnement (bio-indication passive ; Planello et al., 2015).

Déformations des pièces buccales (phénodéviations)

69Parmi les caractères biologiques individuels utilisables en bio-indication passive, les phénodéviations, c’est-à-dire les déviations plus ou moins sévères d’un trait biologique par rapport au phénotype courant de l’espèce, ont fait l’objet de nombreux travaux de recherche.

70Chez les larves de Chironomidae, ces phénodéviations concernent principalement les déformations des pièces buccales et celles du mentum en particulier. L’utilisation de ces anomalies comme indicateur d’un stress toxique dans l’environnement a alors été proposée dans les années 1990 (Vermeulen, 1995) et est toujours d’actualité (Di Veroli et al., 2010 ; Langer-Jaesrich et al., 2010).

71Il existe différents types de phénodéviations au niveau de mentum des Chironomidae (figure 5) : les déformations simples (dent manquante, dent supplémentaire et Khön gap), les déformations doubles (par exemple, division + absence de dent) et les déformations extrêmes qui cumulent plusieurs anomalies simples.

72Des phénodéviations du mentum ont été corrélées à la présence de métaux essentiels (Cu et Zn) et non essentiels (As, Cd et Pb) dans les tissus des larves et les sédiments (Janssens de Bisthoven et al., 1996 ; Martinez et al., 2002).

Figure 5. Photographies de déformations de pièces buccales chez Chironomus sp. A : mentum non déformé, b : dent manquante, c : dent supplémentaire, d : Khön gap, e : division + absence de dent et f : déformations cumulatives.

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Source : © crédit photographique : Étienne Chanez.

73D’autres travaux ont également montré une prévalence des déformations du mentum en lien avec la présence de contaminants organiques (Servia et al., 2000 ; MacDonald et Taylor, 2006). Ainsi, une classification de la qualité chimique des sédiments en fonction de leur potentiel d’induction de phénodéviations a été proposée (tableau 1).

Tableau 1. Classification de la contamination des sédiments en fonction de la fréquence de phénodéviations observée chez les larves de Chironomus riparius au quatrième stade

Classe

Fréquence de phénodéviations(%)

Niveau de contamination du sédiment

I

≤ 0,7

propre

II

entre 0,8 et 7

très faible

III

entre 8 et 17

faible

IV

entre 18 et 37

modéré

V

entre 38 et 59

élevé

VI

≥ 60

très élevé

Vermeulen et al., 1998.

74Des déformations des pièces buccales ont été particulièrement observées chez le genre Chironomus, ce qui peut s’expliquer par : ses exigences écologiques (déplacement, nutrition, construction de fourreaux) qui accentuent son exposition aux substances présentes dans le compartiment sédimentaire (Reynolds et Ferrington, 2001 ; Martinez et al., 2002), sa sensibilité aux déformations par rapport aux autres genres (Hudson et Ciborowski, 1996) et enfin son abondance dans les milieux naturels mais aussi anthropisés (Marques et al., 1999).

3.4. Les réponses populationnelles et communautaires

75Les populations (l’ensemble des individus d’une même espèce) et les communautés (= peuplement : ensemble des espèces de tous les groupes taxonomiques ou de certains groupes choisis, présents dans un milieu donné) constituent les niveaux d’organisation biologique les plus représentatifs de l’intégrité des écosystèmes car leur constitution dépend des effets combinés de facteurs physiques, chimiques et biologiques qui agissent sur les systèmes (Connon et al., 2012).

76Les réponses populationnelles se traduisent par des modifications de leur structure (fréquences des classes de taille, de biomasse, d’âge, sexe ratio, mortalité/reproduction, taux de croissance des populations).

77Au niveau des communautés, les perturbations induisent des changements d’abondance totale, de diversité des espèces, des proportions des différentes espèces ou encore des proportions des différents groupes fonctionnels (abondance relative des différentes guildes trophiques, proportion des bioturbateurs, etc.).

78De nombreux indices biocénotiques, établis sur l’analyse des peuplements de l’ensemble des macro-invertébrés (AFNOR, 1992 ; Czerniawska-Kusza, 2005 ; Couceiro et al., 2012 ; Mondy et al., 2012) ou des Chironomidae (Odume et Muller, 2011), traduisent la disparition des espèces les plus sensibles aux pollutions et leur remplacement par des espèces plus tolérantes au cours d’une perturbation des écosystèmes.

79Particulièrement pertinentes quant à l’intégrité écologique des systèmes, ces approches populationnelles et surtout communautaires présentent une capacité très limitée à déterminer les causes sous-jacentes d’une perturbation écologique avérée.

80En effet, les populations ou les peuplements sont susceptibles de présenter des réponses similaires à des perturbations différentes ou des réponses variables à un même polluant en fonction de caractéristiques de l’environnement physique ou biologique particulières (facteurs confondants).

Niveau populationnel

81Au niveau populationnel, la plupart des études sont donc réalisées en conditions contrôlées (laboratoire) afin de tester les réponses induites par une ou plusieurs substances toxiques en éliminant au maximum les facteurs confondants.

82Les résultats de telles approches ont montré notamment l’insuffisance des CSEO pour évaluer le risque toxicologique d’une substance dans l’environnement. En effet, les conditions expérimentales de l’établissement des CSEO sont une exposition courte et une réponse individuelle sans prise en compte de possibles effets populationnels à long terme (sur plusieurs générations).

83Par exemple, alors que la CSEO moyenne du Cd sur les invertébrés est de 0,5 μg L-1 (Bisson et Houeix, 2014), une étude multigénérationelle montre une diminution significative du taux de croissance d’une population de Chironomus riparius au cours des générations successives (jusqu’à neuf générations expérimentées) même à une concentration de 0,04 μg L-1 de Cd, concentration sans effet sur la première génération (Postma et Davids, 1995). Ainsi, cette étude montre qu’il existerait bien un risque d’extinction de l’espèce C. riparius dans un environnement dont la concentration en Cd serait pourtant inférieure à la CSEO, c’est-à-dire un environnement qui serait considéré (en dehors de toute autre pollution) comme sain.

84Plus récemment, il a été montré qu’un adjuvant utilisé dans les peintures des bateaux (le tributylétain ou TBT) provoquait des effets variables sur les différentes générations de C. riparius en conditions contrôlées (Vogt et al., 2007). Si, sur les premières générations, le TBT provoque une diminution du taux de croissance de la population par augmentation de la mortalité larvaire, il entraîne, en revanche, une augmentation du taux de croissance sur les générations suivantes par augmentation de la fertilité.

85Ainsi, il peut exister des discordances entre les paramètres toxicologiques individuels de type EC10,20,50, CSEO ou CMEO et les réponses populationnelles à plus long terme. Ces discordances potentielles sont à prendre en compte lorsque l’on envisage d’extrapoler les réponses individuelles au niveau supérieur d’organisation biologique qu’est la population. De même, l’extrapolation des réponses populationnelles aux conséquences probables au niveau des communautés reste délicate.

Niveau communautaire (biocénotique)

86Au niveau des communautés (approches biocénotiques), la détermination des réponses aux substances toxiques est particulièrement complexe du fait :

  1. D’interactions inter- et intraspécifiques ;

  2. De l’implication de multitudes de facteurs environnementaux ;

  3. De l’impossibilité de recréer en conditions contrôlées des peuplements complexes.

87Les approches biocénotiques sont des approches in situ, basées sur l’analyse de communautés résidentes, vivant dans les écosystèmes naturels ou s’étant développées dans des écosystèmes artificiels placés en conditions naturelles (mésocosmes).

88Les expérimentations en mésocosmes permettent la réalisation de manipulations des communautés (introduction/suppression d’espèces) et le contrôle de la nature et des concentrations des toxiques dont les effets sont étudiés.

89Ainsi, il a été montré qu’un composé fréquent dans les détergents domestiques, à savoir l’APG (Alkyl Poly Glucoside) et appliqué dans des mésocosmes en étangs à des concentrations n’ayant pas d’effets individuels sur espèces isolées (tests toxicologiques), modifiait les caractéristiques chimiques du milieu en provoquant des désoxygénations ayant à leur tour des effets néfastes sur les macro-invertébrés dont les Chironomidae (Sutton et Cohen, 2012).

90En conséquence des impacts sur les communautés, certains auteurs ont montré des modifications du fonctionnement des écosystèmes avec, par exemple, des perturbations de la dégradation de la matière organique par diminution des densités des consommateurs détritiphages (crustacés Gammaridae) dans des mésocosmes traités avec des pesticides (Aubert et al., 2011).

91Dans cette expérimentation, un effet opposé est observé pour les communautés chironomidiennes qui prolifèrent lorsqu’elles sont exposées aux pesticides en réponse à la diminution des effectifs d’autres groupes faunistiques compétiteurs. Ces effets indirects déclenchés par une diminution de la compétition interspécifique constituent une réponse fréquente aux traitements par les pesticides (Fleeger et al., 2003 ; Arts et al. 2006).

92Ainsi, une substance, sans effet toxique direct sur les organismes (tests toxicologiques non significatifs), peut, au travers d’une modification importante des caractéristiques chimiques d’un écosystème, présenter des effets toxiques indirects sur les communautés.

93La perte ou la diminution de la densité de certains groupes faunistiques (ou certaines espèces) induit des modifications des liens interspécifiques avec des répercussions indirectes sur d’autres groupes taxonomiques. Les modifications des communautés contribuent à leur tour au dérèglement du fonctionnement global des écosystèmes mettant en péril les services écosystémiques.

94Dans les milieux naturels, les impacts des substances toxiques sur les communautés résidentes sont les plus complexes à appréhender et les moins connus (Heiskanen et Solimini, 2005). L’extrême complexité de la composition chimique des effluents toxiques exclut fréquemment la possibilité de proposer une généralisation des réponses biocénotiques observées (Archaimbault et al., 2010), voire d’attribuer avec certitude les réponses observées aux toxiques en excluant les possibles facteurs confondants.

95Une des approches les plus prometteuses pour éliminer les facteurs confondants est l’analyse simultanée d’un grand nombre de sites dont les caractéristiques générales sont déterminées (physico-chimie classique de l’eau, description des habitats, caractérisation du bassin-versant) conjointement à la caractérisation de leur niveau de toxicité (quantification des composés toxiques, tests toxicologiques) et à la détermination de la structure de leurs communautés. Des analyses statistiques adaptées (analyses multivariées, modélisation des paramètres des communautés) permettent alors d’éliminer les facteurs confondants et de relier les caractéristiques des communautés aux niveaux de toxicité des milieux (Beketov et al., 2013).

96Ce type d’approche multisites a permis de définir des relations entre les caractéristiques écologiques de groupes taxonomiques (traits écologiques) et leurs réponses aux pesticides et de proposer une classification des taxons en espèces (ou genre, famille) à risque et espèces non à risque en cas de pollution par les pesticides (approche SPEAR pour SPEcies At Risk, Wogram et Liess, 2001). Établie pour les pesticides, cette méthodologie est en cours de développement pour d’autres polluants comme les ETM et des substances organiques (Beketov et Liess, 2008).

97À l’opposé des approches multisites, la minimisation des effets confondants a également été recherchée par application simultanée de plusieurs conditions de toxicité dans un même écosystème, avec toutefois l’important problème que posent les dommages sciemment provoqués sur l’écosystème test.

98Des effets indirects de la toxicité du glyphosate (composant de nombreux herbicides) sur les peuplements chironomidiens émergents (imagos) ont ainsi été clairement démontrés par augmentation des émergences en réponse à la disparition des macrophytes (Baker et al., 2014).

99La multiplication assez récente des mesures de remédiation (ex : adsorption de certains toxiques par du charbon actif) et de restauration (suppressions d’effluents polluants) des écosystèmes constitue une opportunité de déduire a posteriori les effets de molécules toxiques sur les communautés à partir de comparaisons des caractéristiques des peuplements avant et après remédiation (Janssen et Beckingam, 2012).

100La recolonisation des milieux après restauration peut prendre plusieurs années ce qui impose la réalisation d’un suivi des communautés à long terme. Les Chironomidae cependant montrent des capacités de recolonisation plus rapide que d’autres groupes taxonomiques (comme les mollusques, par exemple) et sont donc particulièrement intéressants dans le cadre de l’évaluation rétrospective de la toxicité d’un milieu par comparaison avant et après remédiation (Besten et Van den Brink, 2005).

4. Quelques cas d’études et exemples d’applications

4.1. Tests en conditions contrôlées de laboratoire

Test substance : immobilisation des larvules Chironomus riparius

101Le nickel (Ni) fait partie des nombreux ETM présents dans l’environnement. Qu’il soit d’origine naturelle ou anthropique (activités minières, électronique, etc.), il se retrouve généralement dans les milieux aquatiques sous forme dissoute (ion divalent) et fait partie des ETM les plus mobiles dans l’environnement (US EPA, 1986).

102Bien que le Ni appartienne aux oligoéléments indispensables au fonctionnement des organismes, il devient potentiellement toxique au-delà d’un certain seuil de concentration. Ainsi, en 2000, la directive-cadre sur l’eau (DCE, Directive 2000/60/CE), qui proposait des pistes pour maintenir et améliorer la qualité des eaux d’ici 2015, a d’ailleurs considéré le Ni ainsi que trois autres métaux (Cd, Hg et Pb) comme substances préoccupantes nécessitant d’être surveillées.

103Dans le cadre d’une étude visant à comparer les effets de différents types de polluants (pharmaceutiques ou métalliques) sur divers organismes animaux ou végétaux, terrestres ou aquatiques, des larves de Chironomus riparius ont été utilisées pour tester la toxicité du Ni. Parmi les tests normalisés avec ces organismes, l’essai d’immobilisation immédiate mis au point en 2011 par l’OCDE sur des larves de stade 1 a été retenu pour évaluer la toxicité aiguë de cette substance dans l’eau (OCDE, 2011).

104En effet, par rapport aux autres tests utilisant les larves de Chironomidae, la particularité de ce test repose sur le fait qu’il est réalisé en phase aqueuse uniquement (pas de présence de sédiment ou de matrice susceptible d’adsorber ou d’interférer avec la substance à tester) et sur des durées courtes (24 à 48 heures d’exposition) permettant son utilisation de routine pour l’évaluation de la toxicité des substances.

105Le protocole simplifié de l’essai OCDE n° 235 a été utilisé. Quatre à cinq jours avant le début de l’exposition des larves à la substance à tester, des masses d’œufs de C. riparius ont été prélevées de la culture-mère et placées dans un récipient dans lequel on rajoute un peu de nourriture (par exemple, des paillettes de TetraMin® finement broyées).

106Dans les conditions de laboratoire (20 °C), les œufs éclosent généralement après deux/trois jours et laissent apparaître les larvules de premier stade. Ces larves vont alors se nourrir après l’éclosion de façon à survivre ensuite durant la période d’exposition (où les larves ne sont plus alimentées) et à permettre un taux de survie chez les témoins qui doit être obligatoirement d’au moins 85 % en fin d’exposition pour que le test soit valable.

107Des piluliers en verre ont été préparés avec la gamme de concentration de la substance à tester et avec un minimum de 2 mL de milieu par larve, soit ici 10 mL de milieu pour cinq larves (figure 6). Les larves de C. riparius ont été exposées, dans des piluliers en verre, à une gamme de concentration en Ni2 + (apporté sous forme de chlorure de nickel, NiCl2) allant de 10-6 M (i. e. 58,7 µg L-1) à 10-1 M (i. e. 5,87 g L-1) [figure 6].

108Suivant les recommandations de la norme, cinq larves ont été introduites dans 10 mL de solution à tester, en veillant à les relâcher en dessous de la surface de l’eau de façon à s’assurer qu’elles ne soient pas piégées en surface, ce qui pourrait invalider les résultats du test. Les piluliers sont ensuite maintenus à 20 ± 1 °C dans une salle climatisée, avec une alternance de 16 heures de lumière et 8 heures d’obscurité. Sept réplicats ont été réalisés pour chaque concentration testée.

Figure 6. Exposition des larves de C. riparius à une gamme de concentration de Ni2+ apporté sous forme de NiCl2.

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Source : © crédit photographique : Christelle Moyen.

109Après 24 heures et 48 heures d’exposition, le nombre de larves immobiles a été compté dans chaque pilulier. Pour ce faire, les larves ont été stimulées par agitation du récipient et leur mobilité a été déterminée sous loupe binoculaire afin de faciliter l’observation des larves qui sont de petites tailles (de l’ordre du mm) et très faiblement colorées.

110Les larves immobiles ont été laissées en place dans les récipients jusqu’à la fin de l’exposition afin de confirmer leur immobilité. Les éventuelles larves manquantes ont également été comptabilisées comme immobiles.

111Il est précisé dans les lignes directrices du test que le mouvement de ces larves est erratique avec des phases de forte activité (nage par contraction rapide du corps en forme de huit, et relâchement) alternant avec des phases d’immobilité.

112On considère donc comme immobiles les larves incapables de changer de position, soit en rampant soit en nageant, dans les 15 secondes suivant leur stimulation mécanique.

113Les résultats sont présentés sous forme de pourcentages (relatifs au témoin) de larves immobilisées après 24 et 48 heures d’exposition au Ni. Les différences entre les concentrations testées ont été déterminées par une analyse de variance (Anova, p = 0,05) suivie par un test PLSD de Fisher. Les concentrations efficaces immobilisant 50 % des larves (CE50) et leurs intervalles de confiance à 95 % ont été générés par la macro Regtox (modèle de Hill).

114Ces résultats montrent un effet significatif du Ni2 + sur la mobilité des larves de C. riparius à partir de 10-2 M (environ 0,6 g L-1) et 10-4 M (environ 5,8 mg L-1) pour des périodes d’exposition de 24 heures et 48 heures, respectivement (figure 7A). Les valeurs optimales estimées des CE50 sont respectivement ici de 6,3 10-3 M (3,8 10-3 M - 8,3 10-3 M) soit de l’ordre de 370 mg L-1 pour une période de 24 heures d’exposition et de 5,3.10-4 M (2,2 10-4 M - 10,0 10-4 M) soit de l’ordre de 31 mg L-1 pour 48 heures d’exposition (figure 7A).

115Lorsque la durée d’exposition des larves de Chironomidae passe de 24 à 48 heures, la CE50 diminue approximativement d’un facteur 12, ce qui indique que les larves deviennent plus sensibles au nickel, autrement dit qu’il faut 12 fois moins de NiCl2 pour provoquer la mort de la moitié des larves. La CE50 diminue davantage lorsque l’exposition est prolongée au-delà de 48 heures.

Figure 7. Effet du nickel appliqué à différentes concentrations sur des larves de C. riparius de premier stade : A = pourcentages d’immobilisation par concentration testée et B = courbes dose-réponse de l’immobilisation des larves en fonction de la concentration d’exposition au Ni (le trait pointillé et les ronds blancs – moyenne avec écart-type – représentent une exposition de 24 heures ; le trait plein et les losanges noirs – moyenne avec écart-type –, une exposition de 48 heures).

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116Les valeurs des CE50 du Ni obtenues sont relativement élevées au regard des données disponibles pour d’autres espèces d’invertébrés aquatiques et soulignent la faible sensibilité de C. riparius aux ETM (Milani et al., 2003). Pour cette espèce, les données disponibles dans la littérature font état de concentrations létales (CL50) en Ni variant de 5 à 169 mgNi L-1 (Powlesland et George, 1986 ; Milani et al., 2003 ; Béchard et al., 2008).

117Différents facteurs abiotiques et biotiques permettent d’expliquer cette gamme de valeurs. Ainsi, la dureté de l’eau apparaît comme un paramètre faisant diminuer la toxicité du Ni, et des ETM en général (De Paiva Magalhaes et al., 2015). Ensuite, la durée d’exposition est également un facteur important, les CE50 diminuant généralement avec l’augmentation de la durée d’exposition (Watts et Pascoe, 2000). Enfin, d’un point de vue biologique, l’âge des larves influence également les réponses toxiques.

118Powlesland et George (1986) ont ainsi montré une sensibilité deux fois plus importante des larves de stade 1 par rapport à des larves de stade 2. Plus récemment, Weltje et al. (2010) ont également démontré la sensibilité des larves de stade 1 chez C. riparius et ainsi ouvert la voie au développement et à la normalisation du test d’immobilisation des larvules.

119L’immobilité sert ici de paramètre de substitution pour déterminer la mortalité des larves de premier stade, qui est en soi un paramètre difficile à établir. Il est ainsi probable que la mortalité des larves soit due à une perturbation de l’homéostasie ionorégulatrice, reconnue comme mécanisme de toxicité aiguë du Ni chez les invertébrés aquatiques, dont C. riparius (Leonard et Wood, 2013).

120Le test d’immobilisation immédiate des larvules de C. riparius est un test écotoxicologique facile à réaliser, ne nécessitant pas de connaissances fondamentales préalables ni de matériels importants, de courte durée et réalisable pour un faible coût. En ce sens, il répond ainsi parfaitement aux exigences réglementaires, dans le cadre de REACH par exemple, pour l’évaluation de la toxicité d’une substance avant sa mise sur le marché.

121Les trois autres lignes directrices normalisées, proposées sur des périodes d’exposition de plusieurs jours à plusieurs semaines, sont quant à elles destinées à mettre en évidence une toxicité chronique et donc à proposer des valeurs de toxicité généralement plus protectrices des écosystèmes.

Test matrices : toxicité eaux et sédiments

122De nombreuses étendues d’eau continentales constituent le récepteur d’effluents, plus ou moins traités, issus d’activités industrielles à l’origine de la diffusion dans l’environnement de contaminants potentiellement toxiques. Selon leurs propriétés physico-chimiques intrinsèques, ces substances vont se retrouver sous forme dissoute dans la colonne d’eau ou plus ou moins adsorbées sur les particules en suspension et les sédiments (Nayek et al., 2013).

123Au cours de la réalisation d’un diagnostic environnemental, il convient d’identifier le ou les compartiment(s) à risque afin de proposer des modes de gestion et de remédiation pertinents d’un point de vue environnemental mais également économique (Harmsen et Naidu, 2013).

124L’objectif de cette étude était donc d’évaluer la toxicité de l’eau et des sédiments d’un étang recevant des effluents industriels vis-à-vis de Chironomus riparius. Des investigations ont également été menées afin de déterminer la contribution de ces compartiments dans la bioaccumulation de différents ETM et l’induction d’effets toxiques chez les larves.

125Le site d’étude est un étang (14 ha de superficie et 1,5 m de profondeur moyenne) recevant les effluents prétraités (décantation) d’une importante plateforme pétrochimique. L’eau et les sédiments de l’étang présentent des concentrations élevées en différents ETM (As, Hg, Ni, Cr, etc.) et organochlorés (chloroforme, tétrachloroéthylène, hexachlorobutadiène, etc.) dépassant les normes de qualité environnementale (NQE).

126Les bioessais mis en place pour cette étude ont été conduits sur la base des tests standardisés (OCDE 218 et 219, 2004). Les organismes utilisés pour les tests étaient des larves de C. riparius de stade 2 (quatre jours post-éclosion). Les larves ont été exposées dans des béchers de 800 mL à raison de 20 larves par béchers et en réalisant systématiquement trois réplicats.

127Pour répondre aux objectifs fixés, les larves de C. riparius ont été exposées selon quatre modalités :

  1. ES : exposition à de l’eau témoin (E) et du sédiment artificiel (S) ;

  2. E*S : exposition à de l’eau contaminée (E*) et du sédiment artificiel (S) ;

  3. ES* : exposition à de l’eau témoin (E) et du sédiment contaminé (S*) ;

  4. E*S* : exposition à de l’eau contaminée et du sédiment contaminé (S*).

128Les eaux et sédiments contaminés ont été prélevés in situ ; les eaux et sédiments témoins préparés au laboratoire selon les recommandations des normes (OCDE 218 et 219, 2004). Les larves ont été exposées durant 12 jours, jusqu’à émergence de la totalité des larves dans au moins un des réplicats témoins (modalité ES).

129Les dispositifs d’exposition ont été maintenus à 20 ± 1 °C dans un bain thermostaté, sous une photopériode de 16 heures et sous aération constante (bullage) durant toute la durée de l’expérimentation. Les réponses mesurées étaient la survie, la croissance des larves et le taux d’émergence des imagos.

130Les longueurs et masses individuelles des larves ainsi que les taux d’émergence ont été comparés par une analyse de variance (Anova, p = 0,05) suivie par un test de Tukey pour déterminer les différences entre les modalités d’exposition.

131Aucune mortalité n’a été enregistrée au cours de l’expérimentation, même dans le cas d’une double exposition à l’eau et aux sédiments contaminés en provenance de l’étang. Les longueurs et masses individuelles des larves après 12 jours d’exposition sont présentées en figure 8.

Figure 8. Longueurs et masses fraîches individuelles des larves de C. riparius après 12 jours d’exposition aux différentes modalités. Des lettres identiques témoignent de l’absence de différence significative (Anova + Tukey, p > 0,05).

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132Les résultats montrent que la croissance est légèrement mais significativement impactée chez les larves exposées aux modalités E*S et E*S* avec des diminutions, en moyenne, de 10 % pour la longueur individuelle et 25 % pour la masse fraîche en comparaison de la modalité témoin (ES).

133Les résultats concernant le taux d’émergence des larves vont dans le même sens que les précédents (figure 9). On observe en effet des diminutions significatives des taux d’émergence chez les individus exposés à de l’eau contaminée de l’étang et atteignant, par rapport aux témoins, 17 % pour la modalité E*S et 64 % pour la modalité E*S*.

Figure 9. Taux d’émergence des larves de C. riparius après 12 jours d’exposition aux différentes modalités. Des lettres identiques témoignent de l’absence de différence significative (Anova + Tukey, p > 0,05).

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134Comme le laissait supposer l’abondance des larves de Chironomidae observée in situ dans les sédiments de l’étang, la contamination de l’eau et/ou des sédiments n’entraîne pas de mortalité chez les larves de C. riparius.

135Par contre, des effets ont été observés vis-à-vis du développement des individus, sous la forme d’inhibitions de croissance, à la fois en termes de longueur et de masse des larves. Ceci peut s’expliquer de différentes façons : toxicité directe des contaminants présents dans l’eau de surface entraînant des perturbations physiologiques à l’échelle moléculaire (Choi et al., 2000), ou toxicité indirecte modifiant le comportement des larves (déplacement, alimentation, etc.), ou encore l’allocation énergétique à la croissance (Choi et al., 2001).

136Plus précisément, ces inhibitions sont plus marquées en termes de masse que de longueur (25 vs 10 %, respectivement). Ce résultat semble plutôt en faveur de l’hypothèse de perturbation du métabolisme énergétique des larves exposées à l’eau contaminée de l’étang.

137En effet, dans des conditions normales (témoins), lorsque la longueur maximale est atteinte (environ 12 mm), les larves continuent à prendre de la masse en lien avec l’accumulation de réserves énergétiques en prévision de la nymphose et de la dernière mue imaginale (phase d’émergence) [Péry et al., 2002].

138Chez les individus exposés, en particulier à l’eau contaminée de l’étang, cette prise de masse finale est significativement affectée et se répercute ensuite sur le taux d’émergence. En effet, ce dernier est clairement inhibé chez les larves exposées à l’eau et au sédiment contaminés (E*S*).

139Il existe donc un décalage de plusieurs jours dans la mise en place de la nymphose et de la mue imaginale, décalage nécessaire aux larves exposées pour compenser leur retard de croissance et atteindre les conditions physiologiques optimales pour cette étape clé du cycle de vie de C. riparius.

140En termes de contribution des sources d’exposition, il apparaît clairement que l’eau est à l’origine de l’induction des effets toxiques observés sur la croissance. Pourtant, les mesures des concentrations internes en ETM dans les larves (données non présentées) montrent des valeurs de bioaccumulation beaucoup plus importantes lors d’une exposition au sédiment (par exemple, 66 µgAs g-1 et 1,2 µgHg g-1) par rapport à l’exposition à l’eau contaminée (0,5 µgAs g-1 et 0,2 µgHg g-1).

141Bien qu’ils n’aient pas pu être dosés dans les tissus des larves (biomasse insuffisante), d’autres composés, notamment organochlorés, présents dans l’eau en concentrations parfois très élevées (par exemple, 10 µg L-1 d’hexachlorobutadiène, soit 500 fois la NQE) sont probablement responsables des effets observés.

142C’est, ainsi probablement, cette exposition cumulée, à la fois à des composés organiques dans l’eau et des ETM dans les sédiments, qui est à l’origine des effets particulièrement sévères observés sur le taux d’émergence. Cette perturbation peut avoir des répercussions sur la reproduction des adultes, en affectant par exemple leur fécondité, et ainsi modifier les dynamiques populationnelles des Chironomidae (Péry et al., 2004).

143Les tests écotoxicologiques utilisant les larves de Chironomidae comme modèle biologique sont donc tout à fait adaptés à l’évaluation de la qualité d’une matrice environnementale, comme l’eau ou les sédiments. L’étude de réponses multiples (croissance, émergence, bioaccumulation) lors d’expositions simples ou cumulatives (eau + sédiment) permet en outre d’affiner la compréhension des transferts des substances impliquées dans l’induction des effets toxiques.

144Il a ainsi été possible de montrer les contributions différentes de l’eau et des sédiments. Ce type d’information peut s’avérer particulièrement intéressant en termes de gestion des sites contaminés en permettant de cibler les compartiments à risques et donc les méthodes de remédiation et de réhabilitation à mettre en œuvre pour réduire les impacts environnementaux.

4.2. Bio-indication active

145Les résultats suivants présentent une étude in situ de la biodisponibilité et du transfert des métaux issus des lixiviats d’une décharge (bio-indication active avec Chironomus riparius). Le contexte est le suivant. Entre 2004 et 2010, la production de déchets a augmenté en France de près de 20 %, passant de 297 millions de tonnes à 355 millions de tonnes (INSEE).

146Parmi eux, on compte près de 13 % de déchets dits ménagers qui, bien qu’inscrits dans la catégorie des déchets non dangereux, sont susceptibles de constituer, lorsqu’ils sont soumis à l’enfouissement (autorisé jusqu’en 2002), des vecteurs de contamination environnementale (Aleya et al., 2007 ; Grisey et Aleya, 2015).

147La principale nuisance est la formation de lixiviats, liquides issus de la dégradation des déchets, qui sont souvent chargés en différentes substances potentiellement toxiques (ETM, HAP, pesticides) [Hernández et al., 2012]. C’est pourquoi la caractérisation, la surveillance et l’épuration des lixiviats sont primordiales dans le but de prévenir et gérer les contaminations du milieu naturel (Matejczyk et al., 2011).

148Parmi les méthodes d’évaluation des risques environnementaux existantes, la bio-indication active consiste à exposer in situ des organismes issus du laboratoire afin d’évaluer, chez des individus naïfs, la biodisponibilité et le potentiel de transfert des substances présentes dans les lixiviats. Ce sont les objectifs de cette étude, centrée sur les ETM.

149Leur biodisponibilité sera évaluée à deux échelles : celle de l’individu, en déterminant les cinétiques d’accumulation de différents ETM dans des larves de Chironomus riparius exposées dans un bassin de lagunage recevant les jus de lixiviation (biodisponibilité environnementale), et celle subcellulaire, en identifiant les fractions internes de stockage de ces ETM (biodisponibilité toxicologique).

150Le protocole est le suivant : le site d’étude est une ancienne décharge qui présentait un mode d’exploitation à ciel ouvert sur une surface de 28000 m2 et qui a accueilli environ 200000 tonnes de déchets entre 1974 et 2002.

151Dans le but de réduire les risques de contamination du milieu naturel, un système de lagunage naturel de 12000 m2 a été mis en place en 1994. C’est dans ce système aquatique qu’ont été encagées des larves de C. riparius (stade 4) pour une durée de cinq jours. Les cages utilisées, construites sur la base du modèle développé par Ferrari et al. (2014), permettent l’exposition des larves à la fois aux sédiments et à la colonne d’eau.

152Quinze cages, contenant 20 larves, ont été disposées au sein du bassin de collecte des effluents de l’ancienne décharge au début de l’expérimentation et trois cages (triplicat) ont ensuite été prélevées quotidiennement (approche cinétique). Elles sont alors rapportées au laboratoire pour y effectuer des prélèvements d’eau, de sédiments et récupérer les larves introduites. Ces dernières sont alors rincées à l’eau ultrapure, dénombrées, mesurées individuellement et pesées avant d’être sacrifiées par congélation à -20 °C. Des prélèvements de particules en suspension ont également été effectués grâce à la mise en place de pièges à particules.

153Avant d’être analysées pour leur contenu en ETM, les larves ont été fractionnées par broyage puis centrifugation afin de déterminer trois fractions : la fraction totale (fraction H), la fraction insoluble (fraction P), contenant l’exosquelette, le contenu du tube digestif et les débris cellulaires et la fraction soluble correspondant au cytosol total (fraction S), siège de l’action toxique (Péry et al., 2008 ; Gimbert et al., 2016).

154Les cinétiques ont été décrites à l’aide d’un modèle polynomial (d’ordre 2) et la répartition des ETM dans les deux fractions sur la base de la somme P + S après vérification des bilans (P + S = H). Le taux de survie des larves encagées était de 93 ± 8 % et leur vitesse de développement (croissance) a été évaluée à 0,1 mm j-1 (données non présentées). Les analyses ont été conduites pour 10 ETM mais seulement quatre sont détaillés ici. Les cinétiques d’accumulation de l’As, du Cd, du Pb (ETM non essentiels) et du Zn (ETM essentiel) sont présentées en figure 10.

155Les ETM étudiés ici sont représentatifs de quatre patterns d’accumulation : une absence d’accumulation (Zn), une accumulation lente mais progressive sur la durée d’exposition (Cd), une accumulation plus rapide et atteignant un plateau (Pb) et une accumulation très rapide atteignant un seuil avant de diminuer (As).

Figure 10. Cinétiques d’accumulation (fraction totale) des différents ETM dans les larves de C. riparius encagées in situ (la courbe correspond à l’ajustement d’un modèle polynomial d’ordre 2).

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156Ces données de bioaccumulation dans la fraction totale sont complétées par les cinétiques de la répartition de ces ETM entre les fractions soluble (S) et insoluble (P) dans les larves de C. riparius (figure 11).

157D’abord, il est possible de remarquer que l’affinité pour l’une ou l’autre des fractions est clairement dépendante du type d’ETM considéré. En effet, alors que le Cd est majoritairement présent dans la fraction soluble, l’As lui est contenu à plus de 80 % dans la fraction insoluble.

158Globalement, il est possible de classer les ETM vis-à-vis de leur affinité pour la fraction soluble dans l’ordre : Cd > Zn > Pb > As. L’approche cinétique permet ensuite de voir que la répartition du Zn est stable au cours de l’exposition, que celle du Cd se fait dans la fraction soluble, que celle du Pb fait intervenir les deux fractions et enfin que celle de l’As ne change qu’en fin d’exposition au profit de la fraction soluble.

Figure 11. Cinétiques de la répartition des différents ETM entre les fractions soluble (S, en noir) et insoluble (P, en gris) dans les larves de C. riparius encagées in situ.

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159Les cinétiques d’accumulation témoignent de la biodisponibilité de certains ETM dans l’eau et les sédiments du bassin de lagunage. C’est notamment le cas du Cd, qui s’accumule progressivement dans les larves et en particulier dans la fraction cytosolique. Ceci laisse à penser que cet élément va être progressivement pris en charge par certaines protéines solubles (métallothionéines) impliquées dans la détoxication des ETM et ainsi être séquestré à l’intérieur du cytosol sous une forme détoxiquée (Amiard et al., 2006).

160La cinétique du Pb atteint rapidement un plateau (après deux jours d’exposition) et témoigne donc de l’existence de processus d’excrétion, limitant ainsi l’augmentation des concentrations internes et l’induction d’effets toxiques potentiels.

161De plus, une large majorité du Pb se trouve dans la fraction insoluble, probablement sous forme adsorbée à l’exosquelette ou aux particules alimentaires (sédiments ou matières en suspension, MES) dans le tube digestif (Kranzberg et Stokes, 1989).

162La cinétique d’accumulation de l’As semble décrire deux phases : une première phase d’augmentation rapide des concentrations internes (multipliées par trois en deux jours) suivie d’une seconde phase où les concentrations diminuent pour atteindre quasiment leur niveau initial.

163Cette seconde phase est par ailleurs marquée par une modification de la répartition interne de l’As qui se concentre dans la fraction cytosolique. Ceci correspond probablement à la mise en place d’un mécanisme physiologique d’élimination de cet élément, voire de biotransformation pour faciliter son excrétion ou sa détoxication (Mogren et al., 2013).

164Enfin, l’absence d’accumulation du Zn est à mettre en relation avec son caractère essentiel au fonctionnement métabolique et sa régulation physiologique, permettant de maintenir des concentrations cytosoliques optimales chez les larves, probablement en le séquestrant au sein de la fraction insoluble (granules) [Timmermans et al., 1992].

165Il apparaît donc que les larves de C. riparius exposées in situ aux effluents de la décharge ont mis en place différents mécanismes physiologiques visant à limiter l’interaction des ETM avec les sites d’action toxique et l’induction d’effets délétères. Néanmoins, la croissance des larves (0,1 mm j-1) est largement inférieure à la référence de 2 mm j-1 établie en laboratoire par Péry et al. (2003).

166Cet écart peut être expliqué d’une part par les différences dans les conditions d’exposition et en particulier la température de l’eau (20 °C en laboratoire vs 10 °C dans nos conditions de terrain) et d’autre part par des modifications éventuelles de l’allocation énergétique attribuée à la croissance au profit des stratégies de détoxification (Kooijman et al., 2009).

167Cette étude a également permis de déterminer que 60 % du Cd et 30 % du Pb bioaccumulés par les larves de C. riparius sont potentiellement transférables aux maillons trophiques supérieurs (TAM pour Trophically Available Metal ; Wallace et al., 2003).

168Ces résultats permettent ainsi d’expliquer les concentrations en ETM élevées retrouvées dans des gardons vivant dans les bassins de lagunage du site d’étude et les effets génotoxiques qui y ont été décelés (Ben Salem et al., 2014).

169L’utilisation de larves de C. riparius en bio-indication active a ainsi permis de mettre en évidence la biodisponibilité et le transfert des ETM au sein du bassin de lagunage d’une ancienne décharge.

170Bien que les concentrations mesurées dans l’eau, les sédiments et les MES soient susceptibles d’engendrer des effets toxiques, les stratégies internes de détoxication mises en œuvre ont permis de limiter les impacts sur les individus.

171Ce type d’approche in situ peut être conduit dans différentes situations environnementales et être reproduit au cours de l’année afin de prendre en compte l’impact éventuel d’un certain nombre de facteurs confondants comme la saison (température, etc.) ou les variations de la physico-chimie de l’eau et des sédiments (pH, etc.).

172Il s’agit également d’un outil pertinent pour évaluer l’efficacité de la gestion d’un site contaminé en comparant, par exemple, les résultats avant et après la mise en place d’une réhabilitation (dragage des sédiments, phytoremédiation, etc.).

4.3. Bio-indication passive

173Nous allons montrer les effets des travaux de réhabilitation d’un cours d’eau, contaminé par les polychlorobiphényles (PCBs), sur la toxicité de ces substrats par la mise en évidence de l’étude des déformations des mentums de larves de Chironomidae résidentes.

174Les PCBs sont des molécules synthétiques chlorées largement utilisées en industrie à partir des années 1930 pour leurs propriétés d’isolation électrique, de lubrification et d’ininflammabilité.

175Interdites de production et de commercialisation dans les années 1980, ces molécules, peu biodégradables, sont encore aujourd’hui largement présentes dans les sols et les systèmes aquatiques où elles s’adsorbent sur les molécules organiques et s’accumulent dans les sédiments.

176Or, de nombreux organismes aquatiques détritiphages consomment les matières organiques, bioaccumulent les PCBs et participent à leur transfert vers les organismes des niveaux trophiques supérieurs dont les espèces pisciaires et l’Homme.

177Nous nous sommes intéressés à un cours d’eau fortement contaminé par des PCBs issus d’une usine de transformateurs électriques à l’origine d’une pollution des sols sur lesquels il circule.

178Avant réhabilitation, les substrats du cours d’eau contenaient, plus de vingt ans après la suppression de la source directe de contamination, entre 3000 et 5000 ng g-1 de matière sèche (MS) de PCBi (somme des sept congénères de PCBs indicateurs) et une contamination des espèces pisciaires ([PCBi] > 400 ng g-1 MS, [PCBi]max = 2000 ng g-1 MS) largement supérieure à la limite autorisée par les normes européennes pour la consommation humaine ([PCBi] < 125 ng g-1 MS) [Cottin et al., 2015].

179Ces concentrations, particulièrement élevées, ont motivé la décision d’entreprendre des travaux de réhabilitation du cours d’eau et la mise en place d’une évaluation de la toxicité des substrats avant et après dépollution.

180En 2013, les travaux de réhabilitation ont impliqué la création d’un nouveau lit mineur du cours d’eau sur des terrains non contaminés par les PCBs, un traitement des fonds de l’ancien lit mineur par ajout de charbon actif qui fixe les PCBs par adsorption (Werner et al., 2005 ; Rakowska et al., 2012) et imperméabilisation du lit par des argiles afin d’éviter un transfert des PCBs vers la nappe phréatique.

181Après réhabilitation, les concentrations en PCBs dans les substrats du cours d’eau ont été diminuées d’environ un facteur 10, avec des [PCBi]moyenne de 400 ng g-1 MS sur les substrats de la station amont et 100 ng g-1 MS sur les substrats de la station aval. Une pollution résiduelle persiste surtout sur la station amont.

182Dans ce contexte, la toxicité des substrats constituants les fonds du cours d’eau, a été évaluée, sur les communautés résidentes de Chironomidae par analyse de la prévalence d’apparition de déformations des pièces buccales des larves (mentums) avant et après réhabilitation.

183La méthode utilisée a été la suivante : les communautés larvaires chironomidiennes ont été échantillonnées sur deux stations du cours d’eau (amont et aval) en juin 2012 avant le début des travaux de réhabilitation et en juin 2014, huit mois après la fin des travaux.

184Afin d’obtenir des résultats comparables entre les stations et entre les deux années d’étude, les communautés larvaires chironomidiennes ont été échantillonnées sur l’ensemble des habitats (couple substrat-vitesse de courant) des deux stations et aux deux dates mais seules ont été analysées les communautés issues des habitats communs aux quatre combinaisons stations-date.

185Ainsi, les déformations des mentums ont-elles été analysées sur les larves issues de deux habitats (graviers/5-25 cm s-1 et galets/5-25 cm s-1, figure 12). Les communautés chironomidiennes de ces deux habitats ont été échantillonnées en triplicat sur chaque station-date à l’aide d’un filet de Surber (1/20 m2 de surface d’échantillonnage). Après prélèvement, les substrats ont été conditionnés et conservés dans l’éthanol 90 % avant traitement au laboratoire.

Figure 12. Plan d’échantillonnage pour l’analyse comparative de la prévalence des déformations des pièces buccales des larves chironomidiennes résidentes.

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186Au laboratoire, chaque échantillon est rincé sur un tamis (vide de maille de 250 μm) puis les larves chironomidiennes sont extraites à la pince fine sous loupe binoculaire (X 40). Pour chaque échantillon, 50 larves sont sous-échantillonnées au hasard, lorsque les effectifs le permettent.

187Après un traitement des larves de 12 heures dans du KOH 10 % (v/v) nécessaire à un éclaircissement de la capsule céphalique, les carbonates de calcium déposés sur les pièces buccales sont éliminés par un bain d’HCl 10 % (v/v), puis un rinçage à l’eau distillée. Les larves sont ensuite montées entre lame et lamelle dans un liquide montage (Aquamount Mountant Gur®), en vue ventrale, avant observation en microscopie optique (X 200 à X 1000) des pièces buccales (mentums et mandibules).

188L’observation en microscopie permet de déceler la présence d’anomalies dans la symétrie des pièces buccales correspondant soit à des cassures, usures des dents (contours irréguliers, rugueux), soit à des déformations (anomalies du développement, contours lisses).

189Seules les déformations doivent être considérées comme signe de la toxicité d’un milieu aquatique (Vermeulen, 1995 ; Martinez et al., 2002 ; Cortelezzi et al., 2011 ; Di Veroli et al., 2012).

190La fréquence des déformations (prévalence) est calculée pour chaque échantillon par le rapport entre le nombre de larves présentant au moins une déformation et le nombre total de larve observées.

191L’effet potentiel de l’appartenance des communautés aux différents groupes (station/ date/habitat) sur les fréquences d’apparition des déformations a été recherché (tests de Kruskal-Wallis, risque α = 5 %). Dans le cas d’un effet significatif, les différences significatives des fréquences moyennes ont été recherchées entre les huit groupes (test de Mann-Whitney, risque α = 5 %).

192Les résultats sont les suivants : différents types de déformations ont été observés sur les larves chironomidiennes comme l’absence de dent centrale du mentum, la fusion de dents centrales, la fusion ou l’absence de dents latérales, des dents supplémentaires et des déformations des mandibules. Toute larve présentant au moins un de ces types est comptabilisée comme déformée.

193Un total de 1147 capsules céphaliques de larves chironomidiennes a été observé en microscopie. La prévalence des déformations est analysée au niveau des communautés extraites de chaque échantillon et les prévalences moyennes sont calculées pour chacune des huit combinaisons date/station/habitat (figure 13).

194Avant les travaux de réhabilitation, sur la station située la plus en amont du cours d’eau, les fréquences de déformation des pièces buccales sont très élevées (20 %-25 %), nettement supérieures à la valeur seuil de 8 % considérée comme « normale » (Cortelezzi et al., 2011) et similaire dans les deux habitats.

195Sur la station plus en aval les taux de déformations, similaires dans les deux habitats, sont significativement plus faibles que sur la station amont et sont très proches du seuil de « normalité » (8,8 %-5,8 %).

196Après les travaux de réhabilitation, sur les deux stations et dans les deux habitats, on note une diminution de la fréquence des déformations dans les communautés échantillonnées après les travaux de réhabilitation. Du fait d’un taux de déformation assez faible avant réhabilitation, cette diminution n’est pas significative sur la station-aval.

197En revanche, sur la station amont il y a un effet significatif de la réhabilitation du cours d’eau sur la diminution des déformations des pièces buccales des larves chironomidiennes.

Figure 13. Prévalence (en %) des déformations des pièces buccales des larves de Chironomidae échantillonnées avant et après réhabilitation dans les stations amont et aval et les deux habitats graviers et galets avec une vitesse du courant entre 5 et 25 cm s-1 (a, b et c : moyennes significativement différentes, test Mann-Whitney, p < 0,05 et tests de Kruskal Wallis p < 0,05 ; horizontale : valeur seuil de prévalence « normale », Cortelezzi et al., 2011).

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198Dans les habitats graviers et galets, la prévalence diminue respectivement de 24,3 % à 4,5 % et de 17,3 % à 4,5 %. Dans les deux habitats la prévalence après réhabilitation présente une valeur nettement inférieure au seuil considéré comme témoin d’une toxicité du milieu.

199Depuis déjà de nombreuses années, les déformations des larves chironomidiennes sont reconnues comme un outil pertinent d’évaluation de la toxicité des sédiments des milieux aquatiques pollués par des métaux lourds (Martinez et al., 2002, 2004), des pesticides (Vermeulen, 1995) ou présentant une pollution globale non identifiée (Nazarova et al., 2004 ; Al-Shami et al., 2011).

200Peu d’études, en revanche, évaluent la pertinence de cet indicateur pour révéler une pollution par les PCBs. Les forts taux de contamination par les PCBs du cours d’eau étudié et les importantes diminutions des concentrations en PCBi après sa réhabilitation permettent d’évaluer la pertinence de ce critère écotoxicologique pour la mise en évidence d’une pollution par les PCBs par comparaison de la prévalence des déformations larvaires avant et après restauration du cours d’eau.

201La diminution de la prévalence des déformations larvaires sur les deux habitats des deux stations après la forte réduction des concentrations en PCBi semble indiquer la pertinence de ce critère pour la mise en évidence d’une pollution par les PCBs.

202Cependant, si l’évaluation de la contamination des substrats s’effectue sur la base de la valeur de la prévalence par rapport à une valeur seuil considérée comme « normale » alors, sur la station-aval, les prévalences mesurées avant réhabilitation ne traduisent pas une situation de pollution toxique des substrats alors que la pollution par les PCBs est avérée.

203En effet, la toxicité d’une substance pour un organisme donné dépend de sa concentration mais aussi de sa biodisponibilité (Du et al., 2014). L’explication du résultat observé sur la station-aval avant réhabilitation réside dans la morphodynamique de cette station dans laquelle les substrats minéraux (graviers et galets) sont peu colmatés par les matières fines (observation lors de l’échantillonnage).

204Dans ce contexte et malgré des concentrations élevées en PCBs (exprimés en ng g-1 de matière sèche), la quantité de PCBs adsorbés sur des matières suffisamment fines pour être consommées par les larves de Chironomidae est faible. Il en résulte une faible toxicité des substrats pour les larves chironomidiennes.

205Sur la station amont, le dépôt de matière organique fine est bien supérieur à celui observé sur la station-aval et les PCBs adsorbés sur ces dépôts sont beaucoup plus disponibles à la consommation par les larves chironomidiennes. Lorsque la concentration et la biodisponibilité des PCBs sont fortes, on constate alors une forte prévalence de déformations des larves, non observables lorsque la biodisponibilité est plus faible.

206Ainsi, la prévalence des déformations larvaires reflète-t-elle la concentration en PCBs et sa biodisponibilité. En conséquence, si les diminutions de prévalences observées sur les deux stations après les travaux de réhabilitation peuvent être interprétées en termes de diminution de la toxicité des substrats, en revanche elles ne permettent pas de conclure quant à la diminution des concentrations par les PCBs en l’absence d’analyses chimiques. En effet, l’étude réalisée ne permet pas de conclure quant à une éventuelle modification de la biodisponibilité des PCBs après réhabilitation.

207Cette étude montre la pertinence de l’analyse des déformations morphologiques des larves de Chironomidae résidentes pour mettre en évidence une contamination des substrats par les PCBs et leur toxicité, dépendant de la concentration et de la biodisponibilité du polluant. Elle souligne également la nécessité de développer des approches multiparamètres.

208Il est, en effet, probable que l’analyse d’effets écotoxicologiques des PCBs sur des organismes consommateurs de particules organiques en suspension dans l’eau (mollusques bivalves, filtreurs) aurait permis de mettre en évidence la pollution par les PCBs sur la station-aval avant sa réhabilitation.

209Ces approches multiples, visant à formuler des conclusions à partir de plusieurs critères indépendants en leur conférant une fiabilité et un poids supplémentaires, sont en cours de développement : WoE approach, Weight of Evidence (Wolfram et al., 2012) et AOP Adverse Outcome Pathway (Groh et al., 2015).

5. Conclusion générale

210D’abord reconnues comme organismes clés dans le fonctionnement des écosystèmes aquatiques, les larves de Chironomidae font, depuis plusieurs décennies, l’objet d’une attention particulière de la part de la communauté des écotoxicologues. Leur ubiquité à l’échelle mondiale, leur situation à l’interface eau-sédiment, leur facilité d’élevage, leur capacité d’accumulation et leur sensibilité vis-à-vis de nombreuses substances organiques ou inorganiques ont rapidement conduit à leur utilisation en tant qu’organismes sentinelles de la qualité des écosystèmes aquatiques.

211Initialement, beaucoup de biomarqueurs d’exposition ou d’effet aux échelles moléculaire ou individuelle ont été développés et utilisés, très souvent séparément, au cours d’études en laboratoire (en particulier dans l’évaluation de la toxicité d’une substance).

212Aujourd’hui, de plus en plus de travaux utilisent une combinaison de ces approches lors d’études de terrain dans une optique d’évaluation holistique des risques environnementaux liés à la contamination des milieux aquatiques (eau ou sédiments).

213Bien que l’extrapolation des réponses individuelles aux échelles populationnelle et communautaire reste délicate du fait de l’existence de nombreux facteurs confondants, les changements d’échelle d’organisation biologique constituent une étape clé pour une approche prédictive de l’impact des substances d’origine anthropique sur le fonctionnement des écosystèmes aquatiques.

214De la même façon, les larves de Chironomidae constituent également un outil pertinent pour l’évaluation, par des approches de bio-indication active ou passive, des risques de bioaccumulation des substances indésirables dans les réseaux trophiques mais également de l’efficacité des méthodes de remédiation et de réhabilitation d’anciens sites perturbés par les activités humaines.

6. Remerciement

215Les auteurs remercient le SICTOM de la zone sous-vosgienne (Etueffont, Territoire de Belfort) et plus particulièrement Hervé Grisey.

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