Chapitre V. Évaluation de la toxicité de rejets industriels polycontaminés en métaux à l’aide de trois outils écotoxicologiques pertinents et complémentaires
p. 145-181
Texte intégral
1. Introduction
1Les rejets des activités industrielles dans les milieux aquatiques sont à l’origine de préoccupations environnementales et sanitaires car ils sont susceptibles de dégrader fortement et durablement la qualité de ces milieux, qui constituent des ressources essentielles.
2En effet, les rejets industriels contiennent fréquemment des contaminants et polluants multiples, dont il est nécessaire d’évaluer les dangers et les risques préalablement à leur libération dans les écosystèmes aquatiques (Badot, 2011).
3En France, les réglementations nationales et européennes (DCE – directive-cadre sur l’eau, Action RSDE – recherche des substances dangereuses dans l’eau, règlements ICPE – installations classées pour la protection de l’environnement) encadrent de manière précise les possibilités de libération de ces rejets dans les milieux aquatiques.
4Pour pouvoir être rejetés dans l’environnement, les effluents issus des procédés industriels doivent en effet satisfaire de nombreux critères de qualité visant notamment à maintenir leurs concentrations en polluants en deçà de valeurs seuils, inscrites dans un arrêté préfectoral d’exploitation.
5Pour respecter ces exigences, les effluents industriels font fréquemment l’objet de traitements de décontamination, préalablement à leur rejet, afin d’abattre les concentrations des substances dangereuses pour l’environnement et la santé humaine (Charles et al., 2011a, 2014).
6Cependant, la composition chimique des eaux usées est en général complexe et variable en raison des variations de l’activité de l’entreprise productrice. Ceci rend délicate et difficile l’épuration de ces effluents malgré la mise en œuvre de technologies de traitements de plus en plus performantes.
7En règle générale, cette épuration ou décontamination (ou encore dépollution ou détoxification) n’est jamais complète et, bien qu’ils respectent les seuils réglementaires en vigueur, les rejets libérés dans les cours d’eaux ne sont pas totalement dépourvus de substances polluantes (Morin-Crini et al., 2013 ; Euvrard et al., 2014).
8En conséquence, il est indispensable de s’assurer que les dangers et les risques associés demeurent dans des limites acceptables. En outre, aujourd’hui, le renforcement de la réglementation impose non seulement de continuer à améliorer le fonctionnement des stations de traitement des eaux pour tendre vers le rejet zéro pollution mais également d’évaluer la toxicité des rejets et la qualité environnementale.
9Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que les conditions physico-chimiques qui règnent dans les milieux aquatiques récepteurs varient au cours du temps. De nombreux facteurs naturels ou anthropiques concourent à cet état de fait. Les changements climatiques saisonniers (orages, fonte des neiges, précipitations importantes, sécheresse…) sont à l’origine de modifications importantes du régime hydrique se traduisant par des crues ou des étiages.
10L’intensité des pressions anthropiques n’est en général pas constante au cours de l’année et est sujette à des variations liées par exemple aux activités touristiques ou agricoles. Il peut en découler des modifications importantes de l’état physico-chimique des masses d’eau affectant par exemple leur volume, leur température, leur oxygénation, leur pH, leur potentiel d’oxydoréduction ou encore leur salinité.
11Ces changements modulent très fortement le fonctionnement des écosystèmes aquatiques et peuvent affecter leur capacité à supporter l’apport d’effluents sans présenter d’altérations significatives. En présence d’un danger bien caractérisé – par exemple la présence d’un contaminant donné à une certaine concentration – il n’est donc pas toujours possible d’évaluer avec précision le risque effectif pour le milieu récepteur (Badot et al., 2011).
12Les polluants et contaminants présents dans les rejets peuvent en outre interagir entre eux sans qu’il soit toujours possible de prédire la nature et le sens des interactions, synergies, antagonismes, potentialisations, etc. L’usage montre notamment qu’il est souvent impossible de prévoir correctement la toxicité de mélanges complexes dont la composition est susceptible de varier au cours du temps et en fonction des caractéristiques physico-chimiques du milieu.
13Toutes ces raisons font que l’évaluation a priori des risques liés aux rejets industriels dans les milieux aquatiques est très souvent empreinte d’une grande part d’incertitude et qu’il est très difficile de s’assurer que les rejets n’auront pas d’effets néfastes sur les écosystèmes récepteurs (Badot, 2011 ; Badot et al., 2011).
14Différentes méthodes de surveillance et d’évaluation de la qualité chimique et biologique des eaux ont été mises au point et sont couramment utilisées. Ces méthodes reposent essentiellement sur plusieurs types d’approches :
Des analyses chimiques ont pour objectif de déterminer la composition des effluents avant et après traitement ;
Les données analytiques sont confrontées aux informations toxicologiques disponibles qui sont utilisées pour appréhender a priori les effets des polluants sur les organismes vivants ;
Des essais écotoxicologiques (ou bioessais) réalisés en conditions contrôlées permettent de caractériser les dangers des effluents ;
L’utilisation d’organismes bio-indicateurs naturellement présents dans les milieux (indices biologiques) ou introduits à dessein (méthodes de biosurveillance active, etc.) renseigne sur l’état réel des milieux et sur les réponses des organismes, des populations et des communautés vivant dans les milieux exposés.
15Chacune de ces approches présente des avantages et souffre de limitations. Les analyses chimiques ne peuvent détecter que les substances chimiques que l’on a choisi préalablement de rechercher. Les données analytiques obtenues ne sont ainsi jamais exhaustives.
16Le risque de ne pas identifier une ou plusieurs substances exerçant des effets toxiques significatifs ne peut ainsi pas être écarté. Les seuils de sensibilité analytique et la disponibilité des méthodes constituent aussi des freins importants à l’efficacité des approches analytiques en restreignant la qualité des informations obtenues.
17Parallèlement, les connaissances toxicologiques et écotoxicologiques sont le plus souvent très lacunaires. Elles ne concernent le plus souvent qu’un nombre très restreint d’espèces vivantes, pas toujours représentatives de celles présentes dans les systèmes naturels. Seul un faible nombre de réponses biologiques (endpoints) a fait l’objet d’investigations et ici encore l’exhaustivité n’est pas accessible.
18Des effets discrets mais importants sur le plan sanitaire ou écologiquement significatifs peuvent ainsi être longtemps négligés voire ignorés à l’exemple de ce qui s’est produit pour les perturbations endocriniennes.
19Une autre difficulté est liée au fait que les protocoles expérimentaux retenus dans les essais toxicologiques et écotoxicologiques sont caractérisés par une simplification extrême destinée à assurer la reproductibilité et la validité des résultats et qu’en conséquence les conditions retenues (gamme de concentrations limitée, concentrations maintenues constantes pendant toute l’exposition, faible durée d’exposition, milieu standardisé et constant) n’ont souvent que peu à voir avec la variabilité spatiale et temporelle des conditions régnant dans le monde réel.
20La transposition des résultats expérimentaux ainsi obtenus aux situations concrètes est donc très aléatoire. De plus, les mécanismes d’action qui sous-tendent les réponses toxiques observées sont souvent inconnus ou très peu compris, ce qui interdit de produire des prévisions satisfaisantes quant aux effets in natura des substances étudiées.
21Les méthodes de biosurveillance et de bio-indication présentent elles aussi des intérêts et des limites. Elles fournissent des informations intégrées qui décrivent l’état réel des milieux. Cependant, ces informations sont le plus souvent de nature qualitative ou au mieux semi-quantitative et surtout il est difficile, voire impossible, de relier les modifications observées dans les communautés vivantes à des agents ou des facteurs bien identifiés. Elles permettent toutefois de dresser des constats quant à la qualité des milieux, mais ne fournissent que peu de pistes quant aux actions et mesures à prendre pour préserver et restaurer le bon état écologique des milieux.
22Il ressort de cette brève analyse qu’aucune approche, qu’elle soit chimique, toxicologique ou écologique, ne peut à elle seule fournir des informations suffisantes pour produire une évaluation satisfaisante des risques liés aux rejets d’effluents d’origine industrielle dans les milieux aquatiques.
23Au contraire, celle-ci doit nécessairement reposer sur des données variées, issues des différentes approches disponibles. Cependant, l’acquisition de ces données ainsi que des connaissances fondamentales et finalisées qui sous-tendent et crédibilisent les différentes approches, représentent des coûts significatifs.
24Dans un tel contexte, la hiérarchisation des informations à obtenir est un préalable indispensable pour réduire les coûts sans pour autant diminuer la qualité des évaluations produites. Une autre voie de progrès réside dans la mise au point de méthodes peu onéreuses pour sérier rapidement et de manière fiable les dangers environnementaux et sanitaires représentés par les pressions anthropiques.
25Ces réflexions ont conduit notre équipe à proposer l’utilisation des tests de germination et de croissance de laitue pour évaluer préalablement à leur rejet dans les milieux aquatiques, les dangers liés aux effluents industriels, et à les associer à des bioessais utilisant des invertébrés aquatiques pour disposer d’une gamme de réponses complémentaires d’organismes appartenant à des niveaux trophiques variés.
26Dans ce chapitre, après un bref rappel de notions d’écotoxicologie, nous décrivons trois bio-indicateurs utilisés comme outils écotoxicologiques dans l’évaluation de la toxicité de rejets industriels : le premier est un producteur primaire, la laitue Lactuca sativa, utilisé dans un test normalisé pour l’évaluation de la toxicité des sols, le second est le crustacé d’eau douce Daphnia magna utilisé dans un test standardisé et imposé à certaines ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement), et le troisième l’escargot d’eau douce Lymnaea stagnalis bien connu en écotoxicologie pour l’évaluation des milieux aquatiques.
27Ces deux derniers bio-indicateurs sont rarement utilisés dans le domaine de l’évaluation des rejets industriels. Pour illustrer notre propos, nous présentons des résultats issus de nos travaux de recherche.
2. Notions d’écotoxicologie
28Toute activité humaine (activités industrielles, agricoles ou de transport, production d’énergie, urbanisation, etc.) a un impact sur l’intégrité des écosystèmes et leur biodiversité. À partir du milieu du xxe siècle, on s’est progressivement rendu compte des implications écologiques des pollutions à large échelle et de la nécessité absolue d’y prêter attention (Truhaut, 1977).
29Dans ces conditions, des besoins de connaissances et de recherche sur le devenir et les effets des produits chimiques dans l’environnement s’avérèrent indispensables. L’écotoxicologie, sous-discipline importante de la toxicologie, reconnaissait alors le caractère nécessairement multidisciplinaire des approches scientifiques pour étudier l’impact des pollutions sur l’environnement (Forbes et Forbes, 1994 ; Ramade 2007).
30On peut aujourd’hui définir l’écotoxicologie comme une véritable discipline à l’interface entre l’écologie et la toxicologie, qui étudie le comportement et les effets d’agents contaminants/polluants sur les écosystèmes, qu’il s’agisse de substances d’origine synthétique ou naturelle dont l’homme modifie la répartition et/ou les cycles dans les différents compartiments de la biosphère.
31Selon Amiard (2011), l’écotoxicologie a deux principaux objectifs : le premier est d’identifier le danger d’une substance en évaluant par des études de toxicité les seuils relatifs au-delà desquels la substance a un effet toxique ou en deçà desquels elle est inoffensive ; le second concerne l’identification de la probabilité d’exposition à une substance, qui dépend des propriétés physiques et chimiques de cette substance, des caractéristiques de l’environnement, de la durée d’exposition (continue, occasionnelle), de la voie d’exposition (cutanée, digestive, respiratoire) et de l’individu exposé (sexe, âge, vulnérabilité particulière).
2.1. Pollution et contamination
32De nos jours, le terme de pollution est largement usité dans de nombreux domaines et champs d’application. Il recouvre bien des acceptions et qualifie une multitude d’actions qui, d’une manière générale, dégradent le milieu naturel. Une substance chimique est considérée comme un polluant lorsqu’il est indéniable qu’elle exerce une action néfaste directe ou indirecte sur le biote.
33Toutes les pollutions ne sont pas de nature chimique. L’introduction d’espèces invasives dans un écosystème donné correspond par exemple à une pollution biologique. Il convient également de rappeler que le terme de polluant n’est pas nécessairement lié à une origine artificielle de la substance : les nitrates ou les phosphates qui sont présents naturellement dans les systèmes biologiques peuvent se révéler polluants au-delà de certaines concentrations.
34Contrairement à une pollution, qui implique nécessairement des effets perturbateurs sur les êtres vivants, la contamination d’un milieu ne se traduit pas forcément par une altération de la biocœnose. En effet, ce terme de contamination est utilisé pour désigner une situation dans laquelle des substances chimiques sont présentes à des concentrations anormalement élevées par rapport à celles usuellement observées dans l’environnement.
2.2. Bio-indicateur et bio-indication
35Pour déterminer les effets des contaminants sur un compartiment, il est nécessaire de disposer de modèles biologiques représentatifs du milieu étudié. Au sens écologique général, un bio-indicateur peut être défini comme un organisme ou un groupe d’organismes pertinents pour déterminer qualitativement et quantitativement l’état de l’environnement (Fränzle, 2006).
36Les critères recherchés pour un organisme bio-indicateur sont nombreux et susceptibles de varier en fonction de l’objectif visé :
L’espèce utilisée doit être suffisamment répandue et abondante sur le territoire concerné, si possible facilement identifiable ;
L’organisme doit refléter les conditions locales ;
Il doit avoir une taille rendant possible l’étude de ses différents tissus et de leurs composantes ;
Il doit être sensible aux actions néfastes de l’homme sur l’environnement tout en restant relativement indépendant des variations naturelles ;
Même si l’indicateur répond de façon graduelle au stress imposé, cette réponse doit être franche et prédictible ;
Les modifications subies lors d’un stress doivent pouvoir être mesurées avant que ne survienne une situation irréversible (Bakès et Lemaire, 2007).
37Si les organismes bio-indicateurs d’effets doivent être sensibles à de faibles perturbations de l’environnement, les organismes indicateurs de bioaccumulation doivent tolérer les contaminants à de fortes concentrations et doivent avoir des propriétés bioaccumulatrices.
38L’intérêt de la bio-indication a été largement relancé par la mise en place de la directive-cadre sur l’eau, notamment par son exigence de l’évaluation d’un état écologique basé sur des réponses biologiques.
39Les programmes de surveillance de la qualité des milieux aquatiques mis en place depuis plusieurs décennies, et initialement basés sur des suivis de la qualité physico-chimique des eaux, doivent, en effet, maintenant inclure des éléments biologiques.
40Ces programmes cherchent également à quantifier l’ensemble des impacts des activités humaines sur le fonctionnement des cours d’eau. Ces impacts sont principalement la dégradation de la qualité des eaux.
2.3. Test biologiques ou bioessais
41Les tests biologiques ou bioessais, également appelés tests écotoxicologiques ou encore biotests, font partie des outils dont dispose tout acteur de l’eau (écotoxicologue, toxicologue, biologiste, chimiste, industriel, etc.) pour évaluer l’impact de substances sur l’environnement.
42Concrètement, les bioessais sont des tests expérimentaux déterminant l’effet d’un ou de plusieurs produit(s) sur un ou plusieurs organisme(s) sélectionné(s), dans des conditions d’exposition bien définies (Bakès et Lemaire, 2007). Ils ont été développés principalement sur les écosystèmes aquatiques.
43On distingue souvent deux types de bioessais, les bioessais de toxicité aiguë où l’exposition des organismes se fait sur une période très courte de son cycle de vie (de quelques heures à quelques jours). Dans ce cas, l’apparition d’effets toxiques nécessite généralement des concentrations d’exposition élevées.
44Les tests de mortalité sont les bioessais de toxicité aiguë les plus classiquement utilisés (détermination de la CL50 par exemple, concentration létale correspondant à 50 % d’effet).
45Dans le cas des bioessais de toxicité chronique, l’exposition est beaucoup plus longue, sur une étape complète du cycle de vie, comme la croissance ou la reproduction par exemple. Ces tests permettent de faire apparaître des effets à des concentrations beaucoup plus faibles, sublétales et souvent plus proches des concentrations environnementales (CE50, CEx, figure 1).
46Sur une exposition à long terme, plusieurs paramètres de toxicité peuvent être mesurés, en plus des paramètres classiques, comme des altérations comportementales, une potentielle accumulation ou encore des perturbations endocriniennes.
47Pour les substances organiques, biodégradables plus ou moins rapidement, l’effet des métabolites interfère également avec l’effet des substances actives du fait d’une exposition plus longue permettant la métabolisation des produits. Les tests de toxicité chronique peuvent donc mettre en évidence des effets qui n’ont pas été démontrés lors d’une exposition à court terme.
48Même si ces tests requièrent beaucoup de temps et de ressources, il est vital de les conduire si l’on veut produire une évaluation satisfaisante des risques environnementaux et sanitaires : un test chronique apporte des informations pertinentes sur les conséquences d’une exposition prolongée à une substance toxique à des niveaux « faibles » et renseigne ainsi sur les impacts à long terme à l’échelle des individus, mais aussi à l’échelle de populations, communautés, etc.
49Les bioessais constituent un outil de choix dans le domaine de l’évaluation des effets des polluants sur la composante biologique des écosystèmes. Ils traduisent les teneurs mesurées par l’analyse chimique en effets biologiques mesurables. De nombreux bioessais (aigus et chroniques), surtout en milieu aquatique, ont fait l’objet de normalisation et sont utilisés en routine, notamment dans le cadre des autorisations de mise sur le marché de nouvelles substances chimiques (médicaments, pesticides, etc.) : test de bioluminescence sur des bactéries, test de croissance algale, test de mortalité et de reproduction chez le poisson (voir chapitre 6).
50Ces bioessais normalisés utilisent des protocoles de laboratoire bien spécifiques et sont menés dans des conditions expérimentales contrôlées, comme par exemple l’intensité lumineuse, la température, le milieu de culture ou encore le type de support d’élevage.
51L’accent est mis sur la standardisation et la reproductibilité des mesures réalisées, de manière à obtenir une information fiable sur le phénomène de toxicité. De ce fait, les multiples facteurs qui influencent le milieu naturel sont difficilement pris en compte dans ces tests, ce qui ne permet pas une extrapolation directe à l’échelle de l’écosystème.
52De façon générale, trois précautions essentielles doivent être prises dans tout essai écotoxicologique : la première est de rassembler un échantillon aussi homogène que possible de l’espèce testée par sélection d’individus du même sexe, du même âge et de même masse ; la seconde est d’utiliser une technique d’exposition au polluant qui assure une normalisation des conditions expérimentales pendant toute la durée du test ; et la troisième est de recueillir avec discernement les données numériques des expériences et de les analyser avec une méthode statistique appropriée.
2.4. Paramètres toxicologiques déterminés
53La figure 1 illustre la notion de courbe concentration-réponse (ou dose-réponse), ainsi que les principales valeurs remarquables (NOEC, LOEC, CEx) couramment employées en écotoxicologie. Les courbes dose-réponse permettent d’établir une relation entre effet observé chez une population testée et concentration d’exposition en polluant.
54La NOEC (No Observed Effect Concentration) est la plus forte concentration testée pour laquelle aucun effet n’a été mesuré de manière significative sur l’organisme-test.
55La LOEC (Lowest Observed Effect Concentration) représente la plus faible concentration d’exposition testée qui engendre un effet significatif sur l’organisme-test.
56La concentration d’effet ou concentration efficace (CEx) est la concentration (ou dilution exprimée en pourcentage dans le cas d’une matrice complexe, tel qu’un rejet) correspondant à x % d’effet de la réponse mesurée par rapport à celle mesurée chez les témoins.
2.5. Unités toxiques
57Pour une substance donnée, plus la concentration d’effet (par ex. CE50) est faible, plus la substance est toxique, ce qui contrarie quelque peu nos modes de pensée plus habitués aux corrélations positives que négatives.
58Pour rendre les choses plus évidentes, les unités toxiques (UT) ont été définies comme les inverses des concentrations d’effet (CEx). Cela correspond en fait au facteur de dilution du mélange pour atteindre l’effet toxique de x %.
59Par exemple, dans le cas d’un effluent qui présente une CE50 égale à 5 %, sa valeur d’UT sera égale à 20, soit le facteur de dilution de l’effluent nécessaire pour atteindre un effet de 50 % par rapport aux témoins sur les organismes testés.
60Lorsqu’on considère un mélange ou une matrice complexe comme un rejet industriel, le terme « équitox » peut également être employé, correspondant à la valeur d’UT multipliée par 100.
2.6. Modélisation des résultats et analyses statistiques
61Les résultats obtenus à partir de bioessais (courbes concentration-réponse) en laboratoire peuvent être modélisés à l’aide d’un modèle logistique basé sur l’équation de Hill (1910).
62Le modèle est généralement utilisé sous la forme proposée par Duggleby (1981) qui permet de s’adapter à tous les cas de mesure d’un paramètre biologique en fonction d’une concentration ou d’une dose (équation 1 dans laquelle nH est le nombre de Hill qui caractérise la pente de la relation dose-réponse au point d’inflexion et EC50 la concentration ou la dose d’effet médian).
63Dans les résultats que nous présentons, nous avons utilisé la macro Regtox (open source, version 2, 1991) à l’aide du logiciel Microsoft Excel© qui permet de calculer les concentrations d’effet (CEx) et les intervalles de confiance (REGTOX©, 2001, Vindimian).
3. Organismes biologiques
64Depuis une dizaine d’années, notre équipe de recherche utilise plusieurs organismes bio-indicateurs (végétaux et animaux) pour évaluer et comparer la toxicité de rejets industriels. Dans ce chapitre, nous en présentons trois, la daphnie Daphnia magna, la laitue Lactuca sativa et la limnée Lymnaea stagnalis. Ces organismes ont été choisis pour différentes raisons.
65D. magna est l’organisme dulçaquicole de référence en écotoxicologie aquatique en raison des nombreuses données disponibles dans la littérature, de sa biologie connue et de sa relativement bonne sensibilité aux substances chimiques. De plus, le test d’immobilité sur D. magna est demandé à certains industriels afin d’évaluer la toxicité de leur rejet. Ce test vient en complément des analyses chimiques que doivent réaliser les industriels.
66L. stagnalis est un autre bio-indicateur d’eau douce bien connu en écotoxicologie (par exemple, il existe un bioessai normalisé sur la reproduction, Ducrot et al., 2014). Néanmoins, le test d’embryotoxicité développé par notre équipe n’a jamais été utilisé pour évaluer la toxicité de rejets industriels.
67Bien qu’étant un organisme non aquatique, L. sativa permet d’obtenir rapidement et de manière simple de nombreux résultats écotoxicologiques pour un moindre coût et avec une très bonne fiabilité et reproductibilité des réponses mesurées. Notre équipe a été la première à proposer ce bio-indicateur végétal pour évaluer la toxicité des rejets de la filière traitement de surface.
3.1. Daphnia magna
68La daphnie (Daphnia magna) est un microcrustacé planctonique dulçaquicole, de quelques millimètres de long (figure 2). Elle est utilisée en tant qu’organisme modèle dans différents bioessais normalisés pour l’évaluation des effets toxiques de substances chimiques depuis de nombreuses années.
69En effet, ce modèle biologique est facile à manipuler, à élever, à étudier et à conserver en laboratoire en raison de sa taille relativement petite, son cycle de vie court, sa fécondité élevée et son mode de reproduction par parthénogenèse. C’est une espèce sensible à une large gamme de contaminants.
Remarques :
- Le genre Daphnia appartient au phylum Arthropoda, au sub-phylum Crustacea, à la classe Branchiopoda, à l’ordre Cladocera et à la famille Daphniidae ;
- Au sein des écosystèmes dulçaquicoles et lentiques, les daphnies ont une place importante dans les transferts de matière et d’énergie et occupent la place de consommateur primaire ;
- Les espèces du genre Daphnia peuvent être retrouvées dans de nombreux plans d’eau douce, allant des lacs jusqu’aux très petites mares printanières temporaires ;
- Les daphnies ne sont pas très exigeantes vis-à-vis de la qualité de l’eau et les paramètres caractérisant cette dernière peuvent donc être variables ; un pH compris entre 6,5 et 9,5 est acceptable pour la plupart des espèces ; la salinité doit généralement être inférieure à 5 % d’eau de mer, ce qui correspond à environ 1,5 g L-1 de sel ; néanmoins, certaines espèces comme D. magna peuvent tolérer des salinités beaucoup plus élevées allant jusqu’à 20 % d’eau de mer (- 6 à 7 g L-1 de sel) ;
- À côté de leurs nombreux avantages, les daphnies manquent de réalisme écologique lorsqu’il s’agit de qualifier de nombreux cours d’eau puisqu’elles n’y sont pas naturellement présentes.
Test d’immobilisation
70Il existe différents tests utilisant la daphnie : par exemple, le test d’immobilisation est utilisé pour évaluer la toxicité aiguë et le test de reproduction pour la toxicité chronique.
71En France, la loi impose à certaines ICPE le test biologique de toxicité aiguë lors de l’établissement des bases de la « redevance pollution » par les agences de bassin (voir chapitre 2) : c’est le test Daphnie 24 heures (protocole normalisé – norme ISO 6341).
72Ce test d’immobilisation s’applique pour déterminer la toxicité aiguë de différents types d’échantillons liquides (eaux industrielles, urbaines, agricoles, de lixiviation, etc.).
73Le test biologique consiste à mesurer l’immobilité des organismes après une période d’exposition de 24 heures (ou de 48 heures) dans des conditions contrôlées en utilisant une série de dilutions de l’échantillon à tester. Les réponses des organismes daphnies, pour chaque concentration de rejet testée, sont exprimées en pourcentage d’inhibition de la mobilité et sont calculées en utilisant l’équation 2. L’obtention des valeurs d’inhibition de la mobilité permet alors la réalisation de courbes dose-réponses à partir desquelles sont extraites les concentrations d’effet CEx.
74Le test permet ainsi de déterminer entre autres la CE50 après 24 heures d’exposition dans un système statique et dans des conditions contrôlées. Cette CE50-24 h correspond à la concentration, exprimée en pourcentage de rejet industriel, causant 50 % d’immobilité par rapport au témoin (par exemple : une CE50 égale à 25 % indique que le rejet dilué quatre fois provoque l’immobilisation de 50 % des daphnies exposées par rapport au témoin). Plus la CE50 est élevée, plus la toxicité est faible.
75Outre les contraintes techniques (élevage à entretenir, petite taille des organismes rendant les manipulations difficiles, etc.), le principal inconvénient de ce test daphnie est son coût non négligeable, environ 150 €.
Remarque :
Les bioessais sur l’organisme D. magna présentés dans nos résultats ont été réalisés par des laboratoires accrédités COFRAC ; conformément à la norme ISO 6341, les individus présentent une bonne uniformité génétique, et les organismes utilisés sont de jeunes néonates âgés de moins de 24 heures et de troisième génération au moins.
3.2. Lactuca sativa
76Nous utilisons également, dans nos études, le matériel biologique Lactuca sativa (L.), comme outil écotoxicologique pour évaluer la toxicité de rejets industriels. Cette laitue de variété Batavia est de consommation courante à travers le monde entier et est largement cultivée en maraîchage et dans les jardins potagers.
77En France, l’espèce Lactuca sativa est le deuxième légume le plus consommé après la tomate. Le genre Lactuca appartient à la classe des Magnoliopsida, à l’ordre des Astérales et à la famille des Astéraceae ; ce sont des plantes herbacées annuelles.
78Lactuca sativa est une plante autogame, c’est-à-dire que les graines proviennent d’autofécondation. Son cycle de développement complet, du semis de la graine à la récolte des nouvelles graines, comprend différents stades physiologiques.
79Les étapes principales du développement sont la germination, la levée (déploiement des cotylédons), la croissance de la plante, la pommaison, la montaison et la floraison. La plante développe une rosette de feuilles entières, capables ou non selon la variété, de former une pomme. Après la formation de la pomme, la tige subit une élongation et l’apex évolue en hampe florale.
80Dans la nature, les plantes montent au printemps, fleurissent au début de l’été et se ressèment. La durée de ce cycle est extrêmement variable, allant de 45 jours l’été à six mois l’hiver. Le système racinaire est pivotant, épais et chevelu, et l’eau reste toujours leur constituant essentiel. Les températures optimales pour la germination de L. sativa se situent autour de 18-22 °C, au-delà desquelles le taux de germination chute rapidement (Sancey, 2011 ; Charles et al., 2011b ; Charles, 2012).
81Les principaux organes végétatifs sont les racines, les tiges et les feuilles (figure 3). Les racines ont pour fonctions principales l’ancrage dans le sol, la mise en réserve et l’absorption d’eau et de sels minéraux. Les tiges ont une structure régulière, présentant des tissus conducteurs (xylème et phloème) disposés en cercles concentriques autour d’une moelle centrale de nature parenchymateuse. Les feuilles possèdent une structure typique en lame formant le limbe. Ce dernier est rattaché à la tige par le pétiole. Les surfaces du limbe foliaire sont recouvertes d’un épiderme supérieur et inférieur qui entoure un tissu parenchymateux photosynthétique appelé mésophylle.
Test de germination
82Le test de germination utilisé est conforme à la norme AFNOR X31201. Le protocole vise à déterminer l’inhibition de la germination de Lactuca sativa dans des conditions contrôlées pendant une durée de sept jours.
83La mise en place du test de germination s’effectue en plusieurs étapes (figure 4) :
Deux disques de papier-filtre (papier qualitatif en cellulose) sont déposés au fond d’une boîte de Pétri de dimension 100 mm, de diamètre sur 15 mm et de hauteur ;
Le papier-filtre est imbibé par 4 mL de solution à tester ou d’eau osmosée pour le témoin ;
15 graines de laitue sont uniformément déposées dans chacune des boîtes ;
Les boîtes sont placées à l’obscurité durant sept jours ;
À la fin du test, effectué en triplicat, le nombre de graines germées est compté et le taux de germination calculé.
84Le test est considéré comme valide lorsque le pourcentage de germination des semences témoins est supérieur ou égal à 90 %.
Test de croissance
85Ce test biologique (protocole AFNOR n° NF X 31-202) utilise également comme matériel végétal l’espèce Lactuca sativa.
86La méthode consiste à déposer cinq graines de laitue préalablement germées dans un pot rempli de 250 mg de sable de Fontainebleau. Les plants sont ensuite cultivés 28 jours en conditions environnementales contrôlées, avec 16 heures de lumière et 8 heures d’obscurité, une température moyenne de 21 °C en journée et de 18 °C la nuit et un taux d’humidité de 60 %. Ils sont arrosés tous les deux jours afin de maintenir le sol à 70 % de sa capacité au champ.
87L’arrosage se fait soit avec de l’eau (Évian®, Volvic®) pour les témoins, soit avec les rejets industriels à tester. Les paramètres de croissance mesurés à la fin du test sont la longueur, la masse fraîche et la masse sèche des plantules (conditions de séchage : trois jours à 70 °C en étuve). L’effet inhibiteur des contaminants/polluants est établi en comparant les groupes tests aux groupes témoins.
Intérêts, avantages et limites de l’utilisation de ces tests de laitue pour l’évaluation des dangers de rejets liquides issus d’installations industrielles
88Ces tests de germination et de croissance utilisant la laitue ont été initialement développés pour évaluer les dangers et les risques liés aux contaminations des sols et autres supports de culture lors de leurs expositions à différents polluants qui peuvent survenir à la suite de l’utilisation d’engrais, de l’emploi de produits phytosanitaires, de l’épandage de matières fertilisantes, ou de dépôts consécutifs aux pollutions locales ou globales de l’atmosphère.
89Ces tests laitue présentent une multitude d’intérêts, qui sont brièvement passés en revue ci-après.
Ils sont normalisés (AFNOR, 1982, 1986) et peuvent donc être reproduits sans difficulté lors d’essais multicentriques ; ces tests de germination et de croissance sont également recommandés par l’US Environmental Protection Agency et l’US Food and Drug Administration ;
Ils sont simples et faciles à mettre en œuvre : ils ne nécessitent pas l’utilisation d’équipements complexes et leur réalisation peut être effectuée sans exiger l’acquisition préalable de compétences techniques sophistiquées ;
Ils sont peu onéreux en raison de leur simplicité : les coûts d’investissement, de maintenance et de main-d’œuvre sont faibles ;
Ils sont rapides à réaliser et les résultats sont obtenus à l’issue de délais courts ;
Ils sont disponibles à tout moment car le matériel végétal est accessible en permanence sans contrainte saisonnière ou de nature biologique ; ce matériel est présent dans la quasi-totalité des milieux tempérés de la planète et ses caractéristiques biologiques intrinsèques sont intéressantes : une physiologie relativement simple (légume-feuille), une germination rapide et une croissance rapide de l’organisme ;
Ils peuvent être réalisés en très grand nombre en raison de leur faible coût et leur rapidité ; ceci permet de tester de multiples conditions d’exposition (durée, gamme de concentrations…) sans limitation excessive comme nous le verrons dans les résultats expérimentaux présentés ci-dessous ; lorsque la variabilité du mélange, de l’effluent à tester est importante, il est ainsi possible de mettre en place des suivis en fonction du temps présentant une fréquence élevée ; ces caractéristiques permettent aussi d’atteindre facilement une puissance statistique satisfaisante ;
Les tests de germination et de croissance des graines de laitue ont été fréquemment utilisés en milieu terrestre ; la littérature scientifique à leur sujet est abondante et montre que les graines de laitue sont sensibles à une grande variété d’agents chimiques ; de nombreuses données sur l’écotoxicité et le transfert des métaux chez L. sativa sont en effet disponibles dans la littérature (Priac, 2014) ; les tests sont donc susceptibles de répondre positivement à de très nombreux facteurs ; en première approche, ils sont donc susceptibles de renseigner sur l’existence d’un danger sans qu’il soit nécessaire de connaître dans un premier temps la nature exacte de celui-ci ;
Ils fournissent des réponses biologiques intégrées, c’est-à-dire que l’organisme traduit en une réponse physiologique unique – inhibition de germination ou de croissance – les expositions auxquelles il a été soumis ; ceci permet de disposer d’un indicateur prenant directement en compte les variations d’intensité des agents stressants et également les effets des multi-expositions éventuels, ce qui correspond aux situations les plus couramment rencontrées dans le monde réel : effluents complexes contenant de multiples polluants en concentrations variables au cours du temps ;
Les tests portent sur une phase particulièrement sensible du cycle biologique de l’organisme où les processus de développement (acquisition de nouvelles structures et de nouvelles fonctions) sont particulièrement importants pour la survie future de la plante ;
Un grand nombre de substances polluantes peuvent être absorbées par la laitue et sont potentiellement bioaccumulées ; des analyses chimiques peuvent ainsi être conduites sur les graines et les plantules exposées, ce qui favorise l’identification des agents dangereux ;
Les tests de germination et de croissance des graines de laitue ne présentent pas de réalisme écologique ; jusqu’ici il y avait en effet peu de chances que des rejets liquides issus d’activité industrielle soient directement en contact avec des cultures ; cependant, ces données sont loin d’être dénuées de réalisme en termes d’évaluation des risques dans un contexte où la réutilisation des eaux traitées issues des stations d’épuration aux fins d’irrigation est une solution qui est de plus en plus proposée pour faire face aux sécheresses saisonnières, notamment dans les pays du sud de l’Europe ; dans ce cadre, l’utilisation des tests laitue présente un réalisme « alimentaire » : la laitue est une plante de grande consommation ; les informations obtenues concernent une espèce vivante entrant pour une part non négligeable dans le régime alimentaire de l’espèce humaine.
90Lorsque le danger est avéré, c’est-à-dire lorsque le test laitue est positif, il convient alors d’identifier la nature de l’agent responsable. L’ensemble des autres approches (chimiques, toxicologiques, expérimentales) doit ensuite être mis en œuvre de manière à sérier progressivement les agents toxiques responsables des effets enregistrés, à identifier précisément ces substances, à quantifier si possible leurs contributions respectives et à proposer et prendre les mesures correctives qui s’imposent.
91Les principales questions qui se posent concernent la validité du résultat du test. Deux cas sont à envisager :
L’existence de faux positifs ; il s’agit du cas où le test donne un résultat positif alors que l’effluent traité qui est rejeté ne présente pas de danger pour l’environnement aquatique ;
L’existence de faux négatifs ; un danger réel existe mais ce danger n’est pas détecté par le test laitue.
92En ce qui concerne les faux positifs, il est possible qu’une substance ou un effluent soit effectivement toxique pour la laitue et qu’il ne présente que peu ou pas de danger pour d’autres organismes et notamment pour des organismes de groupes différents : micro-organismes bactériens, champignons, animaux, et l’Homme, etc.
93Le test laitue est un test de danger qui ne devrait pas être utilisé seul, mais qui doit faire partie d’une batterie d’indicateurs biologiques correctement choisis.
94Lorsqu’il est positif, le test constitue une alerte qui impose de prendre des mesures conservatoires tant que l’on n’a pas compris pourquoi ce végétal supérieur est affecté par la substance ou l’effluent testés.
95Lorsque le résultat du test est négatif, le test ne permet jamais de conclure à une absence totale de danger pour l’environnement et la santé humaine. Il s’agit au mieux d’un indice permettant de penser que les espèces végétales (producteurs primaires) présentes dans le milieu ne seront pas affectées négativement par le rejet.
96Un résultat positif avec un bio-indicateur type Laitue doit déboucher sur des investigations plus approfondies pour rechercher les causes à l’origine de l’effet enregistré sur la laitue et pour déterminer dans quelles mesures d’autres organismes peuvent être impactés. Ici encore, le test laitue ne devrait pas être utilisé seul, mais doit faire partie d’une batterie d’indicateurs biologiques complémentaires.
3.3. Lymnaea stagnalis
97La limnée est un mollusque gastéropode aquatique qui occupe une place clé dans les écosystèmes lentiques du fait de sa participation à la consommation et à la décomposition des végétaux aquatiques et de l’épiphyton. L’espèce L. stagnalis ou grande limnée mesure 5-6 cm de longueur (figure 5).
98Appartenant à l’ordre des pulmonés, elle doit remonter en surface pour respirer. Elle peut être considérée comme une peste, par exemple dans les jardins aquatiques, du fait de sa capacité de reproduction élevée (comme l’escargot terrestre, elle est hermaphrodite) et de sa voracité envers les plantes d’eau douce.
99Depuis plusieurs années, elle bénéficie d’une attention particulière en écotoxicologie, ce qui a abouti à une connaissance approfondie de sa biologie. La bioaccumulation et l’effet de plusieurs métaux ont été étudiés sur la survie, la croissance et la reproduction de jeunes adultes (Gomot, 1998 ; Cœurdassier et al., 2003 ; De Schamphelaere et al., 2008 ; Brix et al., 2011).
100Plus récemment, les effets de substances organiques et notamment de perturbateurs endocriniens ont été mis en évidence à travers des tests chroniques (Czech et al., 2001 ; Ducrot et al., 2010a, 2010b ; Giusti et al., 2014). Cet organisme présente une forte représentativité écologique pour l’étude de l’impact de rejets industriels car il peut se retrouver directement en contact avec les rejets puisqu’évoluant dans le milieu récepteur.
101Cependant, à notre connaissance, il existe peu de travaux à ce sujet hormis ceux réalisés par notre équipe (Cœurdassier, 2001).
Remarques :
- L’espèce Lymnaea stagnalis appartient au sous-ordre des basommatophores, à l’ordre des pulmonés, à la classe des gastéropodes et à l’embranchement des mollusques ;
- Cette espèce est hautement polymorphe car la forme et la couleur de la coquille changent d’une population à l’autre (Piaget, 1928) ;
- On retrouve cette espèce dans l’hémisphère nord (Europe, Asie et Amérique du Nord) ;
- Leur durée de vie dans le milieu naturel varie d’un à deux ans ;
- Comme tous les basommatophores, cette espèce peut s’autoféconder et entraîner un phénomène de consanguinité qui reste cependant très faible dans les différentes populations (Coutellec et Lagadic, 2006).
Test d’embryotoxicité
102De nombreux bioessais portant sur le développement embryonnaire ont vu le jour ces dernières années, notamment pour le milieu aquatique, et plusieurs ont abouti à des normalisations. En effet, cette étape clé du cycle de vie d’un organisme conditionne la survie et la croissance d’une population et l’étude des effets de contaminants sur les embryons s’avère alors cruciale.
103Mais, c’est surtout la stratégie des « 3 R » pour Replacement, Reduction and Refinement (Russel et Burch, 1959), préconisée par le règlement REACH, qui a pour principe le remplacement, la diminution et l’affinement des essais sur les animaux, qui a induit l’essor des tests d’embryotoxicité.
104De fait, les essais sur les embryons de vertébrés ovipares sont considérés comme des tests in vitro (Weisbrod et al., 2008). Par conséquent, nous pouvons considérer que ceux sur les invertébrés le sont également, bien qu’il n’existe pas de législation sur les expérimentations les concernant.
105D’autres avantages peuvent être attribués aux essais sur les embryons, comme notamment leur grande sensibilité face aux toxiques (Gomot, 1998 ; Geffard et al., 2002 ; Strmac et al., 2002 ; Schirling et al., 2006), ou encore le fait que les tests peuvent être considérés comme subchroniques car s’étendant sur une étape complète du cycle de vie qu’est l’embryogenèse.
106Ainsi, plusieurs paramètres peuvent être mesurés comme la mortalité ou l’éclosion mais également d’autres permettant de détecter des effets plus fins, à de faibles concentrations, comme par exemple la fréquence cardiaque, la durée du développement ou encore certaines malformations.
107Le test d’embryotoxicité sur la limnée englobe ces différents avantages et présente en plus d’autres intérêts propres à l’espèce. En effet, les œufs de limnée sont transparents et contenus dans une gangue elle-même transparente (figure 6) qui permet l’observation en continu du développement à l’aide d’un simple microscope sans destruction du matériel vivant.
108De plus, son développement embryonnaire relativement court (environ 30 jours) est bien décrit dans la littérature depuis une quarantaine d’années (Fretter et Peake, 1975 ; Verdonk et Van Den Biggelaar, 1983).
109Le bioessai développé par notre équipe consiste à récupérer les pontes de limnées âgées de moins de 24 heures dans l’aquarium d’élevage et à les déposer individuellement dans des boîtes de Pétri contenant 5 mL de solution à tester (solution synthétique métallique ou dilution de rejet industriel) ou 5 mL d’eau artificielle pour les témoins (il s’agit d’eau ultra-pure reminéralisée artificiellement selon la norme du test daphnie 24 h ISO 6341).
110Le test est effectué au minimum en triplicats et jusqu’à cinq réplicats quand la disponibilité journalière en pontes le permet. Les boîtes de Pétri sont placées dans le même environnement que celui de l’élevage des adultes, c’est-à-dire à une température de 20 °C et une photopériode de 16 heures de lumière et 8 heures d’obscurité.
111La durée du test a été fixée à 40 jours, permettant ainsi de prendre en compte un éventuel retard dans l’éclosion, même si à partir de 25 jours, le taux d’éclosion chez les témoins ne varie plus de façon significative. Les réponses mesurées sont la mortalité aux jours 21 et 40 et le taux d’éclosion à 40 jours. Ainsi, un comptage du nombre d’œufs par gangue est nécessaire en début d’expérience.
Remarques :
- Le nombre d’œufs par ponte varie entre 50 et 120 (Nichols et al., 1971 ; Bandow et Weltje, 2012) mais nos observations en laboratoire montrent une amplitude de tailles plus importante : de 20 à 160 œufs, souvent en lien avec la taille de l’individu adulte ;
- Au sein de l’élevage, les limnées sont nourries avec des feuilles de laitue ; des plaques de plexiglas ainsi que des feuilles de nénuphars sont placées dans l’aquarium pour offrir des emplacements de ponte aux limnées.
4. Étude de la toxicité des rejets
4.1. Toxicité des métaux
112La pollution métallique pose plusieurs problèmes : pas de biodégradabilité, transformation possible vers d’autres formes chimiques (organique par exemple) selon les conditions du milieu, effets des métaux sur la santé humaine et/ou sur les écosystèmes (bioaccumulation connue, transfert) en fonction de leur concentration ou de leur forme, etc.
113Tout au long de la chaîne alimentaire, certains métaux peuvent, par exemple, se concentrer dans les organismes vivants, et ainsi atteindre des taux très élevés dans certaines espèces consommées par l’homme, comme les poissons. La gestion de la présence de ces éléments dans tous les compartiments de l’environnement (eau, air et sol) constitue donc un défi.
114D’un point de vue biologique, il convient néanmoins de distinguer les métaux nécessaires aux espèces vivantes et ceux qui ne le sont pas. En effet, certains métaux ont un rôle physiologique chez les organismes vivants et ne sont pas considérés comme toxiques à faible dose.
115Des métaux comme le cuivre, le fer, le zinc ou le nickel sont nécessaires à la vie dans des conditions particulières puisqu’ils entrent notamment dans la constitution d’enzymes, de pigments respiratoires et interviennent dans les échanges cellulaires. Cependant, à fortes doses, ces oligo-éléments peuvent devenir toxiques.
116En revanche, d’autres métaux dits lourds n’entrent pas dans la composition des êtres vivants, et n’ont donc pas de rôle biologique, mais peuvent être toxiques s’ils pénètrent et s’accumulent dans les organismes. Les métaux ont été hiérarchisés selon leur toxicité grâce à des tests biologiques et des tests de cancérogénicité.
117Cette hiérarchisation a permis d’aboutir à la classification décrite dans le tableau 1 (Amiard, 2011). Cependant, ce classement n’est pas unanime car, par exemple, des études ont classé le cadmium comme élément cancérogène (< www.sante.gouv.fr >).
118Une liste de bases de données sur le sujet peut être consultée comme par exemple celle de l’Agence américaine des substances toxiques et du registre des maladies, de l’Agence américaine de l’environnement, de la classification de l’Union européenne ou encore celle du Centre international de recherche sur le cancer.
119La toxicité des métaux (et de leurs dérivés) varie avec l’espèce considérée, allant de concentrations de quelques microgrammes par litre jusqu’à des concentrations de plusieurs milligrammes par litre. Cette toxicité est connue depuis très longtemps. Si l’intoxication aiguë est devenue rarissime, les effets à long terme de petites doses longtemps répétées sont très préoccupants aujourd’hui.
120Les métaux comme le Hg, le Pb et le Cd ont été classés parmi les substances dangereuses prioritaires (SDP), substances qui suscitent encore aujourd’hui de fortes inquiétudes pour la santé humaine et l’environnement. D’autres comme le nickel et le chrome sont des substances prioritaires (SP). Enfin, signalons la classification des métaux selon leurs propriétés chimiques (leur dureté par exemple) par Pearson (1963, 1968) ou par Nieboer et Richardson (1980).
4.2. Toxicité simple
121La majeure partie des études actuellement menées en toxicologie ou écotoxicologie, ainsi que la plupart des données écotoxicologiques disponibles dans la littérature, concernent l’exposition à une seule substance à la fois (Badot, 2011).
122Ces études réputées de toxicité simple, unique ou isolée (single toxicity) sont généralement réalisées sur des organismes modèles dont la biologie et l’écologie sont bien connues.
123Ainsi, depuis plusieurs décennies, les toxicités simples de nombreuses substances chimiques vis-à-vis des organismes modèles ont été documentées de manière détaillée. Par exemple, pour l’organisme Daphnia magna, de nombreuses valeurs de single toxicity sont disponibles dans la littérature pour les différentes substances qui ont pu être identifiées dans les effluents complexes expérimentés dans le présent travail.
124Cependant, même pour certains bio-indicateurs couramment utilisés en écotoxicologie, comme Lactuca sativa, il existe encore des lacunes dans les informations disponibles quant à la toxicité des substances considérées de manière isolée, et notamment concernant les métaux (Badot et al., 2011 ; Charles et al., 2011b).
125Afin de disposer d’une base de travail pour nos recherches sur les effets de mélanges pluricontaminés notamment par des substances métalliques, nous avons établi les CE50 de six métaux couramment rencontrés dans les rejets industriels que nous étudions, pour les trois bio-indicateurs présentés précédemment (tableau 2).
126À partir de ces données, deux types de classements peuvent être effectués :
Le classement des métaux en fonction de leur toxicité pour chaque bio-indicateur ;
Le classement des bio-indicateurs en fonction de leur sensibilité pour chaque métal.
127Ainsi, la limnée est l’organisme le plus sensible pour les six métaux étudiés et la laitue le plus résistant. Le cuivre est le métal le plus toxique chez la daphnie tandis que c’est le nickel pour la laitue et la limnée (le zinc présentant également une forte toxicité pour cette dernière).
4.3. Toxicité des mélanges
128Au sein des écosystèmes, les organismes sont, pour la plupart du temps, exposés à une multitude de substances chimiques dites en coexposition (Badot, 2011). Par exemple, la plupart des rejets déversés dans les milieux récepteurs correspondent à un mélange de contaminants qui peuvent être de nature diverse (organique, inorganique) et de concentration variable.
129Or, bien qu’à l’heure actuelle de plus en plus de recherches portent sur les effets toxiques des substances en mélange (toxicité des mélanges, mixture toxicity), les données disponibles sont peu nombreuses.
130En outre, les interactions pouvant se produire entre substances en coexposition sont potentiellement nombreuses et variables en fonction de l’organisme étudié, des conditions du milieu d’exposition (pH, température) et de la nature de la substance (par exemple, le contre-ion dans le cas d’un métal).
131Si les mélanges de substances en solution synthétique font actuellement l’objet de plus en plus de travaux de recherche, les études portant sur la toxicité d’effluents réels sont très largement marginales et manquantes (Badot et al., 2011).
132À notre connaissance, très peu de recherches scientifiques ont étudié les impacts toxiques des rejets des industries du traitement de surface sur l’environnement.
Remarques :
Un mélange est dit simple lorsque les composés le constituant sont clairement identifiés et en nombre ≤ 10 ; lorsque les composés d’un mélange sont en grand nombre (≥ 10) et/ou ne peuvent pas être complètement identifiés, on parle d’un mélange complexe, c’est le cas par exemple d’un rejet industriel ; il est donc impossible de recenser tous les constituants de façon exhaustive (Charles, 2012) ;
Parfois, il est généralement préconisé d’isoler les substances les plus toxiques pour parvenir à un mélange plus simple ; ce type d’expérimentation est rarement effectué au-delà de deux substances et quasiment impossible à partir de trois ou quatre substances ; la toxicité d’un tel mélange est ensuite déterminée à l’aide de tests biologiques ; ainsi, des interactions entre les divers constituants peuvent être mises en évidence ; Le terme « interaction » décrit l’effet combiné de deux ou plusieurs produits ayant pour résultat soit un effet plus important (on parle alors de synergie ou de potentialisation), soit un effet moindre (antagonisme ou inhibition) que celui attendu sur la base de la réponse toxique observée pour les substances prises séparément ; Une étude de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis estime à 7 % seulement la proportion des mille substances les plus produites dans le monde pour lesquelles des dossiers toxicologiques complets sont disponibles et qui permettent de pratiquer des évaluations du risque rigoureuses pour la santé humaine et les écosystèmes (Charles, 2012).
4.3. Toxicité des rejets industriels polycontaminés en métaux
133Bien qu’ils respectent la réglementation, les rejets industriels contiennent une contamination non négligeable (Morin-Crini et al., 2013). En général, les industriels du traitement de surface doivent faire face à trois ou quatre préoccupations environnementales majeures dans le traitement de leurs eaux usées, principalement l’identification et la quantification de plusieurs métaux et paramètres de l’eau tels que la demande chimique en oxygène (DCO), qui estime la charge organique présente dans les rejets.
134Nous allons présenter des résultats chimiques et écotoxicologiques pour les rejets de quatre sites industriels dont les problématiques dans le traitement des eaux sont les suivantes : cuivre, nickel et DCO pour TS 1, aluminium, chrome et fluorures pour TS 2, nickel, zinc et DCO pour TS 3, et zinc, nickel, cobalt, aluminium, azote total et DCO pour TS 4.
Remarque :
En général, les rejets de traitement de surface contiennent une polycontamination variable, caractérisée par la présence d’une quarantaine de substances minérales (surtout des métaux) et organiques ; cependant, dans le traitement des eaux, chaque industriel est confronté à un nombre relativement restreint de problèmes, fonction de son type d’activité (Morin-Crini et al., 2013).
135Le tableau 3 donne les gammes de valeurs de CE50 24 h (en % de rejet) et d’unités toxiques (UT) obtenues à l’aide du test d’immobilité daphnie sur 12 mois d’analyses pour les rejets industriels de quatre industries de TS. Ces résultats montrent que les rejets de TS 1 et TS 4 ont une toxicité à la fois élevée (valeurs importantes d’UT) et fortement variable (écarts-types importants).
136Cette variabilité biologique est à relier à la variabilité chimique des rejets. Cependant, il est difficile de discriminer précisément les substances responsables de cette toxicité.
137Les données obtenues sur des solutions synthétiques monométalliques (tableau 2) montrent que l’ordre de toxicité pour D. magna est Cu >> Zn > Al > Ni > Cr > Co.
138Plusieurs de ces métaux sont présents dans les rejets de TS 1 et TS 4, parfois en fortes concentrations. TS 2 ne présente aucune toxicité alors que TS 3 a un impact très variable fonction de la composition du rejet.
139Le tableau 4 présente les taux de germination obtenus sur le bio-indicateur Lactuca sativa pour les quatre mêmes rejets industriels. Ces résultats mettent également en évidence un impact des rejets sur la germination des graines de laitues.
140En revanche, les écarts-types sont cette fois beaucoup plus faibles que précédemment sur les daphnies, ce qui indique que les variations dans la composition chimique des rejets se traduisent par une plus faible fluctuation des valeurs.
141L’ordre de toxicité des rejets est différent pour la laitue avec un plus fort impact de TS 3 et seulement ensuite TS 4 et TS 1. Or, le nickel, dont la plus forte concentration se trouve dans le rejet de TS 3, est pour la laitue, le métal le plus toxique parmi les six dont le danger a été évalué (tableau 2). Cependant, comme chez la daphnie, le rejet de TS 2 reste le moins toxique. Ces résultats confirment l’intérêt d’utiliser plusieurs bio-indicateurs pour évaluer l’impact d’un rejet.
142Nous avons réalisé un suivi sur trois mois de la toxicité des rejets de TS 1 vis-à-vis de L. sativa : 50 rejets ponctuels ont été étudiés. Contrairement aux bioessais daphnies, ces tests sont plus simples à mettre en œuvre et peuvent être utilisés en routine, d’où le nombre beaucoup plus élevé d’essais expérimentaux que l’on peut réaliser, ce qui permet de produire des suivis réguliers et fréquents dont les résultats peuvent être mis en relation avec tout changement/modification et variation chimique survenus au sein de la station de traitement voire à l’échelle de l’industrie.
Tableau 4. Taux de germination (en %) obtenus sur des graines de laitue exposées aux rejets de quatre industriels (moyenne obtenue sur un an, entre six et douze rejets).
Industriels | Taux de germ | ination en % |
| Moyenne | Écart-type |
TS 1 | 53,9 | 2,3 |
TS 2 | 80,6 | 1,8 |
TS 3 | 35,4 | 3,9 |
TS 4 | 49,2 | 6,7 |
143Les résultats de la figure 7 présentent les variations temporelles du taux de germination des graines de laitue. Tous les rejets inhibent la germination de Lactuca sativa avec des valeurs extrêmes égales à 31 % et 76 % de graines germées.
144L’ensemble de ces résultats a permis de calculer un taux de germination moyen de 50,4 ± 6,6 %, similaire à la valeur précédente (tableau 4) et qui confirme l’impact des rejets. Tous ces rejets ont également fait l’objet d’une caractérisation chimique : nous avons mesuré non seulement les valeurs de DCO, Cu et Ni, mais également celles du Cr, Ag et Sn (autres métaux que l’on retrouve dans ce rejet).
145Afin de mettre en évidence un lien entre la variabilité chimique des différents rejets et la variabilité observée dans l’inhibition de la germination, une analyse statistique des données chimiques et écotoxicologiques a été réalisée.
146Nous avons rapporté, pour l’ensemble des paramètres étudiés, les taux de germination en fonction des concentrations en principales substances polluantes présentes dans les rejets puis étudié si cette corrélation était significative ou non. Les variations des six paramètres étudiés pour les 50 rejets expliquent environ 53 % de la variation du taux de germination (test Anova).
147Ainsi, la toxicité est fonction de la nature, mais surtout de la concentration des polluants présents dans les rejets. En effet, l’analyse statistique des données a montré que plus les concentrations en Ni et Cu sont élevées, plus la germination diminue (coefficient de Spearman = -0,54 et -0,42, respectivement pour Ni et Cu ; tableau 5).
148Parmi toutes les substances présentes dans les mélanges industriels et pour les 50 rejets testés, ces deux métaux semblent être les principaux polluants qui permettent d’expliquer la variation du taux de germination (test de corrélation de Spearman, p < 0,05).
149D’après des études réalisées sur des solutions synthétiques, le nickel semble être le principal responsable de l’inhibition observée de la germination pour les rejets (Di Salvatore et al., 2008 ; Sancey, 2011 ; Priac, 2014).
150Néanmoins, il faut également tenir compte de la présence d’autres substances que les 6 paramètres étudiés dans les rejets tels que le plomb, le fer, l’arsenic, le phosphore, le toluène, le trichloroéthylène ou encore le chloroforme.
151En effet, la toxicité des rejets doit être reliée à l’ensemble des substances chimiques présentes, tout en tenant compte de l’occurrence potentielle d’interactions toxiques entre les différents composés des rejets. L’analyse devient alors compliquée. Or, il n’existe à notre connaissance aucune étude sur la toxicité envers L. sativa des mélanges issus de la filière TS.
152Pour conclure cette partie, l’ensemble de ces résultats montrent que ces deux bio-indicateurs (laitue et daphnies) sont intéressants en tant qu’outils écotoxicologiques pour démontrer la toxicité des rejets industriels.
Tableau 5. Analyse statistique des résultats des tests de germination sur Lactuca sativa en fonction du paramètre chimique étudié.
Paramètre/Substance | Coefficient de Spearman | p-value (cor.test) |
DCO | 0,03 | > 0,05 |
Aluminium | - 0,05 | > 0,05 |
Argent | - 0,09 | > 0,05 |
Chrome | - 0,16 | > 0,05 |
Cuivre | - 0,42 | < 0,05 |
Étain | - 0,15 | > 0,05 |
Nickel | - 0,54 | < 0,05 |
153Un autre aspect de nos recherches concerne la mise en évidence d’une éventuelle relation entre l’abattement chimique et le gain écotoxicologique obtenus lors de l’optimisation d’un procédé de traitement des eaux. C’est un volet qui vise à évaluer l’impact environnemental des procédés à l’aide des mêmes outils écotoxicologiques.
154Depuis 2008, dans le cadre de projets de recherche cofinancés par l’Agence de l’eau, la région de Franche-Comté et la Commission européenne (projet FEDER), notre équipe développe, en effet, une approche pluridisciplinaire, à la fois chimique, environnementale et industrielle, afin d’évaluer les impacts et risques environnementaux engendrés par le rejet de substances chimiques dans les milieux récepteurs aquatiques par les industriels du TS.
155Ce partenariat de différents acteurs institutionnels a pour principaux objectifs l’identification des substances présentes dans les rejets, l’évaluation de la toxicité de ces rejets, et l’optimisation des stations de traitements des eaux.
156Pour traiter ses effluents, un industriel du TS, partenaire de notre projet, utilise un traitement physico-chimique conventionnel en plusieurs étapes : prétraitement (déchromatation), coagulation, précipitation, floculation, puis séparation des boues formées et de l’eau traitée. Si cette eau traitée respecte les normes réglementaires décrites dans son arrêté préfectoral, l’industriel peut la rejeter dans la rivière avoisinante.
157Dans un premier temps, nous avons réalisé un diagnostic chimique du bon fonctionnement de cette station de traitement des eaux. Nous avons ainsi étudié et optimisé les différentes étapes physico-chimiques du procédé de décontamination.
158L’optimisation d’un procédé de traitement des eaux consiste à modifier les conditions expérimentales utilisées dans chaque étape de traitement afin que celles-ci soient plus efficaces en termes d’abattement de polluants (Charles et al., 2011a, 2014).
159Dans une seconde étape, nous avons évalué l’intérêt de cette optimisation en matière d’efficacité environnementale en mettant en œuvre des tests écotoxicologiques basés sur l’utilisation des bio-indicateurs Lactuca sativa et Daphnia magna. Nous avons ainsi comparé les valeurs obtenues avant et après optimisation chimique.
160L’objectif final était de mettre en évidence une éventuelle relation entre l’abattement chimique et la réduction des effets toxiques des rejets, pour évaluer l’intérêt environnemental des différentes optimisations proposées.
161L’analyse chimique journalière a montré que les rejets de TS avant optimisation chimique étaient caractérisés par une polycontamination minérale (surtout métallique) et organique fortement variable (Charles et al., 2014). Les valeurs des UT obtenues sur D. magna avant optimisation de la station confirment que les rejets ont une toxicité élevée (valeurs importantes d’UT) et fortement variable (écarts-types importants) [tableau 6].
162Après optimisation, la toxicité des rejets a diminué mais s’est également stabilisée puisqu’on note des écarts-types des unités toxiques plus faibles (tableau 6). Néanmoins, les rejets restent encore toxiques pour D. magna bien que l’optimisation se soit traduite par une diminution significative des concentrations en DCO, Cu et Ni, et en particulier à partir de l’amélioration de l’étape d’insolubilisation pour le Ni (figure 8).
163Les résultats de la figure 9 démontrent également clairement l’intérêt d’optimiser la station puisque nous observons une augmentation significative du taux de germination (+ 28,7 % en moyenne).
164Les plus fortes augmentations ont été obtenues durant l’optimisation de l’étape d’insolubilisation et du remplacement de la soude par la chaux, étapes durant lesquelles ont été parallèlement observés les abattements chimiques les plus importants, et en particulier pour le nickel (figure 8).
165Cette meilleure efficacité chimique en termes d’abattement peut expliquer l’augmentation de la germination des graines de laitues, via une diminution des concentrations en polluants (DCO, Cu et Ni) et, en corollaire, via une possible réduction des interactions toxiques entre les substances.
166On peut raisonnablement inférer que les impacts environnementaux des rejets après optimisation de la station de décontamination ont été réduits de manière significative (test Anova, p < 0,05).
167Nous avons réalisé, en complément des tests de germination, des bioessais sur la croissance de L. sativa. Les résultats de la figure 10 et du tableau 7 présentent l’impact des rejets industriels sur la croissance des plantules de L. sativa.
168La diminution à la fois de la longueur et de la masse des plantules par rapport aux témoins indique clairement la toxicité des rejets avant optimisation (tableau 7 et figure 10).
169Les taux moyens d’inhibition de la croissance en longueur des plantules de laitues par rapport au témoin sont de 70 %. Ces résultats confirment ceux obtenus par les tests de germination.
Tableau 7. Valeurs minimum et maximum des longueurs et des masses des plantules de Lactuca sativa exposées aux rejets industriels avant et après optimisation, et à de l’eau d’Évian® (témoins) durant 28 jours (cinq réplicats par rejets ; n = 3 rejets). Les lettres différentes indiquent des différences significatives (p < 0,05 ; n = 15).
Paramètre | Témoin | Rejet avant optimisation | Rejet après optimisation |
Longueur en mm | 70-100a | 10-225b | 45-55c |
Biomasse sèche en mg | 15-25a | 1-5b | 8-15c |
Biomasse fraîche en mg | 90-110a | 8-15b | 25-55c |
170Le tableau 8 rapporte les teneurs en Cu et Ni dans les parties aériennes et racinaires des laitues exposées aux rejets pendant les tests de croissance. Les résultats montrent que le Cu est absorbé deux à trois fois plus que le nickel. De plus, l’accumulation en Cu et Ni se fait préférentiellement dans la partie racinaire. Ceci peut s’expliquer par le fait que la voie principale d’absorption des métaux se fait par simple diffusion au travers de l’apoplaste du cortex racinaire.
171Cependant, les mécanismes d’absorption diffèrent selon l’élément métallique considéré (Greger, 1999 ; Kabata-Pendias et Pendias, 2000 ; Chaignon, 2001). Par exemple, Kabata-Pendias et Pendias (2000) ont montré que le nickel est absorbé passivement via certaines protéines de type porine, alors que le cuivre est absorbé activement par une protéine de transport sélective, nécessitant de l’énergie.
172La plus forte accumulation du Cu dans la partie racinaire indique vraisemblablement que la majeure partie du Cu présent dans les racines n’est pas transférée vers les parties aériennes mais reste bloquée au niveau de la barrière endodermique.
173Bunzl et al. (2001) ont classé certains végétaux en fonction de leur capacité d’adsorption en Cu. Ils ont montré que la laitue est l’un des végétaux qui accumule le plus cet élément. Leurs résultats sont en accord avec ceux déjà publiés par Baker et Senft (1995), Juste et al. (1995) et Kabata-Pendias et Pendias (2000).
174Les résultats de croissance exprimés en longueur et en masse démontrent, qu’après optimisation, l’abattement chimique a permis un gain écotoxicologique significatif (tableau 7 et figure 10).
175Parmi les quatre industries de TS, ceux de TS 4 ayant démontré la plus forte toxicité sur le bio-indicateur D. magna (tableau 3), des études complémentaires sur les trois bio-indicateurs (daphnie, laitue et limnée) ont été menées afin d’essayer d’identifier les substances responsables de cette toxicité.
176Quatre rejets ont été prélevés dans l’entreprise (sur deux années consécutives) et analysés. Des bioessais ont été réalisés avec les différents bio-indicateurs.
177Le tableau 9 indique tout d’abord que les rejets expriment une forte toxicité pour les trois organismes avec des CE50 toutes inférieures à 70 %. Le bio-indicateur le plus sensible aux rejets de TS 4 est la limnée avec de très faibles valeurs de CE50, que ce soit sur l’éclosion ou la survie des embryons à 21 jours.
178Des solutions synthétiques ont été préparées en reproduisant à l’identique les concentrations des cinq métaux identifiés dans les rejets de TS 4. Les réponses des organismes exposés à ces solutions ont été mesurées (soit exprimées par les CE50, soit directement en pourcentage de survie ou d’éclosion pour la limnée). Ici encore, des différences importantes de sensibilité sont constatées entre les trois organismes.
179Si les mélanges ainsi reconstitués – mimes – ne sont pratiquement plus toxiques pour les graines de laitue, ils le restent fortement pour les embryons de limnée (les pourcentages de survie et d’éclosion des limnées exposées au mime du rejet 4 restent nuls).
180Dans tous les cas, une augmentation significative des valeurs de CE50 est enregistrée pour les trois bio-indicateurs exposés aux mimes par rapport aux rejets correspondants (tableau 9). Cela signifie que la toxicité des mimes est plus faible que celle des rejets réels. En d’autres termes, les cinq métaux cibles ensembles dans cette configuration, n’expliquent pas complètement la toxicité des rejets.
181Les rejets des entreprises de TS sont des matrices complexes et pluricontaminées (Morin-Crini et al., 2013) qui contiennent bien d’autres éléments, minéraux et organiques, que les cinq métaux évoqués ici.
182Bien qu’ils soient en concentrations traces, de nombreuses substances organiques, connues pour leur caractère toxique, ont été identifiées dans les rejets de TS 4 telles que des hydrocarbures aromatiques polycycliques, des alkylphénols ou encore certains composés volatils. En revanche, certains minéraux (anions, sels, etc.), paraissant peu nocifs, sont, quant à eux, présents à des teneurs supérieures au gramme par litre.
183Nous nous sommes donc intéressés de plus près à l’effet des sels sur les embryons de limnée. Une concentration de 3,3 g L-1 de NaCl (soit environ la concentration moyenne de la somme des minéraux Ca, K, Mg, Na et Cl dans les rejets de TS 4) induit un taux de survie semblable à celui des témoins à 21 jours alors que le taux d’éclosion à 40 jours est significativement réduit (environ 40 % contre 80 %).
184La CE50 éclosion du NaCl a été déterminée à 2,95 g L-1 soit plus faible que la salinité retrouvée en moyenne dans les rejets de cette entreprise. Ainsi, il est probable que les fortes concentrations en minéraux aient également un impact négatif sur les embryons de limnée, s’ajoutant à l’effet induit par les métaux.
185Afin d’aller encore plus loin dans la compréhension des substances impliquées dans la toxicité sur les bio-indicateurs, une étude d’accumulation des métaux a été entreprise sur les daphnies. Un test daphnie 24 heures a été réalisé sur deux nouveaux rejets de l’entreprise TS 4 (R5 et R6, tableau 10) afin de déterminer les CE50.
186Après exposition, les 100 daphnies par concentration (cinq daphnies par tube et 20 tubes = réplicats par concentration testée) ont été poolées, lavées à l’eau osmosée, recomptées, séchées à l’étuve, minéralisées dans l’acide nitrique, puis dosées par ICP-MS. Les résultats obtenus après l’exposition mettent en évidence une corrélation nette entre les concentrations d’exposition et les effets mesurés. En d’autres termes, plus le rejet est dilué, moins il est toxique (figure 11).
187La figure 12 présente les effets mesurés en fonction des concentrations internes pour six métaux, détectés à la fois dans le rejet et dans les daphnies après exposition. Deux groupes de métaux peuvent être distingués selon les profils obtenus : un premier groupe composé de Al, Cr, Fe et Ni et un second groupe comportant le Co et le Zn.
188Particulièrement pour le rejet 5, et dans une moindre mesure pour le rejet 6, les concentrations internes des métaux du groupe 1 sont identiques (à partir d’une certaine valeur) alors que les effets sont différents (encadrés rouges sur la figure 12).
189Deux hypothèses peuvent expliquer ceci :
Les plus fortes concentrations d’exposition entraînent une accumulation plus rapide et donc des effets plus importants mais avec des mécanismes d’excrétion en place qui permettent des concentrations internes constantes ;
La toxicité observée n’est pas due à ces quatre métaux mais à d’autres substances présentes dans le rejet dont les concentrations augmentent également lorsque les dilutions du rejet sont plus faibles.
190Les concentrations internes plus élevées du rejet 6 pour ces quatre métaux alors qu’il est moins toxique que le rejet 5 vont dans le sens de la seconde hypothèse.
191Concernant le second groupe de métaux, on observe plutôt une tendance linéaire, signifiant que, plus les concentrations internes sont élevées, plus l’effet est important, avec toutefois un changement de pente pour le cobalt lors du rejet 5.
192Que ce soit pour le Zn ou le Co, l’effet correspondant à 90 voire 100 % d’effet est obtenu pour des concentrations internes similaires entre les deux rejets (cercles rouges sur figure 12). Les concentrations de ces deux éléments sont légèrement plus fortes dans le rejet 5 (tableau 10).
193Si l’on impute une partie de la toxicité du rejet à ces deux métaux, alors cela suppose qu’il faut diluer plus le rejet 5 pour obtenir les mêmes concentrations d’exposition et ainsi les mêmes concentrations internes. C’est bien le cas puisque la CE50 de R5 est plus faible que celle de R6 signifiant qu’il faut plus diluer R5 que R6 pour obtenir le même effet. N’étant cependant pas dans les mêmes proportions, tout l’effet observé ne peut pas être imputé à ces deux seules substances.
194À partir de ces données, il peut être supposé qu’une partie de la toxicité des rejets de TS 4 sur les daphnies puisse être attribuée au Co et au Zn. La DCO du rejet 5 étant plus forte (460 mg L-1) que celle du rejet 6 (272 mg L-1), il n’est pas exclu que certaines substances organiques aient une part de responsabilité dans les effets observés.
195Enfin, comme il a été signalé au début de ce chapitre, il existe probablement de nombreuses interactions entre les différentes substances, qui peuvent être de type synergique ou antagoniste. Ainsi, si l’on essaie de tenir compte de ces interactions, les courbes d’accumulation obtenues ne sont plus interprétables telles que nous l’avons fait précédemment.
196À travers ces différentes études, nous pointons la difficulté de relier la toxicité de matrices complexes pluricontaminées comme les rejets avec une ou plusieurs substances identifiées. L’utilisation de solutions synthétiques simples pour mieux comprendre les phénomènes de toxicité est un atout certain mais non suffisant.
197Depuis plusieurs années, des travaux démontrent l’intérêt des méthodes de Whole Effluent Toxicity Assessment (WET ou WEA) qui confrontent la toxicité observée à l’aide d’une batterie de bioessais et la toxicité prédite à l’aide des substances caractérisées dans l’effluent (Sarakinos et al., 2000 ; Teodorovic et al., 2009 ; Gartiser et al., 2010) ou encore des méthodes de Toxicity Identification Evaluation (TIE) qui procèdent par élimination de groupes de polluants (volatiles, cationiques, oxydants, etc.) généralement selon leur biodisponibilité avant d’effectuer des tests écotoxicologiques (EPA, 1991 ; Maltby et al., 2000 ; Yoo et al., 2014).
198Nous envisageons ce type de méthodologies dans nos futures recherches sur les rejets du traitement de surface pour mieux identifier les substances responsables des toxicités retrouvées afin de guider au mieux les industriels dans leurs actions prioritaires (cf. chapitre 3).
199Enfin, une dernière étude a été menée sur les rejets de TS 4 où l’effet d’un traitement classique par le charbon actif a été évalué et comparé avec les analyses chimiques. Du charbon en poudre à une concentration de 2 g L-1 a été mis en contact avec un rejet de TS 4. Après un temps d’agitation de 30 minutes et une filtration à 0,45 µm, le rejet traité, tout comme le rejet brut, filtré lui aussi, a été caractérisé chimiquement (tableau 11) et écotoxicologiquement à l’aide du test de germination sur les graines de laitue (figure 13).
200Comme cela a été démontré auparavant, le rejet de TS 4 réduit significativement la germination des graines de laitue mais impacte également la taille des plantules ayant germé (figure 13).
201Après traitement au charbon, le rejet n’a plus d’effet sur le taux de germination, très probablement en lien avec l’abattement de la DCO (50 %), de Co (45 %), Ni (27 %) et Zn (16 %).
202En revanche, il n’y a aucun effet positif du traitement au charbon sur la longueur des plantules, ce qui peut s’expliquer soit par une non-élimination des substances entraînant une réduction de croissance soit par au contraire, une élimination d’éléments essentiels à la croissance, comme les oligo-éléments Fe et Zn.
5. Conclusions
203Ces dernières années, on a vu apparaître dans la littérature un nombre de plus en plus important de travaux de recherches impliquant des chimistes et des biologistes travaillant ensemble pour caractériser les rejets industriels.
204Il y a effectivement un intérêt évident à coupler deux approches différentes mais complémentaires comme la chimie environnementale et l’écotoxicologie, pour évaluer la qualité environnementale.
205En effet, l’analyse chimique se limite à la détermination des niveaux de contamination par tel ou tel polluant des biotopes, sans prendre en considération l’effet de ces polluants sur la composante vivante des écosystèmes. Elle suppose que les polluants, dont on cherche à se prémunir, sont identifiables et en nombre restreint, ce qui est rarement le cas.
206En outre, les analyses chimiques ne donnent aucune indication sur les phénomènes de synergie et d’antagonisme entre les polluants, sur les quantités biodisponibles ou déjà stockées dans les organismes vivants et potentiellement relargables dans le milieu ou accumulables dans la chaîne alimentaire.
207L’utilisation d’outils écotoxicologiques, et donc de la réponse biologique globale par le biais de tests biologiques ou bioessais, pallie cette limite et reflète les phénomènes d’interactions entre les polluants présents dans un mélange ainsi que leur réelle biodisponibilité dans les écosystèmes pollués.
208Nous avons vu, dans ce chapitre, que les trois bio-indicateurs utilisés (Daphnia magna, Lactuca sativa et Lymnaea stagnalis) sont des outils pertinents et complémentaires pour évaluer la toxicité de rejets industriels.
209En France, le test écotoxicologique imposé par la loi à certaines ICPE est le test d’immobilité des daphnies après 24 heures. Ce test a un coût non négligeable et il est fastidieux à mettre en place.
210En outre, le problème de l’utilisation de la daphnie pour évaluer la toxicité d’un rejet industriel vient principalement du fait que la sensibilité de cet organisme vis-à-vis des divers polluants, notamment des métaux, est extrêmement variable. Ainsi, il est souvent considéré que la protection de l’environnement ne saurait se limiter à la protection d’une seule espèce censée être représentative.
211L’idée d’utiliser d’autres bio-indicateurs pour atteindre le même objectif est originale et intéressante. Contrairement aux bioessais sur D. magna, les tests écotoxicologiques sur L. sativa, bien que moins sensibles, sont peu coûteux, simples, fiables, rapides, et parfaitement reproductibles. Ils pourraient être utilisés en routine dans le but d’évaluer la toxicité des rejets de la filière traitement de surface.
212Comme pour les daphnies, la variabilité des réponses écotoxicologiques est à relier à la composition chimique variable des rejets. L’utilisation des œufs de limnées, en plus des deux bio-indicateurs précédemment cités, est un atout supplémentaire, notamment du fait de leur très forte sensibilité vis-à-vis des rejets et de leur représentativité écologique.
213Le bioessai daphnie est un test de toxicité aiguë, c’est-à-dire que l’effet est attendu dans un laps de temps relativement court (24 heures ou 48 heures) et est important : l’inhibition de la mobilité (des fonctions vitales sont altérées). Par conséquent, la dose de polluant permettant d’obtenir cet effet doit être assez forte.
214En revanche, le bioessai d’embryotoxicité est un test subchronique car couvrant complètement le stade du développement embryonnaire. La létalité est observée après 20 jours, laissant donc le temps aux fonctions vitales de s’altérer petit à petit. Ainsi, une dose moins forte de contaminant est nécessaire pour observer les mêmes effets.
215Le contaminant en lui-même joue également un rôle sur la sensibilité observée en fonction de l’organisme et du stade de vie exposés. En effet, une substance peut induire un effet sur un processus/une fonction qui existe chez un organisme mais pas chez un autre : typiquement la photosynthèse chez les végétaux (comme la laitue).
216C’est pourquoi il est primordial d’utiliser plusieurs bio-indicateurs pour approcher de la façon la plus exhaustive, l’ensemble des toxicités que peut exercer un contaminant sur l’environnement.
217Les résultats présentés dans ce chapitre ont également démontré que tout abattement chimique obtenu (par exemple suite à l’optimisation d’une station de traitement des eaux ou à un traitement par le charbon actif) se traduit par une diminution de la toxicité des rejets, plus ou moins importante suivant l’organisme utilisé (laitue, daphnie ou limnée) et la réponse mesurée (germination ou croissance chez la laitue, survie ou éclosion chez les embryons de limnée).
218Cependant, le travail sur l’identification des substances responsables de la toxicité reste encore à approfondir car il n’est pas toujours possible de relier la variabilité écotoxicologique avec la chimie des rejets.
219D’après nos recherches, nous pouvons conclure que les métaux ne sont pas les seuls responsables de la toxicité. Il faut, en effet, prendre en compte l’ensemble de la charge polluante, à savoir la charge organique, les pollutions azotée, phosphatée et soufrée, ou encore la salinité.
Pour en savoir plus :
< http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Tableau_Toxicite_des_metaux_et_des_metalloides_sous_leurs_differentes_formes_chimiques_.pdf >.
Auteurs
30 ans, docteure en écotoxicologie de l’université de Franche-Comté, est actuellement ingénieure CDD en chimie environnementale à l’UMRChrono-environnement, dans le groupe de Grégorio Crini. Elle est spécialisée dans l’extraction de polluants émergents et leur analyse, la mise au point de techniques innovantes d’analyses (ICP-MS, GC-MS/MS) dans diverses matrices environnementales, et l’évaluation de l’impact des polluants présents dans des mélanges polycontaminés par la mise en place de bioessais utilisant des organismes animaux ou végétaux selon des protocoles normalisés ou développés par le laboratoire. Elle est premier auteur de cinq publications internationales dans le domaine de l’écotoxicologie et la chimie analytique.
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
Né à Saint-Rémy en Bourgogne en 1986. Après l’obtention d’un baccalauréat scientifique, il a étudié les sciences environnementales à Vesoul et à Montbéliard. Diplômé d’un master « Traitement des eaux » de l’université de Franche-Comté (2009), il a soutenu en 2012 une thèse en chimie environnementale dans cette même université sous la direction de Grégorio Crini. Son sujet concernait le développement de nouveaux traitements des eaux polycontaminées en métaux et leur impact environnemental via l’utilisation d’outils écotoxicologiques. Il est auteur de neuf articles internationaux et d’un chapitre d’ouvrage dans le domaine de la chimie environnementale, l’ingénierie des eaux et l’écotoxicologie. Il travaille actuellement dans une papeterie régionale (Gemdoubs, localisée à Novillars) en tant que responsable qualité et coordinateur station des eaux.
Adresse : Papeterie GEMDOUBS, rue Jean Baptiste Weibel, 25220 Novillars.
55 ans, maître de conférences à l’université de Franche-Comté (UMR Chrono-environnement et IUT Besançon-Vesoul) depuis 1998, est spécialiste des bioessais d’écotoxicité utilisant les mollusques gastéropodes aquatiques (limnées) et terrestres (escargots). Ses travaux, axés sur l’étude de la biodisponibilité environnementale, toxicologique et trophique des contaminants métalliques et organiques, visent à proposer des outils applicables à l’évaluation des risques écotoxicologiques notamment des sites et sols pollués.
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
Professeur de biologie à l’université de Franche-Comté depuis 1993. Ses travaux de recherche portent sur les transferts et les impacts des contaminants chimiques dans les systèmes terrestres et aquatiques, ainsi que sur les risques environnementaux et sanitaires induits par les polluants. Il a publié plus de 200 articles dans des revues internationales et des ouvrages. Les connaissances et savoirs nouveaux issus de ses recherches sont fréquemment mobilisés dans des activités d’expertise pour de nombreuses institutions nationales (HCERES, ANR, ANSES, etc.) et internationales (Commission européenne, Canada, Pologne, Belgique, etc.), ainsi que pour des entreprises privées. Depuis 1996, il coordonne la formation de professionnels spécialisés dans le domaine de l’eau et des bassins-versants dans le cadre du master « Qualité des eaux, des sols et traitements » de l’université de Bourgogne Franche-Comté.
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
50 ans, anime actuellement l’équipe de chimie environnementale de l’UMR Chrono-environnement de Besançon où il développe des activités de recherches orientées sur le traitement, l’ingénierie et l’impact des eaux usées industrielles et urbaines. Sa recherche est principalement axée sur l’utilisation de ressources naturelles (oligosaccharides, polysaccharides, cyclodextrines) dans les domaines de la filtration, la bioadsorption et la biofloculation pour complexer des polluants environnementaux (colorants, métaux et métalloïdes, HAP, COV, PCB, alkylphénols, etc.). Son expertise dans ces domaines est fréquemment demandée par des institutions internationales (Canada, Lituanie, etc.), nationales, des éditeurs scientifiques et des entreprises privés. Il est auteur d’un brevet et a publié plus de 150 publications dans des revues internationales (dont une revue en 2014 dans le journal Chemical Reviews de l’American Chemical Society, impact factor > 46,5) et des ouvrages, et plus d’une centaine de communications dans des congrès nationaux et internationaux. Il a coordonné quatre ouvrages sur le traitement des eaux industrielles (2007), le chitosane (2009), les procédés d’adsorption (2010) et les cyclodextrines (2015). L’ensemble de ses publications a été cité plus de 6000 fois et son h-index est de 29 selon ISI Web of Science. Il a codirigé et dirigé quinze thèses de doctorats, cinq stages postdoctoraux, et plusieurs projets de recherches régionaux, nationaux, internationaux et privés (agence de l’eau, région de Franche-Comté, INRA Transfert, FEDER, contrats industriels, etc.).
Adresse : Université de Bourgogne Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement UMR CNRS 6249, 16 route de Gray, 25000 Besançon.
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