Analyse critique d’une approche technique en football
p. 47-62
Texte intégral
1L’utilisation des jeux sportifs collectifs à l’école renvoie aux premiers textes concernant l’éducation physique. Déjà, dans les concours de recrutement de professeur de gymnastique du début du xxe siècle (Degré supérieur du Certificat d’aptitude à l’enseignement de la gymnastique. Décret du 12/01/1908), la direction d’un jeu faisait partie des « exercices de pédagogie ». Sans remonter jusque-là, il nous semble important, pour bien situer l’évolution des idées sur l’enseignement des sports collectifs, de caractériser différents modèles de formation que l’on peut identifier dans la littérature consacrée à cet enseignement. Alors, la question principale de cette contribution sera : en EPS, quelle place doit occuper la technique dans l’enseignement des sports collectifs ?
2Avec l’élévation du niveau de compétence exigé dans la société actuelle, la fonction de transmission de la culture technique assignée à l’école est devenue essentielle. Dans les processus traditionnels de transmission des pratiques, par accompagnement de l’activité des jeunes dans la famille ou par compagnonnage dans les entreprises, la question de la didactique de la technique ne se pose guère, sinon à travers la difficulté plus ou moins grande des tâches confiées au débutant : les plus simples au début et puis progressivement on complique et enfin on répète. Dès lors, le problème est le même nous semble-t-il pour les techniques sportives et corporelles. La technique corporelle c’est « l’ensemble des moyens transmissibles à mettre en œuvre par l’homme, pour effectuer le plus efficacement possible une tâche motrice donnée » (Vigarello & Vivès, 1983, p. 45). Cette acception large de la technique a-t-elle une place dans le champ de la didactique de l’éducation physique et sportive (l’EPS) ? En fait, cette définition très vague n’aide pas à clarifier ce qui se joue dans la didactique des sports collectifs. De leur côté, Leplat et Pailhous (1981, p. 276) précisent « que toute technique est mise en œuvre de moyens (matériels, intellectuels) en vue d’obtenir un produit ou un résultat déterminé à partir duquel on pourra l’évaluer ». Ils distinguent :
- « des techniques linéaires qui définissent une séquence opératoire invariable ;
- des techniques ramifiées susceptibles de prendre en compte des variations du milieu et qui peuvent ainsi donner lieu à plusieurs séquences opératoires ;
- l’habileté, elle, caractérise une activité ayant atteint un niveau élevé d’intériorisation, qui se marque notamment par une exécution rapide, précise et susceptible d’être menée en parallèle avec d’autres activités ».
3L’indifférenciation entre ces trois notions a souvent amené des confusions théoriques importantes dans les analyses à dominante technique. Le plus souvent les descriptions de gestes renvoient à la notion de techniques linéaires et nous pouvons parler d’un discours technique dont les rapports avec la réalité profonde du jeu sont en partie erronés.
4Actuellement, les recherches sur les approches socio-constructivistes en EPS se présentent sous deux formes principales : soit la comparaison de l’efficacité entre les approches techniques/tactiques, ou bien la description des processus mis en œuvre par les élèves pour apprendre. Que ce soit les études portant sur l’approche tactique en particulier avec la pédagogie des modèles de décision tactiques (Bouthier, 1986 ; Deleplace, 1966 ; 1979 ; Gréhaigne & Godbout, 1995 ; Malho, 1969), le courant Teaching Games for Understanding (Bunker & Thorpe, 1982 ; Hopper, Butler, & Storey, 2009) ou encore le Game sense (Webb & Thompson, 1998), toutes ont tenté de démontrer l’efficacité de leur approche en la comparant avec l’approche technique. L’objectif a toujours été de savoir si les effets sur les connaissances et la performance dans le jeu étaient significativement différents, tout comme l’impact de ces approches sur les compétences motrices des élèves (Allison & Thorpe, 1997 ; Gréhaigne, 1994 ; Mitchell, Griffin, & Oslin, 1995 ; Rink, French, & Tjeerdsma, 1996 ; Turner & Martinek, 1992 ; Wright, McNeil, Fry, & Wang, 2005). Parallèlement, les chercheurs s’intéressent encore aujourd’hui à la description des processus mis en œuvre par l’élève pour apprendre dans des situations de jeu, à décrire ce qu’il comprend de cette situation, selon la nature du problème qu’il rencontre (Allison & Thorpe, 1997 ; Chang, 2006 ; Gréhaigne, 2007, 2011 ; Gréhaigne, Godbout, & Bouthier, 1999, 2001 ; MacPhail, Kirk, & Griffin, 2008 ; Rovegno, Nevett, Brock, & Babiarz, 2001). D’autres auteurs investiguent plus précisément la manière dont l’enseignant organise l’environnement d’apprentissage de l’élève pour augmenter la signification des situations d’apprentissage utilisées et faciliter la construction des connaissances (Azzarito & Ennis, 2003 ; Chang, 2006 ; Gréhaigne, 2009, 2011 ; Rovegno, 1998).
5Ces différentes approches montrent que le débat n’est pas clos mais il semble surtout prioritaire d’identifier précisément quelles sont les compétences que l’apprenant doit développer, les connaissances requises pour l’apprenant afin de jouer mieux et comment il parvient à mobiliser ces compétences en fonction du contexte ou de la situation de jeu (Rink, 1996). À cet effet, nous allons revenir sur les présupposés de l’approche technique et envisager l’apport de la notion de compétences motrices dans le cadre scolaire.
1. Modèle technique
6L’approche traditionnelle dans les sports collectifs au niveau fédéral s’appuie le plus souvent sur une formation des joueurs mettant l’accent sur l’apprentissage et le perfectionnement d’un éventail d’habiletés techniques spécifiques à l’activité concernée. L’habileté caractérise une activité ayant atteint un niveau élevé d’intériorisation (Leplat & Pailhous, 1981) et, nous ajouterons, qui fonctionne, le plus souvent, en tâche de fond. La conception latente derrière cette approche est que le joueur fort techniquement sera en mesure d’exploiter plus efficacement cette facette dans le jeu réel. Cette conception de l’apprentissage relève, la majorité du temps, d’une phase spécifique reliée au développement des habiletés techniques, qui est suivie de l’application en jeu. Mais, comment un haut niveau d’intériorisation à vide de la technique peut-il être utilisé en jeu sinon au travers d’une re-construction/restructuration ?
7L’avancée des recherches sur le constructivisme a bien démontré qu’il n’y avait pas de lien direct entre l’apprentissage des habiletés techniques et l’application en situation de jeu mais davantage une reconstruction d’habiletés techniques en fonction des conditions réelles du jeu (Gréhaigne, Richard, & Griffin, 2005 ; Kirk & Macdonald, 1998 ; Kirk & MacPhail, 2002 ; Light, 2006 ; Light & Fawns, 2003 ; Rink, 2001 ; Rink et al., 1996). Pourtant, les analyses technicistes se polarisent sur la description et l’apprentissage du geste parfait. La procédure classique de cette pédagogie de maîtrise du geste produit une forme d’enseignement où le savoir est découpé en différentes séquences à apprendre. La technique sportive stéréotypée est, ici, assimilée (Fabre, 1972) « à un geste, une expérience individuelle (ou collective) dépersonnalisée, transmise et capitalisée, en une manière de faire séparée de ses raisons de faire, l’acte dépouillé de ses motifs » (p. 39). Dans la même perspective, Bourdieu, (1980) mettait en garde contre des analyses mutilantes. « Passer du schème pratique au schéma théorique, construit après la bataille, du sens pratique au modèle théorique, qui peut être lu soit comme un projet, un plan ou une méthode, soit comme un programme mécanique, (…), c’est laisser échapper tout ce qui fait la réalité temporelle de la pratique en train de se faire » (p. 136). Dans une acception plus générale, Lafont (2002) discute cette position concernant les techniques en soulignant avec Combarnous (1984) que le caractère technique est indissociable de la capacité de constituer des associations de connaissances raisonnées et empiriques, toutes éprouvées par la pratique, qui assure l’efficacité des actions. Il n’en reste pas moins que du point de vue de l’école et du temps scolaire, Camy (1992) souligne le décalage entre culture scolaire et culture sportive : « l’introduction de la culture sportive dans le monde scolaire passe inévitablement sinon par un appauvrissement, en tout cas, par un traitement. Il n’est pas possible d’imaginer qu’on puisse reproduire à l’école cette culture sportive à l’identique » (p. 100). Quant à lui, Forquin (1989) précise cette « culture scolaire » comme l’ensemble des contenus cognitifs et symboliques qui, sélectionnés, organisés, « normalisés », « routinisés » sous l’effet des contraintes de didactisation font habituellement l’objet d’une transmission délibérée dans le cadre des écoles. Si l’on suit cette définition, l’école enseigne un corps de connaissances particulier. Pour l’EPS, même si le geste maîtrisé a un statut instrumental fondamental, les actions individuelles des élèves sont éloignées du modèle descriptif et de l’enchaînement mécanique de gestes appris à l’avance (la bonne passe, le bon dribble…) qu’associe communément le modèle techniciste à l’apprentissage.
1. 1. Technique, sport collectif et football
8La Technique dans les jeux de balle est l’ensemble des gestes et attitudes qui vise à maîtriser le ballon. Sur ce thème, le concours du jeune footballeur est constitué d’un parcours avec la balle en vue d’exécuter des éléments techniques variés (voir article « Football, technique, jeux et apprentissage à l’école », pour d’autres données sur ce thème). Côté entraînement, la figure 1 résume bien un aménagement du milieu visant le perfectionnement technique. Dans les deux cas, l’opposition y est absente et l’on travaille ses « gammes » à vide par la répétition. La situation présentée comprend sept ateliers, les joueurs sont repartis dans chacun d’eux et tournent afin de passer dans tous les ateliers.
9Atelier 1 : tir après une passe à terre venant de l’avant avec contrôle puis sans.
10Atelier 2 : renvoi long avec contrôle et conduite (en changeant de côté et de pied à chaque fois).
11Atelier 3 : jonglage des deux pieds et de la tête puis échange avec son partenaire.
12Atelier 4 : passe aérienne, contrôle puis jonglage des deux pieds.
13Atelier 5 : conduite de balle entre les cônes puis passe avec l’intérieur puis l’extérieur des pieds.
14Atelier 6 : centre aérien venant de côté et reprise de volée sans contrôle ou de la tête.
15Atelier 7 : conduite de balle rapide entre les cônes et arrêter le ballon dans la zone délimitée.
16Si l’on poursuit un peu plus loin l’analyse du discours technique, l’ordre dans lequel on doit envisager ces apprentissages est conçu comme suit. Il y a quelques compétences qui sont incontournables pour n’importe quel joueur et celles-ci sont si importantes que l’on désire les enseigner en premier. Ce sont, d’abord, les compétences de base pour contrôler le ballon (la réception et la protection), puis pour récupérer la balle (défense) ainsi que des compétences motrices de base pour conserver la balle et tirer (l’attaque). La plupart des élèves semblent spontanément avoir quelques compétences défensives, même si on ne les a jamais formellement enseignées. Les deux autres domaines exigent un apprentissage systématique pour pouvoir jouer.
17Dans ce cas, l’apprentissage des gestes techniques puis l’application au jeu reposent sur le postulat qu’il faut connaître la technique avant de pouvoir jouer. Ce modèle que l’on qualifiera « d’applicationniste » repose sur une illusion présupposant un transfert immédiat d’un contexte à un autre contexte. Les habiletés motrices construites sans opposition en dehors du jeu seraient immédiatement disponibles dans un rapport d’opposition sous temps contraint. Le jeu ne serait qu’un terrain d’application alors que le jeu est premier avec ses rapports de forces, ses relations d’opposition comme éléments fondateurs de l’évolution du jeu. Pour éviter cet écueil, il faut tenter de passer du modèle dit « applicationniste » au modèle que l’on pourrait appeler « de résolution de problèmes ». Alors, on peut se demander si l’apprentissage des gestes techniques est, dans un premier temps, aussi fondamental que l’on veut bien le dire. Parler de progrès dans le geste, c’est affirmer que cet apprentissage prend et évolue au fil du temps et des répétitions, qu’il constitue lui-même un phénomène actif. Ainsi, le geste est « régénéré » à chaque utilisation et peut donc s’affiner mais aussi se détériorer avec l’opposition ou se stéréotyper au fil des répétitions rendant l’adéquation au jeu difficile.
18Toutefois, les apprentissages techniques sont un sujet qui est amplement développé, au moins au plan descriptif, dans la littérature spécialisée. Mais, qu’est ce que la formation technique ? Cela consiste en l’exécution d’un élément isolé (une passe, un contrôle, un amorti ou un tir…). Mais un bon joueur de football est avant tout un joueur capable d’être à la bonne place, au bon moment et de sélectionner la technique adéquate par rapport à la réponse induite par la configuration du jeu. Les habiletés motrices sont toujours en relation avec des appréciations et des choix. Il existe des sports collectifs (volley-ball, football américain…) où le jeu étant essentiellement discontinu, la technique est plus prédominante du fait de la faible durée de chaque action (de 2 à 20 secondes). Par contre, en football, le règlement assure la continuité du jeu ce qui entraîne un affrontement où le jugement est central. Cette minoration de ce que l’on a pu appeler « l’impérialisme de la technique » peut être justifiée par une simple analyse des faits dans le jeu :
- dans un match de 90 minutes en football, le ballon est en jeu approximativement 60 minutes. Pour le temps restant, le ballon est hors du jeu ;
- pendant les 60 minutes où le ballon est en jeu, on peut faire l’hypothèse que chaque équipe se partage la balle par moitié soit environ 30 minutes ;
- à l’intérieur de ce laps de temps, la balle va être fréquemment en l’air ou hors de portée de l’un des vingt-deux joueurs ;
- chaque joueur en fonction de la place et de la fonction qu’il occupe dans l’équipe a le ballon entre 30 secondes et 3 minutes dans un match.
19Bien sûr, ce fait à lui seul ne peut justifier une minoration de l’impérialisme de la technique. Néanmoins, que fait le joueur pendant les minutes où le ballon est en jeu mais où il ne l’a pas ? Hé bien, il sélectionne des informations, analyse celles-ci et prend des décisions. D’où, pour nous, un rapport entre la technique et la tactique qui doit être rétabli en faveur de la formation stratégique et tactique. Dans une première étape, les habiletés motrices construites en jeu réduit à partir de la motricité habituelle en faisant fonctionner les procédures spontanées d’apprentissage nous semblent suffire. D’où une approche des problèmes d’apprentissage basée sur une entrée par les finalités de l’action plutôt que sur une structuration des habiletés motrices.
20Il est bien évident que si l’on rentre dans les problèmes posés par le perfectionnement, il faudra envisager les choses un petit peu différemment et se poser vraiment les problèmes du développement du potentiel technique mais sans abandonner notre option de base sur la primauté de la formation tactique. Il ne faut pas considérer ce point de vue comme une critique radicale de la technique et de l’approche technique car elle a permis ou n’a pas empêché la formation et l’émergence de grands joueurs. Mais il faut rappeler ici que beaucoup de grands joueurs ont appris à jouer dans la rue ou au bas du HLM. La sélection dans les centres de formation des équipes professionnelles se fait essentiellement sur « le sens du jeu », « les qualités physiques » et « la morphologie » du joueur. En ce qui concerne « les qualités techniques ont s’en arrange après », assurait Daniel Rolland, responsable du centre de formation d’Auxerre pendant de nombreuses années.
1. 2. La tactique individuelle
21Pour continuer notre réflexion, plutôt que de technique, nous préférons parler avec Teodorescu (1965-2013) de tactique individuelle : « à côté de la tactique collective, il y aussi une tactique individuelle, dénommée improprement par certains spécialistes « technique individuelle ». « La technique sportive ne peut être qu’individuelle et elle a comme fondement la connaissance des procédés spécifiques de la manœuvre du ballon, ainsi que l’accomplissement de certains mouvements sans ballon » (p. 101). Pour définir la tactique individuelle, nous dirons que celle-ci représente l’ensemble des actions individuelles utilisées consciemment par un joueur dans ses interactions avec ses partenaires et ses adversaires tant en attaque qu’en défense.
22Par exemple la construction de compétences motrices pourrait s’organiser autour de cinq axes, qualitatifs et quantitatifs, d’évolution.
- L’extension du champ perceptif et la décentration par rapport au ballon, car la vision centrale qui compense le manque de sensations kinesthésiques chez le débutant entraînant un contrôle de la balle avec les yeux, va progressivement se décentrer de la balle pour couvrir un espace de jeu de plus en plus grand.
- L’augmentation du volume de manipulation dans toutes ses dimensions (haut, bas, antérieur, postérieur, latéral) déterminant le volume d’utilisation de la balle qui est limité à la partie antérieure du joueur chez le débutant, va s’étendre progressivement dans toutes les dimensions de l’espace.
- La diversification des déplacements et la mobilité avec ou sans le ballon font que les déplacements, souvent uniformes, orientés principalement selon l’axe longitudinal du terrain (couloir) en début d’apprentissage, vont se diversifier en direction et en distance (espace de jeu mieux investi) et en intensité (changement de rythme).
- Une dissociation des segments moteurs et des ceintures permet d’atteindre une indépendance de plus en plus marquée des différents segments.
- L’évolution d’une juxtaposition des actions (conduite séquentielle) vers un enchaînement puis une anticipation des actions.
- Il nous semble que cette approche qui part du concept de tactique individuelle ne dissocie pas technique et jeu. Ainsi, une formation technique pourrait tourner autour de quelques notions simples :
- différencier pousser et frapper un ballon ;
- arrêter la balle : une des premières modalités visant à l’appropriation du ballon avec les mêmes problèmes moteurs que ci-dessus (poussée ou rétro poussée sur la balle) ;
- frapper fort et/ou précis pour envoyer la balle à un partenaire ou tirer au but.
- différencier pousser et frapper un ballon ;
23Enfin, dans les clubs où l’on a du temps devant soi, si l’on pense comme Mercier (1982) et surtout si les joueurs pensent vraiment que les parcours et les jeux contre un mur aident à perfectionner la « technique individuelle », on peut utiliser ces modalités d’apprentissage. En effet, ce que l’on perd peut-être, du point de vue de la qualité des habiletés motrices en jeu, on peut le regagner du côté des représentations dominantes et de la motivation. Enfin, apprendre est un système complexe et toute affirmation doit être prudente et nuancée. Néanmoins, sur le plan de l’argumentation, il faut éviter de confondre les « gammes techniques » de Ronaldo ou d’Ibrahimovitch avec les besoins des joueurs dans un cycle d’EPS à l’école (lieu où l’on accueille tout le monde) ou opérant dans des petits clubs départementaux.
24Une autre piste de réflexion nous est fournie par Deleplace (1979, p. 11) avec la notion de « matrice tactique de l’exécution gestuelle » (figure 2) que l’on retrouve parfois sous le vocable « matrice tactique de la technique ». Toute décision qui, bien sûr, doit être aussi pertinente que possible en ce qui concerne le contexte et les aspects théoriques du jeu, ne devient valable que si elle peut être efficacement traduite en action. Cela implique que le joueur ait effectivement à sa disposition un minimum de réponses techniques correspondantes. Ainsi, toute activité de jeu est un acte forcément tactique quel que soit le niveau où se situe le joueur, car il consiste à résoudre pratiquement et, dans le respect des règles primaires, un grand nombre de problèmes posés par les diverses situations de jeu. « Le niveau de la décision tactique reste toujours le niveau premier, la source de tout, d’où certaines conséquences dans la façon de travailler tant en initiation qu’en perfectionnement » (Deleplace, 1979, p. 11).
25L’aisance et l’adaptation croissante dans l’exécution d’un geste sont le produit d’un travail d’apprentissage gestuel lui-même intelligent, constamment évolutif et qu’il faut constamment renouveler dans le temps. Cette « matrice tactique de l’exécution gestuelle » se construit avec le temps, en intégrant de plus en plus d’éléments traités soit au niveau de la commande consciente, soit au niveau de réglages automatisés très complexes et ceci de façon non consciente.
26A-t-on le temps à l’école de construire ce système complexe ? La réponse est évidemment non.
27Ainsi, la technique que l’on qualifiera de personnelle représente les compétences motrices construites par le joueur et qui dans un rapport de forces donné constituent ses ressources face à une configuration du jeu à décoder. Dans ce cas, on parlera de tactique individuelle pour bien souligner, la singularité du problème et le caractère indissociable des habiletés motrices et de la pensée tactique pour résoudre le problème, le tout fonctionnant dans un temps contraint. En effet, la technique se déroule dans le temps, sa structure temporelle, c’est-à-dire son rythme, son tempo et surtout son orientation, est constitutive de son sens. Dans les activités physiques et sportives, toute manipulation de cette structure, par un simple ralentissement ou une accélération, lui fait subir un changement fondamental. Les compétences motrices sont entièrement immergées dans le temps, non seulement parce qu’elles s’utilisent dans le temps, mais aussi parce qu’elles jouent stratégiquement du temps, en particulier en utilisant les variations de vitesse dans les rapports d’opposition. Enfin, Bouthier & Durey (1994a) notent que l’analyse des techniques ne bénéficie pas de nos jours d’une grande audience en STAPS. Les influences des modèles technicistes en pédagogie, centrées sur la reproduction des formes extérieures des gestes du champion, y restent encore assez largement utilisées.
28Nous allons en venir maintenant, pour le domaine scolaire, aux compétences motrices, celles de la vie courante combinées avec celles plus spécifiques de la motricité sportive qui permettent de faire face aux configurations du jeu.
2. Compétences motrices à l’école
29La notion de compétence motrice en situation sportive présente l’avantage de désigner l’ensemble des schèmes dont dispose un sujet à un moment donné de sa vie. Les ressources cognitives d’un joueur ne se limitent pas à ce qu’on appelle généralement des savoirs ou des connaissances, aussi procéduraux ou pratiques soient-ils ; il faut faire une part décisive à d’autres outils cognitifs, qui sont de l’ordre des opérations. Il semble plus sage d’envisager les compétences motrices en situation sportive comme la mobilisation de ressources d’ordres différents : d’une part des savoirs et d’autre part, un habitus en relation avec les ressources perceptives et motrices d’un joueur. Ce qui ne dispense pas, bien au contraire, de penser l’unité et la diversité de ces divers savoirs. La compétence motrice est acquise par expérience et constitue un référentiel agi, vécu, approprié, ressenti.
2. 1. Quelques éléments théoriques
30Face à des problèmes similaires, Samurçay et Pastré (1995), à partir de deux recherches dans le monde du travail constatent que l’analyse de l’activité des ouvriers montre qu’ils ne font pas qu’appliquer des règles d’action. Ils conceptualisent leur situation de travail autour d’un certain nombre d’invariants que les auteurs ont appelé des concepts pragmatiques. Ce sont les propriétés ou les relations que les opérateurs prélèvent dans une situation et qu’ils jugent pertinentes pour transformer celle-ci dans le sens souhaité. « Ces invariants opératoires qui structurent l’activité deviennent des concepts pragmatiques au niveau de la représentation » (Samurçay - Pastré, 1995, p. 14). Il semble que les compétences motrices en situation sportive sont des savoirs de même ordre où des connaissances opérationnelles et l’expérience de l’usage que l’on peut en faire ainsi que des effets produits se combinent pour résoudre des suites de situations dont l’apparition n’est pas prévisible. Ce n’est plus uniquement l’expérience cognitive mais aussi le sens du jeu et l’intuition qui reposent, bien souvent, sur la perception de quelques indicateurs pertinents de l’action.
31Ainsi, « à chaque palier successif de l’évolution du mouvement, (…), il n’y a jamais, à un instant donné qu’un choix simple, (…), de la forme adéquate et de l’orientation adéquate à donner au mouvement pour la suite de l’action, (…) ». « Le progrès tactique engendre, dans le temps même où il se réalise, une amorce de progrès technique, une germination en quelque sorte… condition indispensable d’une technique ouverte, c’est-à-dire facilitant la réalisation des solutions en cascade au cours du déroulement du jeu ; capable de se renouveler au fil de la vie physique du joueur, son jeu personnel évoluant et/ou le jeu de son époque évoluant » (Deleplace, 1983, p. 104). Aussi, le joueur confronté à la pratique accepte de ne pas savoir immédiatement faire face à toutes les situations, donc de réfléchir et de chercher. On voit bien que réflexion et recherche font à leur tour appel non seulement à des connaissances, mais à des opérations sur ces connaissances qui permettent de contrôler l’accommodation, la différenciation, la régulation et la coordination de l’action.
2. 2. Compétences motrices et principes
32À l’école, les élèves ou les joueurs possèdent un certain éventail de réponses motrices à leur disposition : celles de la vie courante ou d’autres beaucoup plus spécifiques et élaborées. Les compétences motrices sont constituées par des habiletés qui peuvent être organisées autour de principes moteurs ayant trait à la capture, au transport et à la propulsion de la balle. Ces compétences recouvrent ce que les Anglo-Saxons désignent sous le vocable de “motor-skills”. C’est-à-dire un ensemble de manières d’agir, de gestes ou d’actions coordonnées qui présentent un caractère de rapidité et de stabilité. Nécessairement ces compétences reposent sur un certain nombre de qualités physiques comme la force ou la vitesse, avec comme fondement théorique, les « principes moteurs » (Gacon, 1984). Ceux-ci sous-tendent le fonctionnement de ces compétences et sont organisés par :
- le caractère des tensions quand on veut doser un mouvement explosif et moduler ses actions sur la balle ;
- la mise en tension/renvoi de la jambe libre quand on désire lancer loin le ballon (participation de plus en plus de segments à cette action, vers la construction de la chaîne motrice de la frappe de balle) ;
- le placement des chaînes musculaires pour optimiser les réponses motrices (les appuis…).
33Classiquement, quand on parle de la technique du footballeur, on pense aux habiletés motrices qui permettront au joueur quand il jouera, la passe, le contrôle, l’échange et la conduite de la balle ainsi que le tir au but. Il s’agit bien de la technique réduite à ses composantes les plus apparentes (les gestes), y compris travaillés à vide en dehors des conditions réelles de l’activité. L’exécution se traduit par la coordination sous contrôle d’un ou de plusieurs schèmes moteurs. Elle correspond à la mise en œuvre, à la coordination et à la régulation, à différents niveaux du contrôle moteur, des signaux envoyés aux muscles en vue de la réalisation du mouvement (Paillard, 1994). Quel retour d’informations reçoit le joueur durant l’exécution d’une tâche ou à la suite de celle-ci ? Comme feed-back intrinsèque il reçoit un certain nombre d’informations de ses différents sens sur son placement, son déplacement, sa vitesse, ses tensions musculaires, les chocs qu’il reçoit.
2. 3. L’activité motrice de l’élève
34Quand elles sont construites par le sujet, ces habiletés deviennent des compétences motrices singulières qui obéissent, néanmoins, à des principes de fonctionnement. D’une manière générale, il s’agit tout d’abord de passer de frappes explosives et uniques sur la balle à des actions modulées sur le ballon. Aussi, les compétences motrices construites par le joueur lui permettent, dans le jeu, la capture, le transport et la propulsion du ballon.
Capture
35Au début, les débutants repoussent la balle quand elle est forte et à terre. Les balles hautes sont évitées tandis que les balles de la tête sont esquivées. Ensuite, le joueur immobilise la balle sans être personnellement en mouvement. Enfin, l’amorti apparaît ainsi que le contrôle orienté ; le contrôle de la balle devient « tactique ».
Transport
36Dans le cas de la conduite de balle, nous observerons l’évolution suivante. La balle est frappée loin devant, le joueur court derrière jusqu’à une poussée modulée sur le ballon : le ballon s’éloigne peu du pied. Les indicateurs sont soit la distance pied/balle soit le nombre de fois que le joueur touche la balle sur une distance donnée. En effet, plus le ballon s’éloigne du pied plus le joueur mettra du temps avant de retoucher le ballon (c’est un indice à connaître pour un défenseur). Enfin, le passage d’une progression en ligne droite à une progression avec changement de direction constitue un signe de progrès dans les déplacements avec le ballon.
Propulsion
37Le lancer long et relativement tendu constitue un des éléments fondamentaux dans l’évolution des formes de jeu permettant d’utiliser à bon escient le jeu long et le jeu court. En fonction des postures que le joueur utilise, différentes longueurs et formes du lancer sont obtenues. Une règle apparaît évidente : plus le tir est long, plus le chemin de lancement est important en relation avec la vitesse de la jambe libre. Il faut également régler les rapports forces précision avec comme principes : surface large / précision ; petite surface / force… Enfin, dans le cas du football, il est à souligner que les joueurs quand ils sont en possession du ballon sont confrontés à une motricité monopodale en particulier quand le joueur frappe le ballon de l’intérieur ou de l’extérieur du pied. Cela constitue une adaptation majeure par rapport à la motricité habituelle.
38Construire tous ces gestes en situation d’opposition évite souvent une reconstruction aléatoire voire une déconstruction très longue de mauvais stéréotypes. Ce travail de déconstruction peut être fort difficile car les mauvaises habitudes reviennent vite en particulier en cas de fatigue ou dans une rencontre où le rapport de forces est par trop déséquilibré. Avec des compétences motrices construites en jeu, celles-ci sont immédiatement au service de l’affrontement donc de la résolution des problèmes posés par les configurations du jeu. Pour le joueur, l’objet de l’action collective, ce qui est transformé entre le début et la fin d’une phase de jeu, est le rapport d’opposition entre les deux équipes afin de marquer dans la cible de l’adversaire tout en protégeant la sienne. Les positions et les mouvements respectifs des joueurs et du ballon sont pris en compte pour caractériser ce rapport d’opposition. L’analyse d’une action en sports collectifs nécessite donc le repérage des configurations momentanées du jeu, initiales et finales. Les transformations et transitions successives constituent souvent des éléments clefs afin de pouvoir analyser l’évolution du rapport de forces au travers des choix stratégiques individuels et collectifs des joueurs en relation avec leurs ressources supposées. Ensuite le temps de la solution motrice viendra. Ainsi, le joueur se bâtit un fonctionnement autonome et une expérience signifiante à partir d’une base de données constituée par des connaissances et des pratiques acquises au contact du jeu et par le jeu (Zeitler, Guérin, & Barbier, 2012).
3. Discussion
39Une véritable pédagogie des sports collectifs centrée sur le développement de l’élève reste encore à développer à l’école. Comme Bunker et Thorpe (1982) nous affirmons que cette évolution est rendue nécessaire par le constat suivant :
- un certain nombre d’enseignants rencontre des difficultés avec l’enseignement du football ;
- un large pourcentage d’élèves est en échec avec le modèle technique ;
- une lecture du jeu déficiente ou approximative est une lacune importante pour les élèves et l’enseignant.
40Pourtant, un des acquis de la recherche en didactique des sports collectifs à l’école montre que l’apprentissage d’un jeu ne peut se concevoir sans une pratique importante. Cependant, on remarque très souvent que l’enseignement des sports collectifs a beaucoup de mal à s’inscrire dans une véritable perspective scolaire avec son programme spécifique, son temps disponible et une planification des activités qui correspond à tous les élèves, quels que soient leurs niveaux. Au collège, comme au lycée, la référence est encore trop souvent associée au domaine sportif compétitif ou de club plutôt que dans une véritable préoccupation scolaire. Cette forme « entraînarisation » des leçons de sports collectifs et un éclectisme certain sont toujours très en vogue dans beaucoup d’établissements scolaires et nuisent au développement de véritables connaissances et compétences chez les élèves. Cela suscite chez eux la rengaine habituelle « M’sieur quand est-ce qu’on joue ». En effet, la magie du foot, c’est avant tout le jeu et le plaisir. En bas du HLM, dans une activité spontanée, les enfants jouent ou tirent au but ; ils ne font pas des gammes techniques. Aussi, dans l’enseignement des jeux sportifs collectifs en EPS, on ne devrait pas oublier cet univers réellement magique qu’est le jeu qui permet, aussi bien, une mise en activité des élèves que des apprentissages. C’est bien cette richesse de l’activité ludique qui est à exploiter dans la didactique du football mais aussi pour l’ensemble des sports collectifs enseignés. En utilisant les situations jouées à effectif réduit qui proposent les rapports d’opposition comme éléments premiers, les élèves oublient vite leurs représentations initiales ou leur phobie spontanée concernant ce sport collectif. Pourtant, le premier élément qui vient spontanément à l’esprit, quand on envisage d’apprécier plus finement la valeur de l’activité d’un joueur en sport collectif, concerne les savoir-faire ou plutôt les capacités gestuelles particulières permettant de réaliser des opérations pour résoudre les problèmes posés par le jeu. Tout travail spécifique sur les compétences motrices essentielles (réception, dribble, passe, frappe, tir, etc.) devrait se concevoir en commençant par du jeu avec opposition. Ce travail pourrait, éventuellement, se poursuivre avec des exercices sans opposant, dans la mesure où il s’avère rentable très temporairement que le geste ou la série de gestes soit repris hors d’une situation d’opposition effective. La formalisation de la pratique exposée par Deleplace (1979) a donné naissance à l’école de la « Pédagogie des modèles de décisions tactiques (PMDT) » (Bouthier, 1984 ; Diaz, 1983 ; Reitchess, 1983 ; Stein, 1981) qui postule que « l’intervention des processus cognitifs est décisive dans l’orientation et le contrôle moteur des actions » (Bouthier, 1986, p. 85). L’idée centrale de ce modèle didactique repose sur l’hypothèse selon laquelle la présentation des informations essentielles relatives à l’orientation tactique des actions en jeu, et ensuite leur mise en œuvre dans des unités tactiques relativement isolables du jeu, donnent de meilleurs résultats que deux autres méthodes pédagogiques (“pédagogie des modèles d’exécution” qui repose sur l’apprentissage par le joueur de solutions efficaces produites par les experts et “pédagogie des modèles auto-adaptatifs” qui postule que des variations judicieuses d’aménagement du milieu sont les plus performantes pour faire découvrir les solutions et développer les habiletés). En s’appuyant plutôt sur l’innovation contrôlée et de la modélisation du jeu, les travaux de recherche suggèrent que la “PMDT” comporte une légère supériorité sur les autres modèles en produisant plus de réponses exactes entre le pré-test et le post-test bien que les deux autres modalités permettent d’améliorer les résultats (Bouthier, 1988).
41Ceci est confirmé, entre autres, par l’expérience menée au Collège Parc des Chaumes à Avallon (Gréhaigne, 1994) qui avait pour ambition de tester deux approches différentes une par le jeu, l’autre par l’apprentissage technique. À cet effet, les élèves d’une classe de sixième mixte (n = 24) avaient servi de support à cette étude. Chacun des 24 élèves a été réparti, à partir d’un classement effectué avec l’aide du nomogramme, créant ainsi 2 groupes d’enseignement de basket-ball équivalents. À l’issue de l’expérimentation, globalement tous les élèves ont progressé et l’on a pu noter que lors du test de la leçon 1, les résultats des deux groupes étaient quasiment identiques. Par contre, dès la leçon 6 une différence a commencé à apparaître en faveur du groupe « jeu ». Cette différence existait toujours lors de la leçon 12 mais avec une forte augmentation. Par contre, pour le groupe « technique » il apparaissait une diminution constante des résultats. Dans ce travail, l’efficacité du système d’évaluation a été assurée par le recours au même instrument permettant ainsi une reproductibilité des mesures. Nous avons testé, à nouveau, les mêmes équipes lors d’une séance d’évaluation placée cinq mois après le cycle d’enseignement. Nous voulions ainsi vérifier si les tendances mises en évidence lors de cette expérience étaient stabilisées ou fortuites. Cette séance d’évaluation organisée, sans enseignement de sports collectifs entre-temps, a donné des résultats qui montrent une baisse du rendement pour les deux groupes. Néanmoins, on a pu constater une remarquable stabilisation des apprentissages dans le groupe « jeu » du fait de la durabilité et de la systématicité des réponses. Par contre, celle-ci s’est avérée beaucoup plus faible dans le groupe « technique » et nous avons assisté à une domination constante du groupe « jeu » qui explique, en partie, des scores d’évaluation encore plus faibles que lors de la première leçon. À la lumière de cette expérimentation, on remarquera que l’approche par le jeu apporte, avec du temps, de meilleurs résultats au niveau de l’efficacité sur le terrain et fournit aux joueurs un enseignement plus sûr et plus durable concernant les prises de décision tactiques en jeu.
42Ce travail nous a permis de confirmer la supériorité de l’approche par le jeu sur le long terme en relation avec la mise en évidence qu’il est urgent de programmer des leçons de sport collectif d’au moins une heure sur une période de 12 à 14 semaines en vue de stabiliser les comportements que l’on a réussi à faire émerger (Chang, 2006 ; Gréhaigne, 1992, 1994 ; Zerai, 2011).
43En effet, bien souvent avec des cycles plus courts quand les élèves commencent à utiliser les nouveaux savoirs et les nouvelles compétences motrices que l’on veut qu’ils acquièrent, le cycle de travail est fini et la fois suivante (s’il y en a une) il faut recommencer presque à zéro. C’est seulement avec des cycles longs que l’on peut espérer rentrer dans de véritables apprentissages. Nous dirons que l’élève a réellement appris si, confronté à un problème nouveau mais compatible avec les ressources à sa disposition, il a transformé son comportement initial et formule les règles d’action qui l’ont mené à la réussite. Cette stabilisation des acquis recouvre trois critères (Gréhaigne & Cadopi, 1990) : la systématicité (diminution de la dispersion des réponses et stabilité dans la succession des répétitions : par exemple l’enfant réussira 8 fois sur 10) ; la durabilité (une évaluation différée dans le temps rend compte de ce type de concept : par exemple une situation d’évaluation présentée aux élèves deux mois après la fin d’un cycle) ; la généralisation (reconnaissance de la similarité entre plusieurs situations avec utilisation et réorganisation des règles apprises antérieurement, puis utilisation dans une classe de problèmes donnée). Faire émerger des réponses nouvelles ne suffit pas et l’on doit utiliser, si besoin, toute la panoplie de situations à notre disposition :
- des « tâches de résolution de problèmes », c’est-à-dire des situations où il faut élaborer des procédures, cette élaboration dépendant de la construction d’éléments nouveaux et de la mise en œuvre d’opérations mentales permettant d’accéder à un niveau supérieur de compréhension ;
- des « tâches d’exécution non automatisée » correspondant à des situations pour lesquelles des procédures générales existent en mémoire mais doivent être adaptées au cas particulier, ou aux spécificités contextuelles ;
- des « tâches d’exécution automatisée » qui consistent, quand on a du temps, en la mise en œuvre de procédures spécifiques où la répétition est souvent centrale (Richard, 1990).
44Ces trois tâches correspondent à des niveaux différents d’élaboration des décisions et se différencient par le rôle plus ou moins grand que les aspects cognitifs conscients jouent dans cette élaboration. Elles sont à utiliser de façon systématique pour que les élèves apprennent réellement et puissent réutiliser les acquis dans d’autres cycles ou dans leur vie future.
45On voit bien qu’il n’est pas question de verser dans le tout cognitif. Dans la perspective d’un perfectionnement, il s’agira quand même, dans la gestion des rapports d’opposition en sport collectif, de viser une automatisation partielle des perceptions, des décisions et des gestes afin de dégager le canal cognitif conscient pour assurer d’autres opérations. Cela consiste par exemple à faire exécuter, sauf alerte contraire, au niveau de processus cognitifs infra conscients, un certain nombre de tâches pour offrir la possibilité de faire fonctionner d’autres programmes en même temps (figure 3).
46L’évolution s’opère du débutant encombré par une multitude d’informations vers le joueur de bon niveau qui ne relève que les quelques indices pertinents, voire qui apporte une réponse sans vraiment avoir relevé d’indice ; dans ce cas une transformation qualitative s’est opérée. Avec ces opérations automatiques, la part des processus conscients diminue au profit d’indices traités en tâche de fond sauf incident.
4. Conclusion
47L’objectif de cet article était de questionner l’approche technique dans l’enseignement des sports collectifs. Selon beaucoup d’idées à la mode, quand on a tout répété, on recommence pour viser la soi-disant perfection du geste, l’ordre parfait en quelque sorte mais séparé de la performance. La technique corporelle est pourtant un objet culturel que chaque pratiquant exploite selon son univers de référence et son système de représentation spécifique. Ainsi, le joueur, le combattant, le danseur ou l’athlète reconstruisent cet objet en le transformant, en le redéfinissant en rapport avec ce qu’ils connaissent ou croient connaître (Bride, 2015). Ainsi les objets de la technique deviennent ce que les pratiquants en ont fait dans une culture de référence donnée.
48À l’école, nous avons vu, également, que l’évolution de la conception de la place de la technique dans un cursus d’apprentissage est à mettre en parallèle avec les pratiques permettant aux élèves de construire leurs connaissances et leurs compétences motrices en agissant, réellement et mentalement, dans des situations d’affrontement porteuses de sens. Un autre point à souligner reste que l’apprentissage demande du temps et qu’il est illusoire d’attendre des transformations durables avec des cycles courts. À partir de ce constat, le thème des formes de groupement et les modalités de constitution des équipes deviennent fondamentaux pour la réussite d’un cycle de sport collectif en particulier quand on a recours à des cycles de 12 à 14 leçons. Enfin, au niveau des apprentissages spontanés dans la vie de tous les jours, on peut ajouter que le manque de jeu et de lieu où l’on peut jouer aujourd’hui reste aussi un handicap pour tout le monde mais surtout pour les filles qui accumulent ainsi un déficit de jeu très préjudiciable à leur implication dans une rencontre de sport collectif. Certes l’école ne permet pas de grandes transformations techniques mais le choix d’une approche tactique va enclencher des apprentissages techniques en situation qui ne peuvent que s’enrichir en continuant à jouer.
Auteurs
Université de Bourgogne Franche-Comté
Université de Bourgogne Franche-Comté
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