Analogies, configurations du jeu et intelligence tactique
p. 301-314
Texte intégral
1L’idée centrale que nous allons exposer dans ce chapitre, en rapport avec le développement de la pensée tactique, est « Comment réutiliser des connaissances acquises dans un premier sport collectif en vue d’être performant dans un autre ? ». Dans le domaine de l’apprentissage, on utilise en général le terme « transfert » pour désigner toute modification d’un apprentissage par un autre apprentissage. On distingue alors des transferts positifs, c’est-à-dire bénéfiques et des transferts négatifs, c’est-à-dire produisant des détériorations ou des interférences. La difficulté à prouver l’existence d’un transfert positif nous a fait abandonner (provisoirement ?) cette notion au profit des concepts de réutilisation, de réagencement, pour souligner le caractère profondément transformateur de tout apprentissage (Durand, 1989).
2En sport collectif, du fait d’un environnement en constante évolution, les caractéristiques temporelles et spatiales des déplacements des joueurs et du ballon doivent être analysées en fonction d’observables que le joueur ordonne. La signification attribuée aux perceptions est en liaison directe avec le rapport de forces, la logique du jeu, le temps disponible, les règles d’action, les images opératives et les compétences motrices, etc. Nous percevons bien ici la liaison fonctionnelle qui unit les connaissances et les perceptions. Ces dernières ne peuvent s’organiser et prendre du sens que par rapport aux savoirs tout en concourant à leur développement. La perception est le moyen d’une activité consciente d’élaboration et de traitement des informations pouvant servir de support au raisonnement propositionnel et donc à certaines des opérations d’inférences intervenant dans la compréhension du jeu. Ainsi, quand on cherche à construire un cadre d’analyse authentique avec les élèves, à partir des dimensions spécifiques d’une situation de jeu, non seulement on peut obtenir des résultats importants, mais en plus on s’est rendu compte qu’apparaissent des convergences avec les analyses précédentes concernant d’autres situations ou configurations du jeu.
3On peut de sorte aller plus rapidement vers des outils cognitifs communs pour interpréter le jeu. Dans les sports collectifs, en relation avec l’apprentissage par la compréhension, l’utilisation des rapports au temps et des configurations du jeu semble constituer un point clé de l’analyse des situations d’affrontement. Trop souvent, en effet, dans la formation actuelle des apprenants, le décodage des configurations du jeu est assimilé à un ensemble de recettes, sinon d’astuces, plus ou moins éprouvées qu’ils convient de s’approprier essentiellement par le biais d’une exhortation assortie de quelques stratégies planifiées. Cette forme de transmission de connaissances est en opposition avec une conception de l’apprentissage où le recours aux mécanismes de métacognition permet au joueur non seulement d’évaluer qu’il est en situation de réussite ou d’échec tout en concourant aux transformations souhaitées mais de conclure que la démarche d’apprentissage utilisée est compatible avec son profil d’apprentissage (Godbout, 2001).
4Le problème de l’acquisition des stratégies de reconnaissance du jeu semble donc, le plus souvent, se poser en termes de passage d’un fonctionnement non conscient restreint à une mobilisation de procédures intégrées dans des stratégies gérées consciemment. En effet, les domaines évoqués par similarité sont ceux qu’une ressemblance entre certains de leurs constituants et l’élément évocateur ont été rappelés dans notre mémoire. Le processus se poursuit alors par l’interaction entre les domaines évoqués. Le problème de la production optimale sous contrainte temporelle des actions en projet du ou des joueurs se pose en termes de passage d’un fonctionnement conscient à une mobilisation de procédures intégrées dans des stratégies gérées en tâche de fond sauf événement imprévu qui vient remettre en cause la procédure utilisée. Enfin, la réutilisation ne concerne pas de façon prioritaire les compétences motrices qui nous semblent être plus liées aux règles primaires ou aux règles d’action du sport collectif concerné. De ce point de vue, reste, aussi à comprendre comment penser simultanément connaissances et compétences motrices en vue de résoudre les problèmes posés par l’affrontement.
1. Apprentissage par analogie : un rappel
5Nous avons déjà abordé le concept d’analogie et sa contribution possible dans les apprentissages (Zerai, Gréhaigne, & Godbout, 2011). Il nous semble néanmoins opportun d’en rappeler quelques éléments essentiels. En effet, un aspect fondamental de l’intelligence humaine est sa capacité de former et manipuler des représentations relationnelles. Des exemples de pensée relationnelle incluent la capacité d’apprécier les analogies entre des objets ou des événements apparemment différents (Gentner, 1983 ; Holyoak & Thagard, 1995), la capacité d’appliquer des règles et des principes abstraits à des situations nouvelles (Smith, Langston, & Nisbett, 1992), la capacité de décoder et apprendre des signes, et même la capacité d’apprécier des similitudes perceptuelles (par exemple, Goldstone, Medin, & Gentner, 1991 ; Hummel, 2000 ; Hummel & Stankiewicz, 1996 ; Palmer, 1978). La force du raisonnement relationnel réside dans sa capacité de générer des inférences et des généralisations limitées par les rôles que jouent des éléments plutôt que simplement par les propriétés des éléments eux-mêmes. À la limite, le raisonnement relationnel produit une généralisation inductive universelle, à partir d’un ensemble fini et souvent très petit de cas observés, à un ensemble potentiellement infini d’instanciations nouvelles. Un exemple important du raisonnement relationnel humain est l’inférence ou raisonnement analogique.
6Le raisonnement analogique est largement reconnu comme un outil puissant dans la cognition humaine (voir par exemple, Dunbar & Blanchette, 2001 ; Gentner, 1983 ; Hofstader, 1996 ; Holyoak & Thagard, 1989). Il permet à un individu de voir les points communs entre des situations apparemment disparates en regardant au-delà des simples détails de surface pour plutôt mettre le focus sur la structure relationnelle sous-jacente ou comment les composantes du système s’ajustent et ont un rapport les unes avec les autres. Ce faisant, les analogies permettent à l’individu d’effectuer des inférences structurellement correctes concernant de nouvelles situations ; de plus, elles permettent de puiser dans les connaissances existantes (Gentner, Holyoak, & Kokinov, 2001).
7L’idée centrale dans l’analogie est qu’un inventaire des connaissances et des objets dans une configuration de référence, voire prototypique, aussi appelée configuration source, peut aider à résoudre le problème posé par une configuration ponctuelle donnée, que nous appellerons configuration cible. Cela véhicule l’idée qu’un système de relations peut s’établir entre les objets de la configuration de référence et ceux de la configuration cible. Ainsi, une analogie est une manière de se concentrer sur les points communs relationnels. En interprétant une analogie, les joueurs cherchent à obtenir une correspondance structurelle maximale. Au cœur du processus d’inventaire (mapping) est le principe de systématicité.
8Les étapes principales du raisonnement par analogie sont constituées par :
la construction d’une représentation, cette étape consiste à inventorier les connaissances disponibles relatives aux différents sports ;
la recherche (rappel, accès, évocation) d’une situation analogue qui servira de source, cette recherche vise à trouver dans la mémoire à long terme des situations potentiellement appariables avec la situation à analyser ;
la construction d’un appariement entre les éléments des situations sources et cibles qui conservent un maximum de relations entre les domaines appariés ;
l’utilisation d’éléments de connaissance pour résoudre le problème (inférence, adaptation, apprentissage).
9Selon la difficulté du problème et de la possibilité de trouver des ressources, il est donné plus ou moins d’importance aux différentes étapes, certaines pouvant être plus ou moins escamotées. En outre, bien qu’elles soient présentées ici séquentiellement, les étapes peuvent introduire un certain nombre d’interactions entre elles.
10L’apprentissage par analogie fonctionne à partir d’un mécanisme inductif en deux étapes : le premier temps consiste à construire une liaison structurelle (une relation d’analogie) entre une nouvelle version d’un problème avec des versions déjà résolues du même problème. Une fois cette liaison établie, une nouvelle réponse peut être élaborée à partir d’une ou plusieurs réponses déjà construites. La mise en œuvre de ce type d’apprentissage présuppose donc la capacité à rechercher et à exploiter de telles liaisons, soit d’une part de donner un sens à la notion de relation analogique et, d’autre part, de faire fonctionner une mise en relation de ces liaisons. Pour les sports collectifs, il ne faudra pas oublier aussi d’en réussir l’exécution.
11De ce point de vue, l’apport d’Ochanine (1978) qui appelle un agencement partiel d’éléments « structure opérative » et « image opérative », sa représentation chez le sujet, est capitale.
12En conclusion, la perception, l’apprentissage, la mémoire, le langage et la pensée sont tous basés sur une coordination de relations et ainsi, la notion de « faire des analogies » s’est déplacée de la périphérie vers le centre de la cognition humaine. D’autre part, faire des analogies relève d’un processus complexe qui requiert la perception du domaine cible en relation avec une mémoire d’expériences passées qui constitueraient des fondements potentiels pour l’analogie, le raisonnement abstrait et la généralisation ainsi qu’un langage sophistiqué. En science, elle représente un chaînon dans le raisonnement inductif en servant de moyen d’invention plus que comme moyen de preuve. Lorsqu’elle réussit, l’analogie peut aboutir à une extension du champ d’application de certaines notions (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 1970).
2. Exemples pratiques d’analogies possibles en sport collectif
13Pour illustrer ce que pourraient être les apports de l’analogie, nous allons examiner successivement deux séries de configurations du jeu reposant sur la contre-attaque et le jeu balle en avant, dans quatre sports collectifs différents.
2. 1. La contre-attaque
14La figure 1 montre le cas typique d’une contre-attaque en handball avec une longue passe du gardien de but depuis l’arrière de l’espace de jeu effectif (EJE) vers un partenaire avant déjà bien positionné dans la zone offensive.
15Légende : dans toutes les figures suivantes, nous utilisons les signes conventionnels suivants :
Figure 1. Une contre-attaque typique en handball.

Figure 2. Une contre-attaque typique en basket-ball.


16La figure 2 décrit un cas typique d’une contre-attaque avec une longue passe, après récupération du ballon, par un joueur situé à l’arrière de l’EJE vers un partenaire déjà en place à l’avant de l’EJE.
17La figure 3 illustre le même type de contre-attaque au hockey sur glace avec cette spécificité des règles primaires de ce sport collectif où le joueur attaquant ne peut pas pénétrer dans la zone d’attaque avant la rondelle. Ce joueur, en avance, est positionné à proximité de la zone d’attaque en avant de l’EJE.
Figure 3. Une contre-attaque typique en hockey sur glace.

Figure 4. Une contre-attaque typique en football ou en futsal.

18La figure 4 présente le cas d’une contre-attaque au football, avec un long dégagement, après récupération du ballon par le gardien de but. Ce renvoi effectué à l’arrière de l’EJE est destiné à un partenaire déjà bien placé en avant de l’EJE et qui n’est pas en position de hors-jeu.
19On peut concevoir qu’il existe des similitudes ou des analogies entre ces configurations de jeu en extension. Comme les terrains sont un peu plus grands au handball et au football, on peut noter que, généralement, l’espace de jeu effectif dans une contre-attaque est plus étendu.
20Pour analyser ces contre-attaques on peut utiliser les apports de Gentner (1983) qui caractérisent l’analogie, comme la possibilité de découvrir un système de relations commun dans deux domaines. Le processus général de la pensée analogique peut être utilement décomposé en plusieurs processus constituant une base de travail. Une ou plusieurs similitudes pertinentes stockées dans la mémoire peuvent être consultées. Par exemple, le contre concerne une action rapide, menée après l’échec d’une attaque adverse ou lors d’une récupération collective du ballon. L’équipe qui mène le contre fait face généralement à une équipe déséquilibrée, voire désorganisée car celle-ci était, auparavant, en phase d’attaque. La contre-attaque peut être caractérisée par un avantage positionnel (la défense est à la poursuite), peu d’échanges de balle et un déroulement rapide. Le choix de lancer ou non une contre-attaque dépend essentiellement de la position avancée des adversaires et du lieu de récupération de la balle afin de profiter de l’effet de surprise. Le but est alors, quand l’équipe récupère le ballon, de transmettre celui-ci, le plus rapidement possible, au joueur le mieux placé en appui. La qualité de la première passe conditionne la conservation de la prise d’avance ou non sur le replacement défensif. Ensuite, réduire le temps pour amener la balle dans la zone de marque, se déplacer en s’éloignant des adversaires ainsi qu’utiliser la vitesse et l’avance temporelle constituent des règles d’action importantes à respecter. Les joueurs se déplaçant dans les espaces libres doivent essayer de planifier leurs mouvements pour proposer de recevoir la balle devant eux.
21Avec la contre-attaque, on se trouve dans une configuration du jeu où la prise de vitesse du repli défensif peut devenir systématique sauf quand il est avéré qu’il faut gagner du temps. La stratégie de la plupart des équipes est donc de rendre le plus automatiques possible, par l’entraînement, les comportements individuels et collectifs permettant de maîtriser cette organisation du jeu à pleine vitesse. N’oublions pas le rôle majeur dévolu au gardien de but ou à celui qui récupère le ballon. Selon l’expression consacrée, il est le dernier défenseur mais aussi le premier attaquant.
2. 2. Le jeu balle « en avant »
22Avec des joueurs plus débrouillés, en cas d’échec de l’action rapide vers le but, un enchaînement vers d’autres situations d’attaque privilégie la conservation du ballon pour attendre ou provoquer une autre opportunité. Cela se produit dans les jeux avec plus de joueurs, où un passage rapide vers la zone de marque et l’enchaînement des séquences de jeu deviennent d’actualité.
23La figure 5 montre le cas typique de montée de balle en handball avec une longue passe pour un joueur situé en avant qui, étant bloqué, par un défenseur passe la balle à un joueur en soutien qui dispose, lui, d’un espace ouvert. La suite de l’attaque est constituée par une conduite de balle en dribble suivie d’un tir au but.
24La figure 6 décrit un cas caractéristique d’un jeu balle en avant en basket-ball avec une longue passe, après récupération du ballon, par un joueur situé à l’arrière de l’EJE vers un partenaire déjà en place à l’avant de l’EJE.
Figure 5. Un jeu balle “en avant” classique en handball.

Figure 6. Un jeu balle “en avant” classique en basket-ball.

25La figure 7 illustre le jeu balle en avant au hockey sur glace avec cette spécificité des règles primaires de ce sport collectif où les attaquants peuvent jouer derrière le but. Elle illustre un jeu très caractéristique du hockey sur glace, à savoir que la pression des joueurs à l’attaque (l’échec avant) de l’équipe à l’offensive permet de faire circuler la rondelle derrière le filet. De cette circulation s’ensuit une passe en retrait à un joueur placé dans la zone optimale de tir devant le filet qui lui tire au but.
26Pour le football, la figure 8 propose une montée de la balle à la périphérie, qui se termine par un centre en retrait vers un joueur positionné en arrière ; celui-ci en soutien est cependant en avance sur le replacement défensif et peut tirer au but. Curieux paradoxe parfois où les attaquants bien placés sont ceux qui arrivent en retard. Les autres ont le ballon dans le dos ou peuvent évoluer fréquemment, en position de hors-jeu.
Figure 7. Un jeu balle “en avant” classique en hockey sur glace (Moniotte, Nadeau, & Fortier).

Figure 8. Un jeu balle “en avant” classique en football avec un centre en retrait.

27Cette nouvelle circulation du ballon ou de la rondelle propose un repère commode : ces objets circulaient précédemment quasi exclusivement de l’arrière vers l’avant. Ils se déplacent maintenant vers l’avant, latéralement, mais aussi parfois de l’avant vers l’arrière. Cette transformation est due à l’organisation défensive qui, dans le jeu de transition, défend maintenant sur le porteur de balle et sur les réceptionneurs éventuels proches. Donc, quand les défenses sont en partie en barrage, le contournement et le « jeu balle en avant » (jeu où la balle circule parfois de l’avant vers l’arrière dans la montée de balle) sont d’autres armes de l’offensive. Ils permettent, en effet, de prendre à revers la défense, de consommer des défenseurs et, au tireur, de prendre un temps d’avance du fait du renversement temporaire du sens du jeu. Le décalage ainsi créé conduit l’attaque à poursuivre l’offensive dans de bonnes conditions. Le « rentré décalé » ou le fait d’être en soutien actif pour les partenaires du porteur de balle devient un atout décisif pour une bonne exploitation de cet enchaînement de jeu. Cela souligne bien que l’avantage positionnel n’est généralement que la conséquence d’une prise d’avance temporelle, celle-ci pouvant prendre des formes variées comme être en arrière du porteur de balle. La séquence de jeu devient un peu plus longue, même si en jeu à effectif réduit, elle dépasse rarement quatre à cinq échanges de balle. La caractéristique de ce type de jeu est constituée par le fait que, dans la montée de balle à un certain moment, le ballon ou la rondelle recule.
28Enfin, dans ces phases de montée de balle, les passes seront privilégiées car elles sont plus rapides que le dribble. L’utilisation maximale de la largeur rendra plus difficile les actions des défenseurs du fait de l’incertitude lors de chaque passe et libèrera en partie l’axe but attaqué / but défendu. Le point clé est d’atteindre la zone de but adverse avec de l’avance pour pouvoir tirer.
2. 3. Duel gagné
29La figure 9 montre, en handball, le cas typique d’un duel gagné à l’arrière de l’EJE de l’attaque (ronds noirs) suivie par les joueurs maintenant en attaque (carrés gris) d’une conduite de balle en dribble puis tir en suspension.
Figure 9. Une interception en handball.

Figure 10. Une interception en basket-ball.

30La figure 10 décrit un cas typique d’un duel gagné à l’arrière de l’EJE suivi d’une conduite en dribble puis d’un tir en course avec un double pas. La figure 11 illustre le même type de duel gagnant au hockey avec une conduite rapide de la rondelle suivie d’un tir frappé. En futsal ou en jeu à effectif réduit au football, la figure 12 présente le cas d’un duel gagné à l’arrière de l’EJE dans l’axe central avec conduite de balle vers la cible et tir puissant en course. Il est à noter que suivant les règles primaires des différents jeux, les exécutions diffèrent. La tactique individuelle a aussi son importance dans ces aspects de réalisation d’un but.
Figure 11. Une interception en hockey sur glace

Figure 12. Une interception en futsal.

31En observant le jeu de nos élèves dans ce type de situation, on constate différents comportements bien typés. Si le joueur qui a récupéré le ballon se sent suffisamment fort, il s’en va seul vers la cible et tire. Si, par contre, il n’a pas trop confiance dans sa vitesse de conduite de balle, il passe immédiatement la balle à un partenaire qu’il considère meilleur que lui pour accomplir cette tâche. Enfin, s’il n’a pas confiance en son tir, il donne le ballon à un autre joueur à la fin de la conduite de balle.
32En définitive, une circulation de la balle à l’arrière de l’EJE doit être un signal fort pour les défenseurs en vue de tenter de récupérer le ballon. Car, bien souvent, le joueur en possession du ballon subit un pressing et effectue sa passe trop tardivement. Le receveur est alors dans le secteur d’intervention du défenseur. Celui-ci peut regagner la possession du ballon dans d’excellentes conditions et enchaîner sur une attaque avec un espace vide devant lui. Cette perte de balle peut être due, également, à un contrôle déficient ou quand, sur une conduite de balle, le ballon est poussé trop loin. Le temps que le pied, la main ou la crosse retouche le ballon ou la rondelle, le défenseur peut se rapprocher et réduire les possibilités de passes facilitant ainsi les interceptions.
2. 4. Discussion
33Concernant les actions en projet et au sujet de la circulation de la balle ou de la rondelle, il y a deux stratégies d’échanges de base, à partir desquelles on peut construire une tactique. Une a pour but premier de garder la possession du ballon, de contrôler le jeu et d’attaquer ensuite. La tâche des défenseurs consiste à assurer la continuité de la possession du ballon jusqu’à ce qu’une opportunité d’offensive apparaisse. Ainsi, les défenseurs et les milieux défensifs mettent en place un jeu en passes courtes pour mieux conserver le ballon et éviter les interceptions. En effet, s’ils perdent le ballon, il y a danger immédiat avec un recul-fuite à la clé ! L’autre stratégie, plus orientée vers la contre-attaque ou le passage rapide, est de prendre de vitesse le replacement défensif ou de contrer l’organisation à double effet. La pression est sur les défenseurs et une bonne réponse consiste en de longues passes directes, sautant le milieu de terrain pour chercher directement les attaquants. Toute passe courte à un partenaire pourra se révéler très dangereuse car facilement interceptable comme nous venons de le voir dans les exemples ci-dessus.
34En définitive, les stratégies proposées devront être adaptées à la taille du terrain et aux enjeux du match. Par exemple, sur un petit terrain ou en jeu à effectif réduit, les passes longues directes en direction des joueurs avancés risquent d’être parfois trop longues et devront donc être modulées. De même, quel que soit le sport collectif utilisé, si l’on recherche un jeu basé sur la conservation du ballon ou de la rondelle, on pourra demander aux partenaires de jouer plus court pour faciliter le contrôle du ballon.
35Ainsi, une similitude familière entre les configurations du jeu dans des sports collectifs différents peut être reconnue afin d’identifier des correspondances systématiques entre ces configurations. La sorte de cartographie du jeu ainsi obtenue permet des inférences analogiques créant de ce fait de nouvelles connaissances pour combler des lacunes éventuelles dans la compréhension. Ici, à la suite du raisonnement analogique, l’apprentissage peut aboutir à la création de nouvelles ressources dans la mémoire et une nouvelle compréhension de vieux schémas stockés qui permettent aux joueurs de décider plus vite une réponse utile. Ces éléments fondamentalement tactiques étant maîtrisés, on peut espérer que, quel que soit le sport collectif abordé, on puisse prétendre dans la spécificité des règlements trouver chez les joueurs des réponses tactiquement justes.
36On peut considérer, ici, que l’on a affaire à une classe de problèmes. Une classe de problèmes est constituée par la similarité des connaissances pratiques et des modes de résolutions auxquels le joueur doit faire appel, pour résoudre les difficultés contenues dans les configurations du jeu de plusieurs jeux collectifs. Pour bien fonctionner, la classe de problèmes doit être accessible au joueur et reconnue par lui comme telle. Son utilisation doit lui permettre de réorganiser les règles d’action et de transformer ses compétences motrices en vue d’une généralisation de ses connaissances. L’objectif est de pouvoir dégager des principes d’action d’une activité ou d’une famille d’activités en vue de donner au joueur les capacités d’une gestion immédiate dans ces jeux. La notion de transversalité, au sens de créer des passerelles entre les différentes compétences et connaissances, prend alors toute sa signification. On ne transfère pas, on reconstruit plus vite !
3. Utilisation du raisonnement par analogie dans l’apprentissage des sports collectifs
37En sport collectif, le raisonnement par analogie peut être défini comme la réutilisation de connaissances d’une séquence de jeu à une autre. Résoudre un problème de jeu par analogie consiste à se référer à un problème déjà connu et résolu pour trouver la réponse du problème à résoudre. Par extension, l’apprentissage par analogie consiste à faire utiliser à l’apprenant des situations sources pour résoudre des situations cibles. Il est à noter que bien souvent, chez les joueurs, les connaissances disponibles au niveau du domaine source sont plus nombreuses que celles relatives au domaine cible. Un des objectifs du raisonnement par analogie est alors d’exploiter un appariement adéquat effectué entre les éléments des domaines source et cible, de manière à utiliser un certain nombre de connaissances disponibles de la source pour faire face à la nouvelle situation. Pour parvenir à ce résultat, il va falloir faire découvrir ou enseigner aux joueurs sur quels traits se baser, comment repérer les analogies… Il faudra aussi proposer, au début, des situations de jeu cibles proches des situations de jeu sources afin que le joueur comprenne qu’il peut réutiliser ses connaissances. Néanmoins, une difficulté importante subsiste : comment différencier les éléments importants dans la situation de jeu des éléments accessoires. S’appuyer sur les images opératives devrait permettre de surmonter cette difficulté.
38Les démarches pédagogiques sont des attitudes méthodologiques et progressives de pensée insistant soit sur les phases d’un travail, soit sur les formes, les aspects d’une situation qui fait l’objet d’une recherche. En pédagogie, le rôle de l’analogie est d’autant plus grand que c’est un mode de raisonnement assez spontané. Ici, la méthode analogique se lie intimement et légitimement à l’intuition. Cette approche permettra de construire une activité didactique en groupe où l’enseignant prouvera, par la démarche méthodologique adoptée, qu’il a pris conscience que la mise en situation authentique des joueurs est un facteur important des apprentissages. L’unité de base de cette démarche pédagogique se fonde sur l’analogie, l’observation et l’explicitation en relation avec les hypothèses retenues et leurs vérifications. Ici, la démarche expérimentale se déroule en au moins trois phases (observation, hypothèse, évaluation) et se concentre sur au moins deux points : la reproduction de l’événement et l’évolution des variables.
39Toutefois, les objectifs respectifs se distinguent clairement. Alors que par le raisonnement on cherche à modéliser une faculté cognitive, en pédagogie, on essaie de résoudre des problèmes d’apprentissage avec des données à analyser qui sont potentiellement nombreuses et, en général, faiblement structurées. À l’inverse, les modèles cognitifs considèrent habituellement un nombre réduit de situations mais leur modélisation implique des représentations éventuellement complexes. Cette différence de nature des données entraîne également une vision différente de l’appariement caractérisant l’analogie. Dans un cas, il est réduit à une simple mesure de similarité alors qu’il repose sur une conservation des relations et des structures dans l’autre.
40Somme toute, pour en revenir au thème de ce livre, il est bien évident que la pensée tactique se nourrit et se développe, entre autre, à partir de ces mécanismes analogiques permettant ainsi l’évolution de l’intelligence tactique. Il s’agit bien ici d’effectuer des appariements dans un ensemble potentiellement grand comme cela est fréquent lorsque l’on cherche à résoudre un problème tactique à l’aide d’exemples existants ou de problèmes déjà résolus.
4. Un mot sur la matrice de jeu et la notion de structure d’accueil
41La structure d’accueil (advanced organizer dans la littérature anglophone) est un ensemble organisé de connaissances ou de schèmes qui sert de référent par rapport à toute information ou connaissance nouvelle pour un sujet. Dans le même ordre d’idée, chez Deleplace (1979), le référentiel des matrices offensives et défensives constitue un « système cohérent de représentation mentale de la totalité de la logique interne du jeu : véritable systématique des décisions tactiques en jeu » (p. 21). En sport collectif la matrice de jeu est un bon exemple de structure d’accueil. Ainsi, le joueur dispose, sous contrainte temporelle, d’une « image mentale d’action » élaborée, au lieu d’être encombré par une masse de données inutiles à la solution du problème. Cette image mentale d’action lui permet aussi de ne sélectionner que les informations les plus adaptées au contexte, voire même de vérifier dans le jeu les informations pertinentes qu’il attendait pour poursuivre son action. Cette lecture du jeu serait donc anticipatrice des signes attendus et des paris de sens sur le décours de l’action.
42Dans une première étape, les structures mentales permettent de faire face à une situation nouvelle. Les connaissances nouvelles peuvent trouver leur place sans qu’il y ait transformation de celles-ci ; c’est le processus d’assimilation. Quand un problème ne trouve pas d’explication, il peut se produire une remise en cause du système habituel d’explication qui se traduit par une réorganisation des structures mentales à un niveau supérieur. C’est le processus d’accommodation (Piaget, 1974a) qui se produit sous l’influence d’une prise de conscience du rôle particulier d’un élément du problème ignoré jusque-là : par exemple, au football, prise en compte par le gardien de la latéralité du tireur. Aussi, les connaissances et compétences antérieures du joueur sur un sujet déterminent le type et le contenu de la structure d’accueil à utiliser. Ainsi, deux fonctionnalités sont utilisées selon que la matière à apprendre est totalement nouvelle ou qu’elle repose sur des éléments que l’élève maîtrise déjà. Il s’agit de :
la découverte ou de la construction, lorsque le contenu à enseigner relève d’un domaine de connaissances peu connu ou ignoré des joueurs. La fonction de ce type de structurant est d’établir des relations entre un ensemble d’idées simples, tirées de l’expérience commune, pour présenter l’idée centrale qui soutient les apprentissages visés ;
l’exploitation, lorsque l’élève possède déjà un ensemble de notions bien organisées dans le domaine étudié. Il s’agit dans ce cas d’établir des points de comparaison, de dégager les similitudes et les différences entre les notions nouvelles et celles qui sont connues.
43Pour les acteurs de ce processus, on peut repérer :
des connaissances sans influence car ici les connaissances préalables ne semblent pas avoir d’effet sur l’efficacité du joueur, du moins en ce qui concerne les décisions immédiates ;
des connaissances qui influencent négativement car elles concernent les joueurs qui ont un niveau de connaissance préalable faible ou qui n’ont pas construit de façon opératoire la matrice de jeu ;
des connaissances qui influencent positivement, cela concerne les joueurs qui réalisent un meilleur apprentissage en utilisant à bon escient les possibles proposés par la structure d’accueil.
5. Conclusion
44Pourquoi soudain s’intéresser à l’analogie en didactique des sports collectifs ? Eh bien, cela nous paraît ouvrir une voix prometteuse à explorer afin de faciliter l’apprentissage des jeux d’équipe et de mieux comprendre comment l’intelligence tactique peut se construire. Comme nous l’avons déjà écrit dans nos précédents ouvrages, les configurations du jeu perçues dans un jeu donné présentent, parfois, des similitudes avec celles d’autres sports collectifs (Zerai et al., 2011). Ces configurations prototypiques, archétypes d’un modèle qui se reproduit, peuvent constituer les images économiques, réduites aux éléments indispensables dont parle Ochanine (1978). Cette « image opérative » avec peu de détails, reflet fonctionnel finalisé de la réalité du jeu, sera donc constituée par et pour l’activité du joueur. Une fois construits, ces repères macroscopiques sur les configurations du jeu sont susceptibles d’être utilisés dans divers sports collectifs. Ceci devrait permettre aux élèves de construire des prototypes par catégorisation de relations temporelles, de classes de propriétés d’objets et, enfin, des catégorisations de formes géométriques en vue de gagner du temps dans le recueil, l’analyse et l’interprétation de nouvelles données (Gréhaigne, Marle, & Zerai, 2013).
45Dans un rapport d’opposition, il s’agit bien de prendre l’autre équipe en défaut. Une des premières réponses qui semble évidente, c’est d’attaquer avant que la défense ait eu le temps de se remettre en barrage. A l’école, plutôt que de s’en tenir à des apprentissages majoritairement gestuels, il faudra bien que l’on avance sur le chemin de véritables apprentissages qui permettent, à la fois, d’être logique par rapport à la pratique de référence tout en poursuivant les objectifs plus larges assignés au milieu scolaire. Notre approche, fondamentalement centrée sur le jeu, son analyse et le débat d’idées permettra peut être à l’enseignement des sports collectifs de dépasser cet obstacle. En effet, « l’apprentissage des jeux à l’aide de la compréhension » qui place l’élève devant des problèmes à résoudre devrait l’aider à progresser et à construire des connaissances et des compétences motrices nouvelles et stabilisées. Mais comment ne pas retomber dans les processus habituels d’apprentissage ? La notion d’analogie semble un support d’apprentissage encourageant avec sa capacité à produire de l’unité au travers de la pluralité.
Auteurs
GRIAPS, IUFM de l’Université de Franche-Comté, France
Université Laval, Québec
ISSEP Ksar Said de Tunis, Tunisie
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2018
Les inégalités d’accès aux savoirs se construisent aussi en EPS…
Analyses didactiques et sociologiques
Fabienne Brière-Guenoun, Sigolène Couchot-Schiex, Marie-Paule Poggi et al. (dir.)
2018