Pensée tactique : des connaissances et compétences pour l’école
p. 259-278
Texte intégral
1L’arrêté du 14 novembre 1985 confirme le statut déclaré de l’éducation physique et sportive (EPS) comme « discipline d’enseignement ». Les finalités de l’EPS reprécisées, la didactique institutionnelle a pour mission d’en construire le programme, ce à quoi s’attache la commission verticale créée en 1983 et conduite par Alain Hébrard. Le texte de 1985 confirme que « Les activités physiques et sportives sont à la fois objets et moyens de l’éducation physique et sportive, toutefois celle-ci ne se confond pas avec les activités qu’elle enseigne ». L’évaluation pour les élèves, signe de ce qui est appris, porte sur « les conduites motrices… en jugeant de la performance et… des niveaux d’habileté atteints » et sur « les progrès réalisés, les efforts manifestés, … les connaissances pratiques acquises au cours de l’enseignement ». Pour les classes du second cycle (arrêté du 14 mars 1986), le programme ajoute les trois connaissances (« se connaître, connaître les APS, connaître les autres », aux possibilités de mise en forme de la nature des savoirs en EPS.
2La période 1986-1996 intéresse la construction de la discipline au plan didactique par la réflexion sur un programme en EPS avec la mise en perspective de la construction de connaissances et de compétences. Cette réflexion s’est développée dans différentes approches, avec des terminologies variées exprimant des notions liées à des cadres théoriques de référence divers. Ce sont essentiellement les approches didactiques chez les élèves qui ont mis en avant l’importance des processus de conceptualisation.
3Les bases du contrat d’innovation pédagogique, lancé en 1987 par l’Inspection Générale de l’EPS en collaboration avec les UFR-STAPS, indiquaient, concernant le programme d’EPS, comme inopportun de le concevoir comme un « alignement » pur et simple sur les autres disciplines. Celles-ci présentent d’ailleurs entre elles des différences importantes et, d’autre part, il y aurait un risque d’aliénation, de perte d’identité par exemple en omettant la fonction ludique. Ces considérations permettaient d’avancer quelques éléments et postulats à l’élaboration d’un programme EPS.
Éviter au stade de l’opérationnalisation
Le découpage artificiel, mais peut-être, définir des axes minimum, « planchers » exigibles à chaque étape.
Une mosaïque d’objectifs, s’organiser autour de l’impérieuse nécessité de l’aspect « foncier »« hygiénique »« santé »« mouvement » de notre discipline.
L’éloignement des représentations des élèves, sans pour autant tomber dans la dépendance à toute « pulsion » plus ou moins passagère.
Dépasser la confusion EPS et sport, APS et EPS
Pour cela, il s’agit d’établir des interrelations entre les domaines et non leur dépendance, réelle ou supposée. C’est pourquoi il conviendra de passer de la didactique des APS à une didactique de l’EPS, tout en sachant que si les champs sont différents, ce passage ne peut être immédiat, l’EPS n’étant pas une entité séparable de ces pratiques. Il sera donc nécessaire de partir des pratiques des APS pour en extraire les éléments constitutifs du programme de l’EPS.
En première hypothèse, on recherchera des « principes » qui dépassent ou transcendent les disciplines physiques ; ou bien encore, on recherchera les caractéristiques essentielles, c’est-à-dire, les problèmes fondamentaux auxquels sont confrontés les élèves dans la pratique d’une activité (cf. la logique de l’activité).
Situer ces données dans une relation interactive avec :
la logique des élèves face à l’activité ;
la logique de l’enseignant.
Considérer qu’un programme pour l’EPS devrait sans doute distinguer plusieurs champs :
champ du développement biologique (connaissance vécue du corps) ;
champ des pratiques (APS pratiquée dans la jeunesse et celles pratiquées à l’âge adulte) ;
champ des objectifs généraux transmissibles.
4Enfin, convenir d’une terminologie, peut être sous forme de glossaire, même au risque d’un certain arbitraire, pour arrêter un moment la « course aux concepts en vue d’arriver progressivement à un langage commun.
5Cet ensemble constitue à la fois une mise en garde et une orientation tout en laissant le travail scientifique, empirique et archéologique se mener. Enfin, le corpus de connaissances, référence habituelle des programmes disciplinaires, n’étant pas indiscutablement établi en EPS, il était préconisé, pour établir un début de programme de rassembler largement les éléments susceptibles de contribuer à sa constitution. En relation directe avec cette élaboration, trois volets principaux avaient été identifiés : l’analyse de l’existant dans les établissements, l’étude prospective des pratiques sociales et enfin l’utilisation des recherches et références scientifiques. Mais, l’analyse séparée de ces trois facteurs ne devait pas conduire à la prééminence de l’un d’entre eux. Selon le cas, le produit final risquerait d’être soit rapidement dépassé, soit trop dépendant d’un effet de « mode » ou bien encore asservi à une discipline scientifique associée.
1. Un peu d’histoire
6Dans le groupe de Dijon qui a participé à ce travail (Groupe sports collectifs Dijon, 1994), nous avons organisé le travail autour de trois principes. Tout d’abord, en développant une approche quasi-expérimentale, nous souhaitions mettre des faits à l’épreuve. Il s’agissait de traiter de vrais problèmes qui se posent à de véritables acteurs, en tentant d’apporter des réponses et non de raisonner uniquement dans l’abstrait. Dans un deuxième point, il faut souligner que nous sommes confrontés à des savoirs complexes et que nous ne pouvons pas uniquement copier les modèles issus des autres sciences. Cette démarche peut impliquer l’élaboration de concepts nouveaux pour articuler les connaissances issues de différents champs mais aussi que les concepts importés soient travaillés, adaptés et acquièrent ainsi une signification nouvelle au regard des besoins. Enfin, nous avons le souci de produire des outils qui soient utilisables par des praticiens et donc nous attachons du prix à la diffusion des connaissances. Les propositions exposées, dans la suite de cet article, s’inscrivent dans cette logique de production de savoirs sur l’observation et la modélisation du jeu avec l’exemple du football. Ainsi, pour l’EPS le système des connaissances et des compétences en football est illustré figure 1. Nous avons proposé que celles-ci reposent sur plusieurs grandes catégories (Gréhaigne, 1992 ; Groupe sports collectifs de l’académie de Dijon, 1994) : les règles d’action, les règles de l’organisation du jeu, les compétences motrices et l’activité perceptive.
1. 1. Les règles
7Nous allons envisager successivement les règles d’action de l’attaque et la défense puis les règles de gestion de l’organisation du jeu.
1. 1. 1. Les règles d’action de l’attaque et la défense
8Pour Vergnaud, Halbwachs et Rouchier, (1978, p. 10) « une règle d’action est une règle qui permet d’engendrer des actions en fonction des valeurs prises par certaines variables de la situation ». Ces variables peuvent évoluer dans le temps, ou d’une situation à l’autre ; une règle (ou une conjonction de règles) n’en est pas moins utilisée pour toute une classe de situations. Pour Gréhaigne, Billard, Guillon, et Roche (1989, p. 159), les règles d’action définissent « les conditions à respecter et les éléments à prendre en compte pour que l’action soit efficace ». Véritable connaissance sur le jeu, leur utilisation isolée ou articulée avec d’autres règles constitue une réponse à un problème donné. Elles représentent une vérité ponctuelle et certaines règles, vraies temporairement, peuvent s’avérer des obstacles au progrès à d’autres moments. Exemple : pour créer des espaces libres, il faut fixer la défense dans une zone et donner rapidement le ballon dans une autre.
9Les règles sont regroupées en principes des actions efficaces, définis comme une construction théorique et un instrument opératoire. Ils orientent un certain nombre d’actions dont ils représentent la source et permettent d’agir sur le réel. Ils constituent une sorte de cadre de référence macroscopique permettant à l’enseignant d’isoler et classer les faits qu’il relève et à l’élève de construire des catégories d’un niveau de généralité plus important. Exemple : jouer en mouvement pour amener la balle dans la zone de marque et marquer.
10Les exemples qui figurent dans les tableaux I et II n’ont pas l’ambition d’être exhaustifs mais représentent simplement une première approche des concepts étudiés.
11Les règles d’action de l’attaque et la défense (Gréhaigne, 1989) sont de véritables connaissances sur le jeu et leur utilisation isolée ou articulée avec d’autres règles constitue une réponse à un problème donné. Néanmoins, elles représentent une vérité ponctuelle et certaines règles, vraies temporairement, peuvent s’avérer être un obstacle au progrès à d’autres moments. Pour nous résumer, en ce qui concerne les sports collectifs, nous visons des connaissances sur le fonctionnement des jeux en vue d’être efficace sur le terrain, donc des outils qui permettent au joueur de jouer, de gérer ses apprentissages, de construire et doser ses réponses motrices et de connaître, en partie, les raisons de l’échec ou du succès en vue de réguler ses actions. Plus généralement, en éducation physique la notion d’activité du sujet ne se ramène pas à celle d’activité transpiratoire. L’activité consiste aussi dans une large mesure, en l’exploration du champ des connaissances, en rapprochement analogique ou contradictoire des différents éléments de la situation et en l’effort du sujet pour répondre de façon plus cohérente et plus économique aux systèmes de contraintes qui lui sont proposés.
Tableau I. Les règles d’action de l’attaque.
Légende des règles : - Pour l’équipe ; • Pour le porteur de balle ; ◊ Pour le receveur potentiel. |
Tableau II. Les règles d’action de la défense.
Légende des règles : - Pour l’équipe ; ◊ Pour le défenseur |
1. 1. 2. Les règles de gestion de l’organisation du jeu
12Il existe des règles qui proviennent de l’expérience acquise en jeu et qui peuvent être changées sans altérer les caractères essentiels du jeu. La pensée tactique devient ici prépondérante car le gain du match nécessite la résolution de problèmes engendrée par l’affrontement. Afin de résoudre ces problèmes, des tactiques et des stratégies, en relation avec les forces et les faiblesses de son équipe, les qualités et les défauts de l’adversaire, sont utilisées. Les règles de gestion de l’organisation du jeu recouvrent un certain nombre de données qui ont trait à la logique de l’activité et à des éléments d’organisation du jeu qui peuvent permettre l’élaboration de stratégies.
13Les règles de gestion de l’organisation du jeu (tableau III) recouvrent un certain nombre de données qui ont trait à la logique de l’activité, à la dimension de l’aire de jeu, à la répartition sur le terrain, à une distribution des rôles, et quelques préceptes simples d’organisation qui peuvent permettre l’élaboration de stratégies.
14Elles permettent de mettre en relation les éléments pris en compte afin de résoudre les problèmes posés dans la pratique par une situation donnée en vue de répondre dans le jeu aux questions : Qui fait quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?
15Exemple : en football, comme la cible est verticale, il faut occuper constamment l’axe central du terrain.
Tableau III. Les règles de gestion de l’organisation du jeu.
Aspects stratégiques |
1. 2. Compétences motrices
16Les élèves ou les joueurs possèdent un certain éventail de réponses motrices à leur disposition (celles de la vie courante ou d’autres beaucoup plus spécifiques et élaborées). Les compétences motrices sont constituées d’habiletés qui peuvent être organisées autour de principes moteurs ayant trait à la capture, au transport et à la propulsion de la balle. Ces compétences recouvrent ce que les anglo-saxons désignent sous le vocable de « motor skills ». C’est-à-dire un ensemble de manières d’agir, de gestes ou d’actions coordonnées qui présentent un caractère de rapidité et de stabilité. Nécessairement, ces compétences reposent sur un certain nombre de qualités physiques telles que la force ou la vitesse, avec comme fondement théorique, les « principes moteurs » (Gacon, 1984). Ceux-ci sous-tendent le fonctionnement de ces compétences et sont organisés par :
le caractère des tensions quand on veut doser un mouvement explosif et moduler ses actions sur la balle ;
la mise en tension / renvoi de la jambe libre quand on désire lancer loin le ballon (participation de plus en plus de segments à cette action, vers la construction de la chaîne motrice de la frappe de balle) ;
le placement des chaînes musculaires pour optimiser les réponses motrices.
17Il s’agit des compétences motrices construites par un joueur qui lui permettent, en jeu, l’échange, le transport et la propulsion de la balle. Il ne s’agit pas de la technique réduite à ses composantes les plus apparentes (les gestes), y compris travaillées à vide en-dehors des conditions réelles de l’activité. L’exécution se traduit par la coordination sous contrôle d’un ou de plusieurs schèmes moteurs. Elle correspond à la mise en oeuvre, à la coordination et à la régulation, à différents niveaux du contrôle moteur, des signaux envoyés aux muscles en vue de la réalisation du mouvement (Paillard, 1994). Quel retour d’informations reçoit le joueur durant l’exécution d’une tâche ou à la suite de celle-ci ? Comme feed-back intrinsèque, il reçoit un certain nombre d’informations de ses différents sens sur son placement, son déplacement, sa vitesse, ses tensions musculaires, les chocs qu’il reçoit.
18Ces compétences motrices singulières obéissent néanmoins à des principes moteurs de fonctionnement. D’une manière générale, il s’agit tout d’abord de passer de frappes explosives et uniques sur la balle à des actions modulées sur le ballon. En football, d’une manière plus générale, ces principes moteurs sont organisés autour de la capture, du transport et de la propulsion du ballon.
- Capture
19Au début, les débutants repoussent la balle quand elle est forte et à terre. Les balles hautes sont évitées tandis les balles de la tête sont esquivées. Ensuite, le joueur immobilise la balle sans être personnellement en mouvement. Enfin, l’amorti apparaît ainsi que le contrôle orienté et le contrôle de la balle devient « tactique ».
- Transport
20Dans le cas de la conduite de balle, nous observerons l’évolution décrite ci-après. Dans un premier temps, la balle est frappée loin devant, le joueur court derrière jusqu’à une poussée modulée sur le ballon : le ballon s’éloigne peu du pied. Les indicateurs sont la distance pied / balle et le nombre de fois que le joueur touche la balle sur une distance donnée. En effet, plus le ballon s’éloigne du pied plus le joueur mettra du temps avant de retoucher le ballon (c’est un indice à connaître pour un défenseur). Un autre aspect est constitué par le passage d’une progression en ligne droite à une progression avec changement de direction.
- Propulsion
21Le lancer long constitue un des éléments fondamentaux dans l’évolution des formes de jeu permettant d’utiliser à bon escient le jeu long et le jeu court. En fonction des postures que le joueur utilise, différentes longueurs et formes du lancer sont obtenues. Une règle est évidente : plus le tir est long, plus le chemin de lancement est important. Il faut également régler les rapports forces / précision avec comme principes : surface large = précision ; surface étroite = force.
22Enfin, dans le cas du football, les joueurs, quand ils sont en possession du ballon, sont confrontés à une motricité monopodale en particulier quand le joueur frappe le ballon de l’intérieur ou de l’extérieur du pied. Cela constitue une adaptation majeure par rapport à la motricité habituelle.
1. 3. L’activité perceptive
23Les perceptions ont trait à l’activité perceptive et décisionnelle du joueur en rapport très étroit avec les compétences motrices que le sujet possède ou doit construire. Ici, on distinguera des données en relation avec deux types d’informations : celles à dominante visuelle et celles à dominante kinesthésique et proprioceptive. Dans le domaine visuel, percevoir suppose de prélever des faits consciemment ou non dans l’environnement, de les ordonner et de les organiser en informations. En sport collectif, du fait de la complexité de l’environnement, les caractéristiques temporelles / spatiales des déplacements et positions des joueurs ainsi que du ballon sont analysées en fonction du cadre de référence du joueur. La signification attribuée aux perceptions est, en cet instant, en liaison directe avec le rapport de forces, la logique du jeu, les règles d’actions, etc. Nous percevons bien ici la liaison fonctionnelle qui unit le versant cognitif des connaissances et les décisions. Celles-ci ne peuvent s’organiser et prendre du sens que par rapport aux connaissances tout en concourant à leur développement. Il en est de même en ce qui concerne les informations kinesthésiques et proprioceptives. Elles renseignent le joueur sur la position de son corps dans l’espace, sur la position relative des différents segments et guident ses rapports avec le ballon. Elles le renseignent également sur son état de fatigue au cours du déroulement du jeu et, en ce sens, elles permettent à l’individu d’accéder à une meilleure gestion de son potentiel.
24La perception est sélective par nature. Aussi appelle-t-on attention sélective la capacité d’un joueur à sélectionner au sein de l’environnement les indications particulières qui ont un intérêt pour l’exécution de l’action. L’expérience et la formation jouent manifestement un rôle de premier plan dans ce processus de reconnaissance et d’intégration des seuls stimuli qui guideront le joueur lors de l’exécution d’une action tactique valable. Étant donné la quantité énorme d’informations et le peu de temps dont on dispose pour réagir, la vitesse de sélection devient extrêmement importante. La reconnaissance des configurations du jeu se rapporte à la capacité à reconnaître ou à isoler un modèle simple au sein de la masse d’informations recueillies. Le joueur d’expérience est à même d’assimiler les indications pertinentes fournies par l’environnement du jeu et de former instantanément dans son esprit une image opérative (Ochanine, 1978) qui lui permettra d’agir intelligemment et rapidement face à la situation. Pourtant, la recherche d’informations ne commence pas seulement au moment de l’apparition d’un événement dans le jeu, elle se constitue activement par le couplage de l’expérience perceptive et d’une situation de jeu concrète. On postule en effet que la cognition n’est pas uniquement contenue dans des processus mentaux internes du joueur mais qu’elle est actualisée par l’action.
25La décision se rapporte au choix des actions-réponses et au moment de leur exécution. Ayant reçu et filtré les informations recueillies sur les configurations du jeu, le joueur doit maintenant décider de l’action appropriée. L’expérience, la mémoire, les connaissances tactiques, le jugement et l’activité mentale ont un impact direct sur la détermination du « quoi faire » et du « quand le faire ». De plus, certains facteurs psychologiques tels que la motivation, la place et le statut dans l’équipe influencent aussi cette décision.
26Ainsi, à chaque occasion, nous interprétons la réalité et lui donnons un sens. Dans un enchaînement d’actions de jeu, que se passe-t-il ? Quels éléments en interaction pouvons-nous identifier ? La figure 2 identifie un certain nombre d’éléments susceptibles d’influencer les prises de décision successives de chaque joueur. Certains de ces éléments relèvent de chaque joueur considéré dans son individualité tandis que d’autres tiennent davantage aux aspects collectifs du jeu (Gréhaigne & Godbout, 1999).
27Tout cet ensemble ne peut émerger, bien sûr, qu’à un niveau supérieur où sont possibles les choix, l’affrontement avec des événements inattendus et la possibilité de trouver des solutions à ces situations nouvelles. Ici, les opérations cognitives ont pour mission d’extraire des informations du jeu, d’effectuer une représentation correcte de la situation, d’évaluer les éventualités et d’élaborer des scénarios d’action. Plus un joueur dispose de connaissances, plus il reconnaît de contraintes, de régularités et de constantes, plus il peut capter et interroger l’événement inattendu, imprévu, c’est-à-dire le transformer en informations. Ainsi, la connaissance doit disposer de certitudes, de références stables, fixes, pour affronter et résoudre l’incertitude. La tactique se fonde sur des décisions successives, prises en fonction de l’évolution de l’action. Le développement de l’aptitude tactique suppose le développement de l’aptitude à décider et à décider vite, laquelle dépend de l’aptitude à concevoir des solutions. En un mot, le développement des possibilités de choix nécessite le développement des connaissances. Les opérations cognitives visent de façon complémentaire à simplifier et à complexifier la connaissance. D’une part, elles permettent :
de sélectionner ce qui présente de l’intérêt pour le joueur et d’éliminer tout ce qui est étranger à ses préoccupations du moment ;
d’isoler les éléments stables et / ou certains ;
de produire une connaissance qui peut être aisément traitée pour et par l’action.
D’autre part, la complexité au service de l’efficacité de l’action cherche à :tenir compte du maximum de données utiles et d’informations concrètes ;
reconnaître et interpréter le variable, l’incertain, le non uniforme.
28En sport collectif, le développement d’une pensée tactique vise à la construction d’un système de réponses associées qui entraîne un temps de décision plus rapide entre la perception des configurations et le déclenchement d’une réponse adaptée tactiquement. En conclusion de ce paragraphe, nous retiendrons, en plus de ces différents éléments, que la fraîcheur physique, une bonne lucidité et une lecture avisée du jeu constituent des facteurs importants pour la réussite des joueurs surtout si la contrainte temporelle est importante. Les connaissances théoriques et règles abordées peuvent être contradictoires voire opposées suivant les situations d’affrontement dans une même configuration du jeu comme, par exemple, lorsqu’il faut combiner le fait de disposer du maximum de receveurs potentiels pour augmenter les possibilités d’échanges de balle et celui de renforcer et couvrir en permanence l’axe de son propre but. Cela oblige, dans la pratique, à raisonner de manière dialectique face à une difficulté. Le joueur doit savoir interpréter les règles, jouer avec elles, au besoin les enfreindre ou les redéfinir. En ce sens, on lui demande un rapport aux connaissances théoriques qui ne soit pas dépendant mais au contraire critique, pragmatique, voire opportuniste et contextualisé.
2. Le débat entre élèves
29L’importance des interactions langagières dans les apprentissages ne fait aucun doute, mais leur prise en compte dans une didactique spécifique comme l’EPS n’est pas immédiate. Il est couramment admis que le débat permet ainsi à l’élève de prendre conscience de ses conceptions et de les mettre à l’épreuve en les soumettant à ses pairs, susceptibles de les critiquer et donc de contribuer à leur évolution. Il a également pour fonction de faire passer l’élève d’une connaissance parcellaire et implicite à des connaissances raisonnées, argumentées et questionnées.
30Le débat d’idées est une pièce centrale d’une conception constructiviste de l’apprentissage des sports collectifs. Il consiste après une séquence jouée et le retour d’informations chiffrées, en une discussion destinée à faire évoluer ou non le projet d’action de l’équipe en revenant sur la stratégie prévue et en analysant la tactique appliquée. Il présente des caractéristiques bien précises. Il ne doit pas durer plus de deux à trois minutes. Si le professeur désire faire un apport dans ce débat, son intervention doit être brève et concise pour éviter de parachuter des solutions toutes faites. Les débats d’idées constituent des situations didactiques d’interlocutions discursives où il est demandé aux élèves d’expliciter ce qu’ils ont observé, de discuter des interprétations possibles, puis de formuler des stratégies. L’analyse montre que la dynamique des groupes évolue au plan sociocognitif de façon différentielle selon la manière dont les élèves co-construisent les connaissances au fil des expériences et des actions en projet formulées successivement. Il y a une évolution de la stratégie collective dans le sens où les élèves confrontés à de nouvelles résolutions de problèmes peuvent (1) décrire plus précisément les caractéristiques du rapport de forces, (2) formuler des issues possibles en relation avec les actions projetées, et (3) apprécier la dynamique du jeu après un retour à l’action (Chang, Wallian, & Nachon, 2006 ; 2005 ; Labrude, Musard, & Wallian, 2006 ; Nachon, Wallian, & Gréhaigne, 2005). Dans cette perspective sémio-constructiviste, la difficulté consiste à accéder à la manière dont l’élève s’y prend pour apprendre et à comprendre comment s’opère le dialogue entre la pensée et l’action. Les premiers débats, dépourvus de spécificité technique, laissent progressivement place à un discours descriptif et argumentatif. En sports collectifs, les configurations du jeu constituent un support intéressant pour le débat d’idées (Gréhaigne, Caty, & Château, 2005).
31De très nombreuses études scientifiques soulignent que, pour un élève moyen, l’apprentissage est meilleur lorsqu’il s’opère en groupe. Les gains du travail en groupe par rapport au travail individuel renvoient à une amélioration de l’apprentissage disciplinaire, à une meilleure mémorisation à long terme, à une motivation intrinsèque plus importante ainsi qu’une meilleure appréciation de la matière étudiée.
32L’étude, présentée ici, a consisté à observer un groupe de filles tunisiennes de 2 ème année de lycée secondaire de Thala. Dans cette classe de 20 filles, nous avons organisé quatre sous-groupes pour constituer les équipes qui vont jouer et assurer les tâches d’observation. Chaque leçon était composée de différentes situations sous forme de jeux au cours desquels les filles jouaient au handball en 5 contre 5 dont deux gardiennes de but. La durée totale du jeu dans les trois tests était de 30 min (2 mi-temps de 15 min) pour permettre un investissement total des jeunes filles. Le groupe A (contrôle) était donc constitué de 5 joueuses et de 5 observatrices. Dans le groupe A, les filles ont été confrontées à la modalité « entraînement + consignes ». Les consignes, sous forme de règles des actions efficaces, ont été données au début et au cours du jeu. Il n’y a pas eu de dialogue entre les joueuses et les observatrices, celles-ci relevant uniquement les données chiffrées pour la recherche. Le groupe B (expérimental) était aussi constitué de 5 joueuses et de 5 observatrices et celles-ci ont été confrontées à la modalité « entraînement + consignes + débat d’idées ». Le débat d’idées a eu lieu entre chaque situation de jeu.
3. Des exemples de verbatims et les connaissances
33Les verbatims étudiés proviennent donc d’enregistrements effectués pendant des cycles de handball (Zerai, 2011) utilisant des jeux réduits. Ici, il était demandé aux élèves de s’organiser collectivement et individuellement pour observer, analyser ainsi qu’élaborer des actions en projet en vue de battre une équipe adverse puis d’évaluer et de réguler ce projet. Les débats d’idées ont constitué le fil conducteur pour analyser l’évolution du jeu d’où l’intérêt de l’étude des interlocutions entre élèves lors de ces débats pour suivre l’évolution de la pensée tactique et des registres de fonctionnement. Les verbatims ont été traduits du tunisien courant.
34Il a été proposé que les « connaissances en action » soient classées en utilisant les catégories présentées à la figure 3.
35Il est bien évident que certaines interlocutions pouvaient se classer dans deux catégories. Selon le sens général et le contexte du dialogue, nous les avons ventilées dans la catégorie qui nous semblait la plus explicative.
3. 1. Analyse du corpus
3. 1. 1. Règles et principes d’action (RA/PA)
36Ils représentent 19 % des verbatims mettant l’accent sur les règles d’action que les filles ont développées au cours de ce cycle d’apprentissage. Lors des interactions, les filles sont conscientes qu’il n’y a pas de recettes miracles pour surmonter les difficultés.
Jihen : - Appliquons-nous donc les consignes. Et surtout déterminer les stratégies de notre adversaire.
Marwa : - Quand on possède la balle, dès que l’un passe la balle, il faut qu’on bouge vite pour soutenir notre partenaire et perturber le défenseur.
Nawel : -Aussi, pour arriver à chaque fois à tirer, il faut que la personne qui n’a pas le ballon bouge vers la zone de marque.
Rabeb : -Vous ne trouvez pas qu’il y a une différence entre lancer la balle vers le haut et lancer la balle vers l’avant ? On n’a pas besoin des balles hautes mais longues et pas souvent.
Jihen : - La récupération de la balle ne se fait pas en groupe. Chacun a sa place et son rôle ; sauf en cas de supériorité on peut intervenir. Sinon on ne peut pas déterminer à qui sera la passe suivante -.
Leçon 5/Groupe B
37Les échanges et la dynamique du groupe se construisent lorsque toutes les filles mobilisent des connaissances adéquates à une situation spécifique et toujours située. Dans d’autres situations, ce seront d’autres règles d’action qu’elles devront utiliser.
Marwa : - Je pense qu’à force de s’entraîner nous avons pu réussir à marquer des buts, je crois qu’il s’agit bien d’un travail de groupe.
Khawla : - De toute façon, il faut penser quand nous voulons marquer, il faut regarder le partenaire, l’adversaire et le but pour mieux préciser le moment de tir.
Leçon 10/Groupe B
38Il faut aussi signaler les objets de développement : les connaissances, bien sûr, mais aussi les capacités d’action, ce qui implique que le développement moteur et cognitif chez l’apprenant peut être acquis et mise en place lors d’une situation de jeu.
Jihen : - Mais parfois le truc de la défense n’a pas marché et nous n’avons pas pu rattraper la balle. En fait, il faut se mettre devant ceux qui avaient la balle pour l’attraper.
Nawel : - La récupération de la balle ne se fait pas en groupe. Chacun a sa place et son rôle. Sauf en cas de supériorité, on peut intervenir sinon on ne peut pas déterminer à qui sera la passe suivante.
Leçon 5/Groupe A
39Il s’agit donc bien de penser et « d’agir » ensemble à savoir jouer en mouvement pour amener la balle dans la zone de marque et marquer.
3. 1. 2. Les règles de l’organisation du jeu (ROJ)
40Les règles d’organisation de jeu constituent 38 % de la totalité des verbatims et c’est la catégorie la plus importante.
Rabeb : - Mais il faut faire attention, nous n’avons pas suffisamment du temps pour faire ce que nous voulons, nous devons réagir rapidement.
Marwa : - T’as raison le temps c’est notre deuxième adversaire à qui nous devons faire attention.
Khawla : - Pour le but, il faut attendre, il faut voir là où est la gardienne et suivant l’endroit où elle est, on tire.
Leçon 10/Groupe B
41Lors de leurs interactions, les filles essaient de mettre en évidence la tactique adoptée, de donner des explications concernant leurs réactions sur le terrain à un moment donné d’une manière individuelle,
Rabeb : - Chacune d’entre nous doit s’occuper d’une attaquante, nous devons répartir les tâches.
Marwa : - Les filles sont très loin l’une de l’autre, si nous arrivons à intercepter la balle avant qu’elles s’organisent nous arrivons à renverser les rôles et nous pouvons marquer des buts facilement.
Leçon 5/Groupe B
42et / ou d’une manière collective.
Jihen : - Il ne faut pas oublier que les défenseurs défendent bien, alors il faut bouger et ne pas rester sur place, sinon ça facilite la chose aux défenseurs.
Marwa : - Et si on fait semblant de tirer au but, on fait semblant de tirer dans une direction et on tire dans l’autre comme ça on arrive à perturber le défenseur et la gardienne.
Leçon 5/Groupe A
43Ce changement de point de vue permet de montrer comment une verbalisation enregistre les traces d’une action de coopération entre filles en vue de construire des modèles explicatifs du jeu ou une stratégie efficace pour surmonter un problème spécifique rencontré dans le jeu. A ce niveau, la communication, la production de ce que l’on a déjà fait est accompagnée d’autres significations directes ou indirectes visant le plan cognitif (planification) et /ou moteur (exécution). En plus, on a pu remarquer que les échanges entre les filles induisent un usage du langage plus spontané et orienté vers des fins exploratoires. Ce fait souligne bien que l’apprentissage s’effectue, pour une part essentielle, entre pairs. De plus, le langage employé lors des interactions entre les élèves devient particulièrement intéressant à étudier dans les activités centrées spécifiquement sur les modalités de résolution des problèmes qui, en fin du compte, renvoient à des aspects décisionnels.
Khawla : - Aussi, il faut avoir un effet de surprise. Il faut tromper l’adversaire, nous devons perturber les défenseurs par le changement des passes et nous devons aussi changer de poste et notre déplacement doit être plus rapide pour ne pas leur donner une occasion pour s’organiser.
Jihen : - Pour réussir notre tactique nous devons travailler en groupe.
Rabeb : - Nous aimons bien jouer au handball et nous savons bien qu’il s’agit d’un sport collectif où chacun des groupes a un rôle qui doit se compléter.
Leçon 10/Groupe B
44L’étude de ces interactions verbales entre filles met au jour des difficultés nouvelles. En effet, le plus souvent, les structures langagières produites en interaction conversationnelle ne coïncident pas avec le problème en situation de jeu. Ainsi, les développements d’idées complexes, les enchaînements d’une fille à l’autre et les échanges entre pairs donnent naissance à de nouvelles pistes de réflexion qui ne relèvent plus uniquement du jeu langagier mais aussi des expériences antérieures dans l’affrontement lui-même.
3. 1. 3. Les compétences motrices et principes moteurs (CM / PM)
45Les verbatims qui relèvent des « compétences motrices et principes moteurs » représentent 10 % de la totalité des interlocutions. Ils sont centrés sur les actions de jeu quand la partie technique a causé un souci d’exécution. Il s’agit maintenant de remédier à ce problème. Ici, les communications amènent nécessairement les filles à porter plus d’attention aux conditions d’exécution de l’action. En plus, nous avons constaté une faible variété dans le vocabulaire visant à qualifier l’action, une quasi-absence de vocabulaire technique. En ce qui concerne la dynamique conversationnelle à propos des apprentissages techniques, on constate que, plus on avance dans le cycle, plus ils tendent à diminuer. Ce qui indique que les filles s’inscrivent dans une perspective de construction collective d’enchaînement et progressent plus sur le plan tactique. De même, le fait de beaucoup jouer leur permet de compléter spontanément leurs ressources motrices.
46La verbalisation aide les filles à construire progressivement la représentation du mouvement correct, notamment grâce à l’analyse de chaque tentative. L’acquisition de la capacité de détecter et corriger les erreurs est centrale pour ce processus d’apprentissage. Au début, la trace perceptive se construit à partir des informations verbales. Par la suite, au cours de l’action et de l’exécution, la joueuse s’autorégulera sur la base des données sensorielles produites par le contexte.
Ilhem : - Bien sûr, un déplacement long, tu as peur encore de la balle.
Leçon 2 /Groupe A
Imen : -Et tu appelles ça un tir, tu tires doucement comme si tu caressais la balle.
Wafa : -Tu dois avoir un peu de force au moins au niveau de tes bras.
Leçon 3 /Groupe A
2. 1. 4. Observer percevoir des caractéristiques du jeu (PERC)
47L’activité perceptive et décisionnelle de la joueuse (14 %) se traduit par une observation pertinente du jeu et la production de décisions adaptées aux rapports des forces en présence - faire une passe longue à une joueuse démarquée dans la profondeur.
48Ces deux dernières catégories (CM / PM et PERC) entretiennent des rapports très étroits entre elles. En effet, l’activité perceptive et décisionnelle est à la fois autonome mais aussi limitée par l’existence de compétences motrices qui permettent ou non la bonne exécution de la décision prise. Pour répondre positivement à un appel de balle d’une partenaire, il faut que la joueuse qui demande le ballon soit dans le champ visuel de la passeuse mais aussi que la réceptionneuse soit à distance de passe de la passeuse.
49Il peut aussi exister un problème de compréhension lorsque l’intention communicative des filles est en décalage avec la réalisation. Ce qui fait notre catégorie s’intéresse aussi aux « observations des caractéristiques du jeu » utilisées dans le débat. Même si l’intention communicative est en accord avec la réalisation, le sens peut ne pas être transparent pour le récepteur (« Mais quoi, exprime-toi »). Une distorsion entre la production langagière du locuteur et la réception de son interlocuteur peut donner naissance à une question : (« Comme quoi ? »). Les questions ont généralement un caractère imprévisible car elles peuvent se manifester à tout moment de l’interaction. Ce genre de conversation a pour but la résolution de désaccords momentanés, souvent relatifs à une incompréhension entre les filles (« Toutes seules ? »). Ces observations réalisées par les filles représentent un outil important pour l’acquisition des connaissances. L’interaction est dans ce cas bénéfique dans la mesure où la joueuse exposée à une rétroaction corrective peut prendre conscience des écarts entre sa logique et les logiques des autres. Par ailleurs, la dimension collaborative dépend elle-même dans une certaine mesure de la dimension motivationnelle : si on peut supposer qu’une tâche dont la résolution exige une véritable collaboration de la part des membres du groupe les engagera de façon plus intensive dans l’interaction et pourra donner lieu à plus de questions et plus d’explication.
50Cependant, dans la verbalisation, la perception participe largement et efficacement à une autre fonction qui soutient la précédente, c’est la fonction coordinatrice. En effet, il ne s’agit pas seulement d’émettre des observations, encore faut-il s’assurer qu’elles sont reçues, évaluer la façon dont l’interlocuteur les comprend et les interprète ainsi que partager avec lui le sens de la parole.
3. 1. 5. Les règles de gestion du groupe (RGG)
51Comme dans tout groupe, dans chaque équipe s’instaure une distribution des tâches, des conflits ou une répartition tacite des rôles et des fonctions générant ainsi un réseau de compétences. À l’interface de la logique du sujet, de la logique du groupe et de la logique du sport considéré, la place de la joueuse dans ce réseau de compétences constitue, souvent, un révélateur fiable des rapports réciproques entre cette joueuse et l’équipe. Parfois, cela peut prendre même la forme d’un conflit entre deux partenaires.
52En explorant collectivement un problème, les joueuses construisent des liens entre les idées de chacune et les problèmes posés par les séquences de jeu. Tout cela vise à l’élaboration de nouvelles réponses adaptées. Cette dernière piste que l’on vient de dégager représente 19 % des verbatims et elle met en valeur les relations sociocognitives qui existent entre les filles lors de leur discussion. C’est dans les rapports qu’entretiennent les filles entre elles, dans le cadre de leur interaction et en fonction des difficultés qu’elles abordent que se construit la parole. Ainsi, les significations sont calculées, projetées, reconstruites. Cette activité interlocutive renvoie à des divergences par rapport au contexte socioculturel défini dans lequel se déroule l’apprentissage (le jeu) déterminant ainsi les représentations, les motifs et les attentes des apprenants.
Khawla : - Il faut aussi savoir se positionner face à l’adversaire. Si on se positionne correctement il ne faut pas rester planter derrière l’adversaire.
Jihen : - Peut être qu’on a bien joué mais on a un problème c’est que pas mal de fois on n’arrive pas à tirer.
Nawel : - En fait, le plus important c’est de faire les passes, mais là où ça peut être dangereux c’est quand on nous prend la balle surtout quand on n’a plus qu’une partenaire devant nous qui pourrait nous prendre la balle.
Khawla : - A ce moment, tu dois passer au plus proche de toi et surtout d’éviter le dribble.
Marwa : - En fait, il faut faire surtout des passes. Les dribbles c’est quand l’adversaire est à côté de nous et il faut faire des tout petits dribles pour pouvoir avoir plus d’élan pour tirer.
Leçon 5/ Groupe A
53Il s’agit, le plus souvent, de pratiques récurrentes et collectivement validées. La rationalité de l’interaction humaine s’explique, ici, par le fait que les joueuses orientent leurs actions selon des règles qui sont attestées par le groupe social auquel elles appartiennent.
Nawel : - Encore une fois on a gagné.
Marwa : - Je pense qu’à force de s’entraîner nous avons pu réussir à marquer des buts, je crois qu’il s’agit bien d’un travail de groupe.
Leçon 10 /Groupe A
Rabeb : - Ce qui prouve que la concentration est indispensable dans toutes les tâches.
Khawla : - Nous allons bien nous concentrer et nous allons faire tout pour rattraper la balle et tirer dans le but.
Leçon 5/ Groupe A
3. 1. 6. Conclusion
54La figure 4 illustre la répartition des catégories selon leur apparition dans les verbatims des filles. Ces catégories se répartissent comme suit : 38 %, représentent le pourcentage le plus élevé et renvoient aux règles de l’organisation du jeu (ROJ). Cette catégorie est constituée par tous les énoncés qui sont en relation avec le jeu, la stratégie et la logique de l’activité. Viennent ensuite avec 19 % les règles de gestion du groupe (RGG). Ces dernières mettent en relief les relations sociocognitives et culturelles, les conflits qui existent entre les filles lors de leurs discussions.
55Pour les règles et principes d’action (RA/PA), le score est également de 19 %. Cette catégorie met l’accent sur les conditions à respecter et les éléments à prendre en compte pour que l’action soit efficace. Les compétences motrices et principes moteurs (PM) qui sont construits et utilisés par les joueuses permettant, dans le jeu, l’échange, le transport et la propulsion de la balle, représentent 10 % des énoncés dans l’ensemble des verbatims enregistrés. Les propos liés à l’observation et la perception des caractéristiques du jeu sont de 10 %. Cette catégorie traduit les observations pertinentes à propos du jeu pour résoudre un problème rencontré.
3. 2. Discussion
56Le défi de la verbalisation consiste à concilier les points de vue de chacune et à faire émerger un schéma collectif qui oriente le travail. En effet, en explorant collectivement un sujet, les filles construisent ainsi des liens entre les idées et élaborent des réponses. Ces réponses, qu’elles bâtissent progressivement par la mise en relation des idées, mènent à la formation de nouveaux concepts et donnent naissance à une autre perception du problème et de ses limites.
57L’analyse qualitative des verbatims des débats d’idées montre que les interactions verbales permettent l’émergence de facteurs liés au progrès et au développement des compétences tactiques. L’influence des dynamiques interactives et des mécanismes sociocognitifs dans la résolution des problèmes dans le groupe sont bien mis en évidence. Cependant, les effets bénéfiques des interactions verbales ont été observés sans qu’aucun conflit entre les filles ait été noté. Ceci souligne qu’une interaction non conflictuelle peut produire une perturbation ou une déstabilisation chez les partenaires. À ce point, la dynamique interactive débouche sur une coopération active entre les participantes. Les interactions verbales se caractérisent par un nombre important de tours de parole et une grande richesse dans la dynamique interactive utilisée. Il y a à la fois des conduites de non co-élaboration, des conduites de co-élaboration, des conduites de construction et quelques désaccords non argumentés. Il semble que la richesse des modalités interactives soit source de progrès.
58A partir de l’étude des interactions discursives des joueuses, il est possible de valider l’idée selon laquelle l’apprentissage en handball est bien une activité collective. Il importe aussi, dans la perspective sociocognitive, de rendre compte de la manière dont les engagements individuels sont intégrés et coordonnés dans cette activité collective. Ce problème d’articulation entre le caractère collectif et le caractère individuel est considéré soit comme représentatif de l’état de la cognition des élèves dans la classe, soit comme un facteur susceptible de modifier les connaissances antérieures des élèves. « Pour réussir notre tactique, nous devons travailler en groupe » illustre bien une déclaration qui revient souvent dans les propos des joueuses tunisiennes. Le principe de la verbalisation au niveau du réseau de compétences repose sur la poursuite d’un objectif commun pour toutes les joueuses et cet objectif ne sera réalisé que par l’entraide et la solidarité. Il ne s’agit pas seulement de battre l’adversaire mais également de faire équipe pour gagner ensemble. Cette coopération, en effet, crée une dynamique favorable pour la construction de savoirs et des compétences pour l’action.
4. Conclusion
59Dans une activité d’apprentissage et dans une perspective cognitiviste, les joueuses, actrices de leur propre formation, développent une activité d’autorégulation consistant à comparer le but mis en perspective avec le résultat atteint, puis à analyser les raisons de l’échec et / ou de la réussite.
60Nous proposons ici de tenir le pari d’enseigner à l’élève à s’auto-évaluer à partir de ses productions motrices et de celles de ses pairs. Action et réflexion sont définies comme étant en interrelation et se construisant par interaction dans un contexte précis. Il s’agit d’aider l’élève à objectiver ses propres réponses motrices : quelles sont les conditions de réussite d’une action ? L’élève passe ainsi d’une connaissance du résultat (produit) à celle des moyens utilisés et de leurs enchaînements dans le temps (processus) à l’aide d’indicateurs qu’il a construits. Nous sommes bien dans la perspective de l’appropriation de connaissances en vue de permettre à chacun de transformer positivement sa pratique par le raisonnement comparé. Ainsi, les élèves deviennent progressivement des acteurs de leur apprentissage tout en étendant la marge d’initiative du métier d’élève.
Auteurs
GRIAPS. IUFM de l’Université de Franche-Comté. France
ISSEP de Tunis
GRIAPS. IUFM de l’Université de Franche-Comté. France
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le vampire dans la littérature romantique française, 1820-1868
Textes et documents
Florent Montaclair
2010
Histoires de familles. Les registres paroissiaux et d’état civil, du Moyen Âge à nos jours
Démographie et généalogie
Paul Delsalle
2009
Une caméra au fond de la classe de mathématiques
(Se) former au métier d’enseignant du secondaire à partir d’analyses de vidéos
Aline Robert, Jacqueline Panninck et Marie Lattuati
2012
Interactions entre recherches en didactique(s) et formation des enseignants
Questions de didactique comparée
Francia Leutenegger, Chantal Amade-Escot et Maria-Luisa Schubauer-Leoni (dir.)
2014
L’intelligence tactique
Des perceptions aux décisions tactiques en sports collectifs
Jean-Francis Gréhaigne (dir.)
2014
Les objets de la technique
De la compétitivité motrice à la tactique individuelle
Jean-Francis Gréhaigne (dir.)
2016
Eaux industrielles contaminées
Réglementation, paramètres chimiques et biologiques & procédés d’épuration innovants
Nadia Morin-Crini et Grégorio Crini (dir.)
2017
Epistémologie & didactique
Synthèses et études de cas en mathématiques et en sciences expérimentales
Manuel Bächtold, Viviane Durand-Guerrier et Valérie Munier (dir.)
2018
Les inégalités d’accès aux savoirs se construisent aussi en EPS…
Analyses didactiques et sociologiques
Fabienne Brière-Guenoun, Sigolène Couchot-Schiex, Marie-Paule Poggi et al. (dir.)
2018