Développement de l’intelligence tactique et entraînement : un exemple au rugby
p. 155-179
Texte intégral
1La logique des sports collectifs d’opposition consiste à remporter individuellement et collectivement des duels afin de se mettre en position favorable de marque. En fonction de l’essence de chaque sport (Conquet, 1995) et des contraintes réglementaires, il est possible de prendre le dessus sur un adversaire par différents moyens en attaque et défense. Pour le rugby, défini par le « combat collectif » (Conquet, 1995), le joueur peut décider de choisir l’affrontement physique direct (défier physiquement l’adversaire) ou indirect (progresser en évitant les contacts) ; trois modalités de progression s’offrent ainsi au joueur (le « jeu groupé », le « jeu déployé » et le « jeu au pied »), regroupées dans la triple variante fondamentale (Deleplace, 1979). Ces formes de jeu peuvent être utilisées dans une optique stratégique ou tactique. Comme cela a déjà été précisé, la stratégie consiste à élaborer un choix de jeu préalable à l’action quand la tactique se propose d’établir un choix de jeu durant l’action. Si les choix stratégiques visent à imposer le point fort d’une équipe ou d’un joueur, les décisions tactiques quant à elles prennent en considération les réactions de l’adversaire. Dans ce second cas, le joueur est considéré comme « une totalité qui agit » (Peys, 1990, p. 16), dont les décisions sont mises au service du projet de jeu collectif visant à prendre de vitesse l’équipe adverse.
2Dans le cadre de l’entraînement du joueur de rugby, nous pensons qu’il est de la responsabilité de l’entraîneur de développer l’ensemble des qualités nécessaires à la performance dans l’« opposition au corps de l’adversaire » (Conquet, 1995, p. 62), le combat au corps à corps. La tactique (en attaque et défense) constitue de ce point de vue là une des priorités de formation et d’entraînement au même titre que la stratégie, la technique, le physique ou la préparation mentale et la gestion des émotions. Même si le rugby contemporain peut sembler fortement conditionné par des enjeux physiques et stratégiques, ses évolutions ont toutefois montré que les temps et le volume de jeu avaient quasiment doublé entre la période amateur et l’avènement du professionnalisme. Le rugby « moderne » impose la polyvalence motrice et le joueur doit s’entraîner dans des perspectives de « suppléance absolue » (Villepreux, 1993) ; cette dernière ne peut être atteinte qu’au travers de l’intelligence tactique individuelle et collective.
3Dans cet article nous centrerons nos propos sur le développement de l’intelligence tactique en situation d’entraînement. Nous montrerons que l’initiative individuelle a toute sa place au sein des « référentiels tactiques de jeu » d’une équipe (Deleplace, 1979), et qu’elle relève avant tout de choix de formation de joueur et de style de jeu pour une équipe. Nous proposerons des axes de réflexions théoriques ainsi que des dispositifs didactiques permettant de développer les capacités créatrices du joueur et de l’équipe.
1. L’intelligence tactique
4Dans les faits, nous pourrions dater l’avènement de l’intelligence tactique en tant que facteur essentiel de la performance en rugby aux alentours des années 1970 (formation au stage d’Arras et enseignement à l’IREPS de Paris), soit une dizaine d’années avant la publication de l’ouvrage de René Delaplace « Rugby de mouvement, rugby total » en 1979.
1. 1. L’intelligence tactique dans la réflexion sur le rugby
5Les travaux de Deleplace (1979) mettent en avant la notion de « décision tactique » dans la formation du joueur. Cette notion était jusque là, peu (ou pas) formalisée dans les entraînements ou dans les situations de formation. Au sujet de l’existence d’une « imbrication » et d’une « implication réciproque » (Deleplace, ibid) entre décision tactique, technique et capital énergétique, cet auteur affirme que c’est « le niveau de décision tactique qui reste toujours le niveau premier, la source de tout, d’où certaines conséquences dans la façon de travailler tant en initiation qu’en perfectionnement » (Deleplace, ibid, p. 9).
6Le technicisme (apprentissage décontextualisé des gestes et des organisations collectives) cède progressivement sa place à l’adaptation situationnelle et au développement de l’« intelligence motrice » (Villepreux dans la préface de Deleplace, 1979). Pierre Villepreux utilisera cette intelligence motrice pour promouvoir un « rugby de mouvement » (Villepreux, 1993) aussi bien à l’entraînement qu’en compétition, notamment avec l’équipe de Toulouse dans les années 1980, puis l’équipe de France. Il semble important de préciser que, si l’intelligence tactique est une finalité de formation initiale, elle s’entretient et son développement se poursuit tout au long d’une carrière de joueur.
1. 2. Le concept de choix tactique
7La « pensée tactique » (Menaut, 1998) peut être définie comme la « possibilité de réponse d’un organisme, face à des situations inhabituelles, de créer des réponses nouvelles » (Gréhaigne, Billard, & Laroche, 1999). Pour le rugby, René Deleplace et Pierre Conquet accordent tous deux une grande importance à la formation tactique du joueur et l’expriment en termes d’« intelligence tactique » ou « technique ouverte » pour le premier, et d’« initiative » pour le second. Pilote de son propre jeu, le joueur doit être en mesure d’analyser et de concevoir la décision la plus adaptée au « contexte situationnel » (Villepreux, 1993). Il agit sur l’action, autant que celle-ci agit sur lui. La liberté de choix le conduit à gérer la prise de risque, pour lui et pour son équipe. Il s’agit donc de développer « un processus illimité de transformation réciproque » (Deleplace, 1979), une « véritable efficacité intellectuelle » (Villepreux, 1993).
8L’entraîneur veillera à ce que les choix tactiques des joueurs s’insèrent dans la « logique de réalité de jeu » et notamment dans « l’action collective » (Conquet, 1995). Autour du concept de choix tactique, les joueurs seront sollicités à différents niveaux, que l’on retrouvera comme thèmes de travail à l’entraînement.
L’adaptation : le joueur doit trouver dans l’instant la solution la plus pertinente.
La polyvalence ou suppléance : le joueur doit être capable de répondre de manière efficiente lors d’une situation atypique pour son poste ou ses qualités physiques de base.
La création : le joueur est capable de proposer une solution originale dans une situation de jeu en attaque ou en défense, « tout en étant compréhensible pour chacun des partenaires, à tout moment » (Deleplace, 1979).
La « contre-communication » (Parlebas, 1981) : le joueur est capable de présenter des informations erronées à ses adversaires pour les induire en erreur. Cette contre-communication s’établit à base de gestes, d’attitudes, d’orientations de courses, de regards…
9P Conquet (1995) propose six principes permettant de préciser le concept d’« intelligence opérationnelle ».
Principe de nécessité : réaliser dans l’action que ce qui est nécessaire et uniquement ce qui est nécessaire, « ce qui n’est pas nécessaire est superflu et donc non pertinent ».
Principe de simplicité : « atteindre l’objectif par la voie la plus directe ».
Principe d’économie : « atteindre l’objectif à moindres frais (énergie, temps…) ».
Principe d’efficacité : « ne réaliser que ce qui est pertinent au regard de l’objectif ».
Principe de sécurité : « toutes les activités comportent des risques ; le risque est relatif à la capacité à le maîtriser »
Principe de pré-action : « la pré action concerne le projet en cours de réalisation ; elle est dans l’action même, l’application nécessaire harmonieuse et continue des cinq principes précédents, qu’elle régule dans une synthèse motrice permanente ».
10Ces principes peuvent guider l’entraîneur dans la conception de situations d’entraînement et la responsabilisation des joueurs en jeu. Comme le précisent Gréhaigne, Meunier et Caty (2011, p. 51), le développement de l’intelligence tactique consistera à « faire construire par le joueur des connaissances fonctionnelles, au service de l’« anticipation mentale ».
1. 3. Complexité de l’intelligence tactique en jeu
11Selon Mouchet (2003), l’activité décisionnelle d’un joueur est déterminée par « trois sources d’influence » imbriquées :
les rapports du joueur aux facteurs contextuels généraux (le système sociotechnique constitué par le club ; le projet de jeu de l’équipe) ;
les rapports du joueur aux facteurs contextuels locaux (la situation de jeu dans le match – l’environnement momentané et évolutif du joueur) ;
l’histoire personnelle du joueur et sa logique de jeu (formation, expérience, vécu du joueur).
12Cette diversité des sources d’influence explique en partie la part de subjectivité inscrite dans chaque choix tactique ainsi que la difficulté pour l’entraîneur de les maîtriser.
13Plusieurs modèles théoriques se sont intéressés à la complexité de la prise d’informations et des choix tactiques (Mouchet, 2003). Tout d’abord, on peut citer le modèle cognitiviste de Deleplace et les « cascades de décisions » fournies aux joueurs pour optimiser l’efficience des décisions et des actions, selon le principe de « canalisation majorante ». On trouve ensuite le modèle de l’action située pour lequel « les décisions ne résultent plus de l’application de planifications préalables, mais sont construites in situ, en fonction des interactions locales entre le contexte et les actions du sujet ». Enfin, le modèle de la cognition distribuée qui met l’accent sur l’importance d’une définition sociale de la cognition, à partir du fait que la forme prise par le savoir, et son accès, sont socialement définis et impérativement structurés.
14Si nous pensons que les interventions de l’entraîneur ont pour fonction de permettre à chaque joueur de développer ses capacités créatrices, il ne faut jamais oublier que le rugby est un sport collectif de combat et que chaque initiative doit s’insérer dans un référentiel tactique collectif sécurisé.
15Ces connaissances sur la complexité des choix tactiques dans un contexte de sport à risques corporels orientent donc les interventions de l’entraîneur sur deux niveaux complémentaires pour le développement et le perfectionnement de l’intelligence tactique :
le guidage par la présentation de situations problèmes durant lesquelles les joueurs construisent leur propre réponse motrice ;
la guidance par la verbalisation des éléments nécessaires à la prise d’informations et à l’élaboration des choix tactiques.
1. 4. L’intelligence tactique et la technique
16Pour Villepreux, Brochard, & Jeandroz (2007), les éléments techniques (le comment) prennent du sens en fonction du contexte (le pourquoi). Inversement, ils ont « un effet profondément négatif » pour Deleplace (1979). Comme Bouthier (1988), nous pensons que les gestes sont avant tout tactico-techniques et que l’intelligence prime sur l’exécution. La technique n’est jamais que la conséquence d’un choix tactique – Deleplace parle de technique « ouverte » –, nécessairement adaptative dans l’action et évolutive au cours de la vie sportive du joueur.
17Deleplace insiste particulièrement sur cette relation entre la technique et la tactique en affirmant que « le progrès tactique engendre, dans le temps même où il se réalise, une amorce importante de progrès technique, une germination en quelque sorte, et dans la direction convenable, d’une transformation de la logique exécutive. Et inversement ensuite du progrès technique à la complexification, à la croissance en subtilité, de l’intelligence tactique » (Deleplace, 1979). Ainsi, tactiques et techniques sont étroitement liées et demandent à être travaillées en même temps (Smondack, 2007) et ce quel que soit le niveau des joueurs.
18Si la technique ne peut rester figée, pour le joueur de haut niveau, elle doit être stimulée en situation d’entraînement. Nous pensons que le niveau de performance du joueur et de l’équipe dépend en grande partie de cette capacité à créer de l’incertitude pour l’adversaire en jeu, aussi bien en attaque qu’en défense. Les compétences de l’entraîneur doivent lui permettre de développer les capacités créatrices des joueurs.
2. L’intelligence tactique dans la systématique du jeu
19Grâce aux travaux de Deleplace sur la modélisation du jeu, nous savons que l’intelligence tactique du joueur s’inscrit dans un contexte de jeu global, indissociable des choix stratégiques et techniques ainsi que des trois phases de jeu que sont les phases statiques, les phases de fixation et le jeu en mouvement. Au-delà de ce niveau de complexité, l’entraîneur doit garder à l’esprit la notion fondamentale d’affrontement, doublement engagée en rugby, dans le rapport attaque-défense d’une part et les risques corporels d’autre part. Le développement de l’intelligence tactique du joueur ne peut donc s’envisager sans ces mises en relation systémiques au sein de l’« enveloppe générale », et ce jusqu’au travail de la plus petite unité tactique isolable (UTI), le « deux contre un ». Le « tableau synoptique du référentiel commun » proposé par Deleplace rend compte de toute la complexité des opérations à réaliser par les joueurs et de la place de l’intelligence tactique dans le jeu.
20Les incidences des travaux de Deleplace sont nombreuses dans la conception des situations d’entraînement, et tout particulièrement pour aborder le thème de l’intelligence tactique du joueur. En effet, l’entraîneur est responsable de la stimulation, de l’entretien et du développement de l’intelligence tactique de ses joueurs. Il doit donc connaître les éléments fondamentaux du jeu contribuant à cette stimulation tactique. Elle se situe avant tout dans le rapport d’opposition entre joueurs (figure 1).
Figure 1. Rapport d’opposition général.

21Ce rapport d’opposition entre joueurs attaquants (porteur de balle et soutiens) et défenseurs est fondamental ; il peut s’envisager dans le cadre du jeu à la main ou au pied. Il peut être proposé dans des situations globales (collectif total), dans le collectif de ligne (avants contre avants et ¾ contre ¾) et dans des situations plus réduites allant jusqu’à du « un contre un ». Le type d’opposition (plus ou moins raisonnée), la nature de l’engagement (plus ou moins intense), le nombre de joueurs, les éventuels surnombres (ou infériorités numériques) et les placements et déplacements des joueurs constituent alors les variables didactiques permettant de concevoir la situation la plus pertinente au regard des objectifs de l’entraîneur. Il est en effet celui qui fixe les objectifs des séquences d’entraînement et celui qui construit la situation d’entraînement et son évolution. Les variables didactiques permettant de faire évoluer la situation ont des effets sur :
la difficulté de la situation, il s’agit de la pression temporelle (quand on demande une exécution plus rapide, avec par exemple des défenseurs ou des attaquants pressants) ;
la complexité de la situation, il s’agit d’un traitement de l’information de plus en plus « lourd » (augmentation du nombre de joueurs impliqués dans la situation) ;
la diversification de la situation, il s’agit de proposer une grande diversité dans les placements initiaux et les directions de courses des joueurs.
22Le rapport d’opposition en rugby s’établit sur trois secteurs du jeu que nous allons détailler maintenant.
2. 1. Les phases statiques
23Le premier de ces secteurs concerne les phases statiques durant lesquelles les joueurs luttent pour la conquête du ballon ; on parlera pour ce premier secteur du jeu d’intelligence stratégique. Sur ces phases de jeu, les joueurs s’organisent en occupant des postes précis (avant – demi – trois quart).
24Le rôle de l’entraîneur est de proposer aux joueurs des référentiels communs stratégiques en attaque et défense sur les coups de pied d’envoi, de renvoi, les touches, les mêlées ainsi que les pénalités. Ces phases de jeu sont celles qui précèdent le jeu en mouvement et les phases de fixation qui nous intéressent tout particulièrement pour le développement de l’intelligence tactique. La systématique de Deleplace met en relation les organisations collectives de jeu en attaque et défense (figure 2).
Figure 2. Rapport d’opposition sur phases statiques.

25L’intelligence tactique est alors, à haut niveau, difficilement dissociable de ces phases de conquête. En effet, les choix tactiques des joueurs découlent d’un contexte de jeu préalable, défini par le lieu et la nature de la remise en jeu. Toute prise de décision dans le jeu se conçoit, ainsi, au regard d’un contexte général fixé à un instant « t » du match. Sans doute faudra-t-il à haut niveau intégrer cette donnée dans la conception des situations d’entraînement.
2. 2. Le jeu en mouvement
26Les phases statiques conduisent logiquement à celles qui vont leur succéder dans le jeu, c’est-à-dire toutes celles se déroulant dans le jeu en mouvement. Ce secteur de jeu est entièrement dépendant des choix tactiques et donc de compétences tactico-techniques. Il s’agira pour l’entraîneur de perfectionner les joueurs en attaque et défense sur plusieurs registres regroupés dans la systématique du jeu autour de la triple variante fondamentale ; nous y trouvons les trois possibilités de progression du rugby :
le jeu groupé qui est un jeu d’affrontement physique direct ;
le jeu déployé qui est un jeu de contournement et de débordement ;
le jeu au pied qui est un jeu consistant à franchir les rideaux défensifs par l’utilisation de différents types de jeux au pied.
27En effet, tout joueur pourra utiliser dans le jeu ces trois modalités de progression, en s’efforçant de choisir la plus appropriée au regard de l’analyse de la situation.
28En défense, ce sont des types d’organisations qui répondent à ces choix de jeu :
le premier rideau défensif est constitué de plusieurs joueurs qui s’organisent au plus près de la ligne d’avantage ;
le second rideau défensif est constitué de quelques joueurs qui « décrochent » pour pallier une éventuelle défaillance du premier rideau ou une éventuelle utilisation du jeu au pied court ;
le troisième rideau défensif, est couvert par des joueurs qui défendent le fond du terrain pour répondre à une utilisation du jeu au pied long et profond (figure 3).
Figure 3. Rapport d’opposition dans le jeu en mouvement.

29L’intelligence tactique est très fortement sollicitée dans le jeu en mouvement puisque l’adaptation situationnelle y est permanente. L’entraîneur devra développer deux types de compétences chez les joueurs :
des compétences tactico-techniques offensives et défensives : les joueurs devront être capables de s’adapter sur les trois registres du jeu (groupé-déployé-jeu au pied) et en maîtriser les spécificités techniques ;
des compétences organisationnelles offensives et défensives : les joueurs doivent être en mesure de s’insérer dans des organisations collectives au travers des référentiels communs de décisions tactiques.
30Ces compétences tactico-techniques et organisationnelles se développeront dans des situations réduites du jeu que l’entraîneur complexifiera et intensifiera progressivement (de plus en plus de joueurs impliqués sous des pressions temporelles de plus en plus élevées) pour se rapprocher du jeu total à effectif global.
2. 3. Les phases de fixation
31Le jeu de mouvement peut subir des ralentissements que Deleplace nomme les phases de fixation. Volontairement, un joueur ou une équipe décide d’immobiliser le ballon en le protégeant, au sol ou debout. Dans le premier cas, il s’agit de ruck et dans le second de maul. Si ces conservations de ballon au sol ou debout peuvent être volontaires, elles sont parfois accidentelles, liées à une pression de l’adversaire qui impose cet arrêt momentané du ballon. Cet arrêt n’empêche pas la lutte pour le ballon et les déplacements des joueurs (figure 4).
32Ces phases de conservation de ballon pour une équipe et de reconquête pour l’autre imposent une organisation collective et des rôles particuliers pour les joueurs en attaque et défense. Que ce soit pour temporiser ou pour reconquérir, chaque joueur doit savoir réagir par rapport à l’action et à ses partenaires et adversaires. L’entraîneur ne peut occulter l’importance de ces phases de jeu dans la formation tactique de ses joueurs.
Figure 4. Rapport d’opposition sur phases de fixation.

33Comme Villepreux, nous défendons l’idée selon laquelle « la réalité du rugby n’est pas la gestion du joueur isolé mais bien la gestion optimale du système complexe dans lequel celui-ci évolue » (Villepreux, 1993, p. 42). La systématique du jeu de Deleplace constitue le plus bel éclairage de la complexité à laquelle fait référence Pierre Villepreux. « Le joueur qui opère un choix tactique combine sa liberté d’action avec des exigences collectives » (Wittwer, préface de Menaut, 1998, p. 9). Nous avons montré que ces choix tactiques individuels sont à organiser dans le jeu de mouvement et dans les phases de fixation. Ils sont entièrement dépendants des enjeux des phases de conquête qui les précèdent et ne peuvent être dissociés de l’affrontement collectif. Ainsi, Deleplace préconise-t-il la création d’une « référence commune au niveau de la représentation abstraite des effets d’opposition » ; cette référence correspond à un « véritable système représentatif de la logique de la réalité du jeu, dans son ensemble et son détail […] » (Deleplace, 1979, p. 17). C’est l’entraîneur, au travers de ses choix de jeu (style de jeu pour son équipe) et des situations d’entraînement qui permet au joueur en particulier et à l’équipe, d’agir et de réagir en fonction de référentiels communs. La liberté des choix individuels est donc plus ou moins limitée pour le joueur de haut niveau en fonction d’un cadre de jeu fixé par l’entraîneur. Le joueur « crée pour les autres car il se met à leur service » (Girardi, 2006, p. 128) et doit en plus intégrer la sécurité dans ses choix, sa propre sécurité et celle des partenaires qu’il engage dans l’action.
34La systématique du rugby réalisée par Deleplace constitue non seulement une base de réflexion théorique sur la place de l’intelligence tactique dans le jeu, mais au-delà un outil pour le développement et l’entretien de celle-ci, puisqu’elle permet à l’entraîneur de concevoir des situations d’entraînement cohérentes face aux enjeux tactiques du rugby. Il ne faut finalement pas croire que l’intelligence tactique est un don individuel (même si les joueurs ne disposent pas tous du même potentiel), mais bien, comme le pense Villepreux une capacité à développer, aussi bien chez le débutant que chez le joueur de haut niveau (Villepreux, 1987). De plus, cette intelligence tactique prend un sens particulier et s’exprime avant tout au travers d’un collectif de joueurs qui dispose de référentiels communs.
3. L’intelligence tactique et la performance
35Quelle que soit la philosophie de jeu poursuivie par les entraîneurs, elle doit être orientée vers la recherche de performance. Si certains s’attachent à privilégier l’aspect physique dans la formation des joueurs, parce que plus rapide, nous pensons qu’il ne faut pas négliger la prise d’initiative individuelle au sein de schémas collectifs de jeu. En effet, les initiatives individuelles dans le jeu permettent de diversifier les possibilités d’action et de réaction face au type de jeu proposé par une équipe adverse.
3. 1. Le développement de l’intelligence tactique
36Si nous pensons disposer d’outils didactiques pour développer l’intelligence tactique du joueur, il nous semble essentiel de ne pas dissocier celle-ci de quatre éléments fondamentaux de la formation et de l’entraînement.
37Les choix stratégiques : si l’intelligence tactique ou opérationnelle est la clé de la réussite et de la performance en rugby, il n’en demeure pas moins vrai que ces adaptations tactiques en situation de jeu sont à mettre en relation avec des choix stratégiques individuels et collectifs. En effet, le jeu impose une relation dialectique entre stratégie et tactique, entre choix personnel et action collective. Comme le dit Jean-Pierre Peys, « il n’existe pas d’équipe qui aborde un match avec un mental de Vainqueur, sans forme de jeu, sans stratégie de jeu » (Peys, 1990, p. 69).
38Le contexte de jeu : il s’agit de replacer les choix tactiques par rapport aux enjeux sociaux du match (l’importance du match dans la saison, la nature de la compétition). La pression émotionnelle fluctue alors en fonction du moment du match, du type de remise en jeu et de son lieu sur le terrain. Un joueur doit être en mesure de contrôler ses émotions afin de rester lucide face à la situation.
39L’affrontement physique : l’intelligence tactique en rugby doit se développer dans un contexte d’affrontement physique au corps à corps ; la dimension affective du combat ne doit pas constituer un frein dans le traitement de l’information (perceptions et décisions tactiques). En effet, un joueur éprouvant des craintes dans certaines situations, ne saura pas gérer ses émotions et ne pourra jamais se montrer performant lorsqu’il sera confronté à la rudesse du jeu. Il deviendra même dangereux pour ses partenaires.
40La technique individuelle : pour que les décisions du joueur en situation se traduisent par l’efficience motrice, elles doivent être accompagnées des éléments techniques (la partie exécutive du geste). La réalisation technique est ainsi indissociable du choix tactique qui la précède. Pour mener à bien son choix tactique, le joueur doit maîtriser un maximum de savoir-faire techniques qu’il adaptera à la situation.
41Ainsi, l’entraîneur doit-il, en fonction des joueurs, de leur niveau, des choix de style de jeu, de la nature de la compétition, composer avec ces différentes variables dans ses situations d’entraînement. Nous pensons également, au regard de la réversibilité du statut attaquant/défenseur en jeu, que l’entraîneur doit accorder autant d’importance au développement de l’intelligence tactique offensive que défensive :
dans le cas de l’attaque, il s’agit de proposer aux joueurs des situations de jeu « problème » en jouant sur les différents éléments que constituent le nombre d’attaquants et de défenseurs, les positions de départ dans la situation, les pressions et vitesses d’exécution. L’entraîneur utilisera ces variables didactiques pour le jeu en mouvement et les phases de fixation ;
dans le cas de la défense, il s’agit de confronter les joueurs à des situations problèmes consistant à rétablir un « équilibre défensif », c’est-à-dire être capable « par rapport à l’adversaire, par rapport au ballon et par rapport au terrain, de répondre immédiatement et efficacement à chacune des éventualités que le mouvement du jeu peut faire surgir dans l’instant […] » (Deleplace, 1979, p. 31).
42Si l’entraîneur sait associer les différentes variables dans un large éventail de situations, nous pensons qu’il contribue alors à l’enrichissement de la mémoire motrice des joueurs, les dotant de capacités perceptives, décisionnelles et exécutives adaptatives en situation de match. C’est parce que les joueurs connaissent la « logique de réalité du jeu » en situation d’entraînement qu’ils sont capables d’opérer des choix en match par « estimation responsable » (Deleplace, 1979, p. 17), grâce à des schémas de jeu appris au travers d’enchaînements dictés (Peys, 1990, p. 51). Ces schémas de jeu rassurent les joueurs et contribuent à une meilleure gestion du stress.
3. 2. L’intelligence tactique en jeu au service de l’équipe
43Si l’entraîneur développe l’intelligence tactique du joueur, nous considérons que son rôle d’éducateur consiste également à fixer les limites de la créativité. En effet, nous constatons que certains joueurs de haut niveau, particulièrement appréciés pour leurs capacités à franchir la ligne d’avantage dans des situations de jeu peu probables pour d’autres joueurs, sont régulièrement victimes de blessures. Nous pensons à des joueurs tels que Thomas Castaignède, Jonny Wilkinson ou Frédéric Michalak dont les carrières sont entachées de graves blessures. La prise de risque décisionnelle augmenterait les risques d’accidents corporels. Nous le pensons et ne pouvons donc pas en tant qu’entraîneur laisser le joueur s’exposer à la blessure, parce que sa décision n’est pas la bonne ou parce qu’il ne dispose pas des qualités physiques pour exécuter un geste dans une situation donnée. Nous pensons par exemple à un joueur qui tenterait un passage de bras lors de la réalisation d’une passe, alors que sa constitution physique ne le lui permet pas. La créativité motrice ne peut donc dépasser certaines limites et nous pensons que le rôle de l’entraîneur est d’en avertir chaque joueur. L’entraîneur se doit d’adapter les situations qu’il propose au potentiel de ses joueurs.
44De plus, nous pensons que les initiatives individuelles dans le jeu doivent nécessairement s’intégrer dans un collectif total où les joueurs d’une même équipe sont capables « de comprendre aisément et rapidement la décision prise par un partenaire et donc aussi de la prévoir dans une certaine mesure » (Deleplace, 1979, p. 18). Ce rappel nous semble fondamental pour compléter les limites de la créativité individuelle face aux enjeux collectifs ; en effet, il ne faut pas que la prise d’initiative d’un joueur (même si elle perturbe le dispositif défensif adverse) sorte du cadre fixé par les référentiels tactiques de son équipe. Si le développement de l’intelligence tactique se traduit par des initiatives individuelles, ces dernières sont systématiquement engagées dans un projet et des repères collectifs, déclenchées dans un cadre sécuritaire.
3. 3. L’entraînement et l’intelligence tactique
45Villepreux (1993), adepte du « jeu de mouvement dynamique » en formation et en compétition affirme que « les conséquences du travail d’entraînement doivent peser avant tout sur les capacités de décision du joueur ». Il pense que le rôle de l’entraîneur est d’inventer, de créer des situations problèmes où le joueur sera contraint d’utiliser sa propre intelligence. On ne doit pas choisir à sa place. « Le jeu et la décision du comment jouer appartiennent au joueur » (Villepreux, 1993, p. 45). Le palmarès de Villepreux en tant qu’entraîneur confirme le bien-fondé de sa démarche (trois fois champion de France avec Toulouse en 1985, 1986 et 1989, deux grands chelems en 1997 et 1998 et une finale de la coupe du monde avec l’équipe de France en 1999). Les entraîneurs partageant son point de vue doivent donc composer des situations d’entraînement intégrant « la réalité fondamentale de l’opposition » (Deleplace, 1979, p. 14), au travers desquelles le joueur et son équipe seront amenés à réaliser des choix tactico-techniques. Les situations conservent une certaine exigence de complexité (quantité d’informations à traiter dans la situation), de difficulté (pression temporelle) sans lesquelles le progrès ne serait pas possible.
46Si le rôle de l’entraîneur est bien de permettre à chaque joueur de développer son potentiel créatif, il faudra veiller à ce que les décisions de chacun s’inscrivent dans un « langage commun ». Ces références communes de décisions tactiques en attaque et défense fixent ainsi les limites de la créativité individuelle et permettent à tous de s’inscrire dans l’action initiée par le joueur décisionnaire.
47Les interventions de l’entraîneur sont donc fondamentales et permettent, dans le « débat d’idées » (Gréhaigne, Billard, & Laroche, 1999, p. 36) avec les joueurs, de trouver un équilibre entre les choix individuels et le projet collectif. Il est intéressant de noter que Claude Onesta œuvre dans ce sens avec l’équipe de France de handball, avec le succès que nous lui connaissons.
48Concrètement, le joueur est mis en situation globale aménagée avec recherche de performance et comme l’ensemble de ses partenaires, dispose d’un cadre créatif dont les limites sont fixées par le projet de jeu collectif.
49Dans la démarche d’entraînement telle que la conçoit le courant deleplacien, l’initiative individuelle n’est pas opposée au projet collectif mais, au contraire, le rend plus performant en développant « les facultés d’anticipation de l’équipe » (Peys, 1990, p. 64). Cette démarche d’entraînement est exigeante et suppose donc un travail didactique spécifique sur les situations d’entraînement.
4. L’entraîneur
50L’entraîneur joue un rôle déterminant dans la formation des joueurs dont il a la responsabilité. C’est au travers de ses propositions de projets de jeu et de sa gestion des situations d’entraînement qu’il parvient à développer les capacités adaptatives de ses joueurs. Toutes ses interventions, directes ou indirectes auront des répercussions sur l’activité des joueurs. Il nous semble donc essentiel de réfléchir sur ces dernières.
4. 1. Le rôle de l’entraîneur
51Le simple fait de confronter le joueur aux situations tactico-techniques ne peut garantir le développement de l’intelligence tactique. Nous pensons que ce sont avant tout les choix de l’entraîneur et ses interventions qui conditionnent les progrès des joueurs.
52Ainsi, l’entraîneur doit-il, dans un premier temps, sélectionner les secteurs de jeu sur lesquels il souhaite faire évoluer ses joueurs (un joueur, plusieurs joueurs, un collectif de ligne ou l’équipe dans sa globalité). Il fixe pour ces secteurs un cadre de créativité individuelle et collective car il s’agit d’informer les joueurs des limites au-delà desquelles ils ne rentrent plus dans les schémas de jeu et, surtout, au-delà desquelles ils seraient en danger physique.
53Ces choix réalisés, l’entraîneur conçoit alors les situations et agit sur celles-ci pour les adapter et les faire évoluer, soit par des interventions indirectes (manipulation des variables didactiques de la situation) soit par des interventions directes (discussion avec les joueurs sur les mises en œuvre). Nous pensons donc que ce sont avant tout les interventions de l’entraîneur qui conduisent les joueurs vers le geste ou l’intention juste, vers l’organisation collective pertinente. Le rôle de l’entraîneur est ainsi fondamental dans le développement de l’intelligence tactique, comme le préparateur physique dans le développement des qualités physiques ou le préparateur mental pour les qualités psychologiques. Sa fonction ne doit pas se limiter à l’exploitation des capacités des joueurs ; il doit également développer l’intelligence tactique individuelle et collective, clé de la performance pour le haut niveau. Pour cela, il doit disposer de nombreuses compétences lui permettant de concevoir les situations, de les gérer et d’accompagner les joueurs dans la construction des choix tactiques et l’exécution motrice. Cet accompagnement passe notamment par la connaissance des principes d’efficience et de sécurité liés à chaque exécution tactico-technique. Ces connaissances permettent d’intervenir sur les situations et les joueurs tout en conservant pour ces derniers un espace de création. Si notre rôle d’entraîneur consiste à faire évoluer le sport de haut niveau par la technique, nous savons que celle-ci est souvent l’œuvre de joueurs audacieux. Créons à l’entraînement les conditions de cette création, en sachant doser nos interventions. La formation des entraîneurs doit donc intégrer ces axes de développement de l’intelligence tactique et les compétences et interventions professionnelles associées.
4. 2. Les interventions de l’entraîneur
54Deux niveaux d’interventions sont alors envisageables pour accompagner les joueurs dans le développement de l’intelligence tactique.
Les interventions indirectes où l’entraîneur manipule les variables didactiques de la situation. La moindre modification structurelle sur une situation de jeu impose une adaptation tactico-technique aux joueurs. Il est ainsi essentiel pour l’entraîneur de connaître et maîtriser ces connaissances didactiques.
Les interventions directes quand l’entraîneur participe au projet d’action du joueur et à sa régulation par le « débat d’idées » ou « dialogue » (Bayer, 1979, p. 203). La « correction ponctuelle » peut consister dans ce cas à établir « un cliché de jeu par un top suivi d’une correction spatiale de l’occupation du terrain et du placement des divers joueurs » (Peys, 1990, p. 25). Il ne faudra pas négliger dans ces interventions directes l’information liée aux deux niveaux de risques (corporels et décisionnels).
55Le choix des interventions sera conditionné par les intentions de l’entraîneur. Les interventions indirectes permettent au joueur de s’adapter à la situation par auto-régulation. La liberté créatrice dans ce premier cas est relativement coûteuse en temps, mais riche dans l’originalité des solutions construites. Les interventions directes permettent de progresser plus rapidement. Elles octroient cependant une part moins importante de liberté créatrice aux joueurs. C’est Bouthier (1986), qui, le premier, a donné une portée scientifique à ces modèles pour le rugby (PMAA pour pédagogie des modèles auto-adaptatifs et PMDT pour pédagogie des modèles de décisions tactiques).
5. Les situations d’entraînement
56Le résultat de la réflexion de l’entraîneur sur les projets de jeu et le type de joueur à former s’opérationnalise au travers de l’organisation des situations d’entraînement retenues. La conception et l’animation des situations reposent sur d’indispensables compétences professionnelles.
5. 1. L’architecture des situations
57Même si nous ne traitons dans cet article que des situations d’entraînement dont l’objectif est le développement tactico-technique des joueurs, nous rappelons qu’elles s’insèrent dans une logique de programmation plus vaste (situations décontextualisées de renforcement musculaire, situations de répétitions collectives « à vide », situations de technique individuelle…), en relation avec les objectifs et différents moments de la saison. Elles s’organisent « en forme de spirale » (Smondack, 2007) au sein d’une programmation de saison ou d’un plan de développement de style jeu pour un club, une équipe, une région ou une nation.
58Pour le développement de la « décision tactique, seuls conviennent les exercices avec opposant » (Deleplace, 1979, p. 12), au travers desquels attaque et défense sont « unies dans un rapport dialogique » (« […] unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires et antagonistes qui se nourrissent l’une de l’autre, se complètent, mais aussi s’opposent et se combattent » (Smondack, 2007, p. 196), en « exigeant un ajustement de la conduite et donc de la recherche d’une solution » (Deléris, 1993, p. 18).
59Si l’opposition est systématiquement intégrée dans les situations tactico-techniques, l’entraîneur est amené à manipuler de nombreuses variables et à intervenir régulièrement pour ajuster ces variables et débattre avec les joueurs pour les aider à concevoir les réponses motrices les plus performantes.
60Bien plus que des listings d’exercices, nous pensons que les entraîneurs doivent disposer d’outils didactiques leur permettant de concevoir ces situations. Parmi les variables constituant l’« architecture » des situations (Peys, 1990, p. 69), nous pouvons répertorier, au-delà du but de la situation :
les dimensions de l’aire de jeu (incertitudes spatiales) ;
le matériel nécessaire (chasubles, coupelles, ballons, bouclier de percussion…) et les différentes matérialisations servant de repères ;
le nombre de séquences de jeu (répétitions et séries), leur durée et les temps de récupération ;
le nombre de joueurs en attaque et en défense ;
la quantité d’informations à traiter où l’entraîneur peut charger ou alléger la situation en imposant plus ou moins de facteurs informationnels ;
le niveau d’incertitudes événementielles où l’entraîneur peut choisir des situations de jeu « classiques » et d’autres auxquelles les joueurs ne sont pas habituellement confrontés ;
le niveau de liberté accordé aux joueurs où l’entraîneur précise la nature de l’adaptation - situationnelle recherchée ; de l’« adaptation imaginative » (Girardi, 2006, p. 125) (créativité totale) à l’adaptation référencée (cadre de création limité) ;
l’intensité de la situation où l’engagement physique et la nature de la défense (degré d’agressivité toléré dans la situation – défense plus ou moins raisonnée) ;
le niveau de difficulté (incertitude et/ou pression temporelle) ;
le rôle des joueurs dans la situation (attaquants ou défenseurs) et l’inversion des rôles en cours de jeu : les attaquants deviennent défenseurs et inversement = principe de « réversibilité » (Gréhaigne, Billard, & Laroche, 1999, p. 17) ; rotation dans les différents rôles sociaux ;
les placements initiaux et les déplacements et « pré-lancements » (Villepreux, 1993, p. 51) ;
le lancement des actions après chaque passage, à l’arrêt ou lancé, passe, coup de pied, vitesse, handicaps… ;
les évolutions de la situation où les interventions de l’entraîneur sur les variables didactiques sont liées à la simplification, la complexification, la diversification et la difficulté de la situation ;
le rôle de l’entraîneur dans la situation et ses interventions, quand, où et comment sont fournies les informations relatives à la réalisation de la situation. Ces informations sont-elles à découvrir dans la situation, à construire dans le débat d’idées, proposées par l’entraîneur ?
l’activité cognitive des joueurs dans les échanges entre partenaires et avec l’entraîneur, avec un retour sur sa propre prestation (régulation et gestion du projet réalisé ou à venir).
61L’ensemble de ces variables didactiques permet de jouer sur les incertitudes auxquelles sont confrontés les joueurs : incertitudes spatiales, temporelles et événementielles. Associées au combat collectif, ces incertitudes stimulent les capacités perceptives et décisionnelles des joueurs, développent leurs capacités adaptatives et créatrices dont on peut espérer un transfert en situation de compétition. L’initiative individuelle devient ainsi une arme au service du collectif, aussi bien en attaque qu’en défense.
62Le joueur est responsabilisé dans la gestion du jeu et ses choix ne sont pas systématiquement commandés par des schémas de jeu entièrement préétablis. Ainsi, l’entraîneur dispose-t-il d’outils didactiques permettant d’une part de stimuler la « pensée tactique » (Deleplace, 1979, p. 17) des joueurs et d’autre part de l’affiner pour mieux la réinvestir en situation de compétition.
5. 2. La construction des situations d’entraînement
63Nous pensons que la construction des situations visant le développement de l’intelligence tactique doit émerger d’un projet de l’entraîneur au regard du style de jeu choisi pour son équipe et du comportement attendu de ses joueurs. Il n’est donc pas envisageable de présenter des situations standards puisqu’elles seront nécessairement transformées. Il nous semble donc préférable de présenter des exemples concrets pouvant permettre de comprendre la logique de construction de ces situations.
64Comme nous l’avons dit, ces situations poursuivent des objectifs spécifiques, au sein même de la finalité que constitue l’intelligence tactique. Ainsi, certaines situations viseront le développement de l’intelligence créatrice individuelle (capacité d’un joueur à se montrer créatif, original et dangereux dans certains contextes de jeu), tandis que d’autres seront axées sur le développement de l’intelligence tactique collective (capacité d’un groupe de joueurs à s’adapter simultanément aux choix de jeu retenus par un joueur. Les choix du joueur décisionnaire sont répertoriés et organisés dans des « référentiels communs d’interprétation et de décision » (Deleplace, 1979, p. 18) conçus avec l’entraîneur. Pour le développement de ces deux types d’intelligence tactique, deux étapes sont nécessaires : l’étape de la construction de la motricité (le geste tactico-technique) suivie de celle de la stabilisation et de l’automatisation de la réponse (le geste technique). Les phases de stabilisation et d’automatisation sont d’autant plus essentielles que nous savons qu’elles libèrent de nouvelles capacités d’acquisition chez les joueurs.
65Pour le développement de l’intelligence créatrice individuelle, il s’agit de proposer aux joueurs des situations suffisamment compliquées pour solliciter de nouvelles organisations motrices pouvant répondre à ce type de situations de jeu. Les problèmes posés par la situation sont tels que le joueur doit concevoir de nouvelles réponses motrices, de nouvelles techniques corporelles ou proposer des variantes en s’appuyant sur celles qu’il maîtrise déjà. C’est un dépassement tactico-technique qui est recherché.
66Notre illustration prendra appui sur une « unité tactique isolable » (Deleplace, 1979, p. 14), en l’occurrence un « 2 contre 1 ». Ce « 2 contre 1 » constitue la base de construction de notre situation. Il est « neutre » et sa valeur formatrice dépendra de la capacité de l’entraîneur à jouer sur les variables didactiques de la situation pour stimuler le joueur, ainsi qu’à ses compétences pour accompagner le joueur dans ses créations motrices.
67Le traitement didactique du « 2 contre 1 » s’opère en plusieurs étapes. Nous agissons tout d’abord sur les variables architecturales de la situation (on parle de l’opération de guidage par aménagement du milieu), puis sur les consignes d’exécution (on se réfère à la guidance par verbalisation, échanges, débat d’idées), la stabilisation (par diversification) et, enfin, l’automatisation (par répétition).
5. 2. 1. Les variables architecturales et le guidage
68Le but de la situation est de marquer de manière efficience, en évitant au maximum le contact. Il s’agit donc d’orienter les joueurs vers le jeu déployé ou au pied en utilisant les variables architecturales de la situation, parmi lesquelles :
les dimensions de l’aire de jeu : nous proposons une situation de « 2 contre 1 » sur un terrain de 22 m de profondeur sur 10 m de largeur ;
le matériel nécessaire : les deux attaquants sont munis de chasubles de couleurs différentes de celle du défenseur ; nous disposons de deux ballons ; le tracé du terrain est matérialisé par les lignes déjà existantes ; nous utilisons des coupelles pour matérialiser les départs d’action des attaquants et des défenseurs ;
le nombre de séquences de jeu (répétitions et séries), leur durée et les temps de récupération : nous proposons de quatre à cinq répétitions avant de proposer des remédiations ;
le nombre de joueurs en attaque et en défense : si nous devons gérer un certain nombre de joueurs dans la situation, nous nous organisons pour instaurer des rotations au niveau des défenseurs ; sur un atelier, dix joueurs se gèrent aisément : deux défenseurs qui alternent et quatre groupes d’attaquants ;
la quantité d’informations à traiter : sur cette situation de base, un seul défenseur en opposition et un partenaire ; nous augmentons la quantité d’informations à traiter lorsque nous introduisons un défenseur à la poursuite ;
le niveau d’incertitudes événementielles : les incertitudes seront liées aux placements initiaux du défenseur et du partenaire ; ces placements initiaux seront systématiquement différents durant les cinq répétitions. Ils sont matérialisés par des coupelles auxquelles peuvent répondre des annonces de l’entraîneur (« départ 1, 2, 3, 4, 5 » qui sont illustrés dans les figures 5 à 9).
Figure 5. Départ 1.

Figure 6. Départ 2.

Figure 7. Départ 3.

Figure 8. Départ 4.

Figure 9. Départ 5.

le niveau de liberté accordé aux joueurs. Les joueurs doivent marquer en utilisant le jeu au pied et le jeu déployé ; la seule contrainte est liée à l’utilisation de la percussion ; les directions de course, les distances entre joueurs et l’utilisation d’une des deux formes de jeu sont laissées à l’appréciation des attaquants ;
l’intensité de la situation : le rythme sera maximum. Nous pouvons accélérer le rythme du jeu en effectuant des lancements très rapides entre les groupes ; ce rythme permet également de proposer des entrées dans la situation en mouvement ;
le niveau de difficulté en jouant sur l’incertitude et/ou la pression temporelle. Pour jouer sur le niveau de difficulté, nous utilisons les vitesses des défenseurs, des remises en jeu plus ou moins difficiles pour les attaquants sous forme de passes ou de jeu au pied. Nous pouvons également sur certaines répétitions introduire un second défenseur à la poursuite (figure 10) ;
Figure 10. Augmentation de la difficulté.

le rôle des joueurs dans la situation (attaquants ou défenseurs) et l’inversion des rôles en cours de jeu. Les défenseurs sont libres de leurs mouvements défensifs : avancer plus ou moins vite, naviguer, attendre… ;
les placements initiaux et les déplacements (les pré-lancements). Sur cette situation de 2 contre 1, nous pouvons demander aux attaquants en attente de démarrer alors que le groupe précédent n’a pas encore quitté le terrain (figure 11). Nous pouvons proposer des couloirs ou des portes avant que les joueurs ne pénètrent sur le terrain.
Figure 11. Varier les « pré-lancements ».

69Nous pouvons également demander aux joueurs attaquants de croiser leur course et de démarrer avec plus ou moins de profondeur et de retard ou avance (le soutien placé devant le porteur de balle) :
le lancement des actions après chaque passage où l’entraîneur peut laisser le ballon dans les mains des attaquants ou réaliser une remise en jeu sous forme de passe, de coup de pied. La variété des remises en jeu est infinie : passes plus ou moins puissantes, plus ou moins hautes ; coups de pied plus ou moins hauts, plus ou moins puissants… De même, si un défenseur récupère un ballon, nous pouvons proposer une contre-attaque avec un soutien en attente sur le côté du terrain qui n’intervient qu’au signal de l’entraîneur ;
les évolutions de la situation telles que simplification, complexification, diversification et difficulté. Ces évolutions sont multiples et nous les intégrons après chaque série de quatre ou cinq passages, sachant que plus le niveau de pression est élevé, plus nous sommes en accord avec le thème de travail ;
le rôle de l’entraîneur dans la gestion de la situation où il gère les différentes variables didactiques et fait évoluer la situation à sa convenance ;
l’activité cognitive des joueurs que nous organisons après chaque série (ou passage) avec des temps d’échanges entre partenaires et avec l’entraîneur. Cela permet aux joueurs de se fixer de nouvelles intentions tactiques ou d’en perfectionner d’autres. Au-delà, ces temps de concertation permettent aux joueurs d’une même équipe de « référencer » les initiatives individuelles (Deleplace, 1979, p. 35).
5. 2. 2. Les consignes d’exécution et la guidance
70Dans le premier temps des situations, nous laissons aux joueurs une part de recherche en les incitant à trouver des solutions originales. Nous discutons ensuite avec eux et leurs partenaires pour analyser la pertinence de leurs choix tactiques et de leurs réalisations techniques. Si certains choix et réalisations tactico-techniques sont retenus, nous proposons les variantes du « 2 contre 1 » qui permettront de perfectionner le geste. Si deux joueurs sont parvenus à être performants par le biais d’un coup de pied original (imaginons qu’il s’agisse d’une passe avec l’extérieur du pied), nous renforcerons leur création tactico-technique, en mettant l’accent sur la partie exécutive. Dans ce cas, la défense sera raisonnée et adaptée au déclenchement de ce geste. Durant cette phase de construction et consolidation du geste, notre rôle d’entraîneur est d’accompagner le joueur en lui fournissant des principes d’efficience et de sécurité. Nous le laissons alors libre de l’organisation de sa motricité. Moins nous intervenons sur le comment-faire et plus les joueurs sont en mesure de faire évoluer la technique de leur sport. Nous pensons par exemple à l’apparition de passes dans le rugby moderne telles que les passes à une main, main en pronation. Ces passes sont davantage le résultat de tentatives de joueurs que de propositions d’entraîneurs.
5. 2. 3. La stabilisation par diversification
71La diversification relève de la recherche de performance adaptative. Pour les joueurs qui proposent ou choisissent une solution tactico-technique, nous intervenons sur les configurations de jeu en modifiant à chaque passage les placements et déplacements des joueurs impliqués dans la situation, aussi bien chez les attaquants que les défenseurs. Ainsi, même si nous restons sur un « 2 contre 1 » classique, le défenseur n’aura jamais un placement initial identique (figures 12 à 17) . Nous assurons ainsi une forme d’adaptabilité dans le geste tactico-technique.
Figure 12. Placement 1.

Figure 13. Placement 2.

Figure 14. Placement 3.

Figure 15. Placement 4.

Figure 16. Placement 5.

Figure 17. Placement 6.

5. 2. 4. L’automatisation par répétition
72Le geste est reproduit sur des séquences de jeu décontextualisées (limitation des incertitudes événementielles), à très grande vitesse. Il s’agit de proposer une intensité d’effort telle que le joueur soit confronté à la gestion de la fatigue. Nous reprenons par exemple une des six situations précédentes en insérant des éléments de préparation physique : deux séries de six répétitions à 100 % comprenant des temps de récupération extrêmement courts (10’s) avec des distances de courses d’environ 30 m.
5. 3. Le développement de l’intelligence tactique collective
73Il s’agit dans ce cas de présenter aux joueurs des situations de jeu dans lesquelles les variables fluctuent au rythme des passages, mais dans un contexte de repères initiaux communs (schémas de jeu). Le travail consiste dans un premier temps à construire des repères collectifs compris et acceptés par l’ensemble des joueurs ; nous sommes dans la construction d’un « style de jeu ». C’est à partir de ce cadre commun (l’ensemble des référentiels communs de décisions tactiques) que l’on pourra intégrer des prises d’initiative auxquelles le collectif fera face en s’adaptant dans l’instant. Cette capacité d’adaptation collective commune permettra alors de prendre de vitesse l’adversaire.
74Nous pensons que l’entraîneur doit être en mesure d’analyser les qualités intrinsèques de ses joueurs, leur potentiel afin de les organiser autour d’un projet de jeu, notamment constitué par les référentiels communs de décisions tactiques. Pour faciliter l’adhésion à ces projets de jeu, nous préconisons l’implication des joueurs dans leur conception.
75Les situations que nous proposons alors sont conçues comme des « dictées d’enchaînements » (Peys, 1990, p. 37) ; elles permettent à tous les joueurs de se repérer collectivement sur le terrain par rapport aux positionnements du ballon et des joueurs (adversaires et partenaires).
76Sur ces repères collectifs, nous instaurons alors les orientations de jeu sur lesquelles chaque joueur doit être en mesure d’agir. Ces situations collectives se travaillent dans un premier temps avec opposition raisonnée et sur des vitesses d’exécution permettant aux joueurs de s’imprégner des repères collectifs ainsi que des choix tactiques individuels possibles. Progressivement, l’entraîneur augmente la difficulté de la situation en jouant sur la pression temporelle et l’intensité des efforts.
77Nous illustrerons nos propos avec une situation de jeu de ligne (3/4) dans laquelle nous intégrons les joueurs de la 3 ème ligne.
5. 3. 1. Les variables architecturales et le guidage
78Pour cette situation, il s’agit de proposer un jeu de débordement à partir d’un ballon de récupération sur coup de pied derrière le 1er rideau ; la récupération est réalisée par un troisième ligne, dont la consigne est de donner le ballon à un de ses deux partenaires de la troisième ligne sur une action de pivot. Ce joueur vient sur une course axiale provoquer la montée défensive adverse et créer un ruck. A partir du ruck, le jeu est orienté au large, en débordement. Nous jouons sur tout le terrain avec deux ballons et des chasubles de couleur pour les deux lignes de ¾ et éventuellement pour les joueurs de la 3 ème ligne qui sont prioritaires sur la récupération de balle et soutiens dans le jeu au large. Pour faire évoluer la situation, on peut s’appuyer sur quelques variables.
Le nombre de séquences de jeu (répétitions et séries), leur durée et les temps de récupération : le but étant d’enrichir la mémoire collective, nous proposons d’évoluer avec deux ballons, afin que le jeu soit perpétuel et dure quatre à cinq minutes.
Le nombre de joueurs en attaque et en défense soit 10 contre 10 (avec dans chaque équipe trois joueurs en 3 ème ligne).
La quantité d’informations à traiter car la situation est extrêmement exigeante de ce point de vue-là ; nous pouvons sur certaines séquences de jeu demander à des joueurs de quitter l’aire de jeu pour y revenir à d’autres moments. Pour cela, nous pouvons installer un système de portes d’entrée et de sortie.
Le niveau d’incertitudes événementielles car, si le premier temps de jeu est « connu » (l’entraîneur lobe un des deux rideaux et impose un point de fixation), la suite est laissée à l’appréciation des joueurs sur un schéma de jeu orienté vers le débordement sur les extérieurs.
Le niveau de liberté accordé aux joueurs est total, dans le respect du schéma de jeu initial ; cela veut dire que chaque joueur peut « tenter » de créer un danger dans la ligne en fonction de sa lecture du rideau défensif adverse. Quoi qu’il en soit, s’il parvient à faire la différence et à franchir la ligne d’avantage, nous lui recommandons les solutions vers les extérieurs.
L’intensité de la situation peut varier en fonction du moment ; si les joueurs connaissent déjà les principes collectifs de jeu, l’intensité est optimale, en intégrant des plaquages « sur-réglementés » (le défenseur est physiquement responsable du joueur sur lequel il intervient ; cela permet aux attaquants de prendre des risques décisionnels sans risquer la blessure).
Le niveau de difficulté est important car la pression temporelle est forte et nous incitons les joueurs à réaliser des courses de match.
Le rôle des joueurs dans la situation (attaquants ou défenseurs) et l’inversion des rôles en cours de jeu : les joueurs de la troisième ligne sont prioritaires sur les récupérations de balle ; la charnière l’est aussi sur l’orientation du jeu vers les extérieurs, puis, c’est un jeu de polyvalence qui s’organise, avec toutefois des soutiens de 2e main pour les 3es lignes sur toute la durée de la situation.
Les placements initiaux et les déplacements : les « pré-lancements ». Le jeu démarre en mouvement à partir d’un coup de pied de l’entraîneur derrière le rideau défensif d’une des deux équipes.
Le lancement des actions après chaque passage, il s’agit d’être toujours en mouvement à partir d’un coup de pied ou d’un ballon qui roule sur le terrain.
Les évolutions de la situation en utilisant simplification, complexification, diversification et difficulté. Les évolutions vont dans le sens de la difficulté en demandant un rythme d’exécution identique au match ; la complexité est gérée à partir de remises en jeu plus ou moins profondes derrière le 1er rideau. Nous pouvons également donner des numéros aux joueurs et durant le jeu, en les annonçant leur demander de quitter la situation de jeu ; cela permet de jouer conjointement sur la difficulté, la complexité et la diversification.
Le rôle de l’entraîneur dans la gestion de la situation où il organise les remises en jeu en s’assurant que le mouvement est perpétuel ; lorsqu’il siffle la fin de l’action, le joueur en possession du premier ballon le lui ramène tandis qu’il introduit le second dans le jeu.
L’activité cognitive des joueurs car ils sont sollicités avant le début de la situation afin de se remémorer les référentiels communs de décisions tactiques : le schéma de jeu et les prises d’initiatives possibles en fonction de l’analyse de la situation.
5. 3. 2. Les consignes d’exécution et la guidance
79Comme nous l’avons précisé, l’entraîneur organise le jeu autour de référentiels communs en commentant toutes les initiatives des joueurs en cas d’échec ou de réussite. Il est important que les joueurs visualisent les situations favorables et défavorables. Pour cela, les arrêts sur image s’imposent, permettant de doter le groupe de joueurs concernés de capacités de lecture et d’analyse communes. Les remédiations sont ainsi proposées en direct. L’entraîneur peut alors commenter à vitesse réduite le déroulement de la situation de jeu en insistant sur les éléments à prendre en considération (placements et déplacements des joueurs, vitesses, appels de balle, orientation des regards, position du ballon, type de geste utilisé…).
5. 3. 3. La stabilisation par diversification :
80La diversification : elle intervient en proposant des changements rapides de possession de balle (la réversibilité), et ce quel que soit le placement initial des joueurs sur le terrain. L’enrichissement de la mémoire collective passe par cette phase de diversification durant laquelle nous pouvons faire varier le nombre de joueurs concernés (voir « les évolutions de la situation »).
5. 3. 4. L’automatisation par répétition
81La répétition s’opérationnalise sur cette situation au travers d’un rythme d’exécution extrêmement élevé, au moins égal à celui du match. Cette dernière phase de l’entraînement est fondamentale pour permettre aux joueurs impliqués dans la situation (et le schéma de jeu) de choisir et exécuter les gestes avec lucidité et efficience. L’efficience est ici en relation directe avec les capacités d’anticipation des joueurs. Ils bénéficient d’un temps d’avance sur les actions et réactions des adversaires, puisque le « canal cognitif conscient » (Gréhaigne et al., 1999, p. 33) n’a pas à intervenir, sauf alerte. Il est recommandé dans cette phase d’automatisation d’intégrer la « dimension physiologique de l’effort rugby » (Peys, 1990, p. 81). C’est à ce moment-là que l’entraîneur associe les éléments physiologiques du jeu aux choix tactiques, exigeant des connaissances spécifiques sur les processus physiologiques sollicités en rugby.
6. Conclusion
82L’intelligence tactique ne doit pas être considérée comme un don réservé à quelques élus. Elle constitue au contraire un thème de travail sur lequel les entraîneurs doivent intervenir. L’objet de cet article était d’attirer l’attention des entraîneurs sur leur responsabilité dans la performance individuelle et collective en rugby. Leur rôle est double face aux enjeux du jeu de mouvement :
créer des référentiels communs d’interprétation et de décision pour l’équipe ;
doter chaque joueur de capacités créatrices.
83Les référentiels communs tactiques sont suffisamment rigoureux pour fixer l’indispensable schéma de jeu général, et dotés d’une plasticité telle qu’ils incitent les joueurs à prendre des initiatives individuelles dans le cours du jeu. C’est donc au travers de situations d’entraînement conçues à cet effet que le joueur et ses partenaires développent leur intelligence tactique. C’est au travers de deux exemples concrets que nous avons présenté une démarche de construction de situations d’entraînement permettant de stimuler les capacités adaptatives individuelles et collectives des joueurs. Individuellement, le joueur développe sa liberté de choix et construit des gestes tactico-techniques dotés d’adaptabilité motrice ; collectivement, les joueurs apprennent à lire et analyser le jeu suivant des repères communs. Ces deux types de situations sont à concevoir et organiser dans une logique de recherche de performance tactique de l’équipe. C’est parce que le joueur progresse individuellement qu’il bonifie le collectif et, inversement, les repères collectifs libèrent en jeu les capacités créatrices des joueurs. Même si nous pensons que le rugby, à l’image de très nombreux sports collectifs, permet de développer les deux formes d’intelligence tactique, il ne faudra jamais oublier d’intégrer dans les entraînements de ce sport de combat la charge émotionnelle liée à l’affrontement physique. Les choix tactiques en rugby se réalisent en effet sous hautes pressions spatiales, temporelles, événementielles et affectives.
84Nous savons que le pari du développement de l’intelligence tactique pour le haut niveau est ambitieux. Cette intelligence tactique ne doit toutefois pas se substituer aux référentiels communs stratégiques sur lesquels elle prend racine. De même, elle ne doit pas être exclue au détriment de stratégies préprogrammées où le joueur n’est qu’un exécutant enfermé dans les combinaisons et les temps de jeu préétablis, et ce, quelle que soit la configuration du jeu adverse.
85La démarche que nous soutenons suppose une adhésion philosophique au « rugby total créatif » (Peys, 1990, p. 65). Au-delà de ces perspectives idéologiques, elle repose sur des compétences professionnelles dans la conception des situations d’entraînement, dans les interventions sur les variables didactiques de la situation, ainsi que sur les intentions tactico-techniques des joueurs. Ce « rugby créatif » contribue à donner du plaisir aux joueurs et aux spectateurs, bien plus que l’« hyper-rugby », fait de séquences de jeu stéréotypées et de « chocs répétés entre athlètes body-buildés et uniformes » (Lacarce, 2009, p. 217).
86Le développement de l’intelligence tactique sera d’autant plus performant à haut niveau que ce travail viendra s’opérer sur des joueurs formés dès leur plus jeune âge dans et par le jeu de mouvement. Ainsi, la démarche et les outils didactiques que nous avons présentés sont exploitables aussi bien chez les jeunes joueurs en formation que chez des joueurs de haut niveau. Le développement de l’intelligence tactique ne connaît pas de limites et nous pensons que celles qu’expriment les joueurs sur le terrain sont en grande partie le reflet des compétences de l’entraîneur.
Auteur
UFRSTAPS Paris Ouest Nanterre la Défense
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