L’intelligence tactique : quelques données
p. 25-40
Texte intégral
1Le concept d’intelligence tactique renvoie, bien sûr, aux aspects stratégiques et tactiques des jeux mais connaissez-vous la différence entre tactique et stratégie ? Des chercheurs américains en management en donnent une explication assez simpliste et hiérarchique. Pour eux, stratégie se réfère « au quoi et au pourquoi » tandis que tactique se réfère au « comment ». La réflexion stratégique, la planification et les actions doivent donner la capacité de regarder la situation dans son ensemble, de reconnaître les modèles et les tendances, d’établir des priorités, d’anticiper les problèmes et prévoir des alternatives stratégiques à engager si nécessaire. De son côté, la tactique est « pratique » ou fait partie de l’exécution du travail, pour s’assurer que les objectifs du plan stratégique sont atteints. Les tactiques sont les mesures détaillées nécessaires pour atteindre les objectifs ou résoudre un problème. On peut néanmoins noter qu’il est parfois nécessaire, dans le cours de l’action, de revenir sur des stratégies ou de les abandonner quand elles vous mènent au désastre.
2En sport collectif, les dispositifs stratégiques et tactiques recouvrent la répartition des joueurs sur le terrain, leurs actions et déplacements qui font, bien souvent, référence à un plan de jeu et à des règles de l’organisation du jeu. Le gain ou la perte d’un match ne dépend pas seulement de l’habileté des joueurs à manier le ballon. La coordination (synchronisation, permutations en jeu, …) et la distribution momentanée des joueurs sont le résultat de l’activité des joueurs sur le terrain. Par exemple, certaines équipes, sûres de leur fait, passent leur temps à attaquer, au mépris de la défense. Cette stratégie délibérée repose sur un postulat simple « nous pouvons prendre le risque de concéder un but car nous savons que nous pouvons en marquer un de plus à tout moment ». Cette idée quelque peu présomptueuse se traduit très clairement dans les faits par une intelligence tactique particulière où l’attaque du but et la récupération haute du ballon sont privilégiées. Ainsi, sous l’appellation de dispositif stratégique et tactique sont illustrés les aspects temporels, spatiaux et opératoires de l’adaptation de l’équipe aux rapports d’opposition proposés par la rencontre en cours. Les sports collectifs étant des sports d’équipe, les questions d’intelligence collective y sont, aussi, primordiales.
3En fait, le concept d’intelligence tactique vient de la conduite des armées. Au départ, l’intelligence tactique, c’est l’intelligence militaire qui collecte des informations variées nécessaires pour les généraux afin d’anticiper ce qui peut arriver sur un champ de bataille en constante évolution. Ce type d’information doit être rapide afin d’être utile, une évaluation erronée d’une situation donnée peut entraîner la perte de la bataille. L’intelligence tactique est donc l’art et la science de déterminer ce que l’opposition fait ou pourrait faire, pour empêcher l’accomplissement de votre tâche. Elle est utilisée pour appuyer la prise de décisions relatives à la planification de l’affrontement et son exécution afin d’anticiper ce qui peut arriver dans la bataille. A ce propos, Carnot (1810) formule des principes d’action : primauté de l’offensive, action par surprise, décision rapide et action de masse. Il faut attaquer toujours l’ennemi là où il est faible et avec une supériorité de forces telle que la victoire ne puisse jamais être douteuse. L’auteur différencie stratégie et tactique : la tactique est l’art d’organiser et de disposer ses forces pour gagner une bataille ; la stratégie est l’art de mobiliser ses forces, d’organiser et de disposer ses batailles pour gagner la guerre. Pour approfondir ces premiers éléments concernant tactique et stratégie, nous allons nous appuyer sur les écrits de deux stratèges renommés Sun Tzu et von Clausewitz.
1. Des stratèges de la guerre
4Sun Tzu (1972, traduit du chinois vers l’anglais par Samuel Griffith en 1963 puis traduit de l’anglais vers le français par Francis Wang en1972) et Carl von Clausewitz (1989) (traduction d’un livre publié originellement en Allemagne en 1832) ont tous les deux formalisé leurs expériences à propos des stratégies, des influences et des effets de la guerre. Ce qui est intéressant quand on passe de la pensée européenne à la pensée chinoise, c’est qu’il y a un dépaysement de fait. Cela ne veut pas dire que la pensée chinoise soit complètement différente de la nôtre mais, au départ, les deux pensées sont indifférentes l’une à l’autre : elles ne se connaissent pas, elles s’ignorent. Sun Tzu, avec une perspective idéaliste, croit que la guerre a des exigences et des résultats prévisibles. Von Clausewitz, quant à lui, pense que la guerre est plus énigmatique et sensible à la chance et au hasard. Pourtant, les deux considèrent que la guerre est une action de l’État avec un but politique.
1. 1. Sun Tzu
5Sun Tzu pense que la guerre est un outil de l’État, mais il considère la guerre plus comme une forme d’art que toute autre chose. Il envisage la guerre comme un événement qui devrait se produire avec un minimum de combats, plus idéalement comme une série de politiques stratégiques, d’attaques non militaires. Il décrit les exigences qui constituent un gage de réussite. Sun Tzu estime que le commandement doit être une force extrêmement puissante pour décider de la guerre et que la tromperie doit être un élément pleinement exploité. Une armée ne doit jamais laisser l’ennemi connaître la vérité. Si une armée se trouve à proximité, le commandant ennemi doit la penser très loin. Si une armée est forte, il vaut mieux avoir l’air faible afin d’attirer l’ennemi dans une embuscade. L’espionnage doit être utilisé pour recueillir des informations sur l’ennemi, pour faire des ravages dans ses rangs, pour briser ses alliances, l’isoler et ainsi le démoraliser. Ces mesures peuvent donner une victoire sans combat, si elles sont correctement employées. Sinon, une armée doit recourir à la force en vue de remporter la victoire dans le moins de temps possible, avec le moins de pertes de vies des deux côtés et le minimum d’effort. Sun Tzu favorise la guerre efficace sur la guerre totale de von Clausewitz. Les pertes devraient être faibles, la contribution monétaire devrait être minime et la tension sur les alliances doit être aussi modeste que possible en ne demandant pas l’aide extérieure. Sun Tzu souligne qu’une nation doit mener une guerre réservée, pas une guerre totale. « Les armes sont des outils de mauvais augure pour être utilisées seulement quand il n’y a pas d’alternative ». Ensuite, une nation doit avoir un commandement capable de comprendre une bataille avant qu’elle n’arrive. Un général doit connaître le terrain et l’utiliser à son avantage pour attirer l’ennemi vers lui et ne le frapper que quand il est assuré d’une victoire. Le général compétent hait une situation statique ; il s’attaque à une seule ville quand il n’y a pas d’autre alternative. Sun Tzu signale que le chef doit « former » son ennemi à la forme qu’il veut, plutôt que d’être mis en forme par l’ennemi. Sun Tzu énonce cinq facteurs qui contrôlent une bataille. Selon lui, l’équilibre moral entre les troupes et le commandant est vital pour la victoire, ainsi que la capacité du général de commander et de diriger. Le terrain et les conditions météorologiques sont impératifs pour un chef afin de comprendre s’il peut contrôler à la fois son armée et celle de l’ennemi. Enfin, il doit exister une doctrine ou une méthode de guerre qui doit être tirée de l’expérience. Quand une armée possède toutes ces qualités, Sun Tzu dit qu’elle est assurée de la victoire et il déclare qu’une armée ne peut pas réussir si elle ne sait pas quand il faut esquiver et quand il faut se retirer. Sun Tzu prédit les situations suivantes : si une armée se connaît elle-même et connaît l’ennemi, elle sera victorieuse ; si elle se connaît elle-même mais ignore l’ennemi, alors elle a seulement cinquante pour cent de chance de gagner ; si elle ne connaît ni l’ennemi, ni ses forces, alors elle sera très certainement vaincue.
1. 2. Carl von Clausewitz
6Von Clausewitz affirme aussi que « la guerre est un prolongement de la politique par d’autres moyens ». Comme en politique, le résultat n’est pas toujours sûr ; il y a une incertitude qui dissimule toujours les caractéristiques exactes d’une situation. Cette incertitude est un élément clé dans la philosophie de von Clausewitz. Il croit fermement que la guerre est en grande partie déterminée par le hasard et la possibilité. Néanmoins, les vertus militaires de l’armée sont importantes car elles déterminent, souvent, une nation qui gagne ou perd. Si le moral est bas, une force ne peut pas gagner. Une défaite provoque une perte de confiance en soi et mène à la peur, un élément horriblement destructeur pour une armée. Ainsi, le moral des troupes influe beaucoup sur leur performance.
7Les compétences de celui qui commande sont également d’une importance capitale. Un général ne peut pas être faible, il faut être fort pour mener les troupes au combat et il doit présenter une face confiante qui inspire l’armée. Celui qui commande, ainsi que les troupes, doivent être expérimentés. Le général doit aussi être intelligent et bien informé du terrain, de la météo, de l’ennemi et de tous les aspects de l’engagement. La faiblesse la plus dangereuse de celui qui commande est la lâcheté, ce qui entraîne souvent la témérité, la folie ou la vanité. Ainsi, von Clausewtitz estime que la guerre est fortement dépendante de l’individu mais l’élément le plus important de la guerre reste la chance. Il y a toujours des incertitudes dans la guerre qui ne peuvent pas être prises en compte et doivent être manipulées.
8Von Clausewitz croit que tous les événements peuvent être anticipés et qu’il y a un désordre général dans la guerre qui doit être prévu. Quand les combats deviennent plus graves, quand les voies de communication sont coupées, c’est dans de telles situations que l’intelligence et l’expérience de la volonté individuelle aident la victoire. Von Clausewitz affirme qu’il y a certains éléments que le général doit comprendre s’il veut avoir du succès. Une bataille gagnée repose sur quatre caractéristiques. D’abord, la planification stratégique selon laquelle la bataille doit être menée. C’est quelque chose qui doit être fait à l’avance et doit ensuite être adapté à la situation changeante de la bataille. Deuxièmement, le terrain doit guider un commandant sur la nature d’une attaque ou de retrait. Le terrain dicte quel type de force doit être utilisé, qu’il s’agisse d’un siège ou d’une attaque surprise, deux mille hommes à cheval ou cinquante mille fantassins. On peut ajouter que :
la composition des forces des deux côtés doit être prise en compte à tout moment ;
armement, transport et moral doivent tous être considérés pour la planification d’une attaque.
9C’est seulement lorsque tous ces aspects ont été considérés, qu’une attaque peut être lancée.
10La destruction complète des forces de l’ennemi est le but principal de la guerre. Von Clausewitz croit en une guerre totale : une victoire doit être absolue dans le sens où l’ennemi doit être complètement battu au point que des représailles ne soient pas possibles. La guerre est une expérience qui requiert une patience infinie, des efforts, de la peine et de la persévérance.
11En résumé, von Clausewitz croit que la guerre est fortement influencée par les individus qui la mènent et par le hasard qui peut déterminer son issue.
1. 3. Discussion
12Sun Tzu préconise, à la fois, une vision très idéaliste et une perspective rationnelle de la guerre, où le vainqueur peut être prédit sur la base d’un ensemble de prescriptions. Von Clausewitz voit la guerre comme un événement incertain. Même si ces deux conceptions ont des perspectives différentes sur la guerre, elles sont d’accord sur les stratégies. Les deux rendent compte qu’un dirigeant fort est nécessaire pour la victoire. Elles conviennent toutes les deux que la guerre doit être courte, l’effort concentré, mais de façon légèrement différente. Sun Tzu dit que les ressources et l’argent doivent être conservés dans la guerre, cette guerre devant prendre le moins de temps possible. Pour von Clausewitz, la guerre est un effort qui exige de la patience et de la force mais qui se décide dans une grande bataille. Il existe des différences entre les deux stratèges militaires. Sun Tzu voit la guerre comme une opération à petite échelle, tandis que von Clausewitz pense que c’est un acte global qui exige des efforts d’une nation toute entière. Sun Tzu préconise l’utilisation de la tromperie, tandis que von Clausewitz convient de se méfier de l’ennemi à tous les égards. En fin de compte, c’est leur point de vue sur le hasard qui les sépare le mieux. Von Clausewitz voit la guerre comme un événement imprévisible qui est étroitement lié à la chance alors que Sun Tzu soutient que le hasard ne joue pas un rôle dans la guerre, que le vainqueur peut être prédit sur la base d’un certain nombre de caractéristiques des deux belligérants.
13Bien sûr les sports collectifs ne sont pas la guerre. Mais, à l’instar de Jeu (1977) que pouvons-nous tirer de ces enseignements fournis par ces deux auteurs concernant les jeux collectifs interpénétrés et de signes contraires ? Globalement le plan de jeu type « von Clausewitz » vise à imposer son jeu et maîtriser totalement l’adversaire. Il s’agit pour l’entraîneur de dresser une forme d’action idéale sous forme de schémas ou d’un plan de jeu contraignant. Ensuite, toutes les actions ou interventions consistent à appliquer les solutions retenues. Dans un plan de jeu de type Sun Tzu, le coach laisserait venir l’adversaire pour mieux le surprendre et économiserait ainsi ses forces. Plutôt que de dresser un modèle qui serve de norme à son action, le ou les joueurs devraient concentrer leur attention sur le cours du jeu, tels qu’ils s’y trouvent engagés, pour en déceler la cohérence et profiler son évolution. Il faut s’attacher à détecter les facteurs favorables dans la configuration du jeu, en un mot s’appuyer sur le potentiel de la situation (Jullien, 1996).
2. Quels enseignements pour les sports collectifs ?
14Évidemment, dans les jeux, le dénouement ne vise pas la destruction de l’ennemi mais la victoire sur des adversaires qui est constitutif du jeu. L’émulation entre les joueurs représente un moyen de se comparer à autrui, d’échanger avec lui et ainsi, elle est source de progrès en ce qu’elle permet à chacun de se situer dans une approche comparative avec l’autre. Elle est à la fois repère et dialogue. Repère en ce qu’elle nous situe maintenant par rapport à celui ou ceux que nous avons choisis comme éléments comparateurs et dialogue en ce qu’elle nous conduit à se comparer avec d’autres joueurs pour situer les progrès à faire. C’est ce que les hooligans et autres fanatiques n’ont pas encore compris. Mais alors, quels enseignements peuvent être tirés des deux stratèges présentés dans le premier paragraphe ? Dans les jeux et les sports collectifs, la tactique constitue bien un concept polysémique qui se prête à beaucoup de commentaires. Souvent, afin de simplifier, on distingue ce qui relève de l’organisation du jeu dans une l’équipe ou « plan de jeu » de ce que l’on peut appeler « intelligence tactique » ou « culture tactique ». Gréhaigne (1989) définit l’organisation du jeu d’une équipe comme le résultat de l’interaction de plusieurs facteurs :
les positions à occuper en fonction des consignes particulières reçues par chaque joueur à l’entraînement ou l’avant match (place assignée) ;
l’ordre général, c’est-à-dire la forme d’ordre extérieur qui résulte des choix stratégiques généraux de l’équipe (composition, hiérarchie, conflits dans l’équipe) ;
les positions produites par l’influence de l’adversaire (place effective dans le rapport de forces) ;
l’adaptation ou non de l’équipe et des joueurs aux conditions de l’affrontement (flexibilité, dominant / dominé) ;
le joueur (ses ressources, son statut, son expérience…).
15Nous utilisons aussi couramment comme définition pour la notion de système de jeu, celle proposée par Teodorescu, (1965, p. 3) : « la forme générale d’organisation des actions offensives ou défensives des joueurs, par l’établissement d’un dispositif précis, de certaines tâches (postes et occupations du terrain) ainsi que de certains principes de collaboration entre ceux-ci ». Une proposition plus récente (Bremer, 1982 cité par Winkler 1984, p. 6) permet de la compléter ainsi : « le système de jeu représente une forme d’ordre extérieur où l’on distingue des groupes en différentes positions et où l’on détermine le nombre de joueurs assignés à ces groupes. On attribue à ces groupes certaines parties du terrain et certaines tâches dans le match. A l’intérieur de ces groupes, on différencie de nouveau pour assigner à chaque joueur une zone de terrain et des tâches ».
16A partir de ces données, il est clair que dans un match de sport collectif, les deux équipes représentent le plus souvent deux sous-systèmes non uniformes en interaction. Au plan collectif, les aspects suivants interviennent en priorité (Gréhaigne, Godbout & Bouthier, 1999).
La stratégie collective évoque l’ensemble des plans, principes ou directives d’action, retenue avant un match pour organiser l’activité de l’équipe et des joueurs pendant la rencontre. La stratégie mise au point peut soit concerner les grandes options générales de jeu, soit spécifier l’intervention des joueurs pour différentes classes de situation de jeu.
Le rapport de forces qui est constitué par les liens antagonistes existant entre plusieurs joueurs ou groupes de joueurs opposés du fait de l’application de certaines règles du jeu qui déterminent un mode d’interaction.
Le réseau de compétences qui renvoie aux relations entre les joueurs à l’intérieur d’une même équipe. Il influence les conduites et les comportements qui peuvent être identifiés chez les joueurs en fonction de leur statut et fonctions dans l’équipe. Il peut devenir un réseau de rivalité…
La tactique représente d’abord l’adaptation dans l’instant des décisions stratégiques prises antérieurement afin de faire face aux configurations réelles du jeu.
17Dans tout cet ensemble, les rapports entre technique, tactique et stratégie ont souvent été envisagés séparément. Dans les jeux où la continuité du jeu est assurée par le règlement, il y a toujours besoin d’un ajustement à l’adversaire actif qui tente de contrarier l’exécution gestuelle propre. Toute situation a, sur le plan moteur, une multitude de solutions possibles. Cela demande une intelligence de jeu bien particulière et l’adéquation des seuls savoir-faire ne suffit pas. L’évolution des sports collectifs, tant stratégique, tactique, technique que physique, a imposé des modifications inéluctables dans l’organisation du jeu liée la plupart du temps à un renforcement des défenses. Pour autant, organisation de jeu ne veut pas dire rigidité. Il faut y voir une double adaptation des joueurs à l’organisation et de celle-ci aux joueurs (figure 1). Ce sont les fonctions que l’on pense lui attribuer qui permet le recrutement d’un joueur : le coach le sélectionne en tenant compte de ses qualités physiques aussi bien que psychologiques (motivation, engagement, intelligence tactique, …). Mais, dans la mesure où elle crée cette détermination dans la liberté du joueur, ces fonctions attribuées créent en même temps chez celui-ci un pouvoir. Le pouvoir donné à ce joueur d’exiger qu’on lui facilite l’exercice de ses fonctions, et pour cela qu’on l’entraîne : « l’équipe où cette fonction l’a signifié a le devoir de l’élever jusqu’au niveau (physique et tactique) où il sera à même de produire les actes que le groupe exige » (Sartre, 1960, p. 462).
18Le jeu n’est pas une chose amorphe que l’on devrait animer ; le jeu est création permanente du fait des rapports d’opposition qui apportent sans cesse fluctuation et évolution : une autopoïèse du jeu dirait André Menaut. Le terme autopoïèse définit la propriété d’un système à se produire, à se maintenir et à se définir lui-même. Le terme fait référence à la dynamique des structures en équilibre instable, c’est-à-dire des états organisés qui restent stables quelques instants malgré les mouvements et les perturbations qui les traversent. Pour Varela (1989), un système autopoïétique est organisé « comme un réseau de processus de production, de composants qui (a) régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits et qui (b) constituent le système en tant qu’unité concrète dans l’espace où il existe, en spécifiant le domaine topologique où il se réalise comme réseau (p. 45) ». Ainsi, la particularité du vivant réside dans sa capacité d’auto-organisation, dans sa capacité à produire sa propre organisation.
19Ainsi, toute situation de jeu auto-organisée possède une multitude de solutions possibles plus ou moins adaptées. Cela demande donc une intelligence de jeu bien particulière ; l’adéquation des seuls savoir-faire ne suffit pas car ils doivent être subordonnés à la tactique. Dans le cadre de la stratégie apparaissent aussi les éléments en rapport avec l’organisation du jeu. La stratégie représente les éléments discutés à l’avance pour s’organiser en fonction des caractéristiques propres de l’équipe adverse et de ses individualités. Gréhaigne et Godbout (1999, p. 4) précisent que « la stratégie peut soit concerner les grandes options de jeu soit spécifier l’intervention des joueurs pour différentes classes de situations de jeu ». Il s’agit d’une anticipation liée aux informations dont on dispose sur les adversaires.
20Dans le jeu, la tactique, se construit au cours de l’action en modifiant, selon les enseignements des événements, la perception d’informations ou la conduite envisagée. La tactique suppose, chez le sujet, les capacités à utiliser pour l’action, les déterminants et les aléas extérieurs. On peut la définir comme la méthode d’action propre au sujet en situation de jeu où pour remplir son rôle, le joueur s’efforce de subir au minimum les contraintes, les incertitudes et les hasards du jeu et d’utiliser au maximum les capacités, potentiels et compétences dont il dispose. Les décisions prises et les actions produites en fonction des configurations du jeu permettent d’évaluer la pertinence des réponses du point de vue tactique. Si l’on revient au jeu, les changements d’organisation des adversaires, l’évolution du score, les changements de joueurs, les blessures ou les sanctions administratives impliquent des réajustements si l’on veut rester efficace.
21Les schémas de jeu consistent à s’organiser dans le cadre d’une circulation pré-établie de joueurs et du ballon à partir de situations spécifiques (le plus souvent, à partir des situations de jeu arrêtées). On les retrouve à la fois dans le jeu pour rendre plus efficaces les mouvements offensifs mais aussi lors des phases statiques. Un « schéma tactique » (Teodorescu, 1965) constitue un programme pré-établi qui propose une régulation automatique de façon à faire face de façon économique à des situations relativement stables. Ils permettent, d’une part, de surprendre l’adversaire à l’aide d’une avance initiale ou tout simplement en jouant plus vite que celui-ci et, d’autre part, de devancer le replacement défensif comme en volley-ball et en football américain. En football ou en rugby, le recours à des schémas de jeu dans la continuité du jeu est rarement opportun du fait du désordre qui s’installe très rapidement, conséquence des divers déplacements. Dans ce cas, la prise de décision tactique permet l’adaptation du schéma de jeu dans l’instant aux configurations du jeu et à la circulation du ballon dans un rapport d’opposition. L’utilisation des schémas de jeu apparaît plus pertinente dans le cadre des phases statiques, surtout sur les coups de pieds arrêtés proches de la cible adverse où la densité est prégnante. Mais, souvent, un usage mal compris de l’apprentissage de tels schémas stricts étouffe la personnalité du joueur, le réduit et le contraint à réaliser des actions individuelles trop précises. Cela le « sclérose » et freine ses possibilités d’expression et de développement d’une pensée tactique. Pour éviter ce type d’écueils, le formateur visera le développement d’une pensée tactique permettant ainsi au joueur, face à une situation complexe, de mieux analyser les choix de jeu qui s’offrent à lui. Alors, l’intelligence tactique recouvrira la qualité et la rapidité de réaction du joueur et du groupe face aux configurations du jeu (placements, déplacements, appels de balle, couverture axiale, mouvements collectifs, adaptation aux situations offensives et défensives en fonction des réalités du match).
22Avec Gréhaigne (1992), nous dirons que l’organisation du jeu d’une équipe et la tactique concourent donc aux mêmes buts : une meilleure efficacité offensive et défensive, à la fois par l’organisation générale rationnelle (organisation du jeu) et par l’action instantanée et intuitive (pensée tactique).
3. Pensée et temps
23Le plus souvent, un avantage positionnel n’est que la conséquence d’une prise d’avance sur le replacement défensif. Le déplacement propre à chaque joueur produit de la dispersion (accélération, fatigue, désordre, etc.). Néanmoins, la représentation traditionnelle du temps comme dimension homogène et mesurable nie le temps dans sa réalité. Bergson (1969, p. 58) souligne que « notre faculté normale de connaître est donc essentiellement une puissance d’extraire ce qu’il y a de stabilité et de régularité dans le flux du réel » pour saisir ce qui constitue, non seulement comme sensation, mais comme un objet de pensée, le temps, la durée, le mouvement et le changement. Le temps n’est pas seulement écoulement, passage ; il est transformation, changement. Ainsi, la pensée tactique et son corollaire la décision ou la succession de décisions sont complètement immergées dans le temps.
24Pour remédier à ce problème, Malho (1969) proposait de développer systématiquement les facultés cognitives d’un joueur en étroite relation avec la formation physico-motrice. Par exemple, une erreur tactique est ainsi analysée : « un joueur voit s’ouvrir devant lui la route du but adverse, il exécute l’action qu’il a apprise pour cette occasion. L’adversaire direct d’un de ses partenaires s’interpose brusquement, ce qu’il n’a pas décelé à temps. Le résultat est qu’il voit son tir contré. S’il avait perçu et analysé la situation, il aurait pu résoudre correctement le nouveau problème, et ainsi adresser une passe au partenaire démarqué (p. 25) ». Mahlo (1969, p. 37) ajoute : « l’expérience subjective du jeu ne suffit pas, aussi longue soit-elle. Un système de connaissances et d’expériences tactiques ne peut se développer pleinement en dehors d’une formation tactique programmée ». Néanmoins, l’auteur ne parvient pas bien à déterminer concrètement le contenu de la pensée tactique. Il se contente de préciser : « dans les jeux sportifs collectifs, les divers membres de l’équipe agissent en même temps mais différemment. Les facteurs d’unification de toutes les actions particulières qui participent à l’action collective sont la communauté d’objectifs, la similitude d’analyse de la situation et de la pensée tactique, ainsi que la communauté d’entraînement (p. 39) ». On en reste à des conditions qui permettent le développement de la pensée tactique et non à l’étude précise de son contenu.
25Ainsi, la question de la prédictibilité de la connaissance et de l’imprévisibilité de la durée, est donc centrale. Nous pouvons bien évidemment prévoir et c’est même ce que nous nous efforçons de faire de façon constante : prévoir, organiser, projeter. C’est la forme même de notre entendement, qui orientant notre pensée vers une fin, un but, contient la nécessité de cet effort de prévision. Nous nous y efforçons, selon Bergson (1955), en accumulant des éléments de connaissance pour les projeter dans une totalité à venir. Prévoir, c’est additionner des éléments, réunir des informations, construire un ensemble par la synthèse de connaissances distinctes. La prévision ne peut donner qu’un ensemble incomplet car le temps est, ici, changement et mouvement.
26On retrouve là une idée chère à Menaut (1998) à propos d’une forme d’imprédictibilité du jeu à laquelle, pour cet auteur, s’ajoute une part d’irrationnel chez les acteurs engagés dans la configuration du jeu ou dans l’enchaînement de configurations en cours de jeu. On peut souligner, en s’appuyant sur Savoyant (2008), qu’il y a des connaissances implicites dans l’activité des joueurs. C’est une idée aujourd’hui largement admise qu’il n’y a pas que des connaissances explicites à propos du jeu et que les sports collectifs ne se réduisent pas qu’à l’application de quelques règles ou procédures fondées sur les seuls savoirs théoriques, scientifiques et technologiques (Mouchet, 2005). Dans la mise en œuvre de leurs activités, les joueurs élaborent et utilisent d’autres savoirs que l’on qualifiera de savoirs d’action, savoirs d’expérience, savoirs implicites, savoirs tacites, savoirs informels, etc. Au-delà de la diversité de ces catégories, ces savoirs présentent trois caractéristiques :
ils se construisent et se développent dans l’exercice même de l’activité plutôt qu’en situation de formation ; ils ne sont pas ou peu enseignés ;
ils sont difficiles sinon impossibles à expliciter et à énoncer systématiquement ;
ce sont les savoirs d’expérience qui font la différence entre débutants et joueurs expérimentés.
27On considérera ici que les savoirs sont des concepts, des procédures ou des méthodes qui existent hors de tout sujet connaissant et qui sont généralement codifiés dans des ouvrages de référence, manuels, cahiers de procédures, encyclopédies, dictionnaires. Les connaissances, par contre, sont indissociables d’un sujet connaissant. Dans une perspective constructiviste, lorsqu’un joueur intériorise un savoir, on dira qu’il construit cette connaissance, qui lui appartient alors en propre car le même savoir construit par un autre joueur n’en sera jamais tout à fait le même.
28La question de l’acquisition et du développement de ces savoirs d’actions devient alors essentielle. Savoyant (2008, p. 2) note que « la question de la formalisation des savoirs implicites comporte un paradoxe, sinon une contradiction, puisqu’il s’agit de formaliser et donc d’expliciter, des savoirs dont on a dit qu’ils étaient issus d’abord de l’activité elle-même et qu’il était difficile, sinon impossible de les expliciter, de les énoncer ». Pour résoudre ce paradoxe, il faut envisager l’idée que les savoirs non conscients se transmettent implicitement dans le cadre général de l’apprentissage par l’action. La pression temporelle dans les sports collectifs vient sans doute ici apporter des contraintes supplémentaires.
29L’apprentissage des aspects tactiques est nécessaire car ne pas poser le problème de la formation de la pensée tactique c’est amener les élèves ou les joueurs à apprendre schématiquement et donc, à jouer de même. En outre, il est bien connu que l’exécution, versant moteur d’un choix tactique coûte de l’énergie. En effet, la fatigue affecte non seulement la qualité d’exécution des compétences motrices mais aussi la lucidité des choix.
30Nous allons maintenant nous intéresser aux problèmes spécifiques posés par la formation tactique des joueurs.
4. Au plan pratique
31La forme d’intelligence tactique engagée dans la pratique doit combiner à la fois le flair, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, … Dans ce cas, l’accent est toujours mis sur « l’efficacité pratique », en un mot la recherche du succès dans le domaine de l’action. Cette efficacité pratique doit être souple et déliée dans la mesure où elle est confrontée à des situations constamment changeantes. Aussi, elle doit rester ouverte à de nombreux possibles et doit sans cesse s’adapter.
32Une des principales difficultés dans la formation à la tactique est de parvenir à enserrer cette complexité entière du jeu dans un système de pensée formé du plus petit nombre possible d’axes fondamentaux mais articulés entre eux dans une unité logique fonctionnelle forte (Deleplace, 1979). Ce système permet de redéployer la complexité à la demande et au besoin du jeu en pleine action. C’est constituer là, une véritable « matrice d’actions », au sens de moyen d’analyse de la genèse des actions, que le sujet développe avec l’expérience (figure 2).
33Il est à noter qu’une ou deux défaites provoquent une perte de confiance en soi qui, à son tour, mène à la peur de perdre et fragilise le moral d’une équipe. Pour éviter ce scénario, sur la base de principes d’organisations collectives acceptés par tous, il faut permettre à chaque joueur de jouer librement tout en étant cohérent avec les matrices d’action.
4. 1. La matrice défensive
34Dans ce cadre, la matrice défensive est l’organisation collective de la défense à la fois la plus simple et la plus générale (Deleplace, 1979). Elle permet d’enrayer le mouvement offensif tenté par l’adversaire momentanément en possession de la balle et ce, quels que puissent être sa forme, son déploiement, ses rebondissements successifs. La distribution des défenseurs entre les différentes lignes de forces peut être ramenée à deux grands prototypes : une défense en barrage est positionnée entre le ballon et la cible ; une défense à la poursuite est une défense momentanément hors de position qui cherche à se repositionner entre le ballon et la cible. En général, avec des rideaux bien positionnés, on vise à maintenir un équilibre défensif.
35A partir d’une étude portant sur les récupérations de la balle en football, Duprat (2005) identifie quatre règles fondamentales de la défense en football.
Se placer en barrage par rapport au ballon et / ou son adversaire direct, pour protéger son but. Conserver le jeu adverse loin de la cible.
Donner priorité à la prise en charge du porteur de balle, le harceler sans être éliminé, en le poussant à la faute. Attendre le moment opportun (supériorité numérique) pour entrer dans l’action de reconquête.
Interdire le jeu dans l’axe du terrain et l’orienter sur les côtés, pour éloigner la balle de l’entonnoir et fermer les angles de tir.
Conserver une attitude agressive tout au long de l’action dans la pression exercée sur les adversaires. Faire preuve d’une vigilance sans faille (marquage bien compris) jusqu’à la récupération du ballon.
4. 2. La « situation à double effet »
36En fonction de la logique du jeu, la réversibilité des situations souligne l’immédiateté du passage d’attaquant à défenseur et met en évidence la notion de situation à double effet (Deleplace, 1966 ; 1979). La réversibilité des situations représente un aspect fondamental des sports collectifs en rapport avec le fait que les équipes attaquent ou défendent à tour de rôle. Cette réversibilité est à considérer dans un rapport dialectique continuité / rupture :
soit une circulation du ballon et/ou des joueurs pour mettre en place une configuration opportune qui peut amener une rupture momentanée de l’état d’équilibre du système attaque / défense avec un danger de but si l’exécution est rapide et bien assurée ; enfin, en cas d’échec de l’action vers le but, les attaquants enchaînent vers d’autres configurations du jeu avec conservation du ballon pour attendre ou provoquer une autre opportunité ;
soit rupture définitive de l’action de jeu par perte de la balle, les défenseurs récupèrent la balle et deviennent attaquants. En fonction du lieu de récupération, des séquences de jeu (contre-attaque, passage rapide, attaque de position) s’imposent pour espérer réussir un but.
37A l’interface de l’attaque et de la défense, la « situation à double effet » renvoie à deux aspects essentiels : (1) récupérer le ballon pour la défense ou conserver le ballon pour l’attaque ; (2) constituer une réserve axiale pour attaquer tout de suite ou être replacé pour s’opposer tout de suite à l’offensive (Gréhaigne, 2007).
4. 3. Matrice offensive
38La matrice offensive, à l’inverse de la matrice défensive qui est d’abord une organisation face aux éventualités offensives, est en premier lieu le choix affirmé d’une manière de pénétrer dans le système défensif adverse en fonction de sa configuration momentanée. Cela renvoie soit à une contre-attaque, soit à une action visant à attaquer la dimension momentanément faible. Eventuellement, cela pourrait renvoyer à une attaque de la dimension forte si l’on pense pouvoir la transformer. Selon les configurations défensives, le premier choix repose souvent, en fonction du lieu de récupération de la balle, sur l’alternative « pénétrer ou contourner le système défensif ». Il s’agit donc, en utilisant les trajets des joueurs et les trajets et trajectoires de la balle, de créer un déséquilibre en prenant de l’avance sur le replacement défensif adverse et réussir la réalisation. Ici, plusieurs cas sont à envisager. Tout d’abord, le déséquilibre n’existe pas : il faut alors le créer en amenant le ballon en avant de l’espace de jeu effectif (Gréhaigne, 1992), en récupérant la balle en avant de cet espace de jeu effectif ou encore, en attaquant dans la dimension momentanément faible de la défense. Ensuite, quand le déséquilibre préexiste, les joueurs doivent l’exploiter en conservant cette avance avec, par exemple, un jeu en peu de relais car le temps disponible pour marquer est réduit. Enfin, en l’absence de tout déséquilibre, il s’agit d’exploiter la moindre faute d’inattention ou une défaillance individuelle des adversaires ou encore forcer ces derniers à commettre des erreurs. Bien tirer parti des phases statiques constitue aussi un moyen de marquer avec une défense en barrage.
5. Robot football et tactique
39Pour finir ce tour d’horizon autour de la pensée et de l’intelligence tactique, nous allons nous intéresser à la robotique en football. Pour les robots, l’objectif à long terme est de construire un système d’apprentissage où ceux qui auront appris généreront les comportements appropriés et gagneront le match. Riedmiller, Merke, Meier, Homann, Sinner, Thate, et Ehrmann (2001) affirment que le domaine du football permet plus de (108x50)23 positionnements différents des 22 joueurs et du ballon. L’état complet des possibles, compte tenu des vitesses d’objets et de l’endurance des joueurs, est encore de plus grande ampleur. Dans chaque cycle, même un non-porteur de balle peut choisir entre plus de 300 commandes de base, ce qui donne un choix de 300 actions conjointes pour l’équipe par cycle. Pour optimiser les réponses dans chaque cycle une chaîne de décisions de Markov est utilisée.
40Une chaîne de Markov est un outil statistique qui permet, pour un système à temps discontinu ou/et à une succession d’états, une prédiction du futur qui n’est pas rendue plus précise par des éléments supplémentaires d’information concernant le passé. Toutes les informations utiles pour la prédiction du futur sont contenues dans l’état présent du processus. Dans notre cas, l’ensemble de l’affrontement se compose de la position et de la vitesse des 22 joueurs et du ballon, représenté par n vecteurs de 22 dimensions de commandes basiques pour passer-tirer / tourner / accélérer.
41Ici, la tentative est de remplacer la complexité par la complication car ce qui est compliqué peut se réduire à un principe simple avec un certain nombre d’opérations (Morin, 1977). Le problème, c’est le temps nécessaire pour effectuer ces opérations : trop de temps et le ballon est passé. A l’heure actuelle, dans le domaine du robot football, les algorithmes connus n’ont aucune chance de trouver une réponse dans le temps raisonnable. Par conséquent, ce qui est important concerne deux questions non résolues : l’une est la réduction de la complexité, l’autre est la question de l’apprentissage dans les systèmes de décision. L’affrontement en football reste un système complexe. On est alors tenté de passer à des modélisations qui réduisent la complexité vers une réponse probabiliste. Un système complexe est, par définition, un système que l’on tient pour irréductible à un modèle fini, quels que soient sa taille, le nombre de ses joueurs et leurs interactions. La notion de complexité implique celle d’imprévisible possible : pour un observateur, il est complexe précisément parce qu’il tient pour certain l’imprévisibilité potentielle des comportements. Enfin, chaque transition dans le jeu entraîne des coûts qui se produisent, lorsqu’une action est appliquée dans la situation.
42Pour en revenir à l’état actuel de la réflexion sur la robotique en football, on identifie trois sources de complexité : le nombre de configurations du jeu à traiter, le nombre d’actions et le nombre de décisions qui doivent être prises jusqu’à ce qu’une trajectoire soit terminée, si possible avec succès. Pour économiser des lignes de commande, l’astuce consiste donc à fournir autant de mesures qui pourraient être utiles pour une bonne organisation mais pas plus. Sur le plan des commandes de base, il est très difficile de décider quelles actions sont réellement nécessaires dans une certaine situation. D’une manière générale, un joueur a besoin de séquences visant à attraper, à dribbler et à frapper le ballon. Cette modélisation présente deux aspects importants : elle réduit considérablement le nombre d’actions disponibles pour le joueur ainsi que le nombre de décisions prises par celui-ci. Un mouvement est une séquence d’actions de base qui transforme la situation actuelle vers un nouveau contexte dans un temps contraint. La situation qui en résulte est une configuration du jeu qui présente des aspects positifs ou négatifs. A cet effet, sur le plan tactique, Riedmiller et al. (2001) proposent une modélisation où chaque joueur doit décider parmi les coups suivants : intercepter la balle, aller dans l’une des huit directions, attendre à sa position, passer la balle à son coéquipier (10 choix), tirer au but en trois variantes, dribbler dans l’une des huit directions retenues. Cela fait un ensemble de dix actions dans des situations où le joueur n’a pas la balle et 22 actions lorsque le joueur possède le ballon. Aucun joueur ne peut gagner le match tout seul et, par conséquent, les joueurs doivent apprendre à coopérer et à coordonner leur comportement : une stratégie de l’équipe ne peut fonctionner que si chaque joueur agit de manière fiable et contribue à l’objectif commun.
43Pour l’instant, devant la difficulté des problèmes, les premières expériences ont été réalisées en 2 contre 2 avec des défenseurs qui ont une stratégie fixe : ils se dirigent vers le ballon et, s’ils l’attrapent, ils passent directement à l’objectif des attaquants, marquer. Une des conditions retenues pour les attaquants est qu’ils doivent marquer le plus vite possible. En conséquence, dans le robot football, la programmation du jeu peut être considérée comme complexe. Ses principales propriétés sont une continuité de différents états, le grand nombre de commandes à la base et le grand nombre de coopérations exigées. Ainsi, ici aussi, encore beaucoup de questions de recherche restent très ouvertes. En conclusion, cette brève incursion dans le domaine de la programmation des robots souligne bien la difficulté que représente le fait de planifier des décisions en football et en sport collectif en général. Les modèles intermédiaires, les configurations prototypiques (Gréhaigne, Marle, & Zerai, 2013), les images opératives trouvent ici une justification avérée et soulignent bien le potentiel du cerveau humain à traiter de système complexe. Si les systèmes complexes ne sont pas réductibles à des modèles explicatifs simples, ils nous sont pourtant intelligibles. Nous pouvons à chaque instant tenter de les modéliser, autrement dit créer des constructions symboliques à l’aide desquelles nous pourrons raisonner à propos des configurations du jeu.
6. Conclusion
44Pendant longtemps, la culture tactique d’un joueur a été considérée comme un don et, de ce fait, difficilement transmissible par l’apprentissage. Heureusement, la communauté sportive a évolué par rapport à cette conception et la formation tactique devient un enjeu fondamental dans la culture d’un joueur. Le joueur doit donc prendre appui sur le potentiel inscrit dans la configuration du jeu pour prendre une « cascade de décisions » tout au long de l’évolution du jeu. Ainsi se trouve exclue l’idée de prédéterminer totalement le cours des événements en fonction d’un plan qu’on aurait dressé à l’avance. Ici, l’évaluation voire le calcul remplace la planification. A partir d’un cadre de références précis, le rapport d’opposition peut être évalué pour dégager un potentiel qu’il suffira d’exploiter. C’est le passage de l’évaluation des forces en présence au potentiel qui s’en dégage qui représente un moment clé de la réflexion. Le joueur peut s’appuyer sur les facteurs prometteurs de la configuration du jeu qu’il a su déceler en vue de l’utiliser en sa faveur.
Auteur
GRIAPS. IUFM de l’Université de Franche-Comté. France
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