Chapitre 6. La progression et les ruptures d’apprentissage en histoire
Atelier thématique coordonné par Jean-Louis Jadoulle
p. 101-111
Texte intégral
1. L’enseignement de l’histoire du maternel à la fin du secondaire sous le regard de l’inspection : quelles continuités, quelles discontinuités ? (R. Godet)
11° Le choix de s’attacher plus particulièrement à la discipline historique repose ici sur une double motivation. Une première relève de l’évolution cognitive du jeune enfant, mais aussi de l’adolescent. À l’école, c’est souvent – mais pas exclusivement – à travers le cours d’histoire que l’élève développe et structure sa représentation du temps dans son aspect déroulement successif ou simultané ou dans son aspect durée.
2Une deuxième motivation réside dans la place importante que revêt la formation historique, tant au niveau des démarches mises en œuvre que des savoirs appris, dans le développement d’un futur citoyen.
32° Au niveau maternel et au début de l’enseignement primaire, c’est certes par facilité que l’on utilisera le terme « histoire ». La spécificité de la discipline historique émerge en effet progressivement, mais c’est sur la base des acquis construits, tout particulièrement en ce qui concerne la notion de temps, durant ces premières années de la scolarité que cette spécificité se développe.
4On considèrera donc ici aussi bien les constats posés à propos de la construction du temps en maternel et au début du primaire que ceux portant sur la discipline historique proprement dite plus tard dans la scolarité. Ajoutons également que, durant l’année scolaire 2009-2010, l’attention de l’inspection de l’enseignement secondaire s’est plus particulièrement portée sur le deuxième degré, degré charnière qui voit notamment les élèves passer d’un enseignement dispensé par des AESI (professeurs de cours généraux) à un enseignement dispensé par des AESS (agrégés de l’enseignement secondaire supérieur) . L’inspection d’histoire, comme celle d’autres disciplines relève le fréquent manque de cohésion entre les deux années constitutives de ce degré. On ne s’attardera pas longuement ici sur ce constat qui n’est pas propre à l’histoire.
5Une première observation porte sur le temps consacré à cette discipline.
6Au niveau de l’enseignement maternel et de l’enseignement primaire, quand on cumule ces activités à celles relevant de l’aspect plus géographique, l’inspection relève qu’elles représentent en moyenne dans les classes visitées 4 % du volume horaire pris en charge par le titulaire de classe. Cela représente environ 1,7 période hebdomadaire dans l’enseignement primaire et 2,6 périodes dans l’enseignement maternel. Ceci est loin d’être négligeable.
73° L’inspection relève, quel que soit le niveau (maternel, primaire ou secondaire), bon nombre d’avancées significatives. À cet égard, on peut citer, l’importance de l’attention accordée en maternel et en primaire à l’utilisation de repères de temps (dans 78 % des activités en maternel et dans 59 % des activités en primaire) et de représentations du temps (dans 63 % des activités en maternel et dans 61 % des activités en primaire). On peut également citer une utilisation intense d’outils diversifiés de représentation du temps en maternel, moins intense en primaire, niveau auquel l’inspection s’étonne de n’avoir relevé l’utilisation de lignes du temps que dans un peu moins d’une activité sur deux. L’inspection note également, pour ces deux niveaux que ces outils concernent davantage la succession des évènements que leur durée. Dans le cadre des investigations menées en 2009-2010, on n’a pas pu envisager le suivi accordé à ces constructions au premier degré de l’enseignement secondaire, niveau d’études fréquenté par des adolescents qui ont pour la plupart encore des progrès à réaliser dans cette notion importante.
8Au niveau de l’enseignement primaire, l’inspection relève que la lecture des traces du passé et l’exploitation des sources historiques, démarches encore assez neuves à ce niveau de la scolarité, trouvent progressivement une place au sein des activités d’histoire, des pratiques allant dans ce sens ont été observées dans près de la moitié des activités observées.
9L’inspection de l’enseignement secondaire relève dans la même perspective que dans la quasi-totalité des classes visitées, les élèves ont là aussi été confrontés à des analyses documentaires de natures différentes. Elle relève toutefois que d’autres savoir-faire spécifiques sont moins mobilisés (comparaison de documents, distinction entre faits et opinions, communication), il s’agit pourtant là de composantes indispensables d’une formation historique, mais aussi citoyenne. La mise en œuvre de ce type de démarche est également mise en évidence par l’inspection du cours de morale.
10L’inspection de l’enseignement secondaire relève également certaines difficultés liées à des dérives propres à certaines écoles au niveau primaire ou au niveau du premier degré secondaire. Certains pouvoirs organisateurs ont fait le choix d’intégrer les apprentissages liés à l’histoire dans des ensembles plus vastes et davantage pluri- ou interdisciplinaires. Ce choix ne doit évidemment pas conduire les équipes pédagogiques de ces niveaux à ignorer la spécificité des savoirs et savoir-faire historiques et à laisser croire que l’apprentissage proprement dit de l’histoire ne débute qu’en troisième secondaire. Dans le même ordre d’idée, commencer le cours de troisième par une longue introduction visant à initier à la démarche historique semble dénué de sens pour les élèves et occupe une part importante du temps au détriment d’autres apprentissages prévus au programme. Ce sont les activités pédagogiques de l’année qui doivent permettre de faire vivre la démarche historique afin qu’ainsi les élèves se l’approprient.
114° En ce qui concerne les savoirs, au niveau de l’enseignement primaire, on ne s’étonnera pas que l’inspection relève que, au-delà de grandes thématiques, le choix des notions à aborder est soumis à l’appréciation de chaque enseignant et est, dès lors, très variable. L’imprécision des référentiels à ce sujet avait déjà été pointée par l’inspection. Malgré la continuité chronologique majoritairement observée au degré supérieur du primaire, les conséquences de cette imprécision sont nombreuses : absence de « culture commune » d’une école à l’autre, voire d’une classe à l’autre, synthèses trop longues, trop détaillées et de ce fait inopérantes de crainte d’omettre quelque chose, absence de continuité, répétitions fastidieuses. La définition de notions précises à apprendre, au niveau du degré supérieur de l’enseignement primaire tout particulièrement, mais pas exclusivement, devrait être une préoccupation prioritaire. À ce niveau, l’inspection relève également la pratique de l’assouplissement du titulariat pour l’histoire, pratique porteuse là où c’est possible, notamment en matière de planification, pour autant que le lien avec les enseignants chargés des autres disciplines soit assuré.
12Au niveau du deuxième degré de l’enseignement secondaire, l’inspection relève des difficultés en ce qui concerne la couverture du programme, seulement quarante-six, soit un peu plus de la moitié, des professeurs concernés par les investigations menées cette année parviennent à couvrir l’ensemble des passages obligés concernés.
13L’inspection d’histoire relève plusieurs facteurs pouvant expliquer cette difficulté. Elle insiste toutefois sur une cause profonde à la base de cette difficulté. L’inspection relève ainsi que près de quatre enseignants sur dix n’amènent pas les élèves à structurer les savoirs autour de certains concepts prévus dans les référentiels et les programmes (par exemple : caractéristiques d’un pouvoir d’un certain type, stratification sociale en lien avec ce type de pouvoir, etc.).
14Cette absence de structuration des savoirs autour de concepts conduit évidemment à l’énumération encyclopédique – et parfois, dans un souci d’exhaustivité, bien au-delà de ce qui est attendu à ce niveau de scolarité – de savoirs isolés qui apparaissent comme étant autant d’anecdotes à la plupart des élèves. L’inspection relève également que les enseignants qui optent pour cette organisation des savoirs autour de concepts ne rencontrent guère de difficultés en matière de couverture du programme, mais que, par contre, leurs collègues ignorant cette démarche n’arrivent pas à couvrir le programme.
15Cette organisation de l’apprentissage des savoirs historiques autour de concepts devrait assurément faire l’objet d’une priorité en matière de formation initiale ou continuée ou de productions d’outils.
165° Enfin dans l’optique d’une contribution de la formation historique au développement d’une citoyenneté consciente et responsable, un constat posé par l’inspection interpelle. Il est ainsi relevé que le cours d’histoire repose le plus souvent encore plus sur la redécouverte de savoirs conventionnels et admis que sur un questionnement nourri par la manière dont s’écrit l’histoire. Ce constat concerne davantage les enseignants des niveaux primaire et secondaire inférieur dont la formation initiale prend moins en compte l’appropriation de l’épistémologie de la discipline. Pourrait-il en être autrement dans le cadre temporel dans lequel cette formation initiale est inscrite ?
2. Les programmes d’éveil et de formation historique dans l’enseignement maternel, primaire et secondaire en Communauté française de Belgique : continuités et discontinuités (J.-L. Jadoulle)
17L’examen des programmes d’histoire en vigueur en Communauté française, du préscolaire à la fin du secondaire, tous réseaux et toutes filières confondus, révèle d’abord un certain nombre de continuités fortes.
18L’ensemble des auteurs de ces programmes s’accordent autour d’une définition de l’enseignement et de l’apprentissage qui semble marquée par les théories d’inspiration constructiviste : enseigner n’est pas transmettre… et apprendre, pour l’élève, c’est chercher, enquêter, construire son savoir.
19La conception de l’histoire comme discipline scientifique ne fait guère plus de débat. Même si les développements épistémologiques sont rares dans les programmes actuellement en vigueur, l’histoire semble définie comme une « enquête » (du grec, historia, « recherche, enquête, information ») qui se fonde sur l’étude des « traces du passé » et qui débouche sur une « reconstitution » ou une « reconstruction » du passé.
20Conformément à cette définition, les différents programmes en vigueur en Communauté française s’accordent également pour confier à l’enseignant la tâche de faire vivre à ses élèves la « démarche de l’historien ». Celle-ci est évidemment adaptée à l’âge des apprenants et peut se résumer en quelques grandes étapes : s’interroger, rechercher de la documentation, la traiter (ou la mettre en contexte), l’analyser, la critiquer, interpréter les informations, communiquer son interprétation, transférer ses connaissances à des situations nouvelles.
21Cette démarche de l’histoire, qu’il conviendrait donc de faire vivre aux « historiens en herbe » que sont les élèves, du préscolaire à la fin du secondaire, est considérée de façon également unanime comme le moyen d’atteindre les trois finalités fondamentales de l’enseignement de l’histoire que sont :
- la finalité intellectuelle : maitriser le temps d’abord, puis les opérations intellectuelles que la démarche de l’historien permet de faire apprendre ;
- la finalité patrimoniale : faire apprendre un certain nombre de repères de savoirs qui permettront d’incorporer les élèves dans la « culture » qui est la nôtre, et ce tout en découvrant l’existence et la richesse des autres « cultures » ;
- la finalité citoyenne : grâce à cette formation intellectuelle et patrimoniale, outiller les élèves en vue de la compréhension du présent et contribuer à faire d’eux des citoyens critiques et actifs dans le monde de demain.
22Ces convergences sont d’autant plus fondamentales qu’elles touchent aux conceptions de l’apprentissage, de l’histoire comme discipline scientifique et comme discipline scolaire. Elles ne doivent toutefois pas occulter un certain nombre de divergences.
23Si l’ensemble des programmes s’accordent pour définir la discipline scientifique de l’historien comme une enquête qui débouche sur un « construit », la question de l’objet de cette enquête divise les concepteurs des différents programmes. Deux conceptions cohabitent en effet. Dans l’enseignement officiel, toutes filières confondues et dès le niveau préscolaire, mais de façon nuancée aux cycles 1 et 2, ainsi que dans les filières de transition de l’enseignement catholique, l’objet de l’histoire est défini comme la vie des hommes dans le passé. Cette prise de position épistémologique n’est pas partagée par les auteurs du programme d’« étude du milieu », au premier degré de l’enseignement secondaire dans les établissements affiliés à la Fédération de l’enseignement secondaire catholique (FESeC), ainsi que par les auteurs du programme de « sciences humaines » en vigueur dans le même réseau, dans les filières de qualification et professionnelles. Dans ces deux programmes, l’objet de l’histoire est la vie des hommes aujourd’hui, l’étude du passé étant ordonnée à la compréhension du présent. Cette divergence renvoie à une forme de tension existant entre les finalités patrimoniale et citoyenne de l’enseignement de l’histoire. Si l’option prise dans les programmes d’« étude du milieu » et de « sciences humaines » parait plus cohérente avec la finalité citoyenne affichée dans tous les programmes, dans quelle mesure ce choix se fait-il au détriment de la fonction patrimoniale et des « connaissances culturelles » des élèves ? La réponse à cette question mériterait une recherche empirique. Les résultats seront sans doute d’autant plus nuancés que ces programmes d’« étude du milieu » et de « sciences humaines » comportent un nombre important de savoirs à « valeur patrimoniale » et dont la connexion avec le monde contemporain est, sinon peu évidente, souvent non précisée.
24Sur ce plan des savoirs, d’autres divergences sont manifestes. Dans l’enseignement préscolaire et primaire, les programmes sont d’abord et avant tout orientés vers l’apprentissage du temps. Par contre, les programmes qui leur font suite n’en disent quasiment plus mot : la maitrise du temps serait-elle définitivement assurée à douze ans, pour tous nos élèves ?
25À la fin de l’enseignement primaire (cycle 3) et au premier degré de l’enseignement secondaire, les savoirs dont l’enseignant a la charge relèvent de ce que les programmes appellent le « mode de vie ». Depuis l’introduction du nouveau programme d’« étude du milieu », en 2009, cette option a gagné les deux principaux réseaux d’enseignement. Le caractère assez ouvert, voire très flou de la notion de « mode de vie » et le manque de concertation entre les auteurs des différents programmes, y compris dans un même réseau, pose toutefois certains problèmes en terme de choix de ces savoirs et de progression dans leur apprentissage, entre dix et quatorze ans.
26Il en est de même des concepts, qui fleurissent jusque et y compris à la fin de l’enseignement secondaire, surtout dans les filières de transition, mais également dans celles de qualification et dans l’enseignement professionnel organisé dans les établissements de la FESeC.
27Enfin, l’examen des savoirs inscrits dans les programmes des deuxième et troisième degrés de l’enseignement secondaire, tous réseaux confondus, permet de mettre en évidence la persistance des contenus historiques traditionnels, ceux-ci étant ordonnés dans l’ordre chronologique. Au risque de créer un certain hiatus avec le projet affiché par ces mêmes programmes, projet visant à d’ordonner la découverte du passé à la compréhension du présent ?
28Ces choix différents, tant sur le plan de l’objet de l’enseignement de l’histoire que sur le plan des savoirs à enseigner, se doublent d’options différentes quant aux compétences qu’il s’agit de faire apprendre.
29On évoquera rapidement le caractère mouvant du vocabulaire utilisé pour désigner les objectifs de l’apprentissage. En effet, derrière le consensus légal, c’est-à-dire les « socles de compétences » et les « compétences terminales » qu’il s’agit de faire apprendre, les programmes fourmillent d’appellations multiples à travers lesquelles on peine à comprendre. D’un programme à l’autre, mais souvent aussi au sein d’un même programme, les « socles de compétences » ou les « compétences terminales » sont habillées d’étiquettes variées : « compétences transversales », « compétences d’intégration », « compétences spécifiques », etc. Ces appellations, qui empruntent au vocabulaire de la pédagogie de l’intégration ou de l’« approche par compétences », voisinent avec d’autres, plus anciennes : « capacités », « savoir-faire », « savoir-faire à caractère historique », « savoir-faire à caractère transdisciplinaire », « attitudes », « aptitudes », etc. La confusion atteint son paroxysme quand un même objectif d’apprentissage est dénommé différemment dans des programmes distincts1.
30Même si elle nous semble très peu propice à faire la clarté sur le concept de compétence, et donc très propice à jeter trop facilement le doute sur l’« approche par compétences », cette « valse des appellations » nous parait moins problématique que la coexistence de deux compréhensions théoriques différentes de cette approche. La conception dominante peut être qualifiée de « généraliste » ou « longitudinale »2. C’est, du reste, celle qui prévaut dans la toute grande majorité des disciplines qui composent le cursus d’enseignement en Belgique francophone. Dans cette perspective, les compétences qui ont été définies correspondent tantôt à des capacités générales (savoir écrire, savoir observer, savoir analyser, etc.), tantôt à des savoir-faire techniques (résoudre une équation, accorder un participe passé, etc.), tantôt encore à des attitudes (faire preuve d’autonomie, planifier son travail, etc.). Certains de ces énoncés nous semblent manifester la persistance de l’optique transversale qui avait présidé à la définition des compétences dites « transversales », au premier degré de l’enseignement secondaire, en 1993. Dans d’autres cas, la dimension intégrative, notamment en termes de savoirs à mobiliser, nous parait faire défaut. Elle est pourtant inhérente à la définition de la compétence telle qu’elle a été formulée, en Communauté française de Belgique, dans le décret « Missions » de 1997. Celui-ci précise en effet que la compétence est l’« aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches3 ». Enfin, si certains de ces énoncés manifestent effectivement le projet de rendre l’élève capable de résoudre des situations nouvelles et complexes, celles-ci ne sont pas souvent l’objet d’une définition précise en termes de tâche(s) et de conditions d’exécution de celle(s)-ci. Au contraire, l’approche qui sous-tend ces énoncés nous semble plutôt postuler la nécessité de varier les situations à travers lesquelles l’élève développera la compétence : celle-ci est donc vue comme une capacité générale dont le développement passe par la rencontre de situations diverses.
31Le programme d’histoire de l’enseignement catholique se démarque de cette optique. Suite aux formations que la FESeC a organisée, de 1999 à 2001, à l’intention des « groupes à tâches » chargés de l’écriture des nouveaux curriculums, les auteurs du programme d’histoire de 2001 ont fait le choix d’une optique plus « opérationnelle » ou « situationnelle ». Inspirée directement des travaux de De Ketele et Roegiers ainsi que de Beckers4, elle passe par la définition, pour chaque compétence, d’un type ou d’une famille de situations nouvelles et complexes auxquelles les élèves doivent être régulièrement confrontés et à travers lesquelles l’enseignant peut évaluer leur capacité à mobiliser un ensemble de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes, préalablement appris. Conçues par l’enseignant, ces situations nouvelles et complexes ou « situations d’intégration » doivent répondre à un certain nombre de paramètres. Ils sont censés assurer que les différentes situations d’apprentissage et d’évaluation d’une même compétence proposées par un même enseignant ou par des enseignants différents appartiennent bien à la même famille. « Confinée », à l’origine, au programme d’histoire de la FESeC, tel qu’il a été initialement publié en 2001, puis confirmé dans la nouvelle version de 2008, cette optique nourrit également, pour une part, les travaux de la commission inter-réseaux des outils d’évaluation en histoire, laquelle a produit un tableau des « familles de tâches » qui guide la réalisation de ces épreuves d’évaluation des compétences inter-réseaux.
3. Synthèse finale de l’atelier (J.-L. Jadoulle)
32Au terme de leurs travaux, les membres de l’atelier « histoire » ont identifié deux questions de recherche.
33La première question concerne la maitrise du temps. Objet privilégié de l’apprentissage de l’histoire à l’école maternelle et fondamentale, le temps disparait presque entièrement des programmes d’enseignement à partir de l’enseignement secondaire. Sa maitrise est-elle réellement assurée pour tous les élèves, après douze ans ? Tous les enseignants au secondaire ne le pensent pas… Cette disparition trouve un écho dans la littérature scientifique en sciences de l’éducation, laquelle est fort abondante s’agissant de l’apprentissage du temps chez l’enfant, beaucoup moins riche à propos de la maitrise du temps à l’adolescence. Qu’est-ce que « maitriser le temps » à douze, quatorze, seize, dix-huit ans…? Qu’en est-il des apprentissages réels de nos élèves sur ce plan ? Quels dispositifs mettre en œuvre pour entretenir, à l’adolescence, les apprentissages mis en route aux niveaux préscolaire et primaire ? La deuxième question concerne à la fois les « savoirs historiques », ceux que nos élèves apprennent, peu ou prou, et ceux qu’il conviendrait qu’ils apprennent, et la tension entre les finalités patrimoniale et citoyenne.
34La première interrogation pourrait notamment donner lieu à une recherche empirique, comme celle conduite par J.-L. Jadoulle entre 2002 et 2009 et qui porte sur les « acquis culturels » des élèves au sortir du secondaire, leur mesure et leur évolution dans le contexte du développement de l’« approche par compétences ».
35La seconde interrogation, celle sur les savoirs qu’il conviendrait de faire apprendre, pose la question, plus fondamentale, de la nature de la « culture » à « transmettre » à nos élèves. Cette question renvoie à deux conceptions différentes de ce qu’est la « culture ».
36Au carrefour de nombreuses sciences humaines (histoire, anthropologie, sociologie, psychologie, etc.), le terme « culture » compte, à coup sûr, parmi les plus polysémiques. De nombreux auteurs, dont R. D’Andrade5, A.L. Kroeber et C. Kluckholn6, R. Williams7, M.A. Gallego et M. Cole8 ont mis en lumière l’incroyable diversité des définitions qui en sont données. Cette polysémie a même fait dire à d’aucuns que le terme est « un des mots les plus équivoques et les plus trompeurs9 ».
37Dans leur méta-analyse, H. Cote et C. Duquette10 mettent en évidence la coexistence de quatre conceptions différentes de la « culture », dont deux sont agissantes dans le débat actuel entre deux approches de l’enseignement de l’histoire, souvent perçues comme concurrentes : l’approche par compétences et l’approche culturelle.
38Dans la première conception, la « culture » est définie comme un ensemble de productions significatives accumulées par les générations passées et qu’il convient de transmettre pour permettre à l’élève de se situer, comme l’héritier d’un patrimoine. Dans cette perspective, la « culture » se définit comme
un patrimoine de connaissances et de compétences, d’institutions, de valeurs et de symboles constitué au fil des générations et caractéristique d’une communauté humaine particulièrement définie de manière plus ou moins large et plus ou moins exclusive11.
39Pour s’y insérer, le jeune doit s’approprier ses codes et ses références. Ceux-ci lui permettront de prendre la mesure de l’héritage qui, comme le développe notamment H. Arendt12, lui préexiste et auquel il doit pouvoir accéder pour partager le monde qu’il lui revient d’intégrer puis, le cas échéant, de transformer. Cette conception de la culture est dite « patrimoniale ». Elle se distingue de la conception « instrumentaliste » de la « culture ». Dans cette deuxième perspective, la « culture » est vue comme la capacité à agir dans le monde. Pour « être un homme cultivé », il ne suffit pas d’accumuler des ressources : il faut être capable de s’en servir pour donner sens au monde et à son action. La « culture » est donc définie, dans cette seconde conception, comme une tool-kits, selon l’expression de J.S. Bruner13.
40Pour plusieurs auteurs14, ces deux conceptions de la « culture », patrimoniale et instrumentaliste, paraissent peu compatibles. Ils confirment ainsi, sur le plan théorique, la crainte que le projet de faire apprendre des compétences (conception instrumentaliste) ne se fasse au détriment des « connaissances culturelles » des élèves (conception patrimoniale).
41Il paraitrait hautement souhaitable d’approcher de manière empirique cette tension, par exemple en comparant l’efficacité en termes d’« apprentissages culturels » ou « patrimoniaux » de dispositifs d’apprentissage contrastés, les uns portant sur un objet d’enseignement relevant du monde présent et subordonnés à la compréhension de l’aujourd’hui, les autres portant sur le passé et nourris du projet de comprendre la vie des hommes, hier.
Notes de bas de page
1 Ainsi, « utiliser des représentations du temps », qui est désigné tantôt comme un « savoir-faire » (dans les socles de compétences et les programmes d’éveil et du premier degré dans l’enseignement officiel), tantôt comme une « compétence spécifique » (dans le programme intégré de la FédEFoC). « Se poser des questions » est tantôt un « socle de compétence » (programme du premier degré de l’enseignement officiel), une « compétence spécifique » (programme intégré de la FédEFoC), une « compétence terminale » (programmes des deuxième et troisième degrés de l’enseignement officiel et catholique), une « compétence » (programme d’« étude du milieu »), etc.
2 De Ketele, J.-M. & Roegiers, X. (2000). Une pédagogie de l’intégration. Compétences et intégration des acquis dans l’enseignement, Paris/Bruxelles, De Boeck, coll. Pédagogie en développement, p. 96. Elle est aussi qualifiée de « virtuelle » par Jonnaert, P. (2003). Compétences et socio-constructivisme : un cadre théorique, Paris/Bruxelles, De Boeck, pp. 39-40.
3 Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre, 24 juillet 1997, p. 90.
4 Beckers, J. (2002). Développer et évaluer des compétences, Bruxelles, Labor.
5 D’Andrade, , R. (1996). « Culture », in Social Science Encyclopedia, 2nd ed., New York, Routledge, pp. 161-163.
6 Kroeber, A.L. & Kluckholn, C. (1963). Culture : a Critical Review of Concepts and Definitions, New York, Vintage Books.
7 Williams, R. (1976). A Vocabulary of Culture and Society, New York, Oxford University Press.
8 Gallego, M.A. & Cole, M. (2002). « Classroom Cultures and Cultures in the Classroom », in V. Richardon (Ed.), Handbook of Research on Teaching, Washington, American Educational Research Association, pp. 951-997.
9 Forquin, J.-Cl. (1989). École et Culture. Le point de vue des sociologues britanniques. Bruxelles/Paris, De Boeck/Éditions universitaires, p. 9..
10 Côté, H. & Duquette, C. (2009). « Comment comprendre la demande officielle d’une approche culturelle dans l’enseignement de l’histoire au secondaire ? », in J.-Fr. Cardin, M.-A. Éthier & A. Meunier (dir.), Histoire, musées et éducation à la citoyenneté, Montréal, Multimondes, pp. 117- 138.
11 Forquin, J.-C. (1989). Op. cit., p. 10.
12 Arendt, H. (1961). Between Past and Future. Six Exercises in Political Thought, Cleveland, World Publishing Co. (trad. fr. : La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972).
13 Bruner, J.S. (1990). Acts of Meanings, Harvard, Harvard University Press, 1990 (trad. fr. : Car la culture donne forme à l’esprit : de la révolution cognitive à la psychologie culturelle, Paris, Eshel, 1991) ; Id., (1996). The Culture of Education, Harvard, Harvard University Press, (trad. fr. : L’éducation, entrée dans la culture : les problèmes de l’école à la lumière de la psychologie culturelle, Paris, Retz, 1996).
14 Cf. notamment Côté, H. & Duquette, C. (2009). Op. cit., p. 130 ; et Forquin, J.-Cl. (1989). Op. cit., pp. 8 et 20.
Auteurs
Inspecteur général de la Communauté française.
Professeur de didactique de l’histoire à l’Université catholique de Louvain (UCL) et à l’Université de Liège (ULg).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Identité professionnelle en éducation physique
Parcours des stagiaires et enseignants novices
Ghislain Carlier, Cecília Borges, Clerx Marie et al. (dir.)
2012
Progression et transversalité
Comment (mieux) articuler les apprentissages dans les disciplines scolaires ?
Ghislain Carlier, Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays et al. (dir.)
2012
La planification des apprentissages
Comment les enseignants préparent-ils leurs cours ?
Mathieu Bouhon, Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays et al. (dir.)
2013
Le plaisir de chercher en mathématiques
De la maternelle au supérieur, 40 problèmes
Laure Ninove et Thérèse Gilbert (dir.)
2017
La pratique de l’enseignant en sciences
Comment l’analyser et la modéliser ?
Manuel Bächtold, Jean-Marie Boilevin et Bernard Calmettes
2017
Vers l’interdisciplinarité
Croiser les regards et collaborer dans l’enseignement secondaire
Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays, Jim Plumat et al. (dir.)
2016
Didactiques et formation des enseignants
Nouveaux questionnements des didactiques des disciplines sur les pratiques et la formation des enseignants
Bernard Calmettes, Marie-France Carnus, Claudine Garcia-Debanc et al. (dir.)
2016
Donner du sens aux savoirs
Comment amener nos élèves à (mieux) réfléchir à leurs apprentissages ?
Jean-Louis Dufays, Myriam De Kesel, Ghislain Carlier et al.
2015
L’apprentissage en situation de travail
Itinéraires du développement professionnel des enseignants d’éducation physique
Ghislain Carlier (dir.)
2015
Le curriculum en questions
La progression et les ruptures des apprentissages disciplinaires de la maternelle à l’université
Myriam De Kesel, Jean-Louis Dufays et Alain Meurant (dir.)
2011
Les voies du discours
Recherches en sciences du langage et en didactique du français
Francine Thyrion
2011