Chapitre 4. La progression et les ruptures d’apprentissage en français
Atelier thématique coordonné par Jean-Louis Dufays
p. 69-92
Note de l’auteur
L’atelier a également bénéficié de la participation de Catherine Deschepper et Marielle Wyns, maitres formatrices à la Haute École Léonard de Vinci.
Texte intégral
1. Comment des étudiants d’une Haute École perçoivent-ils leur parcours scolaire et la progression en français ? Analyse des résultats d’un sondage (I. Kalinowska)
1.1. De quel sondage s’agit-il ?
1Il s’agit en réalité de trois sondages organisés auprès de trois groupes d’étudiants d’une Haute École du réseau de la Communauté française de Belgique (Institut pédagogique Defré, rattaché à la Haute École de Bruxelles) à Uccle. Les groupes interrogés en étaient au début de leur cursus de formation suivi au sein de la section normale préscolaire et de la section normale secondaire. Sur ces trois sondages, les deux premiers ont été réalisés à la rentrée 2010 (le 17 et le 20 septembre) et le troisième, au courant du mois de mars 2011.
2Les objectifs de ces deux premiers sondages étaient divers. Citons, pour commencer, ceux qui ont été formulés de manière explicite :
susciter la réflexion sur le parcours scolaire et sur le rôle du vécu personnel au cours de la formation ;
interroger les représentations relatives au futur métier à partir de l’identité d’ancien élève ;
faire surgir les motivations qui ont présidé au choix d’une formation pédagogique ;
réaliser, avec les étudiants, un instantané des différentes composantes de leur motivation au début de leur formation professionnalisante.
3D’autres objectifs étaient poursuivis en parallèle :
faire la connaissance des étudiants qui allaient travailler dans le cadre du cours de français s’étalant, dans un cas, sur 215 heures et sur 70 heures dans l’autre ;
renouveler une expérience pratiquée depuis sept ans et qui consiste à mener une enquête sur les rapports que chacun des étudiants entretient avec la matière qui lui est enseignée. En effet, la pratique du sondage remonte à 2004. Comme dans mes expériences d’enseignement précédentes, l’hétérogénéité des groupes et celle des niveaux de savoir-faire réellement acquis m’ont amenée à m’interroger sur les conditions dans lesquelles les étudiants avaient eu à construire leurs compétences en français. Le document qui m’a, dès le début de ces sondages, servi de repère dans l’appréciation des compétences est la « Ressource 290 » publiée par le Ministère de la Communauté française en 1999 sous le titre de Compétences terminales et savoirs requis en humanités générales et technologiques.
4Le troisième sondage de la série a été réalisé à la fin du mois de mars 2011 auprès des étudiants en section normale secondaire. L’évaluation de la progression en français a été cette fois-ci l’objectif principal et explicite. La difficulté objective à aborder la question de la progression est la raison pour laquelle seuls les étudiants en section normale secondaire ont été consultés.
5Au total, quarante-deux questionnaires ont été dépouillés.
1.2. Qui étaient les étudiants interrogés dans le cadre de ces trois sondages ?
6Les étudiants interrogés étaient (et sont toujours) de futurs professeurs de français au degré inférieur de l’enseignement secondaire (que l’on désigne, en français de Belgique, du terme « régents », mot sorti d’usage en français de France depuis un bon siècle) et de futurs instituteurs préscolaires (public majoritairement féminin). Tous les réseaux de l’enseignement belge francophone étaient représentés, même si les étudiants qui ont effectué leurs classes dans le réseau officiel semblaient constituer une bonne moitié dans chaque groupe. Il est difficile d’établir sur ce point des statistiques précises, et cela pour deux raisons :
une bonne partie a effectué un parcours diversifié en changeant d’école et de réseau à plusieurs reprises ;
en début d’année, les étudiants venant du réseau catholique dans une école supérieure du réseau officiel n’aiment pas déclarer le détail de leur formation, et cette hésitation a toujours été présente ; bien entendu, ces inhibitions tombent complètement en cours d’année.
7Signalons aussi la présence, parmi les quarante-deux étudiants interrogés, de six allophones2 qui ont réalisé l’ensemble ou une partie de leur parcours en dehors de la Communauté française de Belgique. Notons enfin que pour une partie importante des étudiants francophones le français n’est ni la langue maternelle ni même la langue parlée actuellement dans leur entourage immédiat3.
8Un autre point à souligner est l’ensemble des différences entre les deux groupes interrogés. En effet, les futurs instituteurs préscolaires se distinguent des futurs professeurs de français sur plusieurs points.
9Le premier point est, globalement, la nature de la motivation des étudiants de l’un et de l’autre groupe, qui est différente.
10Le choix de la formation en section préscolaire résulte le plus souvent d’une décision prise directement après les études secondaires. Il s’agit du « premier choix » des étudiants.
11Le choix de la formation en section normale secondaire est différent. Le groupe réunissait en début d’année une bonne trentaine (34) d’étudiants suivant deux options différentes : « français-morale » (8-9) et « français langue étrangère ». Sur cette trentaine d’étudiants, seuls cinq ou six ont choisi cette orientation de manière spontanée, « par vocation » ou par volonté de devenir enseignants. Ils avaient apprécié le cours de français, ils avaient trouvé la personnalité de leur professeur attachante et ils ont décidé de faire ce métier à leur tour. Pour tous les autres étudiants, la formation pédagogique a été un second choix, suite à un échec à l’université ou dans d’autres filières de formation. Quelques personnes se sont inscrites dans l’idée d’améliorer leur statut professionnel et de trouver un emploi garanti par l’opportunité que représente, aux yeux de beaucoup, la pénurie actuelle.
12Ces deux grandes sortes de motivation correspondent à deux regards différents que les membres de chacun des deux groupes portent sur leur parcours passé. Les étudiants en section normale préscolaire portent sur leur parcours un regard pragmatique. Ils s’expriment avec franchise et donnent des détails à propos des différents cycles de leur parcours. Dans leurs réponses il y a très peu de stratégies. La plupart reconnaissent d’emblée leurs lacunes et ils reviennent sur les différentes étapes en identifiant directement les points faibles qu’ils souhaiteraient améliorer, voire retravailler entièrement.
13Interrogés au début de l’année, les « régents » sont pour la plupart persuadés d’être « bons », voire « très bons » en français puisque, ayant échoué à l’université dans des orientations d’études différentes, nombre d’entre eux se sont entendu signifier qu’ils réussiraient sans difficulté dans une école supérieure. Un autre aspect attire l’attention dans leurs réponses : leurs souvenirs évoqués en début d’année concernent presque exclusivement les deux ou trois dernières années d’enseignement secondaire. Quant aux impressions du premier degré, elles font l’objet d’une amnésie étonnante, du moins dans le sondage de septembre. Nous verrons dans quelques instants à quoi est liée cette amnésie ou, plus précisément, cette discrétion.
14Le deuxième point qui distingue les deux groupes soumis au sondage est le niveau de compétences.
15Parmi les étudiants en section préscolaire, le français n’est pas véritablement considéré comme la matière d’enseignement, même si, interrogés, ils reconnaissent unanimement qu’il est l’outil principal dans l’exercice de leur métier. Beaucoup disent toutefois à quel point ils craignent de « faire des fautes d’orthographe ». Je n’insisterai pas ici sur la difficulté objective qu’ont représentée la lecture et surtout la compréhension de certains questionnaires du sondage de ce groupe.
16Parmi les étudiants en « régendat », le français est, bien entendu, la matière d’enseignement, mais il n’est pas pour autant une langue vraiment maitrisée par tous. Deux personnes ont avoué qu’elles avaient du mal à lire des questions rédigées « en bon français » et qu’elles se sentaient bien « en dessous » de ce niveau-là. Dans ce groupe aussi, le déchiffrage de certaines réponses n’a pas été une mince affaire non plus.
17Ces informations sur le public interrogé et sur les conditions de réalisation des sondages peuvent paraitre des détails inutiles. Ces précisions sont toutefois indispensables même, et surtout quand on s’adresse à des collègues, qui n’ignorent pas la complexité de toute situation d’enseignement/apprentissage. La progression est à l’évidence une donnée qualitative, et même si on voulait s’en tenir à une approche strictement quantitative, il faudrait encore et toujours faire parler les chiffres. Pour que nos enquêtes satisfassent aux exigences de rigueur propres aux méthodes quantitatives, nous aurions dû, sans doute, étaler davantage notre démarche dans le temps et surtout élargir considérablement la population interrogée. Il aurait fallu, pour commencer, sortir du cadre d’une seule école et analyser des données venant des Hautes Écoles de tous les réseaux en Communauté française de Belgique4. Pour recueillir des données réellement pertinentes, il aurait fallu en passer par des questionnaires multiples et encore plus détaillés que les nôtres. Afin d’arriver à une synthèse exempte de raisonnements biaisés et de raccourcis de pensée, on ne saurait faire l’économie de la confrontation avec la complexité inhérente à tout traitement d’éléments forcément hétérogènes. Autant dire tout de suite que le cadre que notre modeste contribution se propose d’appréhender ne permet pas d’offrir une approche à portée véritablement statistique. Aux limites qui sont les nôtres – une charge d’enseignement qui, actuellement, ne laisse pas à la recherche d’autres moments que le temps de nos loisirs – s’ajoute de surcroit une certaine réserve – sans doute injustifiée – vis-à-vis de l’application de l’approche statistique à des données qui ressortissent à la qualité. De surcroit, les chiffres se laissent souvent manipuler à des fins discrètes et leur emploi impose au lecteur un travail de recherche considérable lié à leur vérification.
18Par ailleurs, dans le cadre qui est le nôtre, quelle révélation pourrait-on attendre d’une enquête à visée purement statistique, composée d’une série de questions fermées (O/N), dont l’énoncé même induit souvent certains types de réponses ? N’oublions pas que la progression est en elle-même une question difficile que l’on commence à se poser seulement à partir d’un certain nombre d’expériences engrangées, de préférence, auprès de classes et de publics différents. Aussi n’obtiendrait-on pas grand-chose si l’on se contentait de demander aux étudiants : « Comment évaluez-vous la progression tout au long de vos apprentissages au cours de français ? ». Même un jeune enseignant – un enseignant débutant – aurait du mal à répondre à la question posée de la sorte ; tout au plus pourrait-il le faire en répétant ce que ses formateurs lui ont dit à ce sujet lors de ses études supérieures.
19Par conséquent, les enquêtes ont consisté à poser un nombre important de questions dont il serait fastidieux d’exposer ici le détail. La progression en français, telle qu’elle a été perçue par les étudiants, apparait au bout d’une analyse des réponses touchant à différents aspects de l’expérience des apprentissages. Cette analyse a été effectuée à travers les recoupements de données multiples. Passons à présent à la synthèse des résultats, afin de dégager les grandes constantes, en nous gardant de faire dire aux chiffres ce que les étudiants n’ont peut-être pas voulu dire.
1.3. Quelles questions ont été posées aux étudiants ?
20Le contenu des différentes enquêtes se divise en deux parties qui peuvent se résumer comme suit :
A. Partie relative à la perception du parcours scolaire, destinée à faire apparaitre les paramètres objectifs et subjectifs du contexte des apprentissages
21Les informations concernant l’aspect institutionnel du parcours scolaire (scolarité obligatoire réalisée en Communauté française de Belgique ou ailleurs, indication du réseau fréquenté) :
les activités appréciées dans le cadre du cours de français ;
les activités associées à des souvenirs désagréables ou à des difficultés ;
la présence ou l’absence du soutien de l’entourage pour les apprentissages liés au cours de français ;
la présence et la régularité de l’activité de lecture ;
la nature des lectures ;
la manière de réaliser travail de lecture (livres lus en entier ou non ?) ;
la nature du rapport à l’écriture (plaisir ? activité ordinaire ? blocages ?).
B. Partie liée directement à la progression (sondage réalisé uniquement en section normale secondaire)
L’impression globale à propos de la progression dans l’ensemble du parcours en français (progression adéquate et efficace ou inadéquate et inefficace ?) ;
la progression dans les activités de lecture de textes (dans différents genres : récit, théâtre, poésie, essais, documentaire) ;
la progression dans la découverte d’œuvres littéraires (différentes époques, domaines francophones et étrangers) ;
la progression dans les activités orales de partage d’impressions de lecture en classe (présenter sa lecture en étayant son point de vue – comprendre, résumer, choisir son point de vue, argumenter, parler) ;
la progression dans la rédaction de textes (différents genres et superstructures : écrits argumentés, récits de fiction, poèmes) ;
la progression dans la rédaction d’écrits fonctionnels (résumés de textes, comptes rendus, critiques de manifestations culturelles, lettres de candidature, etc.) ;
la progression dans l’investissement des savoirs liés à la langue (syntaxe, l’orthographe grammaticale + lexique, ponctuation, prosodie, etc.) ;
les raisons probables de leurs impressions liées à la progression, que celles-ci soient positives ou négatives : responsabilité des différentes institutions (direction de l’école), contenu plus ou moins exhaustif et formulation plus ou moins explicite des programmes5, responsabilité des professeurs, responsabilité personnelle de l’élève (désintérêt, absentéisme, difficultés d’ordre personnel) ;
les propositions des étudiants interrogés pour l’élaboration d’une meilleure organisation de la progression.
1.4. Quels enseignements sur la progression en français les réponses obtenues apportent-elles à ces questions ?
22Les réponses fournies par les étudiants dans les différents questionnaires laissent apparaitre deux sortes de données : celles relatives au parcours scolaire qui permettent de comprendre ce que les étudiants ont retenu des enseignements reçus et celles qui renvoient directement à leur perception de la progression.
23Parmi la première sorte de données apparaissent ces points saillants :
- Partie A (relative à la perception du parcours scolaire)
24a) Parmi les activités appréciées au cours de français figurent, par ordre croissant :
les rédactions imposées, dont les dissertations, la lecture de romans fantastiques, la lecture de livres de Boris Vian, les lectures imposées au cycle inférieur, la rédaction de critiques de pièces de théâtre – activités appréciées chacune par 1 personne (1 sur 17) ;
les débats en classe liés à la présentation de lectures (littéraires ou non), l’analyse d’images et de peintures, l’analyse de textes (romans) (2), la dictée (2) – activités appréciées chacune par 2 personnes ;
la découverte des « grands auteurs », (3) les sorties au théâtre et la mise en scène de pièces de théâtre (3), les activités portant sur la grammaire, la conjugaison et l’orthographe (5), la lecture de poèmes (5), l’écriture de poèmes (3) – activités appréciées chacune par 3 à 5 personnes ;
25b) Parmi les activités associées à des souvenirs désagréables ou à des difficultés, citons, toujours par ordre croissant :
l’analyse de textes narratifs (« retrouver les étapes du schéma narratif dans les textes que l’on lit ») (1), les lectures imposées (1), la dictée (2), certaines analyses de textes (« le pire cauchemar » pour une personne qui parle de tous les genres de textes) (2), la construction des phrases tant à l’oral qu’à l’écrit (pour les étudiants étrangers et vivant en situation de diglossie), les rédactions scolaires en général (1), la rédaction des dissertations en particulier (1) ⬜ activités associées à des souvenirs désagréables par 1 à 2 personnes ;
les exercices d’orthographe, de grammaire (5), l’analyse de la phrase, la conjugaison (5) – activités associées à des difficultés par 5 personnes.
26Signalons en particulier que 6 personnes font part de la présence de blocages lors des activités d’écriture en situations scolaire et extra-scolaire, les principales raisons citées étant la difficulté à construire des phrases, celle à trouver des mots permettant de se faire comprendre et enfin, la peur de « faire des fautes d’orthographe ».
27c) Les livres que les étudiants ont pu citer parmi les lectures réellement effectuées dans le cadre du parcours scolaire sont notamment les suivants (par ordre croissant) :
L’acide sulfurique (1), L’œil du tigre (1), 1984 (1), Le petit prince (1), Le racisme expliqué à ma fille (1), Mon bel oranger (1), Antigone (1), Roméo et Juliette (1), Comme un roman (1), Huis-clos (1) ;
Identités meurtrières (2), L’écume des jours (2), les différents volumes de Harry Potter (2) ;
Oscar et la dame rose (4) – et plus généralement, les livres de É.-E. Schmitt ;
Et si c’était vrai ? ⬜ et plus généralement, les livres de Marc Lévy (4).
28La plupart de ces livres ont été qualifiés par les étudiants eux-mêmes de « simples » ou de « pas compliqués ». Les livres plus exigeants (Huis-clos, L’écume des jours, Roméo et Juliette) ont tous été mentionnés uniquement en tant que lectures imposées. La plupart des personnes reconnaissent par ailleurs qu’elles n’auraient jamais pris la peine de découvrir ces livres « difficiles » par elles-mêmes. Deux d’entre elles (sur 17) signalent toutefois le plaisir qu’elles avaient pris à « découvrir le sens caché des différentes expressions » dans les textes analysés en classe et à « commencer à voir différemment » les textes lus individuellement au préalable sans y remarquer grand-chose.
29On peut noter par ailleurs que parmi leurs lectures personnelles (effectuées hors du cadre scolaire) les étudiants mentionnent surtout les témoignages et les récits de faits réels (4), dont ceux de Pierre Bellemare, les romans policiers (1), les romans fantastiques (3), la presse d’actualité : Le Courrier international (1), La Libre Belgique (1), Le Soir (1), Le métro (1) – ainsi que les magazines (Ciné Revue et Top santé).
30Notons enfin que mis à part É.-E. Schmitt, Marc Lévy et William Shakespeare, la plupart des étudiants ont signalé leur incapacité à se rappeler (sans se faire aider) les noms des différents auteurs. Ces énumérations ne présentent, semble-t-il, d’autre intérêt que celui d’offrir une approximation de proportions entre les œuvres considérées comme « classiques » et celles, plus récentes, dont les enseignants se servent actuellement dans les classes.
31d) Toujours à propos de la lecture, les réponses fournies par ces futurs enseignants sont les suivantes :
cinq personnes (sur dix-sept) ont déclaré ne pas aimer, voire détester la lecture ;
parmi celles qui ont déclaré aimer la lecture, sept ont reconnu ne pas lire régulièrement ; deux d’entre elles ont présenté leur attitude comme un « consentement » face à la nécessité éventuelle de lire des livres imposés liés à leur formation.
32Je ne m’attarderai pas ici sur les personnes ayant déclaré lire de temps à autre, mais avant tout dans une autre langue que le français.
33Une synthèse de l’ensemble des réponses relatives au parcours en français amène les constats suivants.
La plupart des personnes (15 sur 17) évoquent les difficultés que pose la maitrise des savoirs liés à la langue. Ces difficultés sont mentionnées comme étant l’origine de blocages tant dans la lecture que dans l’écriture et dans la communication orale. On mentionne notamment les difficultés à se faire comprendre en général, et ce à cause des problèmes de syntaxe et de différentes formes de déficit lexical.
De la plupart des réponses consignées dans les questionnaires (13 sur 17) il ressort objectivement ceci : les activités liées à la langue se terminent le plus souvent au premier degré. La concordance des témoignages sur ce point est frappante et elle correspond aux constats qui se dégagent des différentes enquêtes menées dans les deux sections normales. L’arrêt de ces activités en 3e ou 4e année est, en particulier, signalé avec soulagement par les étudiants qui se préparent à devenir instituteurs et qui, on s’en souvient, évoquent les différentes étapes de leur cursus avec franchise, sans amnésie ni stratégie particulière. La fin (ou, sans doute, une forte diminution) des apprentissages grammaticaux est le plus souvent associée à la disparition des « difficultés en français » (entendues en termes de mauvaises notes dans cette matière) et à celle des inhibitions que ces difficultés provoquent6. Entre le premier degré, d’une part7, et le degré supérieur de l’enseignement secondaire, d’autre part, nombre de réponses font apparaitre un saut qualitatif qui, pour les futurs instituteurs, est un changement positif. Dans les questionnaires on peut lire des constatations comme celles-ci : « J’ai quelquefois eu des difficultés en orthographe, mais elles se sont résorbées avec le temps » ou « J’ai eu de grosses difficultés en orthographe et en syntaxe jusqu’à ma 4e secondaire. À partir de ce moment-là, j’ai adoré ce cours et j’en ai fait mon option pour ma 5e et ma 6e secondaires »8.
34Dans ces considérations, un détail attire l’attention : les étudiants qui saluent avec soulagement ce saut qualitatif dans leur parcours en français considèrent cet arrêt des activités liées à la langue comme quelque chose de naturel. En effet, parmi les étudiants en section normale préscolaire, seuls les allophones ou des francophones vivant en diglossie mettent en avant la nécessité de faire des rappels, voire de la révision dans cette matière.
35L’analyse de ces quelques points relatifs à la perception du parcours scolaire donne à réfléchir. Il y a de quoi s’interroger sur la manière d’enseigner les savoirs liés à la langue et sur l’organisation effective de ces apprentissages. D’après ces premiers témoignages, la spirale de la progression (ou la progression en spirale) s’arrêterait en cours de route, du moins sur un point, qui n’est pas des moindres et dont on observe au quotidien l’impact sur le « reste ». On pourrait également s’interroger sur la manière d’enseigner – ou en tout cas d’aborder – la littérature avant la 4e ou la 5e année pour que le contact avec des œuvres désignées comme « littéraires » soit ressenti comme une « apparition9 ».
36Notons toutefois un point que l’on pourrait considérer comme positif : sur les dix-sept personnes interrogées, douze ont mentionné la nécessité de revoir nombre de points parmi les savoirs liés à la langue (diverses tâches précises, culture littéraire, analyse de romans, « aspect technique de la langue », expression orale, etc.). Une personne a signalé, elle, le besoin de revoir l’ensemble du cours de français. Si les étudiants ont salué avec satisfaction la fin des activités difficiles pour eux, bon nombre d’entre eux ressentent tout de même la nécessité d’y revenir.
- Partie B (liée directement à la progression – sondage réalisé en section normale secondaire)
37L’analyse des réponses de cette partie appelle d’abord une remarque globale : les étudiants en « régendat » ont été invités à livrer leurs réflexions sur la progression en français dans une optique qui, explicitement, était double. Ils devaient le faire non seulement en tant qu’anciens élèves, mais aussi en tant que futurs titulaires du cours de français et, à ce titre, appelés à appliquer dans l’avenir les programmes de la Communauté française de Belgique.
38Signalons aussi cet autre aspect remarquable : une grande discrétion quant au parcours réalisé au premier degré de l’enseignement secondaire, le trait, déjà mentionné, qui différencie leurs réponses de celles des futurs instituteurs. Dans le sondage précédent, celui réalisé à la rentrée, ce point était simplement absent des réponses, au profit des souvenirs d’activités réalisées au degré supérieur, évoqués parmi les raisons à avoir motivé le choix d’une formation pédagogique.
39Cette discrétion (ou cette « amnésie ») parait étonnante, d’autant plus que – faut-il le rappeler ? – le premier degré est précisément le cycle auquel ils se préparent à enseigner. Cela dit, n’oublions pas qu’il est question pour eux de revenir sur la période de leur passé scolaire qui les met en présence des différentes questions mettant en jeu leur motivation. Les sept premiers mois en première année de formation pédagogique ont déjà permis à beaucoup d’entre eux de se faire une certaine idée des exigences inhérentes au métier de professeur de français. Nombre d’entre eux se sont aperçus – et la plupart s’en étonnent – qu’ils ne sont peut-être pas aussi « bons en français » qu’ils ne l’avaient pensé au départ et qu’il leur reste encore beaucoup à apprendre, notamment sur le plan des apprentissages liés à la langue. Une étudiante a saisi ce point dans une formule qui semble particulièrement bien trouvée : « Nous aimons les idées, mais nous ne savions pas qu’en français il y avait encore tout l’aspect langue, la langue qu’il faut travailler pour formuler ces idées. »
40À partir de ces remarques globales, voyons à présent ce qu’ont apporté en particulier les questionnaires.
41L’analyse des réponses amène les observations suivantes.
42a) Aperçu global :
l’impression globale de la progression en français est explicitement positive selon une personne (1 sur 8) (« cours bien construits ») ;
les trois dernières années (4e, 5e, 6e) sont perçues comme celles où la progression a été « adéquate et efficace » par 3 personnes ;
la progression au premier degré est perçue de manière négative par deux
(2) étudiants ;l’impression globale de la progression au degré supérieur est négative pour deux (2) personnes.
43La perception globale se décline donc à égalité entre anciens élèves satisfaits et non satisfaits. Cependant, la plupart des étudiants interrogés ont évité de se prononcer de manière globale pour s’attarder plutôt sur des aspects particuliers. Voyons à présent les appréciations sur la progression dans différentes activités.
44b) Aspects particuliers de la progression suivant les différents volets du cours de français :
les activités de lecture dans les différents genres sont perçues comme progressives et encadrées par le professeur de manière adéquate par la plupart des personnes interrogées (5). Cette perception s’accompagne toutefois de quelques restrictions : le genre documentaire n’a pas été suffisamment approfondi (1), la lecture des poèmes n’a pas été abordée de manière progressive (1), les différents genres ont été abordés de manière mécanique et sans aucun échange en classe : il s’agissait de trouver dans les textes les caractéristiques exposées par le professeur (1). Comme à propos de l’autre groupe, on peut dire que les situations idéales où toutes les attentes des élèves se trouvent satisfaites ne se rencontrent guère. Des éléments véritablement intéressants apparaissent seulement lorsque l’on recoupe des données précises considérées de plus près ;
la progression est jugée adéquate dans la découverte des auteurs des différentes époques par trois personnes (3). Parmi ces trois personnes, une (1) cite les volumes de Lagarde et Michard comme un « outil particulièrement approprié » et souligne l’utilité des liens établis avec l’histoire par le professeur. Une autre (1) précise que la progression lui a paru adéquate surtout en 6e année tandis qu’une troisième (1) signale le manque de cohérence que constitue à ses yeux la présentation des auteurs sans respecter la chronologie. Une personne (1) donne sur ce sujet un avis négatif en précisant que si la chronologie a été respectée, les précisions sur le contexte manquaient ;
la progression dans le partage des impressions de lecture (activité orale) est perçue de manière positive par une personne (1) ; celle-ci précise toutefois que cette activité n’a été organisée régulièrement qu’à partir de la 3e jusqu’à la 6e année. Trois personnes (3) signalent l’absence de progression sur ce point : l’une d’entre elles (1) cite une seule présentation, en 4e, tandis que les deux autres mentionnent uniquement des contrôles écrits ou oraux concernant leurs lectures et, enfin, l’absence de ce type d’activité (2) ;
la progression dans la rédaction des différentes sortes de textes recueille deux avis clairement positifs (2) où sont mis en avant la régularité des travaux, le retour aux copies pour les corriger ainsi que la présence d’outils adéquats (modèles) de comptes rendus, de résumés, etc. Une personne (1) donne un avis clairement négatif sur ce point, déplorant le peu de travaux écrits réalisés en secondaire. Je ne m’attarderai pas ici sur les avis négatifs concernant les différents genres que certains étudiants se plaignent de ne pas avoir pratiqués (lettres de motivation, critiques de théâtre) – à partir du moment où ils signalent par ailleurs en avoir pratiqué d’autres et où ils expriment leur satisfaction à ce propos ;
la progression dans l’enseignement des savoirs liés à la langue recueille deux avis clairement positifs (2). Trois personnes déplorent, par contre, le nombre réduit de travaux liés à la langue et l’absence de révision au degré supérieur (3). Une quatrième personne déplore la « progression minime » et cite le manque d’explications grammaticales explicites (et non pas intuitives), lesquelles explications auraient permis de comprendre la raison du retour aux copies et des corrections, exigés pourtant par le professeur (1). Une question supplémentaire a été prévue pour vérifier les réponses sur ce point et elle confirme, malheureusement, ces dires : seules deux personnes (2) ont été capables de se souvenir de l’emploi de quelques termes grammaticaux de base10 ;
parmi les raisons probables des impressions liées à la progression, les étudiants ont cité des éléments positifs et des éléments négatifs. Les éléments positifs sont :
- la présence d’un professeur de français unique par degré, qui suit les élèves et assure ainsi la cohérence et la progression dans les apprentissages ;
- le degré d’appropriation de la matière par le professeur et le plaisir que celui-ci éprouve à l’enseigner ;
- l’implication de la direction dans une gestion permettant aux enseignants de travailler.
45Les éléments négatifs cités comme origine probable des déficits de progression sont :
le manque de maturité chez les élèves : l’élève ne comprend pas11 l’intérêt des apprentissages et il étudie uniquement pour des points ;
des raisons personnelles : une personne mentionne son côté dissipé et contestataire durant les années de l’enseignement secondaire ;
le manque de discipline dans les classes ainsi que l’hétérogénéité des niveaux des différents élèves ralentissant la progression ;
le manque de qualification ou la présence de professeurs surqualifiés mais inexpérimentés ;
une organisation jugée inadéquate des différentes options, et notamment la présence de nombreux cours « inutiles » (« en option français-langues : 4 h. de sciences, 2 h. de géographie ») ;
le manque d’entretien des compétences déjà acquises.
467. Parmi les solutions proposées par les étudiants pour l’élaboration d’une meilleure organisation de la progression, citons :
la recherche d’un meilleur système de notation (permettant à l’élève de mieux comprendre l’intérêt réel des apprentissages) ;
une meilleure sélection des cours pour les différentes options ;
la pédagogie active et différenciée ;
l’organisation des tests de connaissances sur la matière à aborder au début et à la fin des cycles d’apprentissage ; en cas d’une progression insuffisante, une révision des contenus des programmes.
1.5. Que pouvons-nous en retenir ?
47L’analyse des réponses obtenues dans le cadre du sondage consacré spécifiquement à la perception de la progression amène à des constats qui souvent sont semblables à ceux qui se sont présentés à la suite des deux sondages précédents.
481. Les étudiants ont beaucoup de mal, à ce stade de leur parcours, à aborder directement la question de la progression. Deux raisons au moins expliquent cette difficulté.
Même si ces futurs enseignants ont déjà eu l’occasion d’exploiter les programmes de français de manière intensive, ils n’ont pas encore eu à planifier leur application tout au long d’une année. Comment pourraient-ils donc produire des raisonnements complexes sur la planification des apprentissages pour un degré d’enseignement et, a fortiori, pour l’ensemble d’un parcours scolaire ?
De la même manière, il leur est difficile d’analyser cette variable éducative complexe à l’endroit de leur propre personne : mis à part quelques exceptions, ils n’ont pas encore véritablement objectivé, à leur propre endroit et pour leur propre compte, les différentes étapes de leur parcours scolaire. Pour employer une formule de Marcel Gauchet, il aurait fallu qu’ils aient appris chacun à « se regarder comme un parmi d’autres, comme n’importe qui du point de vue des autres12 » – et ce dans une suite de cycles d’apprentissage conçue pour une collectivité.
49Pour toutes ces raisons, la réponse globale à la question de la progression a dû être non pas donnée directement, mais construite à partir d’une série de recoupements des données fournies à propos des différentes facettes de l’expérience d’apprentissage.
502. Parmi les aspects de l’expérience d’apprentissage mis en avant par les étudiants, le premier point qui mérite d’être souligné est la rupture de continuité dans les apprentissages liés à la langue. Doit-on insister sur la triste concordance qui existe entre ce point et le niveau de certaines réalisations, tant à l’oral qu’à l’écrit, aussi bien parmi les futurs instituteurs que parmi les futurs professeurs de français ?
51Cependant, cette rupture de continuité dans les apprentissages liés à la langue ne mériterait pas à elle seule tant d’attention si elle n’entrainait pas de conséquences dans bien d’autres domaines. Le premier de ces domaines est la lecture, et notamment la lecture littéraire. En effet, les activités réalisées au cours de l’année académique ont vite amené des interrogations sur le plaisir que, en début d’année, la plupart avaient pourtant déclaré éprouver en lisant. L’organisation en classe de « régents » d’un débat littéraire autour de textes de Jean Ray a rapidement mis en évidence quelques points remarquables relatifs à la manière dont la lecture est pratiquée. Il s’est alors avéré, en effet, que nombre de structures de phrase posent problème, que les indices de niveaux et de registres de langue ne sont guère parlants et que, face à des déficits lexicaux parfois très importants, l’immense majorité cherche la signification uniquement dans le contexte13. Comment investir en classe la lecture littéraire si seules trois personnes (sur une bonne trentaine) acceptent (ayant été entrainées à le faire) de recourir à un dictionnaire pour faire des recherches adéquates ? L’activité de lecture devient, dans ces conditions, un exercice d’adresse digitale consistant à tourner rapidement les pages. Dans ces conditions, le plaisir évoqué habituellement à propos de la lecture et qui renvoie, en réalité, à une multitude d’opérations mentales, de processus cognitifs et physiques, risque de se rapprocher dangereusement de la simple détente musculaire combinée à différentes formes de distraction cérébrale, que l’on éprouve lors d’exercices tels que le télézapping, déjà largement commenté.
52Les activités d’écriture sont un autre domaine où le déficit de savoirs liés à la langue devient particulièrement sensible. On a déjà tout dit sur les problèmes de maitrise de la langue. Il ne reste qu’à attendre que le public le plus large se rende compte du tour de passe-passe qu’a été la réduction, dans les esprits de beaucoup, de la maitrise de la langue à l’orthographe. Disons simplement que les futurs enseignants – instituteurs ou professeurs de français – devraient non seulement savoir s’exprimer correctement à l’oral et à l’écrit, mais encore et surtout qu’ils devraient être capables d’expliquer les manipulations grammaticales aux élèves souvent démunis.
53Les conclusions des différents sondages peuvent, certes, paraitre à première vue pessimistes. Toutefois, j’en retiens plusieurs éléments positifs. D’abord, la présence de quelques témoignages prouvant que, malgré des incohérences, il existe encore et toujours des élèves attirés par la lecture, par l’écriture et par des activités de grammaire. Ensuite, je tiens à souligner l’implication de certains étudiants dans la réflexion sur ces questions qui sont encore bien abstraites pour eux. Enfin, je pense qu’une journée comme celle-ci peut amener à repenser notre cadre de travail et à trouver des pistes pour changer ce qui dans la situation actuelle doit être changé.
2. La partie et le tout : pour une perspective curriculaire sur les objets de la recherche en didactique (J.-L. Dumortier)
54La majorité des didacticiens du français œuvrent aujourd’hui à la reconnaissance universitaire de leur discipline en soumettant leur discours à des exigences de scientificité. Le propre du discours scientifique est d’articuler logiquement, en usant d’une rhétorique aussi discrète que possible et en utilisant un vocabulaire technique riche en concepts, des propositions fondées sur des recherches. Ces recherches sont menées selon des méthodes qui en garantissent la recevabilité à l’intérieur d’un champ scientifique tendant à l’autonomie, et leurs résultats sont susceptibles d’être confirmés ou infirmés par d’autres investigations, qui, elles aussi, respectent une méthode rigoureuse dont la valeur est reconnue par les acteurs du champ en question.
55À l’intérieur de la communauté discursive des didacticiens du français circule dorénavant une parole qui devient de plus en plus hermétique aux profanes, c’est-à-dire aux non-chercheurs, aux enseignants de français en particulier. Sauf exception, ces derniers, quels que soient leur implication professionnelle, leur créativité et leur souci de partager des pratiques efficaces, ne consacrent pas une partie de leur temps à la recherche. C’est pourtant à eux aussi, et non seulement à leurs pairs, que les chercheurs devraient s’adresser. C’est pourtant à eux que leur parole devrait être utile.
56Cette parole-là, obsédée par la reconnaissance de sa propre légitimité, est souvent discriminante : tantôt elle remet en selle la vieille dichotomie manichéenne : à ma droite la science angélique, à ma gauche l’idéologie diabolique ; tantôt elle en crée de nouvelles : à ma droite l’excellente description, à ma gauche la détestable prescription ; à ma droite la raison du théoricien, à ma gauche l’illusion du praticien. Ce tropisme discriminatoire me parait symptomatique d’un complexe de bâtardise : la didactique du français, née, ici, dans les facultés de langues et lettres, là, dans les facultés d’éducation, d’un père qui n’assume pas sa paternité et d’une mère quelque peu honteuse, est travaillée par le besoin de s’affirmer en tant que discipline de recherche aussi digne que toute autre. Les didacticiens du français qui proclament, en se rendant peu à peu inaudibles des praticiens de la discipline scolaire, leur ambition de dire le vrai sur les pratiques disciplinaires sont sans doute encore trop préoccupés de se faire entendre dans le grand colloque des sciences pour ne pas céder souvent à la tentation de soustraire leur discours à une étude de l’énonciation, de le dérober à une approche rhétorique, d’en faire un absolu détaché de la controverse14, et pour prêter toute l’attention qui convient au caractère faillible de leurs montages de recherche15.
57Ces montages simplifient, raréfient et organisent une réalité complexe, une réalité profuse, une réalité dont l’ordre (quand il existe) n’est pas toujours apparent. Il arrive même que ces montages créent une réalité de laboratoire ou quelque chose qui y ressemble, une réalité plus docile à l’enregistrement de ce qui s’appelle des « données » dans le jargon professionnel. Il est, à vrai dire, peu de mots aussi mal appropriés à ce qu’ils désignent que celui-là : rien n’est plus construit que ces « données »-là. Rien n’est plus fabriqué que ces faits qu’articulent les montages du chercheur pour en rendre compte ou pour en rendre raison au moyen d’un discours qui les représente d’une manière ou d’une autre. Il n’en est peut-être pas de meilleurs exemples que celui des verbatim, c’est-à-dire des transcriptions mot pour mot des échanges verbaux, et celui des films d’une interaction pédagogique : la mise par écrit des prises de parole rend très mal compte de la dynamique de la communication, et ce que capte une caméra, qu’elle soit fixe ou mobile, n’est qu’une toute petite partie de ce qui a lieu en classe, même si l’on s’en tient à la relation enseigner-apprendre, dont on sait à quel point elle peut être parasitée par d’autres interactions, relatives à la gestion de la classe notamment.
58Le caractère faillible des montages, ce caractère qui leur confère leur scientificité en rendant les conclusions du chercheur discutables16, tient notamment aux possibilités d’erreur inhérentes à la focale ou à la précision des instruments d’investigation. Par exemple, beaucoup de didacticiens du français s’intéressent actuellement à l’avènement des savoirs17 et/ou des contenus (savoir-faire, savoir-être, valeurs, etc.) disciplinaires au cours de l’interaction didactique. Ces didacticiens s’intéressent notamment aux gestes des enseignants qui exhibent et informent ce qui est à apprendre18. Mais comment appréhender cela ? Quels sont les moyens et les usages de ces moyens qui permettent de saisir, dans des conditions écologiques ordinaires, l’épiphanie des savoirs ou des contenus dans le flux des activités de classe ? Je reformule ma question : quels sont les moyens et les usages de ces moyens qui permettent de saisir, sans déranger le cours des interactions habituelles, les gestes par lesquels le maitre pense qu’il met en lumière et qu’il met en forme ce qui est à apprendre ?
59Le caractère faillible des montages de recherche tient également à la quantité des variables prises en considération pour interpréter des interactions d’enseignement-apprentissage. Gardons l’exemple de l’avènement des savoirs ou des contenus d’enseignement disciplinaires. Le chercheur va-t-il ou non prendre en considération la ou les manière(s) dont ils ont été approchés par l’enseignant lui-même, au cours de sa scolarité obligatoire et au cours de sa formation professionnelle ? Ce sont là des variables dont les valeurs influencent les dispositions du maitre à donner, en classe, à un certain moment et d’une certaine façon, de la visibilité aux savoirs et à aux contenus. Le chercheur va-t-il ou non prendre en considération l’importance relative plus ou moins manifestement accordée aux savoirs et aux contenus en question dans les instructions officielles, et l’importance relative qui leur est reconnue par l’enseignant lui-même étant donné ces instructions… ou malgré elles ? Ce sont là encore des variables dont la valeur n’est pas sans incidence sur les gestes qu’accomplit l’enseignant pour désigner aux élèves les savoirs ou les contenus dont les activités sont censées permettre et favoriser l’appropriation.
60La scientificité du discours du chercheur est fonction de son degré de conscience du risque d’erreur inhérent à chaque étape de son montage et à la qualité de sa réflexion sur trois points.
Le premier de ces points est sa position par rapport à ce qu’il constitue en « objet d’étude ». Même quand il s’agit d’objets inertes, comme des manuels ou des programmes, le chercheur, étant donné sa propre historicité, peut difficilement tenir une position parfaitement extérieure, radicalement détachée. A fortiori quand il s’agit de comprendre une interaction. En effet, l’action humaine est incompréhensible si l’on ne tient pas compte des représentations de l’acteur : celles qui concernent les circonstances et celles qui concernent les partenaires de son action. L’action humaine est incompréhensible si l’on ne tient pas compte des mobiles et des buts de l’acteur, ainsi que des valeurs qui sous-tendent ces mobiles et ces buts : l’équité et la compétitivité, la créativité et la rigueur, la solidarité et l’autonomie sont, entre autres, des valeurs susceptibles de mettre en tension bien des mobiles et biens des buts d’ordre pédagogique. Tout cela, le chercheur ne peut le mettre au jour et le mettre en rapport avec les comportements observés en tirant son épingle du jeu. Il le peut d’autant moins que son terrain d’investigation lui est familier. Le chercheur en didactique n’est pas un ethnologue qui s’attache à comprendre une peuplade inconnue : il n’est pas sans expérience du microcosme qu’il observe, ni sans idées sur ce qui en ferait le meilleur des petits mondes possibles. La scotomisation de sa propre expérience et de ses propres idées est impossible. En revanche, il est possible que le chercheur s’illusionne, il est possible que le maniement d’instruments d’investigation sophistiqués, qui, en apparence, neutralisent le « facteur humain », lui fasse croire en sa neutralité.
Le deuxième point sur lequel doit s’exercer la réflexion du chercheur est sa situation dans le champ de recherche. Je ne dis pas dans le « domaine » de recherche, je dis dans le « champ » de recherche. Un champ est un espace social caractérisé par une structure de positions dominantes et dominées qu’occupent des acteurs concurrents. Le chercheur, qu’il le veuille ou non, participe aux luttes intestines pour la domination. Je ne m’attarde pas : tout le monde sait que l’adoption d’un paradigme de recherche pédagogique, c’est-à-dire d’un ensemble de valeurs, de croyances, de connaissances, de références, de techniques, rend saillants certains phénomènes aux dépens de certains autres, entraine des risques d’allégeance aux théories des pionniers, incline à fabriquer des données interprétables selon ces théories. Ce qu’on ne dit peut-être pas assez, c’est que tel est le prix à payer pour occuper une position dans le champ… et qu’il n’est pas de position hors du champ.
Le troisième point qui sollicite la réflexion concerne tout particulièrement ceux qui sont à la fois chercheurs et formateurs d’enseignants. Ce troisième point, ce sont les rôles qu’ils jouent dans la réalisation du curriculum, c’est-à-dire dans la réalisation de ce
plan d’action, de grande amplitude et de longue durée, destinée à rendre possible et à rendre désirable l’appropriation par des apprenants de savoirs, de savoir-faire, de savoir être qui contribuent à rapprocher le plus possible chacun d’eux du modèle de l’individu social incarnant les valeurs promues par les concepteurs du plan et les responsables politiques de l’entreprise d’éducation19.
61Le curriculum : nous y voici enfin, penserez-vous peut-être, mais j’espère vous faire admettre, dans ce qui suit, que, dans ce que je viens de dire, je côtoyais de très près le sujet, j’y faisais même des incursions sans donner l’impression d’y toucher.
62J’ai dit qu’à l’heure actuelle, et depuis une dizaine d’années, les didacticiens du français manifestaient un intérêt tout particulier à l’avènement, au sein de la classe, des savoirs et des contenus disciplinaires ainsi qu’aux gestes du maitre pour institutionnaliser20 ce qui est à apprendre. Un tel objet de recherche est probablement celui qui permet le mieux de ne négliger aucun des sommets et aucun des côtés du triangle dit « pédagogique » par les pédagogues21 et « didactique » par les didacticiens22. Mais à une condition. À la condition de ne pas perdre de vue que ce triangle schématise les constituants d’une interaction finalisée par l’appropriation de savoirs ou de contenus, que cette interaction a lieu dans une conjoncture scolaire déterminée, plus ou moins bien connue des enseignants, et que c’est en fonction de cette connaissance qu’ils agissent et qu’ils donnent du sens à ce qu’ils font. L’action didactique, cette action qui consiste « à rendre possible et à rendre désirable l’appropriation par des apprenants » particuliers, à un niveau d’études et dans une forme d’enseignement déterminée, d’un savoir ou d’un contenu disciplinaire spécifique, est censée contribuer – je ne dis pas qu’elle contribue toujours en effet – à la réalisation d’un plan général d’éducation et d’instruction inspiré par des considérations économiques, politiques, sociales et culturelles, aujourd’hui plus internationales qu’elles ne l’étaient hier, un plan plus ou moins complet, plus ou moins cohérent, plus ou moins rendu public par les instances politiques, démocratiquement élues, du moins dans un pays comme le nôtre.
63L’ouvrage de Louis D’Hainaut23 intitulé Des fins aux objectifs de l’éducation, paru en 1977 et complété en 1983, a particulièrement marqué l’introduction, en Europe continentale, de la conception anglo-saxonne de l’action d’éducation et d’instruction confiée à l’école. Cette conception, à laquelle est associé le terme « curriculum », se caractérise par son ampleur et sa systématicité : c’est un secteur de l’action publique qui est pensé dans son ensemble et toute action publique est orientée par des choix politiques. En l’occurrence, ces choix concernent l’héritage culturel à transmettre à la génération suivante24 et ils sont faits compte tenu d’une idée de l’individu social adapté à l’état actuel d’une communauté, aujourd’hui moins déterminée qu’elle ne l’était jadis ou naguère encore. Au terme de sa scolarité, l’adolescent doit pouvoir trouver une place dans des espaces sociaux qui vont du plus confiné au moins limité, du plus règlementé au moins contraint, du plus concurrentiel au plus convivial. Ça ne facilite évidemment pas la sélection parmi les biens culturels susceptibles de faire l’objet d’un enseignement et, en principe tout au moins, ça ne devrait pas entrainer l’adoption d’un mode unique d’enseignement des biens sélectionnés.
64Il n’est pas besoin d’en dire davantage pour faire comprendre que la vision curriculaire implique une réflexion sur les rapports entre les finalités de la scolarisation, les buts des formations disciplinaires ou ceux des grandes entreprises interdisciplinaires, et les objectifs d’apprentissage spécifiques poursuivis par telle ou telle activité particulière. Tout est pour le mieux si tous ces rapports sont de parfaite congruence, de totale convenance. Et tout est au mieux si, en amont, la formation professionnelle des maitres ainsi que le matériel pédagogique mis à leur disposition leur permettent de contribuer, au quotidien, dans un domaine et à un niveau d’études déterminé, à la réalisation du curriculum. Tout est au mieux si, en aval, l’évaluation des apprentissages porte sur l’acquis des biens culturels dont l’enseignement devait rendre l’appropriation possible et désirable.
65Ajouterai-je que tout est au mieux si l’action planifiée par le curriculum et réalisée conformément au plan n’entraine pas une inégalité de résultats qui oblige à conclure à l’inéquité de la scolarisation ? C’est là un critère de jugement du curriculum et de sa réalisation d’un tout autre ordre que le critère de cohérence. C’est un critère idéologique qui renvoie aux déclarations des responsables politiques de l’action publique d’éducation et d’instruction. C’est un critère qui entraine la mise en question de chacune des composantes du curriculum, que Gilbert de Landsheere énumérait dans son Dictionnaire de l’évaluation et de la recherche en éducation25 et qui n’ont guère beaucoup changé depuis lors26. Ces composantes sont « la définition des objectifs de l’enseignement, les contenus, les méthodes (y compris l’évaluation), les matériels (y compris les manuels scolaires) et les dispositions relatives à la formation adéquate des enseignants ».
66Concrétisons cela pour l’heure et pour ce qui nous concerne. Est-ce qu’en énonçant les objectifs généraux de l’enseignement du français en termes de compétences et en désignant par ce mot, dans les référentiels, des savoir-faire disciplinaires qui ne correspondent pas à la définition de la compétence figurant dans le décret du 24 juillet 1997, communément dit décret « Missions » ; est-ce qu’en farcissant les référentiels de mots ou d’expressions (comme « situation de communication », « intention dominante », « stratégie de lecture », « informations implicites », « réel vs imaginaire », « réel vs virtuel », « structure dominante », « facteurs de cohérence », « organisateurs textuel », « anaphore », etc.) résultant d’une transposition didactique sauvage et que beaucoup d’enseignants, mais aussi de conseillers pédagogiques, d’inspecteurs, entendent chacun à sa façon ; est-ce qu’en privilégiant, en signe d’allégeance à la théorie socioconstructiviste de l’apprentissage, une méthode d’accès aux savoirs par l’intermédiaire de tâches-problèmes ; est-ce qu’en limitant l’évaluation à des acquis objectivement évaluables ; est-ce qu’en utilisant, avec une confiance aveugle, le matériel que les éditeurs et l’institution elle-même mettent à disposition des maitres (je songe en particulier aux « pistes didactiques ») ; est-ce qu’en ne changeant rien aux structures et aux contenus de la formation actuelle des enseignants – est-ce ainsi que l’on assurera une égalité de résultats d’apprentissage en rapport de congruence avec les missions assignées à l’école par le décret de 1997 ? Je les rappelle, ces missions :
1°) promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves, 2°) amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle, 3°) préparer tous les élèves à être des citoyens responsables capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures, 4°) assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale.
67Dans un article que j’ai consacré au rôle de notre discipline dans le curriculum27, je suggérais aux maitres de s’interroger sur ce qu’ils pouvaient faire, concrètement, à quelque niveau qu’ils enseignent le français, pour réaliser ces quatre missions et, s’agissant de chacune d’elles, je proposais des actions ou, tout au moins, des orientations d’action. Ce faisant, et bien que je me sois adressé à des praticiens plutôt qu’à des chercheurs, je frayais une piste de recherche en didactique. Une piste un peu à l’écart de celles qui sont aujourd’hui les plus explorées puisqu’elle conduisait non pas à étudier l’avènement des savoirs et des contenus disciplinaires, mais à se demander si, ou dans quelle mesure, les activités censées concourir au développement de compétences relatives à la production et à la compréhension de discours écrits ou oraux de genres divers – si ou dans quelle mesure ces activités contribuaient à la réalisation des missions assignées à l’école.
68Dans la conférence d’ouverture au onzième colloque de l’AiRDF qui s’est tenu à Liège en aout dernier, j’ai ouvert d’autres pistes de recherche28 que j’évoque ici succinctement. La première concerne ce qui matérialise notre curriculum disciplinaire, en principe subordonné à la réalisation du curriculum général. Je dis bien « curriculum » et non « programme d’études »29 : je n’envisage pas moins de composantes du plan d’action que ne le faisait Gilbert de Landsheere, mais il s’agit dans ce cas d’un plan d’action didactique. La seconde piste a trait à la reconfiguration – ou, plus exactement, aux diverses métamorphoses – de notre discipline résultant de l’approche par compétences. La troisième piste concerne l’impact de la structuration par cycles et, à certains stades, de la distinction des filières sur les programmes d’études, sur les méthodes d’enseignement, sur les supports et sur les activités d’apprentissage, ainsi que sur la formation des maitres. La quatrième piste a trait à la connaissance qu’ont les enseignants du curriculum disciplinaire et du curriculum général où ils interviennent à un moment déterminé, en fonction du diplôme qu’ils ont obtenu. La cinquième et dernière piste est ouverte par la question suivante : que font les enseignants, dans le cadre des interactions en classe, pour que les élèves perçoivent que les objets auxquels se rapportent ces interactions s’inscrivent dans un plan d’action disciplinaire lui-même intégré dans le curriculum de scolarisation dont il contribue à réaliser certaines fins ?
69Sans préjuger du résultat d’éventuelles recherches, j’avancerai l’hypothèse que, si certaines initiatives des responsables politiques de l’action publique d’éducation et d’instruction témoignent d’une volonté d’adopter une perspective curriculaire, il s’en faut de beaucoup que l’on puisse, à l’heure actuelle, parler d’un plan d’action complet et cohérent. Il s’en faut de beaucoup que l’on puisse parler, a fortiori, d’une claire conscience qu’auraient les acteurs des rôles qu’ils ont à jouer dans la réalisation d’un plan, et de la marge de manœuvre dont ils disposent. Chez nous comme ailleurs en Europe continentale, la vision ensembliste de ce qui est à réaliser par l’institution scolaire s’est longtemps confondue avec la programmation des savoirs et des contenus disciplinaires sur le long cours d’une scolarité obligatoire morcelée et diversifiée. Cette vision-là, ou plus exactement ses variantes résultant de la multiplicité des réseaux, n’a pas été remplacée, dans la dernière décennie du siècle passé, par une vision curriculaire unique, déclinée en plans d’action disciplinaires dont la complémentarité et les possibles interférences auraient été le fruit d’une longue réflexion. Le décret « Missions », les référentiels de compétences, la commission de pilotage, les évaluations externes, les outils didactiques, l’institut de formation continuée, tout cela peut passer pour des manifestations de la réalisation d’un curriculum bien conçu… à condition de ne pas utiliser les pierres de touche de la complétude, de la cohérence, de la synergie et de l’efficacité.
70Dans mon rôle de formateur d’enseignants, je m’attache à sensibiliser les étudiants aux rapports entre la partie et le tout. Aux rapports entre, d’une part, les savoirs et les contenus qu’ils érigent en objectifs d’apprentissage, dans le cadre de leurs stages, et, d’autre part, les activités dans lesquelles ils lancent les élèves, les supports de ces activités, les acquis des apprenants. Aux rapports entre ce qu’ils s’attachent à faire apprendre et les buts disciplinaires. Aux rapports entre les buts disciplinaires et les finalités de l’entreprise scolaire d’éducation et d’instruction. Je m’efforce de les intéresser à l’amont et à l’aval de leurs interventions didactiques, en remontant à l’enseignement fondamental et en descendant bien au-delà du terme de la scolarité obligatoire. Je saute sur les occasions de leur rappeler ce qui justifie les pratiques propres au développement de compétences de communication verbale dans l’entreprise scolaire d’humanisation et je les invite à se demander si leurs connaissances de la langue et de la littérature, fruits de l’enseignement qu’ils ont reçu, si le matériel pédagogique qu’ils utilisent, si leurs approches des objets disciplinaires, si les tâches qu’ils imposent, si l’évaluation qu’ils pratiquent sont propres à cette humanisation. Faisant cela, j’espère jeter dans leur esprit les germes d’une pensée systémique qui leur évitera de croire qu’ils sont d’excellents professionnels s’ils parviennent à finaliser les activités par la réalisation d’une tâche complexe de communication affublée des oripeaux de taille XXL présentés comme compétences dans les référentiels. Faisant cela, il n’est, en outre, pas impossible que je suscite une vocation de chercheur en didactique du français qui saura compléter l’usage du microscope actuel par celui du télescope. Je veux dire : comprendre les gestes professionnels relatifs à l’avènement des savoirs et des contenus disciplinaires en tant que contributions à la réalisation du curriculum disciplinaire, contribuant lui-même à la réalisation des missions assignées à l’école.
Notes de bas de page
2 Trois Luxembourgeoises, une Russe, un Grec et un Syrien
3 Ces considérations pourraient donner lieu à une étude générale de l’évolution de notre société et à une analyse, en particulier, de la composition des effectifs drainés par l’Éducation nationale vers l’enseignement du français. En tout cas, la question qui reste toujours pendante est, bien évidemment, l’orientation au moment du choix d’études.
4 Et, pourquoi pas, dans tous les établissements d’enseignement supérieur pédagogique – à visée professionnalisante – de la francophonie ? Le questionnement qui nous intéresse apparait de loin en loin dans différents pays francophones.
5 Au moment de ce sondage, les étudiants avaient déjà abordé le chapitre du cours consacré à l’analyse des programmes de français.
6 Nous touchons ici au débat qui a récemment rejailli en France sur le désir de supprimer, dans l’enseignement primaire, les notes, jugées stigmatisantes. Nous n’ignorons ni les arguments des adversaires des notes ni la réponse de Danièle Sallenave, enseignante, écrivain et membre de l’Académie française : « Faut-il casser le baromètre afin de ne pas avoir à apprendre que le temps sera mauvais ? ». Afin de réfléchir sur cette question en dehors du terrain des réactions plus ou moins passionnelles et médiatisées, nous pouvons nous référer utilement aux acquis d’un long travail sur l’éducation que Marcel Gauchet nous livre, entre autres, dans Pour une philosophie politique de l’éducation (notamment les chapitres IV et V : « L’école de l’égalité. La dynamique égalitaire et les contradictions du système éducatif » ; « Le rapport au savoir et la crise de la transmission »).
7 Présenté par une série d’étudiants comme un prolongement de l’enseignement primaire.
8 Bien entendu, je ne m’échinerai pas ici à reproduire l’intégralité des erreurs diverses présentes dans la formulation et la mise en forme syntaxique et graphique de ces constatations.
9 … quasi flaubertienne (« Ce fut comme une apparition : [e]lle était là, assise au milieu du banc, toute seule… »), l’éducation étant dans ce dernier cas de nature sentimentale.
10 Rappelons qu’il s’agit d’un sondage réalisé au mois de mars-avril, c’est-à-dire après une grosse révision portant sur la grammaire et l’enseignement de cette matière.
11 L’étudiant cite son propre cas.
12 Essai de psychologie contemporaine I (2002). Voir aussi L’impossible entrée dans la vie (2008)
13 Voir Encyclopædia Universalis, sub verbo « Sémantique ».
14 Latour, B. (2010). Cogitamus. Six lettres sur les humanités scientifiques, Paris, La Découverte, pp. 80-90.
15 Id., p. 189.
16 Ibid.
17 Reuter, Y. (2010). « Définition et transmission des savoirs scolaires : statut des tensions dans une approche didactique », in R. Malet (dir.), École, médiations et réformes curriculaires, Bruxelles, De Boeck.
18 Simard, C., Dufays, J.-L., Dolz, J. & Garcia-Debanc, C. (2010). Didactique du français langue première, Bruxelles, De Boeck, p. 371.
19 Dumortier, J.-L. (2010). « Curriculum et didactique du français », La Lettre de l’AiRDF, 47-48, p. 5.
20 Reuter, Y., Cohen-Azria, C., Daunay, B., Delcambre, I. & Lahanier-Reuter, D. (2007). Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, Bruxelles, De Boeck, pp. 123-126.
21 Houssaye, J. (1983). « Le triangle pédagogique ou comment comprendre la situation pédagogique », in J. Houssaye (dir.), La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF.
22 Halté, J.-Fr. (1992). La didactique du français, Paris, Presses universitaires de France.
23 D’Hainaut, L. (1983). Des fins aux objectifs de l’éducation. Un cadre conceptuel et une méthode générale pour établir les résultats attendus d’une formation, Paris/Bruxelles, Nathan/Labor.
24 Forquin, J.-Cl. (1989). École et culture. Le point de vue des sociologues britanniques, Bruxelles, De Boeck.
25 de Landsheere, G. (1979). Dictionnaire de l’évaluation et de la recherche en éducation, Paris, Presses universitaires de France, p. 65.
26 Demeuse, M. & Strauven, C., avec la collaboration de Roegiers, X. (2006). Développer un curriculum d’enseignement ou de formation. Des options politiques au pilotage, Bruxelles, De Boeck, pp. 10-12.
27 Dumortier, J.-L. (2009). « Le rôle de la discipline scolaire “français” dans le projet scolaire d’éducation et d’instruction de la Communauté française de Belgique », Enjeux, 76, pp. 93-112.
28 Dumortier, J.-L. (2010), op. cit.
29 Jonnaert, P., Ettayebi, M. & Defise, R. (2009). Curriculum et compétences. Un cadre opérationnel, Bruxelles, De Boeck, p. 31.
Auteurs
Université de Liège, Service de didactique du français.
Haute École de Bruxelles.
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