Conclusion
p. 143-146
Texte intégral
1L’apprentissage en situation de travail traverse cet ouvrage en plusieurs couches emblématiques. Les auteurs, qu’ils soient enseignants, chercheurs ou formateurs, l’examinent à la loupe, aux moments les plus significatifs que vivent les enseignants d’éducation physique. Pour ces collègues, le cœur du métier – transmission et éducation – est mis sur la sellette au quotidien par l’implication, la motivation, la mobilisation, l’apprentissage des élèves, etc. ou par leurs résistances au changement et par leur impuissance apprise. De ce fait, durant le cours d’éducation physique, les enseignants acquièrent une expérience lourdement chargée de sens, propice à l’apprentissage. Par expérience, il faut entendre l’action du sujet sur le monde (faire, agir) couplée à ce qui est éprouvé. La formation continue est l’autre lieu d’apprentissage en situation de travail. Pour autant que les conditions adéquates soient mises en place par les formateurs et saisies par les stagiaires formés… Il est évidemment question pour ces derniers de réinvestir leurs acquis au profit de leurs élèves.
2À la lumière de leur trajectoire personnelle, Philippe Gagnaire et François Lavie observent que bon nombre d’enseignants éprouvent une souffrance ordinaire liée à l’impression de se sentir impuissants face aux injonctions extérieures (institution, parents) et dans leurs cours au quotidien. Ils ne parviennent pas à accomplir ce qu’ils souhaitent : intéresser durablement les élèves alors que leur défi est précisément de réussir à les mobiliser dans une APSA qui ait du sens, afin qu’ils deviennent pratiquants puis apprenants. Tout enseignant devrait prendre conscience que ce n’est pas parce qu’il enseigne que les élèves apprennent. S’adapter positivement par rapport à cette difficulté récurrente, c’est soit parvenir à utiliser les connaissances professionnelles incorporées, soit se montrer disposé à en incorporer de nouvelles. Les enseignants qui s’adaptent le mieux aux problèmes professionnels rencontrés sont ceux qui sont sensibles au postulat selon lequel tout individu est capable de progrès. Cet apprentissage en situation de travail passe par un processus réflexif. Un autre atout réside dans le détournement provisoire des savoirs pour s’intéresser davantage aux ressentis émotionnels des élèves. De plus, un enseignant capte d’autant mieux les plaisirs ressentis par ses élèves qu’il est expert. Ces constats plaident pour la mise en place d’une pédagogie de la mobilisation qui ne cherche pas à combler les manques, mais qui s’appuie sur les ressources des élèves pour enrichir leur répertoire. Les enseignants qui y parviennent, en cultivant leur passion d’enseigner, renforcent leur sentiment d’efficacité personnelle et, généralement, réussissent à mobiliser un plus grand nombre d’élèves.
3En réalité, ce processus a déjà été initié au temps de la formation initiale par le contact avec les enseignants formateurs. Ceux-ci sont considérés par Denis Loizon comme des sujets singuliers, autonomes et responsables. Ils sont imprégnés d’un déjà-là intentionnel, conceptuel, expérientiel, construit à travers leur propre histoire. La recherche montre que, mobilisant ce déjà-là, chacun se débrouille comme il peut pour faire face à de nouvelles injonctions officielles. Enseigner des règles, savoir pour être compétent, se laisser imprégner du désir de savoir... sont leurs préoccupations essentielles. Plus que tout, ils puisent dans leur expérience antérieure pour faire la preuve de leurs compétences face à de futurs professionnels. Lorsqu’ils y parviennent, ils éprouvent du plaisir à enseigner et à former, à voir les étudiants en apprentissage, en réussite… jusqu’au désir d’être aimé.
4S’il est bien un métier qui s’apprend par l’expérience, c’est celui de formateur en formation continue. Formateur et formés y sont embarqués dans une aventure commune comme le démontre Sophie Necker. Le formateur est d’abord et avant tout un enseignant reconnu compétent. Il agit du reste avec les mêmes arts de faire qu’en présence de ses élèves : mètis, créativité et routine. Sans intérêt, il ne peut escompter de transformation chez les stagiaires. Dès lors, il n’a de cesse de rendre visibles les inducteurs supposés du changement. Il est surtout amené à combiner, adapter, étirer, augmenter, mettre en évaluation ses savoirs d’enseignant pour les rendre communicables. Lorsque le principe d’isomorphisme régit la formation, la pratique et la découverte d’APSA placent le formé dans une situation analogue à celle de ses propres élèves : les sensations, émotions, plaisirs et déplaisirs associés sont convoqués. Ce double vécu d’élève et de pratiquant peut alors être considéré comme un catalyseur des pratiques professionnelles. Associée à l’analyse de sa pratique, cette activité incite le formé à faire « un pas de côté », à savoir prendre de la distance et du temps pour considérer le processus d’enseignement-apprentissage. Lorsque le dispositif de formation intègre activité, vécu et pensée réflexive, il atteint sa dimension optimale. L’exigence d’implication et de participation est élevée pour les organisateurs, les formateurs et les participants. Tous ne sont pas capables de soutenir de tels coûts dans la durée.
5Michel Récopé et Denis Barbier, riches d’une longue pratique de la formation continue doublée d’une posture de chercheurs, sont convaincus que la sensibilité à est à l’origine de la résistance avérée et des difficultés à se détacher des opinions personnelles (trajectoire et histoire culturelle-sociale) et du sens commun. Ils expliquent de la sorte les résistances de certains collègues aux propositions des formations continues. Ils démontrent que le public des enseignants s’y répartit en quatre populations, en fonction précisément de leur sensibilité à : ceux qui s’y développent, qui apprennent, qui réalisent des acquisitions précaires puis ceux qui résistent. Les acquisitions réalisées par les participants sont fonction de leur appartenance à l’une ou plusieurs des populations identifiées. Ainsi, les bénéfices personnels les plus prometteurs sont obtenus par les membres « qui s’y développent ». Le développement professionnel identitaire accompli les amène à devenir des « apprenants » et, dès lors, à tirer des bénéfices à court terme pour eux-mêmes. On saisit ainsi l’importance pour le formateur de se décentrer de son point de vue et d’adopter à l’égard des formés une attitude aussi empathique que possible.
6Parce qu’il est confronté à un environnement en constant changement, l’enseignant a bien besoin de réinvestir dans ses classes les acquis engrangés en formation continue. Pour documenter ce processus de réinvestissement, force est de considérer l’enseignant en tant qu’acteur singulier, néanmoins composé de micro-identités. Lorsqu’il capte des informations significatives en formation continue, ses sensibilités jouent le rôle de filtre. Et lors du réinvestissement, elles teintent l’activité comme le ferait un prisme coloré. Selon Marie Clerx, des régularités, considérées comme des sensibilités de genre, se dessinent d’un enseignant à l’autre. Ils sont sensibles à la personne de l’élève, à l’apprentissage, à former un citoyen responsable et autonome, à susciter l’intérêt, à respecter les cadres de travail, à instaurer un climat positif et au plaisir dans le mouvement. Lorsque la chercheure fournit à chaque enseignant sa carte d’identité professionnelle construite sous la forme d’une vignette en vue d’identifier sa sensibilité à, il déclare apprendre sur lui-même. Il est dès lors susceptible d’ajuster son intervention en fonction du public d’élèves, du contexte et de son état émotionnel. L’implication que les collègues partenaires ont montrée durant cette recherche et les bénéfices qu’ils reconnaissent en rapport avec leur développement professionnel méritent d’être amplifiés au profit d’acteurs bien plus nombreux.
7Examiné par les auteurs, l’apprentissage en situation de travail est mis au jour sous de multiples facettes, jusqu’à présent encore trop souvent considérées comme « l’affaire de chacun », sans grand intérêt épistémique. En faisant émerger, par des méthodes qualitatives éprouvées ou inventives et originales, des éléments significatifs du développement professionnel des enseignants d’éducation physique, les enseignants-formateurs-chercheurs-auteurs de cet ouvrage lèvent un pan important du quotidien ordinaire des enseignants. Ils donnent à voir, à comprendre et à discuter ce qui fait le cœur du métier, l’ADN des praticiens, dans le vécu de leur classe ou en formation continue. La complexité du métier est décrite dans le respect de la singularité de chacun, identifiant de la sorte le style individuel, en le connectant au genre de la profession. La carrière, fréquemment considérée comme plane, est présentée au contraire toute parsemée de nuances, de rebondissements et de navettes inhérentes au développement inscrit dans la durée.
8Les démarches mises en place par les auteurs et leurs conclusions devraient permettre aux formateurs en formation initiale et continue de sensibiliser davantage les formés aux transformations présentes ou à venir : conceptions, arts de faire et sentiment de compétence.
9Quant aux professionnels, inspirés par les conclusions des auteurs, ils pourraient avantageusement tirer parti de leur expérience pour communiquer encore plus et encore mieux aux membres de la communauté éducative les subtiles réussites de leur métier, associées au plaisir éprouvé et à la passion transmise à leurs élèves.
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L’apprentissage en situation de travail
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