L’évolution du je professionnel d’un professeur des écoles après dix années d’exercice
p. 357-364
Texte intégral
1. Introduction
1Notre communication porte sur l’évolution de la pratique d’un professeur des écoles que nous appelons Benoît sur une période de dix ans à partir de sa deuxième année de formation. Dans une perspective clinique d’orientation psychanalytique, nous cherchons à repérer comment certains processus psychiques sous-tendant la pratique de cet enseignant en classe évoluent au cours du temps. Cette étude fait suite aux recherches qui nous ont conduits à identifier des éléments du positionnement professionnel de Benoît sur des points précis concernant des moments particuliers de son exercice professionnel (Blanchard-Laville, 2009 ; Bossard, 2007 ; Verdier-Gioanni, 2008).
2Pour nous, cliniciens, sous-groupe de l’ensemble de l’équipe codisciplinaire qui regroupe des chercheurs se référant à des cadres théoriques différents, l’observation au long cours de Benoît est assez semblable à celle qui nous permet de rendre compte, dans l’après-coup, des éléments du travail réalisé par un enseignant dans un groupe d’analyse clinique des pratiques professionnelles. Certes, le mode d’accompagnement de Benoît durant la recherche a différé sensiblement de ce qui se passe classiquement lorsqu’un enseignant participe à l’un de ces groupes pendant plusieurs années. Pourtant, si ce que nous ressentons est aujourd’hui du même ordre, cela tient sans doute au fait que les premiers entretiens avec cet enseignant (février 1998) ont été conduits de manière clinique et que la relation avec lui s’est poursuivie par le biais d’entretiens non enregistrés ainsi que par un échange épistolaire épisodique assurant ainsi une certaine continuité psychique, même durant la période où l’équipe ne l’a pas sollicité pour le filmer en classe.
3Plutôt que de retracer la progression pas à pas de nos constructions quant à la compréhension de l’évolution des processus psychiques sous-jacents à la pratique de Benoît durant les dix années de recueil des données, nous étaierons dans l’après-coup la pertinence des hypothèses interprétatives qui ont progressivement émergé de nos analyses. Pour présenter nos hypothèses et témoigner de nos analyses, nous prélèverons dans le matériel recueilli des extraits de ses propos tenus lors d’entretiens, auxquels nous ajoutons des micro-scènes, des événements discursifs, mimo-gestuels et vocaux issus de ses interactions avec les élèves dans les séances de cours vidéoscopées.
4Il ne s’agit pas d’établir ici une vérité autour de ce qui serait le « cas Benoît », mais plutôt d’avancer quelques éléments que nous estimons significatifs des processus psychiques à l’œuvre dans sa pratique. Ces processus pourraient l’être à des degrés divers chez tous les enseignants, ensemble professionnel dont nous faisons bien évidemment partie nous aussi, même s’ils ne s’actualisent pas dans les mêmes configurations pour chacun.
5La question spécifique de notre étude concerne l’identification des modalités de construction progressive des aspects psychiques du je professionnel de l’enseignant observé. Pour nous, il semble possible de penser la construction professionnelle au plan psychique dans les termes où Piera Aulagnier propose la construction psychique d’un sujet, une « construction complexe et jamais terminée, résultat du travail d’identification qu’opère le je » (Aulagnier, 1986). À sa suite, nous proposerons de parler du je professionnel d’un enseignant. Cette construction nous apparaît comme celle de l’identité, « jamais “installée”, jamais “achevée” » (Erikson, 1972) et sans doute à poursuivre tout au long de la carrière professionnelle. Le je professionnel est d’abord anticipé par le sujet lui-même dans ses représentations d’un éventuel futur et prend consistance au moment de la première mise en situation d’enseignement effective ; il va évoluer ensuite au fil des rencontres successives.
6En lien avec nos travaux de recherche antérieurs, nous considérons plus particulièrement comment cet enseignant passe différentes périodes et notamment comment évolue ce que nous appelons sa « signature » (Berdot & Blanchard-Laville, 1996). En effet, nos recherches nous ont conduits à penser que, dans cette construction, il était possible de repérer des phases de durée variable que le sujet professionnel est susceptible de traverser. Nous les avons nommées phases d’« adolescence professionnelle » et de « post-adolescence professionnelle » (Bossard, 2009), cette dernière pouvant amener à tenir, à terme, la place d’adulte professionnel. Ces recherches ont montré que, sur ce chemin, il peut y avoir des ruptures et des passages qui ne se font pas ou qui se font difficilement (Bossard, 2001). Les professeurs débutants dans l’exercice du métier sont à la recherche d’éléments leur permettant, au plan psychique, de se construire une identité professionnelle. Nous avons fait l’hypothèse que, dans cette situation « d’entre-deux », analogue à celle de l’adolescence, ils sont amenés à vivre une véritable crise identitaire au plan professionnel liée à un temps qui génère une grande angoisse existentielle. Le deuil à effectuer par rapport à leurs attentes et à leurs anciens repères liés à leur position d’élève ne pouvant s’effectuer du jour au lendemain, une période de post-adolescence professionnelle suit la période d’adolescence professionnelle ; elle doit leur permettre l’acquisition d’une nouvelle posture.
7Nos résultats dans cette recherche indiquent que des éléments de la signature de cet enseignant ont subi des changements dans le sens d’une maturation certaine de sa professionnalité, le conduisant à rééquilibrer relativement ses investissements entre les dimensions relationnelles et les dimensions de transmission de savoir. Pour autant, ce qui ressort en priorité relève plutôt d’une remarquable permanence de certains traits significatifs de sa signature d’enseignant que nous nous proposons de décliner dans la suite de ce texte.
2. Les changements
8D’un point de vue factuel, la situation professionnelle de Benoît s’est modifiée à plusieurs reprises depuis son entrée en fonction en septembre 1997 : passant du statut de stagiaire à celui de professeur des écoles titulaire, il a enseigné à différents niveaux de l’école primaire. Puis, il est devenu directeur de son école en 2005 et, finalement, maître-formateur en 2007. Il a alors dix ans d’expérience professionnelle.
9Au-delà de ce parcours assez classique pour un enseignant qui progresse dans sa carrière, nous allons considérer certains propos issus des entretiens, puis certaines scènes issues des séances de cours filmés : elles nous permettent d’analyser la singularité de son évolution et, notamment, les changements qui concernent la dimension psychique de sa posture enseignante. Dans l’espace limité imparti pour ce texte, nous nous contenterons de mettre en perspective quelques éléments significatifs des débuts de l’exercice de ce professeur avec des éléments témoignant de sa pratique dix ans plus tard.
2.1. À partir des entretiens avec les chercheurs
10Dès 1998, un premier échange a eu lieu avec une chercheure de l’équipe au moment du visionnage par Benoît de l’enregistrement de son premier cours vidéoscopé un mois plus tôt. Il est invité à interrompre la projection chaque fois qu’il le souhaite pour réagir et ses réactions sont enregistrées au magnétophone.
11Assez vite, après le début du visionnage, il éprouve le besoin d’intervenir pour commenter la présence dans son dialogue avec la classe du mot schtroumpfette qu’il utilise pour désigner une élève :
J’essaie d’avoir une relation euh d’être le plus jeune possible dans mon esprit euh avec eux/j’utilise parfois leur vocabulaire euh leur façon de se comporter […] au niveau de ma personnalité d’enseignant j’essaie vraiment d’être plus proche d’eux.
12Cette proximité qu’il dit s’efforcer d’obtenir ne semble pas la conséquence d’un choix pédagogique, mais bien davantage l’expression de ce qui l’anime. Il indique en effet : « si vraiment il y a quelque chose dont j’ai besoin c’est d’être proche d’eux » ; et il exprime un peu plus tard ce besoin en ces termes : « une des raisons pour lesquelles j’ai fait euh enseignant, c’est parce que vraiment j’adore le contact avec les enfants […] c’est la principale raison d’ailleurs ».
13Les notions de « proximité » et de « contact » émaillent le discours de Benoît et semblent être les principales raisons qu’il se donne pour justifier sa posture professionnelle. Ce qui se décline, par exemple, dans son besoin d’attirer l’attention principalement vers lui, ce dont il convient en parlant des élèves : « j’aime bien qu’on m’écoute […], avec le regard j’essaie de les attirer et j’aime bien que tous m’écoutent ».
14Nous rencontrons également un autre aspect de ce qu’il appelle le « contact » dans des propos ayant une tonalité plus affective. Regardant l’enregistrement du déroulement de la séance, Benoît commente à plusieurs reprises ce qu’il perçoit en disant : « c’est un élève que j’aime bien » à propos de différents élèves. Il ajoute qu’il peut avoir « de l’affection pour un élève ». Il est à noter que Benoît dit aussi qu’il « essaie de trouver un équilibre qui n’est pas facile à trouver », mais il ne semble pas qu’il conçoive cet équilibre dans d’autres modalités que dans celle d’une très grande proximité avec les élèves.
15Les propos de Benoît au cours de la rencontre de 2007 avec l’équipe de recherche nous font penser que son besoin de proximité affective est un peu moins prégnant, laissant un certain espace pour un autre type de préoccupations. Lors de cet échange avec les chercheurs, il témoigne de la nécessité de dégager du temps pour se consacrer à autre chose que sa classe (« je suis pas dans cette dynamique de tout investir ») et il ne souhaite plus se vouer à temps plein aux élèves. Revenant sur son expérience passée, il note que lorsqu’on est débutant « on a peur de la gestion de la classe » et que c’est « compliqué » lorsque le « côté affectif prend le dessus ». Au cours de l’année écoulée, au contraire, il dit avoir été amené à prendre « pas mal de distance » face à un élève posant des problèmes et avec lequel il n’a pas eu de « relation privilégiée ». Il indique d’ailleurs que le côté affectif peut être trop prégnant pour lui : « ça devient lourd quand on est que sur l’affectif ».
16Le mot pédagogie fait son apparition lorsqu’il s’interroge sur sa manière de faire avec des élèves en difficulté : « peut être qu’on n’arrive pas à mettre en œuvre une pédagogie assez adaptée ». Il exprime le même souci lorsqu’il envisage ses relations futures avec une élève handicapée puisqu’il se propose d’avoir « une pédagogie et un regard beaucoup plus adaptés ».
17On constate ainsi que Benoît ne se centre plus prioritairement sur la relation affective, mais peut laisser la place à d’autres préoccupations plus en lien avec la forme de son enseignement.
18Si nous résumons les modifications que nous avons relevées, nous pouvons constater qu’au début de sa pratique professionnelle, Benoît se trouve, d’après ce qu’il dit et dans ce que nous en analysons, dans un hyperinvestissement affectif du côté des élèves. Il semble qu’au terme de dix ans de pratique professionnelle, il est à même de mettre une certaine distance entre lui et les élèves, de prendre un peu de recul pour analyser les situations et de se tourner assez résolument vers l’extérieur de la classe, que cet extérieur soit professionnel ou personnel.
2.2. À partir des enregistrements vidéoscopés de séances de cours
19Benoît est encore stagiaire lors de la première séance enregistrée (1998). Assez tôt dans son déroulement, nous percevons une certaine agitation générale dans la classe qui se manifeste en particulier par des brouhahas et des rires d’élèves auxquels semble faire écho le volume élevé (proche du cri) de la voix de l’enseignant qui atteint des registres aigus. Sans doute est-il à la recherche d’une certaine assurance. Observons, au plan manifeste, quelques tentatives destinées à lui procurer cette assurance.
20L’une des premières consiste à solliciter l’accord des élèves, ce qu’il fait dès la fin de la troisième minute : « on est d’accord ? » demande-t-il, la réponse positive des élèves semblant lui permettre de poursuivre sa démarche. On retrouve plusieurs fois au cours de la séance cette manière de procéder, notamment au bout d’un quart d’heure, puis d’une demi-heure de cours. Par exemple : « je te dessine et toi tu le remplis, d’accord ? », « est-ce que là tu es d’accord ? », « on est d’accord ? ».
21Une manière plus subtile de maîtriser son manque d’assurance consiste peut-être pour Benoît à faire advenir des événements dont il peut penser qu’il est à même de contrôler leur déroulement. C’est ainsi que l’on rencontre un certain nombre de provocations au rire à la suite de désignations inattendues d’élèves (comme la schtroumpfette), de jeux de mots, de l’introduction de mots anglais (go, yes et même une phrase : do you want me to speak english), d’onomatopées (glop, touc, pouah, etc.), de réflexions qui nous apparaissent légèrement décalées dans un contexte de classe. Nous comptons ainsi près d’une vingtaine de rires collectifs au cours de la séance.
22À un niveau plus interprétatif, on peut se demander si ces différentes tentatives ne relèvent pas d’un seul et même processus, celui de négocier avec ses propres tensions internes, en imposant d’une manière récurrente aux élèves une sorte d’accordage et d’adhésion forcés qui lui permettraient en retour d’occuper une position centrale.
23La dernière séance durant laquelle Benoît a été filmé (juin 2007) est consacrée à l’expression corporelle. Les élèves sont paisibles et attentifs. Une certaine forme d’harmonie règne dans la salle, induite par l’attitude de l’enseignant et favorisée peut-être également par la disposition circulaire du groupe. Tout au long de la séance, alors que les élèves sont invités à se déplacer en tous sens au cours d’exercices à réaliser à deux ou à plusieurs et en utilisant des foulards une partie du temps, Benoît joue sur différentes tonalités vocales : du chuchotement à un registre plus tonique, sa voix est toujours mesurée, posée et n’atteint jamais le cri, même dans les situations où les élèves deviennent extrêmement bruyants. Au contraire du climat général et du degré d’excitation régnant dans les séances de ses débuts professionnels, nous sommes ici dans une ambiance sereine, confiante, apaisée, et marquée par la lenteur des gestes et des paroles de l’enseignant.
24Les modifications que nous avions pu noter dans son discours se retrouvent effectivement dans ce que révèle l’observation de sa conduite en classe puisque nous percevons aussi des modifications sensibles dans sa gestuelle et dans la tonalité des paroles qu’il prononce.
3. Les éléments constants
25Ce que nous avons pu repérer jusqu’ici de l’évolution du je professionnel de Benoît est à mettre en regard de ce qui ressort d’une certaine constance. Comme pour les modifications, nous allons successivement prendre en compte ce qui est dit au cours des rencontres avec les chercheurs avant d’étudier deux séances de cours.
3.1. À partir des entretiens avec les chercheurs
26Lorsque nous comparons les propos tenus par Benoît au cours de ses débuts professionnels avec ceux qu’il tient plus tard, il ne fait pas de doute que sa préoccupation première n’a pas changé. Cette constance ne se retrouve pas seulement dans ce qu’il exprime de ses préoccupations ; elle se traduit également dans la manière dont il parle de sa pratique. C’est ainsi qu’il est amené à parler de rire, d’amusement, de plaire, dans des termes qui restent très voisins de ceux qu’il utilisait au début de sa carrière malgré les années d’écart.
27La redondance qui vient brouiller les repères chronologiques est particulièrement marquée dans la mise en avant des mots qui relèvent du registre de l’affection. Benoît parle de l’affection qu’il a pour les élèves en 1998 et du « côté affectif affectueux tendre » de sa relation avec eux en 2007.
28On retrouve en même temps une préoccupation récurrente dans sa recherche d’un certain équilibre. Dès la première rencontre, il dit qu’il « essaie de trouver un équilibre » et, l’année suivante, que « c’est difficile d’obtenir un équilibre idéal » même s’il semble convaincu qu’il faut « trouver le bon équilibre ». En 2006, il poursuit en pensant que « c’est vraiment le plus important d’avoir une relation équilibrée », ce qu’il confirme un an plus tard : « je passe pas un jour sans tenter d’avoir un équilibre relationnel ».
29Ces expressions qui ne changent pratiquement pas entre les deux périodes laissent penser que Benoît n’a, lui non plus, pas énormément changé dans sa manière de considérer son métier, dans la manière de l’exercer et dans ce qu’il en attend.
30Peut-être faut-il y voir la constance de son intérêt pour le contact avec les enfants puisqu’une des raisons pour lesquelles il a choisi d’être enseignant, est que « vraiment [il] adore le contact avec les enfants ». On pourrait ajouter à cela le fait qu’il indique dès le premier entretien que « si vraiment il y a quelque chose dont [il a] besoin, c’est d’être proche d’eux ». Or, le terme de contact est toujours présent en 2007 à propos de « contact dans le regard », de « contact verbal » et de « contact physique ». Quant à la qualité de ce contact, Benoît s’en montre particulièrement satisfait puisqu’il s’est « régalé deux ans de grande section », appréciation très voisine de celles qu’il utilisait dès1998 : « cette année, je suis comblé ».
31Relation, affection, satisfaction ou plaisir restent ainsi des termes toujours très liés entre eux dans ce qu’évoque Benoît. Ce qui a posteriori vient faire écho au fait qu’il était « très attiré » par la relation qu’il pouvait avoir avec les élèves. Sans doute peut-on mettre cette attirance en lien avec le fait qu’il espérait « retrouver un peu [dans] cette relation avec les enfants l’aspect affectif » qu’il dit ne pas avoir rencontré dans sa famille puisqu’il indique en 1999 : « on peut dire que j’ai pas eu de preuves d’affection de la part de mon père », parlant d’absence de « proximité physique ». À l’inverse, nous avons constaté qu’il pense, dès ses débuts, avoir trouvé à l’école l’affection dont il a besoin et nous comprenons qu’il est toujours, à un certain niveau, dans la même disposition dix ans plus tard. On peut voir là une des raisons qui l’amènent à toujours mettre en avant l’aspect relationnel avant la transmission des savoirs, car ce positionnement est constant : même lorsqu’il pense, en 2007, avoir acquis un regard « plus professionnel » et qu’il laisse entendre que sa pratique professionnelle a évolué, cette évolution ne concernerait que « la pratique relationnelle », mais s’agissant du contenu de son enseignement, il ne note aucun changement.
3.2. À partir des enregistrements vidéoscopés de séances de cours
32Lorsque nous visionnons la séance de 1998, nous nous interrogeons sur la manière dont Benoît se sert à certains moments des élèves comme objets de « provocations ». En effet, une partie des rires qu’il suscite l’est à partir de désignations particulières d’élèves. Au début, il semble assez bienveillant avec la « schtroumpfette ». Puis sa forme d’expression emprunte graduellement le ton de l’ironie et du sarcasme. Il utilise alors le terme de « tricheur » et l’expression « notre star nationale », désignations légèrement moqueuses, pour aller jusqu’à : « on va voir si tu sais lire », qui peut être vécue comme disqualifiante par l’élève ainsi mis au défi. Ce glissement est à rapprocher de ses déclarations aux élèves affirmant une assurance particulièrement forte (comme « je peux faire ce que je veux ») et de ses propos un peu durs (comme « tous ceux qui m’ont demandé n’iront pas »), ce qui nous donne l’impression d’une certaine jouissance qu’il tirerait de la position qu’il occupe.
33Si cette attitude à coloration légèrement sadique peut être interprétée comme une réaction de débutant destinée à le sortir d’une situation délicate où il a pu avoir le sentiment de perdre pied, on s’attendrait à ne pas la retrouver dix ans plus tard. Or, nous constatons que, certes moins importante, cette manière de procéder est toujours présente. C’est ainsi que l’on assiste à l’humiliation d’un élève que Benoît oblige à présenter, seul devant toute la classe, des mouvements de danse qu’il n’arrive pas à effectuer. Ce qui provoque des moqueries et un rire général dont l’enseignant n’ordonne pas l’arrêt. Cette manière de procéder (et dont Benoît n’a pas complètement conscience) semble ressortir de ce que Nicole Jeammet (2002) qualifie de « sadisme ordinaire » et que Claudine Blanchard-Laville (2006) présente comme l’une des facettes potentiellement convoquée chez l’enseignant dans sa pratique.
4. Conclusion
34Il est assez évident qu’au plan manifeste, certaines conduites de Benoît ont été un peu modifiées. Jusqu’à quel point cela est-il révélateur d’un changement de sa position psychique professionnelle ? Notons que les conditions d’enseignement ont changé aussi, mais cela ne suffirait pas à justifier les modifications que nous observons. Nous pensons qu’une évolution de son identité professionnelle et, plus largement, de sa professionnalité est présente, mais reste encore limitée. Néanmoins, il nous semble avoir montré que sa « signature » est très stable au cours du temps. Nous avons identifié les modalités de sa permanence et, en même temps, les aménagements qu’il a réussis à trouver. Cette signature correspond à la marque de son je professionnel, les contours de cette identité jamais achevée qui se construit en se dessinant dans le temps au gré des situations professionnelles successives qu’il est amené à rencontrer.
Auteurs
CREF (EA 1589) Équipe clinique du rapport au savoir, Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
CREF (EA 1589) Équipe clinique du rapport au savoir, Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
CREF (EA 1589) Équipe clinique du rapport au savoir, Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
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